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St FRANÇOIS
D'ASSISE
et l'esprit franciscain

MAITRES SPIRITUELS
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Vie âe Saint François

L'AN DU SEIGNEUR 1182

L'Ombrie est une terre d'élection. On n'y trouve ni les


majestueuses montagnes du Piémont, ni les rivages enchantés
de la Riviera, ni les prestigieuses ruines de Rome et de
Pompéi, et pourtant elle exerce une séduction quasi inexpli
cable. Les vallonnements gris de l'Apennin, où le regard
retrouve inlassablement les mêmes oliviers et les mêmes
broussailles, seraient partout ailleurs rapidement mono
tones ; seuls quelques cyprès élancés apportent ici et
là une note pittoresque, mais ils n'arrivent jamais à
rendre à ce paysage aride la grâce ou l'opulence qui
font la saveur de nos campagnes françaises. Et pourtant
l'Ombrie conquiert les cœurs ; est-ce à cause de cette lumi
nosité blonde et un peu lourde qui charme les yeux, à cause
de cette sérénité grave qui tempère les soucis ? On ne sait
trop. Le charme de l'Ombrie est fait de douceur et de paix,
une douceur et une paix qui pénètrent tout l'être, et qui
attachent à cette terre comme à une patrie intérieure. Il
faut se faire violence pour la quitter ; et même quand on a
joui ensuite d'autres contrées italiennes, plus variées et plus
riches, c'est là qu'on souhaiterait revenir pour y laisser couler
de longs jours.
Assise

Assise, comme la plupart des cités ombriennes, occupe


le flanc d'une eminence : le mont Subasio, qui domine de
ses treize cents mètres la large vallée du Chiascio. Ses portes,
ses ruelles, ses églises lui ont gardé l'aspect d'une cité médié
vale ; sa rudesse et sa pauvreté n'ont pas été mitigées par les
siècles, et, par la protection du Poverello, les marchands de bigo
teries, qui tirent partout argent de la piété sincère, offensent
peu ici les regards du pèlerin. Là naquit saint François ;
et, dans l'humble naïveté de la cité assisiate, rayonne le vivant
souvenir de ce géant de l'Esprit. Tout ici proclame ou mur
mure son nom ; il n'est pas une pierre qui ne porte témoi
gnage de lui. Et voici que les arbres, et les oiseaux, et les
fontaines, qui, dans la vallée, infusaient en nous la paix de
la nature, nous invitent cette fois à la paix de Dieu. La pureté
cosmique et la pureté divine se fondent ici en une fraîcheur
exquise, si bien qu'on ne sait plus démêler, dans ce parfum
du cœur, ce qui vient de la joie ombrienne ou de la joie séra-
phique. Vraiment, on n'imagine pas une autre patrie pour
le saint Jongleur que ce haut lieu où se réconcilient, dans
un saint baiser, la grâce et la nature.
Et pourtant, la paix franciscaine n'est pas née fortuitement
d'une heureuse rencontre. Elle a été l'œuvre persévérante
d'un homme. Quand celui-ci naquit, Assise et l'Italie fré
missaient sous le heurt des passions brutales ; les âmes
respiraient pour la haine, et les corps pour le combat ; et
les Assisiates qui descendaient dans la plaine les armes à
la main ne savaient guère goûter la suavité de la lumière.
Lorsque, aveugle et agonisant, dressé sur son brancard,
François bénit une dernière fois sa ville, c'est un souhait
de paix qu'il laissa tomber sur elle, comme le plus pur gage
de son amour. « Que la Paix soit sur toi. » Dieu a ratifié ce
vœu. Et c'est l'occasion pour nous de solder notre dette que
d'apprendre à connaître celui qui convertit le loup de Gubbio,
mais qui surtout rendit leurs visages d'hommes à d'autres
loups sanguinaires.
« L'homme est un loup pour l'homme. » En 1182, année
où naît François d'Assise, le jugement pessimiste de Plaute
trouve sa plus évidente confirmation. L'empereur est en
lutte contre le pape, le gibelin contre le guelfe, le bourgeois
contre le noble ; chaque cité italienne, si humble soit-elle,
entretient une milice toujours prête à affronter sa voisine.
Les alliances se font et se défont, les princes se flattent ou
s'éliminent, élisent selon leur fantaisie des empereurs avides,
qui tantôt demandent à Rome de soutenir leur ambition,
tantôt, déposés ou excommuniés, font trembler dans son
palais le successeur de Pierre.
Depuis un siècle en effet, la « querelle » du sacerdoce et
de l'empire bouleverse la péninsule l ; commencée par la lutte
qui opposa l'empereur Henri IV au pape Grégoire VII,
elle se présente comme un heurt entre le pouvoir civil et
le pouvoir ecclésiastique, une tentative réciproque pour
endiguer ici le cléricalisme, là le césaropapisme. En fait,
la raison invoquée n'est maintenant qu'une répercussion
ou un prétexte ; beaucoup plus politique que juridique ou
théologique, la rivalité a surtout pour motif la domination
de l'Italie. Celle-ci se trouve dans un état d'instabilité et
d'insécurité propice à toutes les entreprises. Le sud, unifié

1. Voir le tableau chronologique, p. 174-183.


en 1139 par Roger II de Sicile, est devenu le royaume des
Deux-Siciles ; mais les princes normands n'ont pas encore
suffisamment affermi leur puissance, et leurs domaines tout
frais conquis restent convoités par les deux empereurs, celui
d'Allemagne et celui de Byzance. Le reste — en dehors du
Latium et de l'ancien exarchat de Ravenne, qui composent
le domaine pontifical — forme le royaume d'Italie dont
l'empereur est le roi nominal. Pratiquement, la plupart
des villes lombardes se sont constituées en républiques,
lesquelles tiennent tête au despote germanique et abritent
leur autonomie sous l'autorité du pape. C'est ainsi que les
termes de guelfe et de gibelin, qui servent à distinguer en
Allemagne les partisans des Welf, ducs de Bavière, et ceux des
Hohenstaufen, seigneurs de Giebelingen, prennent en Italie
un sens tout nouveau. Maintenant que c'est la maison de
Souabe qui détient le pouvoir impérial, les gibelins sont
les partisans de l'empereur, les guelfes ceux du pape. Et
comme la présence de l'Allemand est une injure au natio
nalisme italien, le premier qualificatif devient synonyme de
collaborateur, le second, de résistant.
Pour le moment, l'empire est depuis trente ans aux mains
d'un guerrier ambitieux et redoutable, Frédéric Barberousse.
En 1158, sous le pontificat d'Adrien IV, doux et tempori
sateur, il avait soumis, grâce à l'alliance des cités gibelines,
toutes les villes guelfes, y compris Milan, la plus puissante
d'entre elles. Mais dès l'année suivante, la mort d'Adrien don
nait la tiare à un homme énergique et opiniâtre, Alexandre III,
qui allait pendant vingt-deux ans tenir tête au colosse
germanique. Les cités relevèrent la tête ; Frédéric rasa Milan,
envahit les états du pape et s'empara de Rome où il se fit
couronner par l'une de ses créatures, l'antipape Pascal III
(1167). Comme si le ciel répondait au sacrilège, la peste
anéantit l'armée impériale, et Frédéric ne put regagner
l'Allemagne qu'en faisant un détour par la Bourgogne.
Résolu à en finir avec les villes, l'empereur revint en
Lombardie avec une nouvelle armée ; mais elle fut écrasée
par les fédérés à Legnano (29 mai 1176). Le tudesque humilié
dut se soumettre au pape et reconnaître l'autonomie des
cités lombardes. Maintenant, il consolidait son pouvoir
en Allemagne ; il venait enfin d'éliminer son plus redoutable
rival, Henri le Lion, duc de Bavière, et avait besoin de se
concilier les autres princes allemands.
C'est pendant cette trêve que se situe la naissance de
François. Le vaillant pape Alexandre est mort depuis un an,
et c'est un doux vieillard qui le remplace, Lucius III, ami
lui aussi des Lombards. Les villes italiennes profitent de
cette accalmie pour relever leurs murs, armer leurs milices,
étendre leur commerce. Venise et Ancône sur l'Adriatique,
Gênes et Pise sur l'autre versant envoient leurs navires dans
toute la Méditerranée. Le mouvement n'est pas moins
intense en Italie centrale. Le duché de Spolète, dont fait
partie Assise, a bénéficié de la paix de Venise ; Spolète, rasée
en 1155 par Barberousse, est une cité toute neuve, relais
commercial actif à mi-chemin entre Rome et Ancône. Assise,
pendant trois ans au pouvoir de l'archevêque Chrétien de
Mayence, ami de l'empereur, élit maintenant ses consuls ;
à égale distance de Pérouse, dans les états du pape, et de
Foligno, située sur la route de Spolète, c'est avec la seconde
cité qu'elle commerce ; car Pérouse, son ennemie héréditaire,
est vouée à une haine sanglante ; de temps immémorial,
les deux cités luttent Tune contre l'autre pour obtenir le
monopole économique ; les coups de main, les rixes, les
batailles rangées se succèdent. Jusqu'ici, Assise n'a guère
tiré de cette rivalité que des déboires, car Pérouse, plus
riche et plus puissante, entretient une milice plus nombreuse,
et de plus les « majores >-, les nobles assermentés à l'empereur,
font parfois cause commune avec la rivale pour briser les
prétentions des bourgeois.
Cette fièvre de possession et de violence, l'Église tentc-
t-elle au moins de l'apaiser ? Ces désordres sociaux et ces
passions individuelles, que fait-elle pour y apporter remède ?
Sans doute les papes du XIIe et du xmc siècle apparaissent,
pour la plupart, comme des hommes dignes et sages, cons
ciencieux dans leur devoir de pères universels ; mais leur vertu
n'empêche pas qu'ils soient princes temporels, et leurs
efforts politiques pour sauvegarder le patrimoine foncier
de l'Église leur font trop souvent jouer un rôle indigne de leur
charge spirituelle. Quant aux hommes d'Église, leurs préoccu
pations apostoliques ne s'affirment guère. Les ordres monas
tiques, malgré ce qu'on a pu prétendre, ne sont guère ici
en cause ; il est certain que la richesse des abbayes bénédic
tines — surtout celles de la Congrégation de Cluny — offen
sait la misère publique et provoquait un abaissement de la
ferveur religieuse. Le premier inconvénient était bien souvent
corrigé par la bienfaisance des moines qui, aux époques de
disette, se faisaient la providence des affamés ; le second
fut admirablement rectifié par la fondation, dans les dernières
années du xie siècle, de l'ordre cistercien, destiné à faire
revivre dans toute sa rigueur la règle de saint Benoît et
notamment à ramener dans le cloître la plus austère pauvreté ;
à la mort de saint Bernard, le plus ardent promoteur de la
réforme cistercienne (1153), la nouvelle branche bénédictine
comptait trois cent cinquante monastères. D'autre part,
les Chanoines réguliers — religieux qui, tout en récitant
l'office canonial, s'adonnent au ministère — connaissent
un renouveau de ferveur grâce à saint Norbert qui, en 1120,
fonde l'ordre des Prémontrés. Il serait donc injuste d'affirmer
que, à l'époque où naît François d'Assise, le clergé régulier
faillit à sa tâche, qui est de donner l'exemple du travail
et de la prière, dans la pauvreté, l'obéissance et la chasteté.
Autre est la situation du clergé séculier. Là, la trahison
des clercs s'avère beaucoup plus sensible, car ce sont eux qui
ont la charge directe des âmes. Le bas clergé croupit dans la
paresse et l'ignorance, les prélats s'agitent dans des trafics
d'influence et d'argent. Certains bénéfices sont même devenus
héréditaires. Trente ans plus tard, le quatrième Concile du
Latran devra prendre des mesures sévères contre les clercs qui
s'adonnent à l'ivrognerie et à la chasse, contre ceux qui font
du commerce, contre ceux qui s'habillent de rouge ou de
vert... Tous ces canons montrent dans quel état d'abandon
les pasteurs laissent le troupeau pour s'occuper de leurs
affaires personnelles. On ne s'étonne pas qu'une grande
partie du peuple perde alors la foi dans un dogme qu'elle
ignore et la confiance dans des hommes qu'elle méprise.
Mais l'attachement à l'Évangile demeure entier. Aussi
les mouvements réformateurs se multiplient dans toute
l'Europe, qui devancent l'effort officiel de l'Église. Pierre
de Bruys dans le midi de la France, Tanquelin en Belgique,
Arnaud de Brescia en Italie ont prêché avec flamme, au début
du siècle, contre la richesse des prélats et le pouvoir temporel
de l'Église ; de nombreux fidèles les ont suivis. A présent,
il existe des sectes organisées et nombreuses qui font profes
sion d'observer l'idéal du Christ : les Frères du Libre Esprit
— improprement appelés Béghards — en Allemagne et dans
les Flandres, les Vaudois ou Humiliés à Lyon et en Lombardie,
les Albigeois ou Cathares dans le Languedoc et la Provence 1.

1. Voir le tableau chronologique, p. 174-183.


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Elles recrutent si abondamment qu'elles comptent des membres
dans toutes les couches de la société et jusque dans les
milieux romains ; en 1203, Assise élira pour podestat le
cathare Giraldo.
Hélas ! Cette vaste réaction s'avère impuissante à promou
voir une véritable réforme des mœurs. Les tentatives apos
toliques se révèlent au contraire singulièrement nocives
à cause de quatre tares. La première et la plus commune
est l'orgueil et l'esprit de révolte contre l'Église : celle-ci
est la Babylone, la prostituée de l'Apocalypse ; aucun clerc
ne mérite donc le respect ; aucun n'est licitement proprié
taire : aussi les sectes encouragent-elles les fidèles à les
dépouiller de leurs biens ; de là, des scènes de violence qui vont
jusqu'à l'émeute et au massacre. Cette révolte conduit au
désaccord intellectuel et engendre l'hérésie ; toutes les inno
vations doctrinales de la Réforme protestante se trouvent
en germe dans ces communautés : Pierre de Bruys, fondateur
des Petrobrusiens, rejette la présence réelle, le baptême des
enfants et le culte des images ; Amaury de Bènes, père des
Amauriciens, enseigne l'inspiration individuelle par le Saint-
Esprit et l'inutilité des sacrements ; les Vaudois et les Frères
du Libre Esprit nient le sacerdoce et la hiérarchie ; quant
aux Cathares, héritiers des Manichéens du IVe siècle, ils
adoptent jusqu'à la métempsychose et au dualisme — cette
dernière croyance admettant deux principes éternels, le Dieu
bon, créateur des esprits, et le Dieu mauvais, créateur du monde
sensible. Les novateurs parcourent les villes et les campagnes
en propageant leur doctrine, et le troisième Concile du Latran
(1179) a dû interdire aux laïcs de prêcher et de commenter
l'Écriture. Condamnés, ils se soumettent rarement : telle
sera pourtant l'attitude de Durand d'Osca, l'un des chefs
du mouvement vaudois. Le résultat de tout cela, c'est la
division des esprits et le durcissement du pouvoir ecclésias
tique.
Troisième tare : l'illuminisme. La plupart des hérésiarques
se présentent comme les instruments du Saint-Esprit, choisis
pour inaugurer une ère nouvelle. Tanquelin se fait appeler
le fiancé de la Vierge. Joachim de Flore, le célèbre abbé
cistercien, — qui ne songea jamais à la révolte, mais dont la
curieuse doctrine trouva de nombreux disciples, — prophétise
la fin du Nouveau Testament sur la ruine de l'Église corrom
pue et la venue toute proche de YÉvangile éternel, triomphe
de l'Esprit sur la lettre. Enfin très souvent, le déchaînement
Assise. Une porte de la ville.
purificateur tourne à la dépravation ; les Amauriciens tirent
de leur conformité au Christ la conclusion qu'ils sont impec
cables : ils ne se reprochent donc aucune faute, persuadés
d'agir en tout divinement ; les Béghards, précurseurs des
quiétistes, se flattent d'être les hôtes du Saint-Esprit et de
faire tout sous sa motion : le libre esprit devient alors syno
nyme de libertinage. Quant aux Cathares, ils condamnent
le mariage et la génération, en permettant aux fidèles (les plus
nombreux, on s'en doute) qui n'ont pas la force de prendre
rang parmi les Parfaits, de mener une vie dissolue jusqu'à
la réception du consolamentum, rite destiné à leur conférer
in extremis la purification indispensable au salut.
En résumé, les hommes qui se proposent de réformer
l'Église corrompue ne manifestent ni humilité, ni charité,
ni même, pour la plupart, chasteté. Loin d'être des exemples,
ils sont des objets de crainte et de scandale. Aussi les voit-on
souvent périr de mort violente : Tanquelin est assassiné,
Pierre de Bruys jeté par la foule dans le bûcher qu'il a allumé
avec des crucifix. D'autre part, la répression des désordres
ne manque pas de rigueur : les évêques utilisent leurs prisons,
le bras séculier le bannissement et la torture, et finalement
les princes orthodoxes, requis par Rome, vont déchaîner
sur le Languedoc la terrible Croisade des Albigeois qui,
commencée l'année où saint François fondera son ordre, ne
se terminera qu'au moment de sa mort.
Le monde qui accueille François est un monde de félonie,
de lucre et de violence. Par quel concours d'heureuses cir
constances cet enfant va-t-il un jour se faire l'apôtre de la
paix et de l'amour ?

JEUNESSE DORÉE

Le futur amant de la pauvreté était un riche. Son père,


Pierre di Bernardone, appartenait à une opulente lignée
de marchands drapiers, les Moriconi de Lucques ; quant à
sa mère, Donna Pica, tout ce qu'on en sait, c'est qu'elle venait
de la Provence. Des traditions tardives ont entouré d'une foule
de prodiges la naissance de l'enfant prédestiné, et notamment
— trait qui vise à rendre François exactement conforme au
Christ — il serait né dans une étable, entre un âne et un bœuf.
13
C'est cette étable qui serait devenue la chapelle San Francesco
il Piccolo ; non loin s'élève la Chiesa Nuova, bâtie au xvne
siècle sur l'emplacement de la maison des Bernardone.
D'après les Bollandistes, ces deux lieux de culte peuvent
s'expliquer sans miracle et sans légende ; le premier rempla-

San Francesco il piccolo.


Etable où serait né François.
cerait la première maison du saint, où il serait né et aurait
vécu ses plus tendres années : d'où le vocable de Saint
François le Petit ; c'est ensuite seulement que la famille de
Pierre di Bernardone se serait installée dans une demeure
plus luxueuse.

Chiesa nuova.
La maison paternelle de François.
Le petit enfant fut porté sur les fonts baptismaux de la
cathédrale Saint-Rufin, qui ne possédait pas encore à l'époque
la fière et solide silhouette que nous lui connaissons ; et
il reçut le nom de Jean. Comment donc Giovanni se trans-
forma-t-il en Francesco ? Les avis sont partagés. Les uns
prétendent que le père, voyageant en France à cette époque,
changea lui-même le prénom à son retour, par admiration
pour le beau pays qu'il avait parcouru ; d'autres supposent
que François lui-même, devenu adolescent, avait si bien
pris le langage et les façons d'un Français que ses amis
lui en avaient spontanément attribué le vocable. De toute
façon, on peut affirmer que François doit ce nom sous lequel
il s'est immortalisé à l'amour de notre pays, pays des chevaliers
et des troubadours, qu'il se choisira plus tard comme champ
d'apostolat, à cause de l'honneur qu'on y rendait à la sainte
Eucharistie.
Pour l'instant, ce n'était pas la dévotion qui l'inspirait,
mais la poésie. Ame sensible et ardente, le jeune homme
s'était pris d'enthousiasme pour les chansons de geste et
les romans de chevalerie importés d'au-delà des monts. Il
avait écouté avec ravissement les poèmes galants que les
troubadours de Languedoc et de Provence venaient chanter
en Italie ; il avait entendu parler — peut-être même les
avait-il vues en accompagnant son père dans ses voyages
d'affaires — des cours brillantes de Florence et de Lombardie,
dans lesquelles de séduisants seigneurs et des dames char
mantes donnaient des fêtes incessantes, délices des yeux
et des oreilles. Lui aussi, il voulait imiter ces champions
de la gaie science, et, avec la passion qu'il mettait en toutes
choses, il ne rêvait plus que de les surpasser. C'est ainsi
qu'il prit la tête de la jeunesse d'Assise, cette jeunesse élégante
composée des fils des familles les plus considérables, et
qui passait le meilleur de son temps en festins et en cortèges.
Sans doute n'était-il pas noble ; mais il portait deux valeurs
qui surpassent en pouvoir les titres de noblesse : la courtoisie
et l'argent. Cultivé, affable et de bonne tournure, il savait
se gagner les sympathies ; très riche, il entretenait les gentils
hommes pauvres et s'en faisait des débiteurs. Ce dernier
détail a étonné plus d'un narrateur ; car le seigneur Pierre
se montrait fort avare, et la folle prodigalité de son fils devait
lui causer bien des soucis. Mais il faut considérer que le
triomphe du jeune homme rejaillissait amplement sur lui ;
pour ce marchand de modeste extraction qui avait acheté,
comme les autres grands bourgeois, la franchise civile au
prix de son labeur, quel orgueil de contempler son propre
enfant hissé au faîte de la gloire locale et dominant de sa
renommée les fils des plus nobles familles ! Toute la ville
le désignait du doigt comme le père du troubadour, et il
faut croire que cette célébrité ne manquait pas d'amener
les chalands dans sa boutique.
Ainsi, le double idéal de François : devenir jongleur et
chevalier, n'était satisfait qu'à moitié ; mais c'était une
moitié si parfaite qu'elle aurait pu le contenter et détourner
ses désirs d'ambitions plus guerrières. Or, les événements
se chargèrent de modifier cette satisfaction paresseuse :
le virelai se transforma en chanson de geste. Après la mort
de l'empereur Henri VI, un schisme avait éclaté en Allemagne ;
deux candidats furent élus et couronnés : le gibelin Philippe
de Souabe, fils de Barberousse et frère du défunt, et le
17
4 Baptistère de la cathédrale Saint- Rufin où fut baptisé François
La Rocca Maggiore

guelfe Othon de Brunswick. Au même instant, le Sacré


Collège élisait un pape de trente-sept ans, décidé à faire
triompher les droits de l'Église : Innocent III. L'Italie
illumina. Profitant de l'absence du duc de Spolète, l'Allemand
Conrad d'Irslingen, les Assisiates se ruèrent sur la forteresse
de la Rocca, emblème de sa puissance, et mirent en pièces
la garnison et les murailles. Ce que nous voyons aujourd'hui,
18
sous le nom de Rocca Maggiore, n'est que la nouvelle redoute,
rebâtie au XIVe siècle sur les fondements de l'ancienne
par le cardinal d'Albornoz. Cet audacieux coup de main
fit prendre conscience de sa force à la bourgeoisie ; elle s'em
para du pouvoir civil et se tourna contre les nobles, trop
souvent dévoués aux intérêts allemands. Les uns furent
massacrés, les autres s'enfuirent à Pérouse ; parmi ces derniers,
figurait le sénateur Offreduccio, comte de Sasso-Rosso,
le propre père de sainte Claire et de sainte Agnès. On
frémit en pensant que François et ses compagnons auraient
pu égorger cette famille prédestinée... Du moins ne se firent-
ils pas faute de mettre à sac son palais d'Assise.
Mais déjà Pérouse entrait en action. La république d'Assise
ne voulut rien accepter de ses propositions et, devançant
les projets de l'ennemi, tenta de porter la guerre chez lui.
Son'armée s'avança jusqu'au Tibre; le choc eut lieu au
Ponte San Giovanni. Les milices assisiates furent écrasées,
et les combattants qui ne périrent pas se retrouvèrent pri
sonniers ; François était de ceux-là. Les débuts de l'apprenti
chevalier s'avéraient quelque peu décevants. Et pourtant
sa bonne humeur resta entière ; il est vrai que la richesse
de son équipement et la considération dont il jouissait parmi
ses compagnons lui valurent d'être traité comme un noble.
A l'automne de l'année suivante, il fut libéré.

L E S É TA P E S D E L A C O N V E R S I O N

La conversion est une expérience patiente et tâtonnante,


qui se réalise grâce à des corrections et des transformations
successives. Sans doute arrive-t-il que le spectateur ait
l'impression d'un résultat immédiat et décisif ; c'est qu'alors
les cheminements de la grâce et la lente illumination de
l'âme s'opèrent dans le secret, mais ils n'en restent pas
moins laborieux et crucifiants. François n'échappa pas
à cette règle. Les interventions divines qui aboutirent au
don total furent d'ailleurs suffisamment manifestes pour
avoir retenu l'attention des premiers biographes. De la
tension inconsciente vers le Christ jusqu'à la pleine prise
de conscience de la vocation, on peut résumer l'itinéraire
spirituel du saint en cinq étapes qui rendirent de plus en plus
19
précise son orientation intérieure et de plus en plus étroite
son union avec le Sauveur.
La première fut toute négative. Elle consista dans une
sorte de langueur, à la fois corporelle et mentale, qui le
terrassa de longues semaines et lui ôta ensuite le goût de
toutes les vanités qu'il avait tant aimées. En quoi consista
le mal, il est difficile de le dire, et ce n'est pas là l'important.
« Il se trouva, dit Bonaventure, sous le coup de longues
souffrances, par lesquelles le Seigneur prépara son âme
à correspondre à la grâce de l'Esprit. » En effet, Celano
nous apprend que, après cette rude maladie, «< rien de ce
qui fait la joie des yeux ne parvint à le charmer ».
C'en était donc fini des festins et des fêtes. Il fallait main
tenant remplir sa vie par quelque chose de plus noble. La
guerre contre Pérouse avait été courte et désastreuse, et
ce n'était pas elle d'ailleurs qui aurait pu suffire à l'ambition
du jeune homme. Or, voilà qu'un seigneur d'Assise, un
certain Gentil, partait rejoindre en Pouille Gauthier de
Brienne, le chef victorieux des armées pontificales : François
le suivit dans un enthousiasme délirant. Mais, à peine à
Spolète, Dieu se chargea de lui faire comprendre que ce
n'était pas pour cela qu'il lui avait rendu la santé. Malade,
il s'alita ; et comme cette deuxième leçon semblait ne pas
être mieux comprise que la première, une voix s'éleva dans
sa chambre, lui demandant avec autorité où il allait. Vint
ensuite une seconde question : « Qui peut te faire le plus
grand bien : le maître ou le serviteur ? — Le maître, répondit
François. — Pourquoi donc, repartit la voix, laisses-tu le
maître pour le serviteur ? » Cette fois, le jeune homme a
compris. Celui qui vient de le terrasser sur sa couche,
c'est le même qui terrassa Saul sur le chemin de Damas ;
et comme Saul, il interroge avec angoisse : « Seigneur, que
voulez-vous que je fasse ? » Et le Seigneur répond : « Retourne
dans ta patrie : là on te dira ce que tu as à faire. » François
a reconnu son interlocuteur ; et il obéit. Il retourne à Assise
et renonce désormais à la chevalerie.
Et maintenant, il attend que se réalise la prédiction du
Maître. Quelle sera sa tâche ? Et qui la lui dira ? Pour
ouvrir son cœur à la grâce et recevoir le divin message,
il fuit le monde et ses pompes, se consacrant au soin des
pauvres et à la prière. Dieu l'encourage sensiblement dans
cette voie. « François, lui dit-il un jour, tout ce que tu as
aimé et désiré posséder selon la chair, il te faut maintenant
l'avoir en haine et en mépris, si tu veux connaître ma volonté. »
Et immédiatement, l'occasion lui est donnée de mettre à
profit ce conseil salutaire ; à peine est-il sorti d'Assise
qu'il rencontre le pire objet d'horreur qu'il ait connu jusque-
là : un lépreux. Il descend de cheval, lui offre un denier,
et, retenant cette main gangrenée qui s'avance, il y dépose
un baiser. Alors, une grande douceur l'envahit, et son intimité
avec Dieu en devint plus étroite. Il visita dès lors fidèlement
les lépreux et s'enfonça plus profondément dans la prière ;
il s'attardait de longues heures dans une grotte pour y
pleurer sa vie passée, et il en sortait méconnaissable.
Dieu mit enfin un terme à cette vie incertaine. Le grand
événement eut lieu dans la charmante petite église de Saint-
Damien, que l'on trouve à un kilomètre en aval d'Assise,
tout humble parmi les oliviers. François priait avec ferveur
devant le grand crucifix byzantin : « Seigneur, je te supplie
de m'éclairer et de dissiper les ténèbres de mon âme. » Du
crucifix, la réponse tomba, douce et bienveillante : « Va,
François, répare ma maison qui croule. » Illuminé par cette
consigne précise, il courut à la boutique paternelle (le père
était absent), chargea sur son cheval plusieurs pièces de
drap et galopa au marché de Foligno, où il vendit l'étoffe
et la monture. Revenu à Saint-Damien, il y trouva le vieux
prêtre qui desservait le sanctuaire et lui offrit l'argent pour
payer les frais de la réparation ; méfiant, le desservant refusa.
François jeta alors l'argent avec mépris dans l'encoignure
d'une fenêtre et supplia le vieux prêtre de lui permettre
de vivre avec lui. L'autre accepta.
Sur ces entrefaites, le père revint à Assise et, mis au courant
des événements, il entra dans une violente colère. Rassem
blant parents et amis, il descendit à Saint-Damien pour y
capturer le fils indigne ; mais celui-ci, réfugié dans une caverne,
s'y tint pendant un mois, dans la prière, le jeûne et les
larmes. Enfin, confiant dans le secours de Dieu, il alla au-
devant de ses persécuteurs. Assise accueillit son héros de
la veille avec des huées et des cailloux ; Pierre di Bernardone
le jeta dans un cachot et l'exhorta à renoncer à ses projets.
Puis il partit pour un voyage d'affaires, et la mère délivra
son François, qui revint à Saint-Damien. Nouveau retour
du père, nouvel éclat ; cette fois, il voulut en finir et porta
plainte devant les consuls. François, cité à comparaître,
se déclara au service de Dieu ; on renvoya le plaignant au
tribunal de l'évêque, devant lequel le fils insoumis accepta
de se présenter. Sommé de restituer l'argent dérobé, François
répondit par un geste sublime : pour ne rien garder de l'héri
tage paternel, il se dépouilla de ses vêtements et jeta tout
aux pieds de son père. Dans l'éloquence de sa nudité, il
fit entendre aux assistants un langage solennel. « Écoutez-moi
tous et comprenez ! Jusqu'ici, j'ai appelé Pierre Bernardone
mon père. Mais maintenant je puis dire : Notre Père qui
êtes aux Cieux. » Et l'évêque, en signe d'adoption, couvrit
François de son manteau.
Cette nouvelle étape séparait François du monde et le
consacrait au service de l'Église ; désormais, il était libre
de se donner à la tâche à laquelle le Christ lui-même l'avait
appelé. Il regagna Saint-Damien, et, ayant revêtu l'habit
d'ermite, il commença dans l'allégresse la réfection du
sanctuaire, quêtant matériaux et nourriture, et trouvant
même à s'adjoindre, malgré les railleries, des compagnons
pour l'aider dans son travail. Saint-Damien achevée, et ne
recevant pas d'autre consigne du Christ, François restaura
l'église Saint-Pierre, puis il entreprit de relever les murs
de Sainte-Marie des Anges, chapelle abandonnée qui s'élevait
à une lieue de la ville et qu'on appelait, à cause de ses dimen
sions exiguës, « la Portioncule ». Séduit par la solitude du
heu, il en fit son domicile. Et c'est là, dans l'humble maison
de Dieu, que, le 24 février 1209, fête de saint Matthias,
François entendit l'appel qui paracheva sa conversion, qui
ouvrit ses yeux sur le sens des paroles perçues deux ans
plus tôt à Saint-Damien. A l'autel tout neuf, le vieux prêtre
célébrait et l'ermite servait la messe. L'évangile du jour
rapportait les paroles prononcées par Jésus lorsqu'il envoya
les apôtres annoncer l'évangile : « Allez donc et prêchez, en
disant : Le Royaume des Cieux est proche... N'ayez dans
vos ceintures ni or, ni argent, ni monnaie, pas de besace
pour la route, ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton :
car l'ouvrier mérite son entretien... » François fut transporté
d'enthousiasme. « Voilà ce que je veux », s'écria-t-il. Une
fois dehors, il jeta ses souliers et son bâton, remplaça sa
ceinture par une corde, son manteau par un capuchon de
laine tel qu'en portaient les paysans de l'époque. Maintenant,
il était chevalier de l'Évangile. Ce n'était pas l'église de
pierre que le Seigneur lui réclamait de rebâtir, mais le
Corps mystique du Christ, lézardé par la haine, le vice et
l'indifférence. Pauvre et ardent comme les Apôtres, il allait,
à leur exemple, rendre témoignage de Jésus-Christ.
François se dépouille de ses vêlements, qu'il jette à son père,
et l'évêque le couvre de son manteau.
(Giotto, Assise.)
Chapelle Sainte-Marie des Anges, dite « La Portioncule ».
Réparée par François, elle devient le centre de l'ordre naissant.

NAISSANCE DE L'ORDRE FRANCISCAIN

A partir de ce jour, les habitants d'Assise entendirent


François non plus réclamer des pierres, mais leur prêcher
la pénitence et la paix. Les rieurs se raréfièrent, on l'écouta
et on tira profit de ses exhortations. Bientôt, un autre riche
marchand, Bernard de Quintavalle, vendit tous ses biens,
en donna publiquement le prix aux pauvres et alla partager
la vie du prédicateur. Ils furent rejoints dans la même semaine
par le juriste Pierre de Catane, membre laïque du chapitre
d'Assise et futur général de l'ordre, et par un jeune paysan
24
nommé Égide qui devait se rendre célèbre plus tard par sa
sagesse. François résolut d'organiser de grandes tournées
de missions, et ils partirent deux à deux, François évangélisant
avec Égide la Marche d'Ancône. A leur retour, ils trouvèrent
à la Portioncule trois postulants. Désormais, il partagèrent
leur temps en deux : période de vie collective et contemplative
dans le petit bois de la Portioncule, période de prédication
à travers l'Italie centrale. Quatre autres s'adjoignirent encore,
et François ramena de Rieti un authentique chevalier, Ange
Tancrède, gracieux et courtois. La cabane de la Portioncule
devenant trop exiguë, ils allèrent s'établir un peu plus loin
près d'un coude de rivière, au lieu appelé Rivo Torto.

François prend le vêtement des paysans de son époque,


(gravure du 17' siècle)
Pour gagner leur pain, les frères travaillaient dans les
fermes ou les maisons bourgeoises, en n'acceptant que des
gains en nature ; et si ceux-ci étaient insuffisants, ils recou
raient à la mendicité ; d'autre part, ils soignaient les lépreux
dans les maladreries. De cette communauté, François était
non seulement le chef qui distribue les besognes et décide
des innovations, mais encore le père et la mère ; parvenu, grâce
à ses années de solitude, à une plus haute expérience inté
rieure, il formait ses compagnons à la prière et aux exigences
de la vie cénobitique ; rempli pour eux d'une immense ten
dresse, il veillait à ce que rien ne les rebutât. On trouve dans
les Règles et les admonitions écrites par le saint d'émouvants
témoignages de cette sollicitude.
Cependant, cette façon de vivre, toute louable qu'elle
fût, et bien qu'encouragée par l'évêque d'Assise, n'avait
point reçu l'approbation pontificale. François voulut combler
cette lacune. A l'automne de 1209 (ou au printemps de
l'année suivante), il se mit en route avec ses frères, une route
toute de joie et de prière. A Rome, il trouva l'évêque d'Assise,
qui le recommanda à son ami le cardinal Jean de Saint-Paul,
et le cardinal lui obtint une audience du pape. Innocent III
le reçut sympathiquement, mais fit de graves réserves et
le renvoya sans prendre de décision. Or, voici que la nuit
suivante le pape eut un songe : Saint-Jean* de Latran, cathé
drale de Rome, chancelait sur ses fondements et allait
s'écrouler, quand un petit homme de mine chétive survint,
s'arc-bouta et redressa l'édifice ; l'émotion passée, Innocent
reconnut le petit homme : c'était François d'Assise. Aussi,
à l'audience suivante, donna-t-il son approbation orale à
la règle écrite par le supérieur des « pénitents » ; il l'embrassa,
bénit tous les frères et leur enjoignit de prêcher la conversion
à Dieu. Le cardinal Jean de Saint-Paul les tonsura de sa
propre main, ce qui était le gage de leur reconnaissance
officielle par l'Église. La communauté des pénitents d'Assise
était devenue un ordre religieux.
Après cette grande victoire', la communauté regagna en
liesse Rivo Torto. Pour peu de temps ; car, un beau jour,
un paysan vint loger son âne dans la masure qui leur servait
de logis. Pour éviter les contestations, les frères abandonnèrent
la demeure à l'animal et revinrent à Sainte-Marie des Anges,
qui sera définitivement le centre de l'ordre. Alors affluèrent
de nouveaux disciples, et c'est même à cette époque que
s'enrôlèrent les plus célèbres : Léon, le confesseur et le
26
Le pape Innocent 111 voit en songe François
redresser l'édifice chancelant de l'Église.
(Benozzo Gozzoli, Montefalco)
8-: $L
confident de François ; Rufin, qui fut avec Ange et Léon
l'un des « trois compagnons » choisis par le général Crescent
de Jesi pour écrire la biographie du saint ; Genièvre (ou
Junipère), admirable de candeur, dont François souhaitait
avoir de nombreux exemplaires et que sainte Claire avait
surnommé le Jongleur de Dieu ; Masseo, colosse humble
et éloquent, qui servait de compagnon au Poverello dans
ses tournées de prédication : tous hommes de simplicité
et de prière, pleins de cette joie et de cette charité fraternelle
que le Père aimait à trouver chez ses fils. Les « Trois Compa
gnons », la « Legenda Antiqua », les « Fioretti », le « Speculum
Perfectionis » regorgent d'histoires savoureuses sur ces
premiers religieux franciscains qui formaient autour de leur
fondateur comme une séraphique auréole.

