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St FRANÇOIS
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et l'esprit franciscain
MAITRES SPIRITUELS
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Vie âe Saint François
JEUNESSE DORÉE
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La maison paternelle de François.
Le petit enfant fut porté sur les fonts baptismaux de la
cathédrale Saint-Rufin, qui ne possédait pas encore à l'époque
la fière et solide silhouette que nous lui connaissons ; et
il reçut le nom de Jean. Comment donc Giovanni se trans-
forma-t-il en Francesco ? Les avis sont partagés. Les uns
prétendent que le père, voyageant en France à cette époque,
changea lui-même le prénom à son retour, par admiration
pour le beau pays qu'il avait parcouru ; d'autres supposent
que François lui-même, devenu adolescent, avait si bien
pris le langage et les façons d'un Français que ses amis
lui en avaient spontanément attribué le vocable. De toute
façon, on peut affirmer que François doit ce nom sous lequel
il s'est immortalisé à l'amour de notre pays, pays des chevaliers
et des troubadours, qu'il se choisira plus tard comme champ
d'apostolat, à cause de l'honneur qu'on y rendait à la sainte
Eucharistie.
Pour l'instant, ce n'était pas la dévotion qui l'inspirait,
mais la poésie. Ame sensible et ardente, le jeune homme
s'était pris d'enthousiasme pour les chansons de geste et
les romans de chevalerie importés d'au-delà des monts. Il
avait écouté avec ravissement les poèmes galants que les
troubadours de Languedoc et de Provence venaient chanter
en Italie ; il avait entendu parler — peut-être même les
avait-il vues en accompagnant son père dans ses voyages
d'affaires — des cours brillantes de Florence et de Lombardie,
dans lesquelles de séduisants seigneurs et des dames char
mantes donnaient des fêtes incessantes, délices des yeux
et des oreilles. Lui aussi, il voulait imiter ces champions
de la gaie science, et, avec la passion qu'il mettait en toutes
choses, il ne rêvait plus que de les surpasser. C'est ainsi
qu'il prit la tête de la jeunesse d'Assise, cette jeunesse élégante
composée des fils des familles les plus considérables, et
qui passait le meilleur de son temps en festins et en cortèges.
Sans doute n'était-il pas noble ; mais il portait deux valeurs
qui surpassent en pouvoir les titres de noblesse : la courtoisie
et l'argent. Cultivé, affable et de bonne tournure, il savait
se gagner les sympathies ; très riche, il entretenait les gentils
hommes pauvres et s'en faisait des débiteurs. Ce dernier
détail a étonné plus d'un narrateur ; car le seigneur Pierre
se montrait fort avare, et la folle prodigalité de son fils devait
lui causer bien des soucis. Mais il faut considérer que le
triomphe du jeune homme rejaillissait amplement sur lui ;
pour ce marchand de modeste extraction qui avait acheté,
comme les autres grands bourgeois, la franchise civile au
prix de son labeur, quel orgueil de contempler son propre
enfant hissé au faîte de la gloire locale et dominant de sa
renommée les fils des plus nobles familles ! Toute la ville
le désignait du doigt comme le père du troubadour, et il
faut croire que cette célébrité ne manquait pas d'amener
les chalands dans sa boutique.
Ainsi, le double idéal de François : devenir jongleur et
chevalier, n'était satisfait qu'à moitié ; mais c'était une
moitié si parfaite qu'elle aurait pu le contenter et détourner
ses désirs d'ambitions plus guerrières. Or, les événements
se chargèrent de modifier cette satisfaction paresseuse :
le virelai se transforma en chanson de geste. Après la mort
de l'empereur Henri VI, un schisme avait éclaté en Allemagne ;
deux candidats furent élus et couronnés : le gibelin Philippe
de Souabe, fils de Barberousse et frère du défunt, et le
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4 Baptistère de la cathédrale Saint- Rufin où fut baptisé François
La Rocca Maggiore
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laquelle était surtout exaltée la sainte Pauvreté ; elle fut
approuvée en 1215 lorsque, Claire ayant reçu le titre d'abbesse
de Saint-Damien, l'ordre des Pauvres Dames accéda à
l'autonomie.
Comme le premier Ordre, le second ne cessa alors de
s'accroître ; du vivant même de Claire, il s'était répandu
dans toute l'Europe. Sa plus jeune sœur, Béatrice, et sa
mère devenue veuve vinrent se mettre sous sa houlette.
Sept ans après sa dramatique évasion, Agnès était placée
à la tête du nouveau monastère de Monticelli. Nous voyons
des communautés déjà formées réclamer à saint François
la règle des Pauvres Dames, telle celle de Mareria, dont
l'abbesse, la bienheureuse Philippa (morte en 1236), jouit
d'un culte public avant la mort de la fondatrice. Les prin
cesses de l'Europe centrale trouvent dans les monastères
du second ordre le parfait refuge à leurs aspirations ; dès
1233, la bienheureuse Agnès de Prague, fille du roi de Bohême
et fiancée de l'empereur Frédéric II fonde, avec cinq moniales
de Saint-Damien, un monastère dont elle devient l'abbesse ;
sept ans plus tard, la bienheureuse Salomé, femme du roi
de Galicie, devient Pauvre Dame ; puis c'est le tour des
bienheureuses Cunégonde, femme de Boleslas V, roi de
Pologne, abbesse de Sandek, et Yolande, duchesse de Pologne
encore, abbesse de Gnesin. Quand sainte Claire mourra,
en 1253, délabrée par les pénitences, épuisée par les luttes
incessantes qu'elle eut à soutenir pour garder le privilège
de la pauvreté absolue, elle aura à son chevet pour l'assister
les plus authentiques Franciscains : Léon, Ange et Junipère ;
en elle, ils voyaient la parfaite disciple du maître, celle qui
lui avait donné, en quarante années de sa vie, des milliers de
moniales passionnées de l'Évangile du Christ.
Le troisième ordre, celui des laïcs, vit le jour une dizaine
d'années après celui des Pauvres Dames. On s'accorde à
fixer la date d'érection canonique de la première fraternité
au printemps de 1221. Cependant, Englebert note avec
raison que, d'une part, la « Lettre à tous les fidèles », écrite
vers 1214, constitue comme une ébauche de la future règle
du Tiers-Ordre, et que, d'autre part, François a ouvert
bien auparavant sa spiritualité à des laïcs qui furent des ter
tiaires avant la lettre : notamment Roland de Chiusi, qui lui
donna la solitude du mont Alverne, et Jacqueline de Settesoli,
l'amie intime qu'il appelait son « frère Jacqueline ».
Le premier tertiaire auquel François conféra l'habit de
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la Pénitence fut un marchand de Poggibonzi en Toscane,
nommé Luchesio, et qui est honoré comme bienheureux
dans l'ordre séraphique ; il vaudrait mieux dire : le premier
couple de tertiaires, car sa femme, Buona Donna, reçut
la même faveur. Aussitôt, s'organisa autour des deux époux
une communauté de pénitents. Dans le courant de l'année
1221, ces sortes de communautés étaient si répandues en
Italie que saint François, inspiré par le Cardinal Hugolin, son
protecteur officiel auprès du Saint-Siège, se décida à leur
donner une règle générale. Cette règle primitive n'a pas été
retrouvée ; mais nous possédons des textes postérieurs de
quelques années, et qui semblent à peu près conformes au
libellé de 1221. La vie des « frères » est enserrée dans un réseau
d'obligations qui visent à leur faire pratiquer plus étroitement
l'Évangile, non seulement dans leur vie privée, mais encore
dans leurs relations au sein de la société : à côté des pratiques
de prière et de pénitence, figurent les secours aux pauvres
et aux malades, le paiement de l'impôt et l'abstention du port
d'armes. Le nombre des laïcs qui adoptèrent cette règle
s'accrut rapidement lui aussi, et l'adhésion massive des
citoyens à de telles prescriptions ne manqua pas d'influencer
fortement les mœurs et même la physionomie politique des
villes italiennes. En effet, le refus des bourgeois de recourir
à la violence orienta souvent les conflits communaux vers
des solutions pacifiques.
Contre la violence.
(Bible moralisée, xin* s.)
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les commentaires impitoyables. Ses derniers mots sont une
exhortation à la fidélité : le législateur y supplie ses fils de
ne rien ajouter ni retrancher, et de connaître par cœur ce
texte qui est la seule voie à suivre pour rester dans la ligne
où ils se sont engagés en entrant dans l'ordre.
Au chapitre de 1221, la nouvelle formule de vie franciscaine
était prête. Elle fut accueillie avec froideur par les lettrés.
