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Marivaux, L'Île des esclaves

Présents dans la comédie depuis l'Antiquité, les rôles du maître et du valet se complètent et
s'opposent. Dans L'Île des esclaves, Marivaux les inverse le temps du spectacle ; il interroge
ainsi avec subtilité les conséquences de cette hiérarchie sociale.

I Connaître l'œuvre

1 L'auteur et le contexte

■ Journaliste fasciné par les mœurs de son époque, Marivaux se tourne rapidement vers le
théâtre. S'inspirant de la commedia dell'arte , il connaît le succès avec Arlequin poli par l'amour
en 1720.

■ Dramaturge prolifique, il collabore de manière fructueuse avec la troupe des Comédiens-


Italiens, avec notamment L'Île des esclaves en 1725 et Le Jeu de l'amour et du hasard en 1730.

MOT CLÉ

La commedia dell'arte, genre théâtral d'origine italienne, se fonde sur des types comiques
(comme Arlequin) et sur l'improvisation.

2 La composition et les enjeux

■ L'intrigue se situe dans une Antiquité grecque de pacotille, miroir de la France du XVIIIe siècle.
Arlequin et son maître Iphicrate, ainsi que Cléanthis et Euphrosine, font naufrage sur une île
utopique dont les habitants sont des descendants d'esclaves ayant fui leur servitude.

■ Sur cette île, afin de corriger les maîtres de leur inhumanité, les statuts et les noms
s'inversent : les esclaves deviennent les maîtres, et réciproquement. C'est ce qui advient aux
naufragés sous le contrôle de Trivelin, le gouverneur de cette nouvelle république.

■ Le renversement permet aux anciens maîtres de prendre conscience de leurs abus de pouvoir
et d'en obtenir le pardon. La pièce n'appelle pas à la révolution : tout finit par rentrer dans l'ordre.

II Comprendre le parcours

1 Le reflet d'une hiérarchie sociale


■ Dans la comédie traditionnelle, comme dans la société, les valets sont au service de leurs
maîtres. Le Figaro du Barbier de Séville (1775) aide le Comte à séduire la belle Rosine,
séquestrée par un vieux docteur tyrannique.

■ La comédie naît du contraste entre les maîtres et les valets. Dans Dom Juan de Molière (1665),
Sganarelle tient vainement tête à son maître, sans pouvoir l'égaler dans sa maîtrise de la parole.
Chez Marivaux, la différence sociale, révélée par le niveau de langue, empêche le valet, même
déguisé en maître, de séduire la femme que son maître aime en secret.

■ Le valet est souvent moqué par son maître. Cléanthis fait la liste des surnoms déplaisants que
lui donne Euphrosine : « Sotte, Ridicule, Bête, Butorde, Imbécile, etc. » Dans Ruy Blas de Victor
Hugo (1838), don Salluste affirme avec cruauté que le valet « n'est qu'un vase » que son maître
remplit comme il l'entend.

2 La remise en cause du rapport de domination

■ L'Île des esclaves donne lieu au renversement carnavalesque des rôles : les dominés semblent
prendre le pouvoir. La première réaction moqueuse d'Arlequin face aux plaintes d'Iphicrate est
de rire en continuant à s'enivrer. Dans Les Bonnes de Genet (1947), Claire endosse le rôle de sa
maîtresse en son absence, le temps d'une cérémonie mimétique.

■ Le valet peut alors à son tour se moquer de son maître : Cléanthis montre la vanité et la
coquetterie d'Euphrosine dans un portrait railleur. Dans Le Mariage de Figaro (Beaumarchais,
1784), Figaro va plus loin en dénonçant les privilèges indus d'une aristocratie abusive.

CITATION

« C'est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire, » explique Trivelin.

Après tout, Iphicrate signifie « qui règne par la force ».

■ Le théâtre offre une réflexion sur l'injustice sociale. Chez Marivaux, les maîtres sont punis
pour leur arrogance et sont forcés de faire amende honorable. Dans Maître Puntila et son valet
Matti (Brecht, 1948), la comédie se poursuit jusqu'à l'émancipation du domestique à l'heure de la
lutte des classes.

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