LE DEUXIÈME ET LE TROISIÈME ORDRES

Ainsi, un grand nombre d'hommes, laïcs et clercs, accou


raient à François, lui demandant de partager sa vie et d'obéir
à sa règle. Cependant, ce n'étaient pas seulement les hommes
célibataires qui souhaitaient se mettre à son école ; la répu
tation de la communauté d'Assise, le spectacle évangélique
qu'elle offrait, les prédications des frères à travers l'Italie
répandaient partout l'esprit de François et attiraient à lui
les jeunes filles et les gens mariés. Pour les unes, il édifia le
second ordre, dit « des Pauvres Dames » ; pour les autres,
le Tiers-Ordre ou ordre de la Pénitence.
Celle que Dieu appela à être la Mère de toutes les Pauvres
Dames fut une Assisiate, cousine des frères Sylvestre et Rufin :
Claire Offreduccio. De douze ans plus jeune que François,
elle avait grandi dans une famille aristocratique où elle avait
reçu une éducation des plus soignées, en même temps qu'une
exquise piété — œuvre de sa mère Hortulane. Toute jeune,
elle avait résolu de se donner à Dieu, et, lorsqu'elle entendit
François prêcher dans les églises d'Assise, elle conçut pour
lui une admiration qui aviva son désir de la vie parfaite.
Elle alla donc le trouver en secret et lui ouvrit son cœur :
sa famille, malgré ses répugnances, l'obligeait à une union
flatteuse, mais seul Jésus-Christ serait son époux. François,
qui n'ignorait pas ce qu'était la résistance aux illégitimes
29
Claire
(Tiberio d'Assise)
prétentions du monde, résolut avec elle d'adopter la solution
brutale. Une nuit de printemps de l'année 1212, Claire
s'enfuit du palais Offreduccio avec sa cousine Pacifica de
Guelfuccio et vint retrouver les frères mineurs à la
Portioncule. François leur coupa les cheveux solennellement
et les revêtit de la bure pénitentielle ; les nouvelles recrues
prononcèrent les trois vœux de religion et prêtèrent serment
d'obéissance à François. Après quoi, celui-ci alla les mettre
en sécurité au monastère des Bénédictines de Saint-Paul,
distant de trois kilomètres. Quand les Offreduccio consta
tèrent la fugue, ils se lancèrent à la recherche des deux jeunes
filles et découvrirent bientôt leur retraite ; mais, lorsqu'ils
voulurent employer la force, Claire leur montra, derrière
la grille monastique, sa tête rasée. Convaincus que l'engage
ment des jeunes filles était irrévocable, ils n'insistèrent plus.
Il en alla autrement quand Agnès, la jeune sœur de Claire,
tout juste âgée de quinze ans et déjà fiancée, renouvela
l'exploit. Pour dérouter les recherches, François avait obtenu
pour les trois Pauvres Dames l'hospitalité de l'abbaye de
Saint-Ange de Panzo, elle aussi proche d'Assise. Ce changement
n'échappa pas aux Offreduccio, qui, à la tête de leurs hommes
d'armes, investirent le monastère. Ils capturèrent la jeune Agnès
qui n'avait pas encore été tondue, et, malgré sa farouche
résistance, la traînèrent dehors par les cheveux. Claire implora
alors le secours d'en-haut, et sa prière fut exaucée du Seigneur.
Agnès devint subitement si lourde que les soudards ne par
vinrent pas à la bouger d'un pouce ; persuadés que Dieu
lui-même combattait contre eux, ils se retirèrent en laissant
la courageuse enfant rejoindre ses compagnes.
Il ne manquait plus aux trois moniales qu'une règle et
un monastère grâce auxquels elles pourraient vivre par
faitement la vie de pauvreté qu'elles avaient embrassée à la
suite du frère François. Pour le monastère, ce fut encore
l'ordre bénédictin qui les tira d'affaire, en offrant au fondateur
l'église Saint-Damien, ce sanctuaire où il avait reçu du Christ
sa mission et qu'il avait lui-même relevé avec tant d'amour.
Ainsi, Sainte-Marie des Anges et Saint-Damien, maisons
de Dieu rebâties dans l'obéissance, devenaient les berceaux
de deux grands ordres ; l'érection des églises matérielles
n'était même plus un symbole, puisque celles-ci abritaient
maintenant des âmes brûlantes de charité qui allaient agrandir
les dimensions de l'Église spirituelle. Quant à la règle,
François' en écrivit une semblable à celle de ses frères et dans
30

Saint-Damien : le petit choeur f xne s.)


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laquelle était surtout exaltée la sainte Pauvreté ; elle fut
approuvée en 1215 lorsque, Claire ayant reçu le titre d'abbesse
de Saint-Damien, l'ordre des Pauvres Dames accéda à
l'autonomie.
Comme le premier Ordre, le second ne cessa alors de
s'accroître ; du vivant même de Claire, il s'était répandu
dans toute l'Europe. Sa plus jeune sœur, Béatrice, et sa
mère devenue veuve vinrent se mettre sous sa houlette.
Sept ans après sa dramatique évasion, Agnès était placée
à la tête du nouveau monastère de Monticelli. Nous voyons
des communautés déjà formées réclamer à saint François
la règle des Pauvres Dames, telle celle de Mareria, dont
l'abbesse, la bienheureuse Philippa (morte en 1236), jouit
d'un culte public avant la mort de la fondatrice. Les prin
cesses de l'Europe centrale trouvent dans les monastères
du second ordre le parfait refuge à leurs aspirations ; dès
1233, la bienheureuse Agnès de Prague, fille du roi de Bohême
et fiancée de l'empereur Frédéric II fonde, avec cinq moniales
de Saint-Damien, un monastère dont elle devient l'abbesse ;
sept ans plus tard, la bienheureuse Salomé, femme du roi
de Galicie, devient Pauvre Dame ; puis c'est le tour des
bienheureuses Cunégonde, femme de Boleslas V, roi de
Pologne, abbesse de Sandek, et Yolande, duchesse de Pologne
encore, abbesse de Gnesin. Quand sainte Claire mourra,
en 1253, délabrée par les pénitences, épuisée par les luttes
incessantes qu'elle eut à soutenir pour garder le privilège
de la pauvreté absolue, elle aura à son chevet pour l'assister
les plus authentiques Franciscains : Léon, Ange et Junipère ;
en elle, ils voyaient la parfaite disciple du maître, celle qui
lui avait donné, en quarante années de sa vie, des milliers de
moniales passionnées de l'Évangile du Christ.
Le troisième ordre, celui des laïcs, vit le jour une dizaine
d'années après celui des Pauvres Dames. On s'accorde à
fixer la date d'érection canonique de la première fraternité
au printemps de 1221. Cependant, Englebert note avec
raison que, d'une part, la « Lettre à tous les fidèles », écrite
vers 1214, constitue comme une ébauche de la future règle
du Tiers-Ordre, et que, d'autre part, François a ouvert
bien auparavant sa spiritualité à des laïcs qui furent des ter
tiaires avant la lettre : notamment Roland de Chiusi, qui lui
donna la solitude du mont Alverne, et Jacqueline de Settesoli,
l'amie intime qu'il appelait son « frère Jacqueline ».
Le premier tertiaire auquel François conféra l'habit de
32
la Pénitence fut un marchand de Poggibonzi en Toscane,
nommé Luchesio, et qui est honoré comme bienheureux
dans l'ordre séraphique ; il vaudrait mieux dire : le premier
couple de tertiaires, car sa femme, Buona Donna, reçut
la même faveur. Aussitôt, s'organisa autour des deux époux
une communauté de pénitents. Dans le courant de l'année
1221, ces sortes de communautés étaient si répandues en
Italie que saint François, inspiré par le Cardinal Hugolin, son
protecteur officiel auprès du Saint-Siège, se décida à leur
donner une règle générale. Cette règle primitive n'a pas été
retrouvée ; mais nous possédons des textes postérieurs de
quelques années, et qui semblent à peu près conformes au
libellé de 1221. La vie des « frères » est enserrée dans un réseau
d'obligations qui visent à leur faire pratiquer plus étroitement
l'Évangile, non seulement dans leur vie privée, mais encore
dans leurs relations au sein de la société : à côté des pratiques
de prière et de pénitence, figurent les secours aux pauvres
et aux malades, le paiement de l'impôt et l'abstention du port
d'armes. Le nombre des laïcs qui adoptèrent cette règle
s'accrut rapidement lui aussi, et l'adhésion massive des
citoyens à de telles prescriptions ne manqua pas d'influencer
fortement les mœurs et même la physionomie politique des
villes italiennes. En effet, le refus des bourgeois de recourir
à la violence orienta souvent les conflits communaux vers
des solutions pacifiques.

Contre la violence.
(Bible moralisée, xin* s.)
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U EXTENSION DE L'ORDRE

Parallèlement à l'implantation de l'ordre des Pauvres


Dames, celle des Frères Mineurs se poursuivait à un rythme
accéléré. De 1212 à 1219, les fils de saint François vont
sillonner l'Italie, puis l'Europe, prêchant partout l'Évangile.
Ces prédications leur vaudront de nombreuses recrues,
et l'extension de la communauté primitive réclamera une
transformation des structures.
François lui-même, malgré son goût très vif de la solitude,
multipliait les voyages apostoliques. Ce n'est pas d'ailleurs
sans luttes intimes qu'il s'y résolut. La vie érémitique, qu'il
avait vécue pendant la réfection de Saint-Damien et que
menaient maintenant de saints frères comme Sylvestre,
Rufin ou Guy de Cortone, lui semblait beaucoup plus sûre ;
il lui fallut, pour adopter une solution définitive, demander
l'avis de deux âmes de prière : la sœur Claire et le frère
Sylvestre ; les avis furent unanimes : François devait partir
à la conquête des âmes. Il se soumit donc ; et, comme il se
donnait tout entier à ce qu'il entreprenait, son activité fut,
ces années-là, débordante. On le trouve dans tous les coins
de l'Italie centrale : en Ombrie et en Toscane, en Romagne
et dans la Marche d'Ancône. Sa réputation était si solidement
établie qu'elle le précédait partout ; à son approche, on son
nait le carillon, le clergé et les fidèles venaient en procession
à sa rencontre, et le peuple criait dans des transports de joie :
« Ecco il Santo ! » Voici le Saint !
A la fin de 1215, Innocent III convoqua les évêques et les
rois de toute la chrétienté pour tenir au Latran un grand
concile destiné à purger l'Église des maux dont elle souffrait.
François s'y rendit, et il y rencontra un homme dont la sain
teté et la qualité de l'œuvre réformatrice n'étaient pas infé
rieures aux siennes : saint Dominique de Guzman, qui venait
d'instituer l'ordre des Frères Prêcheurs, destiné à combattre
les hérésies ; pour ce faire, il réclamait des prédicateurs une
solide formation théologique en même temps qu'une rigou
reuse vie ascétique. Les deux fondateurs se prirent l'un pour
l'autre d'une tendre et sainte amitié, et les chroniqueurs
prétendent que Dominique demanda à François la fusion
des deux ordres ; mais ce dernier se garda bien de consentir
à une telle proposition qui aurait eu pour premier inconvé
nient de tourner les Mineurs vers la science, orientation
35
Rencontre de François et de Dominique.
(Benozzo Gozzoli, Montefalco)

qu'il voulait leur éviter à tout prix. Par contre, il accéda à


la requête de son émule lorsque celui-ci lui réclama, en sou
venir de cette rencontre, sa corde de chanvre : et Dominique
la porta désormais sous sa tunique.
C'est également à ce concile œcuménique que le Saint-
Siège déclara clos le nombre des règles religieuses ; tout
ordre nouveau devrait adopter une règle déjà existante :
celle de saint Augustin ou celle de saint Benoît ; les Frères
Mineurs étaient déclarés exemptés de cette mesure, puisque
leur règle avait été approuvée quelques années auparavant.
Par cette déclaration publique, Innocent III confirmait donc
solennellement la reconnaissance de la règle franciscaine.
Quant à saint Dominique, il adopta pour ses religieux
la règle augustinienne.
36
L'ordre grandissant toujours, les frères cessèrent d'entre
tenir des rapports suffisamment cohérents. François voulut
y remédier en les rassemblant chaque année en « chapitres »,
réunions plénières tenues à la Portioncule et dans lesquelles
les religieux venaient de toute l'Europe pour se connaître
et prendre en commun des résolutions concernant l'ordre.
Les chapitres se tinrent d'abord deux fois l'an : à la Pentecôte
et à la Saint-Michel ; puis, le dérangement s'avérant par trop
sensible, celui de la Saint-Michel fut supprimé. Le premier
grand chapitre qui eut une influence sur les destinées de
l'ordre fut celui de 1217, appelé « chapitre des nattes »,
qui groupa plus de cinq mille frères ; il fut présidé par le
cardinal Hugolin, qui, franciscain d'esprit, y vint les pieds
nus. On décida de découper le monde franciscain en « pro
vinces » et de mettre à la tête de chacune un « ministre pro
vincial » ; le nom de ministre (serviteur), et non pas celui de
maître, fut choisi pour exprimer dans quel esprit le supérieur
devait prendre la charge des autres religieux. Autre décision
d'importance : l'établissement de l'ordre hors d'Italie ;
c'est sur cette dernière motion que l'on se quitta, et François
lui-même choisit la France ; mais Hugolin le persuada de
rester en Italie pour veiller à l'administration de l'ordre,
et ce fut le frère Pacifique (l'ancien Roi des Vers Guillaume
Divini) qui alla à Paris installer la première communauté
de Frères Mineurs. L'implantation ne réussit pas partout ;
l'Allemagne et la Hongrie notamment firent aux Francis
cains un si mauvais parti qu'ils durent revenir à
Assise sans autre butin que des coups et des injures.
Cependant, ce qui attirait le plus François, c'était l'Orient,
d'abord parce qu'il rêvait de convertir les infidèles et de
trouver le martyre dans cette expédition, ensuite parce qu'il
pourrait trouver là-bas les souvenirs de la vie et de la passion
du Christ. Aussi, quand il décida de s'embarquer pour la
Terre Sainte, aucun conseil contraire ne put fléchir sa réso
lution. Deux fois, l'entreprise échoua. La première fois,
en 1212, il s'embarqua avec un frère à destination de la Syrie ;
mais une tempête jeta le navire sur les côtes de la Dalmatie,
et les deux religieux ne purent revenir à Ancône qu'en
voyageant clandestinement ; la saison étant avancée, le saint
renvoya à plus tard l'exécution de son projet. La seconde
tentative eut lieu vraisemblablement en 1214 ; cette fois,
François choisit comme objectif le Maroc, avec l'inten
tion d'en convertir le sultan ; mais, arrivé en Espagne, il
37
tomba malade et dut rejoindre péniblement la Portioncule.
Pour veiller aux grandes réalisations décrétées par le
chapitre de 1217, le séraphique Père resta encore à Assise
ou dans les environs jusqu'en 1219. Cette année-là, il tint
à préparer la fête de Pâques dans la plus entière solitude,
et, pour éviter que la ferveur populaire ne troublât son carême,
il alla se cacher dans une île inhabitée du lac Trasimène ;
on raconte qu'il n'y consomma rien durant quarante jours,
mais que, se refusant à se comparer au Christ, il mangea
finalement la moitié d'un petit pain. Puis vint le chapitre
de 1219, qui compta évidemment un nombre de frères plus
abondant que jamais, et qui dut ajouter de nouvelles provinces
aux anciennes ; mais surtout il fut décidé que, cette fois,
l'ordre essaimerait dans les pays infidèles et irait prêcher
l'Évangile aux Maures. François déclara que lui tout le pre
mier s'embarquerait après le chapitre et se rendrait en Egypte ;
Égide choisit Tunis d'où il fut expulsé, et un groupe, conduit
par le frère Bérard, partit pour le Maroc où, à force d'impru
dences volontaires, il obtint le martyre.
Cette fois, puisque la mission aux infidèles était décrétée
par le chapitre général, rien ne retenait plus François. Il
laissa en Italie deux frères, Mathieu de Narni et Grégoire
de Naples, qui devaient administrer l'ordre avec le titre
de vicaires généraux, et dès le 24 juin, avec plusieurs frères
dont Pierre de Catane et Illuminé, il se joignit aux Croisés
dont la flotte quittait Ancône. Un mois après, il débarquait
à Saint-Jean d'Acre où l'attendait Élie de Cortone, ministre
provincial de Syrie, parti l'année précédente. Les frères
rejoignirent l'armée qui assiégeait Damiette et assistèrent
au terrible assaut qui fut pour les Croisés un désastre ;
ils constatèrent que les chevaliers chrétiens avaient besoin
eux aussi d'être convertis ; c'est pourquoi ils commencèrent
par prêcher dans le camp et recueillirent de nombreuses
recrues. Cependant, François, accompagné du seul Illuminé,
se présenta aux avant-postes ennemis ; traduits devant le
sultan d'Egypte Melek el Kamel, ils trouvèrent un souverain
beaucoup plus tolérant que celui du Maroc, qui les écouta
avec sympathie et leur permit même de rester quelques
jours pour prêcher l'Évangile. Peine perdue ! Les prédica
teurs n'opérèrent pas une seule conversion.
Finalement les Croisés prirent Damiette ; le carnage et le
pillage furent tels que François en fut dégoûté : il retourna
à Saint-Jean d'Acre où il apprit le martyre des frères du Maroc.
38
Alors, constatant que la prédication était impuissante, il
s'abandonna à la contemplation ; pendant plusieurs mois,
il hanta les lieux saints, laissant déborder sa tendresse pour
le Christ de la Crèche et du Calvaire. Sans doute maintenant
ne prévoyait-il plus de limite précise à ce séjour bienheureux ;
mais voici qu'un jour, attablé dans sa solitude avec son cher
Pierre de Catane, il vit arriver à lui un frère tout effaré
qui s'était enfui secrètement d'Italie et venait de traverser
la mer pour le retrouver : un véritable séisme secouait l'ordre ;
les vicaires généraux avaient introduit des innovations incom
patibles avec l'esprit franciscain et faisaient peser sur les
frères un autoritarisme intolérable. Alarmé, François partit
en hâte, emmenant avec lui Pierre de Catane, Élie de Cortone
et un nouveau frère converti en Terre Sainte, Césaire de
Spire.

François devant le Sultan.


(Giotto, Assise)
L A T R A N S F O R M AT I O N D E L ' O R D R E

La menace était grave en effet, et il est assez étrange


que le fondateur des Mineurs ne l'ait pas sentie venir. A ce
propos, les commentateurs ont relevé combien était néfaste,
chez un génie spirituel de l'envergure de saint François,
la carence de sens administratif et, il faut bien le dire, de
sens pratique tout court ; non seulement il n'a pas su prévoir
une organisation aux dimensions d'une vaste communauté,
mais encore il s'est souvent trompé sur les hommes, confiant
les destinées des provinces ou même de l'ordre entier à des
religieux dont la mentalité était opposée à la Règle. Lui-même
a nettement perçu sa propre incompétence — car il vaut
mieux penser que, chez un homme d'une telle générosité
et d'une telle loyauté, il ne s'agissait pas seulement d'un
manque de goût —, et il a essayé d'y remédier en abandonnant,
de son vivant même, la direction supérieure de l'ordre
entre les mains d'hommes plus habiles que lui ; mais il se
trouvait que les dons administratifs, chez ces hommes,
n'étaient pas compensés par les dons surnaturels, si bien
qu'on assistait à une séparation des pouvoirs à la tête même
de la communauté : un frère gouvernant sans souci du
spirituel et François veillant au spirituel sans souci des
nécessités pratiques. Un tel schisme ne pouvait qu'entretenir
l'ordre dans une dangereuse ambiguïté et donner lieu aux
mouvements internes les plus contradictoires, les uns suivant
l'esprit du fondateur contre l'autorité des ministres, les
autres obéissant à l'autorité des ministres contre l'esprit
du fondateur. Cette situation, qu'une règle très haute mais
trop imprécise ne pouvait sauver, s'est prolongée, avec des
crises et des accalmies, pendant plusieurs siècles.
Comment en était-on arrivé là ? Tout avait commencé,
nous l'avons dit, avec l'abondance du recrutement. Mais
ce ne fut pas tellement dans la complexité administrative
que consista la menace contre l'esprit séraphique, ce fut
dans l'introduction d'un esprit nouveau. La quantité des
frères en elle-même ne constituait pas un obstacle à l'intégrité
évangélique de la communauté franciscaine, c'était la venue
de frères dont la formation intellectuelle se trouvait négligée
ou déjà faite. Des milliers d'hommes vinrent à François
et à ses disciples en quelques années ; il faut penser que
beaucoup s'enrôlèrent par conviction profonde ; mais l'ad-
40
mission ne comportait pas d'années probatoires pendant
lesquelles les sujets auraient pu examiner sérieusement la
correspondance de l'ordre à leurs désirs, et les supérieurs
examiner la correspondance des sujets aux exigences de
l'ordre ; ce n'est en effet qu'en 1220 que l'année de noviciat
fut imposée. Combien de jeunes gens firent vœu de vivre
la vie franciscaine dans un mouvement d'enthousiasme
provoqué par une prédication éloquente et se trouvèrent
ensuite dépaysés et insatisfaits ? Les faibles devinrent des
médiocres ou des récalcitrants, les malins des tricheurs,
les plus hardis des revendicateurs. Pourquoi leur avait-on
imposé le fardeau de la vie parfaite ? La règle du frère
François était invivable ! Les malheureux oubliaient que
la vie religieuse ne consiste pas à adapter la règle à sa fantaisie,
mais à soumettre sa fantaisie à la règle.
L'esprit évolua également par le fait de la proportion
toujours croissante des intellectuels, juristes et théologiens.
Dès 1211, nous voyons François lui-même donner la bure
à Jean Parenti et Albert de Pise, hommes de haute vertu,
mais sans commune mesure avec les Égide et les Junipère
— et aussi à cet Élie Bombarone, connu sous le nom de
frère Élie de Cortone, et qui sera l'une des plus funestes
recrues de l'ordre séraphique. D'autre part, le fait d'accepter

Frère Elie de Cortone


des clercs dans l'ordre revenait à y introduire les études
de théologie, c'est-à-dire les écoles et les bibliothèques ;
l'entrée des prêtres Sylvestre et Léon avait semblé au début
une exception ; ils devaient être les aumôniers de la com
munauté ; maintenant, chaque couvent abritait de nombreux
prêtres, et il fallait bien tenir compte des exigences du sacer
doce, disposer d'églises, posséder des ornements, des vases
sacrés et des bréviaires. Le dénuement absolu devait donc
supporter quelques restrictions. De là à vouloir édifier de
grands couvents semblables à des forteresses et à faire des
Mineurs, à l'instar des Prêcheurs, un ordre de docteurs,
il n'y avait qu'un pas ; et c'est ce pas que voulait franchir
la fraction révolutionnaire de l'ordre, qui n'avait pas reçu
les enseignements de Rivo Torto. C'est contre cette fraction
que François va entrer en lutte ; mais déjà le mal est trop
virulent pour être vaincu ; le Père n'avait pas su prévenir :
il ne pourrait pas guérir.
Il débarqua à Venise avec ses compagnons pendant l'été
de l'année 1220, malade de chagrin ; durant la traversée,
le frère fugitif lui avait dépeint l'impudence des nouveaux
ministres et l'orientation qu'ils avaient donnée à son ordre,
comme si cet ordre était leur chose ! Ils firent route vers
Assise en visitant les couvents. A Bologne, ils trouvèrent
les frères installés dans une magnifique résidence et occupés
à de hautes études ; François fit évacuer la maison et maudit
le ministre provincial, Jean de Staccia ; malgré toutes les
supplications de ses autres fils, le Père courroucé refusa
de retirer cette malédiction. Puis il se dirigea sur Rome
où il se présenta chez le Pape, qui promulgua immédiatement
une bulle imposant le noviciat et défendant de voyager
sans permission des supérieurs. Revenu à la Portioncule,
il révoqua les vicaires généraux et nomma ministre général,
avec pleins pouvoirs, Pierre de Catane, savant lui aussi,
mais disciple de la première heure et tout pénétré de l'esprit
évangclique. Hélas ! Pierre mourut quelques mois plus tard
et François le remplaça par Élie de Cortone, partisan le
plus convaincu des réformes, mais doué d'une souplesse de
chat ; plein d'une sincère admiration pour le Poverello,
il multipliait à son égard les marques de dévouement et de
déférence, quitte à saper son œuvre en prenant à son insu
des mesures contraires à sa volonté. Aussi ne s'étonne-t-on
pas de retrouver dès 1223 Grégoire de Naples, le vicaire
indigne, à la tête de la province de France.
42
Perdu dans les bois, l'ermitage des Carceri,
où François élabore la Règle.
Tranquille du côté du gouvernement, François s'attela
à fortifier les structures et à préciser sa pensée. Dans ce
double but, il se retira à l'ermitage des Carceri et commença
à rédiger une nouvelle règle, tâche pour laquelle il s'adjoignit
Césaire de Spire. Cette nouvelle règle, dite de 1221, loin de
mitiger la règle primitive, renforçait son accent évangélique
et, dans ce sens, allongeait les citations caractéristiques et

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les commentaires impitoyables. Ses derniers mots sont une
exhortation à la fidélité : le législateur y supplie ses fils de
ne rien ajouter ni retrancher, et de connaître par cœur ce
texte qui est la seule voie à suivre pour rester dans la ligne
où ils se sont engagés en entrant dans l'ordre.
Au chapitre de 1221, la nouvelle formule de vie franciscaine
était prête. Elle fut accueillie avec froideur par les lettrés.
Cependant, comme le cardinal Hugolin, représentant officiel
du pape dans la communauté, était absent, on ne discuta
pas et l'on ne prit pas de mesures définitives. Le chapitre
s'occupa surtout d'envoyer de nouveaux frères dans les pays
d'Europe, soit pour y procéder à la relève, soit pour fonder
de nouvelles résidences. Cependant, un fait qui passa alors
inaperçu eut pour l'ordre de sérieuses répercussions ; quand
les religieux se dispersèrent, le provincial de Lombardie
aperçut un jeune frère qui demeurait seul ; ayant appris
qu'il était prêtre, il l'emmena avec lui. Ce religieux, du nom
d'Antoine, avait d'abord été chanoine régulier à Coïmbre ;
à la nouvelle du martyre du frère Bérard et de ses compagnons,
il était entré chez les Frères Mineurs et avait fait voile pour
le Maroc afin d'y trouver le même sort ; après des péripéties
obscures, le bateau qui le portait avait échoué sur les côtes
de Sicile ; là il avait suivi les religieux qui partaient pour le
chapitre de la Portioncule. Rapidement, le frère Antoine
se fit remarquer par sa sainteté et sa science théologique ;
cette double réputation parvint jusqu'à François qui, décou
vrant avec enthousiasme un frère qui réunissait en lui ces
deux trésors, lui envoya la permission d'enseigner : c'était
accepter officiellement que l'ordre eût des écoles de théologie.
C'est ainsi que le frère Antoine, qui sera canonisé sous le
nom d'Antoine de Padoue, devint le premier théologien de
l'ordre et inaugura à Bologne un enseignement selon les
vues de saint François. Car celui-ci ne rejetait pas la science ;
ce qu'il avait en horreur, c'était la science qui dessèche
le cœur et prend la place de l'oraison.
Quand Hugolin revint, les ministres lui portèrent leurs
doléances : la nouvelle règle de François était trop vague
et trop fantasque ; il fallait un texte plus canonique Le
cardinal demanda donc au Père une nouvelle formulation,
et celui-ci se retira avec Léon dans la solitude de Fonte
Colombo. Le travail achevé, il le confia au frère Élie pour
qu'il pût l'examiner à loisir ; quand il le lui réclama, le ministre
général prétendit l'avoir perdu. François fut-il dupe ?
44
Comprit-il que, s'il voulait aboutir à un texte qui contentât
à la fois le Saint-Siège et les frères qui gouvernaient l'ordre,
il lui fallait agir avec prudence ? Avec son fidèle secrétaire,
il regagna l'ermitage et rédigea, non sans de grandes luttes
et de grandes souffrances, la règle définitive, celle qui,
maintenant encore, régit l'ordre des Frères Mineurs. Beau
coup plus courte que la règle primitive, elle restait sévère
en tout ce qui concernait la soumission à l'Évangile et notam
ment la pratique de la pauvreté. Sa forme plut à Hugolin ;
elle fut présentée au chapitre général en 1223 où elle déchaîna
à nouveau les passions. Mais le nouveau pape Honorius III
l'approuva solennellement le 23 novembre par la bulle Solet
annuere. Ce n'était qu'un demi-triomphe pour François,
puisqu'il avait dû renoncer à ses précédents projets. Et
pourtant, telle qu'elle était, cette règle constituait un mer
veilleux appel à la sainteté qu'allaient entendre, en sept
siècles, un million d'hommes de toutes conditions.
Frère Antoine, dit « de Padoue
A Greccio, Fronçais fait instruire l'image de « la Crèche
et remplit l'office de cliac à la messe de Noël.
t Taddeo Guddi. Florence
L E S D E R N I È R E S A N N É E S E T L A M O RT

Maintenant que la plus âpre lutte s'est terminée sur une


victoire suffisante, François sent comme un besoin de se
recueillir et de se préparer à la mort. Il vient à peine de dépas
ser quarante ans ; mais déjà la maladie et la lassitude en
ont fait un vieillard. D'abord, il a pratiqué la pénitence
sensible au-delà de la mesure ; son corps est décharné, sa
voix éteinte, son estomac tolère mal la nourriture et les
longues routes dans le soleil d'Italie et d'Orient lui ont
brûlé les yeux. D'autre part, le gouvernement de l'ordre
lui échappe ; il a bien tenté de conserver l'autorité spirituelle,
mais seuls les disciples des premiers jours l'acceptent ;
comme une poule qui aurait couvé des rapaces, il fuit ces
enfants dans lesquels il ne retrouve plus son image.
Son premier soin fut de regagner sa solitude et de se
recueillir pour la fête de Noël, si chère à son cœur. Mais
il voulut que, cette année-là, elle revêtît une solennité toute
particulière. C'est pourquoi il fit reconstituer à Greccio
la grotte de Bethléem, avec la crèche, l'âne et le bœuf ;
c'est là que fut chantée, devant un grand concours de peuple,
la messe de minuit, à laquelle François remplit l'office de
diacre. Et depuis, toutes les églises du monde ont renouvelé
cette naïve et émouvante mise en scène.
Il passa l'hiver et le printemps suivants dans les ermitages
de la vallée de Rieti, donnant le meilleur de son temps à
la prière ; pour ne pas trahir sa mission de prédicateur,
il descendait périodiquement dans les villages et prêchait
le Royaume de Dieu. Quand vint la Pentecôte, il accepta
de paraître au Chapitre général ; ce fut la dernière fois.
Désormais, on pouvait se passer de lui, mais lui ne pouvait
pas se passer de l'intimité de Jésus ; de plus en 'plus, ses
vœux allaient à cette vie parfaite vers laquelle il avait tant
soupiré et à laquelle maintenant une voix secrète l'appelait
plus impérieusement. Voilà dix ans déjà, le comte Roland
lui avait fait don d'un rocher sauvage dont les grottes escarpées
ne retentissaient jamais au son d'une voix humaine :l'Alverne.
C'est là qu'il se rendrait pour ne plus vivre que de prière,
mais il se soumettrait en cela aux coutumes de l'ordre —
lesquelles exigeaient des ermites la vie communautaire.
Il prit donc avec lui les « trois compagnons » : Léon, Ange
et Rufin, et trois autres frères des premiers jours : Masseo,
47
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qu'il nomma gardien, Sylvestre et Illuminé. Ils partirent


au mois d'août ; il faisait chaud ; la route fut rude. Si un
paysan ne leur avait prêté un âne, François ne serait jamais
allé jusqu'au bout. Alerté de l'approche du saint, le comte
Roland vint au-devant de lui avec sa suite et s'offrit à lui
rendre tous les services qu'il voudrait. Mais François lui
demanda seulement de lui faire construire à l'écart une
cabane qui lui tiendrait lieu de cellule, les autres frères
ayant à leur disposition des grottes et une bâtisse misérable
48
La chapelle des Oiseaux, à l'AIrerne.

pour se réunir. Ainsi fut fait, et François commença sa grande


retraite en union avec le Crucifié ; seule la passion de Jésus
lui était maintenant présente, et c'était vivifié par ce souvenir
que, meurtri dans sa chair, blessé dans son âme, il voulait
vivre sa propre passion.
Cependant il ne se trouvait pas encore assez seul. Il résolut
donc de s'éloigner un peu plus. Après l'Assomption, il
choisit pour oratoire un terre-plein rocheux situé au-delà
d'un précipice sur lequel on jeta un tronc d'arbre en guise
49
de pont. Seul frère Léon fut autorisé à l'approcher deux
fois par jour. Heureusement pour la postérité, Léon passa
une notable partie de son temps à observer son père sans
que celui-ci s'en doutât. C'est ainsi qu'arriva la fête de
l'Exaltation de la Sainte Croix, la solennité qui ouvre le
grand jeûne monastique et qui offre aux chrétiens, en une
abondante orchestration de textes sacrés, la voie royale de
la souffrance. Aux premières lueurs de l'aurore, François,
à genoux les bras en croix et les yeux vers l'Orient, adressa
au Sauveur cette suppliante prière : « O Seigneur Jésus, il y a
deux grâces que je vous demande de m'accorder avant ma
mort : la première est que, autant que cela se pourra, je
ressente les souffrances que vous, ô mon doux Jésus, avez
dû subir dans votre cruelle passion ; la seconde, que je ressente
dans mon cœur, autant que cela se pourra, cet amour démesuré
dont vous brûlez, vous, le Fils de Dieu, et qui vous a conduit
à souffrir volontiers tant de peines pour nous, misérables
pécheurs. » Et subitement, il ressentit l'ineffable certitude
que Dieu l'exauçait. Déjà, un séraphin flamboyant, paré de
six ailes, apparaissait dans le ciel et fondait sur lui ; il avait
un visage d'homme et était crucifié. François ressentit à la
fois une joie surhumaine et une douleur déchirante ; un
immense amour l'embrasa pour le Christ transpercé. Quand
le séraphin disparut, il constata sur son corps un miracle
extraordinaire : ses pieds et ses mains étaient percés, son
côté ouvert saignait. Sa prière était parfaitement exaucée :
de corps et d'âme, il était devenu semblable à Jésus.

