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Volume 5 (2017) Jeune chercheur

Le pays d’Ouarzazate :
Une destination touristique d’arrière-pays en émergence ?

Nada Oussoulous

Pour citer cet article


Nada Oussoulous, 2017, « Le pays d’Ouarzazate : une destination touristique d’arrière-pays en
émergence ? », Revue GéoDév.ma, Volume 5 (2017), Numéro spécial : « Tourisme durable et
articulation entre littoral et arrière-pays en Méditerranée », en ligne :
http://revues.imist.ma/?journal=geodev

Introduction
Le tourisme marocain représente un secteur stratégique pour l’économie nationale et son
évolution a débouché sur l’émergence, aujourd’hui, de plusieurs types de tourismes.
Cependant et depuis les années soixante, l’aménagement touristique marocain prôné et porté
par les pouvoirs publics a connu une concentration sur le littoral, suite à une politique basée
essentiellement sur le tourisme balnéaire.
De ce fait, le tourisme balnéaire couplé à un tourisme culturel axé sur les villes historiques a
longtemps été considéré comme le produit de base de la destination Maroc avec quelques
programmes de niche comme le tourisme en milieu rural. « Or malgré une prédisposition au
tourisme culturel et une demande non négligeable en direction de ce style, le tropisme
balnéaire s’impose de plus en plus. En fait, le tourisme au Maroc a été de tout temps marqué
par une concurrence serrée et continue entre le tourisme culturel et le tourisme balnéaire et
entre le tourisme itinérant et le tourisme de séjour. » (Berriane, 2009).
Les politiques publiques insistent en effet prioritairement sur le balnéaire et celui des vieilles
capitales impériales (Marrakech, Fès, Meknès…), avec une place symbolique réservée au
tourisme rural qui se développe dans les arrière-pays. Ce qui accuse un déséquilibre territorial
croissant entre le Maroc littoral et les intérieurs. Ce désintérêt manifesté par les politiques
publiques vis-à-vis de ces intérieurs est quelque peu renversé par l’implication des acteurs
émanant du local qui multiplient les initiatives par le bas et qui, contrairement aux choix
fondamentaux des politiques publiques, cherchent à développer un autre type de tourisme
basé sur le culturel et la découverte des espaces « reculés » abritant un patrimoine matériel et
immatériel riche et diversifié.
Il s’agit d’un tourisme qui fait naitre spontanément de nouvelles territorialités, qui
apparaissent surtout dans les arrière-pays et connaissent un développement spontané de
l’activité touristique en marge de l’espace littoral. Portés par les acteurs locaux qu’entrainent
parfois des investisseurs étrangers, ces constructions territoriales émanant du bas aboutissent
parfois à une mise en tourisme s’inscrivant dans une mondialisation relevant de l’informel. Ce
tourisme est appelé désormais le tourisme des arrière-pays.
Nous assistons donc un peu partout au Maroc à un développement soutenu de ce tourisme des
arrière-pays qui se fait en dehors des politiques publiques, même si les autorités de tutelle
essaient ici et là de rattraper ces dynamiques. Ces essais de rattrapage se sont fait à travers des
politiques axées sur le rural comme le plan triennal 65-67 à travers les cinq Zones
d’Aménagement Touristiques prioritaires et dont, seule la région de Drâa-Tafilalet, apparait
comme région intérieure, le reste étant des zones balnéaires (Oujamaa, 1998) et la politique
des Pays d’accueil Touristique apparue plus tard (Berriane, 2009).
L’une de ces régions intérieures les plus intéressantes à analyser est celle du pays
d’Ouarzazate. Cette destination est située au sud-est du Maroc à proximité des deux grands
pôles touristiques du pays qui sont Marrakech et Agadir. Elle se compose de la ville
d’Ouarzazate et de tout un chapelet d’oasis qui se développent sur le plan touristique dans son
orbite : Il s’agit dans la présente analyse des oasis de Skoura, Agdez, Zagora et M’hamid.
Cette localisation géographique va influencer l’émergence de cette destination qui va
s’imposer progressivement, surtout qu’elle détient à elle seule de très grandes potentialités
touristiques naturelles, culturelles et humaines. Elle a émergé à partir des deux pôles que sont
Marrakech et Agadir, qui lui ont envoyé ses premiers clients sous formes d’excursionnistes
qui revenaient rapidement vers leurs structures d’hébergement dans l’une des deux villes.

Figure 1 : « L’arrière-pays », étudié

Dans le cadre d’une recherche autour de l’émergence de cette destination, nous nous
interrogeons sur les conditions de cette émergence et les rapports qui se tissent entre
Ouarzazate et sa région en tant qu’arrière-pays d’une part, et Agadir et Marrakech, en tant
qu’avant-pays de cet arrière-pays, d’autre part. Outre le fait que cette interrogation nous situe
en plein dans la problématique des rapports qui se tissent entre les arrière-pays et les avant-
pays, celle-ci pose également la question de la durabilité du tourisme. En effet, le
développement du tourisme dans l’intérieur des terres peut conforter la nécessité de la
diffusion de ses effets en dehors des pôles de concentration connus comme Marrakech et
Agadir et garantir une répartition plus équitable des retombés du tourisme, aussi bien sur le
2
plan social que territorial (Plan Bleu, 2017). Mais cela suppose que le développement des
nouvelles destinations des arrière-pays, puisse s’affranchir de la domination des grands pôles
touristiques qui sont souvent la source principale, à la fois des flux touristiques, des capitaux
et des décisions. Nous émettons comme hypothèse que l’émergence d’une destination
touristique d’arrière-pays commence lorsque la destination s’est dotée de structures
d’hébergement qui lui sont propres et qu’elle est devenue un produit à part entière avec ses
spécificités et non une simple annexe d’une station touristique de proximité (Marrakech et
Agadir dans ce cas) ; On la visite donc pour elle-même et pas comme attraction secondaire à
partir de Marrakech ou Agadir.
Il va de soi qu’arrivée sur le marché du tourisme international longtemps après Marrakech et
Agadir et ne bénéficiant pas du cumul que connaissent ces deux destinations, Ouarzazate ne
va pas s’ériger en destination concurrente sur le plan de la capacité, de la fréquentation ou des
effets. Mais la question reste essentielle lorsqu’on s’interroge sur les articulations entre les
avant-pays, ici Marrakech et Agadir et les arrière-pays, ici Ouarzazate et ses différentes
antennes.
Pour vérifier cette hypothèse on a mené un travail de terrain qui a consisté en une série
d’entretiens auprès des propriétaires des moyens d’hébergements que recherchent le plus les
touristes qui fréquentent cette région. Ce sont des propriétaires de maisons d’hôtes et
d’auberges marocains, mais surtout étrangers. On a complété ces investigations de terrain par
l’analyse des données statistiques disponibles.
Dans une première partie on traitera de l’émergence de la destination et les rôles respectifs des
politiques publiques et des acteurs pour ensuite essayer de mesurer l’attractivité de cette
destination en utilisant divers indicateurs tout en comparant cette attractivité à celles de
Marrakech et d’Agadir.

