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Tracés. Revue de Sciences


humaines
14 | 2008
Consentir : domination, consentement et déni
Articles

L’aliénation dans l’enseignement de


Jacques Lacan. Introduction à cette
opération logique et à ses effets
dans la structure du sujet
Sophie Genet
p. 153-173
https://doi.org/10.4000/traces.383

Résumé
En 1964, Jacques Lacan introduit dans la théorie de la psychanalyse la logique de l’aliénation
ou choix forcé. Cette opération préside au fondement du sujet de l’inconscient qui, d’en
passer par le champ de l’Autre, n’a d’être que divisé par le signifiant. Les effets de cette
aliénation se retrouvent dans les structures de la névrose et de la psychose, dont elle
détermine les symptômes. Refoulement et forclusion ont été définis par Sigmund Freud à
partir d’un jugement primordial. Lacan formalise cet enseignement en accordant le primat
au symbolique, c’est-à-dire au langage.

Texte intégral
1 En 1964, alors qu’une opposition virulente au sein de la communauté
psychanalytique le prend à partie et le déloge du lieu où il enseigne depuis
plusieurs années, Jacques Lacan reçoit l’hospitalité de l’école normale supérieure.
Comme il est accueilli par un auditoire accru, rajeuni, moins acclimaté à la clinique
freudienne qu’à la pensée philosophique, Lacan décide de reprendre un par un Les
quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse – l’inconscient, la répétition, la
pulsion et le transfert – pour montrer en quoi la praxis psychanalytique subvertit le
sujet moderne du savoir et intronise le sujet de l’inconscient. Mais, cette
nomination soulève la question du statut ontologique de ce sujet qui, de parler,
produit un savoir dont les termes lui échappent. Pour exemple : plus j’insiste dans
la dénégation – ce n’est pas de ma mère dont j’ai rêvé –, plus j’affirme que c’est bien
par la présence, sur fond d’absence, de ce signifiant mère, tombé là comme par
hasard, que mes pensées s’agencent en un dit. Pis, à proclamer avec force que cette
horrible mégère ne peut être ma mère, c’est mon propre message, boomerang à la
trajectoire parfaitement déterminée, qui me revient sous une forme inversée : je
suis ton fils, mégère ! À moins que ce ne soit l’injonction – Tu es ma mère,
mégère ! – qui commande la mise à mort : Tuez ma mère, mégère ! Et, pourquoi
pas, le lourd reproche d’une vie gâchée : Tu hais, ma mère, et j’erre… Ainsi, sous la
demande faite à l’Autre de reconnaître mon innocence de sujet – je n’ai jamais
pensé des choses aussi terribles sur ma mère ! –, émerge, de mes chaînes
associatives, une vive tromperie1.
2 L’acte par lequel, dans la situation psychanalytique, l’Autre suspend la réponse
qui viendrait garantir au sujet la vérité du savoir qu’il croit détenir sur sa personne,
ne peut toutefois pas se comprendre sans la fonction de la coupure. Cette scansion,
en poinçonnant d’une ponctuation nouvelle la chaîne du discours, libère des
énoncés inattendus. Grâce aux signifiants advenus par surprise, le sujet se déleste
de ce savoir-ci pour nouer un rapport, tout autant provisoire, avec ce savoir-là,
surgissant d’un côté pour disparaître ailleurs. Il circule d’un signifiant à l’autre, se
faisant représenter par l’un pour un autre, soumis à l’impossibilité de se ranger
sous la bannière d’un signifiant ultime qui lui donnerait la clé de son être. En
somme, sa vérité restera toujours mi-dite2 : « La psychanalyse, donc, nous rappelle
que les faits de la psychologie humaine ne sauraient se concevoir en l’absence de la
fonction du sujet défini comme l’effet du signifiant. » (Lacan, 1973, p. 188) Tout
comme ils ne sauraient se concevoir sans la dimension du champ de l’Autre, lieu où
se produit le signifiant sous la dépendance duquel le sujet vient à se réaliser.
3 L’utilisation par Jacques Lacan des notions de « dimension », « champ » ou
« lieu », pour désigner ce qu’il en est de cet Autre, s’appuie sur une topologie où le
processus de circularité ayant cours entre le sujet et l’Autre engendre une béance
fondamentale. Dans cette perspective, on ne saurait établir une relation de
réciprocité entre ces deux termes, puisque l’Autre n’est pas le semblable réduit,
dans une situation quelconque, à une consistance unifiée, mais illusoire.
4 Ce préalable indique en quoi l’élaboration lacanienne nous conduit sur le terrain
d’une logique visant à dégager la psychanalyse d’une conception psychologique ou
sociologique des relations humaines, essentiellement appréhendées par le biais de
l’individu et de ses interactions au sein d’un groupe. Aussi, quand Lacan propose de
nommer aliénation ou choix forcé l’opération qui préside à la naissance du sujet
sous la domination du signifiant, ce n’est pas sans chercher à se tenir à distance
d’un certain discours théorique alors en voie d’expansion :

Cette aliénation, mon Dieu, on ne peut pas dire qu’elle ne circule pas de nos
jours. Quoi qu’on fasse, on est toujours un petit peu plus aliéné, que ce soit
dans l’économique, le politique, le psychopathologique, l’esthétique, et ainsi de
suite. Ca ne serait peut-être pas une mauvaise chose de voir en quoi consiste la
racine de cette fameuse aliénation. (1973, p. 191)

5 Il est fort probable, à situer ce constat dans son contexte historique, que l’ironie
de Lacan prenne ici pour cible, sans toutefois les citer, les penseurs freudo-
marxistes dont les idées, après avoir connu un important essor outre-Atlantique, se
diffusent au même moment en Europe. Tel est le cas d’Herbert Marcuse qui, dans
son essai Eros et civilisation, interroge la « philosophie de la psychanalyse » (1963,
p. 18) : celle-ci prône-t-elle une libération de l’homme, soumis à l’exploitation des
institutions répressives de la société industrielle, ou le pousse-t-elle plutôt à
accepter cette aliénation ? La psychanalyse, doctrine révolutionnaire ou idéologie
bourgeoise3 ?
6 La question touchant à la finalité de la psychanalyse reste centrale pour Jacques
Lacan. Cependant, pour y répondre, il détourne l’aliénation de son usage habituel et
l’élève au rang d’opération logique. Comme nous le verrons dans un premier temps,
cette aliénation est un vel tout à fait particulier qui pose nécessairement le sujet
devant le choix de se soumettre aux lois et aux effets du signifiant, choix forcé donc,
duquel résulte, comme pour tout choix, une perte. Dans un second temps, nous
préciserons en quoi sa validité opératoire ne se vérifie que dans un après-coup. En
effet, il faut que le choix soit effectué, et la perte constituée, pour que l’on puisse
affirmer que le sujet est advenu en tant que sujet de l’inconscient, c’est-à-dire qu’il a
consenti à accéder au langage, à se laisser diviser par lui.

