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Dossier de presse

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Albert Bergevin, regards sensibles
Du 6 avril 2024 au 6 mars 2025

Albert Bergevin, Lassitude, vers 1923, 156 x124 cm, huile sur toile, coll. partic. Exposé au salon d’Automne en 1923

La Ville d’Avranches présente au Scriptorial d’Avranches une ambitieuse exposition


dédiée au peintre Albert Bergevin (1887 – 1974).
Après une formation aux académies Julian et Ranson, puis un début de carrière parisienne
prometteur où il côtoie quelques grands noms (il est formé notamment par Maurice Denis
et Sérusier), la guerre et les obligations familiales l’éloignent de la renommée. Malgré tout,
partageant longtemps sa vie entre Paris, Avranches et Saint-Jean-le-Thomas, il continue
de produire de nombreuses œuvres tout au long de sa vie : scènes familiales et intimes,
paysages de la baie du Mont Saint-Michel, décors urbains, fascination pour les arts forains
et le monde du spectacle. Il a laissé une production abondante, principalement conservée
chez des collectionneurs privés, et au Musée d'art et d’histoire d'Avranches pour une
centaine d'entre elles.

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L’exposition rassemble 140 tableaux et dessins venus de collections publiques et privées
dans un parcours en neuf étapes :
> Les autoportraits et ateliers
> La vie parisienne et le monde du spectacle
> Avranches, décor d'inspiration privilégié
> La famille, sujet inépuisable
> La baie du Mont Saint-Michel, décor de vacances et de contemplation
> Les bouquets, nature mortes et animaux
> Paysages
> Cirques et forains : la vie des nomades
> Regard sur ses contemporains

Alors que le monde honorera le 80e anniversaire de la Libération, l’exposition prévoit en


mai 2024 un second volet hors des murs du Scriptorial, dans la ville, avec la reproduction
d’extraits des « carnets » du peintre datant de la période de 1939 à 1945. Ce journal
intime illustré qu’il tiendra toute sa vie, décrit avec acuité le monde qui l’entoure et livre un
récit émouvant de l’occupation, des bombardements puis de la libération d’Avranches,
qu’il a vécus en résident d’un quartier historique de la ville.

L’exposition Albert Bergevin, regards sensibles est organisée par le Scriptorial


d’Avranches en collaboration avec le musée de Bergues où elle sera présentée en 2025.

COMMISSARIAT Activités culturelles


Bérengère Jehan, directrice d’Avranches Renseignements et réservations /
Patrimoines Pour adultes, scolaires et extra-scolaires :
Chloé Gusmini, chargée de collections visites, animations.
patrimoine@avranches.fr
Scriptorial d’Avranches ou 02 33 79 57 00
Place d’Estouteville
02 33 79 57 00 Visites guidées :
Scriptorial.fr « Regards sensibles » : chaque jeudi des
vacances scolaires (zone B) à 11h au
D’avril à septembre : ouvert du mardi au printemps et en été, à 15h en automne et en
dimanche, de 10h à 13h et de 14h à 18h. hiver
D’octobre à mars : du mardi au samedi, de « Visites Carnets » inspirées par le récit de
14 à 18h. la seconde guerre mondiale les 27 avril, 25
Fermé en janvier mai, 29 juin, tous les mercredis matin des
vacances d’été (du 10 juillet au 28 août, sauf
Billetterie 31 juillet)
Plein tarif : 9€
Tarif réduit : 5 € Catalogue d’exposition aux éditions Ouest
Gratuit pour les moins de 18 ans et chaque France
premier dimanche du mois, d’avril à
septembre Responsable des relations presse
Delphine Barré -
Delphine.barre@avranches.fr
06 38 76 43 54

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À propos de l’exposition
La Ville d’Avranches est honorée, à l’occasion du 50e anniversaire de sa disparition,
de pouvoir rendre un hommage à Albert Bergevin, artiste avranchinais qui a
marqué l’histoire de la cité tout au long de sa vie et jusqu’à sa disparition.

L’exposition retrace ses origines familiales, sa formation parisienne auprès de


grands noms de l’art français du tournant du XXe siècle, les liens intimes et très
étroits au sein de sa famille qui, toujours, a été source féconde d’inspiration. De
son jardin suspendu sur les remparts de la ville, véritable écrin végétal foisonnant,
il aime mettre en scène ses proches dans des compositions empreintes de sérénité.

Dessinateur talentueux et observateur minutieux du monde qui l’entoure, il prend


note des événements du quotidien, des particularismes locaux, s’intéresse aux
métiers, aux devantures d’échoppes ; parfois il peint avec vigueur des événements
singuliers comme la Fête-Dieu, le passage du cirque et des nomades qui animent
la ville au crépuscule, les manèges d’enfants qui apportent mille couleurs à la cité
de granit… Car le peintre s’intéresse à cette vie qui fait battre le cœur d’Avranches.
Ses scènes de marchés sont parmi les plus remarquables de son œuvre avec une
recherche graphique et picturale sans cesse renouvelée.

Les paysages qui l’entourent offrent également à Albert Bergevin des sujets
d’inspiration pour ses vues de la baie du Mont Saint-Michel. Il sait avec une force
et une vigueur d’une rare justesse peindre ces ciels extraordinaires qui offrent au
peintre et coloriste une matière inépuisable. Car, Bergevin est bien un coloriste, un
artiste qui sait capter les subtilités lumineuses d’un ciel dont la lumière, filtrée à
travers le cumulus se teinte de bleu, de violet ou de jaune d’or. Les bouquets,
jardins, natures mortes sont autant d’autres sujets de prédilection pour lesquels la
sélection d’œuvres dévoile la richesse et la diversité artistique ainsi que les
approches stylistiques.

Derrière cette exposition rétrospective surgit l’image d’un homme extraordinaire,


d’un artiste intègre, humble et libre de toute idéologie artistique, uniquement
préoccupé par son art, sa vision de la peinture et à travers celle-ci du monde qui
l’entoure et qu’il sait sublimer dans ses œuvres.

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Une vie entre Paris et la Manche
Né à Avranches en 1887 où son père tient un magasin d'antiquités, Albert Bergevin est
très tôt attiré par la vie artistique. Dès 1903, il se rend souvent à Paris où il suit les cours
de Louis Lavalley, puis ceux de l'Académie Julian et Ranson et de l'École des Beaux-Arts
de Paris.

Il expose régulièrement au Salon d'Automne, puis participe au Salon des


Indépendants avant et après la première guerre mondiale. En 1928, il s'installe
définitivement à Avranches, avec sa femme Marie-Jeanne Seguin et leurs deux fils.
Recherchant la tranquillité à cause d'une santé fragile, il travaille dans son atelier de Saint-
Jean-le-Thomas.

En 1937, il est nommé professeur au collège d'Avranches d'où il démissionne


en 1941 peu après le décès de son père en 1940. Il est alors le témoin de la vie sous
l'occupation lors de la Seconde Guerre mondiale.

En 1965, il fait don au musée municipal d’Avranches d'une cinquantaine de toiles et de


nombreux dessins. Exauçant son vœu, le musée lui consacre une salle où l'on peut voir
une vingtaine de ses toiles.

Il est également un affichiste au talent apprécié, connu notamment par l'affiche de la vue
sur le Mont Saint-Michel depuis Avranches.
Il meurt en février 1974.

1887 11 juin : naissance à Avranches dans une famille d’horlogers-


antiquaires
1894 à 1902 Élève au collège d’Avranches

1903 à 1914 Séjourne à Paris

1903 A pour professeur Louis Lavallay ; entre à 16 ans à l’Académie Julian


à Paris
1906 Avril : admission à l’examen d’entrée à l’École des Beaux-Arts (classé
8e sur 600).
1907 Première participation au Salon d’Automne.
1908 Est élève quelques mois de Sérusier et Maurice Denis à l’Académie
Ranson ou il reçoit aussi les conseils de Bonnard, Vallotton et Vuillard.
Se lie pour longtemps à Lotiron, Vera, Marcoussis et de La Fresnaye.
1910 Devient sociétaire du Salon d’Automne, où il exposera très
régulièrement jusqu’en 1945.
1911 Présente six toiles au Salon des Indépendants
1913 - 1914 Voyages en Italie. Visite les lacs italiens, Venise, Florence, Sienne,
Padoue, Vérone, Milan.

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1914-1920 Retour à Avranches

1914 Service volontaire à l’hôpital de Mortain, puis différents services des


armées
1916 Mariage avec Marie-Jeanne Seguin.
1917 Naissance de son fils Gilles
1919 Naissance de son fils Claude. Démobilisation.
1919, 1921, Achat d’œuvres par l’État
1931

1920-1928 Habite en famille à Paris

1921 Première et unique exposition personnelle à la galerie Panardie, Paris.


1928 Séjourne en Savoie, à Beaufort-sur-Doron.
Au retour, installation définitive à Avranches
1936-1942 Professeur de dessin au collège d’Avranches.
1939 Son père lui cède la direction du magasin d’antiquités, 9 rue de la
Constitution.
1944 À partir du 7 juin : bombardements d’Avranches, destruction totale de
la maison natale et du magasin d’antiquités.
1944-1971 S’investit dans la reconstitution du musée municipal d’Avranches.
1974 12 février : décès à Avranches à 87 ans

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Influences stylistiques
Dans un art moderne en pleine émergence, l’art d’Albert Bergevin s’approche de la
« Jeune peinture française », mouvement du réalisme renouvelé piqué de sensualisme.
Ses premières productions artistiques sont classiques, passage obligé du débutant. Il
s’adonne également à la caricature où, plus libre, il explore avec bonheur les plaisirs du
trait. Comme tout apprenti peintre, il se cherche – auprès des impressionnistes, du
naturalisme, de l’esthétique Art nouveau…
Influencé par les nabis (Denis, Sérusier) ou le synthétisme (Gauguin), il effleure aussi le
cubisme, notamment dans ses vues de toits. À la veille de la Grande guerre, il a trouvé sa
technique, mais pas sa voie. Ainsi, des critiques évoquent, à propos des œuvres qu’il
présente dans les salons entre 1911 et 1913, les noms de Bonnard, Cézanne, Raffaëlli,
Maurice Jourdain…
Son style semble étroitement lié au sujet. Dans ses scènes intimes, la couleur est vive,
disposée en à-plats, la matière fine, les compositions synthétiques, les formes parfois
anguleuses. Les années passant, il se fait plus lyrique, expressif et grave, avec une palette
restreinte.
Albert Bergevin incarne l’équilibre qui caractérise cette mouvance entre modernité
artistique et refus des bouleversements du tournant du XXes. Sa profonde sensibilité
s’exprime loin de toute contingence matérielle et détachée de tout souci de plaire.

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Les carnets
Ce journal – constitué d’une quinzaine de carnets - est un exercice auquel Albert Bergevin
se soumet de 1914 à la fin de sa vie, laissant ses notes sur sa vie quotidienne, sa vie
familiale, ses voyages, ses états d’âme, sa production artistique, ses activités
professionnelles ou sur le monde qui l’entoure. Des ajouts ont parfois été apportés
postérieurement par l’auteur lui-même, sans doute soucieux d’exactitude dans la
transmission à la postérité de son témoignage.

Au texte s’ajoutent des dessins, esquissés sur le vif, dévoilant son talent de dessinateur.
Les carnets d’artiste constituent ainsi un formidable témoignage historique et
ethnographique, rempli de scènes sociales vivantes, parfois drôles, souvent caricaturales.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Albert Bergevin décrit au quotidien les années
d’occupation et les privations. À partir du 7 juin 1944, le récit prend une tournure terrible
et angoissante avec la description minutieuse des bombardements, survols aériens,
combats, incendies et destructions d’Avranches et des alentours. Il révèle pendant cette
période sa solidarité envers les sinistrés restés, comme lui, sur place et son attachement
à la ville. Ce journal tenu au jour le jour pendant la période de la guerre est en soi un
témoignage rare et précieux.