Cependant, comme le cardinal Hugolin, représentant officiel
du pape dans la communauté, était absent, on ne discuta
pas et l'on ne prit pas de mesures définitives. Le chapitre
s'occupa surtout d'envoyer de nouveaux frères dans les pays
d'Europe, soit pour y procéder à la relève, soit pour fonder
de nouvelles résidences. Cependant, un fait qui passa alors
inaperçu eut pour l'ordre de sérieuses répercussions ; quand
les religieux se dispersèrent, le provincial de Lombardie
aperçut un jeune frère qui demeurait seul ; ayant appris
qu'il était prêtre, il l'emmena avec lui. Ce religieux, du nom
d'Antoine, avait d'abord été chanoine régulier à Coïmbre ;
à la nouvelle du martyre du frère Bérard et de ses compagnons,
il était entré chez les Frères Mineurs et avait fait voile pour
le Maroc afin d'y trouver le même sort ; après des péripéties
obscures, le bateau qui le portait avait échoué sur les côtes
de Sicile ; là il avait suivi les religieux qui partaient pour le
chapitre de la Portioncule. Rapidement, le frère Antoine
se fit remarquer par sa sainteté et sa science théologique ;
cette double réputation parvint jusqu'à François qui, décou
vrant avec enthousiasme un frère qui réunissait en lui ces
deux trésors, lui envoya la permission d'enseigner : c'était
accepter officiellement que l'ordre eût des écoles de théologie.
C'est ainsi que le frère Antoine, qui sera canonisé sous le
nom d'Antoine de Padoue, devint le premier théologien de
l'ordre et inaugura à Bologne un enseignement selon les
vues de saint François. Car celui-ci ne rejetait pas la science ;
ce qu'il avait en horreur, c'était la science qui dessèche
le cœur et prend la place de l'oraison.
Quand Hugolin revint, les ministres lui portèrent leurs
doléances : la nouvelle règle de François était trop vague
et trop fantasque ; il fallait un texte plus canonique Le
cardinal demanda donc au Père une nouvelle formulation,
et celui-ci se retira avec Léon dans la solitude de Fonte
Colombo. Le travail achevé, il le confia au frère Élie pour
qu'il pût l'examiner à loisir ; quand il le lui réclama, le ministre
général prétendit l'avoir perdu. François fut-il dupe ?
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Comprit-il que, s'il voulait aboutir à un texte qui contentât
à la fois le Saint-Siège et les frères qui gouvernaient l'ordre,
il lui fallait agir avec prudence ? Avec son fidèle secrétaire,
il regagna l'ermitage et rédigea, non sans de grandes luttes
et de grandes souffrances, la règle définitive, celle qui,
maintenant encore, régit l'ordre des Frères Mineurs. Beau
coup plus courte que la règle primitive, elle restait sévère
en tout ce qui concernait la soumission à l'Évangile et notam
ment la pratique de la pauvreté. Sa forme plut à Hugolin ;
elle fut présentée au chapitre général en 1223 où elle déchaîna
à nouveau les passions. Mais le nouveau pape Honorius III
l'approuva solennellement le 23 novembre par la bulle Solet
annuere. Ce n'était qu'un demi-triomphe pour François,
puisqu'il avait dû renoncer à ses précédents projets. Et
pourtant, telle qu'elle était, cette règle constituait un mer
veilleux appel à la sainteté qu'allaient entendre, en sept
siècles, un million d'hommes de toutes conditions.
Frère Antoine, dit « de Padoue
A Greccio, Fronçais fait instruire l'image de « la Crèche
et remplit l'office de cliac à la messe de Noël.
t Taddeo Guddi. Florence
L E S D E R N I È R E S A N N É E S E T L A M O RT
ADHÉSION AU CHRIST
ESPRIT D'AMOUR
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Mariage mystique de François avec la Charité, la Pauvreté, et l'Humilité.
(Ansano, Chantilly)
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La descendance franciscaine
L'ORDRE FRANCISCAIN :
SON ÉVOLUTION INTERNE
Césarin Clarennin
la qualité, les guerres et les épidémies réduisirent la quantité ;
la peste noire qui sévit sur l'Europe en 1347 et 1348 fit
périr la plus grande partie de l'ordre ; l'Italie à elle seule
perdit trente mille Frères Mineurs ; à Marseille, sur cent
cinquante religieux, il n'en resta pas un seul.
C'est au milieu de ces calamités que naquit l'Observance.
En 1334, Jean de Valle obtint du général Gérard Odon
de se retirer au couvent de Brugliano pour vivre la parfaite
pauvreté. Son œuvre fut continuée par Gentil de Spolète et,
après celui-ci, par le bienheureux Paul de Trinci (f 1390),
qui étendit la réforme à quinze autres couvents ; le général
Henri Alfieri le nomma commissaire général de tous les
couvents réformés : c'était admettre l'unité des Observants,
nom que se donnèrent les religieux qui gardaient en commun
une parfaite fidélité à la règle. Dès 1397, Pierre de Villacret
instaure l'observance en Espagne ; en 1417, elle est suffi
samment établie en France pour avoir à sa tête un vicaire
général (Nicolas Rodulphe). C'est à cette époque, près d'un
siècle après l'initiative de Jean de Valle, que le mouvement
va accomplir un bond prodigieux grâce à saint Bernardin
de Sienne et à ses trois admirables disciples : saint Jean
de Capistran, saint Jacques de la Marche et le bienheureux
Albert de Sarziano. L'ordre se trouva véritablement divisé
en deux camps d'égale importance numérique ; cependant
seul celui des Conventuels élisait le ministre général ; les
Observants étaient représentés près de celui-ci par deux
Conventuel
Observant
vicaires généraux : un pour la Famille Cismontaine, c'est-
à-dire l'Italie et les pays d'Europe centrale, l'autre pour la
Famille Transmontaine, c'est-à-dire les nations d'Europe
occidentale. Le fossé se creusant de plus en plus et les Obser
vants se plaignant d'être asservis aux ministres conventuels,
le pape Léon X prit en 1517 une mesure radicale : il donna
aux Observants le droit d'élire eux-mêmes le ministre général
et de porter le nom de Frères Mineurs; quant aux Conven
tuels, ils formèrent un corps à part sous la juridiction d'un
Maître général. La bulle Ite et vos, qui consommait la rupture
et reconnaissait l'Observance héritière légitime de l'ordre
primitif, lui réunissait en même temps trois branches réfor
mées de moindre importance : les Colettans, répandus en
France et en Allemagne, disciples de sainte Colette ; les
Amédéens, fondés au Portugal par le bienheureux Amédée
de Sylva en 1460, et lés Déchaussés, fondés en Espagne
vers 1500 par le bienheureux Jean de la Guadeloupe. Il n'y
avait donc plus de divisions au sein de l'ordre franciscain,
mais deux ordres franciscains autonomes.
Cette situation dura peu. La vie religieuse telle que la
vivait la famille observantine, avec la stricte pauvreté et
la ferveur apostolique, ne suffisait pas à tous. Certains,
remarquant que cette forme de vie, héritée de saint Bonaven
ture et de saint Bernardin, s'écartait de celle adoptée par
saint François et ses premiers compagnons, voulurent
revenir aux origines, sur trois points notamment : abandon
des grands couvents urbains pour des ermitages, suppression
des études théologiques, transformation de l'habit imposé
par saint Bonaventure. En 1525, Mathieu de Bassi, frère
mineur de la Marche d'Ancône, obtint du pape l'autorisation
de réaliser ce programme ; les émules affluèrent : à cause
de leur capuce pointu, on les appela Capucins. Malmenés
par les Observants à cause de leurs idées séparatistes, les
Capucins demandèrent au pape à être soustraits à leur
juridiction : Clément VII, par la bulle Zelus religionis (1528),
accéda à leur requête, mais les soumit au général des Con
ventuels. L'année suivante, ils se donnèrent des constitutions.
Il leur fallut cependant attendre près d'un siècle pour accéder
à l'autonomie complète ; celle-ci fut en effet réalisée en
1619, quand les Capucins obtinrent le droit d'élire leur
propre ministre général.
Parallèlement à la réforme capucine, l'ordre franciscain
connut, pendant le XVIe siècle, trois autres mouvements
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de grande envergure ; mais ceux-ci, au lieu de choisir le
schisme, demeurèrent, quoique avec une large autonomie,
dans le sein de l'Observance. Ce furent successivement :
les Réformés, organisés dès 1526 et répandus surtout en
Italie, en Autriche et en Pologne ; les Alcantarins, successeurs
des Déchaussés de Jean de la Guadeloupe et comme eux
sans sandales : fondés par saint Pierre d'Alcantara en 1555,
ils s'établirent dans la péninsule Ibérique et en Amérique
latine; les Récollets, qui possédèrent leur première custodie
en 1590 et, partis de France, s'implantèrent en Belgique
et en Allemagne. Ces trois familles, en s'octroyant des
statuts particuliers, visèrent à une application très rigoureuse
de la règle, notamment en ce qui concerne la pauvreté,
et ajoutèrent des prescriptions comme l'oraison obligatoire
et l'abstinence perpétuelle. Elles eurent une très grande
vitalité jusqu'en 1897, date à laquelle Léon XIII, par une
mesure que beaucoup ont jugée arbitraire, les supprima
purement et simplement pour les réunir aux Observants
sous l'unique vocable de Frères Mineurs (bulle Felicitate
quadam).