L’aliénation ou choix forcé


L’aliénation consiste dans ce vel, qui – si le mot condamné n’appelle pas
d’objections de votre part, je le reprends – condamne le sujet à n’apparaître
que dans cette division, […] s’il apparaît d’un côté comme sens, produit par le
signifiant, de l’autre il apparaît comme aphanisis4. (Lacan, 1973, p. 191)

7 La logique classique distingue deux acceptions du vel, autrement dit de la fonction


qui s’écrit avec l’opérateur « ou ». La première, dite exclusive, impose l’obligation de
choisir entre deux alternatives, tandis que la seconde, inclusive, signifie soit l’une
des alternatives, soit l’autre, soit les deux. Lacan introduit une troisième acception,
le vel aliénant, qu’il illustre d’un exemple propre à éveiller l’attention de chacun : la
bourse ou la vie ! « Si je choisis la bourse, je perds les deux. Si je choisis la vie, j’ai la
vie sans la bourse, à savoir une vie écornée. » (1973, p. 193) Bien que dans les deux
cas, le choix induise une perte, il n’y aura pas de commune mesure entre ce qui
sera perdu dans l’éventualité où je me prononcerais pour la bourse et dans celle où
je me prononcerais pour la vie.
8 Pour représenter ce vel, Lacan utilise les cercles d’Euler et une opération de la
logique symbolique, la réunion. Le schéma n° 1 montre que, si je choisis l’ensemble
« bourse », je perds tout. Mais si je choisis l’ensemble « vie », il subsiste le cercle, qui
contient les éléments de la vie, amputé de la demi-lune centrale où se trouvent les
éléments communs aux deux ensembles, la part de ma bourse dans ma vie. En
résumé, et c’est ce qui définira ce vel, quel que soit le choix qui s’opère, la
conséquence sera de l’ordre d’un ni l’un, ni l’autre. Reste donc à savoir, puisque
l’autre partie disparaîtra inévitablement, sur laquelle portera le choix.
Schéma n° 1

9 Lacan propose de formaliser par un schéma similaire (schéma n° 2) le vel « de la


première opération essentielle où se fonde le sujet » (1973, p. 191) lors de sa
confrontation à l’Autre, au lieu du signifiant, communément investi par la mère.

Schéma n° 2

10 Ce vel s’énonce de la façon suivante : l’être (le sujet) ou le sens (l’Autre).


Examinons les conséquences de ces deux options :
11 Si le choix porte sur l’être, la perte comprendra à la fois l’Autre, la voie du
signifiant, et l’entrecroisement des deux cercles. Or, du fait de la rognure qu’elle
appose sur la partie de l’être, le sujet échappera aussitôt, tombant dans ce qu’il faut
bien appeler un non-sens. Si le choix porte sur l’Autre, la partie de l’être disparaîtra,
mais il subsistera le sens écorné de la partie du non-sens qui, selon Lacan,
« constitue, dans la réalisation du sujet, l’inconscient » (1973, p. 192).
12 En d’autres termes, ce vel fondateur conduit inévitablement le sujet – il n’a pas
d’autre choix que celui d’en passer par le sens – à surgir, représenté par un premier
signifiant (ou signifiant unaire), d’abord dans le champ de l’Autre. Cependant, le
signifiant dont il se saisit pour exister (n’importe quel signifiant pris dans le lieu de
l’Autre pourra venir occuper cette fonction logique de signifiant unaire, que Lacan
écrit S1) ne lui donnera en aucun cas une signification quant à son être5. Il viendra
le représenter par un autre signifiant (ou signifiant binaire, S2), lequel a pour effet
son aphanisis, la disparition du premier signifiant. D’essence aliénante, le couplage
primitif S1-S2 amorce le défilé des signifiants à travers lequel le sujet divisé
cherchera, en vain puisqu’il est causé par la structure même de l’articulation
signifiante, l’unité de son être.

Dans un champ d’objets, aucune relation n’est concevable qui engendre


l’aliénation, sinon celle du signifiant. Prenons pour origine cette donnée
qu’aucun sujet n’a de raison d’apparaître dans le réel, sauf à ce qu’il existe des
êtres parlants. Une physique est concevable qui rende compte de tout au
monde, y compris de sa part animée. Un sujet ne s’y impose que de ce qu’il y
ait dans le monde des signifiants qui ne veulent rien dire et qui sont à
déchiffrer. (Lacan, 1966, p. 840)

13 Dans cette opération de l’aliénation, Lacan accorde la primauté au signifiant (la


parole doit régner quelque part pour que l’enfant puisse parler) bien que, précise-t-
il, le sujet « s’y impose » (1966, p. 840). Comment, dès lors, concevoir le paradoxe de
ce choix, qui est un faux choix, mais qui appelle le consentement du sujet ?
14 Avant d’entrer dans cette problématique complexe, il convient de présenter
l’opération logique qui boucle ce mouvement circulaire de la relation du sujet à
l’Autre, dont nous avons déjà mentionné le caractère asymétrique. Pour désigner
cette deuxième opération, Lacan utilise le terme de séparation. Sa caractéristique
est de procéder de l’intersection, c’est-à-dire qu’elle est constituée par les éléments
appartenant à l’un et à l’autre des ensembles. Ce second temps succède à
l’aliénation, car il s’origine dans l’intervalle qui, au sein d’une chaîne signifiante,
sépare deux signifiants entre eux. Si deux signifiants sont nécessaires pour que
l’aliénation soit efficiente, comment spécifier ces signifiants autrement que par leur
différence ? Certes ils se combinent l’un à l’autre, mais un espace subsiste dans
l’entre-deux qui participe de la définition même du signifiant. Or, c’est là que vient
se glisser un manque. Il me dit ça mais qu’est-ce qu’il veut ? Comme l’explique
Lacan, cette interrogation typique dans l’expérience de l’enfant témoigne du fait
que celui-ci, interpellé par le discours de l’adulte, cherche dans les inter-stices de ce
discours, à appréhender ce qui, « tel le furet » (1973, p. 194), fuit dans les dessous :
le désir de l’Autre.

C’est dans l’intervalle entre ces deux signifiants [le couple primitif du vel
aliénant] que gît le désir offert au repérage du sujet dans l’expérience du
discours de l’Autre, du premier Autre auquel il a affaire, mettons, pour
l’illustrer, la mère en l’occasion. C’est en tant que son désir est au-delà ou en
deçà de ce qu’elle dit, de ce qu’elle intime, de ce qu’elle fait surgir comme sens,
c’est en tant que son désir est inconnu, c’est en ce point de manque que se
constitue le désir du sujet. (1973, p. 199)

15 Parce qu’il lui apparaît sous la forme d’une énigme, le désir de la mère engendre
le désir du sujet, à l’horizon duquel se profile une interrogation sur l’objet
susceptible de le combler. Ce n’est pas tant d’un défaut de compréhension du sens
du discours que provient le vertige, que d’un suspens quant à sa signification : quel
objet suis-je pour elle, lorsqu’elle me demande de me laisser nourrir, qu’elle me
scrute de son regard ou qu’elle se plaint de l’odeur de mes excréments ? À cette
énigme du désir parental, l’enfant répond par une sorte de torsion, puisqu’il fait
intervenir le manque de l’opération antécédente relatif à sa propre disparition (ou
aphanisis) : peut-il me perdre ? Le fantasme de sa propre perte ou de sa mort,
couramment brandi par la suite dans les relations d’amour qu’il entretiendra avec
ses parents, correspond ainsi au premier objet que le sujet met en jeu dans la
dialectique du désir. La clinique de l’anorexie mentale donne à entendre, dans
l’une de ses versions les plus radicales, la consistance de ce fantasme : sa réalisation
ultime suppose, en effet, la mort du sujet qui cesse de s’alimenter.
16 Au joint de ces deux désirs se creuse ainsi une place où l’enfant, pour donner un
support à sa propre perte, déposera des objets détachés de son corps. Ces objets
pulsionnels (sein, fèces, voix, regard) lui permettront, selon l’équivoque dont use
Lacan, de se séparer et de se parer, dans le sens de se défendre. Mais, pour que ce
mécanisme puisse s’enclencher, il faut qu’une coupure instaure un phénomène de
bords entre les deux signifiants originaires car, pour peu que ceux-ci émergent
solidifiés en une masse compacte, l’ouverture du sujet à cette dialectique sera
fortement entravée. Cette situation constitue, pour Gabriel Balbo et Jean Bergès, un
des modes d’entrée dans la psychose chez ces enfants chez qui « jusqu’à 6 mois tout
était bien » (2001, p. 45) :

