La garde ducale de
Lorraine et ses
capitaines à la fin du
XVème siècle
par Amandine RENAUDIN
Massenie de Saint Michel 1473
Nous commencerons notre étude des
principaux officiers lorrains par les capitaines de
la garde personnelle du duc René II. Cela nous
mènera logiquement à parler de la constitution
même de cette garde d’élite. Dans les prochains
numéros nous nous attarderons sur d’autres
institutions et grands officiers tels que les
maréchaux du Barrois, les baillis et sénéchaux,
les grands écuyers, les capitaines d’artillerie,
etc…
I./ LE CAPITAINE DE LA GARDE :
Il est l’un des plus anciens officiers
institués par le duc. Celui-ci n’avait pas de
véritable maison militaire. Mais le capitaine de la
garde est, avec le maître de l’artillerie, le seul
officier militaire permanent. En temps de paix, il
commande une troupe d’archers et de
cranequiniers (arbalétriers) chargé d’escorter le
duc, le protéger. En temps de guerre, il est à la
tête d’une troupe d’élite, dont le nombre est
augmenté, et qui peut jouer un rôle important.
Les lettres patentes de nomination à ces
fonctions nous indiquent qu’elles sont toujours
conférées à des hommes en la bravoure et la
fidélité desquelles le duc avait une entière
confiance.
1./ Liste des capitaines :
● Simon des Armoises est capitaine des gardes
du duc Nicolas, en 14721. Il n’occupe cette
charge qu’un an, puisqu’il est nommé
capitaine général de l’artillerie en 14732.
Mais les receveurs du duché de Bar ne le
mentionnent jamais dans leurs comptes.
1 5
LEPAGE H, Les officiers des duchés de Lorraine et de Bar…
2 6
Ibidem
● Par contre, Jacques Fesseler, dit Wisse,
nommé le 21 août 1473 « capitaine des
archiers et crainnequiniers de la garde »3 et
conseiller et chambellan du duc le 22 août
1473, est cité de nombreuses fois dans les
comptes des receveurs de Bar. La première
mention de cet officier, dans les registres, est
datée de 1485. Il s’agit d’un remboursement
de ses frais « faiz audit Bar par ledit
cappitaine en venant advertir messieurs du
conseil d’aucuns affaires du pays touchant
l’assemblée que le duc Maximilien faisoit et
autres nouvelles […] »4. Il exerce toujours
cette fonction en 1493, en 1495. En mars
1506, des vivres sont envoyés au capitaine
de la garde qui lutte contre des aventuriers
dans le Barrois5, mais le receveur ne donne
pas son nom. Il s’agit vraisemblablement de
Jacques Wisse, puisque celui-ci est encore
mentionné comme capitaine de la garde en
1510-1511. Mes recherches s’arrêtant à ce
registre, on ne peut savoir jusqu’à quelle date
précisément il occupe cette fonction.
En fait, il est encore capitaine en 15146.
Ainsi, entre 1473 et 1514, Jacques Wisse est
le seul homme cité comme capitaine de la
garde. Il est donc resté à ce poste 41 ans. Ce
chiffre semble assez étonnant : il est le seul
parmi les grands officiers à être en fonction
aussi longtemps. Jacques Wisse a
certainement exercé la fonction de capitaine
jusqu’à sa mort, mais cette longévité laisse à
penser qu’il est devenu capitaine très jeune.
C’est étonnant car cette charge n’est pas
conférée aux membres de grandes familles,
mais à des hommes qui ont prouvé leur
valeur, leur courage et leur aptitude militaire.
3
ADMM B 1 f° 3r
4
ADM B 513 f° 141r
ADM B 530 f°135r
LEPAGE H, Les officiers des duchés de Lorraine et de Bar…
 En outre le capitaine de la garde est un
officier de terrain, il est auprès de ses
hommes ou du duc lors des expéditions
militaires et des combats. On peut en
conclure que Jacques Fesseler, dit Wisse, est
un homme d’exception.
2./ Les attributions du capitaine :
Le capitaine de la garde est, en premier
lieu, le chef d’une troupe armée, chargée de
suivre et de défendre le duc dans ses
déplacements et ses campagnes militaires. Il est
donc responsable de la sûreté, de la protection
personnelle du duc.
En temps de guerre, l’effectif de la garde
est accru, et cette dernière se bat auprès du duc.
Ainsi Jacques Wisse se trouve à la tête de ses
archers et cranequiniers dans l’avant-garde de
l’armée ducale lors de la bataille de Nancy, en
1477. C’est aussi ce qu’indiquent les comptes de
Jean Gerlet, dit d’Amance, receveur de la
chambre aux deniers du duc de Lorraine au
moment de la guerre contre Robert de la Marck
en 1496. Le capitaine de la garde du corps est
donc un chef militaire relativement important.