Actuellement, le premier ordre de saint François compte
donc en réalité trois ordres religieux : celui des Frères Mineurs
(O. F. M.), appelés communément Franciscains, celui des
Frères Mineurs Conventuels (O. F. M. Conv.), celui des
Frères Mineurs Capucins (O. M. C. ou O. F. M. cap.).
Pratiquement, leur vie ne diffère guère. Les capucins ont
abandonné petit à petit les privilèges qui avaient motivé
leur sécession : ils ont repris la vie conventuelle, les biblio
thèques et les études théologiques — puisqu'ils forment
des prêtres et même des érudits. En gros, leur statut est
celui des Franciscains, à cela près qu'ils observent dans
le matériau des couvents, la proportion des églises, les
ustensiles du réfectoire, une plus grande pauvreté. En ce
qui concerne la propriété, les deux ordres frères observent
à la lettre la règle de saint François : les couvents n'appar
tiennent pas à l'ordre, mais à des sociétés immobilières
régies ordinairement par des amis de l'ordre ; au contraire
les Conventuels possèdent leurs biens meubles et immeubles.
Il est facile de reconnaître, à son habit, à quel ordre appar
tient l'un de ces religieux. Les Conventuels ne sont guère
connus en France; ils résident surtout en Italie et en Europe
centrale ; ce sont eux qui occupent à Assise le colossal Sacro
Convento annexé à la Basilique Patriarcale. Ils portent une
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Frères Mineurs Capucins
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Dame. C'est alors qu'Urbain IV en 1263 étendit la règle
mitigée à tous les monastères ; cette mesure marqua le com
mencement d'un certain nombre d'abus, et ceux-ci suscitèrent
au début du XVe siècle la grande réforme de sainte Colette
qui rendit à de nombreux monastères la ferveur primitive.
De nos jours, il existe encore deux variétés de Clarisses :
les Urbanistes, qui obéissent à la règle imposée par Urbain IV,
et les Colettines, qui suivent les rudes constitutions de sainte
Colette, allant pieds nus sans sandales, ne jouissant d'aucune
propriété ni d'aucun revenu, attendant leur pain quotidien
de la générosité populaire. Au xvie siècle, Maria Longa
ajouta à ces deux familles celle des Clarisses capucines, dont
les statuts sont à peu près ceux des Colettines. Enfin, on
LE MESSAGE FRANCISCAIN :
SA DIFFUSION AU COURS DES SIÈCLES
Bernardin de Sienne
(Ecole de Viecchietta, Sienne)
de Reggio, Thomas de Pavie, saint Bonaventure, et chez
les Français, Eudes Rigaud et Hugues de Digne se taillèrent
aussi, dans les différents genres de l'éloquence sacrée, une
large célébrité. Mais la palme de la popularité semble
encore revenir à l'Allemand Berthold de Ratisbonne, tribun
doué d'une voix colossale, et qui rassembla à ses pieds, au
dire de ses contemporains, plus de cent mille auditeurs à la
fois.
L'âge d'or de la prédication franciscaine fut celui de la
réforme observantine. Bernardin de Sienne, père de l'Obser
vance, s'est fait entendre dans toute l'Italie ; théologien
de valeur, il parlait au peuple son langage ; il fustigeait
les vices et la dureté des grands, s'attaquait surtout aux
injustices et aux rivalités locales. Jean de Capistran et Jacques
de la Marche parcoururent à pied toute l'Europe, y compris
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Jean de Capistran
(Voile humerai, XV' siècle, chapelle de VAlverne)
Jacques de la Marche
(Crivelli, vers 1430)
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Les mystiques franciscains n'ont pas aimé recourir à
la plume. Cependant la spiritualité séraphique n'a pas manqué
d'interprètes. C'est évidemment saint Bonaventure (1221-
1274) qui s'offre comme le chef de file de ces auteurs; l'édi
tion critique de ses œuvres a retenu seulement dix opuscules
authentiques, presque tous très courts, mais aussi très denses ;
le plus estimé, qu'on a appelé « une somme de spiritualité
bonaventurienne », est la Triple Voie (ou l'Incendie d'Amour) :
on y lit comment l'esprit s'unit à Dieu dans l'amour grâce
à trois chemins : la méditation, l'oraison et la contemplation.
On ne goûte pas moins les autres traités, le Soliloque, l'Arbre
de Vie, la Vie parfaite, le Gouvernement de VAme... Pourtant,
ces méditations et ces effusions s'inspirent beaucoup plus
des maîtres du xne siècle (notamment de saint Bernard et
des Victorins) que de l'enseignement de saint François.
Où l'on retrouve le franciscain, c'est surtout chez l'orateur
et le polémiste. Contre Guillaume de Saint-Amour et les
détracteurs de la sainte pauvreté il écrit cette fameuse Apologie
des Pauvres qui, délivrée des règles didactiques, acquiert,
malgré les longueurs dont elle se surcharge, une éloquence
passionnée qui n'exclut pas le sarcasme.
Trois disciples immédiats de saint Bonaventure ont
écrit avec la même piété que leur maître, mais également
dans le sillage des anciennes écoles monastiques, des traités
remarquables. Bernard de Besse, qui fut son secrétaire,
rédigea un Miroir de la Discipline. Jacques de Milan, à qui
l'on doit un Aiguillon d'Amour (Stimulus Amoris) très estimé
par les maîtres postérieurs, et Jean de Caulibus, auteur
présumé des Méditations de la Vie du Christ, ont avivé, par
leurs pages expressives, le culte de la Passion. A côté d'eux,
on peut citer deux grands contemporains du Docteur Séra
phique : Guibert de Tournai, son confrère au couvent de
Paris, directeur de la bienheureuse Isabelle de France, qui
écrivit pour elle ou pour la sœur Marie de Dampierre plu
sieurs opuscules ascétiques ; et David d'Augsbourg, maître de
Berthold de Ratisbonne, auteur de nombreux traités en alle
mand, dont le plus célèbre est le Triple Statut : il y trace une
méthode ascétique pour les religieux, ceux-ci étant partagés
en trois catégories selon leur élévation spirituelle : les commen
çants, les progressants et les parfaits. Ce traité, quoique ori
ginal, s'inspire de Guillaume de Saint-Thierry ; très répandu
au Moyen Age, il a été l'une des sources de Thomas
a Kempis.
Saint Bonaventure
(Cavazzola, Vérone)
Parallèlement à ces écrivains traditionnels, l'esprit fran
ciscain a produit au XIIIe siècle des penseurs très personnels
qui trahissent plus particulièrement l'influence du Pauvre
d'Assise. Le premier chronologiquement fut le frère Égide,
compagnon de saint François, dont les aphorismes pleins de
sagesse, réunis sous le titre de Paroles (Dicta), ont inspiré
saint Bonaventure. On ne connaît pas l'auteur de la Médi
tation du Pauvre dans la solitude; c'est une apologie de saint
François et un ardent appel à imiter ses vertus : pauvreté,
charité, humilité. Avec les trois maîtres qui suivent, trois
caractères ardents, puissants, tourmentés, nous entrons dans
l'autobiographie spirituelle. Le bienheureux Raymond Lulle
Raymond Lulle
(i235_I3I5)j tertiaire, passa d'une vie de plaisir à une vie
de pénitence; d'abord ermite, il parcourut ensuite l'Europe,
l'Asie et l'Afrique pour convertir les infidèles et trouver le
martyre : celui-ci lui fut enfin accordé à l'âge de quatre-vingts
ans; philosophe, théologien, mystique, orientaliste et peut-
être alchimiste, il a laissé en ce qui nous intéresse un curieux
ouvrage, mi-roman, mi-autobiographie, intitulé Blanquerna ;
nous y trouvons deux traités mystiques : l'Art de Contempla
tion et le Livre de l'Ami et de l'Aimé, qui sont censés nous
être proposés par le héros de l'histoire. Comme Raymond
Lulle, convertie et tertiaire, la bienheureuse Angèle de Foligno
(1248-1309) fut en même temps une grande visionnaire et
une solide femme d'action ; le frère Arnaud, son directeur,
puis d'autres secrétaires ont consigné sous sa dictée la relation
des faveurs qu'elle reçut de Dieu ; le plus important est
contenu dans le Livre de VExpérience des vrais Fidèles, récit
sublime et d'une émouvante sincérité, qui a trouvé à tous les
siècles des admirateurs passionnés. De ces admirateurs
fut le frère Hubertin de Casai qui, d'abord étudiant à Paris,
fut gagné aux doctrines des Spirituels et devint l'un de leurs
chefs ; il rédigea sur l'Alverne son Arbre de la Vie crucifiée
de Jésus, à la fois confession et réquisitoire contre ses ennemis,
livre tout rempli de chaudes effusions, de violents anathèmes
et de visions grandioses.
