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Maryse Condé Entre Pulsion de Départ et Pulsion de


Retour: Une Réappropriationde L'Espace Antillais

Nora C. Cottille-Foley
Georgia Institute of Technology

Commele remarque PascaleBécel,dansla littérature caribéenne où "[l]a questionde la


crised'identité demeureunepréoccupation centrale," le voyagea "valeurarchétypale [d']
initiationà la formation dusujetantillais"
identitaire (Bécel, 135). SelonGlissant, la "pulsion
de départ"qui animelesAntillaismenacela culture antillaisede disparition parassimilation
(Glissant, 76). Glissantrecommande parconséquent de "revenir au lieu.Le détourn'estruse
profitable que si le Retourle féconde"(ibid).
MaryseCondénousoffrel'exempled'une longueréflexion surla question,tantdans
sa vie personnelleque sa rechercheintellectuelle. Après avoir quittéla Guadeloupeet
séjourné en France métropolitaine,Condé a cherché, sans succès, uneréponseà sa quête
identitaire en Afrique.Récemmentelle est retournée en Guadeloupeoù elle a tentéde
renouer unlienavecla population locale(Clark,104). Cetteexpérimentation avecl'exiletle
retour se retrouve danssonoeuvreoù le traitement de l'espaceoccupeuneplaceimportante.
Deux oeuvreslittéraires, publiéesà plusde dixans d'écart,illustrent les tendancesde
la réflexiongéo-politiquecondéenne.D'une part,Hérémakhonon, le premierromande
l'auteur,meten scène les effetsparalysants de la pulsionde départsuscitéepar la force
d'attraction dupôleidentitaire africain.D'autrepart,Tituba, écritalorsqueCondécommençait
à redécouvrir la Guadeloupe,développela fécondité du retour au centrenatalcaribéen.Le
choixd'un centred'attraction définit,danschacun de ces romans,l'échec ou le succèsde
la quêteidentitaire de la protagoniste.PourVeronica,l'Afriqueapparaîtprogressivement
sous l'aspectd'un centreenlisantet assimilateur. PourTituba,au contraire, le retourau
centrecaribéenest une sourcede désirdontl'assouvissement est sans cesse retardé.Ce
désir provoqueune série de déplacementsd'une relationtriangulaireà la suivante,
déplacements qui se concrétisentspatialement parune sériede voyages.L'instabilité des
relations humaines susciteunechaînefertilede déplacements géographiques etrelationnels,
ce qui permetde dénoncerl'artificialité conceptuelle des oppositionsidentitaires binaires
fixesau profit d'uneidentité antillaisemosaïque.
Veronica,l'héroineantillaised'Hérémakhonon, partenAfriqueà la recherche de ses
origines,suivantunequêteidentitaire inspiréede la négritude. Toutau longdu roman,le
continent africainest comparéà un ventrematerneldontl'héroïnevoudraitrenaître
symboliquement afinde ne plus êtreune "bâtarde"au sens culturel(les Antillesétant
perçuescomme"enfants naturelles"
néesde la traitedesesclaves).ParunséjourenAfrique,
elle espèreaussi panserl'humiliationethniquepersonnellement ressentiependantson
enfance.En effet,l'élitisme négro-bourgeoisinculqué par ses parentsl'a rendue
particulièrement susceptibleau méprisethno-social que la classe privilégiéemulâtrelui
manifestait enGuadeloupe.De plus,Veronicanepeuts'empêcher de constater le ridiculede
l'élitismeparentalfondésurun piètremimétisme de la culturecolonialisteblanche.En
Afrique,Veronicaespèreretrouver l'histoired'une puissanceancestralequi effacerait
l'humuliation du ridiculeparentaletglorifierait ses origines.En finde compte,malgrédes
attaquesconstamment renouveléescontrela culturede ses parents, la quêteidentitaire de
Veronicatendà répéter leursoucid'élitisme.

