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La vocation de
Nous les connaissons les aspirations, les préoccupations de la France d'aujourd'hui
la France ; la génération présente rêve d'être une génération de défricheurs, de pionniers, pour
la restauration d'un monde chancelant et désaxé ; elle se sent au cœur l'entrain, l'esprit
d'initiative, le besoin irrésistible d'action, un certain amour de la lutte et du risque,
une certaine ambition de conquête et de prosélytisme au service de quelque idéal.
Mais ces aspirations mêmes que, malgré la grande variété de leurs manifestations,
nous retrouvons à chaque génération française depuis les origines, comment les
expliquer?
Inutile d'invoquer je ne sais quel fatalisme ou quel déterminisme racial. A la France
d'aujourd'hui, qui l'interroge, la France d'autrefois va répondre en donnant à cette
hérédité son vrai nom : la vocation. Car, mes Frères, les peuples, comme les individus,
ont aussi leur vocation providentielle ; comme les individus, ils sont prospères ou
misérables, ils rayonnent ou demeurent obscurément stériles, selon qu'ils sont dociles
ou rebelles à leur vocation.
Fouillant de son regard d'aigle le mystère de l'histoire universelle et de ses
déconcertantes vicissitudes, le grand évêque de Meaux écrivait : « Souvenez-vous que
ce long enchaînement des causes particulières, qui font et qui défont les empires,
dépend des ordres secrets de la Providence. Dieu tient du plus haut des cieux les rênes
de tous les royaumes ; il a tous les cœurs en sa main ; tantôt il retient les passions ;
tantôt il leur lâche la bride, et par là il remue tout le genre humain... C'est ainsi que
Dieu règne sur tous les peuples. Ne parlons plus de hasard ni de fortune ; ou
parlons-en seulement comme d'un nom dont nous couvrons notre ignorance 1 . »
Le passage de la France dans le monde à travers les siècles est une vivante
illustration de cette grande loi de l'histoire de la mystérieuse et pourtant évidente
corrélation entre l'accomplissement du devoir naturel et celui de la mission
surnaturelle d'un peuple.
Du jour même où le premier héraut de l'Évangile posa le pied sur cette terre des
Gaules et où, sur les pas du Romain conquérant, il porta la doctrine de la croix, de ce
jour-là même, la foi au Christ, l'union avec Rome, divinement établie centre de
l'Église, deviennent pour le peuple de France la loi même de sa vie. Et toutes les
perturbations, toutes les révolutions, n'ont jamais fait que confirmer, d'une manière
toujours plus éclatante, l'inéluctable force de cette loi.
Une lumière resplendissante ne cesse de répandre sa clarté sur toute
l'histoire de votre peuple ; cette lumière qui, même aux heures les plus obscures, n'a
jamais connu de déclin, jamais subi d'éclipse, c'est toute la suite ininterrompue de
saints et de héros qui, de la terre de France, sont montés vers le ciel. Par leurs
exemples et par leur parole, ils brillent comme des étoiles au firmament, quasi stellae in
perpetuas aeternitates 29 pour guider la marche de leur peuple, non seulement dans la
voie du salut éternel, mais dans son ascension vers une civilisation toujours plus haute
et plus délicate.
La vocation La vocation de la France, sa mission religieuse ! Mes Frères, mais cette
de la France,
la chaire de chaire même ne lui rend-elle France la chaire pas témoignage? Cette chaire qui évoque
Notre-Dame, le souvenir de Notre-Dame des plus illustres maîtres, orateurs, théologiens,
elle-même rend
témoignage
moralistes, apôtres, dont la parole, depuis des siècles, franchissant les limites de cette
nef, prêche la lumineuse doctrine de vérité, la sainte morale de l'Evangile, l'amour de
Dieu pour le monde, les repentirs et les résolutions nécessaires, les luttes à soutenir,
les conquêtes à entreprendre, les grandes espérances de salut et de régénération.
29 Dn 12, 3.
D’un amour Aussi, tandis que je considère cet état de choses et la tâche gigantesque qui, de ce
qui doit chef, incombe à la je considère cet état de choses et d'un amour qui la tâche
comprendre
et se sacrifier gigantesque qui, de ce chef, incombe génération présente, je crois entendre ces pierres
vénérables murmurer avec une pressante tendresse l'exhortation à l'amour ; et
moi-même, avec le sentiment de la plus fraternelle affection, je vous la redis, à vous
qui croyez à la vocation de la France : « Mes Frères, aimez ! Amate, Fratres ! »
Tout ce monde qui s'agite au dehors, et dont le flot, comme celui d'une mer
déchaînée, vient battre incessamment de son écume de discordes et de haine les rives
tranquilles de cette cité, de cette île consacrée à la Reine de la paix, Mère du bel amour
; ce monde-là, comment trouvera-t-il jamais le calme, la guérison, le salut, si
vous-mêmes, qui, par une grâce toute gratuite, jouissez de la foi, vous ne réchauffez
pas la pureté de cette foi personnelle à l'ardeur irrésistible de l'amour, sans lequel il
n'est point de conquête dans le domaine de l'esprit et du cœur? Un amour qui sait
comprendre, un amour qui se sacrifie et qui, par son sacrifice, secourt et transfigure ;
voilà le grand besoin, voilà le grand devoir d'aujourd'hui. Sages programmes, larges
organisations, tout cela est fort bien ; mais, avant tout, le travail essentiel est celui qui
doit s'accomplir au fond de vous-mêmes, sur votre esprit, sur votre cœur, sur toute
votre conduite. Celui-là seul qui a établi le Christ roi et centre de son cœur, celui-là
seul est capable d'entraîner les autres vers la royauté du Christ. La parole la plus
éloquente se heurte aux cœurs systématiquement défiants et hostiles. L'amour ouvre
les plus obstinément fermés. A la généreuse ardeur de la jeune France vers la
restauration de l'ordre social chrétien, Notre-Dame de Paris, témoin au cours des
siècles passés de tant d'expériences, de tant de désillusions, de tant de belles ardeurs
tristement fourvoyées, vous adresse, après son exhortation à l'amour : — Amate, Fratres
! — son exhortation à la vigilance, exhortation empreinte de bonté maternelle, mais
aussi de gravité et de sollicitude : « Veillez, mes Frères ! Vigilate, Fratres ! »
Les Français Vigilate ! C'est qu'il ne s'agit plus aujourd'hui, comme en d'autres temps, de soutenir la
doivent rester lutte contre des formes déficientes ou altérées de la civilisation religieuse et la plupart
vigilants pour
sauvegarder la gardant encore une âme de vérité et de justice héritée du christianisme ou
substance du inconsciemment puisée à son contact ; aujourd'hui, c'est la substance même du
christianisme
christianisme, la substance même de la religion qui est en jeu ; sa restauration ou sa ruine
est l'enjeu des luttes implacables qui bouleversent et ébranlent sur ses bases notre
continent et avec lui le reste du monde.
Amen !
Cardinal PACELLl