1944 – Soldats américains et gosses du pays

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L’affiche de 1921
L’affiche éditée il y a plus de cent ans par le Syndicat d’initiative a apporté une véritable
notoriété à Albert Bergevin. La référence à Toulouse-Lautrec y est évidente : grands aplats
cernés, gamme réduite de couleurs, recherche d’un mouvement d’ensemble.
Les étapes de la création se devinent à travers les esquisses et travaux préparatoires. Un
premier dessin à la plume pose les bases du projet, mais reste classique et statique. La
deuxième esquisse aquarellée montre des modifications apportées par Albert Bergevin
tout en conservant le belvédère du Jardin des Plantes, les grèves et la silhouette du Mont
à l’horizon. La femme statique est devenue mouvement : elle se tourne légèrement vers la
gauche, taille cambrée, une longue écharpe ondule vers la droite.
La gouache, troisième étape, réduit le tronc de l’arbre à une mince bande noire qui ouvre
plus d’espace au mouvement du corps. Il permet de déplacer encore vers la gauche la
silhouette du Mont. L’affiche définitive connait d’ultimes simplifications : des nuances de
gris modulent le volume du Mont, des traits carmin soulignent les contours. Un petit
cartouche à fond blanc contient le nom d’A. Bergevin, de même couleur que la zone où il
s’insère. L’œuvre est aboutie et promeut désormais Avranches et la baie du Mont Saint-
Michel.

82 x 119 cm, sérigraphie sur papier - collection musée d'art


et d'histoire d'Avranches

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Autoportraits et ateliers
L’atelier d’Albert Bergevin est son refuge car la création est pour lui acte de solitude, que
seule son épouse Marie-Jeanne partage. Au cours de sa vie, plusieurs ateliers voient
passer l’artiste : à Paris - y compris ceux des académies Julian et Ranson - à Avranches
ou encore à Saint-Jean-le-Thomas.
Ce peintre de l’instantané utilise leurs fenêtres pour observer la vie de ses contemporains,
pour saisir un morceau de nature, de rue, de village, de cirque. Mais l’atelier, c’est aussi la
cabine en bordure de plage, la campagne ou la ville où il va souvent s’installer sur le motif.
Introverti, un peu misanthrope : ses autoportraits de jeunesse ou de maturité dévoilent ce
caractère austère au regard perçant, posé sur le spectateur ou fixé sur le tableau en train
de prendre forme. Sa préférence ira à sa représentation en famille, avec blouse et
pinceaux ou en train de peindre avec sa femme inspiratrice, en duo.
Il a le plus grand mal à se séparer de ses œuvres. Il lui faut noter dans ses carnets le
descriptif d’une toile vendue pour en conserver le souvenir, car, écrit-il « Quand je me
sépare d’une de mes toiles, j’éprouve toujours je ne sais quel regret indéfinissable, regret
que doivent connaître tous ceux qui voient partir ou s’éloigner ce qu’ils aiment. » (19
janvier 1944)

Autoportrait, 1919, 31,5x40 cm, huile sur toile, collection particulière

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Spectacles et vie parisienne
Après sa formation, Albert Bergevin reste à Paris et intègre le Salon d’Automne en
1907 puis le Salon des Indépendants en 1911 où il se lie d’amitié avec son président, Paul
Signac.

En 1914, il quitte Paris jusqu’à sa démobilisation en 1920. Commence alors une période
riche de rencontres mais aussi de tiraillements entre la Normandie et Paris, ses aspirations
artistiques et ses doutes, son désir de reconnaissance et son refus d’une marchandisation
de l’art. Il visite musées et galeries et fréquente de nombreux artistes : Paul Vera, Diaz De
Soria, Dunoyer de Segonzac, Robert Lotiron, Favory, Zingg, Vogelweith, Marcoussis.

Jusqu’en 1927, une vie culturelle intense occupe le couple Bergevin. Opéra, théâtre,
ballets, bals masqués sont autant d'occasions pour Albert de dessiner et de noter ses
impressions avec une plume mordante ou au contraire admirative. Acteurs, danseurs,
clowns, chanteurs et même spectateurs défilent ainsi dans ses carnets, tout en
mouvements, motifs et couleurs.

Cette décennie dense est celle où il


expose le plus. Sa peinture est
remarquée par la critique : « style
élégant », « toiles très étudiées »,
« vigoureuses et pleines d’agrément ».
Toutefois, face à la faible
reconnaissance du public, il recherche
la tranquillité pour peindre, la mise à
distance de l’agitation parisienne. Le
retour à Avranches se profile alors.

Carnaval - 1924, huile sur toile, 109 x 138 cm, collection particulière.
Exposé au salon des indépendants, 1924.

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Avranches, décor d’inspiration
privilégié
De sa ville natale, devenue lieu de résidence exclusive à partir de 1928, Albert Bergevin
tire la source d’inspiration de nombreux dessins, toiles, et gouaches.

Côté architecture et paysage, la ville faite d’ardoises et du granite local lui permet de
représenter à la fois les rues commerçantes, boulevards et avenues, mais aussi les rues
étroites, héritées d’un tracé antique et médiéval. Les Avranchinais et leurs activités
quotidiennes, en particulier les marchés, sont abondamment représentés. La maison
familiale de la rue de Geôle devient quant à elle à la fois un sujet de peinture et un point
de vue sur la ville, le jardin installé sur les remparts offrant un panorama inégalé.

Albert Bergevin porte un regard ambivalent sur Avranches : exprimant parfois ennui et
morosité, il montre toutefois à plusieurs occasions son attachement à la ville, lors de la
Seconde Guerre mondiale, ou lorsqu’il s’agira de reconstituer le musée municipal
bombardé, pour lequel il fait un don généreux d’œuvres.

Marché place Littré, huile sur toile, 92x72 cm, Avranches, musée d'art et d'histoire

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Vie de famille, source inépuisable
d’inspiration
Les scènes familiales et intimes prennent place dans l’œuvre d’Albert Bergevin à partir de
son mariage, offrant des œuvres touchantes et sensibles.
Il épouse Marie-Jeanne Seguin en 1916 : dès lors elle devient épouse, mère, modèle et
muse. D’innombrables esquisses, croquis pris sur le vif, tableaux et dessins la
représentent de dos, debout, allongée, assise, de face, nue ou habillée, rêveuse ou mutine,
en mère de famille, en gros plan ou bien perdue dans un paysage. Sa silhouette élancée
et élégante, sa chevelure brune arrangée « à la garçonne » sont immédiatement
reconnaissables. Marie-Jeanne est partout dans l’œuvre d’Albert Bergevin, elle est ainsi
indispensable à la compréhension de sa production artistique. Réciproquement, Marie-
Jeanne, artiste dans l’âme soutient toute sa vie son époux.
Leurs fils, Gille et Claude naissent en 1917 et 1919. Lorsque le jardin familial n’est pas le
décor des compositions, ce sont la plage ou le salon qui offrent un cadre aux jeux
enfantins, aux lectures, aux poses d’enfant sage. L’artiste semble vouloir fixer ces instants
de bonheur et d’innocence qu’il reproduira plus tard avec ses petits-enfants.

Duo, sans date, huile sur toile, 38 x 64 cm, collection particulière.

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La baie du Mont Saint-Michel :
décor de vacances et de
contemplation
Saint-Jean-le-Thomas, petite station balnéaire côtière, est le point de contact privilégié
d’Albert Bergevin avec la baie du Mont Saint-Michel. Son épouse Marie-Jeanne y possède
une maison qui devient le lieu de villégiature estival de la famille.

La courte distance d’Avranches n’empêche pas un véritable dépaysement. Le littoral offre


ici une multiplicité de points de vue et de sujets nouveaux. Satisfaisant son penchant
contemplatif, l’observation des jeux de lumière, des reflets sur l’eau, donne naissance à
des toiles où des ciels nuageux, chargés, sont parfois percés de rayons de soleil.
L’immense baie bordée de hautes falaises permet d’alterner rochers inhospitaliers, dunes
et végétaux, étendues de sables miroitant où apparait, au loin, le Mont Saint-Michel.
Simple silhouette, il sert la construction du tableau dont le sujet est le paysage de la baie.

Sur la plage, une éphémère mais véritable société estivale s’installe, sous les parasols
rayés ou à proximité. Personnages isolés ou en groupe, pêcheurs à pied équipés de leur
matériel, campeurs, promeneurs prennent place dans des scènes de plage ou décors de
dunes, parfois entourés de barques ou de cabines de plage.

Au bord de la baie, sans date, huile sur carton, 59 x 39 cm. Avranches, musée d'art et d'histoire.

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Bouquets, natures mortes et
animaux
La nature morte représente une part importante de la production d’Albert Bergevin, qui,
à l’instar des maîtres de l’avant-garde, la considère comme un terrain d’expérimentations
et non comme un genre secondaire. Son œil sensible repère les effets harmonieux de
couleurs et de lumière du quotidien.
Témoignant du goût du peintre pour les jardins, les bouquets dominent par leur nombre
et leur variété. Fleurs, feuilles et branchages s’agencent dans des compositions étudiées
et parées d’accessoires. Miroir, nacre, loupe, bouteilles et céramique reflètent ou
diffractent la lumière ; les rideaux la tamisent. Quelques compositions épurées témoignent,
elles, de sa période d’influence japonaise.

En cuisine, Albert Bergevin compose de retour du potager, de la chasse ou de la pêche.


La tendresse qui se dégage de peintures et dessins représentant d’autres animaux bien
vivants (mais assoupis) ne doit pas faire oublier ses recherches plastiques : restitution des
textures, modelé des plis d’une couverture, contraste entre motifs et pelage...

Les objets anciens rappellent l’activité familiale d’antiquaire. La présence fréquente de


livres, revues ou documents dans ses natures mortes n’est pas anodine : elle reflète son
amour des livres. D’autres objets liés à l’activité intellectuelle (loupes, paire de lunettes,
planisphères…) complètent ce répertoire iconographique.

La bouteille bleue, 1910 ?, huile sur carton, 39 x 46 cm, collection particulière

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Paysages boisés
Peintre du mouvement et de la vie qui l’entoure, Albert Bergevin est aussi un peintre de
paysages, inspirés par la campagne environnante. Il a ainsi produit plusieurs compositions
où le végétal est omniprésent, traduisant son goût affirmé pour les jardins et la nature. Il
se distingue d’ailleurs à plusieurs occasions avec ses paysages dans les salons.

Les sous-bois denses, voire étouffants, l’inspirent particulièrement. Les troncs d’arbres
longilignes, dont on ne voit d’ailleurs pas la cime, y forment un espace clos d’où le regard
ne s’échappe qu’à travers les branches basses. Il y déploie sa palette de verts tendres à
sombres, opalines et bleutés, où s’associent les ocres et bruns. Les cadrages choisis
donnent leur dimension exubérante à l’ensemble.

L’eau et son reflet trouvent souvent leur place dans la composition. Cours d’eau tranquilles
et petites mares isolées constituent des miroirs paisibles. Ces reflets permettent de
démultiplier encore l’espace consacré au végétal.

Quelques scènes champêtres placent moutons et vaches dans un décor bocager, où les
habitations ne sont jamais très loin des pâtures. Partiellement masquées par la végétation,
comme ingérées par la nature, leurs toits ou façades semblent présentes pour donner une
échelle à l’ensemble.

Ruisseau en Dordogne, 1911, 33x23 cm, huile sur bois, collection particulière

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Cirque et forains, la vie des
nomades
tra Il retranscrit ainsi le pouvoir d’attraction du spectacle et l’agitation de la foule
rassemblée autour des circassiens voyageant de ville en ville.
Le peintre ne se contente pas des mises en scène costumées et des périlleuses
acrobaties sous les projecteurs. Quelque peu fasciné par ce mode de vie idéalisé, il
s’intéresse aussi aux artistes nomades, lorsque le rideau tombe. Ses tableaux se peuplent
alors d’animaux au repos, de poêles fumants, de personnages affairés aux tâches
domestiques. En saisissant l’envers du décor, il relève le contraste entre la fièvre nocturne
et les instants figés du repos dans la journée. Empreints de sérénité, les manèges et
chapiteaux fermés expriment une forme de mélancolie, une fois la frénésie du spectacle
retombée.
Les surfaces et volumes colorés des toiles tendues du chapiteau semblent en outre
captiver le peintre autant que les toits de la ville ou du marché, et contrastent avec
l’environnement minéral et gris de la ville. Les roulottes, symboles de la vie nomade,
encadrent des scènes d’intimité, leurs portes entrebâillées dévoilant la vie qu’elles
abritent.

Le cirque, sans date, huile sur toile, 60 x 73 cm, Avranches, musée d'art et d'histoire.