Mais le capitaine ne suit pas toujours le
duc, il participe aussi à des expéditions militaires
auxquelles le duc ne prend pas part. Ainsi, en
mars 1506, le receveur de Bar envoie des vivres
au capitaine de la garde et au bailli de Saint-
Mihiel, à Marville, qui résistent aux aventuriers
qui ont pénétré dans le Barrois7.
Il est fréquemment envoyé par le duc
comme messager, afin de prévenir le conseil
d’affaires importantes, ou bien comme
représentant du duc ou du maréchal.
3./ Les gages du capitaine :
En 1473, Jacques Fesseler, dit Wisse,
reçoit un salaire de 30 florins par mois8. En 1491,
il reçoit 100 francs de gages pour les mois de
janvier, février et mars9.
Le receveur général du duché de Bar,
Oudet de Chésaulx, signale en 1490 le versement
de 100 livres au capitaine de la garde, mais la
raison de ce versement n’est pas indiquée.
7 12
ADM B 530 f° 135r
8 13
ADMM B 1 f° 51r
9 14
LEPAGE H, Les institutions militaires de la Lorraine, Paris,
1884
De même, en 1492, une somme de 133
livres 6 sous et 8 deniers est délivrée à Jacques
Wisse. Même si le receveur ne le précise pas, il
s’agit probablement d’une pension. Cette somme
ne correspond pas à ses gages, puisque le compte
signale précédemment qu’il a reçu 3 900 livres
pour son salaire et celui de ses hommes10.
De manière similaire,
De manière similaire, 1 595 livres sont
« payez et delivrez par ledit receveur de
l’ordonnance et mandement du Roy de Sicille
notredit seigneur pour le payement des
cappitaine et compaignons de la garde dudit
seigneur Roy pour les mois de janvier, février et
mars 1493. Appert par le mandement dudit
seigneur Roy, donné à Nancy le 15ème jour
d’avril 1495 avant Pasques avec quictance
desdits compaignons, signé Jacques Wisse
cappitaine de la garde, dacté du 5ème jour de may
1495 »11. Cette somme est sûrement un
complément de solde que ces hommes reçoivent
lorsqu’ils marchent en campagne, car les comptes
du receveur de Bar n’indiquent pas les salaires
habituels du capitaine et des gardes, seulement
ceux délivrés lors de leurs séjours à Bar ou de
leurs expéditions militaire. Ainsi, lors de la
guerre contre Robert de la Marck, le capitaine de
la garde reçoit 500 francs « pour ses gaiges d’un
an entier fini au dernier jour de décembre
1496 »12.
Et, en 1510-1511, Jacques Wisse reçoit
200 livres payées par Jean de Keures, receveur de
Saint-Mihiel, par ordonnance du Trésorier13.
En remerciement de ses services,
Jacques Fesseler, dit Wisse, obtient des
récompenses. Il reçoit des rentes, des peensions,
l’affranchissement de l’un de ses gagnages
(terres nouvellement défrichées) et l’état de
capitaine de Château-Salins14.
II./ LA GARDE DU CORPS DU DUC DE
LORRAINE :
La garde du corps est la seule véritable
troupe permanente dans le duché. Mais elle
présente un effectif relativement réduit. Sous le
règne du duc Nicolas, la garde est composée de
cranequiniers. Ce sont des arbalétriers portant à
leur ceinture un cranequin, c’est à dire un petit
10
ADM B 518 f°145v
11
ADM B 519 f° 130v
ADMM B 994
ADM B 534 f° 3v
LEPAGE H, Les institutions militaires de la Lorraine, Paris,
1884
cric pour tendre la corde de l’arbalète. Celle de
René II est constituée de cranequiniers à pied ou
à cheval, d’archers et, au début du XVIème siècle,
uniquement d’archers pour la garde d’Antoine15.
Ces hommes constituent la garde
personnelle du duc. Ils sont chargés de la défense
du prince et de la garde d’honneur du palais. Ils
accompagnent le duc lorsqu’il effectue de grands
déplacements, d’où leur présence à Bar-le-Duc
lors du séjour de René II en 148616, par exemple.
Ces gardes escortent notamment le duc lors des
campagnes militaires. Ils sont chargés de sa
protection personnelle et combattent auprès de
lui. Mais pendant les batailles, la garde peut être
un atout en se portant sur un point ou un autre,
pour ranimer le courage des soldats ou pour aider
un corps de troupes.
La garde n’est pas toujours auprès du
duc pour le protéger directement. Ainsi, lors de la
bataille de Nancy, Jacques Wisse, capitaine des
archers et cranequiniers de la garde, commande
un corps de l’avant-garde de l’armée du duc.