1. L’émergence du pays d’Ouarzazate et de ses antennes


Des politiques publiques qui ont peu privilégié les arrière-pays
Durant les décennies précédentes, la région de Drâa-Tafilalet a commencé à connaitre des
changements remarquables au niveau de l’offre touristique et de la demande ; Des
changements dus à des actions menées par les politiques publiques dans la région, surtout
Ouarzazate qui, suite à une étude d’aménagement touristique, a été identifiée comme pôle
principal à côté de la région d’Errachidia (Oujamaa, 1998). Mais ces politiques ne visaient pas
le développement du tourisme rural avec comme objectif la diffusion de l’hébergement chez
l’habitant. L’objectif des programmes menés durant cette période était le développement d’un
tourisme classique avec de grandes unités hôtelières modernes concentrées à Ouarzazate et la
correction du déséquilibre « entre le pôle d’Ouarzazate qui s’affirme comme un futur pôle
touristique et la région d’Errachidia où l’activité touristique a du mal à prendre » (Oujamaa,
1998). De ce fait le tourisme qui en a résulté était surtout un tourisme de passage avec une
nuitée ou deux, alors que le potentiel de la région pouvait générer un tourisme de séjour avec
une durée de séjour plus longue.
La dimension du tourisme rural qui était quasi-absente dans les programmes proposés pour la
région par les décideurs, se développait pourtant et de façon spontanée puisque la demande
s’est très tôt orientée vers des formes d’hébergement informelles dispersées dans les
différentes oasis. Celle de Skoura, par exemple, a commencé à offrir ce type d’hébergement
dès les années 1980 et 1990 sous l’impulsion d’initiatives prises par des étrangers, notamment
espagnoles, comme à la kasbah Moro. Et il faudra attendre le début des années 2000 pour voir
les politiques publiques s’intéresser à cette forme de tourisme en essayant de rattraper leur

3
retard à travers la stratégie de développement du tourisme rurale énoncée en 2003. Cette
stratégie propose le concept de Pays d’Accueil Touristique (ou PAT) analysée par ailleurs
(Berriane, 2009, Amzil, 2014).
Parmi ces territoires définis pour porter les projets de développement de ce tourisme, figure
au niveau de notre région, le PAT Désert & Oasis dont les objectifs n’ont été que
partiellement atteints. En effet, ce pays dispose aujourd’hui de deux maisons du pays à Zagora
et Errachidia mais qui restent sans personnel. Avec le lancement de la nouvelle Vision
Touristique 2020, un nouveau programme appelé « Qariati » a été mis en œuvre par la Société
Marocaine de l’Ingénierie Touristique (SMIT), mais face au désengagement de la Banque
Mondiale au niveau du financement, le programme a tendance à piétiner également.
En somme, les politiques publiques ne semblent pas expliquer l’émergence de la destination
d’Ouarzazate. Les raisons de cette émergence et de l’affirmation de cette nouvelle destination
se trouvent ailleurs, comme on le verra plus loin.
En reprenant les statistiques de la délégation du tourisme d’Ouarzazate, on constate que la
région a enregistré 291 317 arrivées et 540 145 nuitées hôtelières en 1999, alors qu’en 2015
ces valeurs ont été respectivement 211 771 arrivées et 311 439 nuitées. Mais cette baisse
apparente à travers les statistiques ne traduit pas une réalité marquée par des flux de plus en
plus importants de touristes qui sillonnent la région et il peut paraitre paradoxal de parler
d’émergence d’une destination malgré la chute de la demande sur le produit « Pays
d’Ouarzazate ». La chute des statistiques hôtelières est bien réelle et traduit la baisse générale
des flux touristiques vers les pays du Sud, suite à la combinaison de différents facteurs
comme la crise économique, et l’ambiance d’insécurité due aux « printemps arabe » à
l’enlèvement et l’assassinat d’un guide français en Algérie1, et l’attentat de Marrakech en
2011. Mais, ces chiffres ne représentent que les arrivées et les nuitées enregistrées de façon
officielle dans les établissements hôteliers classiques et classés par le Ministère du tourisme.
En fait, cette baisse des statistiques hôtelières traduit aussi la tendance des touristes à
s’adresser de plus en plus à la nouvelle offre d’hébergement touristique qui fleurit un peu
partout dans les oasis du Draa, en dehors de l’hôtel classique,. Il va de soi que cette demande
qui ne se dirige plus vers les hôtels échappe aux statistiques hôtelières officielles. Qu’ils
soient formels ou informels, ces projets d’hébergement (maisons d’hôtes, auberges, gîtes…)
montés par des acteurs locaux et étrangers participent à la confirmation d’une activité
touristique dans l’arrière-pays d’Ouarzazate.

La forte présence des acteurs étrangers


Les résultats des 61 entretiens menés avec les porteurs de ces structures d’hébergement, dont
32% sont Marocains, 36% sont Français, 20% sont des couples mixtes et 8% des Espagnols,
le reste étant composé de différentes autres nationalités européennes permettent, de cerner les
caractéristiques de ces petits entrepreneurs. Il en ressort que les différents profils relevés à
partir de ces entretiens peuvent correspondre à différentes étapes du processus de passage du
statut de touriste à celui de résident-entrepreneur (Berriane, Oussoulous et al, 2016). Ces
projets portés par les acteurs locaux qu’entrainent parfois des investisseurs étrangers
engendrent des constructions territoriales émanant du bas qui aboutissent parfois à une mise
en tourisme s’inscrivant dans une mondialisation relevant de l’informel, comme c’est le cas
de l’arrière-pays d’Essaouira (Berriane et Nakhli, 2012).

