Géocarrefour

Acteurs et territoires touristiques de Marrakech / Actors and tourist

territories at Marrakech
Said Boujrouf

Abstract
Marrakesh is widely recognized as a tourist city both at a national and an international level. The different plans implemented in
this city and its hinterland to divesify tourist activities are likely to contribute to Marrakesh's development. In the city, however,
tourism is still an activity shared by a host of actors with different strategies,logics and actions that are rarely co-ordinated, nd
sometimes controversial. The sysem of actors needs to be restructured.

Résumé
Marrakech est une ville touristique par "excellence". Sa place est confirmée aux niveaux national et international. Le processus
engagé de diversification des produits touristiques dans la ville et dans son arrière-pays peut être, en plus, un facteur de
développement de la ville. Mais le tourisme à Marrakech est une affaire, plus ou moins partagée entre une nébuleuse d'acteurs.
Les stratégies, les logiques et les actions y sont très rarement coordonnées. Les territorialités sont mal articulées et parfois
conflictuelles. Le système des acteurs devrait être recomposé.

Citer ce document / Cite this document :

Boujrouf Said. Acteurs et territoires touristiques de Marrakech / Actors and tourist territories at Marrakech. In: Géocarrefour,
vol. 76, n°2, 2001. Le tourisme et la ville. pp. 91-97;

doi : https://doi.org/10.3406/geoca.2001.2534

https://www.persee.fr/doc/geoca_1627-4873_2001_num_76_2_2534

Fichier pdf généré le 15/05/2018

 'ÉOCARREFOUR VOL 76 2/2001 91

Said BOUJROUF
Acteurs et territoires touristiques de
Département de
Géographie Marrakech
Faculté des Lettres
Marrakech (Maroc)

Grâce aux richesses de son patrimoine1, à la mobilités et des blocages du tourisme à