Quelque fois, une partie des hommes
composant la garde est envoyée comme renfort
lors de certains conflits. Ainsi, un compte de
1486-1487 indique le paiement de 115 livres 16
sous et 8 deniers à Jean House, lieutenant de
Jacques Wisse, « pour resitucion de deux
chevaulx qu’il avoit perdus et avoient esté brulez
en ung logeis à Arancy où il estoit alé en la
compaignie de monseigneur le bailli de Sainct
Mihiel et d’autres nobles du pays pour resister à
l’entreprinse que faisoient aucunes gens de
guerres sur les prevostez de Marville et
Longuyon »17. Il est probablement accompagné
d’un certain nombre de ses hommes de la garde,
même si ce n’est pas signalé dans le livre de
comptes. Cette troupe va aussi près de Juvigny
courir sus à un officier de Robert de la Marc, le
faire prisonnier et « tuer ses gens »18.
Les hommes qui composent cette garde
du corps sont bien armés, bien disciplinés et
constituent une troupe d’élite supérieure aux
aventuriers et mercenaires que le duc recrute
souvent.
Mais cette garde ne possède pas un
effectif important. En temps de paix, le capitaine
ne commande pas plus de trente hommes. En
15
LEPAGE H, Les institutions militaires de la Lorraine…
16
ADM B 513 f° 114v
17
ADM B 514 f° 128r et f° 128v
18
ADM B 1346 f° 47r
1473, elle est constituée de 21 cranequiniers19.
Leur solde est de neuf florins par mois et celle
du capitaine 30 florins. Ce nombre n’est pas
fixe, il peut varier d’un mois à l’autre. Ainsi, en
novembre 1480, Jacques Wisse reçoit 453 francs
et 3 gros « pour le paiement des gaiges » des 25
cranequiniers de la garde. En 1481, celle-ci est
composée de 31 hommes et d’une trompette. Et
en septembre et octobre 1481, de 30
cranequiniers et d’une trompette20.
Les comptes des receveurs de Bar
mentionnent quelques « compaignons de la
garde de mondit seigneur »21 :
● Jacques Fesseler, dit Wisse, capitaine de la
garde.
● Jehan de House, lieutenant de la garde.
● Thierron de Mommadey reçoit 70 livres
pour avoir servi jusqu’en juillet 1486.
● Maistre Simon reçoit 140 livres.
● Touppet reçoit 100 livres.
● Waultrin reçoit 46 livres en 1479 et 64
livres en 1486.
● Gérard de Tantonville, idem.
● Medart reçoit 56 livres.
● Colard d’Estrepigny reçoit 38 livres en
1479 et 64 livres en 1486.
● Lyenard reçoit 130 livres pour avoir servi
jusqu’en mai 1479.
● Bestien Desailli reçoit 110 livres en 1479.
En 1487, la garde n’est plus composée
que d’archers, recrutés parmi les gentilshommes
et les roturiers. Un mandement de cette même
année donne la liste de la garde22 :
● Jacques Wisse, capitaine.
● Jehan de Sainct Menge, archer.
● Guillaume de Nominney.
● Medart.
● Le Bastart de Housse.
● Garrin.
● Guerrard de Nancei.
● Touppet.
● Guichain de Longwy.
● Jehan d’Estrepigny.
● Guillaume de Haulcois.
● Hanri de Sainte Marie.
● Hubin de Tanne.
● Claus Malr.
● Jehan Lannete.
● Jehan Remy.
19
LEPAGE H, Les institutions militaires de la Lorraine…
20
ADMM B 977 f° 20r
21
ADM B 513 et B 514
22
ADMM B 3 f° 131r
● Le grant Henry.
● La trompette.
Par le suite, l’effectif sera réduit à une
quinzaine d’hommes pour ensuite augmenter à
80 hommes lors du siège de Sedan contre Robert
A ce moment, la garde est divisée en
trois compagnies, l’une commandée par Jacques
Wisse, la seconde par Jeannot de Bidot, seigneur
de Pont-Saint-Vincent, et la troisième par
l’Allemand Arnold Krantz de Grifolheim,
écuyer, qui commande une douzaine de ses
compatriotes.
En 1514, la garde du duc Antoine est
composée de 25 archers. Trouvant ce chiffre
insuffisant, le duc établit une nouvelle garde de
de la Marck, dans la dernière décennie du XVème
siècle.
46 hommes, toujours sous les ordres de Jacques
Wisse.
En plus de leur solde habituelle, les
gardes reçoivent un supplément lorsqu’ils
marchent en campagne. Des privilèges
importants leurs sont accordés, car ils forment un
corps exceptionnel. Leur appartenance à la garde
leur donne distinction et honneur. A la fin du
XVIème siècle, certains accèderont à la noblesse.
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