Le XIVe siècle, époque de décadence, compte peu de
maîtres. On peut citer parmi les principaux Frères Mineurs
Rodolphe de Bibrac, auteur présumé des Sept Chemins de
l'Éternité, ouvrage dans lequel il se montre bon disciple
de Bonaventure et des Victorins. C'est également au Quat
trocento que se forment les célèbres Fioretti (Florilège),
compilation en italien rassemblant pêle-mêle des témoignages
de compagnons de saint François, et qui transforme souvent
l'histoire en légende : la saveur du récit, on le sait, n'a rien
à y perdre. Le xv1' siècle a fait meilleure figure - Henri de
Herp, dit Harphius, y semble le plus marquant des Francis
cains ; tributaire de saint Bernard et de Ruysbrœck, il écrivit
un Ephithalame, ou commentaire du Cantique des Canti
ques, un Miroir de la Perfection et un Paradis des Contempla
tifs : les trois traités furent réunis au siècle suivant sous le
titre de Théologie mystique. Moins spéculatif, Jean Barthé
lémy est l'auteur de trois courts traités encore inédits : le Li
vret de la Triple Viduité, le Livret de la Crainte amoureuse, le
Livret de la Vanité des Choses. Cependant, Harphius et Bar-
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thélemy restent scolastiques ; on trouve plus d'originalité chez
les mystiques du second ordre, notamment sainte Catherine
de Bologne et la bienheureuse Battista Varani ( j 1527) ;
la première rédigea une autobiographie : les Armes nécessaires
au Combat spirituel, dont le but est d'avertir le lecteur contre
les tentations et les épreuves ; à la seconde, qui compte
parmi les plus remarquables mystiques de son ordre, on
doit quatre opuscules : la Conduite de la Vie Spirituelle, les
Douleurs mentales de Jésus, les Instructions au Disciple, et une
autobiographie le Memento de Jésus. Du xvr' siècle, il faut
retenir surtout les noms de deux maîtres de sainte Thérèse
d'Avila : François d'Ossuna, auteur du Gracieux Banquet,
et de six Abécédaires spirituels : deux sur la Passion, deux
sur l'ascèse, deux sur l'oraison ; et saint Pierre d'Alcantara
(1499-1562), l'un des plus grands mystiques franciscains,
* "S -
us *
Mifc\MV.<!>ivnno
KTNNIAt AKJH1R
(a)Prudence.
O) Compoftton de
memo ire , raifony en
tendement , docilité^
folicitude^pouruoyan -
ce » circonjpeâton fr
precaution.
(c) Prudence agouuer-
uerfoy-mtfroe.
(d) Prudence a goû-
uerner les autres.
(*) Prudence militai»
Tt.
(i)DondeconfeiL
I uerner.
(K) Bon Conjeil.
(l)Droi& lugemtnT.
( m t Perfritâcit i da
iugtment.
(m) Beatitude de mi fai t,Sincérité. . ^
1
corde. *«> ^Couplet ) inno
», Sincérité de eon- cence de pen fées,
(0) Sien heureux Us mi-
uerfation. bby Innocence de pare-
fericordieux. x.Sincérité d'ami les.
4(p) Usreceurtnttuïft- né.
', ricorde, ce* Innocence tPau-
t• y, Sincérité de pre- ures,
meffs. ddy Prompte opera
{^Sincérité de corn- . tion.
France, plus de soixante éditions ; et le Réformé saint Léonard
de Port-Maurice, qui élargit son action missionnaire par la
publication de quelques opuscules spirituels sur le Chemin
de Croix, la confession et la messe. Le XIXe et le XXe siècle
ne nous ont pas révélé jusqu'ici de génie spirituel ; cependant
ils se distinguent par deux caractéristiques : l'abondance des
publications (ce qui est loin d'être toujours une référence)
et l'esprit de synthèse. Il est difficile de faire un choix, même
parmi les ouvrages solides. Quelques personnalités émergent
plus particulièrement ; chez les Capucins : les PP. Ubald
d'Alençon, Ludovic de Besse, Eugène d'Oisy, Etienne de
Paris, Gratien de Paris qui ont touché le public surtout
par le nombre et la qualité de leurs articles ; le P. Leopold
de Chérancé, spécialisé dans les hagiographies franciscaines ;
le P. Jean de Dieu, traducteur des œuvres de saint Bona
venture ; le P. Hilarin de Lucerne, auquel on doit l'admirable
Idéal de Saint François. Chez les Conventuels, le P. Léon
Veuthey. Chez les Frères Mineurs, les Italiens Agostino
Gemelli (f 1959) et Leone Bracaloni ; les Allemands Kajetan
Esser, Engelbert Grau, Lothar, Hardick ; et le Français
Valentin Breton (f 1958) dont la spiritualité, tout en s'appuyant
constamment sur les plus hautes vérités dogmatiques, s'ex
prime d'une façon à la fois concise, claire et pleine de ferveur.
Il y aurait beaucoup à dire encore de l'influence des maîtres
franciscains dans l'inspiration d'ouvragcs ou la fondation
d'instituts extérieurs à leur ordre. Qu'il suffise de mentionner,
dans le premier domaine, le fameux livre de l'Imitation de
Jésus-Christ, le plus célèbre des livres de spiritualité, dont
le titre lui-même est franciscain, et qui ne cite qu'un seul
saint : François d'Assise ; dans le second : la congrégation
des Passionistes, destinée à honorer la Passion du Christ
et à en propager le culte ; le fondateur, saint Paul de la Croix,
fut préparé à son œuvre par les Capucins, et un écrivain de
la nouvelle congrégation a pu dire : « Toute la discipline claus
trale [des Passionistes] porte l'empreinte de l'esprit franciscain
au point que l'on pourrait dire que les Passionistes sont
une nouvelle branche de l'ordre. »
L'esprit de saint François s'est répercuté naturellement
dans trois domaines : les pratiques de piété, la théologie
et la philosophie.
La double dévotion à la Crèche et à la Croix a été propagée
par saint François lui-même, comme aussi une plus tendre
108
intimité avec la Mère de Dieu. L'amour du Christ et de
ses mystères porta les Franciscains à la fréquentation des
Lieux saints, où ils s'établirent et dont ils devinrent les
gardiens officiels ; ils y inaugurèrent le Chemin de la Croix,
pèlerinage avec stations sur les lieux mêmes où Jésus souffrit
sa Passion ; dès le XVe siècle, cet exercice est exécuté
à domicile en s'attachant simplement par la pensée à l'iti
néraire sacré ; à partir du XVIIe siècle, il est pratiqué sous
sa forme actuelle et, au siècle suivant, saint Léonard de
Port-Maurice s'en fait le zélé propagateur.
L'ardeur des Franciscains n'est pas moins grande à l'égard
de l'Eucharistie ; dès 1230 le général Jean Parenti exige
que les hosties consacrées soient conservées dans des ciboires
en matière précieuse, et c'est un humble frère convers
franciscain, saint Pascal Baylon, que l'Église procla
mera patron des Œuvres Eucharistiques. Au XIVe siècle,
saint Bernardin et ses disciples, en particulier saint Jean
de Capistran, suscitèrent la dévotion au Saint Nom de
Jésus ; les premiers, ils en célébrèrent la fête ; Jeanne d'Arc
en fit broder l'anagramme sur son étendard, puis Ignace
de Loyola et son ordre l'adoptèrent comme emblème. Quant
à la dévotion au Sacré-Cœur, dont la sensibilité correspond
bien à l'esprit franciscain, elle fut développée et propagée
par plusieurs maîtres spirituels de l'ordre, notamment
saint Antoine, saint Bonaventure, Jacques de Milan et
Bernardin de Sienne.
L'Angélus, sonné maintenant dans toutes les églises du
monde, a été inventé par un compagnon de saint François,
Benoît d'Arezzo ; de même, c'est le ministre général Jean
de Parme qui ordonna à ses religieux de chanter après complies
l'une des quatre antiennes à la Sainte Vierge : cet usage
a été étendu ensuite à l'Église universelle.