1 Les responsables des structures d’hébergement interviewés et certains médias mettent fréquemment le lien entre cet
événement et la baisse des arrivées

4
Pour les porteurs de projet installés dans la région d’Ouarzazate, la décision de l’acquisition
d’un pied à terre intervient souvent suite à un ou plusieurs séjours touristiques motivés par
l’accessibilité géographique et linguistique du pays. Ces nouvelles acquisitions, en plus du
gain économique, permettent aux porteurs de projets de revivre de façon durable les premiers
séjours de vacances, même si leur présence n’est pas permanente.
Certains parmi ces touristes propriétaires décident de s’établir dans le pays dans la durée tout
en étant en règle avec la législation sur les étrangers et représentent un nouveau résident
européen qui s’installe sur la rive sud de la Méditerranée. Souvent ils n’ont pas de projet
précis au départ, et la résidence secondaire, destinée à une utilisation privée, se transforme
progressivement en structure d’hébergement commercialisée. C’est le cas des premiers
arrivés. Ce processus peut durer très longtemps tel le cas de ce couple dont le passage du
statut de simple touriste à celui d’hébergeur s’est déroulé de 1990 à 2010.
« Ça s’est fait au fil du temps, (….), c’est qu’à l’origine j’habitais moi et ma femme ici et nous
invitions des amis clients des hôtels à boire un thé, à manger un couscous à la maison ; les
marocains vous savez l’hospitalité, et puis nos amis nous ont dit mais pourquoi vous ne faites
pas une chambre ou deux on serait mieux chez vous qu’à l’hôtel. (……) donc on a fait une
première chambre pour nos clients amis, puis une deuxième, puis une troisième, après on a
acheté une autre petite maison, après encore une autre petite maison plus loin et petit à petit
le projet s’est développé on n’a jamais imaginé moi et Zineb d’avoir un projet comme ça au
complet jamais, jamais parce qu’on est des gens simples on n’a pas beaucoup de moyen.»2
Si les premiers arrivés sont devenus des porteurs de projets « par hasard » et sans préalable
programmation, ceux arrivés récemment viennent souvent avec un projet précis.
Contrairement à ceux qui se mettent en règle avec la législation sur les étrangers, d’autres
porteurs de projets quittent le pays tous les trois mois en faisant de la mobilité un mode
d’existence et profitent du régime des touristes qui impose un système de navette lors de
l’expiration de la durée de 3 mois accordée à un simple touriste.
« On y revient (en France) 3, 4 fois par an, en été en particulier, pendant les fêtes, là
janvier »3 ; « en principe je viens, je reste trois mois et je repars, je repars un mois, un mois et
demi, ça dépend ».4
Ces différentes situations d’entre deux (migration et tourisme) correspondent bien à ce que la
littérature anglo-saxonne appelle Lifestyle migration. Il s’agit donc « d’individus relativement
riches qui se déplacent « en masse », en partie ou à plein temps, de façon permanente ou
temporaire, vers des pays où le coût de la vie et le prix d’acquisition est plus bas, ce qui dans
un sens renvoie à une qualité de vie meilleure. La principale motivation pour ces migrations a
été la recherche de quelque chose d'intangible, caché derrière l’expression « qualité de vie »
(O’Reilly 2007)5.
Les motivations de ces personnes qui choisissent les oasis du Draa comme une nouvelle
résidence permanente ou temporaire se résument principalement en la qualité de vie des lieux
choisis comme nouvelle résidence. Cela est lié également à un coût de la vie moins cher que
celui du pays d’origine pour des personnes de tous âges ayant des revenus en Euro et
bénéficiant donc d’un taux de change avantageux. (Benson and O’Reilly 2009). Il s’agit donc
d’une migration volontaire permettant d’échapper à la vie considérée comme un piège6. Par

2 Français de 67 ans arrivé au Maroc en 1979 et installé à Ouarzazate depuis 2007


3 Français de 65 ans installé à Agdez depuis 2005
4 Française de 47 ans installée à Oulad Driss (Mhamid) depuis 2007
5 Traduit de l’anglais par nous
6« a getting out of the trap »

5
cette fuite, on cherche un nouveau départ7 ou encore un nouveau commencement8 (Hels et et
al. 2005 ; Karisto 2005 ; Salva Tomas 2005). L’ « escape » ou l’échappement a pour objectif
la recherche d’un nouveau style de vie, généralement bien différent de celui d’avant, qui se
manifeste dans le vécu (un nouveau style d’habitat, de nouveaux plats, une nouvelle
société…). On est à la recherche d’un nouvel équilibre travail/qualité de vie loin de toutes les
contraintes du passé.
L’impact économique de la présence de ces porteurs de projets est non négligeable puisqu’ils
génèrent des emplois situés en moyenne entre 2 et 10 emplois par structure et pouvant
atteindre jusqu’à 55 à 90 pour des établissements connectés à des réseaux internationaux. Les
employés sont principalement des jeunes d’origine locale et on a enregistré parfois des retours
de Marrakech ou d’Ouarzazate.
Les structures que commercialisent ces personnes sont soit d’anciennes maisons ou kasbah,
soit de nouvelles bâtisses sous forme de kasbah avec des façades revêtues en terre. Cet
agencement participe d’un côté à la valorisation du patrimoine en gardant l’aspect
architectural de la région qui commence à être abandonné par les locaux. Même si des fois
valorisation ne fait pas bon ménage avec conservation puisque la rénovation s’accompagne
souvent de l’introduction de matériaux modernes.
Les entretiens nous ont révélé d’autres limites de l’installation de ces porteurs de projets
étrangers sur le plan économique. Il s’agit des fuites d’argent puisque l’essentiel des
transactions se fait en ligne et en dehors du Maroc, une partie non négligeable des entrées
n’étant donc pas imposable. Nous avons aussi constaté qu’un nombre important de maisons
d’hôtes a été édifié en pleine palmeraie sur des espaces jusqu’ici réservés exclusivement aux
cultures, ce qui peut être expliqué par une méconnaissance des règles des choix
d’implantations de l’habitat en milieu oasien. Mais, on note aussi l’existence de quelques
établissements qui s’inscrivent dans une vision de gestion respectueuse de l’environnement.
A côté de ces porteurs de projets étrangers existent des porteurs de projets marocains menant
la même activité et essayant de se mobiliser pour développer le tourisme dans leur région
d’origine. La réalisation de leurs projets demeure moins programmée mais facilement
réalisable en raison de leur appartenance à cette région.

