Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
1. Le surf est pratiqué depuis longtemps au Maroc. Il a été introduit initialement plus au nord
sur le littoral Atlantique à la plage des Nations dans les environs de Kénitra, proche d’une
ancienne base militaire américaine dont les soldats ont été les premiers à le pratiquer. Mais
son futur en tant qu’activité touristique rémunératrice est encore tributaire de nombreux
paramètres et sujet à des interrogations (Guibert, 2008).
216 Les mondes du surf
lieu et se regroupant en des endroits plus populaires pour des fêtes ou des
concerts improvisés.
Dans leur grande majorité les villageois de Taghazout sont pêcheurs
ou l’étaient et l’activité principale était la pêche côtière journalière en barque.
Certains étaient agriculteurs ou éleveurs sur des zones un peu en retrait du
littoral et d’autres travaillaient dans les conserveries de sardine, au port ou
dans les administrations locales, régionales ou nationales proches (Agadir).
Quelques familles étaient impliquées, via des emplois secondaires (matelot,
journalier, manœuvre), dans des flottilles de chalutiers. Dans le port d’Agadir,
il en existe 2 types : une pêche côtière avec des petites barques ou des petits
chalutiers et une pêche hauturière avec de grands bâtiments qui sortent en
haute mer pour des campagnes de plusieurs jours dédiées à une pêche péla-
gique (sardines). Globalement, les activités halieutiques se sont maintenues
notamment pour la pêche côtière en barques qui reste dominante dans le vil-
lage, alors que les emplois dans la pêche hauturière semblent avoir diminué ou
ne plus être aussi attractifs pour les jeunes générations de Taghazout que par
le passé. Parallèlement à cette baisse de l’importance du secteur pêche dans
l’économie du village, on note un développement, timide dans un premier
temps, des activités touristiques liées à la pratique du surf, qui par la suite se
sont développées plus rapidement.
Les premières écoles de surf datent des années 1980-1990, elles ont été
créées par des pratiquants, parfois des ex-champions, toujours des Marocains
originaires de la région ; certains détenaient un diplôme de moniteur qu’ils
avaient obtenu grâce à des formations organisées par l’UCPA avec des enca-
drants Français. Assez rapidement, plusieurs familles se sont spécialisées dans
cette forme émergente de tourisme de niche. Certaines sont même devenues
leaders dans le développement de l’activité, en particulier celles originaires
de Thamraght (village voisin de Taghazoute) où de nombreuses écoles se
sont développées, dont certaines perdurent. Petit à petit, le site de Taghazout
devient connu, puis acquiert une certaine notoriété quand il est retenu
pour que s’y déroule une épreuve du circuit du championnat d’Europe ; la
Fédération internationale de surf considère le Maroc comme faisant partie
de la zone Europe. Lors de cette première grande compétition il n’y avait
aucun participant marocain, mais par la suite plusieurs compétiteurs locaux
se sont engagés sur le circuit, suite au développement du surf au Maroc ;
l’un d’entre eux obtenant même le titre de champion d’Europe. Il occupe à
présent des fonctions importantes au sein de la Fédération marocaine de surf.
Concernant le développement touristique en lien avec le surf, on note assez
rapidement chez les jeunes générations un fort engouement pour l’activité qui
apparaît comme la seule alternative à la migration et au chômage d’une part,
aux métiers de la pêche de plus en plus dévalorisés de l’autre. Il est vrai que
De la barque à la planche, de la planche au béton… 217
un charme encore sauvage. Le littoral est tout particulièrement apprécié par les
Européens qui établissent un camping sauvage de caravanning avec vue sur la
mer durant les mois les plus froids en Europe » (Lachaud 2014 : 48).
2. Dans ces écoles, le nombre de surfeuses est bien inférieur à celui des pratiquants, même
s’il est plus conséquent que par le passé, être une surfeuse au Maroc relève souvent du défi
(Guibert et Arab, 2016).
220 Les mondes du surf
3. C’est très souvent le cas dans les expériences de développement du tourisme rural au Maroc
(Berriane et Moizo 2014).
222 Les mondes du surf
auprès des enfants et des jeunes des villages avoisinants, soit gratuitement, soit
pour une somme symbolique. Ce qui a permis la détection de surfeurs de bon
niveau, le soutien de la population locale aux initiatives des écoles de surf, et
évite chez les locaux un sentiment d’exclusion de l’espace plage.
