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ENTRETIEN ALAIN MARC – CHRISTIAN EDZIRÉ DÉQUESNES


LE CRI DÉQUESNES

Alain Marc _ Je voudrais tenir les deux fils du cri et de l’écriture. Il y a l’écriture, il y a le cri, et il y a la
littérature. J’aimerais donc que l’on essaie de circuler d’un point à un autre. On débordera si je peux le dire comme cela,
sûrement sur la musique, mais je pars aujourd’hui avec le désir d’essayer de toujours revenir sur notre point de départ de
la littérature. Et plutôt qu’un entretien, j’ai plutôt en tête l’idée du dialogue.
La première chose que je voudrais débattre avec toi concerne ce mécanisme « d’extraction », qui m’a beaucoup
frappé. Je ne m’en suis pas aperçu aussitôt, je m’en suis aperçu de manière inconsciente : je tournais autour de ton écrit,
de ce que tu m’envoyais, de ton travail, de ta façon de travailler, et je me suis vite aperçu que l’emprunt chez toi était
très important. Je sens en toi ce mécanisme à l’œuvre. Je le sens dans les illustrations que tu réalises, que tu honores sous
le pseudonyme de S.O.D.A…

Christian Edziré Déquesnes _ C’est très vieux S.O.D.A…

AM _ … Je n’en connais pas encore les dessous, « S », « O », « D », « A »… On verra… « S », comme


« Sodome » ? (Rire.) On peut partir sur ça ! (Rire.) Je le sens donc dans les illustrations dont tu honores tes différentes
revues, dans le mail art que tu utilises allègrement dans tes correspondances. Alors ce mécanisme je le sens aussi
évidemment dans les textes que tu écris, que je sens énormément emprunts, des rencontres que tu as pu faire — prenons
en premier Ivar —, et donc de ton utilisation du picard berquois, dans ta musique, du blues tel que l’entend Arno, de ta
rencontre avec des écrivains — on va les citer : Jack Kerouac, Burroughs — les écrivains de la Beat generation —, qui
sont chers à Lucien Suel, donc, on rejoint une autre rencontre…, ou avec mon « cri », que je mets entre guillemets. Il
ne s’agit pas d’un simple détournement, mais d’une véritable appropriation. C’est-à-dire que tu t’appropries, avec tout
ton être criant. Ce ne sont pas des influences, c’est-à-dire que tu les prends et tu vas plus loin. C’est pour cela qu’il ne
s’agit pas d’un simple détournement, mais d’une véritable appropriation, à l’intérieur de toi, de ta sensibilité, de ton
univers, qui t’est bien personnel. Et pourtant j’ai relevé aussi à un moment, bien plus tard, que « Chés
Déssaquaches » était la traduction de « les extractions ». Tu as aussi créé des petits textes autour de ce mot là,
d’« extractions ». Alors est-ce que tu peux nous en dire plus ? Est-ce que c’est conscient chez toi ? Est-ce que c’est
inconscient ? Est-ce que c’est uniquement poussé par le « cri » ? C’est-à-dire que je sais par exemple que personnellement
— et après je vais te laisser la parole, je ne vais pas toujours parler… —, quand j’aime énormément quelque chose,
immanquablement, je me mets…, cela déteint sur moi ! Alors, est-ce que c’est aussi ton cas ?

CED _ Tu as dit beaucoup de choses donc je ne sais pas trop par quoi commencer… Le mécanisme
d’extraction, cette histoire de cri et d’extraction, tu parlais d’inconscient et de conscient c’est vrai qu’au
départ, si je me réfère au départ, c’était vraiment quelque chose d’inconscient, et progressivement, c’est
devenu conscient et j’ai pris conscience de certaines choses qui étaient là, présentes, et que je faisais de
manière incarnée mais sans être conscient et puis les rencontres m’ont permis de vraiment en prendre
conscience et à le maîtriser et savoir pourquoi je le fais aujourd’hui et savoir pourquoi je veux continuer et
en plus je veux continuer dans cette mécanique là. Ça, c’est un premier point. Tu évoquais S.O.D.A.,
c’est vrai que S.O.D.A. c’est un pseudonyme que j’utilise depuis maintenant la fin des années 70 — début
des années 80, quand je fais des illustrations, souvent ce sont des collages, parfois des gribouillis, donc
parfois collages, découpages, et S.O.D.A. ça a toujours été « S, point, O, point, D, point, A » avec une date
qui correspond à la date de l’année où la chose est dessakée, et extraite, et en fait j’avais choisis ce
pseudonyme là mais c’est une chose tout à fait inconsciente, c’est un choix inconscient, mais parce que
j’aimais l’idée de la bouteille de Soda qu’on secoue, et puis on enlève la capsule et puis là d’un seul coup il
y a un jet, ça jaillit, et le contenu jaillit et puis va exploser s’il est sur une table ou va exploser sur la nappe
ou il va faire des traces sur le mur ou sur le plancher, et en fait pour moi c’est une image que j’aime bien,

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l’histoire de la bouteille de Soda qu’on décapsule et qui gicle parce que c’est ça aussi que je voulais faire par
exemple dans les collages, et puis certainement après avec certains textes, ce sont des éléments qui sont
intériorisés dans une histoire, dans un être, mais qui sont tout fermés, ils sont intériorisés ils sont
prisonniers, ils sont conditionnés comme dans le Soda, comme la limonade pétillante, c’est emprisonné et
si on le secoue, si on le malaxe autrement et qu’on ouvre le bouchon et qu’on le libère ça gicle et d’un seul
coup on a une espèce d’autre révélation, une espèce de chose qui dans une enveloppe laisse croire qu’elle
est immuable dans cette forme là et finalement, si on la libère, elle est d’une autre force, d’une autre
vitalité. Il y a tellement de choses dans nos sociétés qui sont conditionnées, on les voit d’une certaine
manière on croit qu’elles sont comme ça et finalement si elles sont déconditionnées, si les êtres humains
sont déconditionnés et qu’on les laisse jaillir, ça donne autre chose. Je ne sais pas si c’est explicite ce que je
te dis… Et ça ça m’intéresse, c’est la question de la chose qui est extériorisée dans une enveloppe et
finalement elle est prisonnière, elle est enfermée, et elle n’est plus du tout criante, elle n’est plus du tout
je dirais à la limite, peut-être vivante… Et moi j’ai toujours été dans cette douleur là, parce que c’était
douloureux j’avais je crois une envie de vivre d’une certaine manière des choses introverties, par rapport à
ce que je percevais du monde et qui ne me donnaient pas satisfaction, mais je n’osais pas l’exprimer
librement. Ça bouillait à l’intérieur, mais ça ne pouvait pas gicler.

AM _ Alors, c’est étonnant parce que tu viens de donner exactement la définition que j’ai du cri et que je
développe dans Écrire le cri, c’est-à-dire que tu as parlé du jet, qui s’éclabousse sur le mur. Bon : je suis très troublé
par ça. C’est-à-dire que tu viens de dire ce que je pense, ce que j’ai déjà dit aussi… Comme quoi on a beaucoup de
points communs, dans le ressenti. Mais comment expliques-tu le chemin que tu prends comme le poisson qui se faufile
entre les gens que tu adores ? J’ai l’impression que quand tu as rencontré Ivar, cela a provoqué en toi un déclic. Du
coup, tu te mets non pas à écrire comme, mais à écrire pas loin. C’est-à-dire que c’est du Déquesnes, mais c’est du
Déquesnes qui marche grâce à une rencontre, grâce à quelque chose que tu as adoré. Est-ce que je me trompe ou non ?
Comment expliquer ça ? Et bien voilà, je ressens quelque chose que j’ai du mal à définir. C’est-à-dire que dans tes écrits,
on ressent un entre-deux entre l’extérieur, et toi. Est-ce que tu vois ce que je veux dire ? Comment dire ? Tu as aussi écrit
en vers arythmoniques, comme Ivar. Or, tu aurais très bien pu garder ta propre identité, créer ton propre univers. Mais
j’ai l’impression que tu le développes à partir de choses qui t’entourent… Est-ce que tu ressens la même chose que moi ?

CED _ Déjà, par rapport au fait que j’ai écrit, et que j’écris parfois comme Ivar en vers
arythmoniques, on y reviendra peut-être après, parce que ça c’est une chose qui m’a énormément aidé à
canaliser le trop de débordement parfois ou le trop de jets où je ne m’y retrouvais plus… Mais ce que je
voudrais dire c’est qu’au niveau par exemple de personnes comme Ivar ou même d’une rencontre même si
elle n’a été que par le biais d’une exposition et de la peinture comme pour Bacon, en ce qui me concerne
les premiers temps de mon adolescence j’ai très tôt eu envie d’exprimer des choses par rapport à ma
confrontation avec le monde, de les écrire, ou peut-être de faire de la musique. Et je n’avais pas eu
l’éducation peut-être, qui m’aurait donné accès à certains auteurs, à certaines références, à certaines
choses. Mais je cherchais. Notamment dans la musique, je cherchais, mais il y avait des choses qui me
plaisaient mais il y avait toujours un aspect qui faisait qu’à un moment, sauf pour de rares choses auxquelles
je suis resté fidèle, mais j’abandonnais parce que finalement, au bout d’un moment, ces choses là étaient
bien, mais elles me paraissaient quand même à un moment conditionnées, pour rentrer dans des règles,
pour être tout public, ou un peu commercial, etc. Et là ça me gênait parce que j’avais l’impression qu’il y
avait une espèce de sincérité qui devenait absente ou trahie. Par exemple il y a un tas de groupes de rock
que j’aimais quand j’avais 15, 16, 17 ans, que j’ai aimés un ou deux ans, et à un moment je trouvais que
c’était faux, que c’était fuck, que c’était fabriqué. Il y avait peu de choses qui pour moi restaient sincères, à
l’exception des Who, ou du Velvet underground. Et ce qui a été important, il y avait une musique que je
ne connaissais pas et qu’il fallait que je rencontre un jour… Mais il y a eu le mouvement punk qui est
arrivé. Alors ça ça m’a beaucoup plu, c’est vrai qu’au début j’ai été choqué, parce que c’était une image
très nihiliste, négative, très provocante, très choquante. Et j’étais plutôt resté, à l’exception de Lou Reed
et du Velvet, en proximité avec des groupes plutôt issus du psychédélisme ou du mouvement hippie, folk-
hippie tout ça, donc il y avait cette brutalité, et le rock symphonique de Yes et Genesis qui commençait à
me gonfler… Il n’y avait que Van Der Graaf Generator, avec Peter Hammill, qui curieusement aussi,
continuait à vraiment me plaire et auquel j’avais envie de rester fidèle. Mais bref, pour le mouvement punk

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au début, j’ai eu une espèce de réticence et je me suis dit « Mais quand même, ces jeunes mecs qui font une
musique bruyante, brouillonne, qui ressemble presque à du vomi, et qui éructent ! » Alors au début j’ai été choqué,
et puis il y a eu les Stranglers avec leur côté quand même punk, mais aussi baroque, avec des enluminures,
ce qui fait que je me suis fort accroché aux Stranglers et puis après à d’autres groupes punks. Puis j’ai
découvert que au-delà du vomi, au-delà du bruit et tout le reste il y avait l’expression quand même
vraiment profonde de sentiments, de mal être, de douleur, je pense qui me correspondait plus que ce qui
avait été dit dans d’autres formes de musique rock ou pop. Et ce qui m’avait aussi beaucoup plu, là je
n’avais pas compris tout de suite, c’est qu’il y avait des références qui disaient… en fait, ce qu’il y a de
bien avec les jeunes punks c’est qu’ils expriment des choses avec peu de moyens mais des choses sincères,
un peu comme le faisaient les vieux bluesmen… Et pour moi le blues, au départ, avant de réaliser ça avec
les punks, c’était un truc que je trouvais complètement passéiste et ringard ! Mais après, j’ai découvert que
c’était autre chose…

AM _ Donc je vais quand même en rester sur la notion de punk et je voudrais en revenir à l’écriture et c’est une
belle image qui me vient parce que je pense que l’on pourrait dire que ce que tu produis est une écriture punk…

CED _ Et bien ça, ça me plait beaucoup parce que c’est ce que… si je pouvais vraiment, en étant
compris parce que des fois j’aime dire que je suis un vieux punk, j’aimerais dire « Non, je ne suis pas un
poète, je suis un vieux poète punk », ou « Ce que je fais, c’est de l’écriture punk ». Mis tu vois, tu ne peux pas aller
dire ça par monts et par veaux, parce que j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui te regarderaient
en faisant les gros yeux…

AM _ Ce n’est pas grave, on est entre nous !