La mère demande en effet à l’enfant de satisfaire ses besoins. Le fait qu’elle


exclue toute demande chez lui confère à sa propre demande la propriété d’être
extra-langagière, […] de ne porter qu’un message de besoin. […] Cette demande
revient donc à celle de se taire : je lui dis ma demande, et je m’en vais. Ce qui
reste de ceci dans le comportement courant, c’est : « On ne parle pas la bouche
pleine », ou : « On ne parle pas à table », contrainte à se taire où la satisfaction
d’un besoin doit être payée du prix de s’exclure du langage. (2001, p. 45)

17 C’est à cette question des effets de l’aliénation que nous allons, maintenant, nous
intéresser. Comme nous l’avons dit, ce choix qualifié par Lacan de « forcé » relève
du paradoxe, puisqu’il impose au sujet d’en passer par les signifiants de l’Autre. Or,
en soumettant le sujet aux lois de la parole et du langage, cette opération détermine
aussi les rapports du sujet à son symptôme. Nous tenterons ainsi de montrer ce qui
distingue, en termes de structure, la névrose de la psychose.

Les effets de l’aliénation


18 Pour Jacques Lacan, l’aliénation désigne la première opération logique grâce à
laquelle se fonde le sujet mais dont on ne peut que constater les effets dans l’après-
coup, c’est-à-dire dans ce qu’elle induit comme « positions subjectives de l’être »
(1973, p. 223).
19 La conséquence principale de ce vel, pour autant que le choix ait porté sur le
sens, concerne la division subjective qui se définit de la façon suivante : lorsque le
sujet apparaît quelque part – au niveau du signifiant unaire – comme sens, il
disparaît ailleurs – au niveau du signifiant binaire – comme non-sens. Ainsi, ce
second signifiant porte la mort du sujet, son impossibilité d’en passer par le sens
pour accéder à une signification complète de son être. Ce signifiant, dès lors qu’il
emporte avec lui la part chue de l’être, constitue, selon Lacan, le point central du
refoulement originaire, de l’Urverdrängung freudien, et le point d’attrait par où
seront possibles tous les autres refoulements.
20 Pour illustrer une manifestation de la division subjective, suivons le déroulement
d’une séance de thérapie psychanalytique. Tom (12 ans) se plaint d’avoir du mal à
lire et à écrire. Dans le même temps, il s’affaire en dessinant un drapeau sous
lequel il note le nom d’un pays, le « Mali », qu’il prononce à plusieurs reprises. Il y a
là quelque chose de curieux, parce que Tom n’a aucun lien avec ce pays. Pourtant,
lorsque je reprends à haute voix cette inscription, une équivoque signifiante
émerge : le mâle lit / le mal lit. Le sourire de Tom montre qu’il n’est pas resté sourd
à cette lecture, mais elle semble le laisser indifférent. Il n’en veut rien savoir,
davantage préoccupé par son dessin : « Je veux ajouter “en force… le Mali en force”,
mais je sais pas comment ça s’écrit ! » Comme je lui suggère d’essayer, il écrit en fen,
et me demande de lire sa graphie. Ce que je fais : « enfant ». Cette fois-ci, sa
production l’interpelle directement, car elle le laisse suspendu à un non-sens
étrange : « Pourquoi j’ai écrit ça ? » Alors qu’il corrige en fen par en force, je
l’interroge : « Tom, qui vous traiterait encore comme un enfant, alors que vous
seriez en force ? » Sa réponse fuse : « Ma mère ». Je poursuis : « Mais qui lui aurait
mis ça dans la tête ? » Il hésite : « Je sais pas, mon père… Mais lui dirait jamais ça ! »
Le signifiant en force a ainsi ouvert la voie pour que le second signifiant en
fen / enfant, refoulé, fasse son apparition. Celui-ci indique ce qu’est Tom pour sa
mère, quand il l’entend dire de lui : « Cet enfant lit mal ». En classe, il s’efface sous
cet énoncé maternel, sa tête se vide, car celle de sa mère reste pleine : elle sait.
Cependant, le signifiant enfant ne dit pas tout de l’être de Tom. Bien au contraire, il
le divise comme sujet, puisque son usage diffère selon le discours auquel il se
réfère. Cette différence traverse la phrase : « mon père… Mais lui dirait jamais ça ! »
qui pose, à Tom, la question fondamentale de son désir aux prises avec l’énigme du
désir de sa mère, comme de celui de son père6.
21 L’opération de l’aliénation, du fait qu’elle est logique et non psycho-logique,
permet de comprendre pourquoi Lacan qualifie également l’inconscient freudien
de logique. S’il est déterminé de cette façon, c’est qu’il ne doit être confondu ni avec
le lieu romantique des divinités obscures, ni avec l’imagination censurée qui, mise
au jour grâce à des jeux parfaitement codifiés, fascinait les surréalistes. Il n’est pas
plus constitué d’un symbolisme en attente d’un traducteur dont la technique,
semblable à celle des oniromanciens de l’Antiquité, procéderait par l’inscription
d’une équivalence arbitraire entre deux symboles : vous avez rêvé que vous buviez
une tasse de lait, ça signifie que vous voudriez que votre mère vous nourrisse. Il va
sans dire que, dans ce cas, le traducteur ne saurait questionner en quoi son savoir,
affreux et impérial, pourrait participer activement à ma noyade.
22 Soutenir, à l’instar de Jacques Lacan, que l’inconscient freudien est structuré
comme un langage suppose que les lois qui le régissent, parce qu’elles sont celles du
langage, produisent des effets dans les chaînes du discours. Cette position a souvent
été interprétée comme un coup de force théorique par rapport à l’enseignement
freudien. On retrouve, par exemple, cet argument sous la plume d’Alain Juranville,
lorsqu’il écrit :

[qu’]une vérification expérimentale [de l’inconscient], située par Freud dans la


cure analytique était essentiellement impossible, la seule possibilité de
démonstration était alors [pour Lacan] de déduire l’inconscient du langage. On
sait que c’est ce qu’a fait Lacan, en avançant le thème du signifiant. (2003,
p. 15)