Le fait d’employer des membres de la famille dans les diverses activités
de ces centres écoles permet une meilleure surveillance de la qualité des ser-
vices proposés. Il est aussi générateur de revenus, notamment durant la haute
saison du surf, aux ménages concernés dans des proportions supérieures à
celles que pouvait apporter la pêche.
littoral pour s’initier au surf et collecter des déchets sur les plages en com-
pagnie de surfeurs étrangers et de l’encadrement du centre-école. Pour les
dirigeants des centres-écoles, ces activités sont fondamentales et ils tiennent à
les pérenniser, d’une part dans une démarche d’éducation environnementale,
mais aussi pour développer des liens entre surfeurs et population locale, et
d’autre part pour initier dans le cadre touristique des échanges entre arrière-
pays et littoral. Cette articulation fait souvent défaut dans la région et pour-
rait contribuer à renforcer la dynamique émergente autour du tourisme rural
dans la zone.
4. Ce camping de Tagahzoute très connu par le passé, n’existe plus aujourd’hui car l’espace
qu’il occupait a été intégré au projet de Taghazout Baie.
De la barque à la planche, de la planche au béton… 225
alors que le projet de Taghazout Baie n’en était qu’à ses prémices, les camping-
caristes craignaient, à juste titre, que la destination Taghazout ne leur soit
plus accessible du fait du tracé de la future route nationale qui entraînerait la
démolition du parking.
des infrastructures sur le littoral mais aussi vers la vallée des merveilles et
au-delà si les engagements pris par les responsables du projet étaient tenus.
On s’attendait aussi à une forte augmentation de la demande des produits de
terroirs (miel, huile d’argan, artisanat) et de ceux produits localement liés au
surf. Les centres-écoles de surf et les opérateurs dans cette activité espéraient
aussi de nouvelles opportunités avec le projet. Mais l’absence de visibilité sur
son ensemble et l’incertitude sur sa finalisation laissaient place aussi à de
nombreux questionnements, principalement du fait que ce projet avait sus-
cité l’engouement par le passé et les maints reports incitaient les populations
locales à la méfiance.
Pêcheurs et villageois
On retrouvait des craintes et des interrogations similaires auprès de
pêcheurs et des villageois, mais exprimées différemment. Selon eux, l’esprit
surf était pleinement compatible avec la vie du village, y compris dans le
domaine religieux. Alors que la mosquée est littéralement encerclée de bou-
tiques de vêtements et matériel de surf, la situation ne semble gêner personne.
Mais, ce qui est surtout notoire c’est l’absence d’appropriation du projet
Taghazout Baie qui n’est pas perçu comme faisant partie de l’espace « maro-
cain » : on le qualifie souvent de projet lié au Golfe ou aux Émirats. Il est vrai
que ce fut le cas à une période où des investisseurs émiratis souhaitaient s’im-
pliquer mais c’est à présent caduc sans que ce changement ne semble avoir été
intégré localement. Ce rejet pourrait s’expliquer par le sentiment d’exclusion
et de marginalisation qui prédomine au sein des villageois et des pêcheurs :
bien que le projet soit limitrophe avec le village, c’est un autre monde et ce
n’est pas le leur. Ce qui est aussi très prégnant c’est le sentiment d’appropria-
tion d’un bien commun, le littoral, par la force et par l’argent. Leurs ancêtres
ont vécu ici, ils s’y sont adaptés et ont mis en valeur le territoire par leur force
de travail, leur savoir-faire et des activités reconnues (pêche). À présent, ils
ont le sentiment que ce sont les riches de la ville qui viennent chez eux pour
les déposséder de l’accès à la mer et, à terme, vont les expulser. Certes ils
admettent qu’il y aurait sans doute des opportunités d’emplois sur les chan-
tiers routiers et de construction dans un premier temps, plus tard dans les
complexes résidentiels, le golf et les hôtels. Mais de nombreuses incertitudes
demeurent car beaucoup d’entre eux n’ont pas les compétences requises, les
capacités linguistiques ou l’expérience suffisante pour occuper d’autres empois
que ceux du bas de l’échelle, peu gratifiants et pour lesquels ils seront en com-
pétition directe avec d’autres villageois.
