OCTAVE MIRBEAU
emitre
ge me reporter assez loin, si je veux évoquer ma p
rencontre avec Voeuvre de M. Octave Mirbeau. Jay:
alors Penthousizsme hésoique des quinze ans, quand je découvri
par je ne sais quel hasard, les” Lettres de ma chaumiére”’, ces
lettres qui me parurent enfin autre chose , que les mille
nouvelles coutumiéres & tel Maupassant. Dés lors, je sentis entié-
rement inutilicé profonde, le clinquant chétuwal et anélodrama-
tique des éternelles chevauchées de he
sonnes vertueuses, et d’héroines ingénues chéres aux ouve
cos sympathiques aux per
s
sentimentales des foubourgs. Ces contes étaient bien des pages
de la vie elle-mime, des images cruelles; et pourtant ils étaient
davant-propos aux récits qui, plus tard,
devaient suivre... Je dis, les récits qui devaient suivre, bien que
seulement ane so1
M. Octave Mirbeau n’ait publié nul recueil nouveau de proses
bréves, mais je puis néanmoins en parler de ces proses, puisque
tous ceux qui lisent, les intellectuels et les autres, n’ont pas
oublig les feuilles publises dans un journal répandu, les étince-
lantes affirmations, dont plusiewts caustrent scandale et qui
sévoletrent Leureusement la tourbe indigne des nullités brayan-
tes, Aagellées comme il sied.
Ces feuilles réunies se graveraient en la mémoite des hommes
faturs ; ils epprendraient, par elles, les fancoches et les fanidmes
de note ¢poyue; ils apercevraient nos mis¢rables angures con-
temporains, ridicules, rigides, empesés — et riraient 4 leur tour
de la pauvreté des pions azardés & d’imbéciles admirations.128 LA PROVINCE NOUVELLE
Ils s’dtonneraient, sans doute, qu'un peuple, quelque jour, soit
descendu assez bas, pour glorifier un Bonguereau, un Sarcey, —
et préférer les vaudevilles les plus écceurantsd’un Augier ou d'un
Dumas aux chefs-d'ceuvre d'Tbsen, et l'abjecte versification d'un
queleonque Dérouléde aux beaux rythmes de Verlaine,
Par aucun d’entre nous, je crois, il n’a été dit suffiimment
Veffort de ce prosateur, il n’a été reconnu ce que lui doit la
génération montante. Ila réalist mieux qu'une suite de romans 5
isest voulu Papétre des causes les plus nobles, qui, naturelle
ment, se trouvaient les plus abandonnées — et dont il sit triom-
pher, au milien des reporages vains du journalisme. Doué
merveilleusement pour comprendre toutes les ceuvres sous tous
leurs aspects, il en a saisi les indéfinissables nuances, auxquelles
demeurent férocement aveuglesles critiques brevetés et diplémés,
les critiques illettrés. M. Octave Mirbeau, apparait, environné
de haines, mais indifféent, accomplissant logiquement la tiche
de justice qu'il s'est imposée, sans colére, et dévoilant simplement
avec une incomparable maitrise, le grotesque des idoles élues de
lacohue, phonographiant leurs discours et leurs ponsées. Tl 2
ourpris ces étres, Cailleurs, au moment précis oi ils devaient
‘tre suzpris; il les a figés dans leur attitude natarelle, justement
Ja plus ridicule, et pas un seul, j'en demeure persuadé, n’échap-
pera. Comme nous le remercions aussi, des joies esthétiques
quiil nous procura maintes fois! Il est de ceux que I’on aime,
pour leur conduite intellectuelle, il est des rares qui disposérent
de leur autorité au profit des belles causes, dédsigneux de plaire
au Nombre et qui consolent des insipides charmenrs préts & toute
concession, préts 4 louanger le plus puissant, en vue d’un
éphemere succés officiel.
Littérairement, il dvolue en dehors des classifications; il ne
se peut cataloguer comme tel psychologue vanté, tel admirable
féministe, ou tel symboliste de hasard. Il est romanciers
certes — et davantage encore ; les romans qu'il écrivit, sontapres
comme des chapitres de existence, et cependant, il est impos-LA PROVINCE NOUVELLE 129
sible de ranger M. Octave Mirbeau parmi les réalistes d’autrefois,
les réalistes egonisant aujourd'hui sous le pavillon du chef cban-
donaé.
Le premier de ses livres, dont il est essentiel de parler, car
Voouvre épacpillée, si haute soit-elle, ne peut s’exposer avec une
égale assurance, Ie premier livre, (on le sait) fur publié par une
revue aux lecteurs nombreux. Le Galvaire! c’éiait bien un
calvzire, en effet, que Pceuvre devait gravir aussi; on lui indigea
uun outrage rel, dans ce lourd fascicule, qui tenait particuliére-
ment a respecter ses bienheureux atonnés, les abonnés du meil-
leur monde, subtils et décents, comme les abonnés de théire.