23 Or, une lecture attentive des textes de Sigmund Freud atteste de son intérêt pour
l’articulation signifiante du discours, bien avant que celle-ci ne soit mise à l’ordre
du jour par la linguistique moderne. À preuve, le contenu de cette lettre adressée à
Wilhelm Fliess le 22 décembre 1897, au moment de ce qu’il convient d’appeler son
auto-analyse. Freud y présente le cas d’une jeune patiente qui, bien qu’arrivée au
terme de ses études de couture, est tourmentée par la représentation de
contrainte suivante : « Non, tu ne dois pas t’en aller, tu n’as pas encore fini, tu dois
faire encore plus, apprendre tout ce qui est possible. » (2006, p. 366) Par association
d’idées, la jeune fille raconte un souvenir d’enfance où, alors qu’elle est assise sur le
pot mais ne voulant pas y rester, s’impose à elle la même injonction : « Tu ne dois
pas t’en aller, tu n’as pas encore fini, tu dois faire encore plus. » (Ibid., 2006, p. 366)
24 Dans les explications qui accompagnent cette vignette clinique, Freud émet l’idée
que seul le mot faire jette un pont entre les deux situations, infantile et actuelle. De
plus, il affirme que cette représentation de contrainte, comme toute représentation
de contrainte, s’appuierait sur une « indétermination verbale particulière » (ibid.,
2006, p. 366) qu’elle déclinerait dans un réseau de significations multiples. Le mot
faire aurait, selon cette modalité, connu une transformation dans son utilisation :
« La représentation de contrainte fixée naît d’une telle interprétation fondée sur un
malentendu de la part du conscient. » (2006, p. 366) Mais, ajoute Freud, « il n’y a pas
là que de l’arbitraire » (ibid., 2006, p. 366) et, s’en remettant non sans humour au
« flair linguistique » (ibid., 2006, p. 366) de son ami otorhinolaryngologiste, il l’invite
à considérer les effets induits, dans le langage courant, par le procédé de
substitution d’un mot par un autre. Ce mécanisme ne serait-il pas à l’œuvre lorsque
certains mots se trouvent chargés de sens énigmatiques ? Pourquoi, par exemple, le
mot argent serait-il porteur d’une puanteur interne ? L’hypothèse linguistique de
Freud suggère que le mot schnuzig (sordide) aurait été remplacé par le mot geizig
(avare). En conséquence, une formation comme la représentation de contrainte,
appartenant au champ de la psychopathologie, pourrait, du fait de son mode de
fabrication, se révéler fort proche du processus grâce auquel « des mots prennent
une signification figurée dès que se présentent des concepts nouveaux ayant besoin
d’être désignés » (ibid., 2006, p. 367).
25 Notons d’abord comment, pour définir l’inconscient, Freud remet en cause
l’étanchéité, considérée alors par tous ses collègues neurologues comme
indiscutable, de la frontière entre le normal et le pathologique. Dans tous ses livres
fondateurs (L’interprétation des rêves, La psychopathologie de la vie quotidienne, Le
mot d’esprit et ses relations à l’inconscient), il ne varie pas, puisqu’il puise son
matériel de travail dans les phénomènes les plus banalement partagés : le rêve, le
lapsus, l’oubli de nom, l’acte manqué ou encore le mot d’esprit.
26 Attachons-nous, ensuite, à sa technique d’interprétation : il s’appuie, pour
interpréter les énoncés associatifs de quiconque (patient ou pas) lui rapporte ces
formations attribuées à l’inconscient, sur le déplacement et la substitution de mots,
la polysémie, les répétitions phonétiques. On remarquera, par exemple, qu’il ne
cherche pas à approfondir la signification de la contrainte obsédante. Il ne pose pas
à la patiente des questions du type : comment peut-on « apprendre tout ce qui est
possible » ? Sa recherche se concentre sur une pure analyse « linguistique » : quelle
relation existe-t-il entre les deux faire ? Il en déduit, ainsi, que ces deux mots – nous
dirions, aujourd’hui, signifiants – ne sont pas équivalents : on ne peut pas écrire
faire = faire. Elle relève plutôt d’un mécanisme de substitution – nous dirions,
aujourd’hui, métaphore – qui est le lieu de passage vers une autre métaphore : la
substitution des excréments par le savoir absolu (« tout ce qui est possible »).
L’élément substitué est tombé dans les dessous, il a chu dans l’inconscient. Freud
découvrira, de cette façon, l’incidence de la pulsion anale dans la sexualité
infantile7.
27 Pourrait-on, sans risquer une lecture tendancieuse de Freud, parler ici d’analyse
structurale du discours ? Lacan s’y autorise, affirmant qu’il aurait même anticipé
les recherches de Ferdinand de Saussure ou du Cercle de Prague (2001, p. 403),
lesquelles n’ignoraient pas la logique des stoïciens.
28 Sans doute n’est-ce pas tant dans l’utilisation des outils de la linguistique
structuraliste (signifiant, signifié, métaphore, métonymie…) qu’il convient de situer
le retour à Freud de Lacan (d’ailleurs, il se servira autant des apports de la logique
formelle ou de la mathématique des nœuds) que dans la formulation renouvelée
des enjeux de la pratique et de la théorie psychanalytique à partir des dimensions
du symbolique, de l’imaginaire et du réel. En effet, cette triade rend possible la
différenciation du sujet et du moi8 (1966, p. 592).
29 Pour Lacan, le sujet qui parle n’a pas d’être. Divisé par le signifiant, il relève du
symbolique. Cependant, dans sa rencontre avec ses semblables, il cherche à
conquérir une unité par l’intermédiaire du miroir que ceux-ci lui tendent : ce « moi.
Tout cru » (1966, p. 592) est captivé dans l’imaginaire, pris au filet des
identifications, grâce auxquelles il soutient son corps d’une consistance narcissique.
Le réel, à distinguer fortement de la réalité, est l’impossible qui résistera toujours
au sens, dès lors que le sujet aura accès à la symbolisation.
30 En définitive, le passage par le symbolique établit une ligne de partage. D’avancer
dans ce lieu, le sujet tombe sous le coup d’un ordre régi par des lois qui l’engagent
dans le lien social, comme dans ses choix sexués. Ces lois, Freud les a reconnues
dans le complexe d’Œdipe ou, ce qui est la même chose, dans l’interdit de l’inceste.
Désormais, le symptôme du sujet sera indéfectiblement noué aux signifiants qui
augurent de sa destinée, parce qu’il a été parlé à travers eux, avant même sa venue
au monde. Fils de…, petite-fille de…, beau ou stupide parce que…, sont autant de
déterminants sous le coup desquels le sujet aliène son existence.
31 Le refoulement dit « secondaire », ou Verdrängung, « c’est ce qui se passe quand
ça ne colle pas au niveau d’une chaîne symbolique » (Lacan, 1981, p. 97), quand la
cohérence interne d’une chaîne symbolique9 à laquelle le sujet est arrimé rencontre
un obstacle à cohabiter avec une autre chaîne tout aussi cohérente.

Alors nous refoulons, de nos actes, de nos discours, de notre comportement.