228 Les mondes du surf
composé de petites entreprises locales dont quelques-unes sont tenues pas des
étrangers a vu arriver avec beaucoup d’appréhension l’école de surf doublé
d’un village d’hébergement relevant du complexe de Taghazoute Baie. Les
avis sur l’ouverture de cette école étaient mitigés. Parmi les aspects positifs,
il était mis en avant la détection dans les villages périphériques des jeunes,
garçons et filles, présentant un potentiel pour devenir des surfeurs de haut
niveau. La sélection est certes très difficile mais celles et ceux qui sont rete-
nus bénéficient d’une bourse pour leurs études, de la gratuité des cours et du
matériel5. Les plus « anciens » sont assez critiques quant au côté élitiste qui
s’est développé dans le village de surf : accès filtré, coût exorbitant des nui-
tées dans les bungalows, privatisations d’une portion de plage, utilisation de
planches et matériel importés, accès exclusivement aux adhérents et clients
pour la piscine, le club house, etc. Il est vrai qu’en franchissant la barrière
filtrante du village de surf du complexe de Taghazout Baie on perçoit un
basculement dans un monde différent : celui du luxe, de l’argent, du paraître
qui ne correspond plus du tout à l’image du surf à Taghazout telle qu’elle a été
et continue d’être au village d’origine. Lors de notre visite, la totalité du site
du village de surf (bungalows, piscine, club house, jardin et plage) avait été
privatisée pour un mariage.
Les associations de surfeurs et des écoles restent très vigilantes sur les
implantations des aménagements associées à la concession de Taghazout Baie.
Elles ont en particulier réussi à faire stopper, avec l’appui de la communauté
internationale des surfeurs, le chantier de l’usine de désalinisation, à 30 km
au nord de Taghazout, en direction d’Essaouira. Il a été prouvé que la prise
d’eau pour alimenter cette usine brisait la houle et modifiait le trait de côte
d’une telle manière que le très réputé « spot de surf » où le chantier avait été
implanté était directement menacé de disparition. Le chantier a été stoppé
et la compagnie condamnée à restaurer les dégradations déjà causées par les
travaux. Cette vigilance doit s’exercer dans de nombreux domaines car les
ambiguïtés et questionnements demeurent. La réduction de l’emprise de la
surface du projet ne semblait pas avoir réduit la bétonisation du site, surtout
de sa partie littorale avec des projets d’hôtels plus importants et plus proches
du front de mer que ce qui était initialement prévu. Cet élément, tout comme
l’empiétement du golf sur la réserve de biosphère de l’arganeraie, constituent
une menace écologique forte qui ne semble pas toujours avoir été suffisam-
ment prise en compte malgré le discours rassurant de la SAPST : « Inscrite
dans le cadre du plan Azur, cette station, qui se développe en front d’une
bande côtière de 4,5 kilomètres de plage et qui s’étend sur une superficie de
5. Le même programme, sous forme d’académie, existe pour le golf et le tennis, les trois
connaissent un vif succès et contribuent à apaiser certaines tensions avec les villages
limitrophes de la concession de Taghazout Baie.
De la barque à la planche, de la planche au béton… 231
plus de 683 hectares, est située dans le ressort territorial des deux communes
rurales d’Aourir et de Taghazout à 15 kilomètres au nord de la ville d’Agadir
et en plein cœur de la réserve de biosphère de l’arganeraie » (Benamara et al.,
2017 : 5).
Conclusion
Nous avons abordé, dans cette courte analyse consacrée aux trans-
formations vécues et subies d’un petit village de pêcheurs (un peu plus de
5 000 habitants) sur la côte atlantique marocaine, les différentes phases et ajus-
tements nécessaires qui ont permis ou non l’adoption de nouveaux modèles
socio-économiques. Ces nouveaux modèles sont consécutifs au passage d’une
activité basée uniquement sur la pêche artisanale à des activités liées à la pra-
tique du surf et au développement du tourisme. Il a été possible d’identifier
l’activité surf comme un nouveau mode d’expression d’une certaine forme
d’identité et d’appartenance à un village qui n’entrait pas en conflit direct
avec des identités plus anciennes. Ces changements ne remettent pas néces-
sairement en cause les sociétés rurales et du littoral marocain tant qu’ils sont
balnéaire portant le même nom que le village) et des initiatives par le bas qui
se développent dans une joyeuse anarchie mais qui impactent et l’espace et la
société de ce site atlantique.
En « Mai 1968 », on évoquait souvent la plage qui était censée se trou-
ver sous les pavés… Soit une nature occultée par la ville ! Faut-il redouter à
Taghazout, la maritime, que la barque et la planche disparaissent sous le béton ?