Mais les acteurs locaux ne sont pas absents


Le pays d’Ouarzazate, nous l’avons déjà mentionné, recevait principalement des
excursionnistes de passage qui, utilisant les hôtels de la ville comme base, rayonnaient dans
l’arrière-pays pour s’imprégner de l’ambiance très recherchée des oasis. Les séjours dans ces
oasis étaient très limités dans le temps en raison de l’inexistence d’une offre suffisante et bien
structurée et garantissant un minimum de confort et d’hygiène. Cette défaillance de l’offre n’a
été constatée que dans les étapes de l’arrière-pays (Skoura, Agdez, Zagora et M’hamid)
puisque le centre urbain de Ouarzazate connaissait, entre les années 1980 et 1990, une
concentration des structures hôtelières de trois à cinq étoiles dans un quartier conçu pour une
trentaine d’établissements hôteliers.
Durant la même période, les villages des oasis du Pays d’Ouarzazate ont reçu les toutes
premières auberges en 1982 et 1984, notamment à Skoura, tenues par des habitants du village.
Ces premiers petits « investisseurs » recevaient au départ les touristes chez eux en faisant de
« chez l’habitant » un mode d’hébergement. Les entretiens réalisés nous ont montré que les
auberges se sont multipliées par la suite de façon progressive.

7« making a freshstart »
8« a new beginning »

6
« Il y'avait des Marocains qui tenaient des auberges, deux auberges entre 1982 et 1984, après
l'Espagnol est venu, il a fait de la kasbah Ben Moro un hôtel en 1999, après c’est Dar Ahlam,
Sawadi. Les jardins du Drâa, chez Talout... »9
La gestion des projets portés par les Marocains garde un caractère familial puisqu’elle fait
appel aux membres de la famille qui s’occupent de la réception des touristes, la restauration,
la propreté et parfois des excursions et de l’organisation des circuits dans la région. Avec la
haute saison et l’augmentation de la demande, on fait appel à du personnel supplémentaire
parmi la population locale.
L’arrivée des premiers porteurs de projets étrangers dans la région a commencé avec un ex-
directeur de banque espagnol qui va acquérir et restaurer une kasbah à l’entrée de la palmeraie
de Skoura. La maison d’hôtes a commencé son activité en 1999, et va déclencher un
mouvement d’installation d’autres investisseurs étrangers tout en encourageant les Marocains
de l’oasis à se tourner vers l’activité touristique en se lançant aussi dans l’aménagement de
structures d’hébergement. Les premiers projets apparaissent à partir de l’an 2000, et les
années 2003 et 2004 ont enregistré l’arrivée du maximum de porteurs de projets étrangers.
Cette fois-ci, il s’agissait d’une offre plus structurée et qui répond aux exigences du secteur
touristique mais qui se fait toujours en dehors des programmes des politiques publiques.
L’arrivée des acteurs étrangers a permis l’éclosion du phénomène, les anciens projets tenus
par des Marocains ont connu, pour quelques-uns, une restructuration en s’inspirant des
nouveaux projets portés par les étrangers avec notamment un effort au niveau de la décoration
et du design. Mais en même temps d’autres projets ont été abandonnés. Contrairement aux
porteurs de projets étrangers, majoritairement seniors, les porteurs de projets marocains sont
des jeunes et ont généralement acquis de l’expérience dans le tourisme dans les villes
touristiques comme Ouarzazate, Marrakech et Agadir. Dans ces cas l’avant-pays participe au
développement de l’intérieur par le biais d’une formation sur le tas. On a relevé aussi des
projets portés par des couples mixtes.
Les relations entre les porteurs de projets étrangers d’une part et leurs homologues marocains
d’autre part, sont marquées par le bon voisinage, mais avec peu d’interactions entre ces deux
acteurs. Une posture justifiée par les différences culturelles, linguistiques et religieuses qui
existent entre eux.
« On fréquente très très très peu de monde ici, très très peu, on a quelques relations avec les
autres maisons d’hôte, un peu avec nos artisans, … qui viennent de temps en temps et avec
qui on a de bonnes relations, un peu les officiels, le pacha, mais globalement notre lien social
c’est nos clients »10.
Dans l’autre sens, ces relations entre entrepreneurs marocains et étrangers sont difficiles à
analyser. La relation est beaucoup plus compliquée, tantôt marquée par une reconnaissance du
rôle des porteurs de projets étrangers dans la mobilisation de l’activité touristique dans les
villages, tantôt marquée par le non souhait de leur présence.
« Ils sont bien, on n’a jamais eu de problèmes avec quelqu'un. C’est eux qui viennent chez
nous et nous devons bien nous comporter avec eux »11
« … au début si, ça a dérangé un peu. au début on sentait que c'est bizarre, on s'est dit que ça
va être la même chose qu'à Marrakech, quand les gens sont arrivés à Ouarzazate Tamedakht
et Ait ben Haddou … les gens commençaient à dire « au pire qu'est ce qui va se passer,
Marrakech s'est développé en fin de compte », mais leur condition à l’étranger était toujours
9 Marocain de 52 ans, ancien guide dans la région de Skoura
10 Français de 67 ans installé dans la palmeraie d’Agdez depuis 2004
11 Porteur de projet marocain de 40 ans à Skoura, depuis 2012

7
d’employer les habitants du village, par exemple à Dar Ahlam c'est lkhmass qui y travaille
toujours et ses filles y travaillent aussi, tu ne trouves pas des personnes de Marrakech ou
Casablanca, le chef cuisinier est skouri, le chef des services est skouri… » 12
Mais, quelle que soit la nature des relations entretenues entre ces acteurs, leur présence n’est
pas seulement physique mais aussi virtuelle. La commercialisation fait largement appel à
l’Internet à travers les portails de réservation comme Booking.com, Tripadvisor, Airbnb, leurs
propres pages web ou blogs, les agences internationales ou nationales et les salons
internationaux. Ceci participe à la construction d’une image virtuelle de la destination
permettant une promotion par une connexion directement au système monde sans relais ni
intermédiaire. Donc, acteurs étrangers et acteurs locaux, par leurs actions de promotion ont
donné de la visibilité à cette région et créé une demande qui participe à l’émergence du Pays
d’Ouarzazate comme destination touristique à part entière.