Mais la chaîne n’en continue pas moins de courir dans les dessous, à exprimer
ses exigences à faire valoir sa créance, et ce, par l’intermédiaire du symptôme
névrotique. C’est en quoi le refoulement est au ressort de la névrose. (Ibid.,
1981, p. 97)

32 Ce refoulement secondaire dépend de la mise en place du refoulement originaire,


ou Urverdrängung, apportant témoignage de sa réalisation. Il est à situer au
principe des formations de l’inconscient, directement liées aux effets du signifiant.
33 La dénégation, ou Verneinung, donne la possibilité à la chaîne symbolique
refoulée d’être admise dans le discours, à condition qu’elle soit frappée par la
marque de la négation. Il s’agit, d’après Freud, « d’une manière de prendre
connaissance du refoulé, de fait déjà une suppression du refoulement, mais certes
pas une acceptation du refoulé » (1985, p. 136). Pour cette raison, la dénégation
substitue, au refoulement, un jugement intellectuel.
34 Dans son article « La négation », Freud ouvre une discussion ayant pour but
d’examiner les critères de la décision rapportée au moi (Ich). Quels sont les ressorts
de ce jugement qui condamne une représentation, faute de pouvoir l’admettre sous
une forme affirmative ?
35 Tout d’abord, Freud opère une distinction entre deux jugements : le jugement
d’attribution et le jugement d’existence. Le premier prononce qu’une propriété
peut être ou non attribuée à une chose. Le second concède ou conteste à une
représentation son existence dans la réalité. En ce sens, une dénégation apparue au
cours d’une séance de psychanalyse – ce n’est pas de ma mère dont j’ai rêvé – serait
un type particulier du jugement d’existence. Mais, Freud fait un pas de plus en
décrivant une sorte d’origine pulsionnelle du jugement d’attribution. Cette
Bejahung, que Lacan traduira par « affirmation primordiale », préside au départage
entre le moi et le non-moi : ce qui est bon, je le mange, je le prends en moi ; ce qui
est mauvais, je le crache, je le rejette hors de moi, car « le mauvais, l’étranger au
moi, ce qui se trouve au dehors est pour lui tout d’abord identique » (Freud, 1985,
p. 137). Bien qu’elle ne comporte pas le symbole de la négation, la Bejahung aboutit
à une décision qui induit une forme de négation, puisqu’elle fonde un dedans – ce
qui est dorénavant dans le moi n’est pas dans le non-moi – séparé d’un dehors,
identique à ce qui, au départ, était le mauvais, l’étranger au moi.

C’est ce temps primaire (au sens originaire) et non pas forcément premier (au
sens chronologique) de l’affirmation qui est la condition pour qu’une
représentation existe pour le sujet. Dans un second temps, ce qui est
représenté au-dedans sera ou non retrouvé au-dehors ; s’il l’est, cela confère
une existence à la représentation du dedans. (Rabinovitch, 1998, p. 27)

36 Or, en assimilant la Bejahung à un jugement, Freud considère que la décision du


moi (Ich) précède la séparation d’un intérieur, contenant de représentations
agréées par cette instance, et d’un extérieur, engageant le moi dans une épreuve de
réalité. De cette déduction logique découlent les deux hypothèses suivantes : d’une
part, cette affirmation primordiale correspondrait au refoulement originaire ;
d’autre part, les registres du refoulement secondaire et de la dénégation se
produiraient en dedans du lieu, là où il y a des représentations, délimité par ce
jugement primitif. Parce qu’ils sont tributaires des représentations intériorisées, ces
registres laissent des traces dans le discours, ce en quoi les représentations
refoulées ou niées pourront être retrouvées grâce au discours.
37 Cependant, lorsqu’il s’intéresse au phénomène de l’hallucination, Freud constate
la nécessité d’en passer par une autre formulation.
38 À propos de l’Homme aux loups, il note que, durant son enfance, Sergueï
Pankejeff avait adopté en face du problème de la castration, c’est-à-dire de la
différence des sexes, une attitude très particulière :

Il la rejeta et s’en tint à la théorie du commerce [sexuel, du coït] par l’anus.


Quand je dis : il la rejeta, le sens immédiat de cette expression est qu’il n’en
voulut rien savoir, ceci au sens du refoulement. Aucun jugement n’était là
porté sur la question de son existence, mais les choses se passaient comme si
elle n’existait pas. (Freud, 1954, p. 389)

39 En raison du rejet tout à fait spécial de cette représentation, sa modalité de retour


n’emprunte pas la voie du refoulé, mais celle de l’hallucination. Sergueï a alors cinq
ans :

Je remarquai soudain, avec une inexprimable terreur, que je m’étais coupé le


petit doigt de la main (droite ou gauche ?) de telle sorte que le doigt ne tenait
plus que par la peau. Je n’éprouvais aucune douleur, mais une grande peur. Je
n’osai pas dire quoi que ce fût à ma bonne, qui était à quelques pas de moi, je
m’effondrai sur le banc voisin et restai là assis, incapable de jeter un regard de
plus sur mon doigt. Je me calmai enfin, je regardai mon doigt, et voilà qu’il
n’avait jamais subi la moindre blessure. (Ibid., 1954, p. 390)

40 Pour qualifier le mode de rejet de la représentation à l’origine de l’hallucination,


Freud utilise, sans vraiment lui donner un statut de concept, le terme de
Verwerfung. Sa reprise par Lacan le mettra au centre d’un débat sur la structure de
la psychose et, en conséquence, sur ce qui la différencie de la structure de la
névrose.
41 Dans la lexicologie freudienne, les notions provenant du vocabulaire juridique
occupent une place non négligeable. Le verbe Verwerfen, qui signifie « forclore », en
fait partie. Dans une recherche étymologique très serrée (Rabinovitch, 1998, p. 15-
23), Solal Rabinovitch rappelle qu’avant d’être réservé à la sphère juridique,
Verwerfung, comme auschliessen, avait pour signification « exclure, priver, chasser,
empêcher, bannir, omettre, retrancher, empêcher ». En dernière instance, ces deux
termes allient le sens de « enfermer dehors » en barrant un chemin et celui de
« rejeter » dans un lieu inconnu.
Ainsi forclore consiste à chasser quelqu’un ou quelque chose hors des limites
d’un royaume, d’un individu ou d’un principe abstrait tel que la vie ou la
liberté ; forclore implique aussi que le lieu, quel qu’il soit, d’où l’on est chassé,
soit refermé à tout jamais. (Ibid., 1998, p. 17)

42 À partir du xviie siècle, l’usage de la notion de « forclusion » se raréfie pour ne


s’appliquer qu’au cadre de la loi. Elle se charge alors d’une connotation temporelle.
Un procès jugé « par forclusion » signifie qu’au-delà d’un certain délai, plus rien ne
pourra être écrit, dit ou contredit. Alors que la prescription relève d’un temps a
posteriori – passé un délai de temps, un crime ne pourra plus être condamné –, la
forclusion impose une limite de temps à l’avance.
43 Enfin, avec l’ajout d’une connotation grammaticale, la forclusion devient une
forme particulière de négation. Damourette et Pichon qualifient de « forclusif » la
seconde composante d’une négation nécessitée par le « ne » discordantiel : « Ne (ne
discordantiel) jamais (jamais forclusif) avoir… fait, vécu, existé, etc. »10 Cette
négation porte sur une double temporalité : elle frappe le moment ultérieur tout en
détruisant le moment antérieur dont il dépend.