CED _ Oui oui, mais ça aussi c’est un problème. L’histoire de dire que je fais de l’écriture punk, je
suis d’accord : oui.

AM _ Alors ça, ça me plait beaucoup ! Je vais te dire pourquoi : si je suis venu vers toi, c’est pour certaines
raisons. C’est parce que avec Ffwl, j’ai trouvé quelque chose, j’ai trouvé quelque chose qu’il n’y avait pas ailleurs. Dans
Ffwl, il y a un ton, dans la revue que tu tenais donc, où j’ai trouvé beaucoup, du cri, que je ne trouvais pas à l’époque
chez Ivar Ch’Vavar, comme dans une démarche comme celle de Lucien (Suel). Chez toi j’ai souvent trouvé des textes qui
avaient une âme très forte, j’ai trouvé des textes de gens que je ne connaissais pas, des textes que j’ai trouvés très forts. Je
pense que ça c’est ce que tu aimais aussi, toi : c’était tes choix, et ça m’a parlé. Ça m’a parlé dans ma démarche,
évidemment. Donc ce que je cherche à cerner avec toi, c’est ça. C’est-à-dire que quand je veux que tu parles des
extractions, ça me plait parce que tu retombes sur le cri. Voilà. Et en même temps là ce que je veux cerner aujourd’hui
c’est ton univers, dans l’écriture, dans ton écriture, l’écriture Déquesnes où ce qu’on peut en voir aujourd’hui et ce qu’on
peut imaginer de ce qu’elle pourrait devenir dans le futur. Ce que je sens, beaucoup en toi, tu as dis que ça t’aidait à
canaliser, comme si ça t’aidait à canaliser le cri qui était en toi et à le conduire, vers une expression qui t’est propre, le
fait des rencontres, d’Ivar, de moi, etc., et là je vais tomber sur la perception de l’âme, parce que tu as dit le mot
d’incarnation, et dans tes textes, dans tes chansons aussi évidemment, parce que pour l’instant je perçois beaucoup plus
Déquesnes dans ton univers sonore, et dans les textes que j’ai choisis de toi, je sens une âme. Alors, dans cette âme là, il y
a cette incarnation de figures, de figures extérieures comme Steve McQueen, Francis Bacon, que tu vas revivre comme si,
à la minute présente, tu devenais Steve McQueen, ou que tu devenais Francis Bacon, tu étais le suicidé, il y a des choses
très fortes qui passent. Donc là aussi je ressens cette incarnation, cette appropriation, tu es, deviens, ces êtres très forts.

CED _ Ce n’est même pas une appropriation, c’est tout apprendre de nos vies. Je veux dire, Steve
McQueen, c’est par rapport à la lucarne de la télévision et quand j’étais gamin, il y avait la télé et il y avait
le feuilleton Au nom de la loi. Et j’étais le seul de la famille à regarder ce feuilleton là, notamment chez mes
grands-parents, chez ma grand-mère, et en plus j’avais le droit de regarder Au nom de la loi. Et Steve
McQueen c’était vraiment un droit parce que le fonctionnement de la famille faisait que les héros, les
références familiales, ce n’était pas des personnages comme Steve McQueen, ce n’était pas des anti-héros.
Alors lui qui est arrivé, à la télé, c’était un personnage silencieux, qui parlait peu, mais qui posait des actes
clairs et nets, et c’était un espèce de héros un peu solitaire, un peu suicidaire, on ne sait rien de ce qui

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amène Steve McQueen à être chasseur de primes, à être chasseur d’hommes, pour gagner de l’argent, et
dans Au nom de la loi il ne fait que rencontrer des fripouilles, il ne fait que rencontrer des héroïnes, ou des
femmes, il s’attache et il fuit ça : on lui propose des vrais boulots de chérifs ou de devenir régisseur de
ranchs, ou beau-père de famille, mais il repart et on se questionne alors sur tout ce qu’il a perdu. Enfin
moi je me suis toujours demandé ce qu’il avait perdu pour arriver quelque part comme cela, prendre une
place, régler des choses et puis repartir finalement. C’est un personnage qui me touche beaucoup et ça il
ne s’en explique jamais. Sauf dans ses silences finalement : si on le regarde, on sent qu’il a… enfin à mon
avis… Dans le personnage d’Au nom de la loi ce sont des silences tellement éloquents, tellement criants,
que ça m’a marqué.

AM _ Donc tu écris le cri ou tu écris le silence ?

CED _ J’ai écrit un texte (de chanson) qui s’appelle « Le sens du silence ». J’aimerai écrire… : le silence,
ça crie énormément. C’est paradoxal ce que je dis certainement, peut-être que dans ce que j’écris il y a
aussi une part de silence finalement.

AM _ Comment as-tu écris ces superbes textes « Tous nos jours sont un poème » ou « La complainte d’avril
pourrissant » ou « Cri / Baiser d’Avallon » ? Ces trois textes que j’assemble, qui n’ont pas été écrits dans les mêmes
conditions, ou les deux premiers dans une période assez proche, l’autre six mois plus tard, comment as-tu écrit ces textes-
là ?

CED _ Ce sont des textes que j’ai écrits très… enfin les textes par eux-mêmes, très rapidement. À
chaque fois il y avait une accumulation de notes, de flashes depuis quelques temps qui étaient sur des
feuilles bien précises, et puis au bout d’un moment, toutes ces notes, c’est de plus en plus comme ça aussi
peut-être que j’écris, qui sont sur une ou plusieurs pages, je les rassemble, je les ordonne d’une certaine
manière : ce sont des accumulations de choses qui sont un peu mises de côté auxquelles je ne fais pas très
attention mais qui s’entassent, et puis au bout d’un moment, sur une soirée, soudain : j’organise.

AM _ Soudain le texte sort.

CED _ Je remets tout, enfin j’assemble et puis ça donne le texte. C’est vrai qu’il y a quand même une
idée maîtresse, à chaque fois, dans le texte.

AM _ Donc tu écris dans des moments très brefs. Il y a eu une accumulation et ensuite ça sort.

CED _ Oui l’écriture proprement dite se déroule sur un moment qui est bref.

AM _ En un seul jet ?

CED _ Oui.

AM _ Est-ce que tu sens que ces trois textes-là — tu peux ne pas être d’accord : mais moi je vois trois textes qui ont
un même rythme, une même âme, une même force ?

CED _ Pour « La complainte d’avril pourrissant » et « Cri / Baiser d’Avallon », ça c’est clair. Je me souviens
même très bien des époques : on peut les associer. Après, « Tous les jours sont un poème », c’est marrant
parce que quand tu m’a renvoyer ça, c’était même un long texte que moi j’avais oublié un peu, mais c’est
vrai que c’est un long texte et en plus dans les trois textes que tu as cités c’est peut-être celui où j’ai mis le
moins de temps, où le jet a été le plus court pour le sortir. Mais c’est vrai que là il y avait une
accumulation de choses écrites sur le papier ou dans la tête depuis un moment et un soir en rentrant du
boulot : c’était ce que je devais faire, donc je l’ai fait.

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AM _ Est-ce que ce sont des textes qui vont rester dans leur forme écrite, ou est-ce qu’à ton avis ils vont devenir des
chansons ?

CED _ Ces trois textes-là pour moi ne deviendront pas des chansons.

AM _ Et pourquoi ? Est-ce que tu vois une différence par rapport à d’autres qui, à mon avis on été écrits aussi comme
cela, enfin ce sont des textes, et qui un beau jour sont devenus des chansons ? Et qui sont aujourd’hui des chansons ? Ça
c’est ma “théorie” : dès qu’un texte devient chanson, il n’est plus texte, il devient un autre objet. Et c’est en cela que
cette question est intéressante, peut-être parce que ces trois textes, c’est ce que je serais tenté de dire là, sont de “vrais”
cris. Même si ton texte sur Bacon est également un grand cri, et pourtant devenu chanson, avec ses déclinaisons, avec la
déclinaison Chés Dessaquaches, Chés Éclichures, (2)Brokes. C’est intéressant parce que ce texte-là a traversé les
époques, et qu’il les traversera encore. Mais ces trois textes, qui sont pour l’instant des textes uniquement écrits : ça ça
m’intéresse !

CED _ Oui, ce sont des choses que j’ai écrites vraiment, où il n’y avait vraiment pas l’idée, la
perspective de chanson, de musique sur ces choses-là. Mais c’est aussi inconscient : je ne m’étais jamais dit
que ce ne seront jamais des chansons, « Cri / Baiser d’Avallon » pour moi c’est le cri d’Avallon, c’est ce cri-
là, ce texte-là, et je ne le vois pas décliné autrement. Ce serait même une imbécillité que de… (Petit rire).

AM _ Ce matin je réécoutais ton concert que j’adore, qui est un disque “off”, donc très peu connu, vu que c’est entre
nous, tu me l’as envoyé un jour, ce concert d’Arras du 29 janvier 2004, et j’ai découvert, un peu effaré, que sur scène,
tu avais donné ce chorus, ce chant de Jack Kerouac qu’on retrouve dans « Tous nos jours sont un poème », et là j’ai
vu le passage. C’est le passage de la chanson à l’écrit alors que d’habitude c’est de l’écrit à la chanson. Et là je me suis
dis, « Ah mais tiens, oui ! Il y avait déjà un avant, ça mûrissait déjà dans la tête de Christian ! » Il y avait ces
paroles-là, « Tu es mon père, tu es ma mère… » J’ai retrouvé ce matin la trace dans la chanson, dans la
musique…

CED _ Oui, ça on l’avait un peu reperdu avec (2)Brokes, sur la fin, mais au début, et même avec les
Dessaquaches, ça c’était important. Mais laisser une place, où quand je fais de la musique, je veux toujours
laisser un place pour l’impro et pour la chose plus blues. Parce que blues c’est ça aussi, c’est à partir de
choses qui sont écrites et posées soit par d’autres ou par soi mais qu’on reprend et où il y a la possibilité
d’improviser, de dire d’autres choses, extrapoler. Et ça j’ai toujours voulu le garder. Et ce soir-là à Arras,
c’est vrai qu’à un moment, il y avait eu un peu auparavant pour moi la redécouverte de ce texte de
Kerouac, et il était vraiment inscrit dans ma tête, et il y avait les gens. Et en plus c’était un concert
particulier, qui se passait dans le cadre d’une école de travailleurs sociaux, après une semaine de travail sur
l’écriture, et eux ils avaient présenté le travail d’écriture qu’on avait fait ensemble. Et ils avaient demandé
à ce qu’on fasse un concert. Ils avaient déjà été un peu étonnés pendant le stage, de ce que pouvait être la
poésie, de la forme que pouvait prendre l’écriture. Ils étaient dans des formes très conditionnées
justement, très conventionnelles. Parfois ils croyaient que je leur présentais des choses marginales. Mais je
trouve qu’il y a tellement maintenant de faux marginaux et d’alternatifs conditionnés qu’on ne sait même
plus ce que c’est que d’être alternatif. Ils avaient découvert des tas de choses, et en plus quand on arriva au
terme de la semaine… Et puis pour la soirée on avait vraiment l’impression Pierrot (Boeykens Procebal) et
moi, qu’ils nous disaient « Ouais, mais vous êtes des zombies, vous êtes différents de nous, ce que vous faîtes, ah ouais
c’est émouvant, c’est bien, mais… » Et puis moi à ce moment-là j’avais envie de leur dire « Mais on n’est pas
différents, vous êtes mes sœurs, vous êtes mes frères, et on a tous un père, on a tous une mère. » Et c’était un évidence
qu’à ce moment-là, le plus adroit possible, surtout que je leur avais parlé de Kerouac pendant la semaine,
c’était de sortir ce texte de Kerouac d’une manière très très spontanée, sans calcul, et je m’en souviens
bien. C’est un chorus que j’aime beaucoup, c’est une des choses que je préfère dans l’œuvre de Kerouac.
Je trouve ça très très fort.