Cependant il n'était pas monté sur l'Alverne pour y


demeurer définitivement. Jusqu'à sa mort, sa présence serait
utile aux frères d'Italie, et de plus il ne fallait pas songer
à passer l'hiver sur ce roc inclément. Le carême de la Saint-
Michel achevé, il résolut de retourner à Assise ; le comte
Roland lui donna un âne, car il ne pouvait plus poser ses
pieds à terre. Le 30 septembre, il fit à ses frères et à la
sainte montagne des adieux baignés de larmes, et il partit
avec le seul Léon, qui lui servait de guide et d'infirmier.
Le retour fut un triomphe ; la nouvelle du prodige s'était
déjà répandue, et de tous les villages on accourait pour voir
l'homme de Dieu, pour toucher sa corde ou le pan de sa
robe ; lui, tout absorbé dans la prière, ne voyait ni n'entendait
rien. Tout n'alla pourtant pas parfaitement pour ce corps
exténué, et, arrivés à Citta di Castello, les deux frères Mineurs
5i
François reçoit les Stigmates.
(Gentile da Fabriano, Milan)
durent s'arrêter un mois entier. Enfin, vers la Noël, on
parvint à la Portioncule.
Il n'était pas dit que François traînerait là une vie mourante.
Après quelques jours de repos, il se sentit mieux, et, dans
l'ardeur qui dévorait son âme, il décida d'aller prêcher.
Pendant les cinq premiers mois de l'année 1225, il parcourut
l'Ombrie sur son âne, parlant au peuple avec plus de flamme
que jamais. Mais avec le retour du soleil la vue baissa encore,
et l'on craignit que la cécité devînt complète. Les frères le
décidèrent à aller consulter à Rieti, où se trouvait le pape
Honorius, le chirurgien pontifical. Il alla donc faire ses
adieux à sœur Claire ; là il subit une rechute, et il vécut,
au fond du jardin de Saint-Damien, dans une hutte misérable,
de longues semaines d'accablement et d'angoisse. Alors,
au plus fort de la douleur, il composa cette merveille de
poésie, cette louange d'amour et de joie qu'il baptisa « le
Cantique du frère Soleil » : « Loué soit Dieu, mon Seigneur,
à cause de toutes les créatures... »
Quand il se sentit mieux, il partit enfin pour Rieti, où la
foule faillit le mettre en pièces, tant la dévotion qu'on lui
portait devenait aiguë. Les traitements imaginés par les
médecins ne lui apportèrent aucun soulagement. Il les quitta
pour un ermitage voisin où il vécut, malgré les recomman
dations, dans la plus grande austérité. A Noël, il se rendit
à Fonte Colombo ; c'est là que le rejoignit le chirurgien
Thébald, qui avait résolu d'employer un traitement énergique
destiné à lui sauver la vue : la cautérisation de la tempe
au fer rouge. Ce fut, au dire des chroniqueurs, une inter
vention fort impressionnante ; le grésillement des chairs
fit s'enfuir les frères les plus résolus. Mais le frère feu respecta
la faiblesse du poète des créatures : François, très calme,
avoua n'avoir rien senti. Cependant, ses yeux ne s'amélio
rèrent pas. On le transporta alors à l'ermitage d'Alberino,
tout près de Sienne, endroit où le climat semblait plus
favorable à son corps délabré ; là, pensait-on, il allait reprendre
vigueur. Hélas, peu de temps après son arrivée, il fut pris
d'une hémorragie effrayante ; on crut que c'était la fin. Les
frères, groupés autour du malade, reçurent ses dernières
volontés : la charité fraternelle, la pauvreté, la soumission
à l'Église Romaine. Le frère Élie, averti, accourut en hâte.
Il ordonna de le transférer, avec tous les ménagements
voulus, à la Portioncule.
La route fut longue et pénible. Le corps du malade enflait
52
à vue d'oeil ; il fallut s'arrêter à l'ermitage de Celle, près
de Cortone. Un plan de campagne fut élaboré : on ne passerait
pas par Pérouse, qui était pourtant le relais normal sur la
route d'Assise, car on craignait que la cité rivale ne gardât
le corps du saint, considéré déjà comme une relique. La
troupe et le brancard se transportèrent par des chemins
détournés jusqu'à Nocera, où une escorte armée, envoyée
d'Assise, les attendait. C'est ainsi que François fit son entrée
dans sa patrie, moribond et entouré de gens d'armes, au
milieu d'une foule délirante de joie.
L'une des premières choses qu'on lui apprit fut la discorde
qui opposait l'évêque au podestat. Pénétré de douleur à
l'idée de ce scandale, François ajouta au « Cantique du frère
Soleil » une strophe sur la charité fraternelle : « Loué sois-tu,
mon Seigneur, pour ceux qui, par amour pour toi, pardonnent
à leurs ennemis... » Il envoya Pacifique et un autre frère qui,
de la part du saint, convoquèrent le podestat à l'évêché ;
devant les deux autorités, ils chantèrent de tout leur cœur
l'hymne d'amour. L'effet fut irrésistible : les ennemis d'hier,
bouleversés d'émotion, se réconcilièrent.
Maintenant, François ne pouvait plus s'alimenter. Son
médecin diagnostiqua qu'il vivrait au plus tard jusqu'au
début d'octobre. Il accueillit cette nouvelle avec une joie
exultante. Il pouvait donc cette fois se préparer à la mort
comme à une fête toute proche. Il fit ajouter au « Cantique »
une dernière strophe : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour
notre sœur la mort corporelle... », et les frères Ange et Léon
eurent la consigne de lui chanter continuellement la séraphi-
que prière. Puis il songea à laisser à son ordre un message
solennel ; dans ce dessein, il dicta son testament. C'est là
certainement la pièce maîtresse de la pensée franciscaine,
à la fois brève autobiographie et synthèse des obligations
religieuses ; ce n'est plus une simple enumeration qui a
force de législation, comme la règle, mais le rappel de ce
qu'il y a de plus important pour être un authentique frère
Mineur.
A la fin de septembre, il réclama de quitter le palais epis
copal, où il était logé, pour la Portioncule. C'était là qu'il
voulait mourir, à l'ombre de Sainte-Marie des Anges où
s'élevait le premier couvent de son ordre, au milieu de
ses premiers frères. Ce fut encore sous escorte qu'il accomplit
ce dernier voyage. A Saint-Sauveur les Murs, à mi-chemin
entre Assise et la Portioncule, il demanda qu'on s'arrêtât
53
et qu'on lui tournât le visage vers Assise. Il se recueillit
un instant, rappelant l'image de sa cité natale qui s'étageait
en face de lui et que ses yeux aveugles ne voyaient plus ;
puis il leva la main et la bénit avec amour.
A la Portioncule, il ne voulut pour l'abriter qu'une misé
rable caoane, tout près de la chapelle. Il y passa ses derniers
jours dans une très grande souffrance et une très grande
joie. Les frères de la communauté primitive qui étaient
présents quittaient rarement son chevet et lui demandaient
sa bénédiction. Il l'accorda en l'étendant à tous les frères
absents et futurs. Il conféra une bénédiction toute spéciale
à son premier disciple, Bernard de Quintavalle, en priant
les frères de l'ordre entier d'avoir pour lui une vénération
particulière. Frère Jacqueline vint aussi ; elle apportait le
linceul pour l'ensevelir et un gâteau d'amandes, recette
délicieuse autrefois très appréciée de François. Il ne toucha
au gâteau que du bout des lèvres, et ce fut le frère Bernard
qui dut le consommer au nom de la sainte obéissance. Le
2 octobre, François réclama du pain, le bénit et le partagea
à ses disciples, imitant le geste du Christ à la dernière Cène.
Le jour suivant, qu'il savait être le dernier, il se fit lire la
Passion selon saint Jean ; puis, sur sa demande, on le dépouilla
de sa tunique, on l'étendit sur la terre nue, et on répandit
sur lui de la cendre, symbole de l'humiliation dans laquelle
son corps allait sombrer. Le soir arrivé, il entonna le psaume
141 : « De ma voix j'ai crié vers le Seigneur, de ma voix je
l'ai imploré... » Les frères se groupèrent autour du corps
famélique, d'où la psalmodie émanait comme un chant de
victoire. Le ton baissait, mais le chantre de Dieu parvint
jusqu'au dernier verset : « Tire mon âme de sa prison pour
que je bénisse ton nom : les justes attendent que tu m'accordes
la récompense. » Le dernier mot fut aussi le dernier soupir :
apôtre de. la joie et de la prière, François était mort en chantant
son Seigneur.
Les funérailles furent un nouveau triomphe. Le corps
stigmatisé, couvert de fleurs, fut d'abord ramené à Assise,
entouré d'une foule délirante qui portait des rameaux verts
et des cierges allumés, en chantant des cantiques. La procession
passa par Saint-Damien où Claire et ses sœurs vénérèrent
en pleurant la sainte dépouille ; puis on déposa celle-ci
dans l'église Saint-Georges où François avait fait ses huma
nités et prêché son premier sermon. Dès lors, les miracles
se multiplièrent à la sépulture. L'année suivante, Honorius III
54
mourait, et dès le lendemain le cardinal Hugolin était élu
pape à l'unanimité sous le nom de Grégoire IX. Ce n'était
pas pour lui une surprise puisque François lui avait prédit
son élévation au pontificat suprême ; mais ce dont François ne
se doutait pas, c'était que, deux ans à peine après sa mort, son
ami Hugolin devenu pape procéderait à sa canonisation. C'est
ce qui arriva le 16 juillet 1228, en l'église Saint-Georges
d'Assise ; le vieux pontife, devant la foule du peuple, des car
dinaux et des rois, proclama, avec une émotion qui lui arracha
des larmes, que François le petit pauvre était inscrit au nombre
des saints. Le frère Élie fut chargé d'édifier une grandiose
basilique pour abriter le tombeau du Père séraphique ; pour
l'aider à réaliser ce projet, un riche Assisiate lui donna une
eminence située à l'extrémité de la ville, et sur laquelle
s'élevèrent dès 1230 le Sacro Convento et la Basilique Patriar
cale d'Assise. Le lieu s'appelait Colline d'Enfer, parce qu'on
y suppliciait autrefois les condamnés ; on le nomma Colline
du Paradis.

François est mort, Claire et ses saurs lui disent adieu.


(Giotto, Assise)
JBjfi'.*" *,-
L esprit franciscain

ADHÉSION AU CHRIST

Le mobile qui anima toutes les actions de saint François


fut le souci de plaire au Christ et de lui ressembler. On
peut dire que c'est là le fondement même de l'esprit fran
ciscain et que toute vertu pratiquée par saint François et
ses disciples doit être interprétée dans cette perspective.
François a été invité par Jésus lui-même à la conversion ;
sur la route de Spolète comme à Saint-Damien, c'est Jésus
qui lui parle sensiblement. Et dès l'instant qu'il est acquis
au Christ, il ne recherche pas d'autre maître pour l'enseigner
dans les voies de la vie spirituelle. « Personne, dit-il dans son
testament, ne me montrait ce que je devais faire, mais le
Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre selon la
forme du saint Évangile. »
Quand le Seigneur lui envoie des frères, c'est cette passion
pour la personne du Fils de Dieu qu'il veut leur commu
niquer. Aussi ne prévoit-il pas que son ordre sera plus
spécialement actif ou contemplatif, adonné à la prédication
ou aux œuvres charitables ; tout cela y entre sans s'y affirmer
comme une tâche essentielle. Le Franciscain est d'abord
celui qui regarde et qui écoute le Seigneur Jésus, qui se
conforme à sa vie et à sa parole. « L'ordre que François
a voulu instituer, écrit le P. Gratien, est encore plus un ordre
57
L'image du Christ devant laquelle, en 1206,
François priait, quand il entendit Sa voix.
d'imitateurs du Christ qu'un ordre de prédicateurs. » La
règle de 1221 est à ce sujet catégorique : "La règle et la vie
de ces frères est celle-ci : vivre en obéissance, en chasteté, sans
propriété, et suivre la doctrine et les traces de Notre Seigneur
Jésus-Christ. « Le fondateur a d'ailleurs longtemps balancé
avant de se décider à annoncer aux hommes le Royaume de
Dieu, et nombreux furent ses compagnons qui choisirent
la vie érémitique ; lui-même, dans les intervalles de ses
campagnes apostoliques, allait chercher la paix dans les
grottes sauvages des Carceri — au flanc du Subasio — ou
de la vallée de Rieti ; s'il se décida à prêcher ainsi par la
parole, ce fut encore par un souci de conformité au Verbe
qui, au lieu de rester dans la béatitude qu'il goûtait au sein
du Père, avait revêtu la nature humaine pour nous faire
connaître la voie du salut.

Une des grottes des Carceri


Cette ardeur à suivre Jésus pas à pas ne fut pas une témérité
ou une présomption. En réalité, François a si merveilleu
sement obéi à son idéal qu'il a pu mériter d'être appelé
par un grand pape « la plus parfaite copie du Christ ». Et
ce n'est pas seulement son effort personnel qui a abouti
à ce résultat, mais Dieu lui-même a ratifié ses aspirations
en lui conférant, pour la première fois dans l'histoire mystique,
la grâce de la stigmatisation. Les contemporains ne s'y sont
pas trompés, et tous les chroniqueurs relèvent avec admiration
cette ressemblance frappante entre le Maître et le disciple ;
celui-ci était, selon Thomas de Celano « le très saint miroir
de la sainteté du Maître ». Sans doute a-t-on parfois exagéré
la similitude, et Barthélémy de Pise, dans son Livre des
Conformités, s'est fait le propagateur d'un certain parallé
lisme rigoureux qui aurait existé entre Jésus et François,
de telle façon que la personnalité du second s'en trouve
comme effacée. Ne rejetons pas sur le père l'indiscrétion
de l'un de ses fils ; et ne nous scandalisons pas de ce que
les premiers Franciscains aient contemplé l'Homme-Dieu
dans l'homme de Dieu. L'apôtre Paul avait lui-même adressé
aux chrétiens cette invitation : « Soyez mes imitateurs comme
moi-même je le suis du Christ. »
Cependant, la volonté exigeante de François ne pouvait
se satisfaire d'un Christ purement historique ; sa fidélité
au Sauveur s'appuyait sur les deux réalités actuelles capables
de faire vivre le Christ dans les hommes : l'Évangile et
l'Eucharistie. L'Évangile a été la seule charte de François
et, avec le magistère du Pape, la seule autorité à laquelle
il ait jamais voulu recourir. La vocation que lui avait révélée
le Christ en personne, il en découvre tout le sens dans la
lecture de l'évangile de la Saint Mathias. La règle de son
ordre consiste à observer le saint Évangile de Notre Seigneur
Jésus-Christ, et il en appuie tous les préceptes sur la seule
parole divine. Toutes les luttes qu'il doit soutenir contre
les ministres proviennent de son obstination à garder inté
grale l'observance évangélique. C'était à cause de l'intran
sigeance évangélique qu'il était intransigeant, à cause de la
douceur évangélique qu'il était doux ; il trouvait là la réponse
à tous les désirs et à toutes les questions des chercheurs
de perfection, et ne leur permettait pas d'y ajouter le moindre
commentaire.
Son amour de l'Eucharistie n'apparaît pas moins intense.
On en trouve l'expression dans toutes ses grandes lettres,
59
et l'on a pu réunir certaines de ses épîtres de moindre en
vergure sous le nom de lettres eucharistiques ; la règle primi
tive, au témoignage de Celano, comportait des exhortations
et des prescriptions toutes spéciales en ce qui concerne le
Mémorial du Seigneur. Le respect qu'il portait aux prêtres
était immense. « Je veux, affirme-t-il dans son testament,
les craindre, les aimer et les honorer... comme mes seigneurs,
et je ne veux pas considérer leurs péchés, car je discerne en
eux le Fils de Dieu... J'agis ainsi parce qu'en ce monde je ne
vois rien sensiblement du Très Haut Fils de Dieu si ce n'est
son très saint corps et son sang qu'ils reçoivent et qu'ils admi
nistrent aux autres. » L'accumulation de ces textes et l'accent
de ferveur qu'ils renferment font dire au P. Hilarin de Lu-
cerne : « François voulut que ses fils fussent dans le monde,
à proprement parler, les missionnaires de l'Eucharistie.
C'est là quelque chose de tout à fait inouï avant cette date. »
On peut étendre ce jugement à la dévotion à l'Homme-
Dieu. Saint François est certainement le premier parmi
les saints à manifester, à la fois dans sa vie et dans son œuvre,
cette ardeur dévorante à se modeler sur le Christ ; si bien
que foute sa piété, telle qu'il la pratiquera et telle qu'il la
communiquera aux siens, est une piété christocentrique.
Il n'y a aucune vertu qu'il ait pratiquée dans un autre but
que de ressembler au Sauveur et d'obéir à ses préceptes ;
rien donc de moins philosophique que sa théologie, de
moins calculé que son ascèse, de moins stoïcien que sa pau
vreté. Sa vie et son enseignement ne visent pas à autre chose
qu'à adhérer au Christ vivant et à entraîner dans cette adhé
sion le monde entier.

ESPRIT D'AMOUR

Tous les saints ont aimé ; toutes les spiritualités chrétiennes


sont pénétrées d'amour. Aussi n'a-t-on pas dit grand-chose
de neuf quand on a dit que l'esprit franciscain est un esprit
d'amour. Cependant, c'est bien par là qu'il faut le caractériser.
L'amour séraphique est particulier en ce sens qu'il est,
comme dans l'augustinisme, le mobile de l'action et le
fondement des vertus ; ce primat accordé à l'amour dans
la vie pratique par François d'Assise et ses premiers disciples
60
a été adopté par les théologiens et les philosophes de l'ordre
comme principe de la vie spirituelle, qu'il s'agisse de la
vie divine ou de la vie humaine. En second lieu, l'amour
séraphique est spontané, libre, ardent, fou. Il ne se laisse
pas contenir dans des méthodes, des formules et des expli
cations. Il est irraisonné et irraisonnable, parce que celui
de Jésus lui apparaît tel. L'amour de Jésus est en effet
sa seule justification. C'est déjà cette imitation que nous
propose le précepte johannique : « Aimons, parce que Dieu
nous a aimés le premier. » L'ardente prière avant la stigma
tisation n'a pas d'autre sens : François réclame comme une
faveur inégalable de ressentir le même amour que le Christ
éprouva en s'immolant pour nous. Et ce désir d'amour
s'exprime dans la vie de François avec un débordement
que rien ne retient. Quand il parlait de son Bien-Aimé,
il était, nous apprend Celano, transfiguré ; son visage chan
geait de couleur, et un tressaillement parcourait son corps.
Une telle ardeur devait porter François au plus haut
degré de la contemplation. Ce fut en effet un grand mystique,
dont saint Bonaventure peut dire qu'il sentait à ses côtés
la présence permanente du Sauveur. Rien d'étonnant que
ses contemporains l'aient comparé aux Séraphins, ces esprits
les plus élevés de la hiérarchie céleste qui voient Dieu face
à face et proclament sans cesse sa Sainteté. Si son nom ne
connaît pas dans ce domaine la célébrité d'un Jean de la Croix
ou d'une Catherine de Sienne, c'est que, en dehors de ses
écrits de législation et de pastorale, le saint d'Assise ne
tenta jamais de faire œuvre didactique ; il vivait sa joie et
sa passion au jour le jour, sans analyser ses expériences
spirituelles, sans revenir sur ses états d'âme, sans tenter
de dresser le bilan des faveurs qu'il recevait de Dieu. Si
une seule fois, dans son Testament, il trace les transformations
que la grâce a accomplies en lui, c'est pour témoigner avant
de mourir de l'origine divine de son institution ; saint Paul
n'agit pas autrement quand il se justifie devant les Corinthiens.
Ainsi en a-t-il été dans la famille franciscaine ; on peut
s'étonner qu'un ordre, qui, depuis sept siècles, s'est maintenu
le plus nombreux et a regorgé à toutes les époques de grands
contemplatifs, ait laissé une si faible quantité d'écrits mysti
ques ; saint Bonaventure, qui est le grand scolastique de
la mystique, présente un cas tout à fait exceptionnel. Les
deux mystiques les plus originales de l'ordre furent certaine
ment Angèle de Foligno et Véronique Juliani ; si elles rédi-
61
gèrent leur autobiographie spirituelle, le motif en fut que,
dépendantes d'un directeur de conscience, elles durent par
obéissance — le cas est fréquent chez les moniales — fournir
à celui-ci un rapport circonstancié sur leur vie intérieure.
L'amour de Dieu, chez le Franciscain, sera donc sensible ;
il ne craindra pas, par pudeur ou par discrétion, de le laisser
déborder ; mais après coup, il ne s'appesantira plus sur
la faveur passée, utilisant plutôt à des besognes pratiques
l'ardeur dont la contemplation aura embrasé son âme. Les
biographes de saint François nous le montrent s'abandonnant
sans réserve à la moindre touche de l'Esprit et sombrant
ainsi dans l'intimité divine, quels que soient le heu et le
moment. Après cela, il part sur les routes et prêche le Royaume
de Dieu. La vocation franciscaine reste ainsi perpétuellement
une vocation contemplative, parce que c'est dans l'oraison
que l'âme amoureuse rencontre son Dieu ; mais en même
temps, pour imiter le Christ qui ne s'est pas contenté de
la part de Madeleine, mais a aussi usé ses sandales sur les
chemins de Palestine pour guérir les lépreux et annoncer
la Parole — ainsi le fils de saint François tourne son amour
d'une façon effective vers les hommes que Jésus a rachetés.
Là encore, cet amour est enthousiaste, tendre, démonstratif.
Et pour respecter l'ordre de la charité, il s'applique d'abord
au premier prochain, c'est-à-dire aux frères présents. François
n'a pas voulu que ses religieux fussent autre chose que des
frères, des frères mineurs, et il exige que tous portent ce
nom, y compris les supérieurs. On trouve, dans les écrits
du fondateur, des textes émouvants sur la dilection fraternelle.
Le onzième chapitre de la première Règle lui est consacré.
« Qu'ils s'aiment les uns les autres... et qu'ils montrent par leurs
œuvres la charité qu'ils doivent avoir entre eux... Et qu'ils soient
condescendants, animés de la plus grande douceur envers tous
les hommes. » Le père manifestait à tous ses fils une sollicitude
constante. La principale recommandation qu'il faisait aux
supérieurs, c'était d'avoir pour leurs religieux des entrailles
de mères. Et lui-même, dans de multiples circonstances,
nous apparaît délicieusement maternel. Il savait, par les
moindres délicatesses, devancer les désirs de ses fils. A un
ministre, il écrit : « Je reconnaîtrai que tu aimes le Seigneur et
que tu m'aimes, moi son serviteur et le tien, si tu agis de telle sorte
qu'il n'y ait dans le monde aucun frère qui ait péché autant qu'il
lui aura été possible de pécher et qui, après avoir vu ton regard,
ne s'éloigne jamais de toi sans un mot de miséricorde. »
62
La paix du cœur ne suffit pas : il faut l'étendre à la com
munauté. L'amour communautaire est donc préférable à
la solitude. Mais la paix conventuelle ne suffit pas encore :
il faut l'étendre au monde entier. Thomas de Spalato raconte
que le grand souci de François était d'éteindre les haines
et de ramener la concorde dans les villes où il passait ; il
inspira la Grande Charte d'Assise qui proclame la cordiale
union des classes sociales ; ce souci le poursuivit jusque
sur son lit d'agonie, d'où il envoya le message efficace de
réconciliation au podestat et à l'évêque : « Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour Toi. »

Comme les Séraphins, qui voient Dieu face à face..


(Giotto, Assise)
E S P R I T D ' E N FA N C E

L'amour franciscain est spontané. Mais c'est aussi toute


la conduite de François et des siens qui possède cette marque.
Les saints sont tous extraordinaires, ne serait-ce que par
leur vertu ; mais il serait difficile d'en trouver un plus ori
ginal que saint François. Ce qui nous étonne surtout chez
lui et ne manque pas en même temps de nous inquiéter,
c'est, continûment, la fantaisie et l'enfantillage. Il envoie
le frère Rufin prêcher en caleçon en pleine cathédrale d'Assise
et va ensuite le rejoindre dans la même tenue pour se punir
d'un ordre aussi tyrannique ; il mange un jour du poulet
et, pour que tous le sachent bien, il se fait traîner dans les
rues la corde au cou par un frère qui proclame sa prétendue
gloutonnerie ; Léon tombant d'inanition sur une route,
il entre dans une vigne pour y cueillir des raisins et se fait
rosser à coups de bâton par le propriétaire. Les disciples

François cueille des raisins pour le frère Léon et se fait rosser.


(Marc, 8 ans, XX' siècle)
ne diffèrent pas du maître ; Jean le Simple imite François
geste à geste, tousse quand il tousse, soupire quand il soupire ;
Genièvre coupe le pied d'un porc vivant pour l'apprêter
à un frère malade et rafle les clochettes d'argent d'une basi
lique pour les offrir aux pauvres ; Jourdain de Giano pénètre
sans autorisation dans la chambre du pape et tire son pied
des couvertures pour le baiser avec vénération. On n'en
finirait pas d'énumérer les gestes qui, chez le fondateur et
ses émules, outrepassent la discrétion tant prônée par les
écrivains monastiques.
La raison de tout cela, c'est que François avait une âme
d'enfant. Entendons-nous ; il ne s'agit pas d'un quelconque
naturel ouvert et impulsif ; si le caractère du Petit Pauvre a
été, comme chez tous les saints, le fondement sur lequel s'est
développée la personnalité surnaturelle, il faut bien constater
qu'il a réalisé celle-ci grâce à un choix défini, assumé par une
ferme volonté. Une parenthèse semble ici utile ; il est bon de
dissiper l'équivoque que certains admirateurs de saint François
font peser sur sa vertu ; à les lire, on croirait que les marques
sensibles qu'il a données aux hommes de sa merveilleuse
sainteté sont tout bonnement les produits d'un heureux
caractère. Repoussons ce naturalisme qui ne fait guère hon
neur à saint François ; chez celui-ci comme chez saint
Paul, la faiblesse permet à la force divine de se révéler.
L'esprit d'enfance dont il vit n'est pas un infantilisme
dérisoire, mais la voie de perfection découverte dans l'Évangile
et pratiquée depuis par Thérèse de Lisieux. C'est une
vertu noble et forte que cette pure et sainte simplicité, comme
il l'appelle lui-même, et qu'il ne craint pas de donner pour
sœur à la sagesse. Simplicité de la colombe qui ne s'oppose
nullement à la prudence du serpent, mais qui, dans sa rigou
reuse exigence, se refuse à toute apparence de duplicité et
de compromission. Saint François a eu l'hypocrisie en horreur.
Quand d'autres saints préfèrent se cacher au monde pour
éviter que leur faiblesse ne soit une occasion de scandale,
lui la fait éclater pour que rien ne ternisse la vérité. Là
encore, l'Évangile vient approuver une telle attitude : « Que
votre parole soit oui, oui ; non, non ; ce qui est en plus
vient du Malin. » D'autre part, le converti, pénétré de son
indignité devant la munificence de Dieu, veut proclamer
hautement l'une et l'autre pour que nul ne se fasse illusion
sur sa sainteté. Voici comment il explique sa vocation au
frère Masseo : « Dieu qui contemple les bons et les méchants
65
n'a vu parmi les pécheurs aucun qui fût plus vil et inutile que
moi, et c'est pour cette raison qu'il m'a choisi pour confondre
la noblesse, la grandeur et la science de ce monde. »
Cette humilité de l'esprit, le Père séraphique a voulu la
donner en partage à tous ses fils. Leur nom lui-même doit
leur rappeler leur condition inférieure : ce sont des mineurs,
des petits. Et ils doivent veiller non seulement à s'humilier
en tout, mais à écarter de leur conduite mutuelle toute marque
de supériorité. « Que les frères, explique la règle de 1221,
n'aient entre eux aucune autorité ou domination... mais que celui
qui veut être le plus grand parmi eux se fasse leur ministre et
serviteur, et que le plus grand parmi eux soit comme le plus
petit. »
Humilité encore et surtout à l'égard de l'Église catholique.
A rencontre des sectes de Vaudois et de Cathares qui pré
textaient du relâchement du clergé pour s'ériger en censeurs
et se révolter contre l'autorité pontificale, François, vir
catholicus, donne à ses religieux, dans la règle primitive,
cette solennelle recommandation : « Que tous les frères soient
catholiques, et qu'ils vivent et parlent en catholiques. Si l'un
pèche contre la foi et la vie catholique par ses paroles ou ses
actes, et s'il ne s'amende pas, qu'on le chasse absolument de
notre fraternité. Regardons comme nos maîtres tous les clercs
et tous les religieux, ...respectons en Dieu leur ordre, leur office
et leur ministère. » Ces paroles, et toute la conduite de François,
s'opposent comme un démenti formel à l'annexion dont il
fut l'objet de la part de certaines sectes séparées de Rome ;
l'esprit franciscain veut effectivement réformer l'Église, mais
il estime que rien n'est plus efficace dans cette œuvre de
réforme que l'unité et la soumission ; que rien n'est plus
utile, dans l'effort de rénovation collective, que de commencer
par sa propre conversion. Or, qui peut se considérer converti
s'il ne garde pas la charité fraternelle et le respect de l'autorité ?
« Bienheureux le serviteur de Dieu qui accorde sa confiance
aux clercs... Et malheur à ceux qui les méprisent; même s'ils
sont dans le péché, personne ne doit les juger, car le Seigneur
seul s'en réserve le droit. » Aussi ne s'étonne-t-on pas de la
protection que le Saint-Siège accorda immédiatement et
constamment à l'ordre de saint François ; le petit homme
chétif qu'Innocent vit en songe épauler les murs branlants
du Latran allait être en effet, dans les tempêtes de l'Église
médiévale, l'un des plus solides soutiens de la papauté.
Humilité également dans l'office de la prédication. François
66
ne cherche qu'une seule chose en parlant : amener les âmes
au Christ. Il se désintéresse de tout ce qui n'est pas propre
à produire dans les cœurs un effet salutaire. Il s'empresse
d'avertir ses fils que le prêche n'est pas fait pour le prêcheur,
mais pour le bien des fidèles : « Je supplie... tous mes frères
prédicateurs... de ne pas se glorifier, ni se réjouir, ni s'exalter
intérieurement de leurs beaux discours. » La parole du Mineur
doit être simple, dépouillée, sans facettes ; tendre, doulou
reuse, véhémente, brutale, elle pratique cette éloquence qui
se moque de l'éloquence. Elle vise à obtenir des effets
pratiques et préfère s'adresser au cœur plutôt qu'à l'intelli
gence ; laissant au Dominicain le soin d'enseigner le dogme
et de relever avec zèle la sainte théologie, le Franciscain
s'efforce de répandre la morale et de faire pénétrer partout
l'Évangile du Royaume. La première règle ne prévoit pas
d'autre prédication, et François en donne un échantillon
dans le vingt-et-unième chapitre : « Faites pénitence... Veillez
et éloignez-vous de tout mal et persévérez jusqu'à la fin dans le
bien. » Ce rappel tout simple à une vie pure et mortifiée, c'est
l'office auquel Innocent IIT. convie les Frères Mineurs dès la
ratification de la règle.
A quoi la science aurait-elle servi dans un ordre sembla-
blement orienté ? François a voulu, au départ, l'éviter à
tout prix ; il aimait à recevoir d'humbles frères sans lettres
et, quand les lettrés venaient à lui, il leur demandait de laisser
leur érudition à la porte du couvent. Il nourrissait à l'égard
de la science une suspicion que seule dépassait celle qu'il
entretenait contre la richesse. Et voici que, cinquante ans
après sa mort, l'ordre des Pauvres, devenu à égalité avec celui
des Dominicains le plus célèbre de l'Université, peut se parer
des glorieux noms d'Alexandre de Halès, de Bonaventure,
de Roger Bacon. François les aurait-il condamnés ? Celui
qui vénérait tant les théologiens et institua professeur le
docte Antoine de Padoue ne repoussait pas la science, mais
la science inutile. Tant de maîtres vivaient sans vertu,
employant leur temps à discuter à perte de vue du nombre des
élus ou du sexe des anges ! « Malheur à la science qui ne tourne
pas à aimer ! » La fameuse malédiction de Bossuet semble
sortie de la bouche de saint François. Chez la plupart des
hommes, l'œuvre de la science est dissipation, dessèchement,
orgueil. « Quand je connaîtrais tous les mystères, enseigne
l'Apôtre, que je posséderais toute science, ...si je n'ai pas
la charité, je ne suis rien ! » François consacre à cette parole
67
une admonition, et une autre à celle-ci : « La lettre tue, l'esprit
vivifie. » A choisir entre la science et la charité, le choix est
vite fait. Mais il arrive heureusement que les deux soient
compatibles, et les faits l'ont prouvé dans la personne de
nombreux saints franciscains. La sévérité du Père s'explique
au début par le très petit nombre des lettrés qui entraient
dans l'ordre ; mais dès 1223 la règle stipule : « et que ceux
qui ne savent pas les lettres ne se soucient pas de les apprendre ».
Article que saint Bonaventure commente de cette façon :
« La règle interdit l'étude non aux savants et aux clercs,
mais bien aux ignorants et aux laïcs. Elle veut en effet,
selon la parole de l'Apôtre, que chacun demeure dans l'état
où il était quand il a été appelé. » Le savant n'est donc pas
écarté de l'ordre, et celui-ci, devant former des prêtres,
tient à les former dignement. Ce à quoi le Franciscain doit
veiller, c'est à subordonner en tout la spéculation à l'utilité
spirituelle. « La vraie simplicité..., fait dire Celano à saint
François, préfère l'action à l'étude et à l'enseignement. » Surtout,
la science théologique doit servir de fondement à la contem
plation. C'est encore dans Celano que nous entendons
François poser ces principes : « Celui qui étudie l'Écriture
avec humilité et sans présomption parvient facilement à la
connaissance de lui-même et à la connaissance de Dieu. »
Malgré l'abondance des docteurs dans l'ordre séraphique,
l'anti-intellectualisme restera chez lui une tradition. Le grand
Bonaventure est d'accord avec l'humble frère Égide pour
reconnaître qu' « une vieille femme peut aimer le bon Dieu
plus qu'un savant théologien ». Dans ce primat accordé à
l'affectivité et à l'intuition, l'esprit d'enfance rejoint l'esprit
d'amour.
ESPRIT DE DÉPOUILLEMENT

L'humilité réclame le dépouillement, l'abandon exige la


pauvreté. S'il y a une parole évangélique qui soit une charte
de vie franciscaine, c'est bien celle du sermon sur la montagne :
« Ne vous mettez pas en peine pour votre vie... Voyez les
oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, ni ne font
des provisions dans des silos ; cependant, votre Père céleste
les nourrit. Et vous, ne valez-vous pas mieux qu'eux ?...
Cherchez d'abord le règne de Dieu et sa sainteté, et le reste
vous sera donné en surplus. » C'est donc cet abandon spontané
de l'enfant entre les mains d'un père miséricordieux qui
guide la pauvreté franciscaine, plus encore qu'une précaution
ascétique contre les méfaits de la richesse. François est cepen
dant très lucide à l'égard de ceux-ci, comme le montrent ses
paroles à l'évêque d'Assise : « Si nous possédions des biens,
il nous faudrait des armes pour les protéger. Car c'est de
la propriété que proviennent les contestations et les chicanes,
et c'est par là que l'amour de Dieu et du prochain est le plus
souvent violé. C'est pourquoi nous ne voulons avoir nulle
propriété en ce monde. » Mais, il faut le redire, François
est surtout guidé par l'exemple du Christ qui n'a pas eu :
« même une pierre où reposer sa tête ». En contemplant son
bien-aimé dans la nudité de la Crèche et de la Croix, comment
François accepterait-il de garder pour lui les biens de ce
monde ?
Aussi l'amour de la pauvreté se présente-t-il chez lui
si ombrageux que peu de disciples le comprendront complè
tement. La Pauvreté est vraiment la Dame de ses pensées,
Donna Poverta ; il est son chevalier, et il la défend avec la
véhémence d'un amoureux. Dès l'appel du Christ à Saint-
Damien, il vit dans le dénuement ; mais l'importance de
ce dénuement pour la vie apostolique lui est seulement révélée
par l'évangile de la Saint-Mathias : « N'ayez dans vos ceintures
ni or, ni argent, ni monnaie, pas de besace pour la route,
ni deux tuniques, ni sandales, ni bâton... » Saint Paul donne
le témoignage qu'il suit ce précepte quand il présente aux
Corinthiens le tableau de la vie qu'il mène avec ses compa
gnons : « Nous souffrons la faim, la soif, la nudité ; on nous
soufflette ; nous n'avons pas de demeure stable ; nous nous
fatiguons à travailler de nos mains... Nous sommes devenus
les balayures du monde... »
69
A l'appui de ces exemples, saint François va fonder un
ordre d'apôtres dont les conditions d'existence seront inouïes
jusque-là. Avant la règle franciscaine, les moines observaient
la pauvreté individuelle, mais possédaient en commun des
biens fonciers. Le nouveau législateur exige que ses religieux
n'aient aucune propriété collective ni aucun revenu ; c'est
Dieu lui-même qui pourvoira à l'entretien de ses enfants.
Cette clause effraya la cour romaine et un certain nombre
des ministres de l'ordre ; François tint bon contre toutes
les remontrances et toutes les oppositions. Il obtint de con
server intégralement dans la règle l'obligation de la pauvreté
absolue et, par respect pour le saint Évangile, aucun pape,
aucun chapitre général n'a jamais retouché le solennel
chapitre VI : « Que les frères ne s'approprient rien, ni maison,
ni lieu, ni aucune chose... C'est là l'excellence de la très haute
pauvreté... Qu'elle soit votre partage... Attachez-vous y tota
lement, frères bien-aimés, et au nom de Notre Seigneur Jésus-
Christ, ne désirez jamais posséder autre chose sous le ciel. »
C'est ainsi qu'il meurt sans rien du tout, étendu sur la terre
nue, après avoir remis sa tunique entre les mains de son supé
rieur. Après la mort de son père spirituel, sainte Claire dut
mener à son tour, plus durement encore, la lutte pour le
privilège de la pauvreté ; et à son tour elle demeura victorieuse.
Qu'on ne s'imagine pas que cette dépossession fût toute
sensible. Si la vertu de François est spectaculaire, son corps
s'avère en parfaite harmonie avec son âme. La pauvreté
séraphique ne recourt à cette terrible expropriation physique
que parce qu'elle consiste déjà dans une expropriation men
tale. Le Seigneur n'a pas dit : « Bienheureux les pauvres »,
mais : « Bienheureux les pauvres en esprit. » Saint François
ajoute ce commentaire : « Beaucoup sont assidus à l'oraison
et aux offices, pratiquent l'abstinence et la mortification corpo
relle ; mais pour un seul mot qui leur paraît être une injure
ou parce qu'on les prive de quelque chose, ils sont aussitôt scan
dalisés et troublés. Ce ne sont pas là des pauvres en esprit... »
La vraie pauvreté n'est pas encore celle qui renonce aux biens
sensibles, mais celle qui détache de l'amour-propre. C'est
pourquoi elle ne va pas sans cette autre vertu religieuse qu'est
l'obéissance. L'obéissance en esprit constitue le plus parfait
détachement, parce qu'elle méprise ce que nous avons de
plus cher, à savoir notre volonté propre. « Celui-là abandonne
tout ce qu'il possède... qui s'abandonne tout entier lui-même
entre les mains de son supérieur pour lui obéir. »
70
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Mariage mystique de François avec la Charité, la Pauvreté, et l'Humilité.
(Ansano, Chantilly)

Ainsi l'abandon à la divine Providence ne consiste pas dans


une facile paresse, mais au contraire dans un exercice pénible.
Le dépouillement ne s'obtient pas sans ascèse. François
exige donc que ses fils soient mortifiés, et il pratique lui-même
la pénitence jusqu'à l'héroïsme. Rien de spécialement fran
ciscain dans cette méthode qu'ont observée les sages de la
Grèce et les ermites de la Thébaïde; où François reste lui-
même, c'est quand, dans la pénitence, il continue d'appliquer
le principe qui le conduisait à la nudité : la conformité au
Christ souffrant. Puisque Jésus a choisi la croix pour prouver
son amour, l'amour de la croix s'empare de son disciple.
« Je n'ai rien voulu savoir parmi vous, écrivait saint Paul
aux Corinthiens, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. »
Et l'Apôtre déclare autre part : « Nous portons partout la
mort de Jésus dans notre corps. » Les peintres ont aimé
représenter saint François au pied du crucifix. C'est le
Crucifié qui l'a appelé à Saint-Damien, pour le hisser jusqu'à
7i
l'Alverne où il devait trouver sa propre crucifixion. Entre
ces deux dates extrêmes, il a médité quotidiennement les
souffrances du Sauveur, récitant, en plus de l'office canonique,
un office de la Passion qu'il avait lui-même composé.