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160 Journalof CaribbeanLiteratures

Les raisonspersonnelles motivant le voyagede Veronicas'avèrentimmédiatement


subordonnées au conflitpolitiquequi déchirele pays.Contrairement à son attented'une
identiténoireunifiée,glorificatrice et légitimante, Veronicase trouveplongée,dès son
arrivée,au coeurd'uneopposition politiquedévastatrice. Elle estconfrontée d'unepart,à
l'Afrique réactionnaire de dirigeants traditionnalistes ayantpris pouvoiraprèsavoir
le
chassé les Françaiset d'autrepart,à l'Afriquerévolutionnaire de militantssocialistes
un
propageant esprit de rébelliondans le pays, particulier le milieuuniversitaire.
en dans
Sans grandesurprisepourles lecteurs,Veronicatombeamoureused'IbrahimaSory,un
ministre né d'une classe princière.Les attributs
traditionaliste princiersle caractérisant
abondentdansle romanet fontmêmeremarquer à la protagoniste, surun tonamèrement
sarcastique,que les sont
ministres les versions locales du prince charmant. Auxyeuxde la
jeunehéroïne, une
Soryreprésente Afrique ancestraledont l'héritageglorieuxpeutluioffrir
le rachatcultureltantrecherché. Elle espèretirerde leurrelationunejustification de la
supériorité et
parentale par là-même, être réconciliée tout autantà ses parentset à leur
classe socialequ'à son identitéculturelle:

Ma révolte,unleurre Envérité, je nefuisrien.A travers


Ibrahima Sory,
je chercheà rejoindre
[mesparents] surunplanmagnifié. Débarrassés de
Ayantdroitd'êtretelsqu'ils étaient,
leursridicules. arrogants,
méprisants.
Seigneur, nousvousremercions de nousavoirfaitsdifférents.. . : que
pourmoila célèbreprièren'aitplusgoûtde farce.En résumé, je cherche
nonpas à les fuir.Mais à melégitimer.(145)

Contrairement auxcontesde fée,l'aventure ne luiapportepas la rétribution socio-culturelle


escomptéecarVeronicase trouveengagéedansunchampde forcecentripète annihilateur
qui luiinterdit touteréappropriation de sonidentité culturelle antillaise.
L'Afriquetelleque la découvreVeronicaesttoutd'abordcaractérisée parunsentiment
d'enlisement. Le pays,remarque Veronica,estdansune"ornière"(189). Le peuplesemble
embourbédansl'attentelorsquela protagoniste décritdes enfants attendant unbus (124),
des chômeursdevantle bureaude la main-d'oeuvre, des désoeuvrésdevantla Maisonde
la radio,des mendiants aux alentours des mosquées,des femmesavec des enfants malades
devantle dispensaire (143). Touteactioncontrele statuquo semblecondamnéed'avance
car"il y a quelquechosedansce paysqui faitque quoi qu'on tente,c'est regret, remords,
désenchantement" ( 175). L'immobilité physique estaccentuée parunralentissement temporel,
voiremêmeunesuspension totaledutemps.SelonVeronica,le tempsafricain va à un"train
de roi fainéant" qui risque de lui faireperdre la raison(242), il "se traîne" (89), parfois
"s'arrête"(61), ou encore"s'esttotalement arrêté"(194).
Cet enlisement atteintégalementVeronicaet menaced'échec sa quêteidentitaire.
Fermantvolontairement les yeux sur les problèmespolitiquesqui déchirentson pays
d'acceuil,Veronicaestenfait,de sonpropreaveu,"unchevalavec desoeillères"(94) alors
qu'ellepiétine"à l'intérieur dumêmecercle"(155),allantde sa villaà cellede sonamant.Si
elle refusede découvrir la dimension politiquede ce paysen crise,Veronicaen dédaigne
également l'aspecttouristique, méprisant ses collèguespourleursexcursions carnousdit-
elle, "Jene feraipas des kilomètres pour rencontrer nez à nez quelque singe, buffleou
hippopotame. Les zoos de mon enfance me suffisent"(120). En fait,elle se définit parson
absencede voyages.Aprèsavoirdécriten détailsl'intérêtesthétiquedes teinturiers de
Kano, elleremarque n'y être jamais allée (189). De même, après avoir justifiéson inertieen