Le souci d'appuyer la doctrine spirituelle de leur Père
sur des fondements rationnels et d'exploiter toutes les ri
chesses dogmatiques qu'elle renfermait a suscité chez les
Frères Mineurs, qui n'étaient au début qu'un groupe de
prédicateurs sans lettres, de prestigieuses vocations philo
sophiques et théologiques. Quelques décades après la mort
de saint François, les Franciscains ont envahi l'Université,
et leurs maîtres se hissent immédiatement à la hauteur des
Frères Prêcheurs, institués pour ce rôle didactique. Quatre
grands centres de la pensée médiévale ont été les témoins
de cette spécialisation du génie franciscain : Bologne, mais
109
Oxford et Paris surtout, et plus tard Cologne. Le premier
docteur franciscain, l'Anglais Alexandre de Halès (f 1245)
a fait pénétrer avec lui les sciences sacrées dans l'ordre ;
il avait en effet la cinquantaine et se trouvait à l'apogée de
sa gloire quand il revêtit la bure, installant avec lui l'ordre
de saint François dans une chaire de la Sorbonne ; surnommé
le Docteur Irréfragable, il est sinon l'auteur, du moins l'ini
tiateur de la première Somme théologique. Jean de la Rochelle,
son disciple, lui succéda dans sa chaire et s'illustra par
une originale accommodation d'Aristote à l'Augustinisme,
notamment dans sa Somme sur l'Ame. Mais le plus illustre
élève d'Alexandre fut saint Bonaventure, le Docteur Séraphique;
prince de la mystique, rénovateur de l'ordre franciscain,
artisan de l'union des Grecs et des Latins, Bonaventure
fut encore l'un des plus grands théologiens et philosophes
du Moyen Age ; vrai fils de saint François et digne conti
nuateur des maîtres augustiniens, toute sa doctrine compose
un véritable Itinéraire de l'Esprit à Dieu, comme s'intitule
l'un de ses plus célèbres ouvrages ; ardent admirateur de
la nature, il trouve dans la création sensible le premier
palier grâce auquel l'homme monte vers Dieu. Au contraire
de Thomas d'Aquin qui consacra sa vie à l'enseignement,
il fut enlevé à sa chaire au bout de quelques années pour
diriger son ordre ; aussi ses écrits n'offrent-ils pas le fini
et l'ampleur de son émule. Ce qui importe ici, c'est que,
dans cette science si suspecte au Poverello, il exprime avec
bonheur les principes dont celui-ci voulait voir vivre ses
frères. « On a souvent l'impression, écrit Etienne Gilson,
en lisant ses Opuscules ou même son Commentaire sur les
Sentences, que l'on est en présence d'un saint François
d'Assise qui s'oublierait à philosopher. »
Les élèves franciscains de Bonaventure qui enseignèrent
à sa suite font honneur à la théologie ; presque tous défendent
avec ardeur son esprit contre l'aristotélisme envahissant.
Ce sont principalement : Gauthier de Bruges, Jean Peckham,
Guillaume de la Mare et Mathieu d'Aquasparta. Le groupe
d'Oxford bénéficia moins de l'influence du Docteur Séra
phique, et ses principaux représentants : Thomas d'York,
Guillaume de Ware et Richard de Middletown, manifestent
une intéressante ouverture aux doctrines d'Aristote. Cette
tendance à s'écarter des positions traditionnelles s'accentue
avec le fameux Spirituel Pierre Olieu et son disciple Pierre
de Trabes. Il faut réserver une place toute spéciale à Roger
Bacon (1210-1292), oxonien lui aussi, l'un des hommes les
plus curieux du Moyen Age, qui, dans ses écrits : Opus
majus, Opus minus, Opus tertium, etc.. se pose nettement
en novateur et en adversaire des méthodes admises ; s'il
reste fidèle à l'augustinisme par sa doctrine de l'illumination
intérieure, il est surtout le grand précurseur de la science
expérimentale qui verra le jour trois cents ans plus tard,
insistant sur la certitude et l'indépendance de la connaissance
sensible et préconisant, pour lui donner plus d'ampleur et
de précision, l'emploi des instruments et des mathématiques.
Cependant, le grand Docteur de l'ordre franciscain est
incontestablement Jean Duns Scot (1266-1308), professeur
successivement à Oxford, à Paris et à Cologne, et dont l'en
seignement se trouve surtout dans l'Ouvrage Oxonien,
l'Ouvrage Parisien, les Questions de Métaphysique et le Premier
Principe. Une mort prématurée n'a pas laissé à ce puissant
génie le temps de réaliser méthodiquement sa synthèse
doctrinale ; pourtant, les thèmes qu'il a traités, surtout en
théologie, portent la marque à la fois du nouveau et du
définitif. Opposé à saint Thomas et à son école — avec
d'ailleurs équité et courtoisie —, il n'en est pas pour cela
un pur disciple de Bonaventure ; aux contemporains il
préfère les Pères de l'Église ; il s'attache surtout à saint
Augustin dans l'esprit et dans le détail, tout en donnant
aux problèmes théologiques des solutions plus nettes ; la
virtuosité de son argumentation, mais surtout la profondeur
de ses raisonnements lui ont consacré le surnom de Docteur
Subtil. Ce qui est le plus remarquable, dans la théologie
scotiste, c'est la place suréminente qu'elle reconnaît au
Christ dans l'œuvre de la Création et de la Rédemption ;
cette primauté absolue que saint François accorde au Christ
dans sa spiritualité, Scot la lui donne dans le dogme : celui
que saint Paul appelle le « Premier-né de toutes les créatures »,
et qui s'intitule, dans l'Apocalypse de saint Jean, « l'Alpha
et l'Oméga, le Principe et la Fin », est non seulement le
Rédempteur, le Médiateur et le Modèle des hommes, mais
encore la cause, le chef et l'achèvement de toute la création,
spirituelle et sensible ; la fête du Christ-Roi est la conséquence
liturgique de cette conception. D'une telle dignité, la Mère
du Christ est la première bénéficiaire : de là l'affirmation
de l'Immaculée-Conception de la Vierge, reprise des Pères,
que le Docteur Mariai défendit contre toute l'Université
et qu'il fit triompher.
Joannes Sco
Jean Duns Scot
LA SÈVE FRANCISCAINE
116
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Anthologie franciscaine
CHAPITRE XXIII
PRIÈRE, LOUANGE ET ACTION DE GRACES.
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-•j-rs^imttr
""Nfon fra«wtfrc.
In tcuiio cclott.rtioio âffdflU c 5ftbr frilctfc •
le texte et le sens des paroles écrites dans cette règle de vie
pour le salut de notre âme. Qu'ils les repassent fréquemment
dans leur mémoire. Et je supplie Dieu tout-puissant, trine
et un, de bénir lui-même tous ceux qui les enseignent, les
apprennent, les possèdent, les retiennent, les mettent en
pratique et chaque fois qu'ils se remémorent et observent
ce qui est ici écrit pour notre salut. Je les prie tous en leur
baisant les pieds, d'aimer, d'observer et de conserver cette
règle.
Et de la part du Dieu tout-puissant et du seigneur pape,
et par obéissance, moi frère François, je prescris fermement
et j'ordonne que personne n'ajoute ou ne retranche quelque
chose à ce qui est écrit dans cette forme de vie, et que les
frères n'adoptent pas d'autre règle.
Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Comme il
était dès le commencement, maintenant et toujours dans
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
CHAPITRE I
AU NOM DU SEIGNEUR COMMENCE LA VIE DES FRÈRES MINEURS.
CHAPITRE II
DE CEUX QUI VEULENT EMBRASSER CE GENRE DE VIE ET
COMMENT ILS DOIVENT ÊTRE REÇUS.