AM _ Il s’agissait de quel livre ?

CED _ Mexico city blues.

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AM _ … Que je n’ai pas encore lu : tu me pousses à le lire. Si je te demande brutalement, mais enfin tu dis que tu
es écrivain — enfin tu ne le dis pas, mais tu publies une revue littéraire —, mais tu es un écrivain ou tu es chanteur ?
Qu’est-ce que tu es ? Et en plus tu dessines, tu fais du mail art, tu es artiste : mais tu es quoi alors ?

CED _ Un vieux punk. (Rire). Peut-être que je dirais un vieux poète punk. Ce sont les trois mots que
je choisirais. Je préfère le mot poète à écrivain : j’ai un problème avec le concept d’écrivain. J’aime bien
les vrais écrivains, mais je n’ai pas la prétention d’être dans le travail, dans l’ouvrage, dans l’œuvre, dans la
dimension, des vrais écrivains que j’aime vraiment.

AM _ Quels sont les écrivains que tu aimes vraiment ?

CED _ Et bien tu as cité Ivar Ch’Vavar : c’est un contemporain, mais pour moi c’est vraiment un
écrivain. Après j’aime beaucoup Jack Kerouac, j’aime beaucoup le travail d’écriture de Dylan Thomas. Là
en ce moment je suis en train de relire les œuvres complètes d’Edgar Allan Poe : je trouve que c’est un
écrivain, enfin ce sont des noms comme ça que j’ai envie de citer. Je vois l’écrivain ainsi : pour moi un
écrivain ce n’est pas quelqu’un qui fait quelques bouquins qui ont un succès commercial même si c’est à
répétition. Les écrivains auxquels je pense récurent dans le temps : ce sont des œuvres. Émile Zola ce n’est
pas mon écrivain préféré mais c’est un écrivain. Balzac c’est un écrivain. Mais pour le dernier prix
Goncourt, je ne sais pas si c’est un vrai écrivain… !

AM _ Ça, je ne sais pas non plus ! (Rire.) Est-ce que par exemple, pour toi, « Hommage à Francis Bacon »
(« Toussint-Ducasse à Francis Bacon »), est-ce que c’est un poème, c’est-à-dire qui est fait pour être lu dans un
livre, dans un recueil de poésie, ou est-ce que c’est une chanson ?

CED _ Et bien moi je sais que ce texte…

AM _ … dans ta tête aujourd’hui ?

CED _ Dans ma tête aujourd’hui et c’était comme ça au début, ce qui m’intéressait par rapport à ce que
m’avait révélé Francis Bacon c’était d’écrire une chanson, un texte, qui soit mis en musique, donc une
chanson, sur Francis Bacon, mais ce que je voulais, c’était que ça ne ressemble pas, ou le moins possible,
aux idées conventionnelles qu’on a généralement d’une chanson. Alors l’idée la plus conventionnelle, c’est
couplet-refrain. Ou alors parfois des chansons qui vont plus êtes plus récitées en talk-over, plus parlées,
par exemple j’aurais même pu faire, dire : je fais un rap sur Francis Bacon. Mais même un rap sur Francis
Bacon pour moi ça aurait été quelque chose de conventionnel. Je le voulais vraiment, c’était un challenge
avec moi-même. Et puis je trouvais que c’était la moindre des choses : sa peinture est tellement, en terme
de peinture, c’est tellement différent pour moi, les peintures de Bacon sont des poèmes. C’est presque de
l’écriture, sans mot, et silencieuse. Enfin bref, ça peut paraître prétentieux mais je voulais faire pour
Francis Bacon, en hommage à Francis Bacon, un texte, pour une chanson, mais qui ne ressemble pas de
toute manière, quand je l’interprèterai, à une chanson conventionnelle. Mais je voyais dessus de la
musique, du son, des mélodies…

AM _ Alors tu es bien d’accord quand même que si je n’ai jamais entendu ta façon de le chanter, de le scander, de le
grommeler ce texte-là, donc si je ne l’ai encore jamais entendu en oreille et sur tes versions des Dessaquaches et de tes
autres formations, tu es bien d’accord que si je lis ce texte, il y a aussi sa présence : c’est aussi un texte littéraire, c’est-à-
dire qu’il a une âme, et pour moi il a la même âme, que « Tous nos jours sont un poème » et que les trois textes
dont on vient de parler juste avant. Mais que si après on a la version chantée en tête, et bien on a un flou : on ne sait
plus — en tête reste la mélodie, reste toutes tes façons de l’avoir mis en musique —, et donc que c’est devenu une
chanson. Est-ce que tu as conscience que dans la mémoire de l’auditeur, ça peut être différent ? C’est-à-dire que si le
texte a été mis en musique, il bascule dans un autre genre artistique ?

CED _ …

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AM _ Tu peux ne pas être d’accord, et d’ailleurs ce serait très bien…

CED _ Non mais ce que j’ai envie de dire par rapport à ça, c’est que pour moi c’est même un texte qui
me poursuit. Et puis que souvent je n’ai plus envie d’y revenir. Et puis quand même il y a des gens qui me
redemande de le réinterpréter : soit de le chanter, soit de le réciter, soit de le remettre dans une nouvelle
anthologie. Maintenant, depuis quelques mois, je me dis de toute manière, notamment avec la sortie de
Cadavre grand m’a raconté au Corridor bleu, je me dis qu’« Hommage à Francis Bacon »/« Toussint-Ducasse à
Francis Bacon », en français ou en picard, est un texte qui me poursuivra.

AM _ Oui, c’est aussi un texte.

CED _ Mais justement cette exposition, cette rencontre avec Bacon, le texte qui en est sortit, c’est
vraiment charnière : parce que entre le moment où je faisais des fanzines punks où j’écrivais des petites
chroniques de disques, et parfois des choses que je ne faisais voir à personnes, et que je faisais des collages,
pendant 4-5 ans jusqu’à 23-24 ans, et puis après, jusqu’à 36-37 ans, je n’ai quasiment plus rien écrit — si
des collages et des dessins, puis des montages : ça, je faisais encore. Et puis ensuite je ne faisais même plus
de fanzines. Je me posais la question de faire éventuellement quelque chose avec le picard, mais rien n’était
enclenché. Puis j’ai vu une exposition rétrospective de Francis Bacon : pour moi ça a vraiment été un choc,
parce que la peinture de Bacon m’a parlé, m’a crié quelque chose. J’ai lu des entretiens de Bacon, en
parallèle je suis tombé sur la revue l’Invention de la Picardie et Cadavre grand m’a raconté, la première édition
d’Ivar Ch’Vavar. J’ai alors écrit à Ivar Ch’Vavar. Il m’a répondu. Très vite je lui ai fait part dans mon
second courrier de ce que j’avais envie d’écrire, et que je voulais écrire comme Francis Bacon peignait1. Et
il m’a vraiment répondu, incité à le faire. Pour le premier texte — en plus j’avais envie d’écrire d’une
manière expérimentale en picard —, il m’a poussé à exprimer ce que je ressentais pour Bacon, à faire un
texte en picard. Mais mon idée c’était que ça soit aussi une chanson qui ne ressemble pas à une chanson. À
partir du moment où Ivar Ch’Vavar m’a dit « Tu devrais essayer, il faut que tu y ailles », je ne me suis pas trop
posé de questions. C’était la deuxième personne qui me disait qu’il fallait que j’y aille, enfin la deuxième
personne physique. Et puis il y avait eu Bacon entre les deux alors je me suis dit « Il faut que tu l’écrives ton
truc sur Bacon, tu verras bien ».

AM _ Et la première personne c’était qui ?

CED _ C’était Arno.

AM _ Ah, alors moi j’ai trouvé ! Ce que tu fais, c’est de la littérature chantée !

CED _ Oui : enfin c’est flatteur, c’est gentil. C’est vrai que ce que j’adore aussi, dans la tradition de la
littérature, et que j’adore de plus en plus, c’est la poésie arthurienne. Où c’est l’histoire de bardes, de
troubadours qui sont en route et qui transmettent oralement des chansons, de la poésie, de la mémoire
collective. Et donc oui, c’est de la littérature chantée. De même j’adore — ça me vient de l’enfance avant
Steve McQueen —, le premier livre qu’on m’avait offert était une version jeunesse de l’Iliade et de
l’Odyssée. Je ne sais pas si Homère a vraiment existé ou non. C’est fort parce que ça parle de la vie, c’est
symbolique. Ce sont des mythes mais bourrés de symboles qui sont loin d’être idiots parce qu’ils parlent
de l’humanité.

AM _ C’est marrant que tu retombes sur les mythes, qu’en ce qui me concerne j’appelais « figures » quand je te
parlais de Steve McQueen…

CED _ Ah mais oui, Steve McQueen : c’est un mythe !

1
Voir le texte « Écrire comme Francis Bacon peignait ».

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 8

AM _ C’est-à-dire que ce que je ressens, dans certains concerts — là, on retombe à nouveau sur la musique —,
quand j’entends des noms de chanteurs de groupes punks, que tu lances parfois comme ça : on sent que tu es, tour à tour,
dans le mythe, qui est en toi, que tu es dans ce chanteur, dans ce nom que tu balances au public. (Pause.)
On va revenir à la littérature, au picard et au picard expérimental. Tu as parlé d’Ivar Ch’Vavar : depuis peu je me
suis aperçu que je rêvais de lire, qu’il y ait, un recueil qui paraisse de toi où il n’y ait que tes textes en picard. Dans
cette anthologie que je projette avec toi2, je te force à y faire figurer un texte uniquement en picard, sans sa “traduction”.
Alors il est vrai que l’on va se dire que c’est difficile d’accès, que ce n’est pas tout le monde qui se donne la peine de lire
en picard, que ce ne sera accessible qu’à certaines personnes et pas aux autres, mais si on ne lit que tes textes en picard je
me suis aperçu depuis peu que c’était très intéressant. Là, on sent vraiment tout ton travail sur le picard. C’est un
travail entre le cri, et la langue. Peux-tu nous dire quelque chose sur ce picard expérimental ?