A ces phatisiens, on sacrifia tout un chapitre, le plus significatif,
le plus éloquent — celui qui dénoncait Phorreur des massacres
approuvés, évoquait magnifiquement lauguste Pitié, planant au-
dessus des batailles. Ce chapitre, on ne voalut pas l'imprimei
1 fallaic vespecter, ne point contrarier les sentiments d’un public
puisant @inoubliables enseignementsde patriotiome, dans l’ordure
des cafés-concerts, en admirant unechanteuse de couplets obscé-
nes, audacieusement coiffée des rubans d’Alsace, afin d’attendrir
sa clientile familidied’imbéciles, de gommenx et de voyous. Sans
doute I ceuvre était jugée supérieure; mais le malencontreux cha-
pitre of la vérite brusquement éclatait, s’effacerait, disparaitrait. IL
disprrut, pour reparaitre bientét... ailleurs et rapporter aux
ineflables critiques, quelques lignes matériellement productives
— et quelque amertume aussi, Oui, ce Calvaire efit son
calvaire — car, j'ignore blessure plus grave & Poruvre — méme
infime, méme dédeignée — que celle ainsi réalisée: le mot
qu’en supprime, la phrase qu’on torture, le sens qu’on molifie.
Le Galvaire retcoava son expression parfaite, en se retrou-
vant absolu, Je ne résumerai pas le récit trés connu. Je veux
seulement dire Pécriture d'une irrtprochable tenue et souvent
une incorrection voulue et curieuse — et le frémissement que
provoque chacune des pages.
Ime resterait & parler longtemps encor
: fajouterai seulement130 LA PROVINCE NOUVELLE
un mot sur le livre qui suivit et me semble mériter un examen
assez attentif et impartial.
« L’ Abbé Jules » pourrait étre un portrait; mais, il est beau-
coup mieux et beaucoup plus. Il représente le préue rare, dont
idéal Aépasse les limites autorisées ; le prétre condamné A végérer
blement au milieu dan troupeau de villageois, et qui sent
1a révolte gronder en lui, comme un orage. Il regarde tristement,
@abord, la mesguinerie des existences ambiantes. Partout, la
cupidité, la baine, les suxtises, les superstitions grossigzes. Une
aristocratie du hemes, invrais
mblablement nulle, s’emparant
de PEglise ainsi que d’un domaine particalier, faconnant Pofi-
ciant ses exigeiices, transformant le temple, non en caverne de
voleur, mais en caverne d@imbéciles. Alors, désespéré, le prétre
sen va, s‘enfuit on ne sait ot, lass¢ des inévitables ptronnelles
dévotes, des propos oiseux de sacristie... Et ce qu'ilvoitencore, —
ici le prétre officiel infidéle au Verbe, le prélat sacrilége —gran-
dis son désespoir. Puis, il accuse parfois son orgucil, se voudrait
simple, soumis, humble. lesthumble, en présence de lui-méme;
seulement, il ne comprend pas la soumission & tcl éveque dont
Ia conscience s'est prostimée, Il forte tonjours, dans le martyr
de Pindécision, cherche le devoir, croit le deviner et retombe
morne, vainea, proche de la folie et proche du génie, Il meurt ;
—il meurt aprés une agonie de damné — et ses tervibles volomtés
des lachetts
suprémes révélent la connaissance profonds qu'il
hamaines.
Jesais les reproches que maintes gazettes, lors de la publication
de ce livre, adresserent & M. Octave Mirbeau ; les gazettes élabo-
rées par la niaiserie des bedeaux condamnérent sans la moindre
hésitation. L’abbé Jules, pourtant, indique Vétat lamentable du
clergé contemporain, — ce clergé qui ne tera pas Elise, parce~
que l’Eglise le domine €u rayonnement du Crucifié, mais qui
créa Pindifférence générale dont quelques-uns sovffreat, résultat
de sa propre indifference. Il demeure clos dans ses rites et nulle
de ses pensées n'est capable de Peavolée radicuse vers PInfini. LeLA PROVINCE NOUVELLE 131
dogme serait peur-ttre Vinfini; et le sens da dogme échappe aa
prétre.
Liabbé de M. Mirbeau ne recut point le don de paitre les oies
(don précieux pour un chrétien sachant employer) ; cependant,
Forgneil ne le tourmente pas ; un vague anarchisme le hantes des
réves @héroisme, de pardon, de charieé, damour avec des cau-
chemars de colére, de rébellion le pénétrent, et la luxare longtemps
combattue, triomphe hideusement au seuil de sa tombe.
Il futse résigner & la lecture de ce livre amer, le suivre page
Apage et ne prononcer aucun jugementavant del’avoir loaguement
médité,
Jai voulu signalerle romancier Octave Mirbeau, mais, je tiens
a rendre hommage, moins au romancier qu’au critique (dans le
sensnoble du mot}et, jele répite, le romancier serait oubli¢ dans
un
ps lointain, le critique reste
Je témoin justicier du siécle finissant. Car il est bien le critique des
critiques, des trop fameux « professionnels >, dont le transcendant
crétinisme se révéle pleinement en présence des ceuvres dépassant
les limites conventionnelles. Ila dénoncé,
it comme le témoin fidele,
lement @ailleurs, ces
«pintades» de la critiqne ;i1a glorifié César Franck; il eitt le cou-
rage de replacer son rang inférieur le triste Gounod, et la supréme
récompense @ameuter autour de son nom la horde braillarde des
porte-ix et des reporters. I! a dit Iui-méme, un jour, sa décon-
certante mamnie (pour tant de trés-chers confitres) de découvrir
sans cesse des tasde choses etdes tas de gens, en dehors de toutes
les régles établies — et c’est justement cetie «manie » que nous
admirons, cette volonté ferme d’affirmer Ia Beauté, en présence
de lévidente médiocrité de certains cancres normaliens...
Geoxces OUDINOT.
Karol Cytrowski, L'Abbé Jules D'octave Mirbeau en Tant Qu'exemple de L'influence de Fiodor Dostoïevski Sur Le Roman Français de La 2e Moitié Du XIXe Siècle