Si nommer une chose la fait exister, le mode de négation « forclusif » qui


relève la première négation phrastique, la discordantielle, détruit la chose au
moment même où il la fait exister ; mais il la détruit à la fois dans l’avenir et
dans le passé […] Il est en vérité la trace d’une non-existence. (Rabinovitch,
1998, p. 20)

44 Lacan adopte, pour le passage cité de l’Homme aux loups, la traduction de


Verwerfung par « forclusion » en 1953, au moment même où il commente le texte de
Freud sur la dénégation11 avec les catégories du symbolique, de l’imaginaire et du
réel. L’écart qu’il y introduit repose, nous l’avons dit, sur la distinction entre le sujet
et le moi. En effet, le moi (Ich) de Freud n’est pas celui dont parle Lacan, lequel,
relevant de l’imaginaire – mais pas seulement –, se constitue plus tardivement. En
conséquence, la prévalence accordée au moi (Ich) par Freud ne peut être
maintenue en l’état. Lacan déplace le primat sur le symbolique, c’est-à-dire sur le
champ de l’Autre, le lieu du signifiant.
45 Comment, dès lors, concevoir la forclusion d’une représentation ou, dans la
relecture lacanienne, d’un signifiant qui serait au principe de la psychose ?
46 D’emblée, il faut insister sur le fait que le signifiant forclos suit un destin tout
autre que celui du signifiant refoulé, puisqu’il ne laisse aucune trace, juste un trou
dans la chaîne signifiante. Comme il n’a pas existé pour le sujet, sa seule voie de
retour disponible reste le passage par l’extérieur, le hors-symbolique. Lacan
ramasse cette idée dans une formule célèbre : « Ce qui est refusé dans l’ordre
symbolique, resurgit dans le réel » (1981, p. 22). Ce seront, par exemple, des voix
qui s’imposeront au sujet. Contrairement à n’importe quelle formation de
l’inconscient due au refoulement, celles-ci n’engageront pas sa croyance – « Je ne le
crois pas ! » s’exclamera le névrosé après avoir fait un lapsus –, mais la certitude
inébranlable que leurs significations, dont il se fera l’interprète, le concernent
directement.
47 Faute de cette symbolisation, le rapport au langage du psychotique s’en trouve
radicalement modifié :

Comment ne pas voir dans la phénoménologie de la psychose que tout, du


début jusqu’à la fin, tient à un certain rapport du sujet à ce langage tout d’un
coup promu au premier plan de la scène, qui parle tout seul, à voix haute, dans
son bruit et sa fureur comme aussi dans sa neutralité ? Si le névrosé habite le
langage, le psychotique est habité, possédé par le langage. (Lacan, 1981, p. 284)
48 On l’aura compris, c’est dans la première confrontation avec l’Autre que le défaut
de symbolisation devra être situé. La forclusion témoigne de ce qu’il y a là, au
moment du choix forcé, quelque chose qui manque dans la rencontre avec les
signifiants fondamentaux. Bien évidemment, aucune expérience ne permettra
jamais d’observer cet instant en acte. Seule l’éclosion du symptôme donnera
confirmation de cette faille symbolique. D’autant que nombre de sujets
psychotiques s’adaptent aux aléas de la vie quotidienne, sans que rien de cette
adaptation n’éveille l’attention de leur entourage. Leur conformité les maintient à
flot à plus ou moins longue échéance, dès lors qu’ils ne sont pas appelés à prendre
la parole – « tout le contraire de dire oui, oui à celle du voisin » note Lacan (1981,
p. 285) –, à répondre d’une place où l’arrimage à ce signifiant se révélerait
nécessaire. Mais si l’événement se présente, ils s’engouffreront alors dans la béance
que ce trou, dans le symbolique, ouvre sous leurs pieds.
49 Dans son article « D’une question préliminaire de tout traitement possible de la
psychose » (1981, p. 285), Jacques Lacan indique que le signifiant forclos est le Nom-
du-Père12, tout en ajoutant, à la place de l’Autre. En effet, c’est parce qu’il est absent
de ce lieu que le sujet se confronte à l’impossibilité de le symboliser.
50 Nous ne définirons pas ici ce Nom-du-Père. Toutefois, précisons qu’il s’agit d’une
métaphore qui, véhiculée par le discours de la mère, oriente son désir vers un autre
objet que l’enfant. Il est ce qui profère la loi de l’Œdipe dans la parole maternelle et,
de ce fait, ordonne à l’enfant : fais le choix du signifiant, car tu ne seras jamais
l’objet de sa jouissance !

Le fou, le névrosé et l’homme moderne


51 La logique de l’aliénation et de ses effets pose le problème des rapports dans le
sujet de la parole et du langage. Dix ans avant le séminaire de 1964, au cours
duquel il formalise le vel aliénant, Lacan relevait, dans ces rapports, trois
paradoxes qui interpellent directement la psychanalyse, dans sa pratique comme
dans son éthique :
– Dans la folie, d’abord, où elle doit entendre « la liberté négative d’une parole qui a
renoncé à se faire reconnaître » (Lacan, 1966, p. 279). Une parole absente, en
somme, effacée par les stéréotypies d’un discours où « le sujet est parlé plutôt qu’il
ne parle » (ibid., 1966, p. 279). Un sujet objectivé dans un « langage sans
dialectique » (ibid., 1966, p. 280), qui le pétrifie.
– Dans la névrose, ensuite, dont le symptôme articulé aux lois du langage et des
signifiants qui le composent, permet une parole « de plein exercice, car elle inclut le
discours de l’autre dans le secret de son chiffre » (ibid., 1966, p. 280).
– Dans l’homme moderne, enfin, dont « la relation du langage à la parole est celui
du sujet qui perd son sens dans les objectivations du discours » (ibid., 1966, p. 281).
Ce troisième paradoxe intéresse la psychanalyse née dans une civilisation où
domine le discours scientifique et technologique.
52 À l’instar de Philippe Julien, on relèvera des accents heideggériens dans la
description que Lacan fait de ce paradoxe :

De là s’ensuit une œuvre commune où une énorme objectivation circule selon


cette triple communication sans frontière : le marché des biens, la migration
des familles, l’information médiatique. Or Lacan, reprenant Heidegger, fait un
diagnostic : cette œuvre qui envahit travail et loisir à fonction d’occultation du
sens particulier de l’existence. L’homme s’y oublie dans la forclusion (c’est le
cas de le dire !) de l’interrogation sur son être : que suis-je donc en tout cela ?
La question ne se pose même pas. Naissance et mort sont désubjectivées.
L’énigme du désir de l’Autre : Che vuoi ? [Que veut-il ?] s’écrase en soucis
techniques d’autoconservation, de promotion bureaucratique et de
rendements chiffrés. (2003, p. 27)

53 À l’ombre de tous les self-services qui industrialisent son désir en lui offrant des
gadgets de plus en plus sophistiqués sur le plan technique, l’homme moderne
cultive sa personnalité élevée au rang d’objet culte autoréférencé : « c’est moi ».
Moi-objet dont on mesure, évalue, classe les comportements dans un souci toujours
plus grand d’une mise en ordre statistique. Moi objectivé par une démultiplication
d’expertises pourvoyeuses d’énoncés prescriptifs ou prédictifs.
54 Pour exemple, rappelons un récent rapport de l’Inserm sur Les troubles de
conduites chez l’enfant et l’adolescent (2005), qui, établissant une relation de
causalité entre ces troubles et la délinquance, préconise, dans le cadre d’un
dépistage précoce, l’identification des risques pendant la grossesse – « En période
prénatale, des facteurs empiriquement associés au trouble des conduites ont été
identifiés : antécédents familiaux de troubles des conduites, criminalité au sein de
la famille, mère très jeune, consommation de substances psychoactives pendant la
grossesse [y compris le tabagisme] » (2005, p. 47) –, ainsi que l’introduction, sur le
carnet de santé, d’items pour en repérer les « signes précurseurs » :

Ces items peuvent concerner les différents symptômes du trouble des


conduites : les agressions physiques (s’est bagarré, a attaqué physiquement, a
frappé, a mordu, a donné des coups de pieds) ; l’opposition (refuse d’obéir, n’a
pas de remords, ne change pas sa conduite) ; l’hyperactivité (ne peut pas rester
en place, remue sans cesse, n’attend pas son tour). (Inserm, 2005, p. 47)