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Provinciaux, auxquels seuls, et non à d'autres, appartiendra
le pouvoir de recevoir des Frères. Que les Ministres les
examinent soigneusement sur la foi catholique et sur les
sacrements de l'Église. S'ils croient toutes ces choses, et
s'ils sont décidés à les professer fidèlement et à les observer
résolument jusqu'à la fin, et s'ils ne sont point mariés, ou
s'ils le sont, que leurs femmes soient déjà entrées dans un
monastère ou du moins qu'elles leur aient permis, avec
l'autorisation de l'Évêque diocésain, d'entrer en religion,
après avoir fait elles-mêmes vœu de continence, étant au
reste d'un âge à ne pas inspirer de soupçon, alors, que les
Ministres leur disent la parole du saint Évangile : « Qu'ils
aillent et vendent tout ce qu'ils ont, et qu'ils aient soin de
le distribuer aux pauvres. » Que s'ils ne le peuvent faire,
la bonne volonté leur suffit. Mais que les Frères et leurs
Ministres se gardent de s'inquiéter de leurs biens temporels,
afin qu'ils aient la liberté d'en disposer, selon que le Seigneur
le leur inspirera. Cependant, s'ils demandent conseil, il
sera permis aux Ministres de les adresser à quelques personnes
craignant Dieu, d'après l'avis desquelles ils puissent dis
tribuer leurs biens aux pauvres. Ensuite, qu'on leur accorde
l'habit de probation, savoir : deux tuniques sans capuce,
une corde, des caleçons et un chaperon descendant jusqu'à
la ceinture, à moins que les Ministres ne jugent quelquefois
autrement selon Dieu. Après l'année de probation, qu'ils
soient reçus à l'obéissance, en promettant d'observer toujours
ce genre de vie et cette règle. Et, d'après le commandement
du Seigneur Pape, il ne leur sera nullement permis de sortir
de cette religion, parce que selon le saint Évangile : « Qui
conque ayant mis la main à la charrue regarde en arrière
n'est pas apte au Royaume de Dieu. » Que ceux qui ont
déjà promis obéissance aient une tunique avec capuce, et,
s'ils le veulent, une autre sans capuce. Ceux qui sont forcés
par la nécessité pourront porter des chaussures. Que tous
les Frères soient vêtus d'habits de vil prix et qu'ils puissent
les rapiécer de sacs et d'autres pièces, avec la bénédiction
de Dieu. Je les avertis et leur recommande de ne point
mépriser et de ne point juger les personnes qu'ils voient
se vêtir mollement et porter des habits aux couleurs voyantes,
rechercher la délicatesse dans le boire et le manger ; mais
plutôt que chacun se juge et se méprise soi-même.
126
CHAPITRE III
DE L'OFFICE DIVIN, DU JEUNE,
ET COMMENT LES FRÈRES DOIVENT ALLER PAR LE MONDE.
CHAPITRE IV
QUE LES FRÈRES NE REÇOIVENT POINT D'ARGENT.
CHAPITRE V
DE LA MANIÈRE DE TRAVAILLER.
CHAPITRE VII
DE LA PÉNITENCE A IMPOSER AUX FRÈRES QUI ONT PÉCHÉ.
CHAPITRE IX
DES PRÉDICATEURS.
Se préserver de l'avarice...
d'avoir l'esprit du Seigneur et sa sainte opération, de s'élever
toujours à Dieu par la prière d'un cœur pur, et de pratiquer
l'humilité et la patience dans la persécution et dans l'infirmité,
et d'aimer ceux qui nous persécutent, nous reprennent et
nous corrigent, parce que Notre Seigneur dit : Aimez vos
ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent et vous calom
nient. Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice,
parce que le Royaume des Cieux leur appartient. Mais celui
qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé.
CHAPITRE XI
QUE LES FRÈRES N'ENTRENT POINT
DANS LES MONASTÈRES DES RELIGIEUSES.
CHAPITRE XII
DE CEUX QUI VONT PARMI LES SARRAZINS ET LES AUTRES INFIDÈLES
Saint François
Fffigie peinte cinquante ans environ après sa mort.
(Anonyme, Sienne)
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ïl/tô'u&nftHtâm
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YLi
Très-Haut lui-même me révéla que je devais vivre conformé
ment au saint Évangile. Et moi je fis écrire cette forme de
vie, en peu de paroles bien simples, et le Seigneur Pape me
la confirma. Ceux qui venaient embrasser cette vie donnaient
aux pauvres tout ce qu'ils pouvaient avoir. Et nous nous
contentions d'une seule tunique rapiécée en dedans et en
dehors, avec une corde et des caleçons ; et nous ne voulions
rien de plus.
Nous, les Clercs, nous disions l'Office comme les autres
Clercs ; les Frères Lais disaient le Pater Noster. Nous demeu
rions assez volontiers dans de petites églises pauvres et aban
données ; nous étions simples et soumis à tout le monde.
Moi-même, je travaillai de mes mains, et je veux travailler ;
je veux absolument que tous les autres Frères s'occupent
ainsi à un travail honnête ; pour ceux qui ne savent point
travailler, qu'ils l'apprennent, non pour le cupide désir
d'en recevoir un salaire, mais pour le bon exemple, et pour
fuir l'oisiveté. Si nous ne sommes point récompensés de notre
travail, recourons à la table du Seigneur, en demandant
l'aumône de porte en porte. Pour saluer, le Seigneur m'a
révélé que nous devions dire : « Que le Seigneur vous donne
sa Paix. » Que les Frères se gardent bien de recevoir sous aucun
prétexte, ni églises, ni demeures, ni tout ce qu'on construit
pour eux, si cela n'est pas conforme à la sainte pauvreté
que nous avons promise dans la Règle ; qu'ils y séjournent
toujours comme des hôtes, des étrangers et des pèlerins. Je
défends formellement par obéissance à tous les Frères,
en quelque lieu qu'ils soient, d'oser demander quelque
lettre en Cour de Rome, par eux-mêmes ou par une personne
interposée, pour une église ou pour quelque autre heu,
sous prétexte de prédication, ou à cause de quelque persé
cution corporelle ; mais quand ils ne sont pas reçus dans une
contrée, qu'ils fuient dans une autre pour y faire pénitence
avec la bénédiction de Dieu.
Et je veux absolument obéir au Ministre Général et au
Gardien qu'il lui plaira de me donner; et je veux être telle
ment Hé entre ses mains que je ne puisse ni aller ni agir
en dehors de sa volonté, parce qu'il est mon maître. Et bien
que je sois simple et infirme, je veux pourtant avoir tou
jours un Clerc qui me dise l'Office comme il est marqué
dans la Règle. Que tous les autres Frères soient aussi tenus
d'obéir à leur Gardien et de dire l'Office selon la Règle.
S'il s'en trouvait quelques-uns qui ne disent pas l'office
139
Lettre autographe de François au frère Léon (1224 ?)
(Cathédrale de Spolète)
selon la Règle et voulussent y faire des changements, ou qui
ne fussent pas catholiques, que tous les Frères, en quelque
endroit qu'ils soient, ou qu'ils en trouvent un de ceux-là,
soient aussi tenus par obéissance de le présenter au Custode
le plus proche du lieu où ils l'auraient trouvé. Et que
le Custode soit tenu par obéissance de le faire bien garder
jour et nuit, comme un prisonnier, de telle sorte qu'il ne
puisse être enlevé de ses mains, jusqu'à ce qu'il le remette
lui-même personnellement entre les mains de son Ministre.
Et que le Ministre soit fermement tenu par obéissance de
le faire conduire par des Frères capables de le garder jour
et nuit comme prisonnier, jusqu'à ce qu'ils l'aient amené
en présence du Seigneur Cardinal d'Ostie, qui est Maître,
Protecteur et Correcteur de cette Fraternité.
Et que les Frères ne disent point : « Ceci est une autre
Règle », car c'est un souvenir, une admonition et une exhor
tation et mon Testament que moi, Frère François, votre
tout petit Frère et Serviteur, je vous adresse à vous mes
Frères bénis, et cela, pour que nous observions plus catho-
liquement la Règle que nous avons promis au Seigneur de
garder.
Que le Ministre Général et tous les autres Ministres et
Custodes soient tenus, par obéissance, de ne rien ajouter
ou retrancher à ces paroles. Qu'ils aient toujours avec eux
cet écrit joint à la Règle, et dans tous les chapitres qu'ils
tiennent, lorsqu'ils lisent. la Règle, qu'ils lisent aussi ces
paroles. Je défends formellement par obéissance, à tous
mes Frères, clercs et lais, d'ajouter des gloses à la Règle
ni à ces paroles, en disant : « C'est ainsi qu'elles doivent
s'entendre. » Mais comme le Seigneur m'a fait la grâce de
dire et d'écrire purement et simplement la Règle et ces
paroles, entendez-les de même simplement, purement et sans
glose, et, avec sainte opération, observez-les jusqu'à la fin.
,-fcirhrfr-fia:
f'-u^BlrTu'i
Intuitif**n mawfu.'
Laudes séraphiques
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Louanges de Dieu
149
Miniature du XIII* siècle.
(Carpentras)
Cantique des Créatures
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160
La vêture d'un Franciscain
(Giovanni di Paolo, Pinacothèque Vaticane, Rome)
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Louange de la joie spirituelle.
La plus suave défense contre les mille embûches de
l'ennemi, c'est, affirmait le saint, la joie spirituelle. Il avait
coutume de dire : « Quand le diable a pu ravir à un serviteur
de Dieu la joie de l'âme, il est au comble de ses vœux. Il
porte avec lui une poussière qu'il peut, à son gré, souffler
dans les recoins de la conscience pour obscurcir le clair
regard de l'esprit et l'éclat d'une vie pure ; mais quand
le cœur est plein de la joie spirituelle, c'est en vain que le
serpent répand son venin mortel. Les démons n'ont aucune
prise sur les serviteurs du Christ qu'ils voient remplis d'une
sainte allégresse. Si, au contraire, son âme est éplorée,
désolée, chagrinée, facilement elle se laissera absorber par
la tristesse ou entraîner par les vaines joies.