CED _ Pour moi le picard, de toute manière, c’est ce que j’ai trouvé de mieux au niveau matière pour
parler des choses qui ont à voir avec mon enfance, avec mes origines. Dans Bacon par exemple, je parle de
la mort de Bacon mais je parle aussi de l’accouchement, et je trouve qu’avec le picard, il n’y a pas de
compromis, il n’y a pas d’entourloupe. Ce ne sont pas des exercices de style quand j’écris en picard !

AM _ C’est direct, c’est brut.

CED _ Oui c’est brut. Je pense que la matière picarde au niveau de la langue et de l’écriture, c’est de là
où je viens dans le sens où — enfin je ne suis pas un régionaliste : je dirais que je suis née sur les terres
picardes, de parents, de chairs qui vivent en Picardie —, mais pour grandir au monde, pour m’ouvrir au
monde — c’est de là où je viens —, donc, je n’ai pas envie d’en faire l’économie. Si je n’utilisais pas de
picard, à certains moments il y a des choses que je ne pourrais pas écrire en français.

AM _ Alors es-tu d’accord avec moi : je crois sentir que c’est en même temps du picard, et que c’est en même temps de
la poésie expérimentale ?

CED _ Oui.

AM _ C’est-à-dire que c’est un picard que tu retrouves peut-être de mémoire mais que ce n’est pas le picard que nos
traditionalistes essaient de nous ingurgiter aujourd’hui, même sur des terres qui ne sont pas les leurs, et qui disent que…

CED _ C’est un peu le rôle. On va continuer avec les figures, mais c’est peut-être un peu le rôle, la
posture, que tient Steve McQueen dans beaucoup d’épisodes d’Au nom de la loi et dans sa filmographie. Ou
même Clint Eastwood dans certains des personnages de ses derniers westerns, surtout les derniers. C’est
un peu une posture comme ça : j’arrive de quelque part avec mon histoire et mon origine, et il y a quand
même des comptes à régler. J’ai quand même des comptes à régler parce que mes parents étaient de milieu
populaire et patois : ils parlaient chtimi. Et j’ai tellement vu dans l’entourage des membres de la famille ou
des amis,qui s’élevaient un peu plus dans la condition sociale casser notamment mon père, et puis les
copains de mon père, et certaines personnes des classes populaires parce qu’ils étaient trop du peuple. Et
donc on se moquait d’eux parce qu’ils parlaient patois. Et d’un autre côté, il y avait les mêmes gens qui
critiquaient les gens du peuple qui parlaient patois avec des grands élans nostalgiques et larmoyants quand
ils entendaient évoquer les Cafougnette de Jules Mousseron. Et je trouvais ça complètement cinglé ! Je ne
sais pas si je me fais bien comprendre…

AM _ Oui.

CED _ Alors moi j’ai eu envie de leur dire, et puis d’un autre côté, élevés dans la société, ils disaient
que la vraie littérature c’était ceci, que les vrais poètes c’était cela. Et moi avec cette matière-là j’ai eu
envie de régler des comptes, de trouver d’abord, et puis de trouver ceux qui disaient : je les ai trouvés, j’ai
trouvé qu’il pouvait y avoir de la vraie littérature, et de la vraie poésie, notamment en picard mais

2
En face du hors série BASEMENTS-Ffwl, Des araignées… au CRI, Travail d’Alain Marc.

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 9

également dans d’autres vieilles langues, et que ce n’était pas que le français académique qui était de la
littérature ou de la poésie. Et puis après j’ai eu envie d’écrire des choses. Certains m’ont dit que c’était de
la provocation. Je pense, moi, que c’était peut-être essayer de resituer les choses, de régler des comptes
mais pas dans le sens de dire que je veux supprimer quoi que ce soit ou flinguer untel ou untel, mais que je
cherche à remettre certaines choses à leur place. Alors je trouve que oui le picard, le patois, le chtimi,
c’est vrai pour d’autres langues mineures de France et du monde entier, que la façon dont elles sont
traitées dit beaucoup sur la façon dont on traite les classes populaires. Il y a ça aussi dans ma volonté
d’écrire et de continuer à écrire en picard, en ne tombant surtout pas dans de la nostalgie complaisante…

AM _ Alors ce qui me venait c’est que tu as eu envie de leur balancer ton picard. Est-ce que ça te parle ?

CED _ Mon picard ? Je ne sais pas…

AM _ Donc quelque part ça serait ton cri : toi, tu as eu envie de leur balancer ce que tu es. Et ce que tu es, c’est un
Picard.

CED _ C’est curieux parce que de plus en plus souvent j’entends en ce moment ces paroles. Je le dis
moi-même que c’est un picard expérimental. Donc de là il va se dire « Il l’a créé, ou, ils l’ont créé à
quelques-uns ». Mais finalement, dire ça c’est aussi dire que c’est du picard, parce que j’ai envie de dire
« Le patois que vous utilisez, finalement, ce n’est même pas du patois, c’est du français déformé : ce n’est
même pas du picard ». Par exemple, il y a un chose anecdotique, aberrante : dans un Tintin qui vient
d’être traduit —il y en a deux, le Trésor de Rakham le rouge et le Secret de la licorne…

AM _ En picard : soi-disant…

CED _ Soi-disant en picard. À un moment il y a « J’va t’mettre un coup sul tchiet ». Alors que moi
j’aurais… merde, s’ils avaient… tchiet, c’est du français déformé : ça fait tout de suite penser à tête. La
vraie expression aurait été, si ça avait vraiment été traduit, « J’va t’mettre sur ch’guife ». Tu vois, et le
problème il est aussi là. Donc par exemple un picardisant va dire « A j’va y mettr un cou sul tchiet ». Mais moi
je vais dire « Tu vas voir sur ch’guife ». Guife, on s’en souvient quand même de ce mot. Mais il y a d’autres
mots de vocabulaire qui sont encore plus oubliés en picard, mais si tu les utilises, les autres vont dire,
notamment certains picardisants « bah c’est pas comme ça qu’on dit, c’est pas du vrai patois, c’est pas du
vrai picard, ils inventent ». Mais ce n’est pas vrai. Ivar, moi, on n’invente rien : c’est la vieille langue.
Initialement c’était comme ça.

AM _ Alors “guife”, par exemple, ne me parle pas — je reprends ton mot —, ce qui me pousse à préciser que le
picard n’existe pas, que ce qui existe ce sont les picards. Il se trouvent que je suis aussi picard, que je suis né à Beauvais,
qui n’était pas il y a cinquante ans une terre du parlé picard, ça je le crierai toujours haut et fort : depuis que je suis né
je n’ai jamais entendu parlé picard à Beauvais. Par contre, à Amiens : oui ! Amiens, c’est une terre picarde. Ma mère
était d’Amiens et quand on revenait à Beauvais, je l’entendais : j’entendais son accent d’Amiens revenir soudain pendant
les jours suivant juste notre retour. Alors “Guife” : ça vient d’où ?

CED _ Ça vient du picard…

AM _ De ta région ?

CED _ Ça vient du Pas-de-Calais.

AM _ D’accord, parce que tu vois moi j’aurais aussi dit tchiet. Tchiet me parle, alors que guife non : c’est un mot
que je ne connais pas, ce n’est pas mon picard, ce n’est pas le picard que j’ai entendu, ou le peu que je peux encore avoir
en mémoire.

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 10

CED _ Encore tchiet… L’exemple pourrait être encore plus parlant. Encore tchiet : passons. Mais pour
prendre un autre exemple je prends toujours l’histoire de la boîte aux lettres. J’ai lu des tas de textes de
picardisants, quand ils parlent de boite à lettres ils n’utilisent jamais le mot abuge. L’abuge : c’est la fente où
l’on dépose les lettres. Et c’est un mot typiquement picard. Alors finalement c’est expérimental parce que
c’est tombé en désuétude et qu’on a oublié énormément de choses. Et de se réapproprier des choses
tombées en désuétudes pour en faire des choses contemporaines, non pas modernes, mais contemporaines,
ça parait tout de suite expérimental. Alors ça je trouve cela complètement surréaliste mais tu vois dans le
sens péjoratif du terme : ça n’a plus rien à voir avec la réalité.

AM _ Alors il me vient beaucoup de choses…

CED _ Parce que c’est aussi la question de la lecture, de l’Histoire de France. De dire qu’en France il
ne faudrait qu’une seule langue unique. Et même si on accepte qu’il y ait des patois ou des idiomes, il
faudrait que ça soit de toute manière du français déformé. Mais c’est une imbécillité parce que la France,
historiquement, identitairement, ce n’est pas une langue, une culture, ce sont des langues, des cultures.
Alors peut-être que si on arrive à intégrer ça, et à l’accepter, on pourra mieux intégrer et accepter les
nouveaux arrivants, avec leur langue et leur culture à eux. Alors qu’on fait l’impasse sur…

AM _ On fait l’impasse en fait sur notre propre histoire.

CED _ Oui, mais on fait surtout l’impasse sur le fait que l’Histoire de France n’est pas l’histoire de la
France, mais celle de la Bretagne, de l’Occitanie, de la Grande Picardie Mentale, de l’Alsace, de la Savoie
avec à chaque fois des cultures, des mythes, des langues, des vocabulaires différents.

AM _ Alors le côté expérimental, j’aime bien ce mot parce qu’il va également vers ce que je crois aussi sentir, je veux
parler de l’oralité. Parfois je vois que tu cherches une intonation, l’intonation d’un mot, picard. On s’aperçoit en lisant
tes textes qu’un même mot n’est pas toujours écrit de la même façon. Il y a différentes versions, et moi je le vois comme
s’il y avait un tâtonnement derrière cela. Et cette idée me ramène à la raison pour laquelle j’ai émis le souhait de ne
publier que tes textes en picard, sans aucune traduction : afin que l’on rentre dans cette matière-là, dans cette sonorité-
là, dans ce travail d’oralité et d’oreille, idée qui se rapproche beaucoup pour moi également du rejet de l’intellectuel,
que tu rejettes tout comme moi, à savoir la poésie “contemporaine”, j’allais presque dire “classique”, canonisée par les
institutions plus ou moins officielles, les revues et les éditeurs en place aujourd’hui. Il y a un peu de ça aussi : ce que
j’aime dans ce côté de dire expérimental, c’est de réaliser que vous travaillez sur l’oralité, vous aussi, et donc que vous
faites une poésie avec une forte composante orale.

CED _ C’est vrai que quand j’écris un texte je le conçois toujours comme devant être lu et entendu.
C’est pour cette raison peut-être que je te répondais au début de l’entretien que je préfère le mot de poète
à celui d’écrivain. Je pense qu’un écrivain peut beaucoup plus facilement dire « j’écris », dans l’esprit pour
que ça soit sur le papier, que ça ne soit que lu sur le papier, tandis que moi je crois que — attention, c’est
une vision, c’est la mienne — mais pour moi le poète et la poésie c’est aussi de l’ordre du son, qui doit
être lu et entendu. C’est peut-être un postulat, mais je trouve quand même que pour les vrais poèmes, tu
as toujours envie de les lire à haute voix. Et quand ils sont lus à haute voix tu as un effet que tu n’as pas à la
seule lecture sur le papier.