diversité de son arrière-pays (plaine du Haouz, Marrakech ?
montagne du Haut-Atlas, désert et mer) et à sa
capacité à offrir des produits variés (découvertes LE TOURISME À MARRAKECH : NÉBULEUSE
culturelles, aventures, loisirs, nature...), Marrakech D'ACTEURS, ET DIVERSITÉ DE LOGIQUES,
est engagée depuis 4 décennies dans la carrière D'ENJEUX, D'ACTIONS, DE MOYENS ET DE
touristique. Elle est le second pôle touristique au STRATÉGIES.
Maroc après Agadir. Sa capacité d'accueil
homologuée est passée de 4 660 lits en 1974, La mise en place d'un système d'acteurs est à
9 099 en 1984, à 16 227 lits en 1990 et actuellement notre avis un processus qui se déclenche au fur et
est autour de 18 000 lits soit le 1/5e du total à mesure que les espaces géographiques sont
touristique
RÉSUMÉ
Sa
niveaux
international.
engagé
produits
ville
peut
de
ville.
Marrakech
plus
entre
d'acteurs.
logiques
très
Les
articulées
conflictuelles.
des
recomposé.
place
développement
territorialités
acteurs
etou
rarement
Mais
être,
une
dans
de
moins
national
est
touristiques
etet
en
nébuleuse
Les
lediversification
est
par
les
devrait
son
confirmée
tourisme
parfois
plus,
Le
stratégies,
coordonnées.
Le
partagée
une
actions
"excellence".
arrière-pays
processus
etsont
système
un
ville
de
affaire,
être
dans
facteur
àmal
layaux
sont
les
des
la national. Son taux de croissance global, entre 1974 ouverts au tourisme. Les acteurs s'impliquent et
et 1999, est de 117 %. La ville a pu réaliser en 1999 s'engagent, à des degrés différents, dans le
un chiffre de 655 095 nuitées, soit 24,8 % du total marquage, les représentations et l'appropriation
des nuitées touristiques d'hébergement classé du de leur territoire. "Le système n'existe que par
pays. Les arrivées touristiques internationales l'acteur qui seul peut le porter et lui donner vie, et
étaient de 781 517 touristes en 1998 soit 27,9 % de qui seul peut le changer" (Crosier et Friedberg,
l'ensemble des arrivées internationales du pays 1977, p. 11). Le point d'intersection des acteurs du
(Fédération du tourisme, 2000). La ville draine plus tourisme à Marrakech est constitué d'un enjeu
de 18 % des recettes touristiques nationales commun qui est le tourisme. Le tourisme est "bien
(Délégation du Ministère chargé de la population, 1996). perçu" et même "accepté" par tout le monde. Pour
différentes raisons, des individus ou des entités se
Ces résultats témoignent sans doute de sont ou ont dû se mobiliser et prendre place dans
MOTS-CLÉS l'importance donnée par les pouvoirs publics et les ce système.
acteurs privés au tourisme comme secteur
Maroc, Marrakech, tourisme, stratégique pouvant déclencher le processus de
acteurs, territorialités, L'État central (gouvernement et départements
développement socio-économique dans la ville. ministériels)
articulations, pouvoirs,
complexité territoriale, Malgré les efforts de promotion, les mesures des
développement touristique. L'État, à travers le gouvernement et les différents
pouvoirs publics pour limiter les nuisances dans le départements ministériels, joue un rôle de premier
ABSTRACT secteur, les efforts de compétitivité de la Royal Air plan dans la conception, l'élaboration et la mise en
Marrakesh is widely Maroc, la mobilisation des professionnels œuvre des aménagements touristiques (incitateur
recognized as a tourist city nationaux et le lancement du Groupement et investisseur). L'action de l'État apparaît limitée
both at a national and an régional d'intérêt touristique et la libéralisation, le par deux principaux handicaps. En premier lieu, il
international level. The tourisme à Marrakech est en difficulté. Il connaît s'agit du problème des ressources humaines et
different plans implemented une "stagnation" dans l'évolution de la capacité financières. En effet, le secteur touristique réclame
in this city and its hinterland hôtelière durant la dernière décennie, des des actions d'aménagement coûteuses : des aides,
to divesify tourist activities problèmes de gestion de l'espace touristique, de des exonérations, d'investissement et
are likely to contribute to qualité de service, d'intégration du tourisme dans d'équipement au moment où la conjoncture impose, à la
Marrakesh's development. l'espace urbain, de "parasitage" dans le suite du programme d'ajustement lancé à partir de
In the city, however, tourism fonctionnement du système touristique... 1981, de se retirer au profit des collectivités, des
is still an activity shared by a initiatives locales et du secteur privé encore mal
host of actors with different Si la majorité des professionnels pense que cette préparé à prendre la relève. En second lieu, l'État
strategies,logics and actions situation est due à la crise de l'investissement doit gérer les contradictions du secteur touristique
that are rarely co-ordinated, touristique au Maroc et à la crise financière provenant essentiellement de la nature des
nd sometimes controversial. structurelle (Fédération du tourisme, 2000), nous rapports existant entre les acteurs publics et privés
The sysem of actors needs croyons que ces deux éléments ne concernent impliqués et qui n'ont pas l'habitude de travailler
to be restructured. qu'un volet de la crise de l'activité touristique à ensemble.
Marrakech. L'autre volet concerne, à notre avis,
KEY WORDS l'existence d'une multitude d'acteurs et de Les services extérieurs de l'État
Morocco, Marrakech, dynamiques sur le même espace touristique, ce
tourism, actors, territorial qui provoque le dysfonctionnement du système Ces différents services assistent les élus locaux
issues, links, power d'acteurs. En fait, la diversité peut ne pas être un dans la gestion des affaires communales. Même si
struggles, territorial problème en soi mais le type et le contenu des ces services arrivent à appuyer la commune, ils
complexity, tourist rapports tissés peuvent facilement le devenir. souffrent de la tutelle du Ministère de l'Intérieur et
development. Comment donc l'existence d'une nébuleuse de la faiblesse de réserves foncières.
d'acteurs dans la ville, sa vie collective dans un
système de relations, produit-elle une réalité Les conseils municipaux
contraignante pour l'activité touristique dénoncée
par tout le monde ? Autrement dit, comment, par La communauté urbaine de Marrakech est divisée
la nature de sa structure, un système d'acteurs en cinq municipalités. L'espace touristique de la
peut-il créer des rivalités, des conflits, des ville de Marrakech est partagé entre quatre
92 VOL 76 2/2001 Acteurs et territoires touristiques de Marrakech
municipalités Médina, Ménara-Guéliz, Ennakhil et
Sidi Youssef Ben Ali. En l'absence d'intercom-
:
munalité, la ville se trouve du coup déconnectée et
désarticulée et l'espace touristique en souffre