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Regard sur ses contemporains
Albert Bergevin porte sur la société qui l’entoure un regard d’une certaine acuité, mêlée
d’une forme d’humour voire de caricature.

Sur les travailleurs il mène une observation quasi ethnographique particulièrement sur les
« petits métiers ». Ses carnets enchaînent les croquis d’activités de plein air, saisis sur le
vif, scènes de marché et en particulier les marchés aux bestiaux. Il saisit également
quelques instants de vie aux tonalités mélancoliques, poétiques, ou caustiques, où les
personnages sont isolés, ou en petits groupes. Il les accompagne parfois de quelques
vers ou phrases permettant de mieux comprendre le contexte de l’instant ainsi fixé.

Un penchant anticlérical se devine dans ses processions, conciliabules de dévotes, ou


représentations peu flatteuses du clergé. Les obsèques de connaissances ou
personnalités locales sont d’ailleurs pour lui l’occasion d’observations narquoises. D’autres
rassemblements, laïcs cette fois, comme des grèves syndicales ou fêtes patriotiques
inspirent plusieurs toiles ou dessins.

Procession Place d'Estouteville, 1911 ?, huile sur toile, 99 x 49,5 cm - Avranches, musée d'art et d'histoire. Restauré
avec l'aide du FRAR 2024.

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Catalogue – Éditions Ouest
France
Albert Bergevin ( 1887 – 1974), regards
sensibles Autoportraits et ateliers
Jean Lecuir
David Nicolas

La baie et St-Jean-le-Thomas, décor de


ALBERT BERGEVIN À
vacances et de contemplation
TRAVERS LE XXE SIECLE Bérengère Jehan
Une enfance avranchaise 1887-1902
Edouard Bergevin Paysages boisés
Bérengère Jehan
Les années de formation artistique
1903-1914 Bouquets, natures mortes et animaux
Edouard Bergevin, Bérengère Jehan, Chloe Gusmini Chloé Gusmini

Une période artistique parisienne 1907- Regard sur ses contemporains


Bérengère Jehan
1914, puis 1920-1927
Edouard Bergevin, Bérengère Jehan, Chloe Gusmini
Cirques et forains, la vie des nomades
Chloé Gusmini
Retour à Avranches : Bergevin, peintre
et témoin ANNEXES
Edouard Bergevin
Press-book « diverses coupures de
UN ARTISTE À DECOUVRIR presse » d’Albert Bergevin

Influences stylistiques et productions Waldemar-Georges (1893 – 1970),


artistiques. admirateur de Bergevin
Maxime Rolland
Albert Bergevin, entre modernité et
tradition
Patrick Descamps Liste des expositions

Avranches, décor d'inspiration privilégié Synthèse biographique d’Albert Bergevin


Bérengère Jehan
(1887 – 1974)
Bérengère Jehan
L’Affiche d’Albert Bergevin sur
Avranches
Jean Lecuir
Les thèmes de la peinture d’Albert
Bergevin
Vie de famille, sujet inépuisable Jean Lecuir

d’inspiration
Edouard Bergevin, Bérengère Jehan Bibliographie

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Avant-propos du catalogue
ALBERT BERGEVIN (1887-1974)
Par David Nicolas, Maire d’Avranches
Enfin ! définitivement en 1927 après une période
Enfin une exposition rétrospective dédiée à parisienne prolixe.
l’œuvre du peintre Albert Bergevin. Nous en Avranches est la ville où l’artiste a grandi au sein
parlions depuis plus de vingt ans avec la d’un environnement familial cultivé, immergé
avec son frère Jean, dans l’univers de l’amateur
famille de l’artiste, ses petits-enfants, et
d’art et d’antiquités qu’était son père qui tenait
arrière-petits-enfants, et c’est donc à son commerce d’antiquaire-joaillier rue de la
l’occasion de ce 50e anniversaire de sa Constitution. Éveillé dès l’enfance au beau et au
disparition que la Ville d’Avranches rend un précieux il quitte Avranches pour Paris où il
hommage à cet artiste qui a marqué son bénéficie d’une immersion dans le monde
histoire, tout au long de sa vie et jusqu’à sa artistique foisonnant de l’époque et grâce auquel
disparition en 1974. il consolide sa propre identité artistique. Héritier
d’artistes locaux bien connus et dont les œuvres
Dans ce beau livre, les auteurs ont cherché sont conservées au sein des collections du
à révéler la personnalité de l’homme : ses musée d’Avranches, tels que Louis Loir (1805-
1876), Maurice Dumont (1869-1999), Jean de la
origines familiales, sa formation artistique
Hougue (1874-1959) ou encore Charles Fouqué
parisienne auprès de grands noms de l’art (1841-1919) dont il fut l’élève, Bergevin perpétue
français de l’époque, les liens intimes et très la longue tradition picturale abrincate.
étroits au sein de sa famille qui, toujours, a
été source féconde d’inspiration, mais aussi Lorsque la famille d’Albert Bergevin revient en
sa relation au monde extérieur dont il a été Normandie pour ne plus jamais la quitter, un choix
un observateur minutieux. Cet ouvrage résidentiel s’impose : la « vieille ville »
propose donc de caractériser l’œuvre de d’Avranches. Le choix de ce quartier médiéval
Bergevin, d’en établir la richesse et la jadis fortifié où se logent le château et le palais
diversité en révélant quels étaient les sujets épiscopal, ainsi que les anciennes demeures
canoniales, n’est pas le fruit du hasard ; et la
de prédilection et la manière dont le peintre
demeure qui accueille les Bergevin, au numéro
les traitait. La peinture de Bergevin a évolué 10 de la rue de Lille, présente tous les atouts
au gré des décennies, et derrière le travail nécessaires : le jardin et son atelier installé au
minutieux produit pour ce livre, surgit l’image sommet du rempart, face au nord, et l’antique
d’un homme extraordinaire, d’un artiste demeure de l’Ancien Régime aux proportions
intègre, humble et libre de toute idéologie généreuses. Et puis, à quelques mètres de là, la
artistique et uniquement préoccupé par son demeure parentale de la rue de Geôle, acquise
art, sa vision de la peinture et à travers celle- en 1913.
ci du monde qui l’entoure et qu’il sait sublimer Dès lors, le peintre se retranche à l’arrière de la
dans ses œuvres. muraille, comme un gardien, un observateur, une
vigie qui guette l’horizon mais surtout travaille
sans relâche. Il abreuve son regard des ciels qui
Un artiste dans sa ville. se déploient au nord dans la vallée de la Sée,
scrute les toits de sa ville comme une mer grise
Albert Bergevin est né et mort à Avranches. Cette immobile qui ondule sous la lumière du jour. Cette
réalité froide, administrative, est pourtant « vieille ville » devient son château, sa citadelle
fondatrice de l’homme dont la vie entière a été familiale. Et, après la disparition de son père
intimement liée à sa ville natale, cette petite ville antiquaire le 11 décembre 1940, le peintre et sa
de Normandie, ancienne cité épiscopale, où il famille déménagent pour prendre possession de
décide avec son épouse de s’installer la propriété de la rue de Geôle, dont le jardin se
situe à l’emplacement du castellum gallo-romain

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et tout contre le mur nord du grand donjon du cirque et des nomades qui animent la ville au
normand édifié au commencement du XIe siècle crépuscule, les manèges d’enfants qui apportent
par les comtes d’Avranches. Quant à la maison, mille couleurs à la cité de granit… Car le peintre
édifiée au XVIIIe siècle, elle fut l’hôtel particulier de s’intéresse à cette vie qui fait battre le cœur
Joseph Meslé de la Bretèche, subdélégué de la d’Avranches. Ses scènes de marchés quotidiens
Généralité de Caen à Avranches, de 1781 à sont parmi les plus marquantes de son œuvre
1789 ; que d’Histoire là encore ! avec une recherche graphique et picturale sans
Cette nouvelle résidence de la rue de Geôle cesse renouvelée. Ses caricatures des
augmente encore les possibilités graphiques populations locales sont toujours sans
vitales pour l’art de Bergevin, les points de vue sur concession et d’une justesse terrible.
Avranches sont démultipliés. Depuis les créneaux
des murs qui enchâssent le jardin et son
« donjon », Bergevin peint et dessine les clochers
Récits de famille.
des églises qui surgissent des toits d’ardoise, les
places d’Estouteville et Littré où s’entremêlent les Dans la globalité de son œuvre, Albert Bergevin
charrettes des marchands, et les toits de toute la réserve une place privilégiée à sa famille qui tout
ville dans une vue à 360°. Le jardin suspendu lui- au long de sa vie constitue une source
même devenu un écrin végétal foisonnant, d’inspiration permanente, son épouse, Marie-
devient le lieu où Bergevin aime mettre en scène Jeanne, ses deux enfants, Claude et Gilles, sont
ses proches dans des compositions peintes maintes fois représentés, parfois dans de rapides
empreintes de sérénité et évoquant un Eden croquis ou bien dans de grandes compositions
retrouvé. peintes à l’huile sur toile. Marie-Jeanne a été tout
au long de la vie du peintre sa muse avec laquelle
Pourtant l’artiste descend régulièrement de sa il nourrît une relation fusionnelle et une complicité
citadelle pour avancer au côté de ses sans faille. C’est Félix Seguin, le père de Marie-
contemporains et se poser parmi eux, toujours en Jeanne, très actif à la tête du ministère des
observateur. Dès 1908, par exemple, il est sur les Beaux-Arts qui permettra au jeune couple
herbus au pied d’Avranches et, tel un reporter, parisien, au début du XXe siècle, d’évoluer au
dessine sur le vif une foule agitée qui assiste au cœur des hautes sphères culturelles de la
décollage d’un biplan Voisin, Bergevin intitule son capitale, en assistant à de nombreux évènements
dessin « premiers essais d’aviation dans la baie musicaux notamment. Une partie de la famille de
du Mont Saint-Michel » ; à cette époque Marie-Jeanne, originaire du sud de la France a
l’aviation n’en est qu’à ses balbutiements, les vols pris également racine à Avranches, avec Jean
ne dépassent pas quelques centaines de mètres Seguin, son frère, qui sera un des grands
et ne duraient que une à deux minutes. animateurs de la Société d’Archéologie est un
grand producteur d’écrits historiques et
ethnographiques, au sein des bulletins de la
Revue de l’Avranchin, mais aussi dans une
dizaine d’ouvrages thématiques portants sur
différents sujets ethnographiques, architecturaux
ou archéologiques et régulièrement illustrés par
les bois gravés d’Armand Lepaumier. Seguin
« l’archéologue », comme l’appelait non sans une
certaine ironie son beau-frère Bergevin le peintre,
avait lui aussi sa personnalité mais n’entretenait
qu’une relation distante avec le couple de la rue
de Geôle.