2. La réalité de la demande
La demande en chiffres
La demande touristique sur le plan national a évolué depuis l’année 2010, puisqu’on est passé
de 4 910 435 arrivées (en excluant les Marocains Résidents à l’Etranger) en 2010 à 5 103 204
en 2016. Néanmoins cette augmentation ne se reflète pas dans les nuitées et le taux
d’occupation des établissements hôteliers classés au Maroc. Les statistiques officielles du
ministère montrent que le taux d’occupation a régressé de 45% en 2010 à 40% en 2016. Ce
constat nous interpelle et nous laisse supposer que tous les touristes qui arrivent au Maroc ne
s’adressent pas aux établissements hôteliers pour leur hébergement, d’où la question : Où
vont-ils ?
Face à cette constatation on ne peut pas écarter l’hypothèse que les touristes qui apparaissent
au niveau des arrivées aux frontières et qu’on ne retrouve pas dans les statistiques hôtelières
se dirigent soit vers des établissements qui ne sont pas couverts par les statistiques des hôtels
du ministère du tourisme, soit vers les nouveaux modes d’hébergement mis en place à travers
les plates formes proposant l’hébergement chez l’habitant.

600000

500000

400000

300000 Nuitées
200000 Arrivées

100000

0
2001
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016

Figure 2 : Evolution des arrivées et des nuitées dans la région d’Ouarzazate (2001-2016)

Concernant notre région d’étude, il faut préciser que le Ministère du tourisme et ses
délégations ne disposent pas des statistiques des arrivées et nuitées réalisées dans les
établissements non hôteliers et les autres structures d’hébergement qui échappent aux

12 Porteur de projet marocain de 56 ans à Skoura depuis 2008

8
statistiques officielles, ce qui représente une limite pour une analyse globale et précise de
l’évolution de la demande touristique dans le Pays d’Ouarzazate. En essayant de cerner cette
question, nous avons réalisé un graphique à partir des données officielles sur les arrivées et les
nuitées à Ouarzazate comme échantillon entre 2001 et 2016 (Figure 2).
Le graphique affiche l’évolution des nuitées et des arrivées réalisées dans les hôtels de la
région d’Ouarzazate de 2001 à 2016. Nous pouvons remarquer que la tendance générale des
deux courbes a connu une baisse sur la période affichée. De façon plus détaillée les nuitées
sont passées de 540 232 en 2001 à 287 495 en 2016 et les arrivées de 289 584 en 2001 à
192 719 en 2016. Pour mieux observer la tendance de baisse des deux courbes, nous avons
réalisé les deux graphiques de la figure 3 grâce au logiciel « Genstat ».

Nous remarquons que la tendance de l’évolution des deux courbes est différente. Le premier
graphique représentant les arrivées dans la région d’Ouarzazate, trace une courbe en baisse et
de nature irrégulière, ce qui s’explique par la saisonnalité de l’activité. Cependant le deuxième
graphique qui trace l’évolution des nuitées, affiche une courbe avec une baisse décroissante
aigue, les nuitées ont chuté de façon remarquable et plus que la chute du nombre d’arrivées.
Ceci montre que les séjours des touristes hébérgés dans les établissements hôteliers sont de
plus en plus courts. Mais, nous précisons que les statistiques que nous avons pu avoir ne
concernent que le nombre des arrivées et des nuitées dans les hôtels classés et ne couvrent pas
les arrivées dans les établissements non homologués. Donc, ces graphiques ne représentent
qu’une partie des touristes à destination d’Ouarzazate.

Figure 3 : Tendance de l’évolution des arrivées et des nuitées dans la région d’Ouarzazate

Pour déterminer le poids de la destination Ouarzazate sur le plan national, nous avons
considéré le pourcentage des nuitées et des arrivées dans la demande au niveau national entre
2010 et 2016. La part de notre région dans le total national est de 3% pour les nuitées en 2010
en passant à 2,25% en 2016, alors que celle des arrivées était de 5,43% en 2010 et de 3,77%
en 2016.
La baisse du poids de l’activité dans la région ne revient pas seulement à la régression de
l’activité mais aussi à l’émergence de nouvelles destinations et le poids des deux destinations
voisines Marrakech et Agadir, qui concurrencent toujours cette destination en émergence.

9
Le « chez l’habitant » : une forme d’hébergement qui sauve la destination
Cette baisse varie selon les catégories d’hébergement, qu’elles soient des structures classées
et officielles ou des structures plus ou moins informelles. Nous proposons ici de comparer la
baisse dans les modes d’hébergements résultants des politiques publiques (hôtellerie de haut
et moyen standing) et les modes d’hébergements dus à l’initiative des acteurs locaux (maisons
d’hôtes, auberges, logement chez l’habitant…). Pour cela, nous ne disposons pas de
statistiques pour tous les établissements de la seconde catégorie. Cependant, une partie de
cette catégorie d’hébergement a déjà fait l’objet de classement et figure donc dans les
statistiques officielles : il s’agit des maisons d’hôtes classées. Nous proposons donc de
confronter la fréquentation des hôtels 4 et 5 étoiles, à celle des maisons d’hôtes classées.