fondamentalement.
Les prestataires du service ou le privé touristique
L'agence de voyages
Elle est la pièce motrice qui assure la coordination
entre les différents prestataires des services
touristiques. Elle est à l'origine de la création du
produit touristique. Il n'y avait à Marrakech que 2
agences en 1954, mais 22 en 1984. Ce
développement devient encore plus spectaculaire après
cette date leur chiffre est multiplié par 3,3 (73
agences, selon la Délégation du tourisme à
:
Marrakech) entre 1984 et 1994, pour stagner
ensuite en dessous de la barre de 100. L'ensemble
de ces agences est distribué comme suit 21 %
dans la billetterie, 63 % dans la réception
:
touristique et diverses activités liées au tourisme,
16% pratiquent l'une des deux activités
précédentes et font la location des moyens de
transport touristique. Sur l'ensemble des agences
enregistrées à Marrakech, 58% sont des
représentations des agences nationales et étrangères.
Les transporteurs
Ce sont eux qui introduisent le touriste dans
l'espace touristique. Cette accessibilité est assurée
par les sociétés ou les compagnies de transport
aérien et terrestre. La catégorie des transporteurs
est très hétérogène du fait qu'elle regroupe des
agents de voyages, des agents de location, des
chauffeurs de taxis, des propriétaires de calèches...
A elles seules, les agences de location de voitures
de tourisme sont une cinquantaine, la plupart
d'entrés elles étant des succursales de sociétés
étrangères. Parmi ces agences, seulement le 1/5e
est propriétaire de plus de 260 voitures. Les
grandes sociétés de taxis dépassent les 700
véhicules dont presque 1/4 travaille dans le
tourisme. Le nombre des petites sociétés de taxis
dépasse les 1400 véhicules. Les calèches sont
environ 150. Il s'agit donc d'un parc de transport
impliqué directement ou indirectement dans le
système touristique de la ville.
L'hébergement
Les agents de ce sous-secteur assurent un service
majeur dans le tourisme, qui est l'hébergement,
un service secondaire assurant la restauration et
des services auxiliaires touchant les domaines de
l'animation, sport, ateliers... Selon les statistiques
officielles de 1999, on compte à Marrakech 139
hôtels dont 72 sont classés et totalisent 20 365 lits
dont 18 007 classés. Les hôtels 4* et 5* occupent
49,9 % du parc hôtelier homologué. L'offre est
variée puisqu'elle concerne les hôtels, les
résidences, les Villages de vacances, les riads et 1 - Ce travail est une étude et
les maisons d'hôte. une analyse du système
d'acteurs du tourisme à
La restauration Marrakech. Il se veut une
Les restaurateurs sont plus de 90 : 27 sont démonstration du rôle des
internationaux, 42 dans des hôtels, 14 marocains rapports entre les différents
avec spectacle et 11 marocains sans spectacle acteurs concernés par le
(Délégation du Tourisme, Marrakech). développement ou le blocage
du tourisme dans la ville. Ce
L 'accompagnement choix se trouve confronté à
On distingue les guides officiels et les "faux- deux difficultés majeures. Une
guides". Les guides officiels sont des personnes première est liée à la rareté
formées ou non, mais qui ont une affectation des travaux au Maroc traitant
officielle, principalement du Ministère du de ce thème (cf. BERRIANE
Tourisme. Ils sont au nombre de 443 guides M., 1999). Une deuxième
répartis comme suit : 72 guides nationaux (ayant concerne l'approche des
le droit de travailler sur tout le territoire marocain), acteurs. Bien qu'ils soient
228 guides locaux et 143 assistants. Les "faux- réparables, catégorisables et
guides" étaient il y a quelques années plus hiérarchisables (BRUNET R.,
nombreux qu'aujourd'hui du fait de la création de 1997), les acteurs sont en
la brigade touristique et demeurent difficiles à même temps une catégorie
compter. Il s'agit généralement de jeunes difficile à isoler (FOURNY
diplômés chercheurs d'emploi et de "marginaux" M.C., 1990) du fait des
de la ville. "chaînes de dépendances"
(ELIAS N., 1987 cf. aussi
Les bazaristes et les antiquaires LEVESQUE A., 1993 et
;
Les grands bazars sont environ 80. Ils occupent HEZERBROUCQ J.M., 1999).
principalement les labyrinthes de la médina et se La méthodologie suivie dans
concentrent au nord de la place de Jamaa El Fna à cette recherche est fondée sur
l'intérieur des souks. l'observation, les entretiens
avec différents acteurs
Les associations professionnelles et le impliqués dans le processus
de gestion et de
Groupement Régional d'Intérêt Touristique (GRIT)
développement touristique à l'échelle
La plupart des acteurs de l'activité touristique à observable de la ville. L'étude
Marrakech ont créé ou sont en train de créer des a procédé à la description des
associations professionnelles et des groupements acteurs, ainsi que l'analyse des
touristiques pour défendre leurs intérêts. Les enjeux, des logiques et des
associations professionnelles sont, soit encore moyens d'action pour
locales (associations des artisans et des comprendre leurs
bazaristes), soit affiliées à des réseaux territorialités. Aussi notre propos
d'associations et des confédérations de niveau insiste-t-il sur les aspects
national (associations des guides et de l'industrie susceptibles de guider ou de
hôtelière). Certaines d'entre elles sont peu renforcer l'action des acteurs,
structurées et dépendent de quelques individualités des processus de bonne
fortes. Le GRIT, quant à lui, se veut un cadre de articulation et de
mobilisation de toutes les associations complémentarité entre les différents
professionnelles, des acteurs économiques, des territorialités. Et sans
hommes d'affaires et des composantes du secteur prétendre ici à l'exhaustivité, nous
touristique à Marrakech. Mais cette organisation nous limiterons dans notre
n'est que rarement un lieu de concertation et de démarche à l'énumération de
coopération. Elle demeure une sphère où quelques éléments qui
s'expriment les concurrences et les conflits empêchent le montage et la
d'intérêt entre les acteurs. Malgré ces situations de réalisation de projets collectifs
dysfonctionnement, les acteurs du tourisme entre les différents acteurs du
s'intègrent à des structures nationales, devenant tourisme dans la ville de
alors un lobby national (cas de la Fédération du Marrakech. A cette occasion,
tourisme qui fait partie de la Confédération nous présentons nos sincères
générale des entrepreneurs marocains - CGEM). remerciements à tous les
chercheurs, notamment
Cette nébuleuse d'acteurs fonde ainsi des HASSANI El Mostafa,
territorialités multiples, différentes, renvoyant à MAJDOUBI Abdelaziz, MOURAD
des logiques spécifiques Khireddine, HOUBBI Nabil, aux
:
 Acteurs et territoires touristiques de Marrakech VOL 76 2/2001 93