Les deux fils d’Albert et Marie-Jeanne, Claude et


Gilles ont eu l’un et l’autre des destins tout à fait
Légende : A. Bergevin, « Premiers essais d’aviation
remarquables notamment pendant le second
dans les herbus du Mont Saint-Michel », 1908.
conflit mondial. Ils sont tout naturellement au
cœur des préoccupations de leur père qui,
Ethnographe, il prend note des événements du
toujours dans ses carnets, commente leur
quotidien, des particularismes locaux, s’intéresse
progression tout autant que leurs absences
aux métiers, aux devantures d’échoppes ; parfois
inexpliquées. Gilles le médecin, résistant pendant
il peint avec vigueur les évènements les plus
l’occupation allemande, qui sera aux avant-
exceptionnels comme les fêtes Dieu, le passage
postes pour porter secours aux victimes civiles

21
des bombardements de la ville le 7 juin 1944, et chromatiques qu’il y a de couleurs sur sa palette.
les semaines suivantes. Claude qui, comme son Parmi les lieux qu’il affectionne, la plage de Saint-
père, écrit et dessine, tient un journal pendant ses Jean, mais aussi la vallée du Lude sont les
péripéties en Afrique du Nord au début de la endroits qu’il aime arpenter seul ou en famille. Les
seconde guerre mondiale puis aux États-Unis où baigneurs sont également des sujets précieux
il gagne ses galons de pilote sur bombardier B26. pour lui qui aime évoquer la bienveillance
De retour en Afrique du Nord il participe au sein maternelle envers ses enfants. Mais l’un des
de groupement Bretagne des Forces Aériennes plus beaux témoignages de l’artiste pour son
de la France Libre, à la campagne de libération pays abrincate et ses estuaires, reste sans
de l’Italie et enfin gagne en début d’année 1945 aucun doute l’affiche intemporelle réalisée
le front de l’Est au sein du célèbre escadron
pour le Syndicat d’Initiative en 1920 ; la
Normandie-Niemen. Deux destins qui illustrent
les engagements forts de deux jeunes
silhouette de cette femme vêtue de noir et
avranchinais dans le sillage d’un père tout aussi brandissant une ombrelle rouge se cambre
courageux qui, pendant la période tragique au d’émerveillement face à l’immensité de la Baie.
cours de laquelle la ville sombre dans le chaos,
entre les mois de juin à août 1944, refuse avec L’inlassable témoin
quelques personnes de quitter la ville et porte
secours aux plus faibles, comme à madame
Bergevin le peintre écrit également beaucoup.
Chevrel, veuve du maire d’Avranches Maurice
Tout au long de sa vie, jusqu’à sa disparition en
Chevrel, décédé en 1923, qu’il va extraire de sa
1974, il tient à jour des carnets qui sont
maison en flamme aux abord immédiat de l’Hôtel
aujourd’hui conservés par ses descendants. Ces
de Ville.
documents d’une richesse extraordinaire lui
permettent de consigner une multitude
Par-delà ces récits familiaux tout autant riches
d’informations. Dans ces multiples carnets, il
que mouvementés, transparaissent les relations
narre tout aussi bien les péripéties de son
fortes au sein de cette famille particulièrement
quotidien que son travail de recherche picturale.
unie et au sein de laquelle des échanges
Il évoque ses expéditions dans la Baie du Mont
incroyablement riches élèvent les âmes.
Saint-Michel avec Serge Dodier son ami
antiquaire avec lequel il aime peindre d’après
Peindre la Baie nature tel ou tel nature morte ou paysage familier ;
la vie d’Avranches, de sa région, des périodes de
Bergevin appartient comme nombre de ses aînés villégiature à St-Jean le Thomas. Ses carnets
au cénacle des artistes qui ont été subjugués par agrémentés de nombreux croquis constituent
la beauté de la baie du Mont Saint-Michel. une manne d’informations exceptionnelles ; pour
Contemporain de Jacques Simon (1875-1865), les périodes tragiques des deux conflits mondiaux,
son voisin et ami de Carolles, il fréquente et la première guerre où il est mobilisé au collège de
connait la Baie. S’approchant rarement du Mont, la ville devenu hôpital militaire, et la seconde où,
il l’utilise comme un élément graphique qu’il situe témoin de l’occupation puis des bombardements
dans le lointain. La famille possédait une maison et de la libération il reste en première ligne pour
à Saint-Jean le Thomas, un lieu de villégiature voir évoluer les civils mais aussi les troupes
privilégié qui permet à l’artiste d’être en contact belligérantes. Son objectivité, sa précision sont
direct avec l’estran où s’activent baigneurs, les gages d’une véracité qui confère à ses carnets
promeneurs et pêcheurs de crevette. Ce lieu une valeur comparable à celle du journal d’un
extraordinaire offre à Bergevin un poste avancé Gilles de Gouberville ! Ces documents sont donc
pour à capturer les lumières sans cesse une source archivistique absolument unique et
changeantes de cette immensité où se mêlent les particulièrement précieuse pour l’histoire de notre
nuées mouvantes, la grève ruisselante et les flots. ville. Aussi, je forme le vœu que cet hommage
Bergevin sait avec une force et une vigueur d’une rendu à Bergevin puisse constituer l’opportunité
rare justesse peindre ces ciels extraordinaires qui de réunir l’ensemble de ses carnets, afin de
offrent au peintre et coloriste une matière toujours procéder à leur numérisation exhaustive et,
renouvelée. Car, Bergevin est bien un coloriste, souhaitons le, à une édition critique qui
un artiste qui sait capter les subtilités lumineuses permettrait de connaître davantage encore cette
d’un ciel dont la lumière filtrée à travers le figure unique que fut Albert Bergevin.
cumulus se teinte de bleu, de violet ou de jaune
d’or selon le moment de la journée. Les « gris »
de Bergevin sont autant de nuances
L’homme de bien

22
ou bien détruit, comme le vieux puits de la cour
Bergevin aura ainsi beaucoup donné à sa Ville. du théâtre déplacé sans raison vers une pelouse
Professeur de dessin au collège pendant du jardin des plantes, ou encore lorsque les
quelques années, il est très actif au côté de tilleuls de la place Littré sont abattus pour être
Michel Delalonde qui a pour mission de remplacé par des platanes. Il veille tout
reconstituer les collections du musée, en très simplement, en homme de goût, à ce que la ville
grande partie détruites en juin 1944 dans se modernisant, sous le coup du développement
l’incendie du musée installé dans le couvent des massif de l’automobile qui envahit les espaces
Capucins ; Bergevin se chargera d’ailleurs avec publics, ne perde pas son identité. Pleinement
le concierge de la mairie de récupérer dans les inscrit dans la vie de la cité, sans jamais
cendres encore fumantes les quelques pièces s’engager dans la vie publique et encore moins
pouvant être sauvées afin de les déposer dans politique, car intrinsèquement solitaire et
l’Hôtel de Ville et ainsi éviter les pillages. Michel indépendant.
Delalonde, qui devient en 1963 le conservateur
du nouveau musée installé dans l’ancienne prison Pour conclure, j’adresse ici mes remerciements à
de la ville, place Jean de Saint-Avit, peut compter l’ensemble des personnes qui ont été
sur Bergevin pour développer le nouvel particulièrement mobilisées sur ce beau projet, la
établissement. En 1965, l’artiste offre au musée famille bien entendu sans laquelle rien n’aurait été
une cinquantaine de ses œuvres dont de possible et qui détient la majeure partie des
nombreuses huiles sur toile emblématiques qui chefs-d’œuvre de l’artiste et en particulier
constituent aujourd’hui le socle d’un fonds qui n’a Édouard Bergevin qui conserve et valorise avec
eu de cesse de se développer au cours des ferveur et rigueur la mémoire familiale, je salue
décennies suivantes, avec notamment des dons aussi le travail de Jean Lecuir, ami de longue date
effectués après sa disparition par Marie-Jeanne. de la famille qui depuis de très nombreuses
Bergevin participe ponctuellement à la mise en années a engagé un travail de recherches sur la
œuvre des expositions temporaires, prête des production du peintre, et je remercie également
pièces de sa propre collection et accompagne le les prêteurs privés qui ont accepté de nous
conservateur pour rencontrer Jacques Simon, confier leurs trésors. Je souligne aussi
peu avant la disparition de celui-ci, dans la l’engagement de l’équipe du service des musées
perspective d’une exposition qui doit lui être et du patrimoine de la ville d’Avranches qui, sous
consacrée au musée. la houlette de Berengère Jehan, se sont mis en
ordre de marche afin de rendre hommage à
Bergevin s’exprime également publiquement l’homme et à l’artiste qui a tant donné à
quand tel ou tel élément patrimonial est déplacé Avranches.

23
Une enfance avranchinaise
Par Edouard Bergevin, petit-fils du peintre
Depuis des temps immémoriaux, les hommes
occupent l’éperon rocheux qui domine la plus Albert Emile
grande baie d’Europe.
La ville d’Avranches tire son nom des Abrincates,
tribu gauloise qui élut domicile du temps de Pline
l’Ancien sur ce lieu à la fois stratégique et
grandiose. Stratégique, non seulement par sa
position naturelle dominante, mais aussi parce
que la région deviendra la frontière naturelle entre Bergevin et Marie Ernoul, les
le duché de Normandie et celui de Bretagne. parents d’Albert Bergevin, circa 1895
Grandiose, car il domine l’admirable paysage de
ce qui deviendra bien plus tard la Baie du Mont- Si Albert Bergevin naît donc dans un milieu
Saint-Michel… relativement modeste, son enfance accompagne
Albert Paul Julien Bergevin naît à Avranches le 11 les succès familiaux et l’irrésistible ascension
juin 1887.C’est le premier Bergevin à naître dans sociale de ses parents, tout en étant marquée à
le Sud-Manche1. Son père, Albert Emile Bergevin tout jamais par l’Art et le goût du beau.
(1859-1940) est issu d’une longue lignée Son petit frère Jean Bergevin (1893–1915)4 naît
sarthoise du pays de la Chartre-sur-le-Loir. Fils cinq ans après lui dans le même immeuble,
cadet d’horloger, celui-ci est formé au métier par devenu à cette époque propriété familiale. Les
son père tout comme son frère aîné Alphonse, deux frères sont éduqués de la même manière,
mais ce n’est logiquement pas lui qui est destiné élèves au Collège d’Avranches, mais développent
à reprendre la boutique familiale2. Albert Emile rapidement deux personnalités très différentes.
sait qu’il devra partir s’installer ailleurs. Une place Autant l’aîné fait montre d’un caractère sensible et
semble disponible à Avranches, il va la saisir et, timide – voire introverti - qui débouchera dès l’âge
âgé de 23 ans, arrive seul et désargenté en 1882 de 15 ans à « une véritable vocation artistique »5,
dans la sous-préfecture de la Manche. autant le cadet marche rapidement sur les traces
Fin 1884, le père d’Albert Bergevin rencontre lors entrepreneuriales de ses parents.
d’une fête de mariage celle qui partagera sa vie,
Marie Ernoul (1858-1951), issue d’une famille
enracinée à Avranches depuis plusieurs
générations. La rencontre fortuite a tout d’un
coup de foudre. Fiancé le 5 juillet 1885, marié le
14 septembre suivant, le jeune couple s’installe
en location au 9 rue de la Constitution3. L’adresse
est d’importance : non seulement c’est dans cet
immeuble qu’Albert Bergevin va naître, mais c’est
à cet endroit que va prospérer la « Maison
Bergevin », magasin d’horlogerie-joaillerie et
surtout d’antiquités et d’objets d’art dont la
réputation dépassera largement les frontières
régionales. Lui est intelligent, cultivé, grand
amateur d’art au goût très sûr et doté d’un flair
exceptionnel pour dénicher l’objet rare. Marie
partage la même passion et possède de surcroît
un remarquable sens des affaires. Tous deux
parviennent ainsi rapidement à la richesse et la
propriété, comme nous le verrons plus loin.

Albert et Jean Bergevin,


1896
Les étonnantes aptitudes en dessin du jeune
Albert Bergevin sont remarquées au Collège par

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son éminent professeur de dessin Charles grandes fresques réalisées à l’Hôtel Meurice, rue
Fouqué (1841-1919)6, et c’est ce dernier qui de Rivoli. Fait important, Lavalley possède une
convainc les parents d’Albert Bergevin à maison à Genêts, petit village côtier situé à
encourager leur fils sur la voie artistique qu’il s’est quelques kilomètres d’Avranches. De là il aime
fixée. C’est ainsi que dès 1902, ses parents lui peindre l’admirable paysage de la baie du Mont-
aménagent un petit atelier qu’ils louent dans la Saint-Michel et c’est sans doute ce lien qui l’incite
maisonnette située sous la tourelle, à l’extrémité à prendre sous son aile le jeune artiste
du promenoir (actuelle Place d’Estouteville), au avranchinais.
départ de la rue de Geôle7. Dessins au fusain,
pastels, aquarelles et premières huiles du jeune
artiste sont si prometteurs qu’il gagne le soutien
inconditionnel de ses parents. C’est donc décidé :
leur fils sera artiste-peintre et il faut maintenant
qu’il perfectionne son art à Paris.