Aussi, le saint s'appliquait-il à vivre toujours dans la joie
du cœur, à conserver l'onction de l'esprit et l'huile de l'allé
gresse. Il évitait avec le plus grand soin cette maladie si
funeste de la mélancolie, et quand il s'apercevait qu'elle
commençait à s'infiltrer dans son âme, il recourait bien vite
à la prière. Il disait encore : « Lorsqu'un serviteur de Dieu
ressent un trouble quelconque, comme cela peut arriver,
il doit sur-le-champ se lever, prier et demeurer en présence
du Père jusqu'à ce qu'il lui ait rendu sa joie salutaire. Mais
s'il persiste dans cette tristesse, alors se développera en lui
le mal babylonien qui, s'il n'est lavé dans les larmes, produira
dans son cœur une rouille tenace. »
165
vos frères. » Saint François répondit : « Mon fils, tu es jeune,
délicat et noble ; peut-être que tu ne pourrais supporter
notre vie de pauvreté et d'austérité. » Et lui : « Père, n'êtes-
vous pas des hommes comme moi ? Donc, comme vous
la supportez, ainsi le pourrai-je moi-même avec la grâce
du Christ. » Cette réponse plut beaucoup à saint François ;
et, le bénissant, il le reçut immédiatement dans l'ordre en
lui donnant le nom de frère Ange. Et ce jeune homme se
comporta si gracieusement qu'à quelque temps de là saint
François le fit gardien du logis de Monte Casale.
A cette époque-là trois fameux larrons fréquentaient la
contrée et y faisaient beaucoup de mal ; ils vinrent un jour
au logis des frères et prièrent ledit frère Ange, gardien,
de leur donner à manger. Et le gardien en les reprenant
rudement leur répondit de cette manière : « Vous, grands
voleurs et cruels homicides, n'avez pas honte de dérober
les fatigues d'autrui ; et vous voulez encore comme des
présomptueux et des insolents dévorer les aumônes qui sont
envoyées aux serviteurs de Dieu ! Vous n'êtes pas même
dignes que la terre vous porte, car vous n'avez aucun respect
ni pour les hommes, ni pour Dieu qui vous créa : allez
donc à vos affaires et ne paraissez plus ici. » De quoi, les
autres, troublés, s'en allèrent en grand courroux.
Et voici que saint François revint du dehors avec la besace
au pain et un petit vase de vin qu'il avait mendiés avec
son compagnon et, le gardien lui racontant comment il
avait chassé les larrons, saint François le réprimanda fort
en lui disant : « Tu t'es comporté cruellement, attendu que
les pécheurs se ramènent mieux à Dieu par la douceur que
par de cruels reproches ; et notre maître Jésus-Christ,
dont nous avons promis d'observer l'Évangile, dit que
point n'est besoin du médecin pour les bien-portants, mais
pour les malades, et qu'il n'était pas venu pour appeler
les justes, mais les pécheurs à la pénitence, aussi mangeait-il
souvent avec eux. Et donc puisque tu as agi contre la charité
et contre l'Évangile du Christ, je te commande par la sainte
obéissance que tu prennes immédiatement cette besace de
pain que j'ai mendié et ce petit vase de vin, et que tu ailles
promptement derrière eux, par monts et par vaux, jusqu'à
ce que tu les retrouves, et que tu leur présentes tout ce
pain et ce vin de ma part, qu'ensuite tu t'agenouilles devant
eux et leur demandes humblement pardon de ta cruauté.
Et puis prie-les de ma part de ne plus faire de mal, mais
166
de craindre Dieu et de ne plus offenser le prochain, et s'ils
font cela, je leur promets de pourvoir à leurs besoins et
de leur donner continuellement à boire et à manger. Et
quand tu leur auras dit tout cela humblement, reviens ici. »
Pendant que le gardien allait exécuter l'ordre de saint François,
celui-ci se mit en oraison, et il priait Dieu d'amollir les cœurs
de ces larrons et de les convertir à la pénitence.
L'obéissant gardien les ayant rejoints, leur présente le
pain et le vin, et fait et dit ce que saint François lui a prescrit.
Et, comme il plut à Dieu, tout en mangeant l'aumône de
saint François, ces larrons commencèrent à dire entre eux :
« Malheur à nous, misérables infortunés ! Combien dures
sont les peines de l'enfer qui nous attendent, nous qui allons
non seulement volant, frappant et blessant notre prochain,
mais aussi le tuant. Et malgré tant de mal et d'actions scélé
rates que nous faisons, nous n'avons nul remords de conscience
ni crainte de Dieu. Et voici que ce saint frère est venu
à nous ; et pour quelques paroles qu'il nous a justement
dites à cause de notre malice, il nous a humblement demandé
pardon, et outre cela il nous a apporté le pain et le vin et
une si généreuse promesse du saint Père. Vraiment ces
frères sont des saints de Dieu qui méritent le paradis :
et nous sommes les fils de l'éternelle perdition qui méritons
les peines de l'enfer. Chaque jour aggrave notre perdition,
et nous ne savons pas si tous les péchés que nous avons
commis jusqu'ici nous pourront obtenir la miséricorde de
Dieu. »
Ces paroles et autres semblables ayant été dites par l'un
d'entre eux, les deux autres répondirent : « Certainement
tu dis vrai ; mais voilà, que devons-nous faire ? » Et l'autre
dit : « Allons à saint François et, s'il nous donne espoir que
nous puissions trouver miséricorde auprès de Dieu pour
nos péchés, faisons ce qu'il nous commande et puissions-
nous délivrer nos âmes des peines de l'enfer. »
Ce conseil plut à ses compagnons, et les trois, ainsi d'accord,
s'en viennent en hâte à saint François et lui disent : « Père,
à cause des nombreux et graves péchés que nous avons
commis, nous ne croyons pas pouvoir trouver miséricorde
auprès de Dieu ; mais si tu as quelque espérance que Dieu
nous reçoive miséricordieusement, nous voici prêts à faire
ce que tu nous diras et à faire pénitence avec toi. » Alors
saint François, les recevant avec charité et bénignité, les
encouragea par de nombreux exemples et les rendit certains
167
de la miséricorde de Dieu, leur promettant de la leur obtenir
de Dieu et leur montrant combien elle est infinie ; que si
nous avions un nombre infini de péchés, la miséricorde
divine est encore plus grande, et que, selon l'Évangile et
l'Apôtre saint Paul, le Christ béni vint en ce monde pour
racheter les pécheurs.
Par ces paroles et semblables enseignements, les trois
larrons renoncèrent au démon et à ses œuvres ; saint François
les reçut dans l'ordre, et ils commencèrent à faire une grande
pénitence. Deux d'entre eux ne vécurent que peu de temps
après leur conversion et s'en allèrent au paradis ; mais le
troisième, survivant et repensant à ses péchés, s'adonna
à une telle pénitence que pendant quinze années consécutives,
sauf les carêmes ordinaires qu'il faisait avec les autres frères,
le reste du temps il jeûnait trois jours par semaine au pain
et à l'eau, marchait toujours déchaux, vêtu d'une seule
tunique et jamais ne dormait après Matines...
Berlinghieri, Pescia.
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Lettre d'Élie de Cortone à Grégoire de Naples
11 8 2 N a i s s a n c e . 11 8 2 L e s M a r o n i t e s s e r é u n i s s e n t
à l'Église romaine.
Naissance de sainte Lutgarde.
174
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE
1203 Libération.
176
L'ÉGLISE ÉVÉNEMENTS POLITIQUES
HISTOIRE EXTÉRIEURE
177
FRANÇOIS L'ÉGLISE
HISTOIRE INTÉRIEURE
179
FRANÇOIS L'ÉGLISE
HISTOIRE INTÉRIEURE
Fr. Barberousse
1121-1190
Henri II Plantagenet
11 3 3 - 11 8 9 —
Joachim de Flore
1145-1202
Innocent III
1160-1216
Philippe-Auguste
1165-1223
Saint Dominique
1170-1221
Philippe de Souabe
1178-1208
Alexandre de Halès
1180-1245
SAINT FRANÇOIS
1182-1226
184
1120 1140 1160 1180 1200 1220 1240 1260 1280
SAINT FRANÇOIS
1182-1226
Sainte Lutgarde
1182-1246
Frédéric II
1194-1250
Sainte Claire d'Assise
1194-1253
Saint Antoine de Padoue
1195-1231
Saint Ferdinand III
1198-1252
Saint Albert le Grand
1206-1280
Sainte Elisabeth de Hongrie
1207-1231
Henri NI d'Angleterre
1207-1272
Sainte Mechtilde de Magdebourg
1207-1282
Roger Bacon
1210-1252
Saint Louis IX
1214-1270
Charles d'Anjou, roi de Naples
1220-1285
Saint Bonaventure
1221-1274
Saint Thomas d'Aquin
1225-1274
185
Etat des Provinces en 1975
(le chiffre entre parenthèses
est celui de 1956)
Provinces franciscaines
743 religieux (1019)
STRASBOURG
.158 (196)
@S SAVOIE 90 (139)
®
Provinces capucines
654 religieux (1009)
Bibliographie
Dans le cadre d'un livre aussi modeste, nous ne pouvons donner qu'une
bibliographie très succincte, comprenant les volumes les plus marquants,
et dépouillée de tout appareil d'érudition.