Figure 1 Le tourisme à Marrakech acteurs et facteurs des dysfonctionnements territoriaux

:

:
Acteurs Enjeux Actions Moyens Logiques
Etat réglementation, textes juridiques, promulgation des lois contrôle, incitation,
agrément, formation instituts, écoles, investissements,
codes d'investissement encadrement, formation
Collectivités territoriales retombées sur le favoriser l'activité services créer les conditions
développement de la (assainissement) d'assainissement-planification favorables pour le
collectivité développement touristique
Autorités locales créer un climat réglementation et administration éliminer les blocages
propice à l'activité coordination susceptibles de poser des

Délégation du tourisme
GRIT-Associations
!
problèmes, contrôle
encadrer l'activité contrôle permanent inspection assurer la qualité et la
promotion des produits
sécurité |
organisation d'opérationsi brigades mobiles assurer la tranquillité des
pour chasser les contrôle touristes
éléments perturbateurs
développement de coordination entre <programme d'action» application des programmes
l'activité, concertation différents opérateurs d'action

Agences de voyage-TO
(Tour-Opérateurs)
Hôteliers
;
avoir des clients ouverture sur le marché développement de bonne maîtrise des produits
nouveaux produits
taux de remplissage opérations commerciales gestion rigoureuse
promotionnelle auprès rajeunis ement-diversification permanente du
des agents produit hôtelier
j

Transporteurs vendre constitution d'un parc bon entretien et suivi maîtriser les coûts,
techniquement fiable développer les ventes
Guides trouver du travail amélioration des atouts mise à jour et recyclage maîtrise de la demande
(langue...)
|

Faux-guides trouver des acheteurs «tous les moyens sont mise à jour et recyclage «opportunisme», conquête
potentiels bons» des marchés
!

Restaurateurs vendre meilleur ajustement contrôler les coûts de gestion rigoureuse

qualité/prix de l'offre production (33% du
de restauration prix de revient)
!

Bazaristes vendre entretien des relations portefeuille de produits mercantilisme, conquête