Portrait « à charge » d’Albert Bergevin, croqué par Lavalley


en 1904, et dédicacé « à mon cher élève ». Au dos, une
note manuscrite d’A. Bergevin : « à mes débuts. J’avais 17
ans »

Albert Bergevin peignant, en 1903. Le jeune artiste a seize Albert Bergevin se liera d’une amitié profonde et
ans.
durable avec ses enfants Paul Lavalley (1883-
1967) – qui deviendra peintre à son tour - et sa
Les années de formation fille Claude (1902-1989), qui elle-même
(1903-1914) épousera après la Grande Guerre Jerzy
Waldemar Jarocinski, plus connu sous le
Albert Bergevin arrive à Paris en 1903. Il a seize pseudonyme francisé de Waldemar-George
ans et il est accueilli par son nouveau professeur, (1893-1970)8.
Alexandre Claude Louis Lavalley (1862-1927) qui Baccalauréat en poche, il est brillamment admis
tient son atelier au 81 rue Lemercier, dans le 17e à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris en avril 1906. Il
arrondissement de Paris. n’a pas encore 19 ans et se classe à l’examen
Il loge à proximité, d’abord rue Legendre, puis d’entrée à la 8e place sur 600 candidats. C’est
Avenue de Clichy. également à cette époque qu’il loue son propre
Albert Bergevin a de la chance. Lui-même élève atelier au pied de la Butte Montmartre, au n°35 de
de Cabanel, Maillot et Bouguereau, Lavalley la pittoresque rue Capron.
expose alors régulièrement au Salon des Artistes Le cursus somme toute très académique ne doit
français, où il fut particulièrement distingué en cependant pas faire oublier l’attirance irrésistible
1890, 1897 et 1903. Premier Grand Prix de Rome du jeune artiste pour ses vrais maîtres, ceux du
en 1891, il devient membre de la Société des mouvement impressionniste et
Artistes Français en 1905 et ses grandes postimpressionniste. Les œuvres et les
compositions sont restées célèbres, comme ses techniques de Degas, Manet, Cézanne,

25
Toulouse-Lautrec, et surtout de Gauguin qu’il des artistes nabis. Là, il suit assidument les cours
admirera toute sa vie, ne sont évidemment pas de Paul Sérusier (1864-1927) et de Maurice
enseignés aux Beaux-Arts à cette époque. C’est Denis (1870-1943)9.
pourquoi en parallèle des Beaux-Arts (dont il ne Albert Bergevin y rencontre aussi à plusieurs
suit que peu les cours et dont le sérieux sert reprises des artistes comme Pierre Bonnard
surtout à rassurer ses parents), il entre dès 1907 (1867-1947), Edouard Vuillard (1868-1940) ou
à l’académie Julian, située rue Fromentin près de Félix Vallotton (1865-1925). Plus âgés que lui
Pigalle. Cette véritable institution créée en 1866 d’une vingtaine d’années, tous se fréquentent
et qui a vu passer tant de talents est alors dirigée régulièrement au sein de cet atelier qui devient,
par Jules Lefebvre (1834-1912) et Tony Robert selon les propres dires de Maurice Denis, « un
Fleury (1837-1911). C’est là qu‘il se lie d’amitié centre très vivant d’expansion et de vulgarisation
avec Louis Marcoussis (1878-1941), Paul Véra de nos théories. »
(1882-1957), Roger de La Fresnaye (1885-1925) En parallèle, Albert Bergevin expose pour la
ou encore Robert Lotiron (1886-1966). Le jeune première fois au Salon des Indépendants en 1910
Albert Bergevin s’imprègne de tous les talents qui avec une « Vue prise au-dessus d’un jardin » qui
l’entourent et le conseillent et sa peinture s’affirme ne passe pas inaperçue. Ce Salon emblématique
tant et si bien qu’il expose dès 1907 au Salon de l’Avant-garde française, avait été créé en 1884
d’Automne récemment créé, où il se fait par Odilon Redon, Henri-Édmond Cross, Paul
remarquer avec « un grouillant marché Signac, Paul Cézanne, Paul Gauguin, Henri de
normand » (Le Petit Parisien, 30 sept.1907) et Toulouse-Lautrec, Vincent van Gogh, Georges
dont le « Norman mill is frankly rendered » (New Seurat etc… en réaction au Salon officiel organisé
York Herald Tribune, 2 oct 1907). par L’Académie royale de Peinture, surtout
Le Salon d’Automne a été créé le 31 octobre 1903 célèbre à cette période pour avoir refusé les
au Petit Palais, à l’initiative du Belge Frantz œuvres de nombreux impressionnistes et
Jourdain (1847-1935), architecte (de La postimpressionnistes. Albert Bergevin devient
Samaritaine, entre autres), et d’amis comme les également sociétaire dans l’organisation annuelle
peintres Pierre-Auguste Renoir, Georges Rouault, de ce salon et y exposera chaque année de 1910
Félix Vallotton ou Edouard Vuillard, les écrivains à 1929, comme au salon d’Automne.
Huysmans et Verhaeren, l’architecte Hector
Guimard etc. Il s’agit de proposer une alternative Sous-titre de l’encart : Paul Gauguin : une
aux Salons officiels jugés conservateurs, mais admiration sans partage
aussi au Salon des Indépendants dont la politique D’habitude peu disert (et souvent peu charitable)
“Sans jury ni récompense“ leur semble trop sur ses contemporains, Albert Bergevin laisse
permissive. Le choix de l’automne comme saison percevoir entre les lignes du journal intime qu’il
de présentation n’est pas fortuite : non seulement tiendra toute sa vie une admiration sans borne
il permet aux artistes de présenter leurs œuvres pour l’artiste complet qu’était Paul Gauguin. Sa
réalisées en extérieur au cours de l’été, et donc vie durant, régulièrement il y reviendra et sa
de se placer à la pointe de l’actualité artistique, plume souvent acerbe prend alors des tournures
mais il se démarquait des deux autres grands magnifiques, comme l’élève se recueillant devant
salons (la Nationale et les Artistes français) qui, le génie de son maître. Ainsi en décembre 1920,
eux, ont lieu au printemps. Il se singularise par sa il rend visite au peintre George-Daniel de
pluridisciplinarité, puisque se trouvaient Monfreid (le père du célèbre écrivain Henry de
mélangés peintures, Monfreid) qui fut l’ami et le confident de Gauguin
sculptures, photographies (à partir de 1904), et qui possède nombre de toiles du maître dans
dessins, gravures, arts appliqués… Il acquiert son petit appartement parisien :
immédiatement une renommée internationale « (…) Jules Zingg et moi sommes allés de
avec la participation d’Henri Matisse et de ses compagnie chez M de Monfreid, compagnon et
“Fauves“ en 1905. ami de Gauguin. Il possède de lui quelques toiles
Ce Salon sera la vitrine d’Albert Bergevin. Il y de premier ordre dont il ne veut pas se dessaisir
retrouve ses amis artistes et surtout il y trouve sa c’est là un geste d’autant plus touchant que cet
peinture appréciée et à sa place parmi les siens. homme ne me fait pas l’impression d’être très
Il en devient un sociétaire très actif, et le restera fortuné. (…) Ce qui m’a le plus frappé chez lui,
pendant près de vingt années. c’est un portrait de jeune Tahitienne en tablier
En 1908, il est admis à l’académie Ranson qui rayé bleu et blanc tenant un éventail rose. Je crois
vient juste d’être fondée rue Henry-Monnier (Paris bien que rien dans l’œuvre de Matisse ne tiendrait
9ème) par Paul-Elie Ranson (1864-1909) qui à côté de cela mais je n’en ai pas fait l’expérience.
devient vite lieu emblématique de rassemblement Quelqu’admiration que j’aie pour une œuvre d’art

26
j’avoue que je me sentirais gêné de vivre en Les années 1913 et 1914 sont encore plus
contemplation constante d’une telle beauté. La foisonnantes et élogieuses. Ainsi aux
puissance d’obsession de certaines œuvres est Indépendants 1913 :
telle qu’elles absorbent tout autour d’elles. C’est « Salle 26. Bergevin ! Un nom encore qu’il faut
par là je crois que l’art atteint à la divinité. » porter sur vos tablettes. Sa Rue de l’Ivrogne, à
En « admirateur de la première heure » comme il Avranches, est très amusante. C’est du faux
se plaît à se nommer, Gauguin l’inspire et c’est Cézanne. Mais le Cirque sur la Place est
d’autant plus remarquable que Bergevin ne autrement intéressant. J’ignore si il y a là
cherchera pas à faire du Gauguin dans ses l’influence de Raffaëlli : je n’ai pas besoin de le
œuvres, conscient qu’il est qu’il doit lui aussi savoir mais le dessin est ferme et je comprends
s’affranchir de tout cadre. Gauguin l’éclaire maintenant la Clownerie (aquarelle) exposée plus
cependant à tout moment, comme dans les haut. Vraiment ces clowns dans ce cirque, c’est
heures sombres de la guerre quand il écrit le 7 parfait. » (Le Télégramme, 8 mai 1913).
novembre 1943 : « J’ai fait relier en parchemin les Ou encore en 1914, à la 30ème exposition des
lettres de Gauguin et j’en ai illustré le plat Artistes Indépendants, où « les notations
supérieur dans le goût de Gauguin, en d’Avranches, de Bergevin, sont d’une synthèse
reproduisant un personnage emprunté à une de hardie et juste, avec une parfaite sobriété de
ses compositions. L’effet obtenu me paraît assez moyens » (Le Mercure de France, 16 mars 1914).
heureux. » C’est aussi à cette époque qu’il effectue deux
voyages en Italie, en avril-mai 1913 et en mars
Les expositions s’enchaînent ainsi, entrecoupées 1914, grâce à la générosité de Monsieur et
de séjours à Avranches qui permettent au jeune Madame Charles Perriollat, grands
artiste de retrouver sa famille bien entendu, mais collectionneurs d’art et amis de ses parents. Dans
aussi de peindre sans relâche ces paysages qu’il l’esprit du Grand Tour des XVIIIème et XIXème S,
aime tant et qui ne cesseront de l’inspirer toute sa il découvre ainsi la merveilleuse lumière sur les
vie. Avranches et son animation grouillante les grands lacs italiens, Milan, Venise, les paysages
jours de marché, le bocage normand et la lumière de la Toscane, Sienne, Florence, Padoue,
si particulière filtrée par les nuages régulièrement Vérone…
poussés par les vents d’ouest, deviennent ainsi Oui, ces années d’avant-guerre sont vraiment une
les sources principales de son art. période faste pour la famille Bergevin. Tandis que
Ainsi au Salon des Indépendants de 1912, où sa le talent du jeune artiste perce au grand jour à
« Vue sur Avranches » fait sensation. Parmi les Paris, le magasin familial d’horlogerie, de joaillerie
nombreux articles, nous pouvons citer celui paru et d’antiquités prospère et a désormais une
le 31 mars 1912 dans La Revue des Beaux-Arts : renommée qui dépasse largement les frontières
« Il y a ici beaucoup de paysages mais peu de de l’Avranchin. Son père, Albert Emile, roule
peintres de paysages. Une simple étude intitulée depuis 1908 au volant d’un superbe torpédo
vue sur Avranches et signée Bergevin se Clément Bayard 6 cylindres, une des premières
distingue dans toute cette peinture. Elle automobiles de la région, lui permettant ainsi
représente au premier plan quelques cimes d’étendre son champ d’action à la recherche de
d’arbustes, versures variées et délicates, l’objet rare.
mélangées aux charmantes teintes grises et
ardoisées de vieilles toitures et d’antiques pignons,
puis dans le lointain quelques pâles façades de
maisons et, dominant l’ensemble, un ciel gris aux
nuages bas ; tout cela, simples couleurs claires et
savoureuses chantant dans du gris, et tout cela
peint avec aisance et souplesse, sans coups de
brosse inutilement superposés, dans une pâte
épaisse et dans une belle matière. »
Quelques mois plus tard, au Salon d’Automne, sa
« rue montante de petite ville est une toile du plus
beau métier, largement et vigoureusement peinte,
et imprégnée du plus délicat sentiment. » (Le
Temps, 29 sept 1912).
Bref, Albert Bergevin est lancé et sa peinture
franche, déliée et déjà très mature, plaît !