Tableau1 : Variation des nuitées et des arrivées des hôtels classés et des maisons d’hôtes classées

Arrivées Nuitées

Catégorie 2010 2016 Variation 2010 2016 Variation


(16/10)% (16/10)%
Hôtel 1-2-3* 78219 64188 -18 110887 99045 -11
Hôtel 4-5* 153925 93415 -39 251995 136430 -46
Résidences et 13078 9179 -30 24196 15562 -36
Clubs hôteliers
Maisons d'Hôtes 17826 22749 28 28356 32844 16

Autres 3459 3188 -8 5254 3614 -31


Total 266507 192719 -28 420688 287495 -32

Source : Statistiques de l’Observatoire du tourisme


Ce qui surprend dans ce tableau c’est que si l’activité dans son ensemble semble être
fragilisée par la crise des années passées, les moyens d’hébergement alternatifs semblent
résister mieux à cette crise. En effet le total des arrivées et des nuitées dans notre destination a
enregistré une baisse nette entre 2010 et 2016, les variations entre ces deux dates ayant été de
-28% pour les arrivées et -32% pour les nuitées. Cette baisse varie selon les catégories
d’hébergement classés et peut être spectaculaire comme pour les hôtels 4-5 étoiles (-39% pour
les arrivées et -46% pour les nuitées). Mais face à cette baisse de la demande dans les
catégories d’hébergement classées, on est frappé par la variation positive dans les maisons
d’hôtes avec +28% des arrivées et +16% des nuitées (Tableau 1). Cela démontre le rôle de ces
nouvelles structures d’hébergement touristique dans la résilience de notre destination face à la
crise, voire leur rôle dans son émergence et son développement. Apparemment le type de
clientèle qui se dirige vers les maisons d’hôtes ne semble pas être sensible aux effets de la
crise et maintient sa fidélité à la région. Or en plus de ces maisons d’hôtes classées et qui
apparaissent dans les statistiques des arrivées et des nuitées, il y a de nombreuses structures
qui participent à la même catégorie d’hébergement, qui ne figurent pas dans ces statistiques,
et bénéficient probablement de la même attractivité.
Pour compenser ce manque de statistiques, nous avons exploré les données de la plate-forme
communautaire Airbnb. Fondée en 2008 à San Francisco, cette plate-forme propose
aujourd’hui des logements chez l’habitant dans le monde entier, en étant présente par ses
offres dans plus que 65 000 villes et 191 pays. L’Airbnb joue le rôle d’intermédiaire, par le

10
biais d’internet, entre propriétaires de logements et demandeurs et commence à avoir un
nombre important d’adeptes.13
Un dépouillement systématique des offres de logement en ligne a montré l’importance
grandissante du nouveau type d’hébergement dans notre destination. Cependant l’utilisation
de cet indicateur doit se faire avec prudence car il ne renseigne que sur l’offre et non sur la
demande. Par ailleurs, sur la plateforme, on ne peut connaitre la part des étrangers dans cette
offre qu’à travers le nom de l’annonceur sans pouvoir préciser la nationalité. Néanmoins,
nous avons accès à diverses autres informations importantes : Le nombre d’unités à travers le
nombre des offres, la capacité offerte, la nationalité du porteur de projet et la localisation
géographique.

Figure 4 : Part de la capacité litière AIRBNB dans la capacité litière totale du Maroc (2016)
Source : Dépouillement personnel des annonces sur la plateforme AIRBNB
Les résultats de l’inventaire montrent que l’offre Airbnb atteint 9 688 annonces pour tout le
Maroc : 7 509 en milieu urbain (71%) et 2 179 en milieu rural (29%) (Figure 4). Quant à la
capacité litière de cette offre Airbnb elle est estimée à 33 084 lits (23 628 en milieu urbain et
9 456 en milieu rural). L’offre Airbnb représente désormais 13% de la capacité litière totale
du Maroc même si elle n’apparait pas dans les statistiques officielles des établissements
d’hébergement.
Pour la région d’Ouarzazate (Figure 5) on a relevé 1 721 lits offerts sur la plateforme Airbnb,
face à 9 167 lits en hôtellerie classée. Mais, il est bien difficile de suivre l’évolution de ce
nouveau mode puisqu’il est facilement réalisable et évolue très vite, ce qui demande une
constante actualisation des données. Cependant, l’offre Airbnb constitue aujourd’hui un
véritable concurrent des établissements touristiques dans la région, et participe au processus
d’émergence et de médiatisation de la destination.

10000
8000
6000 Capacité Litière
4000 Airbnb
2000
0 Capacité Litière
Capacité Capacité Hôtelière
Litière Airbnb Litière
Hôtelière

Figure 5 : Capacité litière Airbnb et en hôtellerie classée dans la région d’Ouarzazate (2016)
Source : Dépouillement personnel des annonces sur la plateforme AIRBNB

13 https://www.airbnb.fr

11
L’émergence de la destination Ouarzazate à travers la demande sur la toile
Le manque de données statistiques sur la fréquentation des nombreuses structures
d’hébergement, objet de nos recherches, et qui se multiplient un peu partout dans le « pays
d’Ouarzazate », oblige à faire appel à des indicateurs indirects pour mesurer le poids de la
nouvelle destination. L’un de ces indicateurs de plus en plus utilisé concerne la visibilité
d’une destination sur Internet. En effet, partant de l’hypothèse que de nombreux touristes
potentiels de la destination construisent désormais leurs voyages en utilisant la toile, nous
avons prospecté l’Internet pour saisir la demande qui se développe sur Ouarzazate et sa région
à travers tout d’abord la fréquence des requêtes cherchant des informations sur la région.
Cette demande a été comparée aux deux destinations phares de la région du Sud, Marrakech
et Agadir, destinations qui se trouvent à l’origine de la promotion du pays d’Ouarzazate car
celui-ci a été découvert à partir de ces deux foyers. Mais Marrakech et Agadir constituent en
même temps deux destinations concurrentes
Cette visibilité est saisie à travers des mots clés introduits dans « Google Trends », outil en
ligne qui collecte toutes les recherches menées sur la toile par des internautes considérés
comme des candidats au voyage ou intéressés par des destinations touristiques au Maroc. La
fréquence de ces recherches par mots clés est illustrée par des graphiques sous forme de
courbes traduisant l’intérêt pour la destination et que l’outil dresse. Nous avons retenu la
période de janvier 2004 à décembre 2013 et introduit différents mots clés répondant à nos
hypothèses : « Ouarzazate », « Marrakech » et « Agadir » pour comparer les trois
destinations, ensuite « Ouarzazate tourisme », « Marrakech tourisme » et « Agadir tourisme »
pour croiser les trois destinations et le motif de la recherche et enfin « Kasbah Ouarzazate »,
« Kasbah Marrakech » et « Kasbah Agadir » pour croiser la destination et un motif spécifique
lié au produit emblématique que recherchent les touristes dans le sud marocain. L’analyse
comparative des trois ensembles de courbes obtenus (Figure 6) permet les enseignements
suivants :
 La première constatation est la baisse nette de la fréquence des recherches sur la toile
sur les trois destinations depuis 2008. Cette baisse qui peut correspondre à la baisse de la
demande liée à la crise financière, puis économique qui a touché l’Europe, confirme la
pertinence de cet indicateur pour l’analyse de la demande. Si la recherche d’information sur
Internet à propos des trois destinations et à propos du Maroc semble baisser depuis le
déclenchement de la crise économique, c’est que cette recherche est intimement liée à la
demande touristique et aux projets de voyages vers le Maroc. Ce qui augmente la certitude de
ce lien entre recherche des informations sur la toile et projets de voyage touristique, c’est la
baisse très marquée sur les courbes établies à partir des mots clés « destination + tourisme ».
Entamée quelques années après 2008, ce qui traduit le décalage entre le déclenchement de la
crise et ses effets, cette baisse devient remarquable depuis 2013, ce qui suppose les effets
d’autres facteurs que la crise économique (Figure 6).
 Par ailleurs, comparée à la demande sur Marrakech et Agadir, celle sur Ouarzazate
semble bien faible, tout en étant bien visible (Figure 6.1). La recherche d’informations sur la
destination d’Agadir arrive en tête, suivie de Marrakech, puis très loin d’Ouarzazate. Cette
place d’Ouarzazate est tout à fait compréhensible dans la mesure où elle est confrontée ici à
deux destinations emblématiques du Maroc, l’une représentative du produit balnéaire du
tourisme de séjour et l’autre représentative du tourisme culturel à la fois de passage et de
séjour. Par ailleurs, nouvelle venue depuis la fin des années 1990, Ouarzazate ne pouvait
prétendre dépasser les deux destinations installées depuis bien longtemps sur le marché du
tourisme international. Cependant sa présence et sa visibilité parmi les destinations