avec les agences de garnis et équipe de commerciale
voyage (passage) vendeurs qualifiés
Artisans survivre produire sur commande métier ou savoir-faire reconnaissance de leur
spécificité
Animateurs occuper le temps développer des application et programme adéquat au
vide des clients programmes d'action matérialisation des programmes! client selon son appartenance
socio-culturelle
Médias amélioration du dresser des bilans et articles, documents. régulatrice
produit diagnostics, publicité
Formation publique/privée former les ressources développer une formation au secteur programme adéquat à la
humaines formation adéquate aux touristique demande et à ses
besoins du marché dynamiques
94 VOL 76 2/2001 Acteurs et territoires touristiques de Marrakech
- l'appropriation du foncier par les hôteliers et les
animateurs ;
- l'appropriation de circuits touristiques par les
guides, les agences de voyage, les TO (tours-
opérateurs) et les transporteurs ;
- l'appropriation des lieux par les bazaristes,
restaurateurs, commerçants et antiquaires ;
- le contrôle des autres territorialités, la maîtrise de
l'espace et l'arbitrage, par les autorités locales et la
brigade touristique ;
- l'aménagement, le développement et la
protection par les collectivités territoriales.
DES TERRITORIALITÉS MAL ARTICULÉES ET
CONCURRENTIELLES AU BLOCAGE DU
SYSTEME TOURISTIQUE ?
La diversité des acteurs à Marrakech nous
présente la ville sous forme d'une sphère pleine
d'enjeux, de logiques, de moyens et d'actions qui
sont utilisés par les acteurs du tourisme pour
édifier leurs territoires. Si cette réalité est normale
dans un processus de construction territoriale, la
sous-évaluation des rapports de l'acteur au
système, la disparité des projets, l'absence du
savoir-faire en matière du travail collectif peuvent
facilement devenir anormales et créer des
territorialités mal articulées. Dans ce cas, les effets
peuvent être néfastes et entraîner un climat de
tensions, d'enjeux, de rivalités et de
dysfonctionnements voire un blocage du système touristique.
Petits enjeux et rivalités, ou le parasitage de
l'activité touristique
La politique menée par l'État dans le domaine
touristique n'a pas été en mesure d'assurer les
ajustements nécessaires. Un vide juridique
flagrant en matière d'organisation et de régulation
d'une part et un arsenal de textes juridiques
inadaptés à la dynamique socio-professionnelle
d'autre part ont poussé à improviser des solutions
ponctuelles, engendrant corrélativement
davantage de dysfonctionnements.
De ce fait, et à chaque niveau, rivalités et éléments
perturbateurs sont repérables.
- Dans le domaine de la formation des ressources
humaines, au moins cinq intervenants opèrent
dans le secteur du tourisme le Ministère du
Tourisme (écoles, instituts et centres), le Ministère
:
du travail et de la formation professionnelle (Office
de la formation professionnelle et de la promotion
du travail), le Ministère de l'éducation nationale,
l'Armée (formation "restauration" pour les appelés
du service militaire) et le secteur privé (multiples
institutions). Leurs actions de formation sont
caractérisées par un chevauchement des
compétences. Les stagiaires de l'ensemble de ces
opérateurs submergent le marché du travail et
brisent la politique publique d'aide apportée au
privé pour insérer les chômeurs (programmes professionnels et responsables
action-emploi). administratifs qui ont participé
de près ou de loin à
- S'agissant des petits conflits professionnels, la l'élaboration de ce travail.
situation des guides est exemplaire. On peut, à ce
propos, relever quatre types de conflits
* conflit intellectuel opposant les guides diplômés
:
aux guides sans diplôme ;
* conflit politique selon l'appartenance aux
différents partis politiques ;
* conflit d'appartenance géographique opposant
les originaire de la ville et les arrivants par
affectation du Ministère du Tourisme ;
* conflit opposant le secteur formel (guides
officiels) au secteur informel (faux-guides).
* conflits inter-professionnels opposant les
bazaristes aux hôteliers à propos du statut des
"bazars" ou des "boutiques d'exposition" dans les
hôtels.
Enjeux et conflits de grande envergure, facteurs
de blocage de l'activité touristique
Malgré la complémentarité théorique des intérêts
entre les différents acteurs, il existe des niveaux de
conflits et de blocages.
Un premier niveau de conflit concerne la
circulation de l'information et de la communication.
Face à une multitude d'acteurs dont les stratégies
et les enjeux convergent et divergent sans cesse, il
n'existe pas de vrai cadre de régulation ; l'État est
incapable soit de gérer ce domaine très convoité,
soit de jouer le rôle d'arbitre. Par ailleurs, aucun
cadre de communication ne permet la fluidité de
l'information (celle-ci est souvent brouillée,
camouflée ou arrive déformée). L'incapacité et
l'incompétence des acteurs à dresser des ponts
communicationnels, susceptibles de faire émerger
réellement les éléments de convergence, édifient
"des territoires qui s'ignorent" (Boujrouf S. et
Giraut F., 2000). Cette absence handicape toute
synergie, condition sine qua non à tout
développement à Marrakech.
Un deuxième niveau de blocages se cristallise
autour des conflits de compétence, nécessitant
parfois un arbitrage. L'exemple type est celui des
collectivités territoriales. Marrakech se trouve
subitement, lors du découpage de 1992, divisée en
entités administratives emboîtées les unes dans
les autres. La ville serait ainsi gérée par différentes
instances dont les compétences sont souvent
imbriquées et parfois contradictoires sur le même
espace urbain. Il s'agit de la région, de la
communauté urbaine, de 3 préfectures et de 5
municipalités. La question de la restauration des
remparts de la médina de Marrakech illustre
parfaitement ce conflit. Les remparts relèvent de
trois municipalités aux couleurs politiques rivales,
au potentiel financier différent et aux dispositifs
touristiques distincts. Une partie des remparts est