AM _ Comme si tu ne voulais rester que dans le vivant, que dans l’oral et dans la performance, ce qui explique aussi
ta forte propension à être sur scène, et à chanter, plutôt qu’à être sur le papier.
Une autre chose, tu y as déjà presque répondu mais je voudrais en faire une synthèse. Je voulais déjà te le demander
tout à l’heure, en sachant la question s’adresse surtout aux personnes plutôt novices en la matière : ton picard, est-ce un
picard de Douai, ou est-ce un picard de Berk ? En d’autres termes est-ce le picard d’Ivar Ch’Vavar, ou encore dit
autrement est-ce que le picard de Déquesnes est le même que le picard de Ch’Vavar ou le même que celui par exemple de
Lucien Suel ? Tu y as un peu répondu tout à l’heure en disant, et je le reprends autrement, que c’est notre picard à nous
tous. Et le picard de Pierre Garnier, pour prendre encore un autre exemple : tu penses qu’il y a un picard de Pierre
Garnier, un picard qui lui est propre ?

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 11

CED _ Oui.

AM _ Qui est différent du picard d’Ivar Ch’Vavar ?

CED _ Ah oui oui, très… Le picard de Pierre Garnier c’est le picard de son enfance. Le picard d’Ivar
Ch’Vavar c’est le picard de l’enfance berkoise de Ch’Vavar.

AM _ Et le tien ?

CED _ Le mien, c’est le picard de mon enfance et qui a pu, qui a été étouffé à l’adolescence et qui est
devenu un picard punk parce que c’était important ces années punk pour moi, et avec Ivar j’ai eu le droit
d’utiliser le picard de mon enfance pour parler de ma punkitude. Enfin j’ai envie de dire ça comme ça. Et
ce qui est étonnant c’est que les gens que j’aime et qui écrivent en picard, ont tous un très grand rapport
avec leur enfance.

AM _ D’où aussi l’idée de Ch’Vavar d’intituler sa dernière revue, justement, l’Enfance… (Je fais juste une
anecdote…) Mais j’aimerais avancer encore un peu. Ce que j’aime bien, ce que j’aime énormément, oui, il faut quand
même que je dise que je suis très heureux quand tu précises que ton picard est du picard “punk”. On revient à ce
qualificatif que l’on a avancé au début de cet entretien quand tu m’en as donné l’image et que je t’ai défini comme un
poète punk, et que je t’ai dit que tu faisais de l’écriture punk.

CED _ Mais ça, je m’en rends de plus en plus compte, je n’en étais pas persuadé quand je l’ai vécu, et
j’ai vraiment commencé à m’en rendre compte il y a une bonne dizaine d’années, mais quand j’ai
découvert le mouvement punk, même si je n’ai pas été un punk comme Johnny Rotten avec les cheveux
dressés sur la tête, ou des chaînes ou des insignes nazies partout : j’ai coupé mes cheveux à cette époque-là
à cause des punks. J’ai commencé à m’habiller d’une manière un peu plus sombre, à faire des choix
esthétiques, à faire des choix de musique, des choix de lecture, et ça a quand même bouleversé ma vie. Je
trouve. Mais pour revenir par exemple au personnage de Steve McQueen, qui est quand même un anti-
héros : il a une attitude de dandy punk, même dans ses rôles de cow-boy, je le dis comme ça.

AM _ Pour Steve McQueen je sens plus le dandy que le punk mais il va falloir que je le regarde à nouveau avec toi…
Parce que je suis un grand fan de Joss Randall aussi, tu le sais ! Je voulais dire quelque chose… Oui, ce que tu appelles
punk, je l’appelle cri. J’en ai l’impression : c’est un univers…

CED _ Tu sais, je me souviens, les Sex Pistols n’étaient pas le groupe que je préférais. Mais j’aimais bien
le personnage de Johnny Rotten. Et il y a une chose hyper importante qu’a dit Johnny Rotten. C’est que si
au moins la manière dont j’ai pu me comporter, gesticuler, crier sur scène, a permis à quelqu’un d’avoir
envie de faire sa chose dans son coin, là, j’ai réussi. Et ça c’est de l’ordre du cri. Et il arrête les Sex Pistols
très très vite finalement. Et fait un groupe qui s’appelle Public image limited où il chantait même à une
époque le dos tourné au public ! Et où il criait comme il n’a jamais crié du temps des Sex Pistols ! Et c’est
vrai que ce côté de comment les choses sont éructées, chantées d’une manière braillarde, c’est ce que
j’aimais. Et ce qui est intéressant dans le punk, c’est le cri.

AM _ Alors en parlant du punk aussi, lorsque l’on a abordé le picard tu en es venu pendant un court instant à la
problématique du milieu populaire. On arrive alors à un point que j’avais envie d’aborder également avec toi, c’est-à-
dire ta propension — et ton amour — pour le social et pour aborder les thèmes les plus actuels. Tu as écris le texte
« Pennametaleurop blues ». Je sais que pour toi, quand on entend certains concerts aussi — tu parles des convoyeurs
par exemple, de tout ce qu’on a essayé de faire sur Douai avec ça —, je sais que le social c’est quelque chose qui est
important pour toi. Peut-être que tu ne l’as pas trop exprimé au début, et que tu commences à l’exprimer maintenant,
mais ce que je sais c’est que le social est également important pour toi, dans ce que tu exprimes.

CED _ Oui.

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 12

AM _ La mine, la revendication que tu peux avoir à ce niveau là. Et peut-être que c’est ça, quand je disais que
j’aimais Ffwl, que je retrouvais et que je ne retrouve pas chez les autres écrivains qui te sont proches. Tu vois : ce besoin
de revendication. Notre rencontre entre le punk et le cri, tout l’univers commun que nous avons ensemble.

CED _ Le social c’est important parce que c’est là que tout se joue. C’est là aussi où malheureusement
tout s’est joué et puis c’est là où tout se joue et où tout est en train de se perdre. Parce que enfin moi par
rapport au social, ce que je sais c’est que je suis un gamin qui a été élevé par des parents qui sortaient de la
seconde guerre mondiale, qui ont vécu ce que l’on appelle les “trente glorieuses”, et vraiment, il n’y a pas
qu’en France mais aussi dans une grande partie du monde, on croyait quand même qu’on entraînait
l’humanité vers un monde meilleur… Et moi je me souviens, ça, c’est très anecdotique, mais pendant les
événements de mai 68, mon père était militant, syndicaliste, et j’ai vu toute la détresse de mon père dans
son regard, quand les événements de mai 68 se sont terminés. Je me souviens de phrases terribles, que j’ai
entendues dans le groupe d’adultes dans lequel était mon père. Il n’était absolument pas d’accord avec la
manière dont le monde ouvrier avait été manipulé. Parce qu’on avait fait des promesses et qu’on avait
désolidarisé des étudiants, des futurs — j’allais dire — intellectuels, de la future gauche, bien pensante,
voire caviarde des années 80. Et les copains de mon père, et mon père, étaient de ceux qui à ce moment-là
se sont dit, « Mais c’est foutu ! ». Et puis après il y a eu, je me souviens, ça a été assez vite après
finalement : eux, ils ont trouvé que 68 n’avait pas été jusqu’au bout, et qu’ils se faisaient avoir. Puis
quelques temps après il y a eu le premier choc pétrolier. Et moi j’ai vu, dans le milieu populaire dans
lequel je vivais, j’ai vraiment vu, j’allais dire tout « partir en live », comme les jeunes disent aujourd’hui.
Et aujourd’hui on sait où on en est ! Alors que c’est vrai que je pense qu’à une époque il y avait
certainement des atouts avec la modernité, avec le progrès, qui pouvaient vraiment plus que faire croire,
laisser penser, si les choses avaient continué dans le bon sens… Je dirais d’une certaine manière
qu’aujourd’hui en Europe on n’en serait pas où on en est aujourd’hui avec des fantômes qui resurgissent,
qui sont omniprésents, alors qu’on disait et que l’on dit encore : « Plus jamais, plus jamais ! » Mais je veux
dire, moi, le bruit des bottes nazies : je les entends marteler. Enfin c’est une image, mais, sur le trottoir de
mes cités où je travaille au quotidien, et même de la ville où je vis : je n’ai pas peur de le dire. Alors j’ai
aussi des souvenirs d’un père qui me racontait des souvenirs de mon grand-père qui était résistant : je suis
donc imprégné de tout cela.

AM _ Et tout ça, ça passe dans ta défense du coron, de la ducasse, ça passe dans ton univers.

CED _ Oui parce que si tu veux, les gens qui vivent dans les quartiers populaires, ce sont des animaux.
On nous a pourtant dit que c’était fini le temps de traiter les gens comme des animaux, surtout dans notre
société. Mais finalement, ça continue. Les gens aujourd’hui — on sait ce qui se passe en France, les
émeutes et tout ça — ils ont l’air étonnés ou ont des discours du style « On va leur donner une bonne
correction : ils vont se calmer. » Mais quelque soit l’origine des personnes je crois que quand on pousse les
gens à bout dans certaines situations il ne faut pas s’étonner qu’il y ait de la rébellion. Mais ça me fait
presque suer de parler de ça parce que ça me paraît tellement évident, limpide. Oui, quand je dis, quand je
chante, que les convoyeurs attendent, je pense également aux trains, aux avions et aux aéroports où des
choses similaires sont également prêtes… Je pense donc que la littérature doit crier, qu’elle doit dire des
choses comme celles-là.

AM _ Oui, je le pense aussi. J’aime ce que tu viens de dire parce que tu reviens à ton art, en conclusion, après de
longues paroles sur la société. Parce que je n’aime pas beaucoup qu’à propos d’un écrivain l’on parle de sa vie, de la vie
sociale, et que l’on zappe totalement son art, le lien qu’il y a entre les deux, qu’on le fasse coupé de son art.
On va passer à autre chose, et peut-être afin de terminer cet entretien : j’aimerais revenir sur la chanson, sur ton
univers musical. Et je pense que cela pourrait faire une belle conclusion.

CED _ Mais par rapport au social je voudrais juste ajouter : c’est présent, et je veux que ça reste
présent, parce que je ne veux pas le renier. Je n’ai pas honte de mon père. Je n’ai pas honte de ce

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 13

qu’étaient mes grands-parents : je veux vraiment leurs rester fidèle. Ça pour moi, c’est important. Et je
tenais à l’ajouter.

AM _ Avec la même authenticité. Et l’authenticité, c’est aussi l’authenticité du cri. Si on en revient — moi je dis,
aux trois groupes, que tu as fait, créés, parce que je suis extérieur à toi et que c’est plus facile pour moi —, si on en
revient donc à Chés Déssaquaches, Chés Éclichures et (2)Brokes, à chaque fois chacun a donné un univers musical
totalement différent du précédent, avec parfois tes mêmes chansons, mais mises en musique d’une façon différente, qui
sonnaient différemment. On est passé du blues au rock, puis du rock à la musique beaucoup plus, je dirais, moderne,
d’aujourd’hui, que l’on entend, enfin un mixage très intéressant avec des musiques peut-être plus d’aujourd’hui.
Comment expliques-tu cela, et je repense aussi à ce côté du tout début de notre entretien avec tes « extractions » : est-ce
que c’est toi, Christian Déquesnes, qui a trouvé ces musiques avec les compagnons différents, et compagnes, ou est-ce
que… enfin d’où ces univers musicaux sont-ils venus ? Est-ce qu’ils sont venus du groupe, ou de la rencontre de
Christian avec ce, ces, groupes ?