Références bibliographiques
Benamara Khalid, Ait Lhou Essaadia et Ait Nacer Mohamed (2017), « L’insertion du tourisme
en milieu fragile entre finalité, aménagistes et vulnérabilité du milieu, cohérence ou
paradoxe ? Cas de la station touristique Taghazout Bay et de l’écolodge Atlas Kasbah »,
Tourism Travel and Research Association: Advancing Tourism Research Globally, 10. En
ligne : http://scholarworks.umass.edu/ttra/2017/Academic_Papers_Oral/10
Berriane Mohamed (1978), « Un type d’espace touristique marocain : le littoral
méditerranéen », Revue de géographie du Maroc, 2, pp. 5-27.
Berriane Mohamed (1993), « Développement touristique, urbanisation du littoral
méditerranéen et environnement », Groupement d’Étude et de Recherche sur la
Méditerranée, Tétouan.
Berriane Mohamed (dir.) (2014), Le Tourisme dans les arrière-pays méditerranéens : des
dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, Rabat (MRC)/Fès
(MRC) : Université Mohammed V Agdal/Université Euro-méditerranéenne de Fès.
Berriane Mohamed et Michon Geneviève (eds.) (2016), Les Terroirs au Sud, vers un nouveau
modèle ? : une expérience marocaine, IRD/AUF/Université de Marrakech.
Berriane Mohamed et Michon Geneviève (2016), « Changements globaux, vulnérabilité et
adaptation des sociétés rurales dans les pays du pourtour méditerranéen », in Berriane
Mohamed et Michon Geneviève (eds.), Les Terroirs au Sud, vers un nouveau modèle ? :
une expérience marocaine, IRD/AUF/Université de Marrakech, pp. 29-48.
Berriane Mohamed et Michon Geneviève (2016), « Le terroir, une réponse aux changements
globaux au Maroc et dans les pays du Sud », in Berriane Mohamed et Michon
Geneviève (eds.) (2016), Les Terroirs au Sud, vers un nouveau modèle ? : une expérience
marocaine, IRD/AUF/Université de Marrakech, pp. 329-346
Berriane Mohamed et Moizo Bernard (2014), « Initiatives locales, politiques publiques et
développement du tourisme en milieu rural au Maroc : bilan de quinze années de
tourisme dans l’arrière-pays », in Berriane Mohamed (dir.), Le Tourisme dans les
arrière-pays méditerranéens : des dynamiques territoriales locales en marge des politiques
publiques, Rabat (MRC)/Fès (MRC) : Université Mohammed V Agdal/Université
Euro-méditerranéenne de Fès, pp. 21-42.
Desse Michel (2010), « Mobilités touristiques et recompositions socio spatiales dans la région
d’Agadir », Norois [En ligne], 214 | 2010/1, mis en ligne le 01 juin 2012, consulté le 30
septembre 2016. URL : http://norois.revues.org/3127 ; DOI : 10.4000/norois.3127
Guibert Christophe (2008), « Le surf au Maroc. Les déterminants d’une ressource politique
incertaine », Sciences sociales et sport, 1, n° 1, pp. 115-146. En ligne : DOI 10.3917/
rsss.001.0115
De la barque à la planche, de la planche au béton… 235
Guibert Christophe et Arab Chadia (2016), « Être surfeuse au Maroc. Les conditions d’une
socialisation à contre-courant », Terrains & travaux, 1, n° 28, pp. 175-198.
Lachaud Elsa (2014), « Le grand Agadir comme lieu de résidence pour les migrants européens
au Maroc. Étude de leurs pratiques socio-spatiales », mémoire de Master 1 de
géographie, Aix-Marseille Université.
Nakhli Sanaa (2015), « L’arrière-pays d’Essaouira : d’une touristification spontanée à une
mise en tourisme planifiée. État des lieux, démarche proposée et réalités », Tourisme
& Territoires / Tourism & Territories, Vol. 4, pp. 103-139.
Nakhli Sanaa (2010), « Pressions environnementales et nouvelles stratégies de gestion sur le
littoral marocain », Méditerranée [En ligne], 115 | 2010, mis en ligne le 30 décembre
2012, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://mediterranee.revues.org/4996 ;
DOI : 10.4000/mediterranee.4996
Senil Nicolas et al. (2014), « Le patrimoine au secours des agricultures familiales ? Éclairages
méditerranéens », Revue Tiers Monde, 4, pp. 137-158.