Enfin, l'amour de François pour Dame Pauvreté s'est


montré parfaitement charité en ce que, n'acceptant pas le
culte désincarné de la vertu, il s'est tourné vers les pauvres.
« Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, enseigne saint
Jean, ne saurait aimer Dieu qu'il ne voit pas. » Jésus avait
déjà dit : « Tout ce que vous avez fait au plus petit de mes
frères, c'est à moi que vous l'avez fait. » Et, avertissement
autrement terrible : « Tout ce que vous avez omis de faire
à l'un de ces tout-petits, c'est à moi-même que vous ne l'avez
pas fait. » Si nous aimons le Christ nu et souffrant, nous devons
le retrouver avec émotion dans tous les éprouvés et les déshé
rités ; pour l'âme franciscaine, l'amour de la pauvreté est
inséparable de l'amour des pauvres. Celui qu'on a appelé
le petit Pauvre ne pouvait tolérer de rencontrer un homme plus
misérable que lui. On ne peut compter, dans ses biographies,
combien de fois il a donné son manteau, quelle que fût la
saison. « Je ne veux pas être un voleur, expliquait-il : c'est
un vol que nous ferions au grand aumônier du ciel si nous
ne donnions pas à qui a plus besoin que nous. » Dès le début
de sa conversion, malgré sa rude tâche de maçon, il s'impose
de soigner les lépreux, parce qu'ils sont les plus abandonnés ;
et il s'acquitte de cette tâche avec une patience surhumaine.
Cette sollicitude n'excepta même pas les larrons de grand
chemin, et les Fioretli nous racontent à ce sujet l'histoire
bien touchante de trois d'entre eux qui, gagnés par l'exquise
bonté de François, se convertirent et entrèrent dans l'ordre.
Cependant, l'activité principale des frères étant d'annoncer
le Royaume de Dieu, c'est la charité spirituelle qui apparaît
comme leur souci le plus constant. Énumérant les signes
annonciateurs de la Bonne Nouvelle, Jésus ajoute à l'énoncé
des miracles : « Les pauvres sont évangélisés. » Le Franciscain
est le prédicateur des masses, auxquelles convient sa parole
directe et dépouillée de rhétorique. Saint François et ses
fils ont commencé par parler de Dieu sur les places publiques,
et aussi à leurs compagnons de travail dans les champs
et les vignes ; leur bonhomie et leur accoutrement misérable
leur acquirent la confiance du peuple, et c'est au peuple
qu'ils restèrent fidèles malgré les sollicitations des grands.
72
Combien de fois il a donné son manteau...
(Giotto, Assise)
ESPRIT DE JOIE

« Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air sombre...


Pour toi, lorsque tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi
le visage. » Ainsi parle l'Évangile. François, mortifié et souf
frant, affiche pourtant une joie rayonnante. Dans les circons
tances les plus terribles, jamais elle ne lui fait défaut. Les
Trois compagnons nous racontent qu'un jour d'hiver, au début
de sa conversion, il allait sur la route en chantant. Des brigands
l'accostent et l'interpellent : « Qui es-tu ? — Je suis, répondit-
il, le Héraut du Grand Roi. » Peu satisfaits de cette repartie,
les larrons le rossent et le jettentidans un fossé plein de neige.
Lui, meurtri et presque gelé, remonte sur la route et repart
en chantant.
De caractère, il était gai et d'un commerce agréable ;
ses premières ambitions l'avaient porté vers la carrière de
troubadour. Et pourtant, cette explication n'est pas ici non
plus suffisante. La conversion avait découvert à François
son indignité et sa faiblesse, et les sentiments qu'il entre
tenait à son égard étaient d'une sévérité effrayante; il voyait
partout autour de lui la souffrance et la haine, Dieu offensé
et méconnu : « L'Amour n'est pas aimé !» ; il assista impuis
sant à la dislocation de son ordre et à la révolte de ses fils.
Une âme aussi sensible que la sienne ne pouvait, avec le
meilleur optimisme du monde, trouver dans une telle détresse
le moindre motif de jubilation. La joie que François a cons
tamment pratiquée est vraiment une vertu ; elle s'appuie
sur des fondements surnaturels. C'est d'elle que parle le
Christ dans le discours après la Cène, lorsqu'il dit à son
Père : « Ils auront en eux la plénitude de ma propre joie. »
Elle n'est pas un surgissement fortuit, mais une victoire
chèrement acquise. C'est pourquoi saint Paul la réclame du
chrétien avec insistance : « Réjouissez-vous toujours dans le
Seigneur » ; les trois termes de l'exhortation sont inséparables.
Aussi François, au témoignage de Celano, « s'appliquait
à garder la joie spirituelle au-dedans comme au-dehors ».
Cette joie compatible avec la souffrance intérieure et la
conscience de sa misère, est chez lui constamment liée à
la souffrance et à la misère. Il ne peut tolérer qu'elle soit une
pure satisfaction charnelle : un jour qu'il donne son manteau,
la joie qu'il en ressent lui paraît inspirée par la complai
sance à lui-même ; humblement, il s'en accuse devant les
74
assistants. Cette joie noble et exubérante réclamait souvent
à s'exprimer par le chant ; et quand il ne pouvait en contenir
le flot envahissant, il prenait deux bâtons, l'un servant de
viole et l'autre d'archet, et les frottait l'un contre l'autre
pour accompagner ses cris de jubilation. Ce débordement
de l'âme se retrouve souvent dans la liturgie franciscaine
dont les mélodies, après s'être complues en des notes pro
fondes, s'élèvent brutalement à des neumes d'une acuité
quasi inaccessible, pour redescendre ensuite à une solen
nelle gravité. Ce n'est pas non plus par hasard que, parmi
les séquences de la liturgie romaine, les deux plus poignantes,
Dies ira et Stabat Mater, ont été composées par des Frères
Mineurs : Thomas de Celano et Jacopone de Todi ; tout
au long de ces tragiques évocations, on lit en filigrane la
suavité émouvante d'une âme fixée dans la joie séraphique.
François a connu avant ses disciples, mais avec plus de
ferveur encore, cette exultation ressentie au jour de colère,
quand, perclus et aveugle, abandonné au fond du jardin
de Saint-Damien, il composait l'amoureuse louange du
Cantique au frère Soleil; et lorsque, enfin, il livra le dernier
combat contre la mort, ce fut encore un chant de triomphe
qu'il éleva vers le ciel. Ainsi se montra-t-il en vérité le
Héraut du Grand Roi, qui proclame à haute voix, à la face
du monde, le nom béni de Dieu.

C'est le Christ qui réconforte...


ESPRIT COSMIQUE

Cette joie séraphique, débordante et continue, qui se fonde


sur l'inestimable faveur d'être fils de Dieu et frère du Christ,
trouve un aliment privilégié dans la nature. Ce n'est pas seu
lement à cause des dons de la grâce dans la Rédemption
universelle et dans son histoire personnelle que François
d'Assise éprouve un sentiment de reconnaissance éperdue,
mais encore au spectacle du monde sensible si généreusement
offert à notre contemplation. « Le bienheureux François,
note le Speculum, discernait parfaitement la bonté de Dieu
non seulement dans son âme..., mais encore dans toutes les
créatures. » Celles-ci constituaient pour lui le miroir des per
fections divines ; il y découvrait, selon Celano, « la sagesse,
la puissance et la bonté du Créateur ». On a trop parlé, sur ce
chapitre, de la nouveauté qu'apportait saint François ;
il connaissait parfaitement l'Écriture et avait pu s'enthou
siasmer à la lecture des admirables poèmes cosmiques chantés
par les Hébreux : le Cantique des trois adolescents dans la
fournaise : « Toutes les œuvres du Seigneur, bénissez le
Seigneur... Bénissez le Seigneur, soleil et lune, bénissez-le,
étoiles du ciel... » ; et le psaume 148 : « Louez le Seigneur,
soleil et lune, louez-le, toutes les étoiles lumineuses... Mon
tagnes et toutes les collines... Feu, grêle, neige, glace... Dragons
et abîmes... Louez le Seigneur !» ; et encore le grand Hallel :
« Célébrez le Seigneur parce que sa bonté est éternelle :
il a fait le soleil pour régner sur le jour, la lune et les étoiles
pour régner sur la nuit... » Tous ces versets, François les
psalmodiait au chœur avec ses frères et en nourrissait son âme ;
et quand à son tour il composait une hymne de louange au
Créateur du monde, il n'est guère imaginable qu'il ne se
souvînt pas des poèmes bibliques.
Pourtant, le petit Pauvre va plus loin que l'auteur sacré.
Il ne s'adresse jamais à toutes ces merveilles dont jouissent
ses yeux sans leur donner le nom de frères ou de sœurs.
Le ton de l'invitation en est tout transformé tant on y trouve
d'intimité avec les œuvres de Dieu : « Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour notre sœur la Lune... Loué sois-tu, mon
Seigneur, pour notre frère le Vent..., pour notre frère le Feu...,
pour notre mère la Terre... » Et cette fraternité que n'expri
mait pas le psalmiste n'a rien d'une fantaisie sentimentale :
elle provient de cette juste conscience de l'universalité de
76
François exhorte les oiseaux à chanter le Seigneur.
(Christophe, 7 ans, XX' siècle)

la Rédemption. Les splendeurs de la nature ne sont pas


seulement belles parce qu'elles ont été créées par le Père,
comme le constatait l'Ancien Testament ; elles sont chères
parce qu'elles ont été sanctifiées par le Fils dans l'Esprit,
et promises à la glorification éternelle. « Voici que je fais
toutes choses nouvelles », annonce le Christ de l'Apocalypse.
De son côté saint Paul écrit aux Colossiens que Dieu, par le
truchement du Christ, « s'est réconcilié toutes les créatures...
aussi bien sur la terre que dans le ciel », et aux Éphésiens
que la volonté de Dieu, qui se réalisera dans la plénitude
des temps, est de « tout réunir dans le Christ : les choses du
ciel et celles de la terre ». Aussi peut-il affirmer que « toute
créature de Dieu est bonne, et il n'y a rien à rejeter de ce qui
77
se prend avec actions de grâces ; car tout est sanctifié par la
parole divine et la prière ». Nous sommes là aux antipodes
du bouddhisme, du manichéisme et du jansénisme : Dieu
ne nous a rien donné qui ne soit un bien ; si nous devons
nous priver de la créature, c'est à cause de notre propre
malice ; l'ascèse est temporaire et durera autant que notre
égoïsme.
François, dépouillé de lui-même, ne prend rien dans
le monde qui ne soit pour la gloire de Dieu. Constamment,
il manifeste à la créature l'amour et la reconnaissance qu'il
éprouve pour le Créateur. Ce n'est pas seulement dans
des hymnes de louange qu'il exprime cette passion cosmique,
mais dans toutes les rencontres avec les humbles êtres de la réa
lité quotidienne. Celano nous a peint son émerveillement au
spectacle des campagnes italiennes, sa naïve admiration
pour les étoiles et pour les fleurs. « Son cœur, dit-il, pénétrait
les secrets des créatures. » Et voici que les créatures répondent
à l'appel de leur admirateur. Il exhorte les oiseaux à chanter
le Seigneur, et les oiseaux chantent à perdre haleine ; il
sermonne un loup dévastateur de troupeaux, et le loup
devient doux comme un mouton ; il prie le fer rougi de l'épar
gner, et le feu le brûle sans douleur. Les biographes
ne tarissent pas d'anecdotes qui révèlent une sorte d'enchan
tement exercé par le saint poète sur le monde sensible.
Surtout, la nature lui révélait les mystères du Christ.
Il y distinguait, pour reprendre les termes de Celano, « une
ressemblance symbolique avec le Fils de Dieu ». Parce que
le psalmiste prophétise du Christ en le comparant à un ver,
François portait aux vers une tendresse particulière, et il
les ramassait sur le chemin pour les mettre en lieu sûr.
Parce que le Précurseur appelle Jésus l'Agneau de Dieu et
qu'Isaïe le compare à un agneau qu'on mène à la boucherie,
il frémissait de ferveur à l'aspect des agneaux et pleurait
sur leur mort. Il avait pour le feu et pour l'eau une dévotion
et un respect qui ne semblaient pas exagérés à ceux qui
connaissent l'Écriture : car le Christ enseigne qu'il est la
Lumière du monde et la Source d'eau vive qui jaillit pour
la vie éternelle. Si le péché nous a rendus incapables de
jouir efficacement de la créature, Dieu nous a envoyé son Fils
bien-aimé pour conjurer l'œuvre du péché ; et pour bien
nous manifester que la chair est bonne, « le Verbe s st fait
chair et il a habité parmi nous ». Dans le Christ, Dieu-
Homme, la création sensible est transfigurée, le monde est
78
sanctifié, l'humanité est divinisée ; c'est pourquoi l'Incar
nation s'offre pour François comme le mystère-clé du chris
tianisme.
Le franciscanisme est une doctrine de réconciliation
de la nature et de la grâce; aussi le Christ sensible y prend
une importance qui se marque par des préférences liturgiques
et théologiques. La fête de Noël a été pour saint François
la fête par excellence ; il défendait qu'on fît pénitence ce
jour-là et demandait même aux paysans de donner à leurs
bêtes (toujours cette condescendance universelle) une double
ration de nourriture; c'est lui encore qui innova cette mise
en scène de la crèche et des animaux devenue en tel honneur
dans l'Occident chrétien. L'incarnation du Verbe s'est
affirmée dans l'école théologique franciscaine comme le
centre de la doctrine ; elle inspire toute la christologie de
Duns Scot, le principal docteur de l'ordre séraphique.
La dévotion à la chair du Sauveur rejaillit sur l'ascèse fran
ciscaine; le respect dû au corps de l'homme s'y révèle dans
la règle, qui est la première à exclure les châtiments corporels ;
saint François lui-même veillait à ce que la discrétion dans
la pénitence fût soigneusement observée. Souci d'équilibre
humain ? Sans doute. Mais aussi vénération de l'humanité
sanctifiée. « Considère, 6 homme, écrit-il, à quel degré d'excel
lence le Seigneur t'a placé... Il t'a formé à l'image de son Fils
bien-aimé dans ton corps... » Bien sûr, lui aussi recourt à une
mortification implacable : mais c'est pour imiter son Sauveur.
Après saint Paul, il enseigne que « c'est dans nos infirmités
que nous pouvons nous glorifier, c'est dans le portement
quotidien de la sainte croix de Notre Seigneui Jésus-Christ ».
Pourtant, à la fin de sa vie, il accepte de laisser en paix celui
qu'il appelait son frère Ane, c'est-à-dire son corps. Un frère
lui fit remarquer avec sévérité qu'il avait bien malmené
ce fidèle et dévoué serviteur. François acquiesça : « Réjouis-
toi, mon frère le corps, et pardonne-moi ; je suis prêt main
tenant à satisfaire à tes désirs, et je vais m'empresser de
subvenir à toutes tes nécessités. »
Le message de saint François, c'est que tout est aimable,
et qu'il n'y a pas à faire économie d'amour. Si le Christ est le
souverainement Aimable, tous nos frères créés par le Christ
à son image le sont, et toutes les créatures sensibles chargées
de nous conduire au Christ. Tel est l'ordre exprimé par
saint Paul : « Tout est à vous, mais vous, vous êtes au Christ,
et le Christ est à Dieu. »
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La descendance franciscaine

L'ORDRE FRANCISCAIN :
SON ÉVOLUTION INTERNE

La première présence par laquelle se révèle l'esprit fran


ciscain, bien mieux que tous les manuscrits et tous les
antiques couvents, c'est cette réalité vivante que constituent
ensemble ces hommes et ces femmes qui ont aimé et écouté
François jusqu'à vivre sa vie, cette immense maison dont
les pierres sont des êtres de chair, ce livre toujours ouvert
dont les pages sont des vertus et des exploits spirituels.
Sans doute peu d'hommes se sont hissés au niveau de ferveur
et de perfection où est parvenu leur père ; de quelques-uns,
comme Conrad d'Offida ou Pierre d'Alcantara, on a pu dire
qu'ils réincarnaient le séraphique Patriarche ; dans tous
pourtant, dans la biographie des morts et dans le spectacle
des vivants, on respire ce parfum laissé par le génie de la
pauvreté et de la joie, un quelque chose de bon, de chaud,
d'attrayant, qui ne connaît nulle part son pareil. Si donc
nous voulons trouver des traces de l'idéal de saint François,
il nous faut d'abord nous tourner vers les vivants et interroger
leur vie.
81
La règle des Frères Mineurs manque tout à fait de précision
quand il s'agit de définir les détails de la vie conventuelle
et apostolique ; et d'autre part l'idéal qu'elle propose se
révèle si élevé qu'il reste difficilement praticable. Pour cette
double raison, l'ordre franciscain apparaît à la fois comme
celui dans lequel la vie spirituelle trouve sa plus grande
liberté d'expression, mais aussi comme celui où les exigences
du fondateur laissent toujours entre le but et la réalité concrète
le plus irritant intervalle. De là la médiocrité relative dans
laquelle la communauté franciscaine semble retomber à
toutes les époques, et les soupirs qu'élèvent sans cesse les
religieux fervents vers une observance plus rigoureuse de
la règle. Aucune famille religieuse n'offre dans son histoire
le spectacle de cette nostalgie de la parfaite conformité à
l'enseignement paternel ; aucune, si ce n'est celle de saint
Benoît, n'a subi dans son sein autant de divisions et de mou
vements réformateurs. Si certains ordres, comme ceux de
saint Dominique et de saint Ignace, sont demeurés constants,
depuis leur origine, dans les volontés de leur fondateur; si
d'autres, tombés dans la tiédeur et le relâchement, ont
bénéficié d'un renouveau qui n'était qu'un retour à la saine
pratique de la vie religieuse, la ferveur franciscaine a suscité
continuellement des hommes qui ont voulu tenter l'héroïsme
d'une vie située aux limites de la résistance humaine. Chaque
fois, il s'est produit ce que l'histoire du fondateur avait
offert et préfiguré : la sainteté de la première communauté
n'a pu se communiquer au grand nombre de disciples que
sa renommée lui attirait.
Dès le vivant de saint François, la dissension s'était intro
duite entre le noyau des zélés, favorables à la rigueur et
au dénuement exigés par la première règle, et les partisans
d'une mitigation qui avaient à leur tête Élie de Cortone.
Le père commun avait tenté un compromis : la règle de
1223, approuvée par le Pape, était susceptible de convenir
à de nombreux frères sans renier l'idéal primitif; seulement
il crut bon d'y ajouter, avant de mourir, son Testament,
qui indiquait dans quel esprit il fallait vivre la règle définitive.
A sa mort, ses fils se trouvèrent plus divisés que jamais :
les zelanti prétendirent qu'il fallait suivre le Testament,
expression authentique de la volonté de saint François;
les disciples d'Élie réclamèrent de Rome des privilèges et
un alignement sur les anciens ordres. Des deux côtés on
passa aux extrêmes ; les religieux de la première fraction
82
se perdirent par leur orgueil, ceux de la seconde par leur
violence. Ceux-ci, s'appuyant sur de nombreux ministres
et sur des cardinaux de la curie romaine, se mirent à enfreindre
la règle ouvertement en la déclarant impraticable, et sévirent
avec cruauté contre leurs adversaires. Ceux-là refusèrent
toute obéissance, et s'enfoncèrent dans l'individualisme ;
estimant qu'eux seuls possédaient l'esprit de Dieu et de
la règle, ils s'intitulèrent spirituels.
Heureusement pour les destinées de l'ordre, ces deux
partis ne représentèrent bientôt qu'une minorité parmi les
clercs et les religieux influents. Il se constitua rapidement
une troisième tendance, orientée à la fois vers la fidélité
à saint François et la conciliation ; elle ne demandait qu'à
se soumettre à la règle définitive, seule législation approuvée
par l'Église ; elle repoussait donc toute transaction sur le
chapitre de la pauvreté, mais, respectant la diversité des
vocations, admettait autant les ermitages que les grands cou
vents urbains. Cette fraction modérée comptait des hommes
de grande valeur, notamment des docteurs et des maîtres
de l'Université, comme Alexandre de Halès, Jean de la
Rochelle et Richard le Roux. Leur action détermina la
chute d'Élie de Cortone, qui, depuis son accession au géné-
ralat, avait donné la mesure de sa cupidité, de sa dureté
et de sa désinvolture. Les généraux qui succédèrent au
tyran furent choisis dans le parti modéré; ils s'employèrent,
malgré l'énormité de la tâche, à supprimer les abus de droite
et de gauche et à unifier l'ordre. Le travail le plus remar
quable fut, dans ce sens, accompli par saint Bonaventure,
général de 1257 à 1274, surnommé le second fondateur de
l'ordre franciscain ; ce fut lui qui fit admettre, en 1260,
les Constitutions dites de Narbonne, commentaire de la
règle permettant de la concrétiser et par là de l'universaliser ;
c'est ainsi par exemple que furent fixées la forme et la couleur
de l'habit.
A la fin du xme siècle, l'ordre des Frères Mineurs avait
donc retrouvé son unité menacée. Réorganisé, il apparaissait
comme le corps religieux le plus imposant de la chrétienté ;
le Saint-Siège y puisait en abondance pour pourvoir l'Église
en cardinaux, évêques, légats, pénitenciers, et même inqui
siteurs. Sans doute les Spirituels se montraient encore très
remuants, mais il ne faut pas oublier que si certains, comme
Ange Clareno et Hubertin de Casai, furent des révoltés et
des calomniateurs, d'autres, comme Conrad d'Offida et
83
Pierre Olieu, manifestèrent, en même temps qu'une haute
sainteté de vie, un parfait bon sens et une humble soumission
aux autorités ecclésiastiques. Trois branches de religieux
suscitées par le mouvement spirituel comme des innovations
séparatistes n'eurent qu'une existence éphémère : les Césarins,
qui se réclamaient de Césaire de Spire, furent dissous par
le général Jean de Parme, prédécesseur de saint Bonaventure ;
les Célestins, approuvés par Célestin V en 1294, furent
supprimés par Boniface VIII ; les Clarennins, qui virent le
jour en 1302, eurent peu de recrues et s'éteignirent dans
l'oubli au siècle suivant. Il semblait que désormais l'arbre
franciscain allait pousser droit vers le ciel son tronc reverdi.
Il n'en fut rien. Le nouveau siècle allait amorcer parmi
les frères une séparation irrémédiable.
La première moitié du XIVe siècle aurait pu être fatale
à la famille de saint François. D'abord à cause des abus ;
ce fut une mode pour les frères de réclamer, contre les
prescriptions formelles de la règle et le plus souvent par
personnes interposées, des bénéfices et des prélatures ; les
papes furent faibles, et les ministres généraux manquèrent
de vigilance : en cent ans on ne compte pas moins de
568 évêques franciscains, presque tous sans diocèse réel. Les
bullaires de l'époque abondent en noms de Mineurs exemptés
par le Saint-Siège des devoirs de la sainte Pauvreté ; ceux
qui ne le sont pas suivent l'exemple et se font octroyer
des dons et des héritages. A côté du relâchement qui abaissa

Césarin Clarennin
la qualité, les guerres et les épidémies réduisirent la quantité ;
la peste noire qui sévit sur l'Europe en 1347 et 1348 fit
périr la plus grande partie de l'ordre ; l'Italie à elle seule
perdit trente mille Frères Mineurs ; à Marseille, sur cent
cinquante religieux, il n'en resta pas un seul.
C'est au milieu de ces calamités que naquit l'Observance.
En 1334, Jean de Valle obtint du général Gérard Odon
de se retirer au couvent de Brugliano pour vivre la parfaite
pauvreté. Son œuvre fut continuée par Gentil de Spolète et,
après celui-ci, par le bienheureux Paul de Trinci (f 1390),
qui étendit la réforme à quinze autres couvents ; le général
Henri Alfieri le nomma commissaire général de tous les
couvents réformés : c'était admettre l'unité des Observants,
nom que se donnèrent les religieux qui gardaient en commun
une parfaite fidélité à la règle. Dès 1397, Pierre de Villacret
instaure l'observance en Espagne ; en 1417, elle est suffi
samment établie en France pour avoir à sa tête un vicaire
général (Nicolas Rodulphe). C'est à cette époque, près d'un
siècle après l'initiative de Jean de Valle, que le mouvement
va accomplir un bond prodigieux grâce à saint Bernardin
de Sienne et à ses trois admirables disciples : saint Jean
de Capistran, saint Jacques de la Marche et le bienheureux
Albert de Sarziano. L'ordre se trouva véritablement divisé
en deux camps d'égale importance numérique ; cependant
seul celui des Conventuels élisait le ministre général ; les
Observants étaient représentés près de celui-ci par deux

Conventuel
Observant
vicaires généraux : un pour la Famille Cismontaine, c'est-
à-dire l'Italie et les pays d'Europe centrale, l'autre pour la
Famille Transmontaine, c'est-à-dire les nations d'Europe
occidentale. Le fossé se creusant de plus en plus et les Obser
vants se plaignant d'être asservis aux ministres conventuels,
le pape Léon X prit en 1517 une mesure radicale : il donna
aux Observants le droit d'élire eux-mêmes le ministre général
et de porter le nom de Frères Mineurs; quant aux Conven
tuels, ils formèrent un corps à part sous la juridiction d'un
Maître général. La bulle Ite et vos, qui consommait la rupture
et reconnaissait l'Observance héritière légitime de l'ordre
primitif, lui réunissait en même temps trois branches réfor
mées de moindre importance : les Colettans, répandus en
France et en Allemagne, disciples de sainte Colette ; les
Amédéens, fondés au Portugal par le bienheureux Amédée
de Sylva en 1460, et lés Déchaussés, fondés en Espagne
vers 1500 par le bienheureux Jean de la Guadeloupe. Il n'y
avait donc plus de divisions au sein de l'ordre franciscain,
mais deux ordres franciscains autonomes.
Cette situation dura peu. La vie religieuse telle que la
vivait la famille observantine, avec la stricte pauvreté et
la ferveur apostolique, ne suffisait pas à tous. Certains,
remarquant que cette forme de vie, héritée de saint Bonaven
ture et de saint Bernardin, s'écartait de celle adoptée par
saint François et ses premiers compagnons, voulurent
revenir aux origines, sur trois points notamment : abandon
des grands couvents urbains pour des ermitages, suppression
des études théologiques, transformation de l'habit imposé
par saint Bonaventure. En 1525, Mathieu de Bassi, frère
mineur de la Marche d'Ancône, obtint du pape l'autorisation
de réaliser ce programme ; les émules affluèrent : à cause
de leur capuce pointu, on les appela Capucins. Malmenés
par les Observants à cause de leurs idées séparatistes, les
Capucins demandèrent au pape à être soustraits à leur
juridiction : Clément VII, par la bulle Zelus religionis (1528),
accéda à leur requête, mais les soumit au général des Con
ventuels. L'année suivante, ils se donnèrent des constitutions.
Il leur fallut cependant attendre près d'un siècle pour accéder
à l'autonomie complète ; celle-ci fut en effet réalisée en
1619, quand les Capucins obtinrent le droit d'élire leur
propre ministre général.
Parallèlement à la réforme capucine, l'ordre franciscain
connut, pendant le XVIe siècle, trois autres mouvements
86
de grande envergure ; mais ceux-ci, au lieu de choisir le
schisme, demeurèrent, quoique avec une large autonomie,
dans le sein de l'Observance. Ce furent successivement :
les Réformés, organisés dès 1526 et répandus surtout en
Italie, en Autriche et en Pologne ; les Alcantarins, successeurs
des Déchaussés de Jean de la Guadeloupe et comme eux
sans sandales : fondés par saint Pierre d'Alcantara en 1555,
ils s'établirent dans la péninsule Ibérique et en Amérique
latine; les Récollets, qui possédèrent leur première custodie
en 1590 et, partis de France, s'implantèrent en Belgique
et en Allemagne. Ces trois familles, en s'octroyant des
statuts particuliers, visèrent à une application très rigoureuse
de la règle, notamment en ce qui concerne la pauvreté,
et ajoutèrent des prescriptions comme l'oraison obligatoire
et l'abstinence perpétuelle. Elles eurent une très grande
vitalité jusqu'en 1897, date à laquelle Léon XIII, par une
mesure que beaucoup ont jugée arbitraire, les supprima
purement et simplement pour les réunir aux Observants
sous l'unique vocable de Frères Mineurs (bulle Felicitate
quadam).
Actuellement, le premier ordre de saint François compte
donc en réalité trois ordres religieux : celui des Frères Mineurs
(O. F. M.), appelés communément Franciscains, celui des
Frères Mineurs Conventuels (O. F. M. Conv.), celui des
Frères Mineurs Capucins (O. M. C. ou O. F. M. cap.).
Pratiquement, leur vie ne diffère guère. Les capucins ont
abandonné petit à petit les privilèges qui avaient motivé
leur sécession : ils ont repris la vie conventuelle, les biblio
thèques et les études théologiques — puisqu'ils forment
des prêtres et même des érudits. En gros, leur statut est
celui des Franciscains, à cela près qu'ils observent dans
le matériau des couvents, la proportion des églises, les
ustensiles du réfectoire, une plus grande pauvreté. En ce
qui concerne la propriété, les deux ordres frères observent
à la lettre la règle de saint François : les couvents n'appar
tiennent pas à l'ordre, mais à des sociétés immobilières
régies ordinairement par des amis de l'ordre ; au contraire
les Conventuels possèdent leurs biens meubles et immeubles.
Il est facile de reconnaître, à son habit, à quel ordre appar
tient l'un de ces religieux. Les Conventuels ne sont guère
connus en France; ils résident surtout en Italie et en Europe
centrale ; ce sont eux qui occupent à Assise le colossal Sacro
Convento annexé à la Basilique Patriarcale. Ils portent une
87
Frères Mineurs Capucins

robe de laine noire et vont en chaussures ; leur capuce est


retenu par une mosette en forme de camail qui tombe sur les
bras. Franciscains et Capucins sont vêtus d'une bure brune
et chaussés de sandales ; le Capucin a conservé la barbe, sou
venir de la vie érémitique; son long capuce est cousu direc
tement à la robe ; celui du Franciscain, au contraire, court et
rigide, est attaché à une mosette amovible qui pend en pointe
dans le dos. Pour le reste, gouvernement de l'ordre, horaire
journalier, formes d'apostolat sont semblables dans les trois
familles ; comme tous les grands ordres, elles comptent deux
88
sortes de religieux : les prêtres, qu'on appelle Pères, chargés
des besognes apostoliques, et les laïcs ou convers, qu'on
appelle Frères (quoique tous aient droit à ce nom), et qui
occupent les emplois matériels du couvent : cuisinier, linger,
jardinier... Le besoin de prédicateurs et d'aumôniers réduit
au minimum les vocations d'ermites; on en trouve cependant
encore un certain nombre, surtout en Italie, dans les Ritiri
habités autrefois par saint François et ses premiers disciples.
En France, les Frères Mineurs ont remis en honneur la
vie érémitique au petit couvent de la Cordelle, près de
Vézelay, qu'ils ont relevé de leurs mains.

La Cordelle, premier couvent franciscain en France.


(Vézelay)
Au cours des siècles, le développement de l'ordre a subi
un certain nombre de'vicissitudes. De 12 en 1209, le nombre
des Franciscains passe à 5 000 dix ans après, à 40 000 en
1300, à 60000 en 1500, pour dépasser 100 000 à la veille
de la Révolution. Sorti victorieux, comme nous l'avons vu,
de l'hécatombe du xive siècle, l'ordre eut encore à triompher
de deux graves tempêtes : celle qui secoua l'Europe entre
1790 et 1815, celle qui secoua l'Italie, l'Allemagne et la France
dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Entre 1900 et 1950,
il avait plus que doublé ses effectifs. On assiste pourtant à
une décroissance continue depuis 1968; avec ses 38 000 reli
gieux, il demeure encore pourtant le plus nombreux de la
chrétienté (devant les Jésuites : 27 000, les Salésiens : 15 000,
les Bénédictins : 10 000). Les Conventuels approchent le
chiffre de 4 000 ; les Capucins comptent plus de 1 100 couvents
et de 12 000 religieux répartis en une soixantaine de pro
vinces. Enfin, les Franciscains totalisent 2 300 couvents et
22 000 religieux, le tiers de l'Ordre résidant en Italie et aux
États-Unis. En 7 siècles, l'ordre de saint François a donné
à l'Église 2 500 évêques, 90 cardinaux et 5 papes. A notre
époque, où le clergé séculier a acquis tant de valeur,, un tel
service semble beaucoup moins utile. Au début du siècle, le
Sacré Collège comptait encore trois Frères Mineurs et un
Capucin; aucun fils de saint François n'y figure plus mainte
nant. Les Franciscains, gardiens des Lieux Saints, fournissent
cependant traditionnellement le Patriarche latin de Jérusalem.

De son côté, l'ordre des Pauvres Dames n'est pas resté


sans changement ni bouleversements ; mais les événements
n'ont pas pris le même caractère dramatique. En effet, dans
les ordres actifs, fortement centralisés, tout changement
local constitue une menace pour l'union et le fonctionnement
collectif; au contraire, dans un institut contemplatif, l'auto
nomie des monastères permet de réaliser sans troubles des
mitigations, des réformes ou des fondations originales.
Aussi en a-t-il été dans l'ordre de sainte Claire comme dans
celui de saint Benoît : les transformations s'y sont opérées
sinon toujours sans luttes, du moins sans cette douloureuse
rivalité qui opposa pendant des siècles deux fractions du même
ordre. La vie religieuse inaugurée par Claire et ses sœurs
dépassait e* austérité tout ce qu'on avait connu jusque-là ;
aussi certaines jeunes femmes de santé délicate qui voulaient
adopter la spiritualité franciscaine et imiter les moniales
90
.S*
5fe.
* ■*, ^ * * >

Le réfectoire des Pauvres Dames, à Saint-Damien.


Un bouquet de fleurs marque la place de Sainte Claire.

de Saint-Damien réclamèrent des statuts plus compatibles


avec la fragilité du frère âne. Ce furent des filles de rois qui
innovèrent dans ce sens. Du vivant de sainte Claire et avec
sa bénédiction, la bienheureuse Agnès, fille d'Ottokar Ier
de Bohême, établit à Prague un monastère sous une règle
mitigée ; puis Isabelle de France, sœur de saint Louis,
établit à Longchamp le monastère de l'Humilité de Notre-

91
Dame. C'est alors qu'Urbain IV en 1263 étendit la règle
mitigée à tous les monastères ; cette mesure marqua le com
mencement d'un certain nombre d'abus, et ceux-ci suscitèrent
au début du XVe siècle la grande réforme de sainte Colette
qui rendit à de nombreux monastères la ferveur primitive.
De nos jours, il existe encore deux variétés de Clarisses :
les Urbanistes, qui obéissent à la règle imposée par Urbain IV,
et les Colettines, qui suivent les rudes constitutions de sainte
Colette, allant pieds nus sans sandales, ne jouissant d'aucune
propriété ni d'aucun revenu, attendant leur pain quotidien
de la générosité populaire. Au xvie siècle, Maria Longa
ajouta à ces deux familles celle des Clarisses capucines, dont
les statuts sont à peu près ceux des Colettines. Enfin, on

Clarisse de l'Observance Clarisse


peut compter comme appartenant au second ordre de saint
François les religieuses conceptionnistes, fondées au xve siècle
par la bienheureuse Beatrix de Silva et, dans une certaine me
sure, celui des Annonciades, fondé par sainte Jeanne de France,
fille de Louis XI. L'émiettement de l'ordre de sainte Claire
ne permet que des recensements espacés. On estime que
ses 600 monastères enferment au moins 13 000 religieuses.
Quant au Troisième Ordre, qui au début comptait seule
ment des gens du monde désireux de vivre selon l'esprit de
saint François, il engendra à son tour des formes nouvelles de
vie religieuse. Les premières tertiaires consacrées à Dieu furent
d'abord des solitaires ou des recluses, comme sainte Elisabeth
de Hongrie, la bienheureuse Viridiane et sainte Marguerite

Ordre de la Conception Tiers-Ordre régulier


w

Marguerite de Cortone prend l'habit.


( Niccolo Pisano, Cortone)

de Cortone, la Madeleine séraphique. Plus tard, Angéline


de Marsciano (f 1435) établit la première communauté
régulière du Tiers-Ordre. Ce sont ces religieuses qu'on
appelle Franciscaines ; elles comptent dans le monde plus
de 200 congrégations de toutes espèces : contemplatives,
hospitalières, enseignantes, missionnaires, dont le nombre
des recrues approche 100 000. La plupart sont de minuscules
instituts ; quelques-uns sont très développés, comme les Péni
tentes récolletines de Limbourg, au nombre de 6 000, et ces
admirables Franciscaines Missionnaires de Marie qui ont vu le
jour en France et qui, de 42 en 1880, dépassent aujourd'hui le
chiffre de 10 000.
Le Tiers-Ordre régulier a trouvé beaucoup moins de succès
chez les hommes. Il constitue à l'heure actuelle un ordre
unique résultant de la fusion de plusieurs congrégations :
le Tiers-Ordre Régulier de saint François (T. O. R.) qui
comprend sept provinces, dont une en France, et plus de
800 religieux. Le Tiers-Ordre séculier, lui, recrute toujours
94
une multitude d'adhérents. Un grand nombre sont groupés
en fraternités ; les Capucins contrôlent 11 ooo fraternités
réunissant 600 000 membres, et les Franciscains 10 000 avec
près de 1 000 000 de membres. Cependant, d'après les estima
tions courantes, on peut doubler ces chiffres pour obtenir
le total véritable.