27
Fin 1912, c’est la consécration : les parents
Bergevin acquièrent au 15 rue de Geôle une des
plus belles propriétés d’Avranches. Située en
plein centre-ville, ce splendide hôtel particulier du
XVIIIème siècle se cache à l’abri des murailles du
château médiéval d’Avranches. Avec sa cour
d’honneur, ses dépendances, ses jardins
suspendus sur les remparts et son donjon
dominant toute la ville offrant un panorama unique
et spectaculaire sur toute la région, Albert Emile
Bergevin s’offre là le plus bel écrin pour sa famille
et ses collections. Grand amateur d’art sacré, il
rassemblera là un véritable musée personnel tout
en restaurant et en meublant totalement cette
Fête des Fleurs à Avranches, 30 juillet 1911. Pour l’occasion,
maison avec un goût très sûr. Ainsi, comme l’écrit
la torpédo familiale est totalement décorée pour défiler en
ville. A son bord, Albert Emile et son fils Jean. Albert lui-même Albert Bergevin qui l’habitera pendant
Bergevin, à côté, fixe l’appareil photographique. 30 ans après ses parents, « les boiseries ont
retrouvé le charme de leurs couleurs grises ou
ocrées, les fenêtres leurs petits carreaux.
Quelques tableaux, céramiques et meubles
anciens se sont retrouvés dans leur cadre comme
s’ils avaient toujours été là. »

Le magasin familial vers 1910. Situé au 9 rue de la


Constitution à Avranches, c’est à la fois une boutique
d’horlogerie-bijouterie et un magasin d’antiquités. Albert
Emile, le père de l’artiste, est au balcon de son immeuble.
C’est Albert Bergevin qui a réalisé l’enseigne que l’on devine
sur la photo, et qui est contemporaine de la célèbre affiche
de la Baie du Mont Saint-Michel.
L’escalier de la cour d’honneur du 15 rue de Geôle. 1912.
Albert Emile Bergevin est assis sur le puits, que domine Jean
Bergevin. En blouse, assis sur un tapis avec un balai et un
fez sur la tête, le jeune artiste se démarque complètement !

1914-1918 : entre le deuil et


l’espoir, le malheur et l’amour,
la mort et la vie
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate,
Albert Bergevin n’est pas mobilisé mais prend du
service volontaire à l’hôpital de Mortain. C’est là,
entouré de malades et de blessés qu’il apprend
que la santé de son frère Jean s’est brusquement
dégradée. Gravement atteint d’une tuberculose
foudroyante, Jean est envoyé en cure mais il
décède au bout de quelques mois le 2 octobre
1915. Il avait 22 ans. C’est un véritable drame
pour la famille, surtout pour ses parents qui

28
avaient reporté tous leurs espoirs de transmission
du commerce familial dans ce jeune homme
brillant, studieux et cultivé.
La mort de son frère rappelle Albert Bergevin à
Avranches, où il est affecté caporal à l’hôpital
militaire n°82 (H.C.82) installé au Collège
d’Avranches. Là, auprès de ses parents
inconsolables, et dans les locaux qui ont vu naître
sa vocation artistique, le brancardier Bergevin
enchaîne les nuits de garde et se tient éveillé en
réalisant de nombreux croquis, émouvant
témoignages de l’activité d’un hôpital militaire en
période de guerre.

Albert Bergevin (à gauche), caporal au H.C.82 en 1915

Quand le H.C.82 ferme fin 1916, le personnel est Albert Bergevin et Marie-Jeanne Seguin le jour de leur
versé dans l’infanterie. Caporal auxiliaire au 77ème mariage, le 17 juillet 1916. Photo prise dans la propriété des
Bergevin, 15 rue de Geôle à Avranches
régiment à Cholet, il continue malgré tout à
dessiner. Il effectue un bref séjour au front de
Champagne où, de santé fragile, il tombe Marie-Jeanne : épouse, mère,
gravement malade au point d’être envoyé à Ax-
les-Thermes en Ariège pour traitement, avant de
modèle et muse
Marie-Jeanne Seguin naît à Paris le 7 juin 1897.
suivre sa convalescence à Avranches. En 1918,
Elle est la fille de Félix Seguin10 (1866-1950) et
il finit la guerre au Service des Archives
d’Angèle Maufras11 (1872-1901). Si Félix Seguin
photographiques de l’Armée à Paris pour être
est parisien, Angèle est originaire d’Avranches.
finalement démobilisé en avril 1919.
Les Maufras possèdent d’ailleurs à quelques
Cette période, aussi terrible et éprouvante soit-
kilomètres d’Avranches une maison dans la petite
elle, ne doit cependant pas occulter un
station balnéaire de Saint-Jean-le-Thomas qui
évènement essentiel : en pleine guerre et en plein
comptera beaucoup dans la vie d’Albert et Marie-
deuil familial, Albert Bergevin fait la connaissance
Jeanne.
à Avranches d’une jeune femme dont il s’éprend
En 1901, Marie-Jeanne et son frère Jean (son
immédiatement. Fiancés dès août 1915, il
aîné de 4 ans) ont le malheur de perdre leur mère
l’épouse le 17 juillet 1916 et leur premier fils,
de la tuberculose. La petite fille n’a que 4 ans et
Gilles, naît le 14 juin 1917. Un deuxième fils,
son père, alors en pleine ascension sociale et
Claude, naîtra de cette union le 4 juillet 1919.
politique à Paris ne peut s’occuper seul de ses
Après ce terrible conflit meurtrier, et comme tant
jeunes enfants. Jean et Marie-Jeanne sont
de familles endeuillées, la famille Bergevin voit
séparés et cette dernière est envoyée en pension
donc renaître l’espoir et la vie. Albert Bergevin a
au couvent de Guernesey où elle restera de 6 à
survécu et, contre toute attente, a trouvé dans
ses 16 ans. Une enfance rude et malheureuse
cette période sombre celle qui sera jusqu’au bout
dont elle ne gardera étonnamment aucune
à ses côtés. Cette femme, l’amour de sa vie, son
rancune envers son père. Souvent malade, pas
modèle et sa muse, c’est Marie-Jeanne.
ou peu soignée, elle contracte à Guernesey une
rougeole sévère qui la laisse complètement

29
sourde. Ce handicap lourd la condamnera à vivre ses côtés – fonctionne à merveille et cet amour,
désormais dans le silence et à lire sur les lèvres (il cette sérénité trouvée dans l’intimité de la vie
lui faudra attendre près de 35 années et la pose conjugale, transpirent dans les œuvres de l’artiste
en 1946 d’un nouvel appareil auditif provenant sans que les années y changent quelque chose.
des Etats-Unis pour qu’elle puisse enfin recouvrer C’est en ce sens que Marie-Jeanne est
un peu d’audition). Marie-Jeanne est certes une indispensable à la compréhension de la valeur
jolie jeune fille, mais son handicap ne plaide pas artistique de son mari. Et c’est aussi en cela que
en sa faveur. les toiles et les dessins intimistes d’Albert
Bergevin sur sa vie de couple et sa petite famille
sont à ce point tendres, sincères et émouvants à
la fois.

Les années folles de l’entre-


deux guerres
En 1919, Albert Bergevin est un homme comblé.
Certes et comme tous ceux de sa génération il
restera un homme profondément marqué par la
guerre, mais il vit avec une femme qu’il adore et
qui lui a donné deux fils en deux ans. S’il n’avait
jamais lâché ses crayons, il participe avec fougue
et enthousiasme aux joies de l’après-guerre et de
Marie-Jeanne Seguin à 14 ans, 1911 ces années folles qui s’annoncent.
Et comme tout décidément sourit au jeune couple,
On ne sait pas comment les deux jeunes gens se Marie-Jeanne hérite dès avril 1919 de ses
rencontrent. Ce qui est certain, c’est que les grands-parents Maufras d’une belle et grande
familles Maufras et Bergevin se connaissent et se maison située dans la petite station balnéaire de
fréquentent12. Alors, rencontre arrangée ? Saint-Jean-le-Thomas, à quelques kilomètres
Toujours est-il qu’entre le jeune artiste mobilisé et d’Avranches et du Mont Saint-Michel, bien visible
la belle jeune fille (elle a 10 ans de moins que lui), depuis la plage. Cette maison deviendra le lieu de
le courant passe. villégiature estival de la famille, et il suffit de voir le
Et il ne cessera de passer. Ces deux-là se nombre d’œuvres réalisées à cet endroit tout au
comprennent et se complètent. Artiste dans l’âme, long de la carrière du peintre pour réaliser son
Marie-Jeanne soutiendra toute sa vie son époux attachement pour cette propriété et pour le
qui découvre avec elle non seulement les plaisirs pittoresque petit village manchois13.
de l’amour et la grâce féminine mais aussi les joies C’est également à cette époque qu’Albert
de la paternité et de la vie de famille. Marie- Bergevin, qui se sent pousser des ailes, décide de
Jeanne – M-J dans son journal intime – devient défier Paris et sa vie artistique trépidante.
naturellement son modèle et une source Largement financé par les parents Bergevin, le
inépuisable d’inspiration. On ne compte plus les jeune ménage s’installe dans le quartier d’Auteuil,
esquisses, les croquis pris sur le vif, les tableaux au 1 rue de la Mission Marchand, où la petite
et les dessins qui la représentent. De dos, debout, famille habitera jusqu’en 1928.
allongée, assise, de face, nue ou habillée, Cette décennie heureuse correspond à la période
rêveuse ou mutine, en mère de famille ou en la plus productive d’Albert, qui peint énormément,
femme désirable et désirée, en gros plan ou bien d'abord sa femme et ses enfants mais surtout les
perdue dans un paysage, M-J est partout dans innombrables spectacles auxquels il assiste avec
l’œuvre d’Albert Bergevin. Sa silhouette élancée, son épouse. Car tous deux sont incroyablement
sa chevelure brune arrangée « à la lancés, le beau-père Félix Seguin, alors au
garçonne » dès le début des années 20, ses yeux sommet de sa carrière aux Beaux-Arts, leur
en amande, ses tenues et ses postures toujours assurant des entrées partout.
élégantes sont immédiatement reconnaissables. Albert et Marie-Jeanne assistent donc à tous les
Marie-Jeanne n’est pas simplement une femme, spectacles de l’époque, à un rythme qui donne
elle incarne LA femme aux yeux de l’homme de sa proprement le tournis : Trocadéro, Palais Garnier,
vie. Châtelet, Gaîté lyrique, Champs Elysées, Opéra
Ce duo – titre vraiment pas usurpé qu’Albert Comique, Trianon lyrique etc. Ces années folles
donne à plusieurs autoportraits avec sa femme à ne sont que concerts, récitals, spectacles de