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Appendix 161

prétendant n'êtreintéressée que parle norddu pays,elle avouecependantque mêmesi on


luioffrait
le moyende s'yrendre, ellerefuserait (158). Ce refusestparticulièrement surprenant
dansla mesureoù le Nordsemblaitparticulièrement prometteur dansla quêteidentitairede
Veronica.IbrahimaSoryétantoriginaire de cettepartiedu pays,un voyagedansle Nord
pouvaitoffrir à Veronicala perspective d'unedécouverte des ancêtrestantrecherchés. En
aucun
fait, motif,qu'il soitd'ordre politique,artistique, esthétique,ou même ne
identitaire,
peutsecouerVeronicade soninertie géographique.Se définissant d'un"caractère casanier
qui n'aimepas les exercicesphysiques"(155), Veronicase compareà un "arumdansun
vase" devenuobjetde décoration dansla demeurede Sory(151).
Le séjourde Veronicaressemble doncà unelonguestagnation lorsque,à l'approchede
son départ,elle constate"Jen'ai rienfait"(189), "Troismoisqueje suis ici etje n'ai pas
avancé d'un pas" (192). Au sentiment d'êtreun parasite(151) s'accompagneun "goût
d'inanité"(167). Finalement,
d'inutilité, le sentiment de stagnation s'étendà toutela ville
lorsquela rébellion
dupeupleestdésamorcée.A la finduroman,l'inactivité caractérise tout
autantla protagoniste que la ville,etles confonddansla mêmeimmobilité: "Rienne s'est
passé.J'aivainement guettéle ciel.Tendul'oreille.Rien.La villea dormi, commeunivrogne
dontl'haleineestfétide"(240).
Cetteincapacitéd'agirou de se déplacersoulignela forcecentripète handicappante
qu'exercel'AfriquesurVeronica.Bienqu'elledésirerester endehorsduconflit, Veronicase
trouveirrémédiablement happéeparla situation politiqueettoujours ramenéeensoncentre,
incarnéparIbrahimaSory,sonamantmaisaussile ministre de l'Intérieuretde la Défense:

D'une façonou d'une autre,on se trouveattirée, frappéeparles


événements commes'ils possédaientleurforcepropre,leurvolonté.
Jeveux[toutignorer] maisce n'estpas possible.
Jesuisdéjà prise.(76)

Les amitiésqu'elle nouese révèlent forcément apparentées à uncamppolitiqueeten tant


que telles sontjugées par Sory,symboled'un centreauquel toutes ses tentatives
d'échappement la ramènent inexorablement. Sa relation
à ses étudiants,
toutd'aborddécrite
d'untonjovial,devientpolitiséelorsqu'elledécouvreau tableaudes insultesluireprochant
les rapports sexuelsqu'elle entretient avec un ministre responsablede duresrépressions
estudiantines. Lorsqu'elle se faitaide médicale dans un dispensaire pouréchapperà l'ennui
etl'inactivité,elle découvreavec horreur sonimplication involontairepuisqueYéhogul,le
médecin,esten faitun opposantau régime.Lorsqu'ellechercheà se libérerde sa routine
amoureuseen sortantdans un dancingavec un ami, elle provoqueune bagarreet un
scandalequi reviennent immédiatement aux oreillesde sonamant.Un week-endinnocent
passé à la mer se termine mal lorsqu'elleestsaisiesanspapiersparl'armée.Afinde se tirer
d'affaires,elle doit sa
invoquer relation à Soryetle fairecontacter. Dans chacunde ces cas,
Veronicase retrouve happéepar le climatpolitique etattiréeen son incarnéparSory.
centre,
La demeurede Sory,Hérémakhonon, devientl'emblèmespatialde cetteattraction.
C'estlà que Veronicaestinéluctablement ramenée pourattendre sonamant.Hérémakhonon,
qui signifie"en attendantle bonheur," devient une représentation minimaliséede l'attente.
Passive dans l'attente,Veronicaest le plus visiblement privéede sa forced'action.Ce
centrespatialettextuelminimalsymbolisel'Afriquede Sory,uneAfriquetraditionaliste où
le tempsesten suspens.Là, Veronicaapparaîtcommeunobjetde luxefutileetsuperflu.