12
recherchées à côté des deux destinations historiques est déjà une prouesse et traduit un début
d’émergence.

Figure 6.1 : Recherches sur le web sur les destinations Ouarzazate, Marrakech et Agadir

Figure 6.2 : Recherches avec le mot clé (Kasbah) sur les destinations Ouarzazate, Marrakech et Agadir

Figure 6.3 : Recherches avec le mot clé (Tourisme) sur les destinations Ouarzazate, Marrakech et
Agadir
Figure 6 : Recherches avec les mots clé sur les destinations Ouarzazate, Marrakech et Agadir
Source : Requête personnelle sur Google Trends

13
 Cette présence devient plus nette lorsqu’on croise la destination avec le mot clé
« tourisme » (Figure 6.3). Certes Agadir est toujours en tête suivie de Marrakech, mais
Ouarzazate s’impose de plus en plus et les pics correspondant à la recherche « Ouarzazate +
Tourisme » deviennent plus fréquents selon les années, suivent et dépassent parfois ceux
correspondant à « Marrakech + Tourisme ». A travers la recherche des destinations
touristiques du Sud marocain, la courbe d’Ouarzazate ne se contente pas de coller à l’axe des
x, elle s’en éloigne, se croise avec les deux autres courbes et s’impose comme une destination
concurrente.
 Si maintenant on croise le nom de la destination avec le mot clé « Kasbah », symbole
du produit du sud, à travers l’une des attractions les plus emblématiques et qui est
l’architecture en terre, les résultats changent de façon très nette (Figure 6.2). La baisse de la
demande en général sur le Sud est moins sensible que sur les deux autres courbes. La
concurrence devient plus serrée entre les trois destinations, les trois courbes se confondant
souvent. Ouarzazate dépasse à plusieurs reprises les deux autres destinations. Enfin, la
demande sur Agadir et Marrakech semble s’appuyer sur le mot clé « Kasbah ». Dans quelle
mesure Ouarzazate et son centre d’intérêt « l’architecture en terre » non seulement
concurrence, mais permet aussi de vendre Marrakech et Agadir ? En attendant une réponse à
cette question qui nécessite une enquête sur les motifs du voyage des touristes visitant
Marrakech et Agadir, on peut retenir l’hypothèse qu’Ouarzazate s’impose aussi en devenant
un motif du voyage pour les touristes qui se dirigent vers les deux destinations historiques et
concurrentes. Elle contribue ainsi à la promotion de ces deux villes. En fin de compte, l’idée
très répandue qui veut qu’Ouarzazate soit une destination secondaire qui reçoit ses principaux
flux de Marrakech et d’Agadir doit être fortement nuancée : N’est-elle pas à l’origine d’une
bonne partie de la demande sur Marrakech et Agadir grâce à ses centres d’intérêts qui attirent
les touristes, ces derniers transitant par Marrakech et Agadir pour visiter Ouarzazate ?
Cependant le fait que les deux destinations historiques contrôlent une bonne partie des flux
qui viennent, car attirés par Ouarzazate, réduit de ses capacités à émerger et à s’émanciper.
Cela apparait clairement à travers l’accessibilité par voie aérienne.
Le pays d’Ouarzazate a longtemps souffert de sa situation géographique marginalisée par
rapport au centre du Maroc. Cette situation a eu des répercussions sur l’arrivée des touristes
moins aventureux qui préfèrent visiter des régions facilement accessibles même si elles n’ont
pas la même attractivité. Des tentatives pour désenclaver la destination par l’ouverture de
lignes aériennes régulières vers Ouarzazate ont eu peu d’effets, le trafic par cet aéroport a très
vite décliné et a sérieusement baissé depuis 2010.