LE MESSAGE FRANCISCAIN :
SA DIFFUSION AU COURS DES SIÈCLES

Tel est le milieu dans lequel s'est fixée la tradition francis


caine. Or, saint François n'a pas seulement édicté une règle
pour une organisation délimitée d'hommes et de femmes :
il adresse aussi un message à l'humanité tout entière. Ce
message a été transmis au monde de trois manières : par la vie
des saints, par la parole des prédicateurs, par la plume des
écrivains. Il serait bien sûr trop long d'étudier ici les saints
franciscains — qui sont légion ; de considérer comment
l'esprit, incarné dans la personne de leur père commun,
s'est diversifié en eux selon les caractères et les vocations.
Et en employant le nom de saints, nous n'entendons pas seu
lement tous ces modèles d'amour et de vertu auxquels l'Église
rend un culte, mais aussi toutes ces figures prestigieuses
que n'a jamais nimbées l'auréole, et qui ont été pour les
hommes les vivants témoignages de la Divinité. Leur liste
n'est pas close. Certains — et surtout certaines — demeurent
à jamais obscurs ; leur souvenir se prolongera seulement
pendant deux ou trois générations à l'ombre de quelque
monastère. D'autres ont reçu des dons qui attirent sur eux
l'attention de la foule : tel aujourd'hui le Padre Pio, mystique,
prophète, thaumaturge, qui porte les stigmates et Ut dans
les consciences.
Après le spectacle de la sainteté, l'enseignement oral fut
certainement le plus vivant et le plus suggestif des moyens
de propager la spiritualité, surtout aux époques où la majorité
des fidèles était illettrée. Rompant avec la tradition monastique,
le Frère Mineur, même contemplatif, devait modeler sa vie
sur celle des Apôtres et répandre partout la Bonne Nouvelle.
François et ses premiers disciples furent tous d'ardents pré
dicateurs, près des clercs et près des laïcs, à la ville et dans
95
les champs, chez les chrétiens et chez les infidèles, et jusque
dans les camps militaires. Quand l'ordre fut mieux organisé,
l'office de la prédication fut dévolu aux clercs, et les supérieurs
veillèrent à confier les grandes missions aux mieux doués
et aux mieux préparés. Le nombre de ces spécialistes s'accrut
rapidement, et les chroniqueurs ne tarissent pas sur les succès
merveilleux qu'ils remportèrent.
L'un des premiers en date et en valeur fut Antoine de
Padoue. Pendant dix ans, ce jeune religieux (il mourut à
trente-six ans) parcourut l'Italie et la France, suscitant
parmi les foules un enthousiasme prodigieux ; les églises
ne suffisant pas à recevoir ses auditeurs, il prêchait sur les
places et dans les vallées. Sa doctrine si claire et sa parole
si persuasive convainquirent tant d'adversaires qu'il fut
appelé le Marteau des Hérétiques. Gérard de Modène, Hugues

Bernardin de Sienne
(Ecole de Viecchietta, Sienne)
de Reggio, Thomas de Pavie, saint Bonaventure, et chez
les Français, Eudes Rigaud et Hugues de Digne se taillèrent
aussi, dans les différents genres de l'éloquence sacrée, une
large célébrité. Mais la palme de la popularité semble
encore revenir à l'Allemand Berthold de Ratisbonne, tribun
doué d'une voix colossale, et qui rassembla à ses pieds, au
dire de ses contemporains, plus de cent mille auditeurs à la
fois.
L'âge d'or de la prédication franciscaine fut celui de la
réforme observantine. Bernardin de Sienne, père de l'Obser
vance, s'est fait entendre dans toute l'Italie ; théologien
de valeur, il parlait au peuple son langage ; il fustigeait
les vices et la dureté des grands, s'attaquait surtout aux
injustices et aux rivalités locales. Jean de Capistran et Jacques
de la Marche parcoururent à pied toute l'Europe, y compris


•»'■»,

m»,

Jean de Capistran
(Voile humerai, XV' siècle, chapelle de VAlverne)
Jacques de la Marche
(Crivelli, vers 1430)

la Russie et la Scandinavie, remuant les foules, convertis


sant hérétiques, soudards, usuriers, courtisanes. Albert
de Sarziano, Bernardin de Feltre, Robert de Lecce, Herculan
de Piagale, Ange de Chivasso furent leurs dignes émules.
En France, Michel Menot, dit Bouche d'Or, et Olivier Maillard
évoquent surtout une parole gaillarde et truculente ; ils furent
pourtant des hommes d'une grande conviction apostolique
qui accomplirent auprès des grands et du peuple une œuvre
efficace.
La réforme des Déchaussés donna au xvie siècle d'éminents
prédicateurs, notamment saint Pierre d'Alcantara, Alphonse
de Castro et Bernardin d'Arevalo ; celles des Récollets
et des Capucins se manifestèrent surtout en France et en
Belgique, spécialement au Grand Siècle ; parfois, c'était
autant la curiosité que la dévotion qui faisait accourir les
fidèles au pied de la chaire — par exemple pour entendre
98
Frère Ange de Joyeuse

le Père Ange de Joyeuse, ancien chef de la Ligue, ou le Père


Séraphin de Paris, qui improvisait au lieu de se plier aux
lois rigides du genre. Quant aux Réformés, ils eurent la
gloire de produire celui que saint Alphonse a appelé le
Grand Missionnaire du XVIIIe siècle : saint Léonard de Port-
Maurice. Le Père Joseph-Stanislas de Presbourg en Hongrie,
le Père Théodose Florentini en Suisse comptent parmi les
plus grands prédicateurs du XIXe siècle. Plus près de nous,
le Père Bernardin de Montefeltro, mort en 1921, prêcha
pendant quarante ans les missions populaires en Italie avec
un succès sans précédent depuis saint Léonard. Enfin,
dans la France d'aujourd'hui, c'est un frère mineur, le Père
Jean-François Motte, directeur du Centre Pastoral des
Missions à l'Intérieur, qui a donné à la prédication mission
naire cette organisation susceptible de porter des fruits
collectifs en profondeur.
99
*%:

5**w
Sfcr. *
Les mystiques franciscains n'ont pas aimé recourir à
la plume. Cependant la spiritualité séraphique n'a pas manqué
d'interprètes. C'est évidemment saint Bonaventure (1221-
1274) qui s'offre comme le chef de file de ces auteurs; l'édi
tion critique de ses œuvres a retenu seulement dix opuscules
authentiques, presque tous très courts, mais aussi très denses ;
le plus estimé, qu'on a appelé « une somme de spiritualité
bonaventurienne », est la Triple Voie (ou l'Incendie d'Amour) :
on y lit comment l'esprit s'unit à Dieu dans l'amour grâce
à trois chemins : la méditation, l'oraison et la contemplation.
On ne goûte pas moins les autres traités, le Soliloque, l'Arbre
de Vie, la Vie parfaite, le Gouvernement de VAme... Pourtant,
ces méditations et ces effusions s'inspirent beaucoup plus
des maîtres du xne siècle (notamment de saint Bernard et
des Victorins) que de l'enseignement de saint François.
Où l'on retrouve le franciscain, c'est surtout chez l'orateur
et le polémiste. Contre Guillaume de Saint-Amour et les
détracteurs de la sainte pauvreté il écrit cette fameuse Apologie
des Pauvres qui, délivrée des règles didactiques, acquiert,
malgré les longueurs dont elle se surcharge, une éloquence
passionnée qui n'exclut pas le sarcasme.
Trois disciples immédiats de saint Bonaventure ont
écrit avec la même piété que leur maître, mais également
dans le sillage des anciennes écoles monastiques, des traités
remarquables. Bernard de Besse, qui fut son secrétaire,
rédigea un Miroir de la Discipline. Jacques de Milan, à qui
l'on doit un Aiguillon d'Amour (Stimulus Amoris) très estimé
par les maîtres postérieurs, et Jean de Caulibus, auteur
présumé des Méditations de la Vie du Christ, ont avivé, par
leurs pages expressives, le culte de la Passion. A côté d'eux,
on peut citer deux grands contemporains du Docteur Séra
phique : Guibert de Tournai, son confrère au couvent de
Paris, directeur de la bienheureuse Isabelle de France, qui
écrivit pour elle ou pour la sœur Marie de Dampierre plu
sieurs opuscules ascétiques ; et David d'Augsbourg, maître de
Berthold de Ratisbonne, auteur de nombreux traités en alle
mand, dont le plus célèbre est le Triple Statut : il y trace une
méthode ascétique pour les religieux, ceux-ci étant partagés
en trois catégories selon leur élévation spirituelle : les commen
çants, les progressants et les parfaits. Ce traité, quoique ori
ginal, s'inspire de Guillaume de Saint-Thierry ; très répandu
au Moyen Age, il a été l'une des sources de Thomas
a Kempis.

Saint Bonaventure
(Cavazzola, Vérone)
Parallèlement à ces écrivains traditionnels, l'esprit fran
ciscain a produit au XIIIe siècle des penseurs très personnels
qui trahissent plus particulièrement l'influence du Pauvre
d'Assise. Le premier chronologiquement fut le frère Égide,
compagnon de saint François, dont les aphorismes pleins de
sagesse, réunis sous le titre de Paroles (Dicta), ont inspiré
saint Bonaventure. On ne connaît pas l'auteur de la Médi
tation du Pauvre dans la solitude; c'est une apologie de saint
François et un ardent appel à imiter ses vertus : pauvreté,
charité, humilité. Avec les trois maîtres qui suivent, trois
caractères ardents, puissants, tourmentés, nous entrons dans
l'autobiographie spirituelle. Le bienheureux Raymond Lulle

Raymond Lulle
(i235_I3I5)j tertiaire, passa d'une vie de plaisir à une vie
de pénitence; d'abord ermite, il parcourut ensuite l'Europe,
l'Asie et l'Afrique pour convertir les infidèles et trouver le
martyre : celui-ci lui fut enfin accordé à l'âge de quatre-vingts
ans; philosophe, théologien, mystique, orientaliste et peut-
être alchimiste, il a laissé en ce qui nous intéresse un curieux
ouvrage, mi-roman, mi-autobiographie, intitulé Blanquerna ;
nous y trouvons deux traités mystiques : l'Art de Contempla
tion et le Livre de l'Ami et de l'Aimé, qui sont censés nous
être proposés par le héros de l'histoire. Comme Raymond
Lulle, convertie et tertiaire, la bienheureuse Angèle de Foligno
(1248-1309) fut en même temps une grande visionnaire et
une solide femme d'action ; le frère Arnaud, son directeur,
puis d'autres secrétaires ont consigné sous sa dictée la relation
des faveurs qu'elle reçut de Dieu ; le plus important est
contenu dans le Livre de VExpérience des vrais Fidèles, récit
sublime et d'une émouvante sincérité, qui a trouvé à tous les
siècles des admirateurs passionnés. De ces admirateurs
fut le frère Hubertin de Casai qui, d'abord étudiant à Paris,
fut gagné aux doctrines des Spirituels et devint l'un de leurs
chefs ; il rédigea sur l'Alverne son Arbre de la Vie crucifiée
de Jésus, à la fois confession et réquisitoire contre ses ennemis,
livre tout rempli de chaudes effusions, de violents anathèmes
et de visions grandioses.
Le XIVe siècle, époque de décadence, compte peu de
maîtres. On peut citer parmi les principaux Frères Mineurs
Rodolphe de Bibrac, auteur présumé des Sept Chemins de
l'Éternité, ouvrage dans lequel il se montre bon disciple
de Bonaventure et des Victorins. C'est également au Quat
trocento que se forment les célèbres Fioretti (Florilège),
compilation en italien rassemblant pêle-mêle des témoignages
de compagnons de saint François, et qui transforme souvent
l'histoire en légende : la saveur du récit, on le sait, n'a rien
à y perdre. Le xv1' siècle a fait meilleure figure - Henri de
Herp, dit Harphius, y semble le plus marquant des Francis
cains ; tributaire de saint Bernard et de Ruysbrœck, il écrivit
un Ephithalame, ou commentaire du Cantique des Canti
ques, un Miroir de la Perfection et un Paradis des Contempla
tifs : les trois traités furent réunis au siècle suivant sous le
titre de Théologie mystique. Moins spéculatif, Jean Barthé
lémy est l'auteur de trois courts traités encore inédits : le Li
vret de la Triple Viduité, le Livret de la Crainte amoureuse, le
Livret de la Vanité des Choses. Cependant, Harphius et Bar-
103
thélemy restent scolastiques ; on trouve plus d'originalité chez
les mystiques du second ordre, notamment sainte Catherine
de Bologne et la bienheureuse Battista Varani ( j 1527) ;
la première rédigea une autobiographie : les Armes nécessaires
au Combat spirituel, dont le but est d'avertir le lecteur contre
les tentations et les épreuves ; à la seconde, qui compte
parmi les plus remarquables mystiques de son ordre, on
doit quatre opuscules : la Conduite de la Vie Spirituelle, les
Douleurs mentales de Jésus, les Instructions au Disciple, et une
autobiographie le Memento de Jésus. Du xvr' siècle, il faut
retenir surtout les noms de deux maîtres de sainte Thérèse
d'Avila : François d'Ossuna, auteur du Gracieux Banquet,
et de six Abécédaires spirituels : deux sur la Passion, deux
sur l'ascèse, deux sur l'oraison ; et saint Pierre d'Alcantara
(1499-1562), l'un des plus grands mystiques franciscains,

Saint Pierre d'Alcantara

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KTNNIAt AKJH1R

Le souvenir de Saint François, au XVIIe siècle.

mais dont le Traité de l'Oraison et de Méditation est surtout


inspiré du Dominicain Louis de Grenade. On peut ajouter
le Capucin Mathias de Salo dont la Pratique de l'Oraison
mentale connut une grande diffusion. Quant à l'Observant
espagnol Jean de Bonilla, son mérite consiste surtout dans
l'influence que son Traité de la Paix de l'Ame exerça sur le
théatin Scupoli, auteur du fameux Combat Spirituel.
Avec le XVIIe siècle, nous entrons dans une ère particu
lièrement féconde. Les Conventuels offrent un grand nom :
le cardinal Brancati de Lauria, qui expose, dans ses Huit
Opuscules sur l'Oraison chrétienne, une doctrine claire et
très appréciée, devenue la référence des procès de canonisation.
La famille des Frères Mineurs a compté en Italie deux des
plus grands contemplatifs du siècle, dont les écrits font au
torité. Barthélémy de Saluées est mort en 1617, mais tous
ses ouvrages ont été composés après 1600 ; nommons : la
Lumière de VAme désireuse de monter à la Perfection, les
Sept trompettes pour éveiller le Pécheur à la Pénitence, et
surtout le Paradis des Contemplatifs. Le bienheureux Charles
de Sezze (1613-1670), frère convers presque illettré, s'éleva
à un si haut degré de vie intérieure que de nombreux religieux,
des cardinaux et le pape Clément IX lui-même recouraient
à ses lumières ; il a laissé quarante-cinq ouvrages, dont
le plus important est le Traité des trois Voies de la Méditation
105
et États de la sainte Contemplation. En France et en Belgique,
on doit aux Récollets plusieurs écrits de qualité : la Théologie
mystique de Boniface Maes, le Traité de la Vie intérieure de
Maximilien de Bernezay, la Conduite d'une Ame dans l'Oraison
d'Éloi Hardouin, les Exercices sacrés de l'Amour de Jésus de
Séverin Rubéric. Mais ce sont surtout les Capucins qui ont
multiplié, pendant le Grand Siècle français, les écrits ascé
tiques et mystiques ; leur chef de file est Benoît de Canfeld
(1561-1610), puritain converti au catholicisme ; son prin
cipal ouvrage est la Règle de Perfection ; on lui doit encore
une autobiographie : le Soliloque pieux et grave, un double
traité, dogmatique et moral, sur la conversion : le Chevalier
chrétien, et divers opuscules. Il eut une grande influence
à l'intérieur de son ordre ; de nombreux auteurs capucins
du xvne siècle se réclament de lui : le Belge Constan
tin de Barbanson (Les secrets Sentiers de l'Amour divin),
les Français Joseph du Tremblay, alias l'Éminence grise
(Introduction à la Vie spirituelle), Paul de Lagny (Le Chemin
abrégé de la Perfection chrétienne), Simon du Bourg (Les
saintes Élévations de l'Ame en Dieu). On trouve même chez
saint Vincent de Paul des réminiscences littérales de Canfeld.
Parmi les Capucins français, il faut encore citer le P. Yves
de Paris, très proche de saint François de Sales et de Fénelon,
qui, entre autres ouvrages réputés, a laissé les Morales chré
tiennes et les Progrès de l'Amour ; et le P. Bernardin de Paris,
qui s'est fait surtout connaître par son Esprit de saint François
formé sur celui de Jésus-Christ. Une place doit être faite à
un tertiaire régulier, le P. Jean-Chrysostome de Saint-Lô,
partisan du pur amour, dont il reste un Traité de la Désoccu-
pation des Créatures. Parmi les moniales, deux grands noms
se détachent : la tertiaire espagnole Marie d'Agreda (1602-
1665) et la Capucine italienne stigmatisée sainte Véronique
Juliani (1660-1727) ; la première écrivit l'énorme Cité
Mystique de Dieu, vie de la Vierge telle qu'elle la contempla
dans ses révélations : la fantaisie dont elle fait preuve ne
lui a concilié ni les théologiens ni les historiens. La seconde,
pour obéir à ses directeurs, n'a pas écrit moins de cinq
autobiographies et un Journal (Diario) qui leur fournit
leur substance, et dans lequel elles s'intercalent. Ces pages
comptent parmi les plus attachantes de la littérature mystique.
Pour le XVIIIe siècle, bien plus pauvre que le précédent,
il suffit de nommer le Capucin Ambroise de Lombez dont
le fameux Traité de la Paix Intérieure a connu, rien qu'en
106

« Le Chevalier Chrétien », par Benoit de Canfeld.


testâmes & equipage Ju ÔkthtllerXfôînB. 'jçT
Le Pay, Le Clou debout de ctm dt:,
ce Crcuct comment Je nommez vous t Le - 'In"*\
C h t. Il le nomme Innocence aOeu*re,me%
qui ferme le Greuet, le rendant parfait pour
l'aflcurance de la iambe. Car il ferre les
deux codez de Simplicité Extérieure , &
Simplicité' Intérieure^ les vniflant enfemblc '

(a)Prudence.
O) Compoftton de
memo ire , raifony en
tendement , docilité^
folicitude^pouruoyan -
ce » circonjpeâton fr
precaution.
(c) Prudence agouuer-
uerfoy-mtfroe.
(d) Prudence a goû-
uerner les autres.
(*) Prudence militai»
Tt.

j (f) Prudence cecono»


miqut.
(g) Prudence politi
que,
(h) Prudenctageu»

(i)DondeconfeiL
I uerner.
(K) Bon Conjeil.
(l)Droi& lugemtnT.
( m t Perfritâcit i da
iugtment.
(m) Beatitude de mi fai t,Sincérité. . ^

1
corde. *«> ^Couplet ) inno
», Sincérité de eon- cence de pen fées,
(0) Sien heureux Us mi-
uerfation. bby Innocence de pare-
fericordieux. x.Sincérité d'ami les.
4(p) Usreceurtnttuïft- né.
', ricorde, ce* Innocence tPau-
t• y, Sincérité de pre- ures,
meffs. ddy Prompte opera
{^Sincérité de corn- . tion.
France, plus de soixante éditions ; et le Réformé saint Léonard
de Port-Maurice, qui élargit son action missionnaire par la
publication de quelques opuscules spirituels sur le Chemin
de Croix, la confession et la messe. Le XIXe et le XXe siècle
ne nous ont pas révélé jusqu'ici de génie spirituel ; cependant
ils se distinguent par deux caractéristiques : l'abondance des
publications (ce qui est loin d'être toujours une référence)
et l'esprit de synthèse. Il est difficile de faire un choix, même
parmi les ouvrages solides. Quelques personnalités émergent
plus particulièrement ; chez les Capucins : les PP. Ubald
d'Alençon, Ludovic de Besse, Eugène d'Oisy, Etienne de
Paris, Gratien de Paris qui ont touché le public surtout
par le nombre et la qualité de leurs articles ; le P. Leopold
de Chérancé, spécialisé dans les hagiographies franciscaines ;
le P. Jean de Dieu, traducteur des œuvres de saint Bona
venture ; le P. Hilarin de Lucerne, auquel on doit l'admirable
Idéal de Saint François. Chez les Conventuels, le P. Léon
Veuthey. Chez les Frères Mineurs, les Italiens Agostino
Gemelli (f 1959) et Leone Bracaloni ; les Allemands Kajetan
Esser, Engelbert Grau, Lothar, Hardick ; et le Français
Valentin Breton (f 1958) dont la spiritualité, tout en s'appuyant
constamment sur les plus hautes vérités dogmatiques, s'ex
prime d'une façon à la fois concise, claire et pleine de ferveur.
Il y aurait beaucoup à dire encore de l'influence des maîtres
franciscains dans l'inspiration d'ouvragcs ou la fondation
d'instituts extérieurs à leur ordre. Qu'il suffise de mentionner,
dans le premier domaine, le fameux livre de l'Imitation de
Jésus-Christ, le plus célèbre des livres de spiritualité, dont
le titre lui-même est franciscain, et qui ne cite qu'un seul
saint : François d'Assise ; dans le second : la congrégation
des Passionistes, destinée à honorer la Passion du Christ
et à en propager le culte ; le fondateur, saint Paul de la Croix,
fut préparé à son œuvre par les Capucins, et un écrivain de
la nouvelle congrégation a pu dire : « Toute la discipline claus
trale [des Passionistes] porte l'empreinte de l'esprit franciscain
au point que l'on pourrait dire que les Passionistes sont
une nouvelle branche de l'ordre. »
L'esprit de saint François s'est répercuté naturellement
dans trois domaines : les pratiques de piété, la théologie
et la philosophie.
La double dévotion à la Crèche et à la Croix a été propagée
par saint François lui-même, comme aussi une plus tendre

108
intimité avec la Mère de Dieu. L'amour du Christ et de
ses mystères porta les Franciscains à la fréquentation des
Lieux saints, où ils s'établirent et dont ils devinrent les
gardiens officiels ; ils y inaugurèrent le Chemin de la Croix,
pèlerinage avec stations sur les lieux mêmes où Jésus souffrit
sa Passion ; dès le XVe siècle, cet exercice est exécuté
à domicile en s'attachant simplement par la pensée à l'iti
néraire sacré ; à partir du XVIIe siècle, il est pratiqué sous
sa forme actuelle et, au siècle suivant, saint Léonard de
Port-Maurice s'en fait le zélé propagateur.
L'ardeur des Franciscains n'est pas moins grande à l'égard
de l'Eucharistie ; dès 1230 le général Jean Parenti exige
que les hosties consacrées soient conservées dans des ciboires
en matière précieuse, et c'est un humble frère convers
franciscain, saint Pascal Baylon, que l'Église procla
mera patron des Œuvres Eucharistiques. Au XIVe siècle,
saint Bernardin et ses disciples, en particulier saint Jean
de Capistran, suscitèrent la dévotion au Saint Nom de
Jésus ; les premiers, ils en célébrèrent la fête ; Jeanne d'Arc
en fit broder l'anagramme sur son étendard, puis Ignace
de Loyola et son ordre l'adoptèrent comme emblème. Quant
à la dévotion au Sacré-Cœur, dont la sensibilité correspond
bien à l'esprit franciscain, elle fut développée et propagée
par plusieurs maîtres spirituels de l'ordre, notamment
saint Antoine, saint Bonaventure, Jacques de Milan et
Bernardin de Sienne.
L'Angélus, sonné maintenant dans toutes les églises du
monde, a été inventé par un compagnon de saint François,
Benoît d'Arezzo ; de même, c'est le ministre général Jean
de Parme qui ordonna à ses religieux de chanter après complies
l'une des quatre antiennes à la Sainte Vierge : cet usage
a été étendu ensuite à l'Église universelle.
Le souci d'appuyer la doctrine spirituelle de leur Père
sur des fondements rationnels et d'exploiter toutes les ri
chesses dogmatiques qu'elle renfermait a suscité chez les
Frères Mineurs, qui n'étaient au début qu'un groupe de
prédicateurs sans lettres, de prestigieuses vocations philo
sophiques et théologiques. Quelques décades après la mort
de saint François, les Franciscains ont envahi l'Université,
et leurs maîtres se hissent immédiatement à la hauteur des
Frères Prêcheurs, institués pour ce rôle didactique. Quatre
grands centres de la pensée médiévale ont été les témoins
de cette spécialisation du génie franciscain : Bologne, mais
109
Oxford et Paris surtout, et plus tard Cologne. Le premier
docteur franciscain, l'Anglais Alexandre de Halès (f 1245)
a fait pénétrer avec lui les sciences sacrées dans l'ordre ;
il avait en effet la cinquantaine et se trouvait à l'apogée de
sa gloire quand il revêtit la bure, installant avec lui l'ordre
de saint François dans une chaire de la Sorbonne ; surnommé
le Docteur Irréfragable, il est sinon l'auteur, du moins l'ini
tiateur de la première Somme théologique. Jean de la Rochelle,
son disciple, lui succéda dans sa chaire et s'illustra par
une originale accommodation d'Aristote à l'Augustinisme,
notamment dans sa Somme sur l'Ame. Mais le plus illustre
élève d'Alexandre fut saint Bonaventure, le Docteur Séraphique;
prince de la mystique, rénovateur de l'ordre franciscain,
artisan de l'union des Grecs et des Latins, Bonaventure
fut encore l'un des plus grands théologiens et philosophes
du Moyen Age ; vrai fils de saint François et digne conti
nuateur des maîtres augustiniens, toute sa doctrine compose
un véritable Itinéraire de l'Esprit à Dieu, comme s'intitule
l'un de ses plus célèbres ouvrages ; ardent admirateur de
la nature, il trouve dans la création sensible le premier
palier grâce auquel l'homme monte vers Dieu. Au contraire
de Thomas d'Aquin qui consacra sa vie à l'enseignement,
il fut enlevé à sa chaire au bout de quelques années pour
diriger son ordre ; aussi ses écrits n'offrent-ils pas le fini
et l'ampleur de son émule. Ce qui importe ici, c'est que,
dans cette science si suspecte au Poverello, il exprime avec
bonheur les principes dont celui-ci voulait voir vivre ses
frères. « On a souvent l'impression, écrit Etienne Gilson,
en lisant ses Opuscules ou même son Commentaire sur les
Sentences, que l'on est en présence d'un saint François
d'Assise qui s'oublierait à philosopher. »
Les élèves franciscains de Bonaventure qui enseignèrent
à sa suite font honneur à la théologie ; presque tous défendent
avec ardeur son esprit contre l'aristotélisme envahissant.
Ce sont principalement : Gauthier de Bruges, Jean Peckham,
Guillaume de la Mare et Mathieu d'Aquasparta. Le groupe
d'Oxford bénéficia moins de l'influence du Docteur Séra
phique, et ses principaux représentants : Thomas d'York,
Guillaume de Ware et Richard de Middletown, manifestent
une intéressante ouverture aux doctrines d'Aristote. Cette
tendance à s'écarter des positions traditionnelles s'accentue
avec le fameux Spirituel Pierre Olieu et son disciple Pierre
de Trabes. Il faut réserver une place toute spéciale à Roger
Bacon (1210-1292), oxonien lui aussi, l'un des hommes les
plus curieux du Moyen Age, qui, dans ses écrits : Opus
majus, Opus minus, Opus tertium, etc.. se pose nettement
en novateur et en adversaire des méthodes admises ; s'il
reste fidèle à l'augustinisme par sa doctrine de l'illumination
intérieure, il est surtout le grand précurseur de la science
expérimentale qui verra le jour trois cents ans plus tard,
insistant sur la certitude et l'indépendance de la connaissance
sensible et préconisant, pour lui donner plus d'ampleur et
de précision, l'emploi des instruments et des mathématiques.
Cependant, le grand Docteur de l'ordre franciscain est
incontestablement Jean Duns Scot (1266-1308), professeur
successivement à Oxford, à Paris et à Cologne, et dont l'en
seignement se trouve surtout dans l'Ouvrage Oxonien,
l'Ouvrage Parisien, les Questions de Métaphysique et le Premier
Principe. Une mort prématurée n'a pas laissé à ce puissant
génie le temps de réaliser méthodiquement sa synthèse
doctrinale ; pourtant, les thèmes qu'il a traités, surtout en
théologie, portent la marque à la fois du nouveau et du
définitif. Opposé à saint Thomas et à son école — avec
d'ailleurs équité et courtoisie —, il n'en est pas pour cela
un pur disciple de Bonaventure ; aux contemporains il
préfère les Pères de l'Église ; il s'attache surtout à saint
Augustin dans l'esprit et dans le détail, tout en donnant
aux problèmes théologiques des solutions plus nettes ; la
virtuosité de son argumentation, mais surtout la profondeur
de ses raisonnements lui ont consacré le surnom de Docteur
Subtil. Ce qui est le plus remarquable, dans la théologie
scotiste, c'est la place suréminente qu'elle reconnaît au
Christ dans l'œuvre de la Création et de la Rédemption ;
cette primauté absolue que saint François accorde au Christ
dans sa spiritualité, Scot la lui donne dans le dogme : celui
que saint Paul appelle le « Premier-né de toutes les créatures »,
et qui s'intitule, dans l'Apocalypse de saint Jean, « l'Alpha
et l'Oméga, le Principe et la Fin », est non seulement le
Rédempteur, le Médiateur et le Modèle des hommes, mais
encore la cause, le chef et l'achèvement de toute la création,
spirituelle et sensible ; la fête du Christ-Roi est la conséquence
liturgique de cette conception. D'une telle dignité, la Mère
du Christ est la première bénéficiaire : de là l'affirmation
de l'Immaculée-Conception de la Vierge, reprise des Pères,
que le Docteur Mariai défendit contre toute l'Université
et qu'il fit triompher.
Joannes Sco
Jean Duns Scot

Avec Scot s'achève l'élaboration de la théologie francis


caine ; tout ce qui, après lui, s'écrira de neuf dans l'ordre
portera sur des points secondaires. Le plus grand nom de
la pensée décadente, au XIVe siècle, est celui du fran
ciscain Guillaume d'Occam (f 1349) ; disciple et correc
teur de Scot, il porta à leurs extrêmes les propositions de
son maître, et plusieurs de ses thèses furent condamnées par
Rome ; ses idées n'en manquèrent pourtant pas d'adeptes
pendant tout le XVe siècle. Dans la ligne traditionnelle,
l'école séraphique a donné encore quelques bons théologiens :
Claude Frassen au XVIIe siècle, Jérôme de Montefortino
et Théodoric de Munster au XVIIIe et, au début du XXe,
les Français Chrysostome Urrutibéhéty et Déodat de Basly,
qui vulgarisèrent et défendirent, l'un avec impétuosité,
l'autre avec poésie, la doctrine du Docteur subtil.

Les sources de la pensée franciscaine se situant au Moyen


Age, la théologie, la philosophie et la spiritualité elle-même
réclament de s'appuyer sur la tradition en s'aidant de la
critique historique. Dans ce but les Frères Mineurs de
l'Observance ont fondé en 1877, à Quaracchi près de Florence,
le fameux Collège Saint-Bonaventure qui, sous la direction
successive des PP. Fidèle de Fanna et Ignace Jeiler, entreprit
l'édition critique des œuvres de saint Bonaventure ; le
travail dura trente-deux ans. Actuellement, les Pères de
Quaracchi préparent l'édition d'Alexandre de Halès et de
Bernardin de Sienne ; parallèlement, une Commission sco-
tiste s'applique à Rome à l'édition de Duns Scot. Le Collège
Saint-Bonaventure a publié d'autres travaux d'envergure :
les Analecta franciscana, la Bibliothèque franciscaine scolastique
et la Bibliothèque franciscaine ascétique du Moyen Age ;
continuant la tâche entreprise au XVIIe siècle par Luc Wadding
(Annales des Mineurs) et Dominique de Sospel (Le Monde
séraphique) il s'efforce en outre de ressusciter, par des revues
spécialisées, le passé de l'ordre, rivalisant dans ce domaine
avec l'Institut historique des Capucins et le Collège séraphique
international des Conventuels. Ceux-ci y possèdent une
faculté de théologie qui a le privilège de la collation des
grades. Quant aux Frères Mineurs, ils dirigent l'Université
Antonienne, où étudient les futurs professeurs ès-sciences
canoniques (dont les annexes en Amérique sont l'Institut
Saint-Bonaventure à New York et l'Institut Médiéval de
Québec), un Collège apostolique pour les missionnaires et
un Collège pédagogique pour les éducateurs, un Institut
supérieur à Naples avec deux facultés profanes : sciences
et lettres, et deux instituts bibliques : l'un à Jérusalem,
l'autre à Hong-Kong qui traduit la Bible en langue chinoise.
Les principaux religieux français qui se sont illustrés dans
l'histoire franciscaine au XXe siècle sont, chez les Frères
Mineurs : les PP. Éphrem Longpré (Canadien français)
et Antoine de Sérent ; chez les Capucins : les PP. Edouard
d'Alençon et Gratien de Paris. Il arrive même parfois à certains
113
religieux de pratiquer des spécialités inattendues ; les cir
constances expliquent alors ces cas particuliers. En voici deux.
Le P. van Breda, professeur de philosophie à l'Université
de Louvain, dirige l'édition des œuvres de Husserl (45 000
pages de manuscrits !) ; cela provient de ce que, pour dérober
ces inédits à la fureur nazie, la femme du philosophe défunt
les confia au jeune Franciscain, son élève à Fribourg. Le
P. Agostino Gemelli, l'un des plus éminents psychologues
et physiologistes de notre époque, fut recteur de l'Université
catholique de Milan et président de l'Académie pontificale
des Sciences ; on comprend ce fait lorsqu'on sait que le
docteur Gemelli, savant socialiste, se convertit au cours de
sa carrière et entra dans l'ordre de saint François.

LA SÈVE FRANCISCAINE

La descendance de saint François ne se trouve pas seule


ment dans son ordre. La sève franciscaine, trop abondante
pour irriguer seulement l'arbre franciscain, a débordé de toutes
parts et fécondé autour d'elle mainte terre étrangère ; et l'on
a pu appeler quatrième ordre la foule des hommes qui, venus
de tous les horizons, ont apporté au Pauvre d'Assise le tribut
de leur amour et de leur admiration. L'apostat Renan
l'appelle « le seul parfait chrétien depuis Jésus »; l'agnostique
Taine le place au sommet de la pensée médiévale ; le pasteur
protestant Paul Sabatier lance les études historiques sur sa
personne ; Gandhi l'exalte comme l'un des plus grands
sages du monde. De son vivant des foules nombreuses vou
draient entrer dans son ordre; à peine est-il mort que l'Europe
entière le connaît et se précipite à sa suite : les princesses
d'Europe centrale peuplent les monastères de Clarisses ;
Louis d'Anjou, prince héritier des Deux-Siciles,. revêt la
bure ; Louis IX de France, Ferdinand III de Castille,
Rodolphe de Habsbourg, Bêla IV de Hongrie sont admis
dans le Tiers-Ordre, comme plus tard le seront Charles-
Quint, Marie-Thérèse d'Autriche, Alphonse XIII d'Espagne
et Pedro II du Brésil ; Dante, Pétrarque, Cervantes, Lope
de Vega sont tertiaires, Christophe Colomb est tertiaire,
Michel-Ange, Raphaël, Murillo sont tertiaires comme
Palestrina, Liszt et Gounod; tertiaire aussi Garcia Moreno,
114
le président-martyr de l'Equateur, et Volta, et Galvani, et
Branly, et tous les papes contemporains, de Léon XIII à
Jean XXIII. Au xme siècle, le Poverello inspire les artistes
comme jamais homme ne les avait inspirés ; c'est un tressaille
ment de génie dans toute l'Italie ; Assise devient comme une
capitale de l'architecture et, pour abriter le tombeau du saint,
frère Élie trouve en quelques années des maîtres capables
d'édifier l'une des plus merveilleuses basiliques de la
chrétienté.
La pensée occidentale a beaucoup reçu, elle aussi, de saint
François. Son esprit libre et universel a traversé les généra
tions ; ses fils se sont trouvés à l'étroit dans la mentalité
scolastique, l'ont bousculée et transformée. A l'heure actuelle,
dans la théandrie de Solovievet de Berdiaev, dans le personna-
lisme de Marcel et de Mounier qui fait une si grande place
à l'incarnation de l'esprit, dans l'assomption de la création
sensible de Teilhard de Chardin, et dans toutes ces doctrines
qui laissent l'idée pure à ses cadres vermoulus pour donner
un objet à l'homme total, on trouve une parenté avec l'esprit
de saint François.
De cet esprit qui ne connaît pas de pécheurs, mais des
frères dans le Christ ; qui ne veut recourir ni au bras séculier,
ni à l'apologétique, mais préfère donner le spectacle d'une
vie évangélique, a jailli ce qui reste le plus constant dans la
sève franciscaine : l'amour des pauvres. Au Moyen Age,
la règle du Tiers-Ordre avait tenté de résoudre la question
sociale, et elle avait réussi partout où s'étaient constituées
des fraternités d'authentiques tertiaires : elle proscrivait
tout luxe de vêtement et de la table, toute dépense superflue,
tout orgueil de sang ou de situation, réclamant aux riches
de traiter les pauvres comme leurs égaux et de vivre comme
eux, réunissant dans une même affection les membres des
différentes classes sociales ; on vit alors des communautés
semblables à celles que formaient les chrétiens de l'âge
apostolique, dans lesquelles les riches donnaient leurs biens
aux pauvres, et les pauvres continuaient à travailler par vertu.
D'autre part, la règle faisait une obligation à ses adhérents
de ne pas porter les armes ; cette clause désorganisa en Italie
les milices communales et raréfia les guerres locales.
Au XVe siècle, l'intérêt élevé que réclamaient les banquiers
endettait ou ruinait tant de gens modestes qu'il était devenu
un fléau. Le Franciscain Barnabe de Terni fonda les monts-
de-piété, établissements de prêts sur gage sans intérêt ;
" 5
cette institution fut propagée par le bienheureux Bernardin
de Feltre. On reprochait à celui-ci de trop parler des déshé
rités. « Les chiens, répondit-il, aboient pour leur maître,
et je ne devrais pas aboyer pour le Christ si indignement
traité dans la personne de ses pauvres ! » Deux siècles plus
tard, saint Vincent de Paul, fils de saint François par le
Tiers-Ordre, organise la charité d'une façon bien plus
admirable encore. Les trois saints qui, dans la misérable
Italie du xixe siècle, accomplirent des merveilles de charité
comparables à celles de saint Vincent de Paul : Jean Bosco,
Joseph Cafasso, Joseph-Benoît Cottolengo étaient aussi
tertiaires franciscains, et le premier, pénétré d'amour pour
le Père des pauvres, avait d'abord envisagé de se faire Frère
Mineur. A la même époque, deux grands amis des pauvres
se réclament de saint François et appartiennent au troisième
ordre : le Père Chevrier, fondateur du Prado, se fait dans ses
écrits spirituels le chantre de la pauvreté ; Frédéric Ozanam,
créateur des Conférences de saint Vincent de Paul, étudie
les Poètes franciscains et édite les Fioretti. Léon Harmel,
patron dévoué aux droits de ses ouvriers, et Marius Gonin,
organisateur des Semaines Sociales, puisent eux aussi leur
sens des hommes dans le message franciscain.
Des hommes ont faim. Mais l'homme ne vit pas seulement
de pain : il doit encore être nourri de la parole divine. Il
ne faut pas faire aux pauvres l'injure de les traiter comme des
corps sans âmes. Les pauvres sont-ils évangélisés? Malgré
de beaux efforts et d'ingénieuses méthodes, les enquêtes
répondent négativement. La charité franciscaine suscitera-
t-elle demain de nouvelles formes de sainteté capables
d'implanter la présence du Christ parmi ses frères malheu
reux?