30
cirque, bals masqués, ballets russes, choristes, Gromaire, Favory, Kickert, Zadkine, Roger Marx,
théâtres et cabarets. Rien, absolument rien ne Foujita14…
leur étranger et rien n’échappe à l’œil de l’artiste Entre deux ventes ou deux visites, Albert
qui, carnet de dessin en main, n’a de cesse de Bergevin peint à tour de bras, sous l’œil avisé de
croquer sur le vif cette vie parisienne Marie-Jeanne qui tantôt pose, tantôt conseille. Sa
extraordinaire des années folles. peinture plaît, les coupures de presse sont
Vedettes, acteurs, danseurs, clowns ou nombreuses et élogieuses et Albert Bergevin
chanteurs défilent ainsi dans les pages vend ! On aime son « style élégant », ses « toiles
étourdissantes de ses carnets emplis de croquis très étudiées », « vigoureuses et pleines
vivants et enlevés qui révèlent un talent de d’agrément », Avec son « Carnaval » aux
dessinateur hors du commun. Croqués en Indépendants de 1924, « d’une séduisante
quelques secondes, la plupart des dessins sont polychromie », Bergevin devient même « un
aquarellés à la maison et certains deviennent des magicien de fantaisie ».
sujets de toiles. Car lorsqu’il tient un sujet, une A propos de « Duo » envoyé aux Indépendants
position, des couleurs ou une lumière qui de 1925, Paris-Soir écrit : « L’envoi de Bergevin
l’inspirent, Albert Bergevin n’hésite pas à décliner vaut qu’on s’y arrête sérieusement. Mr Bergevin
son sujet en plusieurs exemplaires jusqu’à ce qu’il n’a pas un talent tapageur. Par ailleurs, le « grand
obtienne satisfaction. Très exigeant envers les sujet » ne le sollicite pas. Mr Bergevin,
autres, Albert Bergevin l’est encore plus avec lui- observateur familier, redonne aux choses de
même et certaines toiles du même sujet révèlent chaque jour le « duvet » que nous ne leur voyons
même un acharnement certain pour trouver plus. Son œuvre est très finie, sensible et vraie.
« l’harmonie picturale ». Quel artiste ! »
Il voit ainsi plusieurs fois danser Isadora Duncan Bref, Albert Bergevin est lancé et il partage sa vie
qui l’inspire par de très nombreux dessins et dont entre Paris, Avranches et Saint-Jean-le-Thomas,
il réalise même un bois gravé qui n'a pas grand- où son petit pays du Sud-Manche ne cesse de
chose à envier aux représentations que Bourdelle l’inspirer. Ce sont d’ailleurs souvent des vues
fera de la même Isadora. Il assiste impressionné d’Avranches et de sa vie provinciale, ou bien des
aux performances de Joséphine Baker aux Folies- scènes de bains de mer vivantes et colorées, que
Bergères ; il croise tous les grands les l’artiste propose aux galeries et aux salons
journalistes-critiques d’art de l’époque : Vauxelles, parisiens.
Gasquet, Frantz Jourdain, Arsène Alexandre… Ce rythme effréné sera tenu jusqu’en décembre
Il est aussi de toutes les expositions, et expose 1927, date à laquelle son fils Gilles tombe
bien entendu lui-même chez les grands galeristes gravement malade. La coqueluche qu’il a
(Bernheim jeune, Druet, Crès, Barbazangues, contracté dégénère et le médecin conseille
Panardie) ainsi qu’à tous les Salons d'Automne et vivement à la famille de partir respirer l’air frais de
à celui des Indépendants (situés au Petit Palais et la montagne. Pour ses parents traumatisés par la
au Grand Palais), ce dernier que préside alors perte d’un proche de maladie – son frère pour
Paul Signac Il fait même partie des commissions Albert, sa mère pour Marie-Jeanne – l’avis sans
de placement de ces salons, et sa compétence appel est entendu et la famille part sur le champ
semble reconnue puisqu’il est régulièrement réélu vivre quelques mois en Savoie à Beaufort. Outre
tout au long de cette période. Comme il le note le fait que Gilles se rétablit rapidement et que le
souvent dans son journal, ce travail lui fait certes séjour forcé occasionne la production de beaux
perdre des journées entières en débats et paysages de neige et de nombreux croquis
hésitations qu’il juge souvent stériles – faut-il réalisés sur place, cet épisode est d’importance
placer les exposants par ordre alphabétique ou puisqu’il sonne la fin de la période parisienne.
par ordre d’inscription, ou par tendances ? – mais Rentré de Savoie, Albert Bergevin se retire à
a souvent l’avantage d’assurer à ses toiles un Avranches. Il n’habitera plus que très
emplacement favorable. occasionnellement Paris.
Il côtoie ainsi quasi quotidiennement tous les
artistes contemporains, peintres ou sculpteurs :
Bourdelle, Pompon, Desbois, Lavalley, Vogelweith,
Lotiron, Carlos Reymond, Lhote, de Segonzac, L.
A. Moreau, Paul Vera, Gallet, Zingg, de la
Fresnaye, Lebasque, Celso Lagar, Kisling, Zyg
Brummer, Yves Alix, Barat Levraux, Jacques
Simon, Pierre Hodé, Sabbagh, Marcoussis,

31
Avranches son thème de prédilection demeure à
portée de pinceau : Marie-Jeanne, croquée dans
le plus simple appareil ou bien représentée au
jardin, à sa lecture ou avec les enfants. Et quand
il ne peint pas son intimité familiale, Bergevin se
délecte toujours autant des représentations des
rues et des marchés d’Avranches, des jardins, de
la campagne normande et de la Baie du Mont-
Saint-Michel.

Gilles (à gauche) et Claude Bergevin, vers 1925

Les années 30 à Avranches


Plusieurs raisons ont pu motiver le retour de la
famille à Avranches. La santé de Gilles, tout
comme celle d’Albert Bergevin - que l’on sait
fragile depuis la guerre - a certainement plaidé en
faveur d’un mode de vie plus sain et moins
trépidant.
Mais il se peut aussi que les parents Bergevin
aient intimé l’ordre au jeune couple de rentrer au
pays, afin d’une part que soit mis un terme aux
dépenses fastueuses liées à leur train de vie
mondain, et d’autre part que le jeune peintre ne
néglige pas la gestion du magasin d’antiquités
familial dont il devra nécessairement prendre lui-
même la succession un jour, compte tenu du
tragique décès prématuré de son frère Jean.
En 1928, la famille s’installe donc à Avranches
dans la maison du 10 rue de Lille, dont Marie- Albert Bergevin dans son atelier, années 30
Jeanne a hérité à l’issue d’un nouveau tirage au Marie-Jeanne, elle, partage son temps entre
sort (qui l’a encore une fois avantagée et qui sera l’éducation de Gilles et Claude, les activités de
à l’origine d’une brouille irrémédiable avec son plein air, à la pêche ou au jardin, la lecture et tous
frère Jean). Par souci de totale indépendance et les arts de la couture et de la broderie que les
pour faciliter les trajets avec leur maison de Saint- sœurs lui ont appris au couvent. Elle réalise
Jean-le-Thomas, Albert Bergevin et Marie- notamment de ses mains, avec beaucoup de soin,
Jeanne passent aussi tous deux leur permis de d’admirables vêtements, costumes,
conduire au mois de mai et achètent une déguisements et marionnettes qui font la joie de
automobile. ses enfants, et feront celle, plus tard, de ses
Ils se rendent encore à Paris en 1929 et 1930 où petits-enfants et arrière-petits enfants.
ils séjournent une dizaine de jours à l’occasion En ces années 30 où de nombreuses fortunes
des expositions aux Salons d’Automne et des sont défaites, où s’emballe l’inflation, où sourd la
Indépendants. Les années suivantes, leurs menace des totalitarismes, où vacillent des
déplacements se font de plus en plus rares. Une équilibres géopolitiques précaires, Albert
page s’est tournée. Bergevin et sa famille sont à Avranches et Saint-
Pour autant, l’œuvre du peintre s’inscrit toujours Jean-le-Thomas, bien à l’abri des fureurs du
dans la continuité des années parisiennes, car à

32
monde, et jouissent en Normandie d’une desquelles semblent dérisoires les privations et
existence paisible. restrictions qu’ils subissent, comme tous les
Français, pendant les années d’occupation.
Cependant, et comme beaucoup d’habitants de
province vivant en milieu rural, ces privations les
affectent certainement moins que la population
urbaine. Pendant toute la durée de la guerre,
Albert et Marie-Jeanne – surtout Marie-Jeanne -
enfourchent leurs bicyclettes suivis de leur fidèle
chien Mitsou, et parcourent ainsi des kilomètres
pour aller visiter les fermes de Genêts ou de
Saint-Jean-le-Thomas.
En outre, ces trajets à vélo permettent à Marie-
Jeanne d’aller à Saint-Jean-le-Thomas surveiller
sa chère maison de la Carre-Gaie dont elle craint
la réquisition par les Allemands, ou bien le pillage
en cette période trouble. Elle souhaite même de
tout cœur se replier dans le petit bourg de Saint-
Jean où la vie paraît plus facile qu’à Avranches,
mais se heurte au refus obstiné de son mari, qui
redoutait probablement le même sort pour sa
maison familiale de la rue de Geôle ou le magasin
d’antiquités de la rue de la Constitution.
Il faut dire qu’Albert Bergevin a perdu son père en
décembre 1940, des suites d’une fracture du col
de fémur à l’âge de 81 ans. Albert Emile Bergevin
aura tenu vaillamment son magasin d’antiquités
jusqu’au bout, mais c’est désormais Albert fils qui
Marie-Jeanne (au centre) devant la porte de la Carre-Gaie à doit en assurer la direction et ce, en pleine
Saint Jean-le-Thomas, avec à ses côté son fils Claude. 1937
débâcle et occupation allemande…Il se
soumettra à cette tâche « vaille que vaille » - pour
Plus pour longtemps hélas : une nouvelle guerre
reprendre une de ses expressions favorites – tout
se prépare. En 1939 cesse brutalement le
en ne négligeant pas pour autant ce besoin vital
tranquille déroulement des choses. La
de dessiner et de peindre. Evidemment il ne vend
Normandie ne sera pas épargnée. Bien au
quasiment plus et c’est désormais pour lui-même
contraire, elle s’apprête, malgré elle, à payer un
qu’il créé et qu’il soumet ses réflexions sur le
très lourd tribut à la guerre, autant qu’à jouer un
monde dans ses petits carnets intimes. Ce journal
rôle décisif dans la conclusion de ce nouveau
– constitué de dizaines de carnets noircis d’une
conflit mondial.
écriture fine et nerveuse - est un exercice auquel
Les années d’angoisse : il se soumet depuis son adolescence et qu’il
perpétuera jusqu’à la fin de sa vie, laissant à la
1939-1945 postérité (et avec une jolie prose) ses notes sur sa
En septembre 1939, Gilles et Claude ont vie quotidienne ou sur le monde en général. Ce
respectivement vingt-deux et vingt ans. Très journal tenu au jour le jour pendant la période de
rapidement, ils sont tous les deux mobilisés. Pour la guerre est en soi un témoignage rare et
ne pas laisser leurs parents sans nouvelles, ils précieux d’un homme sensible et somme toute
viennent les voir à chaque permission et leur ordinaire vivant des évènements
écrivent aussi souvent que possible. Mais les extraordinaires… Il fait désormais partie de la
courriers sont souvent reçus avec beaucoup de mémoire d’Avranches dont l’histoire va basculer
retard. Si Gilles, fait prisonnier lors de la débâcle en juin 1944…
de 1940, réussit à s’échapper et parvient à Point de passage stratégique de l’opération
Avranches très amaigri en 1941, les nouvelles de Overlord, Avranches entre en effet subitement
Claude se font de plus en plus rares, ce qui vaut dans la guerre par des bombardements
à Marie-Jeanne, pendant les deux années qui ravageurs le 7 juin 1944.
s’ensuivent, de vivre dans une angoisse Malgré les nombreuses alertes et un
croissante, permanente et indicible15. bombardement incessant pendant plusieurs
Inquiets du sort de leurs deux garçons16, le couple semaines, le couple Bergevin décide
Bergevin plonge dans un profond désarroi, à côté

33
courageusement de rester en plein centre-ville
dans leur demeure, préparé à mourir s’il le faut
Le bonheur retrouvé : 1945-
comme Albert l’explique d’une façon poignante 1965
dans son journal à la date du 9 juin 1944 : A l’été 1945, Albert Bergevin a déjà cinquante-
(…) « Dans notre quartier, au moins deux huit ans. Il lui reste encore plus de vingt-sept
femmes gisent encore sous les décombres. Ce années à peindre, toujours avec bonheur mais
matin, j’ai croisé des charrettes transportant des sans plus la fougue de sa jeunesse.
cadavres entassés, retrouvés de-ci de-là, seul un Une nouvelle période heureuse s’ouvre pour la
prêtre de l’Institut Notre Dame suivait le convoi de famille. Les habitudes reprennent, on profite de
ces humbles victimes. On se demande si demain, nouveau de l’été à Saint-Jean. Les jardins de la
ce ne sera pas notre tour. On a une sensation Carre-Gaie et de la rue de Geôle redeviennent
d’écrasement total de toute vie et de toute splendides. On cueille des bouquets de fleurs
civilisation. Qui sait si nous ne serons pas appeler fraîches qu’Albert Bergevin s’empresse de
à vivre encore des jours plus sombres, si Dieu transposer sur la toile. Les garçons se marient et
veut que nous vivions. les jeunes couples donnent rapidement
Vivants, nous avons l’impression de jouir d’une naissance à des petits-enfants qui viennent
grâce suprême et divine. Je me sens fortifié et égayer les vieux murs d’Avranches ou de St Jean
réconforté par une foi profonde ; ayant vraiment pendant les vacances.
fait le sacrifice de ma vie, celle-ci me paraît légère L’œuvre d’Albert Bergevin se resserre autour du
et comme désincarnée. » noyau familial et de son environnement proche.
En dépit de toute rationalité, Marie-Jeanne ne Amoureux profond de la nature, excellent jardinier,
change pas ses habitudes et court désormais les il peint nombre de bouquets, de sous-bois, de
plus hauts risques. Pendant tous les rochers en toute saison. Il aime toujours autant
bombardements, elle continue d’effectuer des l’intimité familiale mais aime aussi beaucoup
allers-retours à Saint-Jean-le-Thomas, souvent l’activité estivale qui a lieu chaque été sous ses
dans la même journée, alors que, circonstance fenêtres. L’arrêt de l’autocar en face de la maison
aggravante, elle est complètement sourde et ou le petit marché local l’inspirent beaucoup. Son
n’entend pas les avions arriver. Elle racontera plus sens de l’observation et du dessin spontané lui
tard que c’est en surveillant le comportement de procure encore d’intenses toiles inspirées qui
son chien Mitsou qu’elle pouvait deviner leur s’entassent dans son atelier de la rue de Geôle.
approche et se jeter dans le fossé pour échapper
aux bombes ou au mitraillage des routes.
Par miracle, les bombardements épargnent le 15
rue de Geôle et la Carre-Gaie. Ils détruisent en
revanche totalement la maison et le magasin
d’antiquités Bergevin, rue de la Constitution, où
rien ne peut être sauvé des décombres.
A l’instar de millions de gens, pour le couple
Bergevin, la guerre se révèle un tel traumatisme
qu’elle en vient presque à occulter les souvenirs
de leur vie d’avant. A tout le moins ne les
évoquent-ils plus. Avec la paix et les années
radieuses qui s’ensuivent, ils repartent en quelque
sorte, et le monde avec eux, d’une page blanche.
1962. La cour du 15 rue de Geôle avec le bâtiment abritant
l’atelier de l’artiste au 1er étage, de plein pied sur les jardins
suspendus sur les remparts.