10 000 000
8 000 000
6 000 000
4 000 000 Nbre de passager 2015

2 000 000 Nbre de passager 2016

0
Aéroport Aéroport Aéroport Aéroport
Casablanca Marrakech Agadir Ouarzazate

Figure 7 : Evolution des arrivées dans les aéroports de Casablanca, Marrakech, Agadir et
Ouarzazate entre 2015 et 2016
Source : Ministère du tourisme

14
L’aéroport d’Ouarzazate n’a reçu en 2016 que 56 828 passagers, alors que les établissements
hôteliers ont enregistré 211 771 arrivées de touristes sans compter les touristes qui échappent
à ces statistiques. C’est ainsi que sur ce total, plus de 150 000 visiteurs, soit 73%, ne sont pas
passés par l’aéroport d’Ouarzazate et ont transité par d’autres aéroports comme Casablanca,
Marrakech ou Agadir (Figure 7).
Cette tendance au contrôle des arrivées sur Ouarzazate par les aéroports situés au nord de la
barrière atlasique est amenée à perdurer en raison de l’amélioration du réseau routier. En
effet, l’unique route en provenance de Marrakech à travers le Haut Atlas et le col du Tizi
n’Tichka était dans un tel état qu’elle a longtemps découragé la traversée de l’Atlas. De ce fait
nombreux sont ceux qui abandonnaient le projet de visiter le Sud ou qui le faisaient en y
arrivant directement par avion. Aujourd’hui, et suite à de nombreux et graves accidents, cette
route a fait l’objet de travaux d’élargissement, ce qui facilite désormais l’accès au grand pays
d’Ouarzazate par la route à partir des aéroports du Nord. Ainsi, l’aéroport d’Ouarzazate n’est
pas amené à devenir la porte de la destination dans les années à venir.

Conclusion
Après ce survol de quelques paramètres relatifs à la mise en tourisme de la destination du
pays d’Ouarzazate, revenant à notre question de départ. Le Pays d’Ouarzazate de plus en plus
fréquenté par le tourisme international est-il en train de s’imposer comme une destination à
part entière ou bien continue-t-il à se comporter comme une simple annexe touristique du
binôme Marrakech-Agadir ? La réponse à cette question renvoie aux rapports entre arrière-
pays et avant-pays et au concept de tourisme durable.
Cette nouvelle destination qui appartient à la catégorie des destinations de l’intérieur qui se
développent en milieu rural se distingue par des caractéristiques qui font sa spécificité. Elle ne
doit presque rien aux politiques publiques et s’est imposée sur le marché international du
tourisme grâce à la mobilisation d’acteurs nationaux ou étrangers mais qui interviennent à la
base. Un nouveau promoteur du tourisme et ainsi apparu. Il compte sur lui-même et propose
des modes d’hébergement originaux qui permettent de promouvoir la région et son
patrimoine. Il répond ainsi à une demande tout aussi originale qui, curieusement, ne semble
pas être affectée par les événements divers qui influent sur les arrivées des touristes et
handicapent l’hôtellerie classique.
Déjà, en ne considérant que cette spécificité on peut dire que la nouvelle destination s’en sort
bien en ces temps de crise. Lorsqu’on considère l’attractivité à travers l’indicateur que
constitue l’Internet, on est frappé par une émergence, certes encore timide, mais qui s’impose
à côté des deux premières destinations phares du tourisme du Maroc : Marrakech et Agadir.
Le produit « Ouarzazate » fait recette et s’autonomise par rapport au produit balnéaire
d’Agadir et culturel de Marrakech. Autrefois il était un simple complément pour diversifier et
allonger le séjour à Agadir ou Marrakech ; aujourd’hui il se vend pour lui-même et contribue
à la promotion des deux autres principales destinations.
Outre la faible réactivité des responsables du tourisme, le principal handicap qui freine le
développement de la destination reste le problème de l’accessibilité. L’essentiel des touristes
qui se dirigent vers la région transitent par les aéroports de Casablanca, Agadir et Marrakech,
pour ensuite se diriger par voie routière vers les oasis du Drâa, principale attraction du pays
d’Ouarzazate. Mais là aussi, les deux villes d’Agadir et de Marrakech qui autrefois
redistribuaient leurs touristes en envoyant une partie à Ouarzazate, se contentent de jouer le
rôle de porte d’entrée pour acheminer des touristes venus spécialement pour rejoindre
Ouarzazate, celle-ci étant l’objectif principal du voyage.

15
Si cette tendance perdure, on peut s’attendre à ce que le produit « Pays d’Ouarzazate »
s’impose de plus en plus dans l’avenir comme une destination majeure et à part entière.
Devenant un pôle touristique principal, il organise déjà son propre arrière-pays et participe à
une diffusion plus équitable des retombées du tourisme au niveau territorial.

Bibliographie
Amzil L. et Berriane M., (2014), « Les Ida-ou-tanane : Une destination touristique produit du jeu des
acteurs », in Le tourisme dans les arrière-pays méditerranées : des dynamiques territoriales
locales en marge des politiques publiques, sous la dir. de M.Berriane, Edition UMV Rabat,
UEM de Fès, LMI Mediter. pp.79-113.
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la dir. M.Berriane, G.Michon, Edition UMV Rabat, IRD Editions, pp.233-251.
Berriane M. & Aerghal M., (2012), « Tourisme rural, Gouvernance Territoriale et Développement
Local en zones de montagnes », Edition UMV Rabat, ONDH, A.N.U.
Gagnon S., « Attractivité touristique et « sens » géo-anthropologique des territoires », (2007), Téoros
[Enligne], mis en ligne le 01 février 2011
Nakhli S. et Berriane M., (2014), «La gestation d’une nouvelle destination touristique aux portes
d’Essaouira : tourisme rural ou tourisme de banlieue », In Le tourisme dans les arrière-pays
méditerranées : des dynamiques territoriales locales en marge des politiques publiques, sous la
dir. de M.Berriane, Edition UMV Rabat, UEM de Fès, LMI Mediter. pp.114-148.
Plan Bleu, (2017). « Tourisme durable en Méditerranée : Etat des lieux et orientations stratégiques. »,
Cahier 17.
Rapport « Programme de développement integré du tourisme rural et de nature- région Souss Massa
Draa- Province d’Ouarzazate », (2015), Société Marocaine d’Ingénierie Touristique- Ministère
du tourisme.
Oujamaa A., (1998) « Le tourisme en région périphérique : entre planification étatique et initiatives
locales (cas du sud intérieur-Maroc) », In Le tourisme au Maghreb : diversification du produit et
développement local et régional- Actes du 5ème colloque maroco-allemand Tanger, Edité par
M.Berriane & H. Popp, Technische Universitat Munchen, pp.215-224.
Troin J.F (sous la direction), (2002), « Maroc : Régions, pays territoires, édition Maison neuve & amp;
La rose », pp.409-426.
https://trends.google.fr/trends/

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