2 - Le montant des dettes
contractées par les opérateurs
de Marrakech auprès de cet
établissement représente près
de 37% de l'ensemble des
dettes du secteur à l'échelle
du pays (Ministère Chargé de
la Population, Aperçu sur le
secteur du tourisme dans la
wilaya de Marrakech, 1996).
Acteurs et territoires touristiques de Marrakech
restaurée tandis que l'autre est toujours dégradée.
Les collectivités n'hésitent pas à se retirer à chaque
fois qu'il s'agit d'un domaine de dépense ambigu.
Le responsable direct de la restauration des
monuments est la délégation de la culture puisque
c'est elle qui encaisse les recettes. Mais le manque
de vraie déconcentration administrative fait que le
Ministère de la Culture utilise ces recettes selon
des priorités qui concernent d'autres localités du
Maroc. La ville aujourd'hui réclame l'unité de son
espace pour éliminer ou, du moins, diminuer les
conflits de compétence et éclairer le rôle des
acteurs qui fait quoi ? pourquoi le faire ? quelle
est l'instance légitime ?
:
Un troisième niveau de blocage renvoie aux
marges de manœuvre de chaque acteur dont les
limites expriment un certain manque de créativité,
d'initiative et d'innovation. Le manque d'un vrai
professionnalisme provoque ainsi des conflits
stériles. Une bonne partie des promoteurs sont en
effet de nouveaux parvenus, incapables de
prendre les décisions radicales nécessaires du fait
de l'origine douteuse de leurs capitaux. Il s'agit
d'un type d'acteurs appelés communément, au
Maroc, les "Bou Choukara" c'est-à-dire "l'homme à
la sacoche" ; ces spéculateurs investissent leurs
capitaux dans tout secteur rentable à court terme,
loin de tout professionnalisme et de toute
transparence.
Un quatrième niveau de blocage se situe enfin
autour des conflits d'intérêt entre les acteurs à
propos des perspectives de développement de
l'activité touristique de la ville. Ces conflits se
regroupent autour de deux axes
:
- un premier concerne les hôteliers dont le souci
est l'amélioration du taux de remplissage des
unités hôtelières déjà existantes. L'argumentation
avancée présente ces acteurs comme les "bouc
émissaires" de l'activité touristique. Ils supportent,
en effet, une longue liste de charges salariales et
fiscales tout en étant confrontés aux problèmes
d'amortissement et d'endettement. Les impayés
des hôteliers ont ainsi provoqué de graves
problèmes avec le Crédit immobilier et hôtelier
(CIH)2. A leurs yeux, le développement passe par
la diversification des produits et l'amélioration de
la qualité des services pour combler le vide de la
basse saison.
- un deuxième concerne les agences de voyage
qui réclament l'extension de l'espace touristique
malgré le manque de réserves foncières. Les
arguments avancés se cristallisent sur la question
du déficit du remplissage durant la haute saison,
qui bénéficiera toujours aux pays concurrents. Il
s'agit donc d'un manque à gagner qu'il faudrait
bien récupérer par le développement du parc
d'hébergement.
VOL 76 2/2001 95
COMPLEXITE TERRITORIALE ET DYNAMIQUES
EN COURS
L'espace urbain est un espace complexe dans la
mesure où sa structure et son organisation
nécessitent la présence de plusieurs acteurs qui,
en principe, devront travailler en coordination et
en coopération. La complexité atteint encore des
niveaux supérieurs en présence de conflits et de
désarticulations territoriales, nuisant au
développement touristique de la ville.
Système et mobilité d'acteurs
Dans un système d'acteurs, les enjeux sont
identifiables et les décisions mesurables. Or les
acteurs vivent des situations différentes selon les
rapports de force. Leurs comportements sont
offensifs pour améliorer leurs situations et
défensifs pour bénéficier d'une marge de
manœuvre accrue. Dans le premier cas, il peut y
avoir des individus "intelligents" et/ou "malins" qui
comprennent les règles du jeux et profitent de leur
capacité à surmonter les difficultés. Dans le
deuxième cas, il arrive que des individus ne
résistent pas et perdent leur place au sein du
système. Celui-ci devient, alors, "expulseur" des
éléments faibles, bien que "l'homme garde
toujours un minimum de liberté et qu'il ne puisse
s'empêcher de l'utiliser pour battre le système"
(Crosier et Friedberg, p. 42). Les individus peuvent
donc consolider leur place, quitter le système, ou
changer de lieu, de fonction et de position s'ils y
restent. A ce propos, on observe une multitude
d'itinéraires fort différents