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162 Journalof CaribbeanLiteratures

Le constatde cetteattraction
versSoryetsa demeurefaitremarquer
à Veronica:

Me voilàramenéeà IbrahimaSoryqui envéritéestau centrede tout.Au


centrede quoi? Il y a bellelurette quej'ai abandonnéma quête.Au fait,
qu'estqueje quêtais? Alors, au centre de quoi? (187)
Pourrépondreà cettequestion,il fautconsidérerune autreimagedéveloppéepar
Veronica,cellede l'Afriquecomme,nousdit-elle, un"grandtrounoir.TheDarkContinent."
La
(90). quête identitaire menée par Veronica en Afriquemèneà uneforced'assimilation qui
la dépasseetla privede toutpouvoird'action.Cetteforcetouchenonseulement Veronica,
happéeparla situation politique,maismenaceaussid'assimiler jusqu'à la perted'identité
les peuplesde la Diasporaqui chercheraient à s'en rapprocher. Ainsi,Soryévoque avec
condescendance unejeunefilleantillaise qui, étant elle aussien quêted'uneidentité culturelle,
finitpar suivre les coutumes vestimentaires africaines, etse tresser les cheveux.La situation
de Veronicaà la findu récitestdoncambiguë.Si elle n'a pas trouvéde solutionà sa quête
identitaire, elleréussit cependant à éviterl'enlisement culturel africain. Commel'a remarqué
Condédansunentretien avecFrançoisePfaff, l'entreprise de Veronica n'estpas entièrement
un échec en cela qu'elle s'inscrit dans le cadre d'un apprentissage.Véronica auraitpu
prononcer cettephrasede Condé: "l'Afrique m'a aidée a découvrir que je ne suis pas
africaine" '
(Taleb-Khyar, 356).
Hérémakhonon offre doncuneréflexion surlesdangersd'uneidentification à l'Afrique.
Durant son exil, Veronica se trouveengagée dans des relationsqui la ramènent
inexorablement au centreafricain représenté parSoryetsa villasurnommée Hérémakhonon
où l'inactivité et la dépossessionculturelle y guettent la narratrice.
Dans Tituba,Condépoursuit sonexploration de la quêteculturelle antillaisemaiscette
fois-ci,le mouvement estinversé.Née à la Barbade(uneîle qui représente ici lesAntillesen
général),l'héroïneTituban'enestéloignéeque pourpouvoirmieuxréapproprier l'espaceà
son retour.Contrairement aux relationscentripètes rencontrées dansHérémakhonon, où
toutcontactramèneVeronicaà Sory,les rapports humainsdansTitubasontcentrifuges et
provoquent le déplacement constantde l'héroïne.Titubase trouvepriseau coeurd'une
sériede conflitssuccessifsoù sa positionde tiercepersonnelui permetde remettre en
questionles oppositionsbinairestraditionnelles entrel'oppresseuret l'opprimé.Cette
successionde rapports humainsetde conflits l'entraîne dansundéplacement géographique
à travers la Barbade,puisà BostonetSalem,avantde luipermettre unretour quasi-héroïque
à la Barbade.
La premièrepersonnementionnée dans le texteestAbéna,la mèrede Tituba,et le
premier acte celui de son viol parun marin anglaisau dix-septième siècle,lorsde la traversée
atlantique la menant en esclavage à la Barbade (13). Abéna ouvre ainsi la première phrasedu
roman, etsonprénom dontlespremières lettres sontaussilespremières lettres de l'alphabet,
indiquele caractere mythique de ce début.La première relation citée,mêmesi abjecte,n'en
marquepas moins l'origine mythique d'un peuple. Comme l'a remarquéCondédansson
analyse de Césaire:

le poèteopérantunretour en arrière d'unesorte


proposela réhabilitation
de pensée mythiqueassumantpleinement... la connaissancedes
commencements etdes généalogies.
à l'origine,le poèteetsonpeupleauquelil estidentifié
Parce retour
revivant
se libèrent, symboliquement douloureux
les événements qui les

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Appendix 163

onttraumatisé dans l'inconscient.. . . Quandle peuplea revécule rôle


qu'ontjoué les Ancêtres depuis débutdu tempsantillais,c'est-à-dire
le
depuisla du
création monde,unenouvelleèrepeuts'ouvrir. (Condé 1978,
39)

Abénaincarnedoncles originesdouloureuses ettraumatisantes de l'histoirepourle peuple


antillais.
Il revient à Titubad'exorciser le terriblevoyage de sa mère. Si ellequittela Barbade
à borddunaviresurnommé "Blessing," elle revient à bord du "Blessed theLord."Ces noms
attirentl'attention surla natureelliptiquede son voyage. Si le romandébutepar le viol
d'Abéna,il se conclutpar la nouvellede la célébritémythique grandissante de Titubaà
traversl'île.Commepourmieuxattirer l'attention surce renversement, la dernière syllabedu
prénomde Titubainverseles premières lettresdu prénomd'Abéna.De la mèreà la fille,le
romandessineuncerclecomplet.Mais dupremier motau dernier, unecertaine histoire a dû
êtreracontée, corrigée, réhabilitée, etfinalement réclaméecommesienne.
Le récitlui-même contient unesériede drames,confirmant l'assertion de Glissantselon
laquelle"notrequêtede la dimensiontemporelle ne seradoncni harmonieuse ni linéaire.
Elle chemineradans une sériede chocs dramatiques, au niveaudu conscientcommede
l'inconscient" (Glissant,199). Aprèsavoirassistéà la mortdramatique de sa mèreetde Yao,
son père d'adoption,puis à celle d'une vieille femmel'ayantrecueillieet initiéeau
spiritualisme, Titubase retire momentanément dansla solitude.
Elle abandonnecettesolitudeinsulairelorsqu'ellerencontre JohnIndiendontelle
tombeimmédiatement amoureuse.Mais dans l'universesclavagiste,cetterelationest
nécessairement médiatiséeparle regardtoujoursprésent de l'oppresseur, le "grandVoyeur
invisibleetréprimant" (Glissant,296). En fait,la relationà JohnIndienimpliqueundétour
géographique et culturel.LorsqueTitubainterroge les espritsquantà un mariagequi la
forcerait à "retourner dansle mondedes Blancs,"les espritsluirépondent "[i]l faudrabien
que tuen passesparlà" (36) aprèsavoirpréditqu'elle serait"entraînée de l'autrecôtéde
l'eau" (31). QuandTitubase rendà Bridgetown où elle doitrencontrer JohnIndienpour
allerdanser,elle se trouveconfrontée à un paysageannonçantle départ:"[u]ne forêtde
mâtsobscurcissaient la baie etje vis flotter des drapeauxde toutesnationalités" (32).
Dans la longuesériede rapports qui marquent ensuitele texte,la figure de l'oppresseur
est toujoursprésente.Mais la positionen tiercepersonnede Titubadans ces rapports
permetde défairece que Condéa appelé"le détestabletête-à-tête oppresseur/opprimé de
l'universesclavagiste"(Condé 1979,35) et de remettre en questionles stéréotypes de la
dialectiquemaître/esclave.
LorsqueTitubarencontre JohnIndien,la silhouette réprimante de SusanaEndicott, la
du
propriétaire jeune homme, profilese dès leur première discussion. A sa mort, elle est
remplacéeparunefigurenonmoinsinquiétante, celledu prêtre puritain SamuelParris.Le
rapport estdésormaisdéplacéà Boston,puisà Salemoù les emmèneParris.Dans les deux
cas,les rapports entreles troispersonnages - Tituba,John,l'oppresseur blanc- permettent
d'éclairerla variétédes réactions à l'esclavagisme,à travers les différences entreTitubaet
JohnIndien,etdoncde déconstruire l'imagetrophomogène de la victime.
Leursnomsmêmeannoncent les différences qui les séparent. Le prénomde Titubaest
inventé son
par pèred'adoption. Si cette invention est une manifestation de sonamour,elle
estaussi la marqued'une innovation culturelle créatricequi laisse anticiperla formation
d'uneidentité niafricaine nieuropéenne, maisà proprement parlerantillaise. Paropposition,
le prénom de Johna étéde touteévidenceattribué des
par propriétaires européens, oblitérant