55 Compte tenu de tout ce qui a été dit précédemment, une remarque s’impose
quant à la différence fondamentale existant entre le symptôme tel qu’il est décrit
dans cet extrait, et celui défini par la psychanalyse, à entendre, plutôt, comme ce
qui fait symptôme pour un sujet particulier et non pour le champ social.
56 Dans l’acception, appelons-la comportementale, du symptôme, le rapport du sujet
à la parole et au langage est complètement évacué au profit d’une comptabilisation
de « faits » tenus pour objectifs, parce qu’observables.
57 Mais un acte quel qu’il soit, et a fortiori celui pour un enfant de dire non, a-t-il en
toutes circonstances une seule et même signification ? Ôter la dimension signifiante
à cet acte, ne témoigne-t-il pas du présupposé que cette manifestation subjective est
rabattue au niveau du signal, c’est-à-dire d’une réponse telle qu’elle se produirait
chez l’animal ? À preuve, la recommandation faite « [d’]exploiter les travaux sur les
petits animaux » (Inserm, 2005, p. 55), rats ou souris. Ces expériences, nous dit-on,
« permettent d’étudier certains symptômes du trouble de conduite comme
l’agressivité et l’hyperactivité liée aux troubles de l’attention » et, élément
déterminant, de « rechercher les facteurs étiologiques de ces symptômes en relation
avec l’environnement (stress physique et social) » (ibid., 2005, p. 55). Car, il faut le
savoir, il existe chez le rat ou la souris, pendant la puberté, une « période
sensible au cours de laquelle la confrontation avec la violence ou l’isolement joue
un rôle vulnérabilisant vis-à-vis de l’agressivité » (ibid., 2005, p. 55).
58 Pour le modèle comportemental, auquel se réfère manifestement ce rapport de
l’Inserm, le symptôme ne vaut que s’il est validé par un recueil d’informations
effectué au moyen d’une batterie de tests ou de grilles d’évaluation. À l’instar de
« L’échelle d’obsession-compulsion de Yale Brown (Y-BOCS) » (Cottraux, 1998, p. 69),
qui mesure le « seuil » de gravité d’un TOC (trouble obsessionnel compulsif), la
majorité de ces tests est importée des États-Unis et du Canada où le behaviorism (le
comportementalisme) domine tout le champ de la psychopathologie. Les résultats
obtenus, utilisés d’abord pour arrêter un diagnostic, servent ensuite pour décider
de la mise en place d’un traitement pharmacologique ou psychothérapique. Or, si
elle est éliminée par les énoncés impersonnels qui composent ces questionnaires, la
parole du sujet sera tout autant ignorée par le thérapeute, uniquement préoccupé
par le trouble prédéterminé par l’enquête. Le principe général de la thérapie se
résume à « l’exposition aux situations provocatrices d’anxiété afin de
déconditionner le patient de ses comportements d’évitement. Selon ce principe,
l’affrontement actif et conscient est le meilleur moyen de modifier les émotions
négatives » (ibid., 1998, p. 173).
59 Dans son livre, Les ennemis intérieurs, Jean Cottraux explique, à partir du cas
d’une patiente dénommée Fausta, comment se déroule une cure basée sur la
méthode dite de « l’exposition en imagination » (ibid., 1998, p. 89). Cette jeune
femme, « persuadée d’avoir fait un pacte avec le diable pour assurer son bonheur »
(ibid., 1998, p. 88) prononce, en son for intérieur, des souhaits de mort à l’égard de
ses proches. Comme elle regrette ces pensées, elle les conjure par des signes de
croix. Fausta communique avec Satan, « du coup, elle perd plus d’une heure par
jour13 dans des rituels magiques destinés à contrôler ses pensées de possession
démoniaque » (ibid., 1998, p. 89). Entreprise sur douze séances, la thérapie vise à
démontrer à Fausta que ses croyances magiques n’ont aucun effet dans la réalité.
La patiente est invitée à « imaginer qu’elle émet des vœux de mort vis-à-vis du
thérapeute, […] à convoquer le démon […] en présence du psychiatre et à porter des
objets [qui lui permettent de communiquer avec le diable] sans faire de signes de
croix » (ibid., 1998, p. 89). Lorsque, à suivre ces consignes, Fausta est submergée par
l’angoisse, le praticien persévère en exigeant qu’elles soient appliquées de façon
encore plus stricte :

Au cours d’une séance d’exposition en imagination, je me rends compte qu’elle


ouvre légèrement les yeux pour vérifier que je suis bien en vie. Je lui demande
de retourner son fauteuil de manière à ne plus me voir et je « fais le mort »,
c’est-à-dire que je reste sans bouger pendant une dizaine de minutes. Le but est
de l’amener à tolérer l’incertitude d’un souhait de mort qui n’est pas suivi de
rituel. (Ibid., 998, p. 89)

60 Solidement campé sur ses positions de maîtrise, le thérapeute


comportementaliste se donne pour mission de rallier le sujet aux critères d’une
réalité forgée à l’aune de sa propre compréhension du monde. Aussi, il traque, pour
mieux les anéantir, « [le] système d’interprétation, [la] Weltanschauung, [la]
philosophie de la vie particulière » (Cottraux, 1998, p. 204) dont se soutient chaque
sujet, pris un par un. Par-delà l’épiphénomène du trouble, c’est le discours d’une
subjectivité qui sera, de fait, condamnée au silence. Pour mener à bien ce projet, on
s’autorise à affirmer au patient que sa façon de penser « appartient à un stade
normal du développement psychologique entre un et sept ans » (ibid., 1998, p. 204).
Ces interventions « rationnelles » n’ont évidemment pas pour but d’humilier l’autre
(ou si peu…), mais plutôt de se montrer « utile et rassurant » (ibid., 1998, p. 204)
quant à la possibilité qu’il aura, s’il se laisse guider par ce « modèle » (ibid., 1998,
p. 176), d’accéder à l’âge adulte ou de raison. Un pas de plus est franchi dans
l’objectivation du sujet quand le comportementalisme cherche, auprès de la
biologie moléculaire, des arguments pour soutenir l’hypothèse (dont il n’existe pas
le moindre début de preuve) d’un soubassement génétique de la personnalité.
Comme on suppute à cette entité – qui n’a pourtant pas d’autre consistance que
celle, imaginaire, du moi – un substrat inné, le trouble qui la perturbe s’inscrit alors
sur le terrain de la défaillance cognitive.
61 Or, c’est à partir de cette même conception négatrice du sujet qu’on légifère,
introduisant pour la première fois en France, avec la loi du 11 février 2005, la
notion de handicap psychique.
62 Désormais, tout enfant présentant des difficultés à l’école, quelle que soit la
nature de ces difficultés, devra, s’il a besoin d’être accueilli dans des lieux de soins
spécialisés, en passer par la Maison de la personne handicapée (MDPH). Autrement
dit, fort peu de chances lui seront offertes de se faire sujet de son symptôme, d’y
reconnaître l’effet des signifiants qui l’ont constitué, afin de pouvoir s’en dégager.
Sa prétendue déficience, inscrite une fois pour toutes dans le discours de son
entourage, viendra boucher le manque à être, issu de l’aliénation, de façon bien
plus radicale que les remèdes – médicamenteux ou sociaux – octroyés dans le but
de la compenser. Exit l’inconscient et la sexualité infantile, la part depuis toujours
exécrée de la découverte freudienne. Bienvenue au fantasme, enfin rendu possible,
de l’enfant apuré de tout désir. Innocent certes, mais destiné à une ségrégation
d’autant plus violente qu’elle fera obstacle à sa tentative de s’extraire de la
jouissance auquel l’Autre le soumet14.
63 Tout au long de ce travail, nous avons voulu montrer comment, pour Lacan,
l’aliénation désigne une opération logique à situer au fondement de la subjectivité.
Parce qu’il passe par le champ de l’Autre, le sujet entre dans le symbolique
nécessaire à l’assomption de sa parole. Avant cet acte, il n’était pas. Après cet acte, il
aurait pu être si le signifiant ne venait le marquer d’une division irréductible. Telle
est la vérité du symptôme que révèle la psychanalyse, annihilant, dans son
discours, toute perspective d’accéder à un bonheur harmonieux. Peut-être, comme
le dit Lacan à celui qui l’interroge, « vous permettrait [-elle] d’espérer assurément
de tirer au clair l’inconscient dont vous êtes sujet. Mais chacun sait que je n’y
encourage personne, personne dont le désir ne soit pas décidé » (1974, p. 67).