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Anthologie franciscaine

ÉCRITS CHOISIS DE SAINT FRANÇOIS

Fragments de la règle de 1221


(Première règle conservée)
CHAPITRE XVII
DES PRÉDICATEURS.

Que nul des frères ne prêche contrairement à l'usage de


la doctrine de la sainte Église Romaine ni sans la permission
de son ministre. Que le ministre veille à ne la concéder à
personne imprudemment. Cependant que tous les frères
prêchent par leurs actes. Qu'aucun ministre ou prédicateur
ne s'attribue-en propre le gouvernement des frères ou l'office
de la prédication, mais qu'à toute heure où on le lui comman
dera, il abandonne sa charge sans débats. Aussi je supplie,
au nom de l'amour qui est Dieu, tous mes frères prédica
teurs, orants et travailleurs, clercs ou lais de s'appliquer
à s'humilier en tout, de ne pas se glorifier ni se réjouir,
ni s'exalter intérieurement de leurs beaux discours ou de
leurs belles actions, ni même d'aucun bien que Dieu dit, fait
ou accomplit quelquefois en eux et par eux, conformément
à cette parole du Seigneur : Ne prenez pas sujet de joie de
ce que les esprits vous sont soumis.
119
Saint François
Première effigie, peinte sans doute de son vivant (1222 ?).
(Anonyme, Subiaco)
Soyons fermement convaincus que nous n'avons en propre
que nos vices et nos péchés. Et nous avons plutôt sujet de
nous réjouir dans les diverses épreuves qui tombent sur nous
lorsque nous souffrons dans notre âme et notre corps toutes
sortes d'angoisses et de tribulations en ce monde pour la
vie éternelle. Mes frères, tous, préservons-nous donc de
tout orgueil et de toute vaine gloire. Gardons-nous de la
sagesse de ce monde et de la prudence de la chair : l'esprit
charnel aime et recherche surtout les paroles, il se soucie
peu des actes et ne s'occupe pas d'une religion et d'une
sainteté intérieures ; il désire et il veut une religion et une
sainteté d'apparence extérieure. C'est de ceux-là que le
Seigneur a dit : En vérité, je vous l'affirme, ils ont reçu leur
récompense. L'esprit du Seigneur, au contraire, désire que
la chair soit mortifiée et méprisée, vile et abjecte et injuriée, il
cherche l'humilité et la patience, la pure simplicité, la véri
table paix spirituelle, et, avant tout, toujours, il désire la
crainte divine, la sagesse divine et le divin amour du Père,
du Fils et de l'Esprit-Saint.
Et rapportons tous les biens au Très-Haut et Souverain
Seigneur Dieu, reconnaissons que tous les biens sont à lui,
rendons-lui grâces de tous, car c'est de lui que procède tout
bien. Que le Très-Haut, le Souverain Seigneur, le seul
vrai Dieu, possède, qu'on lui rende et qu'il reçoive tous les
honneurs et respects, toutes les louanges et bénédictions,
toutes les actions de grâces et toute la gloire, Lui à qui tout
bien appartient, Lui qui seul est bon. Et quand nous voyons
ou entendons dire ou faire le mal ou blasphémer contre Dieu,
bénissons le Seigneur, faisons une bonne œuvre et louons
celui qui est béni dans les siècles. Amen.

CHAPITRE XXIII
PRIÈRE, LOUANGE ET ACTION DE GRACES.

Dieu tout-puissant, très haut et souverain Père saint et


juste, Seigneur roi du ciel et de la terre, nous vous rendons
grâces à cause de vous-même, car par votre volonté sainte,
par votre Fils unique et dans votre Esprit Saint, vous avez
créé les êtres spirituels et corporels, vous nous avez faits à
votre image et à votre ressemblance, placés dans le paradis,
et "hous par notre faute nous avons tout perdu.
Nous vous rendons grâces aussi, car, de même que vous
nous avez créés par votre Fils, ainsi par la vraie et sainte
dilection que vous avez eue pour nous, vous l'avez fait naître
vrai Dieu et vrai homme de la glorieuse et bienheureuse
sainte Vierge Marie, et vous avez voulu nous racheter de notre
captivité par sa croix, son sang et sa mort.
Et nous vous rendons grâces encore parce que votre
Fils lui-même reviendra dans la gloire de sa majesté pour
envoyer au feu éternel les maudits, ceux qui n'ont pas eu
de repentir et ne vous ont pas connu, et pour dire à tous
ceux qui vous ont connu, adoré et servi dans la pénitence :
Venez les bénis de mon Père, recevez le Royaume qui vous
a été préparé dès l'origine du monde.
Et parce que nous tous misérables et pécheurs, nous
ne sommes pas dignes de prononcer votre nom, nous supplions
Notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils bien-aimé, en qui
vous avez mis vos complaisances, qui peut toujours tout
auprès de vous et par qui vous nous avez accordé tant de
bienfaits, de vous rendre grâces, comme il vous plaît, avec
le Saint-Esprit consolateur, et pour toutes vos créatures.
Alleluia !
Et la glorieuse et bienheureuse Marie, Mère de Dieu
toujours vierge, les bienheureux Michel, Gabriel et Raphaël,
tous les chœurs des esprits bienheureux, Séraphins, Chérubins
et Trônes, Dominations, Principautés et Puissances, Vertus,
Anges et Archanges, le bienheureux Jean-Baptiste, Jean
l'Évangéliste, Pierre et Paul, les bienheureux patriarches,
les prophètes, les saints Innocents, les apôtres, évangélistes,
disciples, martyrs, confesseurs, vierges, les bienheureux
Élie et Enoch, tous les saints qui ont été, qui seront et qui
sont, nous les prions humblement pour votre amour de
vous rendre grâces, comme il vous est agréable de tous ces
bienfaits, Dieu souverain, vrai, éternel et vivant, avec votre
Fils très cher Notre Seigneur Jésus-Christ, et le Saint-Esprit
Paraclet dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. Alleluia.
Et tous ceux qui veulent servir le Seigneur Dieu dans
la sainte Église catholique et apostolique, tous les ordres
ecclésiastiques, prêtres, diacres, sous-diacres, acolytes, exor
cistes, lecteurs, portiers, tous les clercs, tous les religieux
et toutes les religieuses, les jeunes gens et les enfants, les
pauvres et les malheureux, les rois, les princes, les ouvriers,
les laboureurs, les serviteurs et les maîtres, les vierges, les
continents et les personnes mariées, les laïcs, hommes et
femmes, les tout-petits, les adolescents, les jeunes gens,
les vieillards, les bien-portants et les infirmes, les humbles
et les grands, et tous les peuples, les races, les tribus et les
langues, toutes les nations et tous les hommes de toute la
terre, présents et à venir, nous les prions humblement,
nous les supplions, nous tous, Frères Mineurs, serviteurs
inutiles, de demander pour nous la grâce de la persévérance
dans la vraie foi et la pénitence, car personne ne peut se
sauver autrement.
Aimons tous de tout notre cœur, de toute notre âme, de
tout notre esprit, de toute notre force, de toute notre intelligence,
de toutes nos énergies, de tout notre élan, de toute notre
affection, de toutes nos entrailles, de tous nos désirs et de
toute notre volonté, le Seigneur Dieu qui nous a donné
et nous donne à tous tout notre corps, toute notre âme et
toute notre vie, qui nous a créés, rachetés et sauvés par
sa seule miséricorde, qui nous a donné et nous donne tous
les biens, à nous misérables et malheureux, corrompus et
infects, ingrats et méchants.
N'ayons donc aucun autre désir, aucune autre volonté,
que rien d'autre ne nous plaise ou n'ait d'attrait pour nous,
sinon notre Créateur, Rédempteur et Sauveur, seul vrai
Dieu, qui est le bien dans sa plénitude, qui est tout bien et
tout bon, le vrai et souverain bien qui seul est bon, miséri
cordieux et tendre, plein de douceur et de suavité, qui est
seul saint, juste, vrai et droit, qui seul a la bénignité, l'inno
cence et la pureté, de qui, par qui, et en qui se trouvent
tout pardon, toute grâce, toute la gloire de tous les pénitents
et de tous les justes, de tous les bienheureux qui se réjouissent
au ciel. Que plus rien donc ne nous empêche, nous sépare,
nous corrompe. Partout, en tout lieu, en tout temps, à toute
heure, chaque jour et continuellement, croyons tous vraiment
et humblement, et de tout notre cœur, aimons, honorons,
adorons et servons, louons et bénissons, glorifions et exaltons,
célébrons et remercions le Très-Haut, Souverain Dieu,
éternel, Trinité et Unité, Père et Fils et Saint-Esprit Créateur
de toutes choses, Sauveur de ceux qui croient et espèrent
en lui et qui l'aiment, Dieu immuable sans fin ni commen
cement, invisible, inexprimable, ineffable, incompréhensible,
insaisissable, béni, loué, glorieux, exalté, grand, sublime, suave,
aimable, délectable, entièrement et par-dessus tout désirable
dans les siècles des siècles.
Au nom du Seigneur je prie tous les frères d'apprendre

Saint François donne la Règle au Premier Ordre.


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«affiome tttcfttfimatams confirma
Jut bolls mttttmojtcmipûiiepaf
fiLri^cciUieoUttspapa ^C^«

-•j-rs^imttr
""Nfon fra«wtfrc.
In tcuiio cclott.rtioio âffdflU c 5ftbr frilctfc •
le texte et le sens des paroles écrites dans cette règle de vie
pour le salut de notre âme. Qu'ils les repassent fréquemment
dans leur mémoire. Et je supplie Dieu tout-puissant, trine
et un, de bénir lui-même tous ceux qui les enseignent, les
apprennent, les possèdent, les retiennent, les mettent en
pratique et chaque fois qu'ils se remémorent et observent
ce qui est ici écrit pour notre salut. Je les prie tous en leur
baisant les pieds, d'aimer, d'observer et de conserver cette
règle.
Et de la part du Dieu tout-puissant et du seigneur pape,
et par obéissance, moi frère François, je prescris fermement
et j'ordonne que personne n'ajoute ou ne retranche quelque
chose à ce qui est écrit dans cette forme de vie, et que les
frères n'adoptent pas d'autre règle.
Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il
était dès le commencement, maintenant et toujours dans
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Règle des Frères Mineurs


( Seconde règle, dite de 1223) - Cette règle définitive est celle qu'observent
actuellement les religieux de l'ordre de Saint-François.

CHAPITRE I
AU NOM DU SEIGNEUR COMMENCE LA VIE DES FRÈRES MINEURS.

La Règle et la vie des Frères Mineurs consiste à observer


le saint Évangile de Notre Seigneur Jésus-Christ, en vivant
dans l'obéissance, sans avoir rien en propre et dans la chasteté.
Le Frère François promet obéissance et respect au Seigneur
Pape Honorius et à ses successeurs canoniquement élus,
et à l'Église Romaine. Pour les autres Frères, qu'ils soient
tenus d'obéir au Frère François et à ses successeurs.

CHAPITRE II
DE CEUX QUI VEULENT EMBRASSER CE GENRE DE VIE ET
COMMENT ILS DOIVENT ÊTRE REÇUS.

S'il en est qui veulent embrasser ce genre de vie et viennent


à nos Frères, que ceux-ci les envoient à leurs Ministres
124
Approbation de la Règle par Innocent III.
(Benozzo Gozzoli, Montefalco)
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Provinciaux, auxquels seuls, et non à d'autres, appartiendra
le pouvoir de recevoir des Frères. Que les Ministres les
examinent soigneusement sur la foi catholique et sur les
sacrements de l'Église. S'ils croient toutes ces choses, et
s'ils sont décidés à les professer fidèlement et à les observer
résolument jusqu'à la fin, et s'ils ne sont point mariés, ou
s'ils le sont, que leurs femmes soient déjà entrées dans un
monastère ou du moins qu'elles leur aient permis, avec
l'autorisation de l'Évêque diocésain, d'entrer en religion,
après avoir fait elles-mêmes vœu de continence, étant au
reste d'un âge à ne pas inspirer de soupçon, alors, que les
Ministres leur disent la parole du saint Évangile : « Qu'ils
aillent et vendent tout ce qu'ils ont, et qu'ils aient soin de
le distribuer aux pauvres. » Que s'ils ne le peuvent faire,
la bonne volonté leur suffit. Mais que les Frères et leurs
Ministres se gardent de s'inquiéter de leurs biens temporels,
afin qu'ils aient la liberté d'en disposer, selon que le Seigneur
le leur inspirera. Cependant, s'ils demandent conseil, il
sera permis aux Ministres de les adresser à quelques personnes
craignant Dieu, d'après l'avis desquelles ils puissent dis
tribuer leurs biens aux pauvres. Ensuite, qu'on leur accorde
l'habit de probation, savoir : deux tuniques sans capuce,
une corde, des caleçons et un chaperon descendant jusqu'à
la ceinture, à moins que les Ministres ne jugent quelquefois
autrement selon Dieu. Après l'année de probation, qu'ils
soient reçus à l'obéissance, en promettant d'observer toujours
ce genre de vie et cette règle. Et, d'après le commandement
du Seigneur Pape, il ne leur sera nullement permis de sortir
de cette religion, parce que selon le saint Évangile : « Qui
conque ayant mis la main à la charrue regarde en arrière
n'est pas apte au Royaume de Dieu. » Que ceux qui ont
déjà promis obéissance aient une tunique avec capuce, et,
s'ils le veulent, une autre sans capuce. Ceux qui sont forcés
par la nécessité pourront porter des chaussures. Que tous
les Frères soient vêtus d'habits de vil prix et qu'ils puissent
les rapiécer de sacs et d'autres pièces, avec la bénédiction
de Dieu. Je les avertis et leur recommande de ne point
mépriser et de ne point juger les personnes qu'ils voient
se vêtir mollement et porter des habits aux couleurs voyantes,
rechercher la délicatesse dans le boire et le manger ; mais
plutôt que chacun se juge et se méprise soi-même.

126
CHAPITRE III
DE L'OFFICE DIVIN, DU JEUNE,
ET COMMENT LES FRÈRES DOIVENT ALLER PAR LE MONDE.

Que les clercs, dès qu'ils pourront avoir des bréviaires,


récitent l'Office divin selon l'usage delà Sainte Église Romaine,
à part le Psautier. Quant aux Frères Lais, qu'ils disent
vingt-quatre Pater Noster pour Matines, cinq pour Laudes ;
sept pour chacune de ces heures : Prime, Tierce, Sexte et
None ; douze pour Vêpres ; sept pour Complies ; et qu'ils
prient pour les défunts. Que les Frères jeûnent depuis la
fête de tous les Saints jusqu'à la Nativité du Seigneur. Pour
le saint Carême qui, commençant à l'Epiphanie, dure quarante
jours consécutifs, et que Notre-Seigneur a consacré par
son saint jeûne, que ceux qui veulent bien l'observer soient
bénis du Seigneur, et que ceux qui ne veulent pas n'y soient
pas contraints. Tous, au contraire, devront jeûner pendant
l'autre Carême qui dure jusqu'à la Résurrection du Seigneur.
En d'autres temps, ils ne seront obligés de jeûner que le
vendredi. Mais dans une nécessité évidente, les Frères ne
seront point tenus au jeûne corporel. Lorsque mes Frères
vont par le monde, je leur conseille, je les avertis et je leur
recommande en Notre-Seigneur Jésus-Christ d'éviter les
démêlés et les contestations, et de ne point juger les autres,
mais d'être doux, pacifiques et modestes, pleins de mansué
tude et d'humilité, parlant honnêtement à tout le monde,
selon les convenances. Ils ne doivent pas aller à cheval, à
moins d'y être forcés par une nécessité évidente ou par
l'infirmité. En quelque maison qu'ils entrent, qu'ils disent
d'abord : Paix à cette maison ; et, selon le saint Évangile,
qu'il leur soit permis de manger de tous les mets qui leur
sont présentés.

CHAPITRE IV
QUE LES FRÈRES NE REÇOIVENT POINT D'ARGENT.

Je défends formellement à tous les Frères de recevoir


en aucune manière monnaie ou argent, par eux-mêmes
ou par une personne interposée. Cependant pour les nécessités
des malades et le vêtement des autres Frères, que les Ministres
et les Custodes seulement, par le moyen d'amis spirituels,
y pourvoient avec grand soin selon les lieux, les temps et
les pays froids, ainsi qu'ils le jugeront nécessaire; sauf tou
jours, comme il a été dit, qu'ils ne reçoivent ni monnaie
ni argent.

CHAPITRE V
DE LA MANIÈRE DE TRAVAILLER.

Que ceux des Frères à qui le Seigneur a fait la grâce de


travailler, travaillent avec fidélité et dévotion, de sorte que,
évitant l'oisiveté, ennemie de l'âme, ils n'éteignent point
l'esprit de la sainte oraison et de la dévotion auquel doivent
être subordonnées toutes les autres choses temporelles.
Quant à la récompense de leur travail, qu'ils reçoivent pour
eux et pour leurs Frères ce qui est nécessaire à la vie, excepté
de la monnaie ou de l'argent, et cela avec humilité, comme
il convient à des serviteurs de Dieu et à des disciples de
la très sainte Pauvreté.
128
CHAPITRE VI
QUE LES FRÈRES N'AIENT RIEN EN PROPRE,
DE L'AUMÔNE A DEMANDER ET DES FRÈRES MALADES.

Que les Frères n'aient rien en propre, ni maison, ni terrain,


ni autre chose ; mais comme des pèlerins et des étrangers
en ce siècle servant le Seigneur dans la pauvreté et l'humilité,
qu'ils aillent à la quête avec confiance. Et il ne faut pas
qu'ils aient honte, car le Seigneur pour nous s'est fait pauvre
en ce monde. Voilà l'excellence de la très haute pauvreté,
qui vous a établis, mes très chers Frères, héritiers et rois
du Royaume des Cieux, vous a faits pauvres de toutes choses,
vous a rendus sublimes en vertus. Qu'elle soit votre partage,
elle qui conduit dans la terre des vivants. A elle, très aimés
Frères, attachés totalement, veuillez, pour le nom de Notre-
Seigneur Jésus-Christ, ne posséder à tout jamais rien autre
chose sous le ciel. En quelque endroit que soient et se ren
contrent les Frères, qu'ils se montrent mutuellement entre
eux de la même famille, et qu'en toute sûreté, l'un manifeste
à l'autre ses nécessités ; car si une mère nourrit et chérit
son fils selon la chair, avec combien plus d'affection chacun
ne doit-il pas aimer et nourrir son frère selon l'esprit. Et
si quelqu'un d'eux tombe malade, les autres Frères doivent
le servir comme ils voudraient eux-mêmes être servis.

CHAPITRE VII
DE LA PÉNITENCE A IMPOSER AUX FRÈRES QUI ONT PÉCHÉ.

Si quelques-uns des Frères, à l'instigation de l'ennemi,


commettent un de ces péchés mortels pour lesquels il aura
été statué parmi les Frères qu'on recoure aux seuls Ministres
Provinciaux, que ces Frères soient tenus de recourir à eux
le plus tôt qu'ils pourront, sans retard. Quant aux Ministres,
s'ils sont prêtres, qu'ils leur imposent la pénitence avec
miséricorde ; s'ils ne sont pas prêtres, qu'ils la leur fassent
imposer par d'autres, prêtres de l'ordre, comme ils le juge
ront plus à propos selon Dieu. Et ils doivent bien se garder
de s'emporter et de se troubler au sujet du péché de l'un
d'eux, parce que leur colère et leur trouble sont un obstacle
à la charité en eux-mêmes et dans les autres.
129
CHAPITRE VIII
DE L'ÉLECTION DU MINISTRE GÉNÉRAL,
DE CETTE FRATERNITÉ ET DU CHAPITRE DE LA PENTECOTE.

Que tous les Frères soient tenus d'avoir toujours un Frère


de cette Religion pour Ministre Général et Serviteur de
toute la Fraternité; et qu'ils soient tenus fermement de lui
obéir. A son décès, que l'élection de son successeur soit faite
par les Ministres Provinciaux et les Custodes au Chapitre
de la Pentecôte auquel les Ministres Provinciaux seront
toujours obligés de se réunir, en quelque endroit qu'il ait
été convoqué par le Ministre Général : et cela, une fois tous
les trois ans, ou plus ou moins souvent, selon qu'il aura été
réglé par ce même Ministre. Et si en quelque temps il parais
sait à l'universalité des Ministres Provinciaux et des Custodes
que ce Ministre ne pût suffire au service et à l'utilité commune
des Frères, que ces mêmes Frères, auxquels appartient
l'élection, soient obligés au nom du Seigneur, d'en élire
un autre pour Custode. Après le Chapitre de la Pentecôte,
les Ministres et les Custodes pourront, la même année, dans
leurs Provinces respectives, s'ils le jugent opportun, convoquer
une fois leurs Frères en Chapitre.

CHAPITRE IX
DES PRÉDICATEURS.

Que les Frères ne prêchent point dans le Diocèse d'un


Évêque, lorsqu'il s'y oppose ; et qu'aucun des Frères n'ose
aucunement prêcher au peuple, s'il n'a été examiné et approuvé
par le Ministre Général de cette Fraternité, et s'il n'a reçu
de lui l'office de prédicateur. J'engage aussi et j'exhorte
les mêmes Frères, à tenir dans leurs prédications un langage
soigné et chaste, pour l'utilité et l'édification du peuple,
en lui exposant les vices et les vertus, la peine et la gloire
avec brièveté de discours, parce que le Seigneur a abrégé
la parole sur la terre.
130
Berlinghieri (Pcscia).
CHAPITRE X
DE L'ADMONITION ET DE LA CORRECTION DES FRÈRES.

Que les Frères qui sont Ministres et Serviteurs des autres


Frères visitent et avertissent leurs Frères ; qu'ils les corrigent
avec humilité et charité, ne leur commandant rien qui soit
contre leur conscience et notre Règle. Quant aux Frères
qui sont sujets, qu'ils se souviennent que, pour Dieu, ils
ont fait abnégation de leur volonté propre. Aussi, je leur
commande formellement d'obéir à leurs Ministres en tout
ce qu'ils ont promis au Seigneur d'observer et qui n'est pas
contraire à leur conscience et à notre Règle. Et, en quelque
endroit que soient les Frères, s'ils sentent et reconnaissent

Qu'ils les corrigent avec humilité...


ne pouvoir observer la Règle selon l'esprit, ils devront et
ils pourront recourir à leurs Ministres. De leur côté, que les
Ministres les reçoivent avec charité et bienveillance et leur
témoignent tant de bonté que les Frères puissent parler et
agir avec eux comme des maîtres avec leurs serviteurs. Car
il doit en être ainsi : il faut que les Ministres soient les ser
viteurs de tous les Frères. De plus, je recommande bien à
mes Frères et je les y exhorte en Notre-Seigneur Jésus-Christ,
de se préserver de tout orgueil, de la vaine gloire, de l'envie,
de l'avarice, des soucis et de la sollicitude de ce monde,
de la médisance et du murmure. Que ceux qui ignorent les
lettres ne se mettent point en peine de les apprendre ; mais
qu'ils considèrent qu'ils doivent par-dessus tout souhaiter

Se préserver de l'avarice...
d'avoir l'esprit du Seigneur et sa sainte opération, de s'élever
toujours à Dieu par la prière d'un cœur pur, et de pratiquer
l'humilité et la patience dans la persécution et dans l'infirmité,
et d'aimer ceux qui nous persécutent, nous reprennent et
nous corrigent, parce que Notre Seigneur dit : Aimez vos
ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calom
nient. Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice,
parce que le Royaume des Cieux leur appartient. Mais celui
qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.

CHAPITRE XI
QUE LES FRÈRES N'ENTRENT POINT
DANS LES MONASTÈRES DES RELIGIEUSES.

Je défends formellement à tous les Frères d'avoir des


relations ou des conversations suspectes avec des femmes,
et d'entrer dans les monastères des Religieuses, à l'exception
de ceux qui en ont une permission spéciale du Siège Apos
tolique. Qu'ils ne soient pas non plus parrains d'hommes ni
de femmes, de peur qu'à cette occasion, il ne surgisse du
scandale parmi les Frères ou au sujet des Frères.

CHAPITRE XII
DE CEUX QUI VONT PARMI LES SARRAZINS ET LES AUTRES INFIDÈLES

Que tous ceux des Frères qui, par l'inspiration de Dieu,


voudront aller parmi les Sarrazins et les autres infidèles, en
demandent la permission aux Ministres Provinciaux ; mais
que les Ministres ne l'accordent qu'à ceux qu'ils jugeront
capables d'être envoyés. De plus, au nom de l'obéissance,
j'enjoins aux Ministres de demander au Seigneur Pape un
des Cardinaux de la sainte Église Romaine, pour être gou
verneur, protecteur et correcteur de cette Fraternité, afin
qu'étant toujours soumis et prosternés aux pieds de cette
même sainte Église, inébranlables dans la foi catholique,
nous observions la pauvreté, l'humilité et le saint Évangile
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, comme nous l'avons fer
mement promis.
134
Martyr de sept Frères à Ceuta.
(Ciolto, Florence)
Testament de saint François

Au nom du Seigneur commence le Testament de notre Séraphique


Père François.

Le Seigneur m'a fait la grâce à moi, Frère François, de


commencer ainsi à faire pénitence. Lorsque j'étais dans un
état de péché, il me semblait trop amer de voir des lépreux ;
mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux, et j'exerçai
la miséricorde à leur égard. Et, en les quittant, ce qui m'avait
paru amer s'était changé pour moi en douceur pour l'âme
et pour le corps. Et, ensuite, j'attendis peu, et je sortis du
siècle.
Et le Seigneur me donna une telle foi dans les églises, que
je l'y adorais ainsi simplement en disant : « Nous vous adorons,
ô très saint Seigneur Jésus-Christ, ici et dans toutes vos églises
qui sont dans le monde entier, et nous vous bénissons parce que
vous avez racheté le monde par votre sainte Croix. » Ensuite,
le Seigneur me donna tant de foi aux prêtres qui vivent selon
la forme de la sainte Église Romaine, à cause de leur caractère,
que s'ils me persécutaient, c'est à eux-mêmes que je veux
avoir recours. Et, quand j'aurais autant de sagesse que
Salomon, si je trouvais de pauvres prêtres, vivant selon
le monde, je ne veux pas, contre leur volonté, prêcher dans
les paroisses où ils demeurent. Ces mêmes prêtres, et tous
les autres, je veux les craindre, les aimer et les honorer
comme mes maîtres. Et je ne veux point faire attention à
leurs péchés, parce que je discerne en eux le Fils de Dieu,
et qu'ils sont mes maîtres. Voici pourquoi j'en use ainsi :
c'est qu'en ce monde, je ne vois rien de sensible du même
Fils de Dieu très haut, que son très saint Corps et son très
saint Sang, qu'ils consacrent eux-mêmes et qu'eux seuls
administrent aux autres. Et ces très saints mystères, je veux
par-dessus tout les honorer et les vénérer, et les placer dans
des lieux précieusement ornés. Quant aux très saints Noms et
aux paroles écrites du Fils de Dieu, partout où je les trouverai
dans des endroits inconvenants, je veux les recueillir, et je
prie qu'on les recueille et qu'on les place en un lieu convenable.
Nous devons encore honorer et vénérer tous les Théologiens
et ceux qui nous dispensent les très saintes paroles de Dieu,
comme étant ceux qui nous communiquent l'esprit et la vie.
Après que le Seigneur m'eut confié la charge des Frères,
personne ne me montrait ce que je devais faire ; mais le

Saint François
Fffigie peinte cinquante ans environ après sa mort.
(Anonyme, Sienne)
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Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre conformé
ment au saint Évangile. Et moi je fis écrire cette forme de
vie, en peu de paroles bien simples, et le Seigneur Pape me
la confirma. Ceux qui venaient embrasser cette vie donnaient
aux pauvres tout ce qu'ils pouvaient avoir. Et nous nous
contentions d'une seule tunique rapiécée en dedans et en
dehors, avec une corde et des caleçons ; et nous ne voulions
rien de plus.
Nous, les Clercs, nous disions l'Office comme les autres
Clercs ; les Frères Lais disaient le Pater Noster. Nous demeu
rions assez volontiers dans de petites églises pauvres et aban
données ; nous étions simples et soumis à tout le monde.
Moi-même, je travaillai de mes mains, et je veux travailler ;
je veux absolument que tous les autres Frères s'occupent
ainsi à un travail honnête ; pour ceux qui ne savent point
travailler, qu'ils l'apprennent, non pour le cupide désir
d'en recevoir un salaire, mais pour le bon exemple, et pour
fuir l'oisiveté. Si nous ne sommes point récompensés de notre
travail, recourons à la table du Seigneur, en demandant
l'aumône de porte en porte. Pour saluer, le Seigneur m'a
révélé que nous devions dire : « Que le Seigneur vous donne
sa Paix. » Que les Frères se gardent bien de recevoir sous aucun
prétexte, ni églises, ni demeures, ni tout ce qu'on construit
pour eux, si cela n'est pas conforme à la sainte pauvreté
que nous avons promise dans la Règle ; qu'ils y séjournent
toujours comme des hôtes, des étrangers et des pèlerins. Je
défends formellement par obéissance à tous les Frères,
en quelque lieu qu'ils soient, d'oser demander quelque
lettre en Cour de Rome, par eux-mêmes ou par une personne
interposée, pour une église ou pour quelque autre heu,
sous prétexte de prédication, ou à cause de quelque persé
cution corporelle ; mais quand ils ne sont pas reçus dans une
contrée, qu'ils fuient dans une autre pour y faire pénitence
avec la bénédiction de Dieu.
Et je veux absolument obéir au Ministre Général et au
Gardien qu'il lui plaira de me donner; et je veux être telle
ment Hé entre ses mains que je ne puisse ni aller ni agir
en dehors de sa volonté, parce qu'il est mon maître. Et bien
que je sois simple et infirme, je veux pourtant avoir tou
jours un Clerc qui me dise l'Office comme il est marqué
dans la Règle. Que tous les autres Frères soient aussi tenus
d'obéir à leur Gardien et de dire l'Office selon la Règle.
S'il s'en trouvait quelques-uns qui ne disent pas l'office
139
Lettre autographe de François au frère Léon (1224 ?)
(Cathédrale de Spolète)
selon la Règle et voulussent y faire des changements, ou qui
ne fussent pas catholiques, que tous les Frères, en quelque
endroit qu'ils soient, ou qu'ils en trouvent un de ceux-là,
soient aussi tenus par obéissance de le présenter au Custode
le plus proche du lieu où ils l'auraient trouvé. Et que
le Custode soit tenu par obéissance de le faire bien garder
jour et nuit, comme un prisonnier, de telle sorte qu'il ne
puisse être enlevé de ses mains, jusqu'à ce qu'il le remette
lui-même personnellement entre les mains de son Ministre.
Et que le Ministre soit fermement tenu par obéissance de
le faire conduire par des Frères capables de le garder jour
et nuit comme prisonnier, jusqu'à ce qu'ils l'aient amené
en présence du Seigneur Cardinal d'Ostie, qui est Maître,
Protecteur et Correcteur de cette Fraternité.
Et que les Frères ne disent point : « Ceci est une autre
Règle », car c'est un souvenir, une admonition et une exhor
tation et mon Testament que moi, Frère François, votre
tout petit Frère et Serviteur, je vous adresse à vous mes
Frères bénis, et cela, pour que nous observions plus catho-
liquement la Règle que nous avons promis au Seigneur de
garder.
Que le Ministre Général et tous les autres Ministres et
Custodes soient tenus, par obéissance, de ne rien ajouter
ou retrancher à ces paroles. Qu'ils aient toujours avec eux
cet écrit joint à la Règle, et dans tous les chapitres qu'ils
tiennent, lorsqu'ils lisent. la Règle, qu'ils lisent aussi ces
paroles. Je défends formellement par obéissance, à tous
mes Frères, clercs et lais, d'ajouter des gloses à la Règle
ni à ces paroles, en disant : « C'est ainsi qu'elles doivent
s'entendre. » Mais comme le Seigneur m'a fait la grâce de
dire et d'écrire purement et simplement la Règle et ces
paroles, entendez-les de même simplement, purement et sans
glose, et, avec sainte opération, observez-les jusqu'à la fin.

BÉNÉDICTION DE SAINT FRANÇOIS.

Et quiconque observera ces choses, qu'il soit rempli au


Ciel de la bénédiction du Père céleste très haut, et sur la
terre de la bénédiction de son Fils bien-aimé avec le très
saint Esprit Consolateur, et toutes les vertus des cieux,
et tous les Saints. Et moi, François, votre tout petit Frère
et serviteur, autant que je le puis, je vous confirme au-dedans
et au-dehors cette Très Sainte Bénédiction. Ainsi soit-il.
140
Benedicat tibi Dominus custo
diat te, ostendat faciem
suam tibi ct misereatur tui
convertat vultum suum ad te
et det tibi pacem
Dominus benedicat
F. Leo te.

,-fcirhrfr-fia:
f'-u^BlrTu'i
Intuitif**n mawfu.'

Bénédiction autographe donnée par Saint François au Frère Léon,


quelques jours après la stigmatisation.
La Signature de François est le T de la Croix sur le Golgotha.
(Basilique d'Assise)
Lettre au chapitre général
(extraits)
Au nom de la souveraine Trinité et de la sainte Unité,
Père, Fils et Saint-Esprit. Amen.
A tous les frères, auxquels il doit révérence et grande
dilection ; au ministre général de l'ordre des Mineurs,
son seigneur ; et à tous les ministres, gardiens et prêtres
de cette Fraternité, qui sont humbles dans le Christ ; et à
tous les frères simples et obéissants, premiers et derniers :
le frère François, homme vil et caduc, votre petit pauvre
serviteur. Salut en Celui qui nous a rachetés et lavés de
son sang précieux ; que vous devez, dès que vous entendez
son nom, adorer avec crainte et respect, prosternés à terre ;
dont le nom est le Seigneur Jésus-Christ, fils du Très-Haut :
qui est béni pour tous les siècles. Amen.
Écoutez, fils du Seigneur, mes frères : prêtez l'oreille
à mes paroles, inclinez l'oreille de votre cœur et obéissez
à la voix du Fils de Dieu. Gardez de tout votre cœur ses
commandements, accomplissez d'une âme parfaite ses con
seils. Proclamez qu'il est bon et exaltez-le dans vos œuvres.
Car s'il vous a envoyés dans le monde entier, c'est pour
que de parole et d'action vous rendiez témoignage à sa voix
et que vous fassiez savoir à tous qu'il n'y a de Tout-Puissant
que Lui. Persévérez dans la discipline et dans la sainte
obéissance : ce que vous lui avez promis, tenez-le avec un
bon et ferme propos. Comme à des fils s'offre à vous le Sei
gneur Dieu.
Je vous en prie donc instamment, vous tous, mes frères,
en vous baisant les pieds, et avec tout l'amour dont je suis
capable : témoignez toute révérence et tout honneur, aussi
grandement que vous pourrez, au Corps et au Sang très
saints de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui tout ce qu'il
y a dans le ciel et tout ce qu'il y a sur la terre a été pacifié
et réconcilié au Dieu tout-puissant...
Écoutez, mes frères. Si la bienheureuse Vierge Marie
est tellement honorée — et c'est justice — parce qu'elle
a porté le Christ dans son sein très béni ; si le Baptiste
bienheureux a tremblé violemment et n'ose pas toucher
la tête sacrée de son Dieu; si le sépulcre, en lequel le corps
du Christ a été couché pour quelque temps, est entouré
de vénération : comme il doit être saint, juste et digne,
celui qui traite de ses mains, prend de cœur et de bouche,
143
Saint François
(Magaritone d'Arezzo, 2' moitié XIIIe s.. Sienne)
donne aux autres en nourriture le Christ, qui maintenant
n'est plus mortel, mais qui toujours vivra et est glorifié,
lui sur qui les anges désirent jeter les yeux.
Voyez votre dignité, frères prêtres, et soyez saints parce
qu'il est saint. Plus que tous, à cause de ce mystère, le Sei
gneur vous a honorés : vous aussi plus que tous aimez-le,
révérez-le, honorez-le. Grande misère et misérable faiblesse
quand vous le tenez ainsi présent et que vous vous occupez
de quelque autre chose au monde. Que tout l'homme craigne,
que tout le monde tremble, et que le ciel exulte quand
sur l'autel, aux mains du prêtre, est le Christ, Fils du Dieu
vivant ! O admirable grandeur et stupéfiante bonté ! O
humilité sublime ! O humble sublimité ! Le Maître de
toutes choses, Dieu et Fils de Dieu, s'humilie à ce point
que, pour notre salut, il se cache sous une modique parcelle
de pain. Voyez, frères, l'humilité de Dieu, et répandez
devant lui vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour que
vous soyez exaltés avec lui. Donc ne gardez pour vous rien
de vous, afin que vous reçoive tout entier celui qui se donne
à vous tout entier...
Et maintenant je confesse à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ;
à la bienheureuse Marie perpétuellement Vierge ; à tous
les Saints dans le ciel et sur la terre ; au ministre général
de notre ordre en tant que mon vénérable seigneur ; à tous
les prêtres de notre ordre et à tous mes autres frères bénis,
tous mes péchés. Sur beaucoup de points j'ai mal fait, par
ma grave faute : spécialement, je n'ai pas gardé la Règle
que j'avais promis au Seigneur d'observer, et je n'ai pas
dit l'office comme la Règle le prescrit : soit par négligence,
soit à l'occasion de mes maladies, soit parce que je suis
ignorant et sans lettres. C'est pourquoi je prie et je conjure
de tout mon pouvoir mon seigneur le ministre général
qu'il fasse observer la Règle inviolablement par tous,
et que les clercs disent l'office avec dévotion devant
Dieu...
Moi, frère François, homme inutile et indigne créature
du Seigneur Dieu, je dis, par Notre-Seigneur Jésus-Christ,
au frère Élie, ministre de tout notre ordre, et à tous les
ministres généraux qui seront après lui, et à tous les custodes
et gardiens des frères qui sont et qui seront : que cet écrit,
ils doivent l'avoir sur eux, le pratiquer et le garder soigneu
sement. Je les supplie de garder avec soin ce qui est marqué
dans cet écrit, de le faire observer avec application, selon
144
le bon plaisir de Dieu tout-puissant, maintenant et toujours,
tant que durera ce monde.
Bénis soyez-vous du Seigneur, vous qui observerez ces
choses, et que le Seigneur soit à jamais avec vous. Amen.
O Dieu tout-puissant, éternel, juste et miséricordieux,
donne aux malheureux que nous sommes de faire pour
toi-même ce que nous savons que tu veux, et de vouloir
toujours ce qui te plaît ; en sorte que, intérieurement purifiés,
intérieurement éclairés et embrasés du feu du Saint-Esprit,
nous puissions suivre les traces de ton Fils Notre-Seigneur
Jésus-Christ, et par ta seule grâce parvenir à toi, ô Très-Haut :
toi qui en Trinité parfaite et en simple Unité vis et règnes
et as toute gloire, ô Dieu tout-puissant, dans tous les siècles
des siècles. Amen.