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164 Journalof CaribbeanLiteratures

doncla possibilité d'unhéritage culturel.Sonnomde famille - Indien - renvoieà l'identité


ethniquede sonpèretellequ'elle estperçuedansson altérité pardes Blancs.Les diverses
origines de ces noms annoncent d'autres différences entre Tituba etJohnIndien.Alorsque
Titubaadopteprogressivement une spiritualité héritéede l'Afriquemais constamment
réinventée enfonction ducontexte antillais, JohnIndienrépèteles croyancesreligieuses de
sespropriétaires, ainsi
préférant porter masque un derrière il
lequel espèrepouvoirprotéger
sonidentité.Son attitude estun simulacrequi doitlui servirde camouflage.
Si la positionde l'oppriméest instableet échappepar là-mêmeà toutetentative de
catégorisation, il en va de même des de
positions l'oppresseur. Dans la relationqui réunit
les personnages SamuelParris,sa femmeet Tituba,le lecteurdécouvreavec surprise que
Jennifer Parrisoccuppeune positionambiguë,tourà tourvictimeet bourreau.Victime
commeTitubade la duretéde Parris,Jennifer apparaîttoutd'abordl'alliée de celle-cimais
gagne immédiatement les rangs des accusateurs aux côtésde son mariquandTitubaest
soupçonnée de sorcellerie. Ce renversement confirme l'argument de SarahMillsselonlequel
la femme occidentale une
occuppe position ambivalente entre l'éthiqueimpérialiste soutenant
la thèsede sa supériorité et la
ethnique mysoginie européenne affirmant l'inférioritésexuelle
des femmes (Mills,39).
Ces relations prennent findansla débâcledes procèsde Salem.Titubaestalorsprise
au serviced'uncommerçant juifnomméBenjamin Cohend'Azevedo.Troisethnies différentes
constituent les troispôlesidentitaires antillais,juif,etanglo-protestant. Condé a expliqué
à ce sujetqu'elle cherchait à établirun lienentreles Diasporasnoireetjuive,età montrer
que la communauté noiren'avaitpas étéla seuleà souffrir duracismeaméricain (Pfaff, 62).
Cetteinclusion permet de promouvoir de nouvellesconnections culturelles pourlesAntilles.
Encoreune fois,cetterelationse solde parune tragédie.Un groupede puritains lui
reprochant d'êtrejuifmetle feuà sa demeureetprovoquela mortde toutesa famille.Sous
le choc du drame,BenjaminCohend'Azevedoestfrappéparle remordsde son injustice
enversTitubaqu'il libèreetà qui il fournit l'argentdu retourà la Barbadeoù Titubasera
impliquéedansunedernière relation triangulaire.
Aprèsunebrèveromanceavec Christopher, un chefMarron,elle rencontre Iphigène,
unjeune esclaverévoltéqu'elle soigneetramèneà la vie aprèsque ses propriétaires l'ont
laissé pourmort.Commedans les triangles précédents, les positionsde la victimeet du
bourreau ne sontjamais stables.Cetteinstabilité empêcheTitubaetIphigènede distinguer
leursalliésde leursennemisetprovoquent l'échecde leurrébellion. Croyant Christophe un
alliésûren sa qualitéde rebellemarron, ils luiconfient leursprojetsde révolteque celui-ci
s'empressede dénonceraux autorités.
Le choixd'unrebellemarron pouroccuperla position dupersécuteur estparticulièrement
transgressif de la partde Condé quand on réalise la dimension quasi-mythique qu'un tel
personnage en est venu à occuper dans l'imaginaire antillais. Glissant lui-même a définile
"Nègre Marron" comme "seul vrai héros populaire desAntilles" (Glissant, 104).Le traitement
réservéparCondéaux Marronsdansson romanéclairesa volontéd'éviterles écueilsde
glorifications troprapides.
Aprèsson exécution,Titubacommenceune nouvellevie post-mortem où elle est
finalement libéréedujoug de l'oppression.Parmiles mortels, unechansoncélébrant sa vie
courtsurtoutesles lèvres.En finde compte,la tragédie myhtique initialeduviolde sa mère
provoqueune successionde rapports et de déplacements géographiques qui permettent à
Titubade choisirle retourà l'île plutôtque de vivreson identitéspatialecommeune