En ce qui concerne saint François lui-même, on trouvera une bibliographie,
sinon complète du moins abondante, dans : Englebert, Vie de saint François
d'Assise, (Albin Michel), pp. 396-426. Pour les périodiques, même ouvrage :
pp. 28-29.
A) SOURCES PRIMITIVES
Thomas de Cflano, Vita Prima (1229), Vita Secundo (1246), Tractants
de miraculis (1253), Legenda chori (1230).
Traductions françaises : Vie de saint François, par Thomas de Celano,
trad. Fagot à la librairie St-François, trad. D. Vorreux aux Éd. francis
caines.
Celano, reçu dans l'ordre par saint François lui-même vers 1214, a fort
bien connu le fondateur et ses premiers compagnons ; ses Vies, commencées
dès 1228, c'est-à-dire deux ans après la mort du Père, constituent l'élément
le plus sûr de la connaissance de saint François.
I87
B) VIES MODERNES
Très rares jusqu'au milieu du siècle dernier, les biographies de saint
François se sont multipliées depuis cent ans. Beaucoup ont vieilli. Les deux
plus recommandables par leur tenue littéraire et leur information histo
rique sont :
Joergensen, Saint François d'Assise (Perrin. édit.), 510 p. + 22 p. d'in
dex et 88 p. sur les sources.
Englebert, Vie de saint François d'Assise, 1947 ; 460 p. Écrit par l'un
des meilleurs spécialistes de saint François, cet ouvrage fait la part de tous
les travaux antérieurs.
II. L'environnement
A) L'ICONOGRAPHIE FRANCISCAINE
Aucun ouvrage complet sur la question. Le meilleur est italien :
Facchinetti, Iconografia Francescana, Milan, 1924.
En français :
Henry Thode, Saint François d'Assise et les origines de l'Art en Italie.
Traduct. française de Gaston Lefèvre, 2 vol. (Laurens), 1909.
Facchinetti, Saint François d'Assise.
Vandalle, Saint François d'Assise et ses interprètes dans l'Art.
Miquel d'Esplugues, Le véritable visage du Poverello.
M. Villain, Saint François et les peintres d'Assise.
Louis Gillet, Histoire artistique des Ordres mendiants (Arthaud).
B) ASSISE ET L'OMBRIE
P. Gérald Hego, Assise. Guide et Plan spirituel, 32 p. (Éd. Francise.)
A. Masseron, Assise.
J. M. Marcel : Terres Franciscaines,
Cavanna, L'Ombrie Franciscaine.
et les divers ouvrages d'ÉDOUARD Schneider, Assise, Le petit Pauvre au
pays d'Assise, Le petit Pauvre dans ses ermitages, etc..
Une mention très spéciale pour le très bel album paru chez Desclée de
Brouwer en 1952 :
W. Hauser, Saint François d'Assise (200 photos de L. von Matt).
i88
III. La spiritualité franciscaine
B ) É C R I T S D E S P R I N C I PA U X A U T E U R S S P I R I T U E L S F R A N
CISCAINS.
Saint Bonaventure, par le P. Valentin-Marie Breton, 480 p. dont 110
d'introduction (Aubier).
Contient les principaux traités spirituels du Docteur séraphique.
Œuvres spirituelles de saint Bonaventure, par le P. Jean de Dieu. 4 vol.
parus (Librairie St-François).
Jacques de Milan, L'Aiguillon d'Amour (id.).
Sainte Angèle de Foligno, Le Livre de l'Expérience des vrais Fidèles.
Éd. latin-français 534 p. (Vrin).
Saint Pierre d'ALCANTARA, Traité de l'Oraison et de la Méditation
(Librairie St-François).
Sainte Véronique Giulani, Autobiographie (Librairie St-François).
Boniface Maes, Théologie mystique (Éd. Franciscaines).
Ambroise de Lombez, Traité de la Paix Intérieure (Libr. St-François).
189
Histoire :
Sources principales :
Chronique des Vingt-Quatre Généraux (jusqu'en 1374).
Annales Minorum du P. Lucas Wadding (jusqu'en 1640).
Travaux contemporains :
P. Achille Léon, Histoire de l'Ordre des Frères Mineurs (Éd. Francise.)
La meilleure synthèse actuelle.
Saint François d'Assise, son œuvre, son influence (en collaboration).
Volume publié en 1926 pour le centenaire de la mort de saint François
(Libr. St-François).
A. Gemelli, Le message de saint François au monde moderne (Lethielleux).
Comporte également un exposé de la spiritualité franciscaine.
B) BIOGRAPHIES
Recommandons d'abord la collection Profils Franciscains, aux Éd.
Franc, série de petits livres d'une valeur très inégale, mais qui souvent
n'ont pas leur correspondant. Citons notamment : Sainte Claire (Henri
Ghéon), Giotto (Michel Florisoone), Raymond Lulle (Jean Soulairol),
Sainte Marguerite de Cortone (R.-M. Pierazzi), Sainte Colette (Colette
Yver), Ximénès (Marcel Brion), Sainte Jeanne de France (Guy Chastel).
C ) P R É D I C AT I O N , T H É O L O G I E E T P H I L O S O P H I E
P. Bayart, Sermons de saint Antoine de Padoue pour l'année liturgique
(Éd. Franciscaines).
P. Gratien, Sermons franciscains du cardinal Eudes de Chdteauroux.
190
P. Déodat de Basly, Le vénérable Duns Scot (Éd. Franciscaines), L'As-
somptus Homo, (id.), Lourdes, Montmartre, Duns Scot (id.).
P. Chrysostome Urrutibéhéty, Pourquoi Jésus-Christ (Brochure)
(Éd. Franciscaines).
P. Éphrem Longpré, La philosophie du bienheureux Duns Scot (Études
Franciscaines).
Etienne Gilson, Jean Duns Scot (Vrin), La philosophie de saint Bona
venture (Vrin).
Raoul Carton, La synthèse doctrinale de Roger Bacon (Vrin).
Illustrations
Alinari-Giraudon, p. 6, 27,46, 55, 56, 100, 118, 125, 135, 136, 141, 182.
Anderson-Giraudon, p. 23, 24, 31, 36, 39, 45, 50. 63, 73, 98, 138, 142, 161,
168.
Archives Photographiques, p. 98, 147.
Brogi-Giraudon, p. 131, 155, 183.
D. A. C. A., p. 162.
Éditions Franciscaines, p. 14, 15, 16, 28, 41, 58, 80, 89, 91, 94, 96, 97.
Éditions du Seuil, p. 25, 33, 64, 68, 75, 77, 84, 85, 88, 92. 93. 99, 102, 104,
105, 107, 111, 123, 127, 132, 133, 186.
Giraudon, p. 71, 170.
Jean-Marie Marcel, p. 12, 18, 43, 48, 49, 151, 173.
F. Meyer, p. 148.
Vie catholique Illustrée, p. 2, 117.
Georges Viollon, p. 4, 34.
191
Tablt
L'esprit franciscain
Adhésion au Christ : 57 - Esprit d'amour : 60 - Esprit d'enfance : 64 -
Esprit de dépouillement : 69 - Esprit de joie : 74 - Esprit cosmique :
76.
La descendance franciscaine
L'ordre franciscain : son évolution interne : 81 - Le message fran
ciscain : sa diffusion : 95 - La sève franciscaine : 114.
Anthologie franciscaine
Écrits choisis de Saint François.
Règle de 1221. Fragments : 119 - Règle de 1223 : 124 - Testament :
137 - Lettre au chapitre général (extraits) : 143 - Laudes séra-
phiques : 145 - Louanges de Dieu : 149 - Cantique des Créatures : 150.
MAITRES SPIRITUELS
Bologne
^■r r i o L'ALVERNE
Narnit
Greccio • ^ R | E TI
Fonte Colombo
ROME
o 20
i