Laudes séraphiques

Notre Père très saint, notre Créateur, notre Rédempteur


et Sauveur, notre Consolateur.
Qui êtes aux cieux, dans les Anges et dans les Saints :
les illuminant pour qu'ils vous connaissent, car vous êtes,
Seigneur, la lumière ; les enflammant pour qu'ils vous
aiment, car vous êtes, Seigneur, l'amour ; habitant en eux
et les emplissant pour qu'ils aient la béatitude, car vous
êtes, Seigneur, le bien souverain, le bien éternel, de qui
vient tout bien, sans qui n'est aucun bien.
Que votre nom soit sanctifié : que soit rendue claire
en nous votre connaissance, en sorte que nous connaissions
quelle est la largeur de vos bienfaits, la longueur de vos
promesses, la hauteur de votre majesté, la profondeur de
vos jugements.
Que votre règne arrive : en sorte que vous régniez
en nous par la grâce et que vous nous fassiez venir à votre
royaume, où est manifeste la vision de vous ; où est parfait
l'amour de vous ; bienheureuse la société avec vous ; éternelle,
la jouissance de vous.
Que votre volonté soit faite sur la terre comme au
ciel. Que nous vous aimions de tout notre cœur, en pensant
toujours à vous ; de toute notre âme, en vous désirant tou
jours ; de tout notre esprit, en dirigeant vers vous toutes
nos intentions, et en cherchant en toutes choses votre honneur;
145
de toutes nos forces, en dépensant toutes nos forces et tous
les sens de notre âme et de notre corps au service de votre
amour, et à rien d'autre. Que nous aimions nos proches
comme nous-mêmes, en les attirant tous, selon notre pouvoir,
à votre amour; en nous réjouissant de leur bonheur comme
du nôtre ; en leur témoignant compassion dans leur malheur ;
en ne leur faisant aucune offense.
Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien, votre
Fils bien-aimé Notre-Seigneur Jésus-Christ ; pour la mé
moire, l'intelligence et le respect de l'amour qu'il a eu pour
nous et de tout ce que pour nous il a dit, fait et souffert.
Et remettez-nous nos dettes par votre miséricorde inef
fable ; par la vertu de la passion de votre Fils bien-aimé,
Notre-Seigneur Jésus-Christ ; par les mérites et l'intercession
de la très bienheureuse Vierge Marie et de tous vos élus.
Comme nous faisons remise a nos débiteurs. Et ce que
nous ne remettons pas pleinement, vous, Seigneur, faites
que nous le remettions pleinement ; afin que nous aimions
vraiment nos ennemis à cause de vous ; que pour eux nous
intercédions dévotement auprès de vous ; qu'à personne
nous ne rendions le mal pour le mal, et que nous nous appli
quions à faire le bien à tous, en vous.
Et ne nous induisez pas en tentation, occulte ou ma
nifeste, subite ou importune.
Mais délivrez-nous du mal, passé, présent et futur.
Amen.
Saint, saint, saint, le Seigneur Dieu tout-puissant, qui
est, et qui était, et qui doit venir.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Vous êtes digne, Seigneur notre Dieu, de recevoir louange
et gloire, honneur et bénédiction.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Digne est l'Agneau qui a été immolé, de recevoir force
et divinité et sagesse et puissance, et honneur et gloire
et bénédiction.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Bénissons le Père, le Fils, avec le Saint-Esprit.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Bénissez le Seigneur, vous toutes les œuvres du Seigneur.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Dites louange à Dieu, vous tous, ses serviteurs, et vous
qui craignez Dieu, petits et grands.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
146
Que le louent, lui qui est glorieux, le ciel et la terre, et
toute créature qui est au ciel et sur la terre, et celles qui'
sont sous terre, et la mer, et tout ce qu'elle renferme.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Comme dans le commencement, maintenant et toujours
et dans les siècles des siècles. Amen.
Louons-le et surexaltons-le à jamais !
Tout-puissant, très saint, très haut et souverain Dieu ;
souverain bien, bien universel, bien total ; toi qui seul es
bon ; puissions-nous te .rendre toute louange, toute gloire,
toute reconnaissance, tout honneur, toute bénédiction ;
puissions-nous rapporter toujours à toi tous les biens. Amen.
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Louanges de Dieu

Tu es saint, Seigneur Dieu, toi seul qui fais des merveilles.


Tu es fort.
Tu es grand.
Tu es très haut.
Tu es roi tout-puissant, ô Père saint, roi du ciel et de
la terre.
Tu es trine et un, Seigneur Dieu, tout bien.
Tu es le bien, tout le bien, le souverain bien, le Seigneur
Dieu vivant et vrai.
Tu es charité, amour.
Tu es sagesse.
Tu es humilité.
Tu es patience.
Tu es assurance.
Tu es quiétude.
Tu es joie et liesse.
Tu es justice et tempérance.
Tu es toute richesse et notre suffisance.
Tu es beauté.
Tu es calme.
Tu es protecteur.
Tu es gardien et défenseur.
Tu es force.
Tu es rafraîchissement.
Tu es notre espérance.
Tu es notre foi.
Tu es notre grande douceur.
Tu es notre vie éternelle, grand et admirable Seigneur,
Dieu tout-puissant, miséricordieux Sauveur.

149
Miniature du XIII* siècle.
(Carpentras)
Cantique des Créatures

Très Haut, tout-puissant, bon Seigneur,


à toi sont les louanges, la gloire, l'honneur et toute béné-
[diction ;
à toi seul, Très Haut, ces hommages sont dus,
et nul homme n'est digne de te nommer.
Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures,
spécialement messire le frère Soleil,
qui fait le jour et par qui tu nous éclaires ;
et il est beau et rayonnant, avec grande splendeur ;
de toi, Très Haut, il porte signification.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour Sœur Lune et les étoiles :
dans les cieux tu les as formées, claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent
et pour l'air et le nuage et le ciel clair et tout temps,
par lesquels à tes créatures tu donnes le soutien.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau,
qui est fort utile, et humble, et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu,
par qui tu éclaires la nuit,
et il est beau et joyeux et robuste et fort.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre maternelle sœur la
[Terre
qui nous porte et nous mène,
et qui produit les fruits divers avec les fleurs colorées et
[l'herbe.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent pour
[ton amour,
et qui subissent injustice et tribulation ;
et bienheureux ceux qui persévèrent dans la paix,
car par toi, Très Haut, ils seront couronnés !
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la Mort cor
porelle,
à qui nul homme vivant ne peut échapper ;
malheureux ceux-là seuls qui meurent en péché mortel ;
mais bienheureux ceux qui ont accompli tes très saintes
[volontés,
car la seconde mort ne pourra leur nuire.
Louez et bénissez mon Seigneur et remerciez-le et servez-le
[avec grande humilité.
150
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Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau...


Le lac Trasimene,
dans une île duquel François fit retraite en 1219.
EXTRAITS DES SOURCES

De l'amour qu'il portait à toutes les Créatures à cause du


Créateur.

Il serait trop long et d'ailleurs impossible de rapporter


toutes les actions et tous les enseignements du glorieux père
François. Qui pourrait dire ses affectueux transports pour
tout ce qui vient de Dieu ? Comment exprimer l'attendrisse
ment qui le saisissait en retrouvant dans les créatures la
sagesse, la puissance et la bonté du Créateur ? Il éprouvait
surtout une joie ineffable quand il regardait le soleil, consi
dérait la lune, contemplait les étoiles et le firmament. O
simple piété ! O pieuse simplicité ! Il témoignait un grand
amour aux vermisseaux pour avoir lu ce qui est dit du Sauveur :
« Je suis un ver et non pas un homme. » Aussi les ramassait-il
sur la route et les mettait-il à l'abri, de peur qu'ils ne fussent
écrasés sous les pieds des passants. Que dire des autres créa
tures inférieures, alors que craignant pour les abeilles le froid
rigoureux de l'hiver, il leur faisait donner du miel ou du vin
généreux ? Il proclamait très haut que l'ingéniosité de leurs
travaux et la sûreté de leur instinct glorifient le Seigneur, et
parfois, durant un jour entier, il chantait leurs louanges et
celles des autres créatures. De même que jadis les trois enfants
dans la fournaise invitaient tous les éléments à louer et à
glorifier le Créateur de l'univers, ainsi François, rempli de
l'esprit de Dieu, trouvait dans tous les éléments et les créa
tures sujet d'adresser au Créateur et au Maître du monde,
gloire, louange et bénédiction.
Comment imaginer le plaisir qu'il prenait à admirer la
beauté des fleurs, à considérer l'élégance de leurs formes, à
respirer leur suave parfum ? Mais aussitôt il tournait son
regard contemplateur vers la beauté de cette autre fleur qui
sortit au printemps, dans tout son éclat, de la tige de Jessé
et dont le parfum rendit la vie à d'innombrables milliers de
morts.
Voyait-il un champ émaillé de fleurs, aussitôt il leur prêchait,
tout comme si elles avaient eu la raison, et les invitait à louer
le Seigneur. Les moissons et les vignes, les rochers et les
forêts, les beaux sites des campagnes, les eaux courantes, les
jardins verdoyants, la terre et le feu, l'air et les vents, il
152
exhortait tout cela avec la simplicité la plus sincère à aimer
Dieu et à lui obéir de bon cœur. Il donnait le nom de frère à
toutes les créatures, et par une prérogative refusée aux autres,
son cœur pénétrait leurs secrets, comme si, délivré de son
corps, il vivait déjà dans la glorieuse liberté des enfants de
Dieu.
Et maintenant, ô bon Jésus, dans le ciel, il proclame avec
les anges que vous êtes admirable, lui qui sur la terre prêchait
à toutes les créatures que vous êtes aimable. Lorsqu'il pro
nonçait votre nom, il était saisi, ô Dieu saint, d'une émotion
que l'intelligence humaine ne peut comprendre, et, débordant
de joie, rempli d'une très pure allégresse, il paraissait un
autre homme, et d'un autre âge. C'est pourquoi, s'il rencon
trait quelque part sur une route, dans une maison, dans une
rue, un écrit divin ou profane, il se recueillait avec un grand
respect et le plaçait dans un endroit sacré ou convenable,
pensant qu'il pouvait contenir le nom du Seigneur ou quelque
chose s'y rapportant. Et comme un frère lui demandait un
jour pourquoi il recueillait si soigneusement même les écrits
des païens où ne se trouve pas le nom du Seigneur, il répondit :
« Mon fils, c'est parce qu'ils renferment les lettres qui servent
à former le très glorieux nom de Dieu notre Sauveur. D'ail
leurs ce qui s'y trouve de bon n'appartient ni aux païens ni
autres hommes, mais à Dieu seul, source de tout bien. »
Chose non moins admirable, quand il faisait écrire un billet
de politesse ou d'exhortation, il n'y voulait voir effacer ni
une lettre, ni une syllabe même superflue ou fautive.
Qu'il était beau, splendide, glorieux, dans l'innocence de sa
vie, la simplicité de son langage, la pureté de son cœur, sa
tendresse pour Dieu, sa charité fraternelle, sa fervente obéis
sance, son commerce agréable, son aspect angélique. De
mœurs douces, de nature paisible, il se montrait affable dans
ses paroles, très bienveillant dans l'exhortation, savait garder
très fidèlement un secret, était prévoyant dans le conseil,
actif dans l'exécution, gracieux en toutes choses...
C'était un homme de la plus haute éloquence, au visage
ouvert, à l'œil bienveillant, exempt de mollesse et de morgue.
Sa taille était moyenne, plutôt courte, sa tête petite et ronde,
sa figure assez allongée et étroite, son front lisse et bas, ses
yeux moyens, noirs et limpides, ses cheveux bruns, ses sourcils
droits, son nez régulier, mince et droit, ses oreilles écartées
mais petites, ses tempes plates, sa parole miséricordieuse,
brûlante et pénétrante, sa voix prenante et douce, claire et
153
sonore, ses dents serrées, égales et blanches, ses lèvres petites
et minces, sa barbe noire et clairsemée, son cou grêle, ses
épaules droites, ses bras courts, ses mains fines avec des
doigts longs et des ongles saillants, ses jambes maigres, ses
pieds petits, sa peau douce. Il était décharné, grossièrement
vêtu, dormait peu, avait la main toujours ouverte. Parce que
très humble, il était pour tous plein de mansuétude et savait
s'accommoder de l'humeur de chacun. Le plus saint parmi
les saints, il paraissait parmi les pécheurs comme l'un d'entre
eux.
Toi qui aimes les pécheurs, ô père très saint, viens à leur
secours et daigne, nous t'en supplions, relever très miséri-
cordieusement, par ta glorieuse intercession, ceux qui gisent
dans la souillure de leurs fautes.

(Celano. Vita Prima. Chap. 29)

Son esprit de charité et son affectueuse compassion pour


les pauvres.

François, le père des pauvres, se conformait en tout à


la vie des pauvres et souffrait de voir plus pauvre que lui,
non par désir de vaine gloire, mais par affectueuse compassion.
Il se contentait d'une tunique vile et rugueuse et encore
désirait-il souvent la partager avec quelque malheureux.
Mais c'était un pauvre très riche qui, ému d'une immense
et affectueuse pitié, demandait aux mondains fortunés de
lui prêter, dans les grands froids, pour secourir les pauvres,
manteaux ou fourrures. Ils apportaient d'ailleurs, par dévo
tion, plus d'empressement à donner que le bienheureux
à demander. « J'accepte, disait-il, à condition que vous per
diez toute espérance de rentrer en possession de ces objets. »
Et, plein de joie et d'allégresse, il habillait le premier pauvre
venu avec ce qu'on lui avait donné. Il lui était extrêmement
pénible de voir insulter un pauvre ou d'entendre maudire
une créature quelconque. Un jour un frère s'était permis
d'adresser une parole injurieuse à un pauvre qui demandait
l'aumône. « Prends garde ! lui avait-il dit, n'es-tu pas riche,
toi qui simules la pauvreté ? » François, le père des pauvres,
l'ayant entendu, fut très peiné et fit de vifs reproches au frère
qui avait ainsi parlé. Puis il lui ordonna de se dépouiller
154
Berlinghieri, Pescia.
de ses vêtements devant le mendiant et de lui baiser les pieds
en lui demandant pardon. Il avait coutume de dire : « Celui
qui maudit un pauvre fait injure au Christ dont il porte la
noble livrée ; car lui, pour nous, s'est fait pauvre dans le
monde. »
Il lui arrivait souvent, quand il rencontrait des malheureux
portant des fagots ou autres fardeaux, de prendre une partie
de leur charge sur ses épaules, bien faibles pourtant. Rempli
de l'esprit de charité, il était ému de pitié jusqu'aux entrailles,
non seulement devant les hommes dans le besoin, mais encore
devant les animaux sans raison, les reptiles, les oiseaux et
les autres créatures sensibles ou insensibles.
Mais entre tous les animaux, il chérissait les agneaux d'un
amour tout spécial parce que, souvent et très justement,
dans les saintes Écritures, Notre-Seigneur, pour son humilité,
est comparé à un agneau. Il contemplait avec amour et joie
tout ce qui pouvait lui offrir une ressemblance allégorique
avec le Fils de Dieu.
Un jour qu'il traversait la Marche d'Ancône, après avoir
prêché dans cette ville, et qu'il se dirigeait vers Osimo avec
le seigneur Paul établi par lui ministre de tous les frères de
cette province, il rencontra dans les champs un pâtre qui
gardait des chèvres et des boucs. Or, dans ce troupeau de
chèvres et de boucs, se trouvait une petite brebis qui s'avan
çait avec beaucoup d'humilité et broutait paisiblement.
A cette vue, le bienheureux François suspendit sa marche et,
le cœur plein de douleur, il se mit à gémir très haut et à dire
au frère qui l'accompagnait : « Ne vois-tu pas cette brebis
qui marche avec douceur parmi les chèvres et les boucs ;
c'est ainsi, je te dis, que Notre-Seigneur marchait avec dou
ceur et humilité parmi les pharisiens et les princes des prêtres.
Aussi, je te prie, mon fils, par charité pour lui, d'avoir pitié
comme moi de cette petite brebis ; nous allons l'acheter pour
la tirer du milieu de ces chèvres et de ces boucs. »
Et le frère Paul, admirant sa douleur, se mit à gémir avec
lui. Mais ne possédant rien que les grossières tuniques qui
les couvraient, ils restaient là bien en peine de trouver la
rançon nécessaire, lorsque soudain parut un marchand
qui leur remit la somme désirée. Rendant grâces à Dieu, ils
emmenèrent la brebis. Arrivés à Osimo, ils furent introduits
près de l'évêque qui les reçut avec grand respect. Il s'étonna
pourtant de voir la brebis que menait l'homme de Dieu,
et la tendresse qu'il lui témoignait. Mais après que le servi-
156
teur du Christ eût développé tout au long la parabole de la
brebis, l'évêque, touché de componction, rendit grâces à
Dieu pour la pureté de son serviteur. Le lendemain, quittant
la ville, François se demanda ce qu'il allait faire de la brebis.
Sur le conseil de son compagnon et frère, il en confia le
soin à un couvent de servantes du Christ près de San-Severino.
Les vénérables sœurs reçurent avec joie cette petite brebis,
la regardant comme un grand présent de Dieu. Elles la
gardèrent longtemps avec sollicitude, et de sa laine elles
tissèrent une tunique qu'elles firent remettre au bienheureux
François lors d'un chapitre qui se tenait à Sainte-Marie
de la Portioncule. Le saint la reçut avec grand respect, la
pressa sur son cœur, la baisa tout rempli d'allégresse, et
invita l'assistance à partager sa joie.

(Celano. Vita Prima. Chap. 27)

Vie des premiers frères.

Le très vaillant chevalier du Christ se mit donc à parcourir


les villes et les bourgades. Il ne faisait appel ni aux artifices
du style, ni à la sagesse humaine, mais, instruit et fortifié
par l'Esprit-Saint, il annonçait le Royaume de Dieu, prêchait
la paix, enseignait la voie du salut et la pénitence qui remet
les péchés.
Fort de l'autorité apostolique concédée par Rome, il
agissait maintenant avec plus d'assurance, sans user jamais
de flatteries ni de paroles séduisantes. Il ne caressait pas les
vices, mais y portait le fer, n'entretenait pas les pécheurs
dans leur état, mais les cinglait de reproches sévères. Comme
il avait commencé par mettre en pratique les conseils qu'il
donnait aux autres, il ne redoutait aucune contradiction,
et disait si hardiment la vérité que les hommes les plus ins
truits, couverts de gloire et de dignité, admiraient ses dis
cours et se trouvaient saisis en sa présence d'une crainte
salutaire. Les hommes accouraient, les femmes les suivaient,
les clercs se hâtaient, les religieux se précipitaient pour voir
et entendre le Saint de Dieu qui leur apparaissait comme un
homme d'un autre temps. Tous, sans distinction d'âge
ou de sexe, se pressaient pour contempler les prodiges que
le Seigneur opérait à nouveau dans le monde par son scrvi-
157
teur. Il semblait vraiment, en ce temps-là, que la présence
de saint François ou même sa seule renommée, fût une nou
velle lumière envoyée du ciel sur la terre pour dissiper l'épais
seur des ténèbres. Elles avaient tellement envahi le pays
que presque personne ne savait plus trouver son chemin.
L'oubli de Dieu était si profond, et l'on s'endormait si bien
dans la négligence de ses lois qu'on avait grand-peine à
secouer la torpeur causée par des maux anciens et invétérés.
François rayonnait comme une étoile brillant dans l!obscurité
de la nuit, comme le feu du matin qui chasse les ténèbres.
Aussi en peu de temps la face de la région fut-elle transformée
et, débarrassée de ses anciennes souillures, elle prit un
aspect plus riant...
...Mais nous avons surtout à parler de l'ordre qu'il fonda
par charité, dans lequel il fit profession et qu'il gouverna.
Qu'est-ce à dire ? Ce fut lui qui implanta l'ordre des Frères
Mineurs, et voici en quelle occasion il lui donna ce nom.
Il avait écrit dans sa règle : « qu'ils soient petits » (minores).
Or un jour qu'il entendait lire ce passage : « Je veux, dit-il,
que cette fraternité s'appelle : ordre des Frères Mineurs. »
Et vraiment c'étaient de petites gens, des « Mineurs »,
soumis à tous, cherchant toujours l'occasion de s'abaisser
et l'occupation qui leur vaudrait des injures. Ils voulaient
ainsi s'enraciner dans l'humilité et mériter que cette sainte
disposition fût la base de l'édifice spirituel de toutes les vertus.
Sur le fondement de la patience s'éleva le noble édifice
de la charité. Des pierres vivantes, rassemblées de toutes
les parties du monde, entrèrent dans la construction du
Temple de l'Esprit-Saint. Quelle ardente charité embrasait
ces nouveaux disciples du Christ ! Quel amour de leur pieuse
communauté ! Lorsqu'ils se trouvaient réunis, ou qu'ils
se rencontraient par hasard en chemin, l'amour spirituel
les faisait tressaillir, et ils se donnaient de nombreux témoi
gnages de leur véritable dilection. C'étaient alors de chastes
embrassements, de douces marques de tendresse, de saints
baisers, d'affables entretiens, des rires modestes. Leur visage
était joyeux, leur regard pur, leurs paroles pleines de charité,
leurs répliques empreintes de douceur. En eux se retrouvaient
les mêmes désirs, la même obéissance prompte, la même
activité inlassable. N'ayant que mépris pour les choses d'ici-
bas, et ne se recherchant pas eux-mêmes, ils reportaient sur
la communauté toute leur affection et se dépensaient sans
compter pour subvenir également aux besoins de tous les
158
frères. Ils avaient le plus grand désir d'être réunis et se
réjouissaient de se retrouver ensemble. Mais la séparation
était pénible, le départ amer, l'éloignement très dur.
Soldats très disciplinés, ils ne mettaient rien au-dessus des
préceptes de la sainte obéissance, et le mot « obéissance »
n'était pas achevé qu'ils se préparaient à exécuter les ordres
reçus ; incapables de les discuter, ils se précipitaient tête
baissée pour les accomplir, sans aucune objection.
Sectateurs de la sainte Pauvreté, ils ne possédaient rien,
et n'avaient aucune crainte de perdre quoi que ce fût, parce
qu'ils n'étaient attachés à rien. Ils se contentaient d'une seule
tunique souvent rapiécée à l'endroit et à l'envers. Rien chez
eux qui sentît la recherche ; leur aspect vil et méprisable
montrait qu'ils étaient parfaitement crucifiés au monde.
Ils portaient une corde en guise de ceinture, leurs chausses
étaient grossières ; mais ils formaient le pieux dessein de
demeurer en cet état sans jamais rien posséder de plus.
Aussi vivaient-ils sans aucune inquiétude, crainte ou
souci. Jamais d'appréhension pour le lendemain. Lorsque,
dans leurs voyages, ils se trouvaient en fâcheuse posture, ils
ne se préoccupaient même pas d'un gîte pour le soir. Il leur
arriva, par les plus grands froids, de ne trouver nulle part
l'hospitalité et d'en être réduits à se tapir dans un four, à s'en
foncer dans une grotte ou une caverne, pour y passer miséra
blement la nuit.
Durant le jour, ceux qui savaient un métier travaillaient
de leurs mains. Les autres vivaient dans les léproseries et
autres lieux honnêtes, se faisant avec humilité et dévotion
les serviteurs de tous. Ils ne voulaient rien faire qui pût être
un sujet de scandale et ils ne s'adonnaient qu'aux œuvres
saintes et justes, honnêtes et utiles, portant ceux qui les
entouraient à imiter leur humilité et leur patience.
La vertu de patience les avait si bien pénétrés qu'ils pré
féraient vivre aux lieux où ils souffraient persécution dans leur
corps que là où, leur sainteté étant connue et louée, ils pou
vaient compter sur l'assistance et les faveurs du monde.
Il leur arriva bien souvent d'être couverts d'opprobres,
accablés d'injures, dépouillés, frappés, chargés de chaînes,
sans protection aucune. Mais ils supportaient si virilement
tout cela qu'ils n'avaient sur les lèvres que des chants de
louange et d'action de grâces.
Presque jamais, on peut dire jamais, ils ne cessaient de
louer et de prier Dieu. Ils s'examinaient continuellement
159
et repassaient dans leur esprit toutes leurs actions, rendant
grâces à Dieu pour le bien qu'ils avaient fait, gémissant et
pleurant sur leurs négligences ou leurs manques de prudence.
Ils se croyaient abandonnés de Dieu s'ils ne sentaient plus
en eux-mêmes la piété accoutumée et l'esprit de dévotion.
Dans la crainte que le sommeil ne vînt interrompre leur
prière, ils avaient toutes sortes d'industries : quelques-uns
pour éviter l'assoupissement allaient jusqu'à se suspendre
à l'aide de cordes.
D'autres portaient sur le corps des instruments de pénitence
en fer ou en bois. Si parfois, ayant en suffisance la nourriture
et la boisson, leur abstinence était moins rigoureuse, ou si,
fatigués par une longue route, ils dépassaient un peu les
limites du nécessaire, ils s'en punissaient sans pitié par un
jeûne de plusieurs jours. Ils réprimaient énergiquement
leurs mouvements charnels au point de se dévêtir par les
plus grands froids et de mettre en sang tout leur corps en le
déchirant avec des épines.
Ils avaient un tel mépris pour tous les biens de la terre
qu'ils faisaient difficulté d'accepter les choses les plus néces
saires à la vie. Aucune privation ne leur coûtait, habitués
qu'ils étaient à refuser à leur corps toutes ses aises.
En toute circonstance, ils se montraient amis de la paix
et pleins de douceur. Ils s'adonnaient à toutes les œuvres
pures et pacifiques et évitaient avec le plus grand soin tout
scandale. C'est à peine s'ils consentaient à parler en cas
de nécessité et ils veillaient à ce qu'aucun mot bouffon ou
inutile ne sortît de leur bouche, car ils voulaient qu'on ne pût
reprendre en eux rien d'immodeste ou de déshonnête.
Ils disciplinaient toute leur vie, marchaient modestement
et mortifiaient si bien leurs sens qu'ils ne voyaient ou n'enten
daient que ce qui réclamait leur attention. Leurs yeux étaient
fixés à terre, mais leurs âmes vivaient dans le ciel. Il n'y
avait en eux ni haine, ni malice, ni rancune, ni esprit de
contradiction, ni suspicion, ni amertume. C'étaient la con
corde, la paix, l'action de grâces et la louange qui habitaient
continuellement en eux.
Telle était la formation que le pieux père donnait à ses
nouveaux fils ; il ne se contentait pas de formuler ses ensei
gnements mais les mettait rigoureusement en pratique.

(Celano. Vita Prima. Chap. 15)

160
La vêture d'un Franciscain
(Giovanni di Paolo, Pinacothèque Vaticane, Rome)
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Louange de la joie spirituelle.
La plus suave défense contre les mille embûches de
l'ennemi, c'est, affirmait le saint, la joie spirituelle. Il avait
coutume de dire : « Quand le diable a pu ravir à un serviteur
de Dieu la joie de l'âme, il est au comble de ses vœux. Il
porte avec lui une poussière qu'il peut, à son gré, souffler
dans les recoins de la conscience pour obscurcir le clair
regard de l'esprit et l'éclat d'une vie pure ; mais quand
le cœur est plein de la joie spirituelle, c'est en vain que le
serpent répand son venin mortel. Les démons n'ont aucune
prise sur les serviteurs du Christ qu'ils voient remplis d'une
sainte allégresse. Si, au contraire, son âme est éplorée,
désolée, chagrinée, facilement elle se laissera absorber par
la tristesse ou entraîner par les vaines joies.
Aussi, le saint s'appliquait-il à vivre toujours dans la joie
du cœur, à conserver l'onction de l'esprit et l'huile de l'allé
gresse. Il évitait avec le plus grand soin cette maladie si
funeste de la mélancolie, et quand il s'apercevait qu'elle
commençait à s'infiltrer dans son âme, il recourait bien vite
à la prière. Il disait encore : « Lorsqu'un serviteur de Dieu
ressent un trouble quelconque, comme cela peut arriver,
il doit sur-le-champ se lever, prier et demeurer en présence
du Père jusqu'à ce qu'il lui ait rendu sa joie salutaire. Mais
s'il persiste dans cette tristesse, alors se développera en lui
le mal babylonien qui, s'il n'est lavé dans les larmes, produira
dans son cœur une rouille tenace. »

(Celano. Vita Secundo. Chap. 88)

Comment, cheminant avec Frère Léon, saint François lui


expose ces choses qui sont la joie parfaite.
Saint François se rendant un jour d'hiver de Pérouse
à Sainte-Marie des Anges avec frère Léon, le très grand
froid le tourmentait durement. Il appela frère Léon qui
marchait un peu en avant et lui dit : « O frère Léon, si Dieu
faisait que les Frères Mineurs donnassent en tout pays
un grand exemple de sainteté et de bonne édification, écris
néanmoins et note soigneusement que là n'est pas la joie
parfaite. » Et saint François allant plus loin l'appelle une
163
Saint François
Fresque attribuée à Cimabue (Assise)
seconde fois : « O frère Léon, même si le Frère Mineur ren
dait la vue aux aveugles, redressait les perclus, chassait
les démons, rendait l'ouïe aux sourds et la marche aux
boiteux, la parole aux muets, et, ce qui est une plus grande
chose, ressuscitait les morts de quatre jours, écris qu'en
cela n'est pas la joie parfaite. » Saint François marcha encore
un peu, puis il cria très fort : « O frère Léon, si le Frère
Mineur savait toutes les langues et toutes les sciences et
toutes les Écritures, en sorte qu'il sût prophétiser et révéler
non seulement les choses futures, mais aussi les secrets
des consciences et des âmes, écris que ce n'est pas cela
la joie parfaite. » Allant un peu plus outre, saint François
appelle encore bien haut : « O frère Léon, petite brebis
de Dieu, même si le Frère Mineur parlait la langue des
Anges, et savait le cours des étoiles et les vertus des herbes,
si tous les trésors de la terre lui étaient révélés, s'il connaissait
les vertus des oiseaux et des poissons, et de tous les animaux
et des hommes, et des arbres et des pierres, et des racines
et des eaux, écris que cela n'est pas la joie parfaite. » Et
s'éloignant encore un peu, saint François appelle d'une
voix forte : « O frère Léon, alors que le frère Mineur saurait
si bien prêcher qu'il convertirait tous les infidèles à la foi
du Christ, écris que là n'est pas la joie parfaite. »
Après avoir subi cette manière de parler pendant deux
bons milles, frère Léon, pénétré d'étonnement, demanda :
« Père, je te prie de la part de Dieu de me dire où est la joie
parfaite. » Et saint François lui répondit : « Quand nous
arriverons à Sainte-Marie des Anges, trempés de pluie,
glacés de froid, souillés de boue, épuisés de faim, nous
frapperons à la porte du logis, et le portier viendra irrité
et dira : Qui êtes-vous ? Et nous dirons : Nous sommes
deux de vos frères. Lui répondra : Vous ne dites pas la vérité,
vous êtes plutôt deux ribauds qui allez trompant le monde,
et volant les aumônes des pauvres ; passez votre chemin.
Et il ne nous ouvrira pas et nous laissera dehors dans la
neige et l'eau, avec le froid et la faim jusqu'à la nuit. Alors
si nous supportons patiemment et sans trouble et sans
murmurer contre lui tant d'injures et de cruautés et tant
de rebuffades, si nous pensons charitablement et humblement
que ce portier nous connaît vraiment et que c'est Dieu
qui le fait parler contre nous, ô frère Léon, écris que là
est la joie parfaite. Et si nous persévérons à frapper, il sortira
très en colère, et nous chassera comme des vauriens importuns
164
avec des outrages et des soufflets en disant : Partez d'ici,
vils larrons, allez à l'hôpital, car ici on ne vous donnera
ni le pain ni le gîte. Et si nous supportons cela patiemment,
avec allégresse et bel amour, ô frère Léon, écris que là est
la joie parfaite. Et si, contraints pourtant par la faim, par
le froid et par la nuit, nous frappions et appelions, et priions
pour l'amour de Dieu avec beaucoup de larmes, qu'on
nous ouvre et nous laisse entrer, le portier de plus en plus
courroucé dira : En voilà des vauriens importuns ; je vais
les payer comme ils le méritent. Il sortira avec un bâton
noueux, nous saisira par le froc, nous jettera à terre, nous
roulera dans la neige et nous frappera, nœud par nœud,
avec son bâton : si nous endurons toutes ces choses patiem
ment et avec allégresse en pensant aux souffrances du Christ
béni et que nous devons tout supporter pour son amour,
ô frère Léon, écris que c'est cela qui est la joie parfaite.
Et enfin, écoute la conclusion, frère Léon. Au-dessus de
toutes les grâces et dons de l'Esprit-Saint que le Christ
accorde à ses amis, il y a celui de se vaincre soi-même et
d'endurer volontiers pour l'amour du Christ les peines,
les injures, les opprobres et les incommodités. Attendu
qu'en tous les autres dons de Dieu nous ne pouvons pas
nous glorifier, car ils ne sont pas de nous, mais de Dieu
comme le dit l'Apôtre : Qu'as-tu que tu n'aies reçu de Dieu ?
Et si tu l'as reçu de lui, pourquoi t'en glorifier comme si tu le
tenais de toi-même ? Mais dans la croix de la tribulation
et de l'affliction, nous pouvons nous glorifier, parce que cela
est à nous ; c'est pourquoi l'Apôtre dit : Je ne veux point
me glorifier, sinon dans la Croix de Notre Seigneur Jésus-
Christ.
Auquel soit toujours honneur et gloire dans tous les siècles
des siècles. Amen.
(Fioretti. Ch. 8)

Comment saint François convertit trois larrons meurtriers


qui se firent Frères.
Saint François alla une fois dans le district de Borgo
San Sepolcro, et, en passant dans un village qui s'appelait
Monte Casale, un jeune homme noble et très délicat vint
à lui et lui dit : « Père, je voudrais très volontiers être de

165
vos frères. » Saint François répondit : « Mon fils, tu es jeune,
délicat et noble ; peut-être que tu ne pourrais supporter
notre vie de pauvreté et d'austérité. » Et lui : « Père, n'êtes-
vous pas des hommes comme moi ? Donc, comme vous
la supportez, ainsi le pourrai-je moi-même avec la grâce
du Christ. » Cette réponse plut beaucoup à saint François ;
et, le bénissant, il le reçut immédiatement dans l'ordre en
lui donnant le nom de frère Ange. Et ce jeune homme se
comporta si gracieusement qu'à quelque temps de là saint
François le fit gardien du logis de Monte Casale.
A cette époque-là trois fameux larrons fréquentaient la
contrée et y faisaient beaucoup de mal ; ils vinrent un jour
au logis des frères et prièrent ledit frère Ange, gardien,
de leur donner à manger. Et le gardien en les reprenant
rudement leur répondit de cette manière : « Vous, grands
voleurs et cruels homicides, n'avez pas honte de dérober
les fatigues d'autrui ; et vous voulez encore comme des
présomptueux et des insolents dévorer les aumônes qui sont
envoyées aux serviteurs de Dieu ! Vous n'êtes pas même
dignes que la terre vous porte, car vous n'avez aucun respect
ni pour les hommes, ni pour Dieu qui vous créa : allez
donc à vos affaires et ne paraissez plus ici. » De quoi, les
autres, troublés, s'en allèrent en grand courroux.
Et voici que saint François revint du dehors avec la besace
au pain et un petit vase de vin qu'il avait mendiés avec
son compagnon et, le gardien lui racontant comment il
avait chassé les larrons, saint François le réprimanda fort
en lui disant : « Tu t'es comporté cruellement, attendu que
les pécheurs se ramènent mieux à Dieu par la douceur que
par de cruels reproches ; et notre maître Jésus-Christ,
dont nous avons promis d'observer l'Évangile, dit que
point n'est besoin du médecin pour les bien-portants, mais
pour les malades, et qu'il n'était pas venu pour appeler
les justes, mais les pécheurs à la pénitence, aussi mangeait-il
souvent avec eux. Et donc puisque tu as agi contre la charité
et contre l'Évangile du Christ, je te commande par la sainte
obéissance que tu prennes immédiatement cette besace de
pain que j'ai mendié et ce petit vase de vin, et que tu ailles
promptement derrière eux, par monts et par vaux, jusqu'à
ce que tu les retrouves, et que tu leur présentes tout ce
pain et ce vin de ma part, qu'ensuite tu t'agenouilles devant
eux et leur demandes humblement pardon de ta cruauté.
Et puis prie-les de ma part de ne plus faire de mal, mais
166
de craindre Dieu et de ne plus offenser le prochain, et s'ils
font cela, je leur promets de pourvoir à leurs besoins et
de leur donner continuellement à boire et à manger. Et
quand tu leur auras dit tout cela humblement, reviens ici. »
Pendant que le gardien allait exécuter l'ordre de saint François,
celui-ci se mit en oraison, et il priait Dieu d'amollir les cœurs
de ces larrons et de les convertir à la pénitence.
L'obéissant gardien les ayant rejoints, leur présente le
pain et le vin, et fait et dit ce que saint François lui a prescrit.
Et, comme il plut à Dieu, tout en mangeant l'aumône de
saint François, ces larrons commencèrent à dire entre eux :
« Malheur à nous, misérables infortunés ! Combien dures
sont les peines de l'enfer qui nous attendent, nous qui allons
non seulement volant, frappant et blessant notre prochain,
mais aussi le tuant. Et malgré tant de mal et d'actions scélé
rates que nous faisons, nous n'avons nul remords de conscience
ni crainte de Dieu. Et voici que ce saint frère est venu
à nous ; et pour quelques paroles qu'il nous a justement
dites à cause de notre malice, il nous a humblement demandé
pardon, et outre cela il nous a apporté le pain et le vin et
une si généreuse promesse du saint Père. Vraiment ces
frères sont des saints de Dieu qui méritent le paradis :
et nous sommes les fils de l'éternelle perdition qui méritons
les peines de l'enfer. Chaque jour aggrave notre perdition,
et nous ne savons pas si tous les péchés que nous avons
commis jusqu'ici nous pourront obtenir la miséricorde de
Dieu. »
Ces paroles et autres semblables ayant été dites par l'un
d'entre eux, les deux autres répondirent : « Certainement
tu dis vrai ; mais voilà, que devons-nous faire ? » Et l'autre
dit : « Allons à saint François et, s'il nous donne espoir que
nous puissions trouver miséricorde auprès de Dieu pour
nos péchés, faisons ce qu'il nous commande et puissions-
nous délivrer nos âmes des peines de l'enfer. »
Ce conseil plut à ses compagnons, et les trois, ainsi d'accord,
s'en viennent en hâte à saint François et lui disent : « Père,
à cause des nombreux et graves péchés que nous avons
commis, nous ne croyons pas pouvoir trouver miséricorde
auprès de Dieu ; mais si tu as quelque espérance que Dieu
nous reçoive miséricordieusement, nous voici prêts à faire
ce que tu nous diras et à faire pénitence avec toi. » Alors
saint François, les recevant avec charité et bénignité, les
encouragea par de nombreux exemples et les rendit certains
167
de la miséricorde de Dieu, leur promettant de la leur obtenir
de Dieu et leur montrant combien elle est infinie ; que si
nous avions un nombre infini de péchés, la miséricorde
divine est encore plus grande, et que, selon l'Évangile et
l'Apôtre saint Paul, le Christ béni vint en ce monde pour
racheter les pécheurs.
Par ces paroles et semblables enseignements, les trois
larrons renoncèrent au démon et à ses œuvres ; saint François
les reçut dans l'ordre, et ils commencèrent à faire une grande
pénitence. Deux d'entre eux ne vécurent que peu de temps
après leur conversion et s'en allèrent au paradis ; mais le
troisième, survivant et repensant à ses péchés, s'adonna
à une telle pénitence que pendant quinze années consécutives,
sauf les carêmes ordinaires qu'il faisait avec les autres frères,
le reste du temps il jeûnait trois jours par semaine au pain
et à l'eau, marchait toujours déchaux, vêtu d'une seule
tunique et jamais ne dormait après Matines...