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Appendix 165

imposition de la traite.En ce sensl'exil forcéa provoquéen Titubaunepulsionde retour


salvatriceet faitd'elle uneforcecentrifuge autourde laquelletournent chantsetrévoltes.
Les centresgéographiques régissantHérémakhonon et Tituba illustrent
deux choix
identitairesdistincts.Dans l'expériencede Veronica,l'Afriqueapparaîtcommeuneforce
centripète assimilatrice et aliénante.Pour Tituba,au contraire, les Antillesforment un
ensemblecentrifuge. Pourrevenir au centrenatal,Titubadoittoutd'abordrépéter l'exil de
ses ancêtresafínde réapproprier l'espace antillais.Ce n'est qu'aprèsune successionde
détoursqu'elle peutretourner au pays. Non plus éliminéede l'histoire,Tituba,sous la
plumede MaryseCondé,estl'inspiratrice de nouvellesrévolteset,personnage mythique,
devientmèrede sonîle etdes siens.La parolepoétiquede MaryseCondéillustre, commele
recommande Glissant,les rusesdu Détouretsa fécondation parle Retour(Glissant,36).

1Traduction
de l'auteur.

Ouvragescités
Bécel,Pascale."Mo/,TitubaSorcière. . . Noirede Salemas a Tale oidiPetiteMarronne."
Callaloo.18.3,1995,608-615.
Clark,Vévé. "Jemesuisréconciliée avecmonîle:Uneinterview deMaryseCondé."Callaloo.
Winter 1989,vol 12,issue1,85-133.
Condé,Maryse.Cahierd'Un Retourau Pays Natal Paris: EditionsHatier,Collection
Profild'uneOeuvre,1978.
. Hérémakhonon. En Attendant le Bonheur.Paris: EditionsSeghers,1988.
. La Civilisation
duBossale. Paris:EditionsL'Harmattan, 1979.
. Moi, TitubaSorcière. . . Noirede Salem. Paris:Folio. Mercurede France.1986.
Glissant,Edouard.Le Discoursantillais.Paris:Editionsdu Seuil,1981.
Mills,Sarah. "Knowledge,GenderandEmpire."Writing Women andSpace: Colonialand
PostcolonialGeographies.Eds AlisonBluntandGillianRose. New York:The
GuilfordP,1994.29-50.
Pfaff,
Françoise. Conversations withMaryseCondé.Lincoln:U ofNebraskaPress,1996.
Taleb-Kyar, Mohamed B. "An Interview withMaryseCondéandRitaDove." Callaloo.
14.2,1991,347-366.

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