CED _ Oh !, c’est surtout venu de la rencontre d’Edziré avec les groupes. Je pense qu’à chaque fois
quand même par rapport à chaque morceau ou à chaque chanson j’avais déjà des idées assez claires, soit de
la structure du morceau, soit d’une mélodie, même si elle n’était pas très élaborée au niveau du chant, ou
d’une ambiance musicale. Et c’est vrai que finalement, aussi bien avec Chés Déssaquaches qu’avec (2)Brokes,
on peut dire que surtout avec Chés Déssaquaches par exemple, surtout vers la fin du groupe quand certaines
personnalités, musiciens, n’ont plus voulues dire « On va faire un morceau comme ça ». À partir de ce
moment-là ça a moins bien fonctionné. Pas dans le sens où je refusais, mais finalement mes mots, mes
textes, collaient moins. C’est-à-dire, aussi bien dans Chés Éclichures que dans (2)Brokes, il n’y a jamais eu un
morceau finalement qui a été créé à partir d’une musique, à partir de quelqu’un qui aurait dit « Tiens,
voilà une musique » : c’est toujours à partir d’un texte, d’une chanson, d’un texte pour une chanson qui
était écrite. Mais c’est vrai quand même qu’il y a toujours eu ma vision à moi. Et le plus grand — enfin
maintenant ce n’est plus un regret parce que je suis passé à d’autres choses, et puis avec du recul, c’est
bien —, de toute manière, pour reprendre Jean-Jacques Burnel des Stranglers — avec les Stranglers il a bien
fait, un jour, d’arrêter — sur ma question « Est-ce que tu imagines la mort des Stranglers ? » — c’est peut-
être pour parler de la mort de Chés Déssaquaches —, il m’a répondu citant le poète Shelley « Bah oui, la
chair meurt ! »

AM _ J'ai découvert aussi, dans les CD que tu avais la gentillesse de m'envoyer, au fur et à mesure de ton travail
musical, que tu disais des textes.

CED _ Oui.

AM _ Et j'ai eu le second choc — après le premier choc de Chés Déssaquaches. Et j'ai senti là une âme : c'est-à-
dire que quand tu dis un texte, sans musique, avec juste quelques petits bruitages, un petit fond, il y a aussi du
Déquesnes qui passe, et c'est aussi un côté que tu pourrais poursuivre. Alors il n’y a que quelques morceaux : j’en ai
repéré 5/6, que je t’ai indiqués depuis quelques temps. Il me semble : même avant que tu sortes, au moment de
(2)Brokes, le mini-CD Chrono-punk. Est-ce que tu en es conscient ? Est-ce que c'est voulu ? Comment t'est venue
cette idée de dire tout simplement un texte ? Et de l'enregistrer. On n’a pas parlé dans son fond du disque de DA Lévy
mais...

CED _ Et bien ça rejoint cette idée aussi que je pense que la poésie, et le poète, c'est fait pour être
entendu, lu, donc à un moment j'ai eu envie de réciter des choses que j'avais écrites et de les porter avec
ma voix, de les porter vers d'autres mais avec ma voix. Et puis ce qui a quand même été important dans la
décision de faire cela, et de le faire de plus en plus, c'est le travail de Dylan Thomas. Parce que, là aussi,
ça, c'est une rencontre finalement. Quand j'ai lu les traductions de Dylan Thomas — car je ne maîtrise
vraiment pas suffisamment l'anglais pour que les textes de Dylan Thomas me parlent en anglais —, quand
j'ai lu les traductions, ça me paraissait un peu hermétique. Et curieusement, quand j'ai écouté des
enregistrements de Dylan Thomas où il déclamait en anglais, même si je ne comprenais pas, ou qu'un mot,
ou qu'une expression sur dix, il y avait une émotion qui se dégageait. Il y avait une tension, une force, qui

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 14

me transportait, qui me bouleversait. Puis je suis retourné, par exemple sur certains textes qu'il lisait en
lisant la traduction. Puis je me suis dit bon sang c'est vrai que lui, il a écrit ses textes pour qu’ils soient lus à
la radio, à la BBC. Et ce sont des textes très littéraires, très écrits, qui peuvent sembler parfois alambiqués
ou autre, mais le fait qu'il les lise, on sentait qu'il y avait une émotion. Il les a lus, il l'a fait, et je me suis dit
que même avec des textes moins accessibles, plus alambiqués, il fallait oser les lire. Ou des textes en
picard : même si le public n'est pas sensibilisé à la langue, qu'il n'est pas picard, si tu y mets ta sincérité, ton
cœur : l'émotion passera. Et tu le dis toi-même : ça « passe ».
Donc je continue, et d'ailleurs, c'est le projet de la dernier petite publication que j'ai faite, qui sort chez
la Vie secrète des mots, la petite maison d'édition de Pascal Lenoir : je sors huit poèmes courts en picard. Ça
s'appelle Arwét’drière3. Ce ne sont que des poèmes en picard, avec la traduction et un CD joint qui fait un
bon quart d'heure, où 13 mn : il n’y a que ma voix4, qui récite les textes. Avec quelques petits clins d'œil
musicaux : parce que j'ai voulu mettre aussi un peu de son. Puis des petits bidouillages musicaux que je
fais. Mais pour le reste, c'est la voix à nu. Et je suis assez content de cette réalisation. Parce
qu’« Arwét’drière, rétrospective », ça me résume assez bien : des textes courts en picards qui sont essentiels
pour moi5. Il y a les traductions, et puis il y a le côté sonore. C'est comme ça que j'écris.

AM _ J’ai par exemple beaucoup aimé découvrir le texte de « Cho’r reuleuse », tout simplement dit (toujours sur un
CD « off ») : cela donne une impression très différente que la chanson de Chés Déssaquaches.

CED _ Oui oui, c'était pour une lecture publique : pour une seule occasion et avec un arrangement, sur
la fin, avec Vincent Farasse qui joue du violon. Ce que j'avais fait avec Vincent Farasse n'était pas une
lecture-performance de Christian Edziré Déquesnes : on avait comme ça en alternance, lui au violon, fait
tout un truc à Lille il y a une paire d'années. Et parfois il y avait des textes dits et on était ensemble, et
donc, avec un peu de violon. Et ça c'est aussi une voie que j'aimerais bien creuser : du texte plutôt récité,
parfois chanté, et avec de la musique. Et d’ailleurs il y a un truc qui me fait suer en ce moment en France,
dans la chanson française et la nouvelle chanson française, et même au niveau du rock : je trouve que la
chanson française est de plus en plus faite avec des chanteurs sans voix. On dirait presque qu'il faut leur
mettre un micro dans l'estomac, pour entendre des gargouillis. Alors moi je me dis pourquoi ne pas faire
des choses qui ne soient pas chantées, mais récitées. Mais avec de la musique aussi, de la vraie musique.
Alors tu vois avec (2)Brokes

AM _ Avec un fond sonore ?

CED _ Parfois avec un fond sonore. Mais j'allais dire, tu vois le long morceau de (2)Brokes, « To-ï-ké ! »,
qui est un morceau où finalement quand je le réécoute je n'arrive pas à voir si c'est du chant, si c'est du cri
ou si c'est de la récitation. Sur ce titre-là, la voix elle, débarque sur la musique6. J'aimerai bien, si c'était
possible, approfondir aussi ce sillon-là. Peut-être aussi ce que tu as vu à Saint-Valéry-sur-Somme,
« Arwét’drière, ech kar ahoké 7 », le long morceau final où tout est mélangé8. Finalement moi ce qui
m'intéresse dans tout ça, ce qui peut déranger des gens, et que je comprends tout à fait, c'est de faire en

3
Et sous titré « Ech’l underground pikar ».
4
Poursuivant donc l’idée lancée auparavant ?
5
Le nom complet est « Arwét’drière, ech kar ahoké (rétrospective) » et est celui de la performance effectuée le 3 août 2005
à la Galerie l’Usage du monde à Saint-Valéry-sur-Somme dans le cadre du festival Ches wèpes, différent donc de celui de
« Arwét’drière, ech’l underground pikar » du livret et CD de la Vie secrète des mots.
6
« To-ï-ké ! », « Tout tombe ! » en picard, est une suite de mots de la chanson « Brokes Blues/El canchon dech graind
Lala » du disque live Sake eddin ! Pounkapénoul is dead ! Live tour 2004 de (2)Brokes où C. Edziré Déquesnes,
commençant par un cri et sur un rythme effréné, égrène les paroles dans un ordre quelque peu malmené et en boucle
de la chanson prévue au départ…
7
« (rétrospective) » : voir la note précédente.
8
Le mélange, déjà expérimenté aux temps de Chés Déssaquaches où on retrouve à la fin du disque Dallaches – Bleuses
bornes – un morceau de 12’37’’ comprenant d’autres versions des morceaux précédemment présentés mis bout à bout
et suivis d’enregistrements parlés et chantés de Konrad Schmitt.

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 15

sorte de ne plus savoir, même pour moi-même, quand je suis dedans et que je réécoute après, si c'est une
chanson, ou si c'est une longue poésie déclamée et hurlée parfois...

AM _ Tu allais dire « une longue plainte ». Mais c'est bien que tu parles d’« Arwét’drière », que j'ai vue : autre
coup de foudre de ma part. Ça, c'est l'après (2)Brokes, et c'est Déquesnes.

CED _ C'est vrai, oui. C'est vrai que cette voie-là si tu veux...

AM _ C'est Déquesnes en solo.

CED _ C'est Déquesnes en solo, c'est Edziré en fait. Mais alors ça je ne sais pas, c'est une des questions
que je me pose en ce moment, si je vais plutôt creuser cette voie là, ou si je vais refaire des choses avec
d'autres complicités musicales. Je ne sais vraiment pas parce que d'un côté je me dis que tout seul cela peut
paraître prétentieux parce qu'arriver là tout seul et faire un truc, qui est quand même avec un niveau
sonore assez fort, d'habitude, c'est plutôt des groupes de rock qui le font… Même si là c'était dans une
toute petite salle. Mais c'est quelque chose que je peux faire avec encore plus de son. Et d'un autre côté
travailler avec d'autres musiciens, extérieurs, je sais que j’aime beaucoup, au niveau affectif, les musiciens
avec qui j'ai travaillé : il reste toujours quelque chose. Mais quand même, j'ai tendance à penser — surtout
en France, parce que j'écoute beaucoup de chose qui se font en dehors : je vais par exemple voir des
artistes anglo-saxons — j’ai tendance à penser qu'en France, même dans le rock finalement, il y a très très
peu de prise de risque de la part des musiciens, et que c'est finalement un peu sclérosé. Alors c'est
vraiment dur pour moi de faire passer mon désir, mon approche... Tu vois par exemple tout à l'heure, je
citais Van Der Graaf Generator, de Peter Hammill…

AM _ Grand amour de ma part !

CED _ Oui, et en plus c'est très très vieux mais tu vois, tu parlais de plainte, alors loin de moi de dire
qu'« Arwét’drière », le long morceau que j'ai fait9, ça puisse ressembler à quoi que ce soit de Van Der Graaf
Generator ou de Peter Hammill. Sauf dans l'extension, dans la durée, sans que ce soit du rock
symphonique à la Yes ou à la Genesis. Moi ce que j'aime beaucoup dans Van Der Graaf Generator c’est ce
que tu disais, cette plainte, ce déploiement dans le temps : cette plainte.

AM _ Cette voix, qui mène le morceau et qui fait les volutes, et qui...

CED _ Et bien ça, avec la plupart des musiciens avec qui j'ai collaboré, ils sont très durs à l’accepter : il
faut que ça reste dans des schémas chanson rock, ou morceau raclac claclac. Mais après, la question de
l'étirement, mais ça c'est une question je crois aussi d'éducation, mais c’est aussi globalement une vision de
la chanson française. D'ailleurs c'est marrant parce qu'en France, on parle de chanson rock, et la chanson
française elle est rock, il n’y a qu'en France qu'on dit cela, qu’on appose ces deux mots. Par exemple en
Belgique, on ne dit pas de la chanson belge rock, alors qu'Arno par exemple il fait vraiment des chansons et
on dit : c'est un belge, il fait du blues, c'est du rock belge, mais on ne dit jamais « Arno, c'est de la chanson
rock belge ».