Les dernières années : 1965-


1974
Les années passent et Albert Bergevin ne sort
plus guère son chevalet en dehors de la maison
ou du jardin. Il continue de vendre sans effort
quelques tableaux, essentiellement auprès de
Albert Bergevin, Marie-Jeanne et leur chien Mitsou dans la connaissances et d’amateurs avranchinais, et en
cour du 15 rue de Geôle à Avranches – juillet 1944
offre régulièrement aux proches. Il n’expose plus

34
que rarement. En 1965, il fait don au nouveau grande rue – modeste étalage de pendules et de baromètres,
nous avons pris la direction de Vendôme. »
Musée d’Avranches d’une cinquantaine de toiles 3
Appartenant entièrement à Albert Emile Bergevin,
et de dessins. l’immeuble et le magasin seront totalement détruits le 7 juin
En septembre 1972, il exécute sans le savoir sa 1944 lors des bombardements d’Avranches. Il se situait au
dernière toile : un bouquet de fleurs colorées, niveau de l’actuel numéro 7 de la rue de la Constitution.
4
Seulement âgé de 22 ans, Jean Bergevin sera fauché en
comme le symbole d’une vie en quête de poésie,
pleine jeunesse par la tuberculose. Cette tragédie familiale en
de douceur et d’harmonie. C’est aussi en pleine guerre n’est pas sans conséquence sur le soutien
septembre 1972 qu’il écrit, à la fois lucide et inconditionnel que trouvera toujours Albert Bergevin et son art
malicieux, dans son journal : auprès de ses proches.
5
Dans son journal, lorsqu’Albert Bergevin essaie de se
« D’après Cocteau, « il faut être un homme vivant
« remémorer les origines de ses premiers élans vers l’art », il
et un artiste posthume ». Cela prête à réflexion parle de « véritable vocation éprouvée à 15 ans. »
mais c’est peut-être mon cas. » 6
Charles Armand Patient Fouqué est un peintre de talent
En mai 1973, il tombe lourdement en jardinant originaire d’Avranches. En qualité de professeur de dessin au
Collège d’Avranches – poste qu’il occupera pendant 45 ans -,
dans sa propriété de Saint Jean, prélude à un
il forme nombre d’artistes et obtient même pour la qualité des
anéantissement général qui lui sera fatal. Malgré œuvres de ses élèves une médaille d’argent à l’Exposition
les soins constants de son fils médecin Gilles, son Universelle de 1889, et une médaille de bronze à celle de
état décline lentement tout comme sa vue qui 1900. Décoré Officier de l’Instruction Publique en 1902, il
expose au Salon des Artistes Français jusqu’à sa mort. Nul
depuis plusieurs mois l’empêche de peindre.
doute que son regard avisé ait servi le talent prometteur
Le 24 novembre 1973, il a encore la force d’écrire d’Albert Bergevin.
ces dernières lignes dans son journal : 7
Ce premier atelier n’existe plus aujourd’hui. La vieille tour
« Il y aura demain six mois que je survis à ce médiévale qui la surplombait et qui faisait partie de l’ancienne
Porte de Ponts s’est écroulée le 24 février 1919 en écrasant
soudain anéantissement, grâce au dévouement
la maison. La tour n’a pas été reconstruite.
de ma femme et aux bons soins médicaux de 8
Célèbre critique d’art et essayiste, Waldemar George est
Gilles. Je peux faire chaque jour pendant une l’auteur de nombreuses monographies et révélateur du
demi-heure quelques pas dans le jardin le long mouvement néo-impressionniste en étant parmi les premiers
à reconnaître le talent de jeunes artistes comme Marc Chagall,
des créneaux, d’où je peux voir l’animation de la
Chaïm Soutine ou Fernand Léger. Il dirige deux revues de
place tout en marchant un peu comme sur le pont référence à cette époque, « l’Amour de l’art » et « Formes ».
d’une navire tanguant. L’on s’accorde à me dire Grand amateur d’art, il sera sa vie durant un grand admirateur
que je vais de mieux en mieux et M-J fait tout ce de l’œuvre de Bergevin, beaucoup trop méconnu à son goût,
et l’auteur d’articles élogieux à son sujet (voir article Les
qu’elle peut pour m’en convaincre. Décidément,
silences d’Albert Bergevin, in La Revue de l’Avranchin, Tome
quelle drôle de vie que la mienne ! » LXI, Avranches, 1979)
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Note daté du 15 novembre 1943 dans le journal intime
Albert Bergevin décède le 12 février 1974, à l’âge d’Albert Bergevin : « 13 heures. La radio annonce à l’instant
la mort de Maurice Denis. Renversé par un camion, il a
de quatre-vingt-six ans, dans sa propriété de la
succombé peu de temps après avoir été transporté à la
rue de Geôle. clinique. Il restera sans doute pour l’historien d’art celui qui,
Son épouse Marie-Jeanne lui survit quatorze avec Desvallières, a réussi à susciter une renaissance de l’art
années, gardant auprès d’elle tous ses souvenirs sacré, et celui qui sut le mieux comprendre la nécessité d’un
retour à la simplicité et au naïvisme chers à Gauguin et
intacts. Elle aussi décline lentement jusqu’en juin
Sérusier. A ce dernier, il avait consacré en 1942 une étude sur
1987 où, et alors qu’elle vient de fêter ses quatre- sa vie et son œuvre d’une grande clarté et profondément
vingt-dix ans, elle est frappée de plein fouet par analysée. Son disciple Hébert Stevens l’avait précédé de
l’accident mortel de son fils Claude, dont le quelques mois dans la tombe. Madame Hébert Stevens-
Peugniez reste, après cette disparition, l’élève la plus
deltaplane s’écrase sur une montagne des Alpes.
représentative du maître. Ce fut un des meilleurs théoriciens
De cette ultime épreuve, elle ne se remettra de la peinture moderne qui soit né de Cézanne et Gauguin. Je
jamais et elle s’éteint rue de Geôle en septembre l’avais connu chez Ranson et gardais de son enseignement de
1988. quelques mois un souvenir reconnaissant. »
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Félix Seguin comptera beaucoup dans la vie de son gendre,
Elle est enterrée au cimetière d’Avranches, où elle
Albert Bergevin. Cultivé, affable et talentueux, ami fidèle
repose auprès de son mari. depuis le collège de Pierre Bonnard, Félix Seguin ne cessera
de gravir les échelons depuis la responsabilité du bureau des
--------------------------------------------- Théâtres parisiens jusqu’à la fonction convoitée de Directeur
du Bureau des Beaux-Arts – un peu l’équivalent de notre
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Il est d’ailleurs encore à ce jour le seul Bergevin à être né et ministre de la Culture actuel - qu’il occupera dans les années
mort à Avranches, en plus d’y avoir vécu la plus grande partie 1920 au 3 rue de Valois à Paris. Artiste à ses heures, d’humeur
de sa vie. souvent joviale, il restera très proche de sa fille et s’entendra
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Innocent Bergevin (1822-1891) était lui-même fils d’horloger particulièrement bien avec son gendre. Il est mort en 1950 à
et formera ses fils Alphonse (1852-1890) et Albert Emile au Cérences dans la Manche.
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métier. La boutique familiale existait encore dans les années Angèle Maufras meurt en 1901 de la tuberculose à
30 puisque Albert y passe en avril 1936. Il note dans son seulement 29 ans. Elle laisse un jeune veuf de 35 ans et deux
journal : « De la Chartre, après avoir jeté un coup d’œil à la très jeunes enfants, Jean et Marie-Jeanne. Plus tard en 1918,
boutique d’horlogerie qui appartenait à mon oncle dans la Marie-Jeanne héritera de ses grands-parents maternels la
maison familiale de Saint-Jean-le-Thomas, dans la Baie du

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Mont-Saint-Michel, si importante dans la vie du couple La guerre du jeune Claude mériterait à elle seule un chapitre
Bergevin et la production artistique d’Albert. entier. Il obtient son brevet de pilote civil en juin 1939, il n’a pas
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Les deux familles se connaissaient déjà en 1914 - et vingt ans. Sous-officier de l’Armée de l’Air, il se replie en
visiblement s’appréciaient - puisque le frère aîné de Marie- septembre 1940 en Algérie où il reste mobilisé jusqu’en
Jeanne Seguin avait épousé peu de temps auparavant une novembre 1942 et le débarquement allié en Afrique du Nord.
cousine germaine d’Albert Bergevin. Recruté à Casablanca par les Forces Aériennes de la France
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Située stratégiquement au carrefour central du village de Libre (FAFL), il fait partie du 1er contingent de pilotes français
Saint-Jean-le-Thomas, face à l’arrêt de l’autocar, et sur le à partir aux USA pour être formé sur les appareils américains.
chemin de la plage, la « Carre-gaie » fut une maison Pilote de bombardier B26, portant l’uniforme de l’US Air Force,
immédiatement adoptée par Albert Bergevin qui y découvre le sous-lieutenant Claude Bergevin rejoint le Groupe Bretagne
les joies de la pêche à pied et l’admirable paysage depuis les des FAFL en juillet 1944.Volontaire pour le front russe en
hauteurs. Amoureux des plantes et des fleurs, il travaillera janvier 1945, il rejoint le Groupe Normandie-Niemen où il se
d’arrache-pied le terrain en face de la maison pour en faire un forme sur Petlyakov P-2 avec comme objectif Berlin. A la fin
jardin extraordinaire. Donné au village par Marie-Jeanne en de la guerre, à tout juste 26 ans, décoré par la France et par
1977, ce petit Giverny qui faisait la fierté du peintre est les Etats-Unis, il entrera à Air France où il fera une brillante
désormais un petit jardin public, le « jardin Bergevin ». carrière de pilote de ligne cumulant 25 687 heures de vol…
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Foujita, ou plutôt son épouse, fait ainsi l'objet d'une entrée Etudiant en médecine quand éclate la guerre, Gilles
amusante dans le journal d'Albert le 30 octobre 1921 : "Foujita s’engagera dans la résistance auprès des Forces Française de
dont la tête expressive s’orne de lunettes stationne devant ses l’Intérieur FFI dès fin 1943 sans jamais parler de ses activités
œuvres, sa femme assise sur un divan en face de lui à ses parents qui ne peuvent que constater ses absences
s’entretient à haute voix. Elle dit “ Fioudjita, mon ami, je veux régulières de la maison jusqu’en juillet 1944. Il participera
que ta toile soit achetée par Bernheim ! Je le connais tu sais, activement à soigner les blessés civils écrasés sous les
c’est Gaston je crois son petit nom, celui de la Madeleine, il bombes, et c’est comme cela qu’il rencontrera une jeune
t’achètera et je lui dirai moi, tu sais Fioudjita, la condition c’est femme de 19 ans sévèrement blessée dans l’effondrement de
qu’il la mette en vitrine dans son magasin ! Elle est très bien la rue Millet, François Postel, qu’il épousera en 1946…
ta toile mon petit Fioudjita !“…

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