- des guides deviennent bazaristes. S'il a le pouvoir
:
de créer des itinéraires au sein de la ville et de faire
visiter aux touristes les bazars qui paient le plus, le
guide peut, dans plusieurs cas, diversifier ses
activités pour aller faire d'autres activités plus
rentables comme, par exemple, devenir bazariste
pour profiter du milieu "bien maîtrisé" ;
- des animateurs deviennent hôteliers ;
- des agents de voyage deviennent transporteurs ;
- des directeurs d'hôtel deviennent agents de
voyage...
Des dynamiques en cours l'architecture
traditionnelle en décadence
Dans un schéma traditionnel de production
touristique, l'agence de voyages est le point
d'articulation entre différents prestataires de
service. Elle est l'intermédiaire au niveau local
entre les voyagistes et les prestataires du service
sur place (hébergement, restauration, transport,
animation et autres). L'agence devrait donc
assurer le bon déroulement de la consommation
des produits, traduisant la coordination et la
confiance des opérateurs. Or l'agence est,
actuellement, en passe d'être court-circuitée par le
développement spectaculaire des moyens de
96 VOL 76 2/2001 Acteurs et territoires touristiques de Marrakech
communication. Sa commission normale est
dorénavant partagée entre les Т.О., les voyagistes
d'une part et les prestataires de service sur place
d'autre part.
Ces mobilités et ces changements d'itinéraires
professionnels affectant la structure ne sont pas
sans risque. Le marché touristique est en train de
glisser, progressivement et partiellement, vers une
"économie souterraine" ou parallèle :
- les riadset les maisons traditionnelles deviennent
de plus en plus des maisons d'hôtes (environ 400).
Elles sont aujourd'hui environ 150 à être
commercialisées auprès des touristes (statistiques
officielles). Cette commercialisation s'effectue en
absence de toute réglementation concernant le
respect de l'environnement local dans une ville
classée patrimoine ^ondi n l'absence de tout
classement et ae L cevances aux
collectivités et à l'État. La speculation foncière se
développe. Ce nouveau mode d'hébergement
touristique intégré aux quartiers résidentiels est en
train de reconstituer les itinéraires touristiques à
l'intérieur de la médina et d'imposer un certain
niveau d'équipements dans les ruelles longtemps
restées marginalisées ;
- les bazaristes, les guides, les faux-guides, les
agences, les voyagistes, réalisent des fortunes
incontrôlées au détriment de l'État et du touriste ;
- pour l'État, ils contrôlent le marché noir de la
vente de devises, font de fausses déclarations
d'impôts. Cette situation prive le budget de l'État
de recettes colossales ;
- pour le touriste, tous les types de commissions
"Jaaba" sont payées et ce, à toutes les étapes des
circuits où il passe. La commission est un bakchich
négocié à l'avance par les prestataires du service
touristique (bazaristes, guides, agences de voyage,
voyagistes...) qui s'applique aux produits achetés
par le touriste dans les boutiques et bazars. Le
touriste est inséré alors dans l'un des réseaux
concurrentiels où la commission joue le rôle de
ciment qui lie les individus de chaque réseau. Les
négociations concernant la commission tournent
autour du pourcentage que recevra chacun des
partenaires et peuvent commencer dès l'arrivée
d'un groupe de touristes à l'aéroport voire lorsqu'il
est encore dans son pays d'origine3. Ces réseaux
se composent et se décomposent sans cesse en
fonction de cette fameuse commission. Par
ailleurs, le touriste facilite la tâche de ces réseaux
trésor"
dans la d'Ali
mesure
Baba.où il cherche lui aussi à trouver "le
Conclusion
Deux grands constats apparaissent :
- le premier concerne la diversité des acteurs du
tourisme à Marrakech et des missions qu'ils
remplissent ;
- le deuxième est l'absence de vrais mécanismes
de coordination et de concertation entre ces divers
acteurs, renvoyant à un système territorial 3 - Cf. "Suite à la confirmation
touristique mal articulé et traversé de tensions par le PDG de FRAM de
et/ou de conflits. Il s'agit d'une sorte de l'encaissement de
"bakanisation de l'organisation du tourisme" "commissions" auprès des bazars et
(Hazebroucq J.M., p. 58) qui peut bloquer le restaurants lettre ouverte à
système. Quelles que soient les justifications de Monsieur Georges COLSON
:
chaque type d'acteurs, le prix à payer excède Président Directeur Général,
largement ce qu'on peut estimer ou imaginer, La Vie Touristique Africaine,