{Fioretti. Chap. 26.)

Berlinghieri, Pescia.

>. V*

uv

%J>-*^%
Lettre d'Élie de Cortone à Grégoire de Naples

A mon bien-aimé frère en Jésus-Christ le Frère Grégoire,


ministre des frères qui sont en France, et à tous ses frères et
les nôtres, Frère Élie, pécheur, salut.

Avant de commencer à parler, je soupire, et ce n'est pas


sans motif. Ma douleur jaillit comme un torrent qui déborde,
parce que le malheur que je redoutais a fondu sur vous
et sur moi. Celui qui nous consolait n'est plus : celui qui
nous portait dans ses bras comme des agneaux est parti
dans une région lointaine. Chéri de Dieu et des hommes,
il est monté au séjour de la lumière, après avoir enseigné
à Jacob la loi de la science et de la vie, et laissé à Israël le
testament de la paix. Il faut nous réjouir pour lui, mais il
faut pleurer sur nous, car sans lui nous sommes enveloppés
de ténèbres et dans l'ombre de la mort. La perte nous
est commune ; le péril m'est particulier à cause des incer
titudes et des soucis de toutes sortes où il m'a laissé. Aussi,
je vous prie de partager ma douleur comme je partage la
vôtre. Nous sommes orphelins et privés de la lumière de
nos yeux. Car c'était une lumière que notre Frère et Père
François, non seulement pour nous qui vivions à ses côtés,
mais aussi pour ceux qui menaient une vie différente de
la nôtre ; une lumière émanée de la vraie lumière, et illu
minant les hommes assis dans les ténèbres, afin de diriger
leurs pas dans les voies de la paix. Éclairé des rayons du
vrai soleil, échauffé de ses feux, il a partout prêché le royaume
de Dieu, unissant les pères aux enfants, communiquant
aux insensés la sagesse des justes, et préparant au Seigneur
une génération nouvelle. Son nom s'est répandu jusqu'aux
îles lointaines, et toute la terre a admiré ses œuvres.
Ne vous attristez pas outre mesure : Dieu, qui est le père
des orphelins, ne nous refusera pas ses saintes consolations.
Si vous pleurez, pleurez sur vous, non sur lui, car nous
sommes, nous, plongés dans la mort : lui, il est passé de
la mort à la vie. Soyez plutôt dans l'allégresse, parce que
ce tendre père, avant de nous être enlevé,, a béni tous ses
enfants comme un autre Jacob, et leur a remis toutes les
fautes qu'ils auraient pu, ne fût-ce qu'en pensée, commettre
contre lui.
Et maintenant, j'ai à vous annoncer une grande joie avec
un miracle nouveau. On n'a jamais rien entendu de tel,
169
si ce n'est du Fils de Dieu, qui est le Christ, Dieu lui-même.
Quelque temps avant sa mort, on a vu notre Frère et notre
Père dans un état de Crucifié, portant sur son corps cinq
blessures qui sont vraiment les stigmates du Christ : ses
pieds et ses mains avaient comme des trous percés par des
clous qui auraient été de part en part. Ces trous s'étaient
cicatrisés et offraient aux yeux l'aspect de clous noirs ; son
côté d'où il sortait parfois du sang, semblait avoir été ouvert
par une lance. Il n'avait plus de beauté, tant son visage
était altéré et toutes les parties de son corps minées par la
souffrance. Ses membres avaient même pris, par suite de
la contraction des nerfs, quelque chose de la rigidité du
cadavre. Mais aussitôt après sa mort, il est redevenu très
beau et d'une blancheur éclatante : on le regardait avec
un plaisir extrême. Ses membres avaient retrouvé toute leur
flexibilité : on pouvait les porter d'un côté ou de l'autre,
comme ceux d'un enfant au corps souple.
Bénissez donc le Dieu du ciel et de la terre et louez-le
devant les hommes pour les miséricordes qu'il nous a faites.
Conservez aussi le souvenir de notre Père et Frère François,
pour l'honneur de Dieu qui l'a exalté au milieu des hommes
et glorifié devant les anges. Priez pour lui comme il nous en a
manifesté le désir, et en même temps invoquez-le afin qu'un
jour Dieu nous rende participants de sa gloire...

(Cité et traduit par Le Monnier.)


Prière finale

Voici, ô notre bienheureux Père, que nous nous sommes


efforcés, dans la simplicité de notre zèle, de louer de notre
mieux ta vie merveilleuse et de rapporter pour ta gloire
quelques-unes de tes innombrables vertus. Nous savons
bien que nos paroles ne peuvent refléter l'éclat de tes mérites
et qu'elles restent impuissantes à exprimer une telle perfec
tion. Nous te prions, toi et ceux qui nous liront, de regarder
moins le résultat que notre amour et nos désirs, et de constater
avec joie que les plumes humaines sont incapables de relater
les merveilles d'une telle vie. Qui donc pourrait, ô le plus
grand des saints, se représenter à soi-même et faire com
prendre aux autres l'ardeur de ton âme ; qui pourrait conce
voir cet ineffable amour qui, sans interruption, montait de
ton cœur vers Dieu ? Mais, charmés par la douceur de ton
souvenir, nous avons écrit ta vie et, tant que nous vivrons,
nous tâcherons, quoiqu'en balbutiant, de la faire connaître
aux autres. Tu te nourris maintenant de la fine fleur de
froment dont tu avais faim et te désaltères à ce torrent de
voluptés dont tu avais soif. Nous pensons que tu n'es pas
enivré par les délices de la maison de Dieu au point d'oublier
tes fils, alors que celui dont tu jouis se souvient de nous.
Attire-nous donc à toi, vénérable Père; fais que nous courions
dans le sillage de tes parfums, nous que tu vois tièdes, non
chalants, paresseux et languissants. Ton petit troupeau suit
tes traces qui vont déjà s'effaçant. Nos faibles yeux ne peuvent
soutenir l'éclat de ta perfection. Donne-nous un renouveau
de vie, toi le miroir et le type de toutes les vertus. Ne souffre
pas que nous différions de toi par la conduite, alors que
nous sommes semblables par la profession.
Et maintenant, nous nous prosternons devant la clémence
de l'Éternelle Majesté en lui adressant nos humbles prières
pour le serviteur du Christ, notre ministre, successeur de
ta sainte humilité et ton émule dans la véritable pauvreté,
qui s'occupe de tes brebis avec une grande sollicitude et
une douce charité, pour l'amour du Christ. Nous te deman
dons, ô saint Père, de lui donner ton appui et ton affection
afin que, marchant toujours sur tes traces, il parvienne à
la gloire éternelle que tu possèdes maintenant. Nous te
supplions aussi de tout notre cœur pour ce fils qui vient
maintenant encore, comme il l'avait fait déjà autrefois, de
relater tes hauts faits. Cet opuscule bien indigne de tes mérites,
171
Ex-voto de la réconciliation de deux ennemis.
(Vérone. XV s.)
il a mis tout son soin à l'écrire pieusement et il t'en offre
avec nous l'hommage et la dédicace. Daigne le délivrer
et le mettre à l'abri de tout mal, augmenter ses mérites,
et le faire parvenir, grâce à tes prières, à partager éternellement
la compagnie des saints.
Souviens-toi enfin, ô Père, de toute la famille de tes fils
qui, en butte à d'inextricables périls, ne réussissent, tu le
sais mieux que personne, qu'à te suivre de très loin. Donne-
leur la force de résister au mal. Purifie-les pour qu'ils rayon
nent. Donne-leur la joie pour qu'ils portent des fruits,
obtiens que l'Esprit de grâce et de prière soit répandu sur
eux pour qu'ils possèdent la véritable humilité que tu as
possédée, qu'ils observent la pauvreté que tu as observée
et méritent la charité avec laquelle tu as toujours aimé le
Christ crucifié qui, avec le Père et le Saint-Esprit, vit dans
les siècles des siècles. Amen.

(CELANO. Vita Secunda. In fine.)


ChronoL
ronologie
FRANÇOIS L'ÉGLISE
HISTOIRE INTÉRIEURE

1179 Troisième Concile du Latran.


Mort de sainte Hildegarde.

11 8 2 N a i s s a n c e . 11 8 2 L e s M a r o n i t e s s e r é u n i s s e n t
à l'Église romaine.
Naissance de sainte Lutgarde.

1184 Concile de Vérone.


Naissance des Béguines.

1190 Fondation de l'Ordre Teuto-


nique.

1191 Élection de Célestin III.

1195 Evangelisation de la Saxe.


Naissance de saint Antoine
de Padoue.

174
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE

1180 Le légat Henri d'Albano


soumet Roger II de Béziers
par une action militaire.

1183 Traité de Constance entre


Frédéric Barberousse et la
Ligue lombarde. Les cités
reconnaissent la suzeraineté
de l'Empereur.

1187 Saladin s'empare du royaume


chrétien de Jérusalem, dont
le roi est Guy de Lusignan.
1188 La Troisième Croisade est
décrétée.

1190 Mort accidentelle de Frédé


ric Barberousse. Couronne
ment de son fils Henri VI.

1191 Richard Cœur de Lion prend


Chypre, puis, avec Philippe-
Auguste, s'empare de Saint-
Jean-d'Acre. Retour de Phi
lippe-Auguste en Europe.
Victoire de Richard sur Sala
din à Arsur.

1194 Henri VI s'empare de la


Sicile.

1195 Défaite d'Alphonse VIII de


Castille à Alarcos.

1197 Mort d'Henri VI.


175
FRANÇOIS L'ÉGLISE
HISTOIRE INTÉRIEURE

1198 Mort de Célestin III. Élec


tion d'Innocent III.
Saint Jean de Matha et saint
Félix de Valois fondent
l'Ordre des Trinitaires.

1200 Révolte des Bourgeois. 1200 Fondation de l'Université


Prise de la Rocca et érec- de Paris,
tion de la République d'As
sise.
1201 Fondation de l'Ordre des
Porte-Glaive.

1202 Défaite des Assisiates à 1202 Mort de Joachim de Flore.


Pont-Saint-Jean.
Captivité de saint Franr
çois.

1203 Libération.

1204 La maladie. Le dégoût du


monde.

1205 La vision de Spolète. 1205 Institution du bréviaire.

1206 L'Appel du Crucifix à Saint- 1206 Concile de Montpellier.


Damien. Fondation de Notre-Dame de
Le renoncement aux biens Prouille, berceau du second
paternels. Ordre de saint Dominique.

1207 Mort de sainte Mechtilde de


Magdebourg et de sainte Eli
sabeth de Hongrie.

176
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE

1198 Innocent III envoie des 1198 Élection simultanée de deux


légats dans le comté de empereurs d'Allemagne :
Toulouse, foyer de l'hérésie Philippe de Souabe, frère de
cathare. Henri VI, candidat gibelin, et
Othon de Brunswick, candi
dat guelfe.

1199 Foulques de Neuilly prêche 1199 Mort de Richard Cœur de


la Quatrième Croisade. Lion.
Jean sans Terre, roi d'An
gleterre.

1201 Innocent III reconnaît Othon


pour empereur.
1202 Quatrième Croisade.

1203 Le duc Arthur de Bretagne


est poignardé par Jean sans
Terre. Philippe-Auguste con
fisque les possessions conti
nentales du roi d'Angleterre.

1203-1204 Prise de Constantino


ple par les Croisés. Baudouin
de Flandre, empereur latin
de Constantinople.

177
FRANÇOIS L'ÉGLISE
HISTOIRE INTÉRIEURE

1208 Mort de l'hérésiarque Amau-


ry de Bènes.

1209 24 février : L'Appel de


l'Évangile à la Portioncule.
Première communauté.
Approbation de la Règle par
Innocent III.
1210 Concile de Paris.
Condamnation des hérésies
qui sévissent surtout en
France.

1212 Vêture de sainte Claire à


la Portioncule.
Départ manqué pour l'Orient.

1214 Voyage pour le Maroc, inter


rompu en Espagne par la
maladie.
Retour à Assise.
1215 Concile du Latran.
Rencontre de saint François
et de saint Dominique.

1216 Chapitre de la Pentecôte à la 1216 Mort d'Innocent III.


Portioncule. Élection d'Honorius III.
Mort d'Innocent III à Pé
rouse.
Élection d'Honorius III.
L'Indulgence de la Portion
cule.
178
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE

1208 Assassinat du légat Pierre 1208 Assassinat de Philippe de


de Castelnau. Excommunica Souabe. Diète de Francfort :
tion de Raymond VI de Tou Othon empereur à l'unani
louse. mité.
1209 Excommunication de Jean 1209 Croisade des Albigeois.
sans Terre. Simon de Montfort prend
Béziers, Carcassonne, Albi,
Pamiers. Mi repoix.

1210 Excommunication d'Othon


IV, qui vient de conquérir
l'Italie.
1211 Diète de Nuremberg : dépo
sition d'Othon et élection de
Frédéric II Hohenstaufen, roi
de Sicile, fils d'Henri VI.
1212 Double croisade des enfants.
Les Espagnols écrasent l'ar
mée maure à Las Navas de
Tolosa.
Victoire de Simon de Mont-
fort à Castelnaudary.
1213 Intervention de Pierre II
d'Aragon en faveur des héré
tiques, il est écrasé et tué
à Muret.
1214 Othon IV, allié à Jean sans
Terre, se tourne contre Phi
lippe-Auguste, allié de Frédé
ric. Il est écrasé à Bouvines.
1215 Simon de Montfort prend
Toulouse et Marmande, der
nières places fortes des Albi
geois.
Révolte des barons anglais.
Jean sans Terre signe la
Grande Charte.

179
FRANÇOIS L'ÉGLISE
HISTOIRE INTÉRIEURE

1217 Chapitre des Nattes : divi 1217 Fondation de l'Université de


sion de l'ordre en provinces Toulouse.
et envoi de missionnaires à
l'étranger.

1218 Le cardinal Hugolin est 1218 Le pape approuve l'Ordre des


nommé, à sa propre requête, Frères Prêcheurs.
protecteur de l'ordre des
Frères Mineurs.

1219 Chapitre de Pentecôte.


Départ de François pour
l'Egypte.

1220 29 septembre : Saint Fran


çois abandonne le gouver
nement de l'ordre et nomme
Pierre de Catane ministre
général.

1221 Mort de Pierre de Catane. 1221 Mort de saint Dominique.


Élie de Cortone ministre Naissance de saint Bonaven
général. ture.
Rédaction et publication de
la seconde Règle.
(Première Règle conservée).

1223 Rédaction de la nouvelle 1223 Saint Pierre Nolasque et


Règle. saint Raymond de Peftafort
Le pape l'approuve par la fondent l'Ordre des Mercé-
bulle Solet Annuere (23 no daires.
vembre).

1224 17 septembre : Stigmatisa


tion sur l'Alverne.

1225 Saint François compose le 1225 Naissance de saint Thomas


« Cantique du Soleil ». d'Aquin.

1226 3 octobre : Saint François


meurt à la Portioncule.
180
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE

1217 Cinquième Croisade. Embar


quement des croisés à Venise,
sous la direction d'André II
de Hongrie.

1218 Mort de Simon de Montfort :


les seigneurs méridionaux
reprennent leurs fiefs.

1219 Prise de Damiette.

1221 Défaite des Croisés à Man-


sourah.

1222 Entrevue de Veroli entre


le pape et l'empereur.
Frédéric se soumet et accepte
de se croiser.

1226 Louis VIII prend Avignon


et reconquiert le Languedoc.
181
L'ÉGLISE
FRANÇOIS HISTOIRE INTÉRIEURE

1227 Mort d'Honorius III; élec


tion du cardinal Hugolin
sous le nom de Grégoire IX.
Concile de Narbonne, consi
déré comme l'avènement de
l'Inquisition.

1228 16 juillet Canonisation


solennelle de saint Fran-
cois.

1230 25 mai : Translation du


corps de saint François dans
la Basilique patriarcale d'As
sise, construite à cet effet.
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE

1227 Frédéric II, qui recule de


puis douze ans son départ à
la Croisade, est excommunié
par Grégoire IX.

1228 Sixième Croisade.


Frédéric II débarque à Saint-
Jean-d'Acre.
1229 Traité de Jaffa avec le
sultan Kamel. Trêve de dix
ans. Frédéric fait son entrée
à Jérusalem, puis repart pour
l'Italie. Paix de Paris :
Raymond VII abandonne
une partie de ses domaines
au pape et au roi de France,
et est relevé de son excommu
nication.

1230 Traité de San Germano :


Frédéric II fait sa soumis
sion à Grégoire IX et est
relevé de son excommunica
tion.
Contemporains de Saint François

1120 1140 1160 1180 1200 1220 1240 1260 1280

Fr. Barberousse
1121-1190

Henri II Plantagenet
11 3 3 - 11 8 9 —

Grégoire IX (Cal. Hugolin)


1142-1241

Joachim de Flore
1145-1202

Richard Cœur de Lion


1157-1199

Innocent III
1160-1216

Henri VI, emp. Allemagne


1165-1197

Philippe-Auguste
1165-1223

Jean sans Terre


1166-1216

Saint Dominique
1170-1221

Othon IV, empereur


1175-1218

Philippe de Souabe
1178-1208

Alexandre de Halès
1180-1245

SAINT FRANÇOIS
1182-1226

184
1120 1140 1160 1180 1200 1220 1240 1260 1280

SAINT FRANÇOIS
1182-1226
Sainte Lutgarde
1182-1246
Frédéric II
1194-1250
Sainte Claire d'Assise
1194-1253
Saint Antoine de Padoue
1195-1231
Saint Ferdinand III
1198-1252
Saint Albert le Grand
1206-1280
Sainte Elisabeth de Hongrie
1207-1231
Henri NI d'Angleterre
1207-1272
Sainte Mechtilde de Magdebourg
1207-1282

Roger Bacon
1210-1252
Saint Louis IX
1214-1270
Charles d'Anjou, roi de Naples
1220-1285
Saint Bonaventure
1221-1274
Saint Thomas d'Aquin
1225-1274

185
Etat des Provinces en 1975
(le chiffre entre parenthèses
est celui de 1956)

Provinces franciscaines
743 religieux (1019)

STRASBOURG
.158 (196)

@S SAVOIE 90 (139)
®

Provinces capucines
654 religieux (1009)
Bibliographie

Dans le cadre d'un livre aussi modeste, nous ne pouvons donner qu'une
bibliographie très succincte, comprenant les volumes les plus marquants,
et dépouillée de tout appareil d'érudition.
En ce qui concerne saint François lui-même, on trouvera une bibliographie,
sinon complète du moins abondante, dans : Englebert, Vie de saint François
d'Assise, (Albin Michel), pp. 396-426. Pour les périodiques, même ouvrage :
pp. 28-29.

I. Vie de saint François

A) SOURCES PRIMITIVES
Thomas de Cflano, Vita Prima (1229), Vita Secundo (1246), Tractants
de miraculis (1253), Legenda chori (1230).
Traductions françaises : Vie de saint François, par Thomas de Celano,
trad. Fagot à la librairie St-François, trad. D. Vorreux aux Éd. francis
caines.
Celano, reçu dans l'ordre par saint François lui-même vers 1214, a fort
bien connu le fondateur et ses premiers compagnons ; ses Vies, commencées
dès 1228, c'est-à-dire deux ans après la mort du Père, constituent l'élément
le plus sûr de la connaissance de saint François.

Saint Bonaventure, Legenda Major (1263), Legenda Minor (1261).


Traductions françaises : Vie de saint François, par saint Bonaventure,
trad. Fagot à l'Art Catholique, trad. D. Vorreux aux Éd. franciscaines.
Légende des Trois Compagnons (Léon, Ange, Rufin) (1246 à 1300).
Traduction française par Pichard (L'Artisan du Livre, 1926).
Legenda Antiqua (du Frère Léon ?)
Traduction française : Saint François d'Assise raconté par ses premiers
Compagnons, par Fagot (Éd. Franciscaines).
Julien de Spire, Vita Sancti Francisa' (1232).
Speculum Perfectionis (1345 — mais inspiré directement du Fr. Léon).
Traduction française par Budry : Le Miroir de la Perfection (1911).
Fioretti. La plus célèbre compilation sur saint François et ses compagnons.
Date du xiv siècle. Multiples traductions françaises, notamment par :
Ozanam, Englebert, B. Dayen, A. Masseron.

I87
B) VIES MODERNES
Très rares jusqu'au milieu du siècle dernier, les biographies de saint
François se sont multipliées depuis cent ans. Beaucoup ont vieilli. Les deux
plus recommandables par leur tenue littéraire et leur information histo
rique sont :
Joergensen, Saint François d'Assise (Perrin. édit.), 510 p. + 22 p. d'in
dex et 88 p. sur les sources.
Englebert, Vie de saint François d'Assise, 1947 ; 460 p. Écrit par l'un
des meilleurs spécialistes de saint François, cet ouvrage fait la part de tous
les travaux antérieurs.

Deux autres excellentes vies de saint François, celles de Le Monnier


(2 vol.) et Cuthbert. Toutes deux à la Librairie St-François.

Une mention toute spéciale est due à :


F. Timmermans, La harpe de saint François (Éd. Franciscaines, Bloud
et Gay). Les faits sont historiques, mais tous les détails sont délicieusement
romancés. Ce récit poétique intéressera spécialement ceux qui connaissent
déjà saint François.
Pour une lecture rapide :
Renée Zeller : Saint François d'Assise (Éd. Franciscaines, 144 p., - lr" éd.,
72 p.).

II. L'environnement

A) L'ICONOGRAPHIE FRANCISCAINE
Aucun ouvrage complet sur la question. Le meilleur est italien :
Facchinetti, Iconografia Francescana, Milan, 1924.
En français :
Henry Thode, Saint François d'Assise et les origines de l'Art en Italie.
Traduct. française de Gaston Lefèvre, 2 vol. (Laurens), 1909.
Facchinetti, Saint François d'Assise.
Vandalle, Saint François d'Assise et ses interprètes dans l'Art.
Miquel d'Esplugues, Le véritable visage du Poverello.
M. Villain, Saint François et les peintres d'Assise.
Louis Gillet, Histoire artistique des Ordres mendiants (Arthaud).

B) ASSISE ET L'OMBRIE
P. Gérald Hego, Assise. Guide et Plan spirituel, 32 p. (Éd. Francise.)
A. Masseron, Assise.
J. M. Marcel : Terres Franciscaines,
Cavanna, L'Ombrie Franciscaine.
et les divers ouvrages d'ÉDOUARD Schneider, Assise, Le petit Pauvre au
pays d'Assise, Le petit Pauvre dans ses ermitages, etc..
Une mention très spéciale pour le très bel album paru chez Desclée de
Brouwer en 1952 :
W. Hauser, Saint François d'Assise (200 photos de L. von Matt).

i88
III. La spiritualité franciscaine

A) ÉCRITS DE SAINT FRANÇOIS


Deux excellentes éditions :
P. Gratien, Les Opuscules de saint François (Librairie St-François).
P. Bayart, Écrits de saint François (Éd. Franciscaines). Préférence à
accorder à la dernière édition, latin-français, avec table, par les Frères
Mineurs de Champfleury.
Divers auteurs, La Règle des Frères Mineurs (Éd. Franciscaines), 1961.

B ) É C R I T S D E S P R I N C I PA U X A U T E U R S S P I R I T U E L S F R A N
CISCAINS.
Saint Bonaventure, par le P. Valentin-Marie Breton, 480 p. dont 110
d'introduction (Aubier).
Contient les principaux traités spirituels du Docteur séraphique.
Œuvres spirituelles de saint Bonaventure, par le P. Jean de Dieu. 4 vol.
parus (Librairie St-François).
Jacques de Milan, L'Aiguillon d'Amour (id.).
Sainte Angèle de Foligno, Le Livre de l'Expérience des vrais Fidèles.
Éd. latin-français 534 p. (Vrin).
Saint Pierre d'ALCANTARA, Traité de l'Oraison et de la Méditation
(Librairie St-François).
Sainte Véronique Giulani, Autobiographie (Librairie St-François).
Boniface Maes, Théologie mystique (Éd. Franciscaines).
Ambroise de Lombez, Traité de la Paix Intérieure (Libr. St-François).

O ÉTUDES SUR LA SPIRITUALITÉ FRANCISCAINE.


P. Gratien O. M. C, Saint François d'Assise, sa personnalité, sa spiri
tualité (Libr. St-François).
P. Hilarin de Lucerne O. M. C, L'Idéal de saint François, 2 vol. (Libr.
St-François).
P. Valentin - M. Breton O. F. M., La Spiritualité franciscaine (Éd. Fran
ciscaines), Le Christ de l'âme franciscaine (id.). De l'imitation du Christ à
l'école de saint François (Libr. St-François).

TV. La descendance franciscaine

A) LES ORDRES FRANCISCAINS


Présentation :
P. Pol de Léon Albaret, Les Franciscains, 32 p. (Éd. Franciscaines).
Cette plaquette très illustrée, fait pénétrer, par un bon choix d'images, dans
l'intimité des Franciscains.
A. Masseron, Les Franciscains (Grasset).
J. Ancelet-Hustache, Les Clarisses (id.).
P. V.-M. Breton, Le Tiers-Ordre Franciscain (Éd. Franciscaines).

189
Histoire :
Sources principales :
Chronique des Vingt-Quatre Généraux (jusqu'en 1374).
Annales Minorum du P. Lucas Wadding (jusqu'en 1640).
Travaux contemporains :
P. Achille Léon, Histoire de l'Ordre des Frères Mineurs (Éd. Francise.)
La meilleure synthèse actuelle.
Saint François d'Assise, son œuvre, son influence (en collaboration).
Volume publié en 1926 pour le centenaire de la mort de saint François
(Libr. St-François).
A. Gemelli, Le message de saint François au monde moderne (Lethielleux).
Comporte également un exposé de la spiritualité franciscaine.

P. Gratien, Histoire de la Fondation et de l'Évolution de l'Ordre des Frères


Mineurs au XIIIe siècle, 700 p. (Libr. St-François).

Fr. de Sessevalle, Histoire générale de l'Ordre de saint François. Première


partie (seule publiée) : le Moyen Age, 1440 p., 2 vol.
Pour le Tiers-Ordre :
P. Pierre Peano, Histoire du Tiers-Ordre (Éd. Franciscaines).

B) BIOGRAPHIES
Recommandons d'abord la collection Profils Franciscains, aux Éd.
Franc, série de petits livres d'une valeur très inégale, mais qui souvent
n'ont pas leur correspondant. Citons notamment : Sainte Claire (Henri
Ghéon), Giotto (Michel Florisoone), Raymond Lulle (Jean Soulairol),
Sainte Marguerite de Cortone (R.-M. Pierazzi), Sainte Colette (Colette
Yver), Ximénès (Marcel Brion), Sainte Jeanne de France (Guy Chastel).

Thomas de Celano, Sainte Claire d'Assise (Éd. Francise).


P. Leopold de Chérancé, Saint Antoine de Padoue (Libr. St-François).
S. G. Bougerol, Saint Bonaventure et la sagesse chrétienne (Seuil).
J. Ancelet-Hustache, Sainte Elisabeth de Hongrie (Éd. Francise).
Louis Leclèves, Sainte Angèle de Foligno (Pion).

Pour l'hagiographie générale :


T. R. P. Léon, L'Auréole Séraphique, 4 gros volumes, Paris s. d. (1883).
Vies de tous les saints et bienheureux de l'ordre séraphique avec intro
duction historique sur les diverses familles franciscaines. Les personnages
les plus importants y ont une biographie détaillée, par ex. : sainte Mar
guerite de Cortone, 60 p. ; sainte Catherine de Bologne, 50 p. ; saint Pierre
Baptiste, 75 p.

C ) P R É D I C AT I O N , T H É O L O G I E E T P H I L O S O P H I E
P. Bayart, Sermons de saint Antoine de Padoue pour l'année liturgique
(Éd. Franciscaines).
P. Gratien, Sermons franciscains du cardinal Eudes de Chdteauroux.

190
P. Déodat de Basly, Le vénérable Duns Scot (Éd. Franciscaines), L'As-
somptus Homo, (id.), Lourdes, Montmartre, Duns Scot (id.).
P. Chrysostome Urrutibéhéty, Pourquoi Jésus-Christ (Brochure)
(Éd. Franciscaines).
P. Éphrem Longpré, La philosophie du bienheureux Duns Scot (Études
Franciscaines).
Etienne Gilson, Jean Duns Scot (Vrin), La philosophie de saint Bona
venture (Vrin).
Raoul Carton, La synthèse doctrinale de Roger Bacon (Vrin).

Illustrations

Alinari-Giraudon, p. 6, 27,46, 55, 56, 100, 118, 125, 135, 136, 141, 182.
Anderson-Giraudon, p. 23, 24, 31, 36, 39, 45, 50. 63, 73, 98, 138, 142, 161,
168.
Archives Photographiques, p. 98, 147.
Brogi-Giraudon, p. 131, 155, 183.
D. A. C. A., p. 162.
Éditions Franciscaines, p. 14, 15, 16, 28, 41, 58, 80, 89, 91, 94, 96, 97.
Éditions du Seuil, p. 25, 33, 64, 68, 75, 77, 84, 85, 88, 92. 93. 99, 102, 104,
105, 107, 111, 123, 127, 132, 133, 186.
Giraudon, p. 71, 170.
Jean-Marie Marcel, p. 12, 18, 43, 48, 49, 151, 173.
F. Meyer, p. 148.
Vie catholique Illustrée, p. 2, 117.
Georges Viollon, p. 4, 34.

L'auteur et les éditeurs remercient particulièrement les Éditions Franciscaines


de l'aide cordiale que celles-ci leur ont apportée.

CE LIVRE EST LE DIXIEME DF LA COLLECTION " MAITRES SPIRITUELS


DIRIGÉE PAR PAUL-ANDRÉ LESORT.

191
Tablt

Vie de Saint François


L'an du Seigneur 1182 : 5 - Jeunesse dorée: 13 - Les étapes de la
conversion : 19 - Naissance de l'ordre franciscain : 24 - Le deuxième
et le troisième ordres : 29 - L'extension de l'ordre : 35 - La
transformation de l'ordre : 40 - Les dernières années et la mort : 47.

L'esprit franciscain
Adhésion au Christ : 57 - Esprit d'amour : 60 - Esprit d'enfance : 64 -
Esprit de dépouillement : 69 - Esprit de joie : 74 - Esprit cosmique :
76.
La descendance franciscaine
L'ordre franciscain : son évolution interne : 81 - Le message fran
ciscain : sa diffusion : 95 - La sève franciscaine : 114.

Anthologie franciscaine
Écrits choisis de Saint François.
Règle de 1221. Fragments : 119 - Règle de 1223 : 124 - Testament :
137 - Lettre au chapitre général (extraits) : 143 - Laudes séra-
phiques : 145 - Louanges de Dieu : 149 - Cantique des Créatures : 150.

Extraits des Sources.


L'amour des créatures : 152 - L'amour des pauvres : 154 - Vie des
premiers frères : 157 - Louange de la joie : 163 - La joie parfaite :
163 - Conversion des trois larrons : 165 - Lettre d'Élie de Cortone :
169 - Prière finale (Celano) : 171.
Chronologie : 174 - Bibliographie : 187.

NIHIL OBSTAT. PARISIIS, 24 JANUARH 1957. J. BESNARD P. S. S.


imprimatur, parisiis, 25 januarii 1957. pierre girard. p. s. s., v. g.
ACHEVÉ D'IMPRIMER EN 1984 PAR L'IMPRIMERIE TARDY QUERCY S.A. - BOURGES
D. L. ]«r trim. 1957 - n° 817-9 (11948)
collections microcosme

MAITRES SPIRITUELS

1 MAHOMET 21. ST VINCENT DE PAUL


et la tradition islamique et la charité
2. ST AUGUSTIN 22. ST JEAN DE LA CROIX
et l'augustinisme et la nuit mystique
4. GEORGE FOX 26. R SIMÉON BAR YOCHAI
et les Quakers et la Cabbale
5. ST PA U L 27. PATANJALI
et le mystère du Christ et le Yoga
6. LE BOUDDHA 30. ST BONAVENTURE
et le bouddhisme et la sagesse chrétienne
7. MAITRE ECKHART 31. BÉRULLE
et la mystique rhénane et l'École française
8. MOÏSE 33. ÉPICTÈTE
et la vocation juive et la spiritualité stoïcienne
10. ST FRANÇOIS D'ASSISE 34. LAO TSEU
et l'esprit franciscain et le taoïsme
11 . FÉNELON 35. ZARATHUSHTRA
et le pur amour et la tradition mazdéenne
14. CONFUCIUS 36. ST BERNARD
et l'humanisme chinois et l'esprit cistercien
15. CH. DE FOUCAULD 37. GANDHI
et la fraternité et la non-violence
16. ST SERGE 38. STE THÉRÈSE D'AVILA
et la spiritualité russe et l'expérience mystique
17. ST THOMAS D'AQUIN 39. CANKARA
et la théologie et le vedânta
18. RAMAKRISHNA 40. MANI
et la vitalité de l'hindouisme et la tradition manichéenne
19. ST BENOIT 41. RUMI
et la vie monastique et le soufisme
20. ST GRÉGOIRE PALAMAS
et la mystique orthodoxe

Giotto. St François d'Assise recevant les stigmates (détail de la prédelle)


Paris Louvre. Photo Giraudon
SEUIL ISBN 2-02-000265-5/Imprimé en France 4-77-9
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Bologne

^■r r i o L'ALVERNE

\Borgo San Sepolcro


\ ^ A r è z z o ^ M o n t e C a s a l e ^ - ^ N C 0 NE
•Poggibonsi, \ Citta di Castello
• ÏCortoneK GubbioJ
Sienne \ Pérouïe ^«nnM
T Aac% •{ /m lacera
Trasime?e ASSISE* .Spello
\ \ \^ Fol/g no
\ j To d / ) S
/•/SPOLÈTE

Narnit
Greccio • ^ R | E TI

Fonte Colombo

ROME

o 20
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