AM _ Alors une chose : tu me fais penser je ne sais pas trop pourquoi… Si, Peter Hammill, l'étirement dans le
temps : ce n'était pas une question que je voulais te poser mais je vais te la poser là parce que je me la posais depuis
longtemps. J'ai l'impression, en écoutant ta musique, tes concerts live, que ce que tu fais est un grand maelström, un
grand chaos, où le texte d'une chanson peut se retrouver sur la musique d'une autre, où d'un seul coup tu peux ressortir
un vers, un bout de texte d'un autre texte, que tout est un grand mélange : est-ce que c'est moi qui n'aie pas encore assez
écouté ou est-ce vraiment ce qu’il ce passe ? Je n'ai pas eu le temps de tout catégoriser encore, j'ai même voulu le faire il

9
Le morceau final d’« Arwét’drière, ech kar ahoké (rétrospective) », de la performance de Saint-Valéry sur Somme donc,
sorte de grand maëlstrom reprise des chansons et ambiances sonores depuis le début, effectivement très long (et
génial !)…

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y a un moment, j'ai voulu dire alors tiens, il y a telle chanson, tiens il y a tel titre, ça a été créé à tel moment, il la
rechantée avec tel groupe. Tu vois, j'ai même eu envie de classifier comme ça.

CED _ Non ça c'est vrai, c'est une réalité, c'est même une volonté. Mais ça, ça vient du blues, c'est
parce qu’avec le blues, surtout au niveau des textes, il y a une très grande liberté selon l'endroit, le
moment, les gens qu'il y a dans la salle, l'audience que tu as : au niveau du texte, de changer les paroles, de
mettre les paroles d'une autre chanson, d'improviser... Et cette idée-là, elle me plaît beaucoup parce que
justement c'est le moyen de dire aussi, quand tu es confronté comme ça à une audience : je suis pas tout
seul. Enfin pour moi c'est : « je ne suis pas tout seul dans mon truc avec mon bazar que j'ai envie de vous
donner parce que c'est moi. » C'est aussi un moyen de dire « Je sais que vous êtes là, je sais que vous
existez, je sais qu'il y a le monde autour de moi, et je suis en connexion avec ça. » Et de ne pas penser
« Voilà, dans ce que j'ai à vous dire il faut que je mette telle chose, tel message. » Pour dire que je ne suis
pas là tout seul dans mon monde, que je ne suis pas coupé, que ce n'est pas quelque chose d'autistique ce
que je fais, que je veux communiquer, que je veux être attentif au reste du monde. Donc il y a des
moments il faut que je change des choses, pour interpeller les gens et leur dire « On est ensemble. » Mais
pas comme le font certains groupes qui disent « Plus rien ne va plus : ensemble, tous ensemble ! » Et puis
ils rejouent un morceau, comme ils le rejouaient la veille, et comme ils le rejouent sur le disque, ça c'est
un peu hypocrite. Enfin : à mon avis. Mais les vieux bluesmen, ils m'ont permis de comprendre tous ça.
Enfin de le comprendre, l’avoir compris : je l'avais compris, je l'avais en moi, j'avais le désir, mais de dire
on peut le faire et surtout il faut le faire…

AM _ Alors en t'écoutant, on a l'impression d'être… On perd la notion du temps : on se demande aussi si on ne


devient pas fou. Il nous semblait qu'on écoutait telle chanson et d'un seul coup on se dit « Mais non, ce n'est pas celle-là
que j'écoute…!» Voilà l'impression que cela donne : on est vraiment dans une folie, dans un univers, dans ton mythe.
Alors sinon, la dernière question que je vais te poser est celle-ci : à un moment, dans l’un de tes concerts, tu dis :
« Faisons de l'ultrapoésie. » C'est quoi l'ultrapoésie ? C'est de la poésie plus que poésie ?

CED _ Je dis « Faisons de l'ultrapoésie » parce que si je disais « Faisons simplement de la poésie » on
pourrait me répondre, et on risquerait de me répondre, « Mais la poésie, il y en a qui la font, elle existe,
elle se fait ! » Et moi je trouve que, comme actuellement quand tu vas dans les supermarchés et que tu
voies les gondoles de romans, je trouve qu’il n'y a plus de vrais romans, j'ai tendance à dire qu'il n'y a plus
de vraie poésie. On nous dit, justement, la chanson française c'est de la poésie : c'est faux, ce n'est pas de la
poésie. Donc en fait ce que j'ai envie de dire c'est « Faisons de la poésie mais faisons de la vraie poésie ! »
Pour moi la poésie, les références que j’ai en poésie, ce sont des trucs extrêmes, ce sont des trucs ultra.
Donc j'ai envie de dire « Faisons de l'ultra poésie ! » La poésie, elle doit dire : elle doit vraiment dire
quelque chose, elle doit crier quelque chose. C'est ce que je dis dans « Écrire comme Francis Bacon
peignait10 », c'est-à-dire que les mots de la poésie doivent, d'une certaine manière, quelque part, venir
frapper frontalement et provoquer un ébranlement : ça doit laisser une trace. Si la poésie fait, si ce qu'on
appelle de la poésie passe : c'est agréable, c'est une caresse, mais ça passe, ça ne chamboule rien sur le long
terme de ta vie, de ton rapport au monde. Pour moi ce n'est pas de la poésie, c'est beau, c'est esthétique.
La poésie n’a pas besoin d'être forcément, entre guillemets, « belle » ou « esthétique ».

AM _ C'est ce que j'appelle écrire « contre la forme » dans Écrire le cri. Et puis je repense aussi à la citation
d'Henri Meschonnic que tu as reprise dans un numéro de ta revue, que « la poésie doit faire quelque chose » (je
souligne). Donc, elle doit ébranler, elle doit provoquer quelque chose chez le lecteur, sinon elle ne fait rien.

CED _ Elle ne peut pas laisser indifférente et il faut que tu sortes de ta confrontation avec le poème…

AM _ … changé. Bon, c’est aussi une belle utopie…

10
Voir les références dans la bibliographie jointe.

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 17

CED _ Oui, mais au moins que ça laisse une marque présente : l’acte ne peut pas être gratuit ! On a le
même problème avec d’autres mots : j’ai l’impression que l’on ne sait plus ce que veut dire le mot poésie
comme on ne sait plus ce que veut dire le mot romantique. Quand les gens vont voir un film qui les fait
pleurer ils ressortent en disant : « Oh, c’est triste : c’est romantique ! » Mais ce n’est pas ça le
romantisme. « Oh, c’est beau : c’est poétique ! » Oui : c’est beau, mais…

AM _ On en a tellement entendu ça, on a tellement vu de la poésie écrite comme ça, sur ces bases là…
Sinon, je te propose que l’on termine sur ça : quand j’ai relu, il n’y a pas longtemps « Écrire comme Francis
Bacon peignait » — j’ai premièrement été jaloux de ne pas l’avoir écrit moi-même… (rires), et là aussi, j’ai retrouvé
tout un tas de choses que je dis dans Écrire le cri et ça, ça m’a frappé ! Par exemple, je prends ce passage. « Nous
avons tant perdu le rapport direct aux choses en général… » Voilà : tu parles de ce qui est direct, et moi dans
ma théorie du cri je parle de ce qui est brut, brutal. Je poursuis sur ton article et je trouve « fidèles à nos chairs ». Tu
parles aussi du collectif et du social. Je pourrais encore faire pas mal de parallèles.

CED _ Alors quand même, ce que je peux dire par rapport à ce texte, c’est que pour l’écrire : c’est
presque du détournement. Quand tu parlais tout à l’heure des influences, ou de m’approprier les choses,
et bien avant j’avais donc vu l’exposition de Francis Bacon. J’ai lu aussi énormément de bouquins sur
Bacon et notamment un bouquin d’entretiens : je crois que c’est avec Deleuze…

AM _ Oui : un petit essai.

CED _ Et Bacon disait des choses plus qu’intéressantes. Et après avoir lu comment Bacon parlait de sa
peinture, et ce qu’il voulait dire, notamment autour de la notion du cri, ce qu’il lisait, ce qu’il affirmait,
j’ai écrit ce texte. Et en plus, ce qui me frappait dans les entretiens de Bacon et que je trouve vraiment très
très intéressant, c’est que justement, ce sont des entretiens : il parle, mais tu n’as pas vraiment
l’impression que c’est parlé pour être écrit, qu’il fait de la littérature. Et pour moi Bacon n’est pas
seulement un peintre : je trouve que son œuvre est tellement sur cette question du cri, de son rapport au
monde. Pour moi dans l’univers artistique : c’est un personnage, une figure, certainement mythique
maintenant pour moi, mais qui ne ressemble à rien d’autre. Mais qui est aussi au carrefour, à la jonction de
tellement de choses qui sont importantes pour moi : je trouve que Bacon, bon, ce n’est pas un peintre
surréaliste, c’est un figuratif, mais personne n’a jamais été figuratif comme cela. Quel est le peintre qui a
peint autant l’intérieur de l’être humain, et qui s’est posé la question du cri plus que lui ? Je ne vois pas. Sa
peinture et son mode de vie ont quelque chose de punk. Et puis il avait un rapport avec son entourage
social, et puis dans ses entretiens, sans jamais par exemple évoquer d’une manière lourde, pesante, les
camps de concentration ou la seconde guerre mondiale. Il aborde aussi ces questions sociales de tolérance,
de la différence de l’autre, de l’homosexualité, toutes ces choses-là, d’une manière, jamais s’y appesantir,
mais que je trouve très juste. Pour moi : c’est vraiment un grand, si ce n’est le plus grand artiste du 20ème
siècle.

AM _ Toujours centré sur sa subjectivité quand même, sur son être.

CED _ Sur son rapport de lui par rapport au monde. Mais je crois aussi que je suis comme ça. Et que
c’est tout : c’est comme ça. Des fois j’aimerais l’être moins, être peut-être plus objectif — parfois je me
trouve trop subjectif, mais bon, on ne se refait pas non plus. Mais à mon avis il a développé quelque chose
d’unique, de particulier.

AM _ Tout à fait.

CED _ Donc voilà, merci Francis.

AM _ On en reste là (sur Bacon), pour l’entretien ?

CED _ Oui si tu veux…

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 18

AM _ Christian, ce qui me trouble, c’est de voir que très souvent, ce que l’on trouve de toi, dans une anthologie, avec
d’autres poètes, avec d’autres personnes qui font œuvre de littérature, se sont les textes de tes chansons. Alors c’est vrai
que notre entretien a beaucoup tourné autour de cette idée de savoir — je t’ai pas mal chatouillé sur ton univers
musical, et je voulais te tirer vers un univers littéraire — et là, c’est vrai que je t’avoue que ce qui me trouble beaucoup,
c’est qu’à chaque fois je retrouve le texte de ta chanson sur Bacon, que j’ai retrouvé « Bleuse bèrdouhle », que j’ai
retrouvé « Bérck blues », et alors je me dis « Mais ça, ce sont des chansons ! » Alors que l’on s’attendrait à trouver,
j’allais presque dire, de vrais textes littéraires. Ma question tourne en fait autour de toutes celles que je t’ai posées
aujourd’hui. Et à un moment je t’ai même dit que ce que tu faisais était de la littérature chantée.