Bibliographie
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Safouan Moustapha, 2001, Lacaniana, t. 1, Paris, Fayard, 268 p.
Notes
1 L’objection classique adressée à la psychanalyse, et qu’on ne manquera pas de réitérer à la
lecture de cet avant-propos, tient à sa démarche consistant, pour introduire le concept
d’inconscient, à exposer une illustration, c’est-à-dire un cas particulier. Or, même à
accumuler les vignettes cliniques pour y pointer, une par une, l’irruption d’une formation
attribuée à l’inconscient, l’extension à l’universel sera toujours suspectée de relever du
domaine de la spéculation. Cette préoccupation traverse, de part en part, l’enseignement de
Jacques Lacan, dont le projet radical vise à interroger la place de la psychanalyse dans le
champ de la science moderne. La solution qu’il propose pour sortir de l’ornière passe par
une formalisation de la pratique, donc par la nécessité de construire un organon susceptible
de rendre compte des modalités de fonctionnement de l’inconscient.
2 Pour Lacan, la vérité est « mi-dite » d’être, non pas partielle, mais dite entre deux
signifiants.
3 Voici quelques-unes des questions posées à Lacan lors de son séminaire du 3 décembre
1969 : « On pourrait commencer à savoir ce que c’est qu’un psychanalyste. Pour moi, c’est un
type de flic » ; « Nous avions déjà les curés mais comme ça ne marchait plus, nous avons
maintenant les psychanalystes ». « Jacques Lacan, la psychanalyse est-elle révolutionnaire ? »
(1991, p. 230-231)
4 Aphanisis signifie disparition.
5 Moustapha Safouan rappelle les deux idées qui, émises par Saussure à propos du
signifiant, seront reprises par Lacan : « La première est que le signifiant se définit par sa
différence avec tous les autres signifiants. La deuxième est l’idée de valeur selon laquelle, en
lui-même, le signifiant ne signifie rien en dehors de son pouvoir de signification, laquelle
s’effectue grâce à ses connexions de substitution ou de combinaison avec les autres
signifiants. » (2001, p. 266)
6 Le Mali et son drapeau font sens, dès lors qu’ils induisent nombre de significations
exotiques. Mais, si la cure empruntait cette direction, le signifiant que Tom a puisé dans le
discours maternel resterait hors-circuit. En revanche, l’équivoque induite par ma lecture
amorce l’apparition du couplage en force / en fen où se révèlera, pour Tom, l’objet auquel il
s’identifie pour répondre à ce qu’il suppose être le désir maternel (il faut préciser que sa
mère n’arrête pas d’enfanter). Le signifiant en fen / enfant le fait choir comme sujet.
Cependant, en s’appuyant sur le dire du père, il se dégage de cette identification. On peut
noter d’ailleurs comment Tom se saisit de mon énoncé sur un plan métaphorique (« Qui lui a
mis ça dans la tête ? ») pour introduire un tiers : la fonction du père dans le désir d’enfant de
sa mère.
7 Cette vignette clinique illustre « la séparation » : le sujet laisse choir l’objet fèces en
réponse à une demande parentale. Dans la cure, il se pare du signifiant qui le désigne, en lieu
et place de sa propre perte.
8 L’expression anglaise « I have to put myself together » (Je dois rassembler mon moi, me
reprendre) donne « à voir » l’assemblage narcissique du moi.
9 Pour Lacan, la « chaîne symbolique » est la chaîne signifiante.
10 Cité par Rabinovitch(1998, p. 20).
11 Auparavant, Verwerfung était traduit par « rejet ». De la même façon, c’est à la traduction
de Lacan que l’on doit la préférence portée, aujourd’hui, à « dénégation » plutôt qu’à
« négation ».
12 Dans la suite de son enseignement, Lacan parlera des Nom-du-Père, indiquant ainsi que
plusieurs signifiants peuvent occuper cette fonction.
13 Ce facteur entre en ligne de compte pour engager une cure : « Il faut, au moins, en
moyenne, une heure par jour de pensées refusées ou de rituels pour justifier un traitement. »
(Cottraux, 1998, p. 67) Toutefois, « il faut savoir que la disparition des rituels sont rares.
Ramener le patient en dessous d’une heure par jour, ce qui permet une vie normale, apparaît
comme une ambition raisonnable » (ibid., 1998, p. 178). Pour atteindre cet objectif, le
thérapeute doit se montrer « souple, ferme, obstiné » (ibid., 1998, p. 177). Il s’agit, en somme,
de substituer l’obstination du thérapeute à l’obsession du patient.
14 « De nombreuses personnes elles-mêmes souffrant de psychoses craignent le mot qui a
pour elles l’image d’un futur aboli, et le refusent : “Je ne suis pas un handicapé !” » Ce constat
relevé par Bertrand Escaig dans la Revue de liaison trimestrielle de l’Unafam (2007, p. 8),
association militant pour l’introduction de la notion de handicap psychique en France,
atteste de ce que, d’une certaine façon, le fou « tient » à sa folie. En effet, il peut lui arriver –
malgré toutes les souffrances qu’elle procure – d’en faire quelque chose : une œuvre
littéraire (comme Antonin Artaud), artistique (comme Camille Claudel) ou scientifique
(comme Kurt Gödel).

Table des illustrations


Légende Schéma n° 1
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Légende Schéma n° 2
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Pour citer cet article


Référence papier
Sophie Genet, « L’aliénation dans l’enseignement de Jacques Lacan. Introduction à cette opération
logique et à ses effets dans la structure du sujet », Tracés. Revue de Sciences humaines, 14 | 2008,
153-173.

Référence électronique
Sophie Genet, « L’aliénation dans l’enseignement de Jacques Lacan. Introduction à cette opération
logique et à ses effets dans la structure du sujet », Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne],
14 | 2008, mis en ligne le 30 mai 2009, consulté le 06 octobre 2023. URL :
http://journals.openedition.org/traces/383 ; DOI : https://doi.org/10.4000/traces.383

Cet article est cité par


Fakhry, Véra. Descamps, Joseph. (2015) Le corps-auxiliaire, un savoir-faire
soignant. Le Journal des psychologues, n° 333. DOI: 10.3917/jdp.333.0060

Auteur
Sophie Genet
Psychanaliste, exerce à l’Institut thérapeutique éducatif et pédagogique Le Coteau (Vitry-sur-Seine)

Droits d’auteur

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