mettant en cause le développement de leurs n°666, 15/04/2001.
territoires, de leur ville et, au-delà, celui de leur
pays.
Le tourisme, on le sait, crée des espaces
touristiques. Il génère aussi ses acteurs qui sont,
par nature, compétents pour édifier et défendre
leurs territorialités. Pour le bon fonctionnement du
système touristique ces acteurs devraient se
concerter et utiliser leur marge de liberté pour
bien agencer leurs espaces de mobilisation et
éviter le blocage qui ramène soit à la décadence
du système, soit à la disparition, à la (re)naissance
et au renforcement des acteurs. Cela passe par
l'existence de vrais lieux de dialogue et
d'arbitrage. Si la "coalition des hommes" doit
résoudre les problèmes, leurs réponses
comportent généralement une part d'incertitude
qu'il faut reconnaître.
La gestion rigoureuse des territoires touristiques
de Marrakech exige dorénavant une bonne
"gouvernance" qui impliquerait sciemment tous
les acteurs. Si ces derniers essayent, tant bien que
mal, de s'organiser, de chercher un cadre
d'arbitrage et de régulation..., il serait encore plus
judicieux de ne plus considérer le touriste comme
un simple passager ou un simple consommateur
de l'espace touristique, mais de l'impliquer dans
cette bonne gestion en tant que véritable
partenaire.
BIBLIOGRAPHIE
BELLAOUI A., 1994, Marrakech, des villes dans la
ville, in Atlas Marrakech, Imp.Tinmal, n°2, p. 2-37.
BERRIANE M., 1999, La géographie du tourisme
au Maroc essai de synthèse sur l'état de la
recherche, in Actes du colloque "Le tourisme au
:
Maghreb : diversification du produit et
développement régional et local", colloques et séminaires
n°79, Rabat, Faculté des Lettres, p.13-26.
BONNET J., 1997, Aménagement et gestion des
territoires, in Colloque de la section 39 du CNRS :
"Espace, territoires et sociétés, les recherches en
perspectives", p. 11-15.
BOUJROUF S., HASSANI EM., 1995, La
sauvegarde des médinas au travers des discours et des
actions communaux au Maroc, l'exemple de la
médina de Marrakech, Actes du 8e colloque de
Sefrou, p. 124- 135.
 Acteurs et territoires touristiques de Marrakech
BOUJROUF S., 1996, Nouvelles formes
d'occupation de l'espace touristique de la ville de
Marrakech, Méditerranée, 84, 3, Tourisme et
loisirs, p. 27-32.
BOUJROUF S., GIRAUT F., 2000, Des territoires qui
s'ignorent? Dichotomie entre territoires
administratifs et espaces de mobilisation au
Maroc, Montagnes Méditerranéennes, n°12, p. 61-
69.
BRUNET R. 1997, Raisons de géographe, T.1 et 2,
Paris, Belin, 638 p.
CROSIER M., FRIEDBERG E., 1977, Uacteur et le
système, Paris, Le Seuil, collection Points, 500 p.
DELEGATION DU MINISTERE CHARGE DE LA
POPULATION, 1996, Aperçu sur le secteur du
tourisme dans la wilaya de Marrakech, Marrakech,
27 p.
ELIAS N., 1987, La société des individus, traduit de
l'allemand par ETORE J., Paris, Fayard, 301 p.
FEDERATION DU TOURISME, 2000, Le tourisme :
une vision, un défi, une volonté, Contrat
programme 2000-2010, 102 p.
FOURNY M.C., 1990, Les acteurs locaux du
tourisme dans le Beaufortain, in "Le
développement local dans les montagnes intermédiaires",
Grenoble, Les dossiers de la Revue de Géographie
Alpine, n°5, p. 39-42.
Adresse de l'auteur
Said BOUJROUF
Département de Géographie
Faculté des Lettres
Marrakech (Maroc)
boujrouf@hotmail.com
VOL 76 2/2001 97
GIRAUT F., VANIER M., 1999, Plaidoyer pour la
complexité territoriale, in F. GERBAUX (dir.),
Utopie pour le territoire : cohérence ou
complexité ?, La Tour d'Aiguës, Ed. de l'Aube,
p. 143-172.
HAZEBROUCQ J.M., 1999, Management des
projets de tourisme et de loisirs, Europe Gaétan
Morin éditeur, 375 p.
KNAFOU R., 1989, L'inégale territorialisation des
populations et les conflits d'intérêts dans les
espaces touristiques montagnards, Klagenfurter
Geographische Schriften, Heft 9, UGI, Autriche,
1989, p. 111-115.
LAJARGE R., 1997, Acteurs, sciences sociales et
géographie, questionnement, Montagnes
Méditerranéennes, n°5, p. 73-75.
La Vie Touristique Africaine, n°666, 15/04/2001.
LEVESQUE A., 1993, Partenaires multiples et projet
commun, Paris, l'Harmattan.
NEMERY J-C, WATCHER S., 1995, Gouverner les
territoires, La Tour d'Aiguës, Ed. de l'Aube, 206 p.
SEDJARI A. (dir.), 1997, La revanche des territoires,
Rabat, L'Harmattan-Gret, 316 p.
VIOLIER Ph. (dir.), 1999, L'espace local et les
acteurs du tourisme, Coll. Espace et territoires,
Presses universitaires de Rennes, 1999, 177 p.