CED _ Et bien au départ c’était certainement totalement inconscient. Quand ça a commencé il y a une
dizaine d’années. Mais c’était aussi cette histoire, comme je te disais, de peut-être, modestement à mon
niveau, de régler des comptes, ou de remettre des pendules à l’heure. C’est-à-dire que je trouvais
tellement qu’il y avait des chansons que l’on disait poétiques et qui ne ressemblaient finalement à rien.
D’autre part si tu arrivais dans des soirées slam, tu entendais des poésies qui étaient de la pseudo poésie.
Enfin, j’ai voulu travailler d’une manière, pas provocatrice, aussi en m’amusant, en faisant des chansons
qui n’étaient pas des chansons, en faisant des morceaux de musique déstructurés, avec une écriture qui
n’était peut-être pas celle que l’on attend habituellement dans une chanson. Et ça, ça a été mon moteur, ça
m’a bien amusé. Et aussi d’utiliser des matériaux que les gens ne s’attendaient pas à voir là, comme le
picard. Et enfin, faire aussi beaucoup de transmission. C’est-à-dire que ce qui a été aussi important pour
moi pendant toutes ces années-là, ça a été de parler des rencontres physiques, ou justes d’auteurs, mais des
personnages, des figures mythologiques qui comptaient pour moi et dont je pensais qu’elles n’étaient pas
connues, injustement, ou connues sous un certain angle, ou oubliées. Il y avait aussi cette volonté de
mettre ça en jeu sur la table, de les mettre en scène. Pour moi il y a des auteurs, il y a des gens qui m’ont
apporté des choses : je m’y suis intéressé, et soit on ne les connaît pas, soit on les connaît mal. J’ai voulu
être aussi un espèce de passeur. Mais en ce moment c’est vrai que j’ai envie de penser plus à moi, au
niveau de l’écriture, et c’est vrai que — je te renvoie au dernier courrier où je te disais que j’avais déjà
plusieurs pistes, des projets : j’ai plus envie d’en terminer avec certaines choses, et de plus me centrer sur
une écriture, qui sera beaucoup plus personnelle, et alors, je ne sais pas si elle sera plus littéraire…

AM _ Enfin, dans l’optique d’un texte destiné à être imprimé sur papier, et lu dans le silence du lecteur…

CED _ Oui, par exemple les Chants du Mabigoni, qui sont en trois saisons et qui ont été publiés dans la
petite collection « Par en thèses » de Sylvain Jazdzwski, en plaquettes d’une manière donc confidentielle,
sont vraiment personnel, et je les conçois plus pour être lu sur le papier, et rassemblé comme un paquet.
Et après ça il y a d’autres choses en tête : il y a des choses que j’espère avoir le temps, rien que pour moi
ou pour quelques personnes, de les écrire et de les réaliser, même si je continue à faire des lectures-
performances ou des concerts avec des musiciens, mais ces idées ne sont pas destinés à devenir des
chansons. Et justement quand tu parlais, tout au début, de la contrainte du vers arythmonique d’Ivar.
Justement, je l’ai utilisé dans les Chants du Mabigoni parce que je trouve que c’est un outil au niveau du
travail poétique ou littéraire qui m’a énormément permis de canaliser les choses. C’est-à-dire d’avoir une
contrainte pour les poser d’une manière moins… pour les relire, les ordonner d’une certaine façon, et que
ça soit moins dans la pulsion, dans l’immédiat, dans l’urgence, et les poser, quitte à ce que ça soit moins
direct, que les gens puissent ressentir qu’il faut prendre du temps pour les lire, qu’il faut y revenir. J’ai
aussi envie de ça.

AM _ Donc de revenir plus à la littérature, à l’écrit et au lu du papier. Par contre, je vais préciser ma question.
Donc c’est par provocation, qu’à côté de poèmes de Pierre Garnier, de poèmes de Jacques Darras, tu présentes tes
chansons ?

CED _ Ce n’est par provocation par rapport à eux, parce que ce n’est pas eux que j’ai envie de
provoquer. Alors s’il faut donner des noms, par exemple moi, j’ai envie de provoquer les gens qui font soi-
disant de la poésie ou de la littérature ouvrière ou prolétarienne. J’ai envie de provoquer tous les groupes

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 19

de rock ou les chanteurs de rock qui disent que leurs textes c’est de la poésie. J’ai envie de provoquer…
enfin provoquer… J’ai envie quelque part éventuellement qu’ils puissent, par rapport à eux, par rapport à
ce qu’ils font, être confrontés à mes textes à moi de cette époque-là, et qu’ils arrivent par se dire « Mais
merde : nous, qu’est-ce qu’on a fait ? » Alors attention : libre à chacun. Des gens penseront que c’est
prétentieux…

AM _ Non, mais tant mieux : vive la prétention !

CED _ Mais si à un moment donné certains de mes textes peuvent être lus par certaines personnes et
qu’elles puissent me dire « Nous on a osé dire qu’on faisait de la chanson poétique », ou « Nous on a osé
publier tel recueil et dire que c’était de la poésie ». Ça me fait rire, parce qu’attention, dans ce que j’ai
écrit, loin de moi l’idée que ça arrive, justement les Chants du Mabigoni : pour moi, dans ce que j’ai écrit
rien n’arrive à la cheville d’un Ivar Ch’Vavar, ou d’un Pierre Garnier, ou d’un Jacques Darras. Parce qu’il
faut rester modeste tout de même ! Seulement ce que j’ai envie de dire, c’est qu’il y a des gens qui se
permettent de lire ou de rendre visibles des choses en étant dédaigneux, hautains, envers des personnes qui
sont pour moi de vrais poètes et de vrais écrivains. Alors c’est aussi pour cela que ça m’amuse de faire le
poète punk ou le rockeur. Voilà : c’est un peu jubilatoire…

AM _ Oui, c’est une bonne réponse.

CED _ Et ce côté jubilatoire, vraiment, dans les groupes punk, il existait. Ce n’était pas une
provocation gratuite : ils ont jubilé, parfois ils ont même payé pour ça. Certains ont payé de leur vie, mais
après tout il y avait aussi un côté fun, pour déranger et essayer quand même de remettre certaines choses
au juste milieu. Et je trouve qu’il faut faire des choses comme ça…

AM _ Et bien c’est une bonne réponse : c’est une réponse (de fin), qui me plaît beaucoup !

CED _ Sinon : on oublie ce qu’était Dada.

entretien réalisé à Troussures le 5 novembre 2005


— et fini de transcrire, pour tout un tas de raison
qu’il serait inadéquat de relayer ici,
seulement ce
14 juin
2008

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 20

BIBLIOGRAPHIE
CHRISTIAN EDZIRÉ DÉQUESNES

Cri & théorie :


« Écrire comme Francis Bacon peignait », postface aux Lettres de la nuit, 1999 (voir ci-dessous).

« Tous nos jours sont un poème »,


« la Complainte d’avril pourrissant »,
journalzine BASEMENTS-Ffwl, Douai, février 2004.
« Cri / Baiser d’Avallon – à Alias », journalzine BASEMENTS-Ffwl, Douai, juin 2004.

Littérature :
les Lettres de la nuit, Station Underground d’Émerveillement Littéraire, Garbecque, 1999.
Sauf dimanche et jours de fêtes, sous le pseudonyme de Victoire Perdrot, éd. Sansonnet, Lille, 2001.

le Cri du bébé bleu suivi de Toussint-ducasse à Francis Bacon, plaquette, coll. « Ré-apparitions », suppl. à la revue
Passages no1, Saint-Amand-les-eaux, 2006.

autres textes, notamment les textes concaténés successifs des chroniques « Application-(De la) théorie du
détournement » et « Toudi su l’coechie », dans les revues Ffwl et l’Enfance
— « Toudi su l’coechie », revue À cause du vent no1 « J’ai toujours aimé qu’on décide pour moi », Lille, 2003.
plusieurs “nouvelles” et textes sur le blues notamment dans la revue collective la Passe, Amiens-Paris,
2006-2007.

« Ch’diseu tou plin d’poésie » :


C. Edziré Déquesnes & (2)Brokes, Chrono-Punk, CD tirage limité, 2004
— textes « Pennametaleurop blues » et « Chrono-punk », picard/français, journal Place au[x] sens no9, été
2004.
Arwét’drière, Ech’l underground pikar, CD et livret, coll. « la Frontière vivante », la Vie secrète des mots,
Grandfresnoy, 2005.

Textes de chansons et textes divers :


Bleuses ducasses, livret picard/français des chansons de Chés Déssaquaches, Secondes Éditions du K., Arras,
1998.
Toussint-ducasses, livret picard/français, Secondes Éditions du K., Arras, 1999.

collaboration à l’anthologie Poète toi-même (Jacques Darras, Pierre Garnier, etc.), le Castor Astral, 2000.
collaboration à Yataalii, Six “chanteurs” de Picardie (Pierre Garnier, Lucien Suel, Ivar Ch’Vavar, Konrad
Schmitt, Christian Edziré Déquesnes, Olivier Engelaere), suppl. au no29 de la revue le Jardin ouvrier,
Amiens, juil. 2001.
collaboration à l’anthologie d’Ivar Ch’Vavar Cadavre grand m’a raconté, la Poésie des fous et des crétins dans le
Nord de la France, édition augmentée, le Corridor bleu, Île d’Yeu, sept. 2005.

livrets accompagnant les disques des groupes Chés Déssaquaches et (2)Brokes.

témoignage dans l’ouvrage critique Ivar Ch’Vavar — Un “horrible travailleur” — Célébré par ses amis & complices
(Yves Bonnefoy, Bernard Noël, Yves di Manno, etc.), revue Plein chant no78-79, Bassac, hiv. 2004-2005.

plusieurs plaquettes dans la collection « Part en thèses », Arras, et la Vie secrète des mots, extraits dans la
revue le Jardin ouvrier, Amiens.

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Entretien Alain MARC – Christian Edziré DÉQUESNES 21

Discographie :
CD de Chés Déssaquaches accompagnant Canchons & chansons de Konrad Schmitt, Secondes Éditions du K.,
Arras, 1998.
Chés Déssaquaches, Dallaches — Bleuses bornes —, Douai, 2001.
Chés Éclichures, Chés Éclichures, Douai, 2003.
(2)Brokes, Chés pounks n’on pon l’djale ed barbekiou !, album 5/6 titres, Douai, 2004.
(2)Brokes, Live tour 2004, Saint-Amand-les-eaux, 2005.

a publié entre autres dans les revues Ffwl (avec Magali Azéma), BASEMENTS-Ffwl, les lettres
Tousnosjourssontunpoème et la dernière revue Passages : Ivar Ch’Vavar, Lucien Suel, Sylvie Nève, Vincent
Tholomé, Charles Pennequin, Francis Dannemark, Christophe Manon, Fred Johnston, Ian Monk, Tristan
Félix, Philippe Blondeau, Antoine Boute, Lucille Calmel, Antoine Dufeu, Ariane Bart, Cécile Richard,
Edith Azam, Éric Clément,
ainsi que des numéros ou plaquettes sur ou de : Pascale Gustin, DA Levy, Menna Elfyn, Alain Marc, Pierre
Garnier et ses amis picards, Catharine Savage Brosman, Rémi Froger, Olivier Domerg, Hedd Wyn &
Francis Ledwidge.

nombreux collages dans ces revues.

pour commander livres, CDs et plaquettes : contacter bullitlala@neuf.fr

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