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En définitive, nous avons choisi de travailler sur les deux substantifs qui
englobaient de la manière la plus générale ce dont nous voulions parler, c’est-à-
dire auteur et écrivain.
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Nous avons choisi de remonter aussi loin que le permettaient les
occurrences que nous avons pu rassembler et de nous arrêter en 1980.
Les années 1980 marquent, dans les pays francophones, une période de
prise en main de la question de la féminisation. L’usage, qui était plus ou moins
maître jusque-là, s’est vu régi par un certain nombre de recommandations. Les
mots qui nous intéressent n’y ont pas échappé. Même si le débat n’a pas pour
autant été paralysé, nous avons choisi de nous arrêter avant ce qui constitue tout
de même une sorte de consensus.
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1. Règles de grammaire et mécanismes
de dérivation
S’il arrive qu’un substantif masculin soit formé à partir de la forme du
féminin, ces cas ne représentent pas une majorité. Dans le cas des deux mots
auxquels nous allons nous intéresser, le masculin a préexisté et c’est donc de leurs
formes que l’usage a tenté de tirer un féminin.
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Jean Chapelain, dans une lettre à Guez de Balzac en 1639, dit ceci : « car
toute affectation m’est insupportable et en une femme il me semble qu’il n’y a rien
de si dégoustant que de s’ériger en escrivaine et entretenir pour cela seulement
commerce avec les beaux esprits. » (Chapelain Jean, Lettres de Jean Chapelain,
de l’Académie française p.504)
Jules Renard dans son Journal publié en 1905 écrit : « Les femmes
cherchent un féminin à « auteur » : il y a « bas-bleu ». C'est joli, et ça dit tout. A
moins qu'elles n'aiment mieux « plagiaire » ou « écrivaine » : la rime n'aurait
rien d'excessif. » (Jules Renard, Journal)
Le suffixe féminin en –esse est plus rare. Si nous ne l’avons pas trouvé
attaché à écrivain, on sait qu’il a parfois été appliqué à auteur. Il fut des
défenseurs pour des mots comme autheuresse, auteuresse, authoresse ou encore
autoresse.
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En règle générale, ce suffixe sert à dériver des masculins qui se terminent
en –e comme tigre, pauvre, âne,… Bien que moins nombreux, des mots dont le
masculin ne se termine pas en –e et qui ont des féminins en –esse existent bel et
bien. Chef connaît un féminin cheffesse, duc, un féminin duchesse ou encore dieu,
un féminin déesse.
Dans ses Cahiers de 1911, Maurice Barrès écrit : « une vieille authoress
anglaise » (Barrès Maurice Mes cahiers, p.612)
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Le Dictionnaire des mots sauvages de 1969 rejoint l’idée de A. V.
Thomas, on trouve autoresse comme un « néologisme péjoratif ». (Rheims
Maurice, Dictionnaire des mots sauvages, p.70)
L’ennui avec les noms en –teur, c’est que ce sont aussi des noms en –eur
qui, eux, sont la plupart du temps féminisés en –euse. Ce second mécanisme de
dérivation vient d’une confusion opérée au XVe siècle avec les noms en –eux,
dont –euse est le féminin régulier.
Cela explique que l’on rencontre aussi bien et de manière tout aussi
légitime les féminins autrice et auteuse. Encore une fois, Chapelain propose un
féminin : « Tout ce vous dites sur ce sujet la et sur les femmes autrices est
admirable. » (Jean Chapelain, Lettres de Jean Chapelain, de l’Académie française
p.505)
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Le mot auteur vient du latin auctor. Nous retrouvons donc fréquemment la
graphie aucteur, auctrice. Par exemple, sous le vocable authrice, Huguet relève,
l’occurrence autrice dans Des Dames de Brantôme. Cependant, quand on parcourt
le texte dans son édition moderne, on constate que l’occurrence est donnée
comme actrice. Or, le sens que l’auteur donne au mot ne fait pas de doute. Il
entend bien « auteur ».
Quand on sait que du latin auctor, au français auteur, c’est le c qui a chuté
et le u qui est resté, comment expliquer la forme actrice dans le sens de femme
auteur?
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de Paris : ce sont lettres clauses pour moy quand à cela, car alors j’estois à nostre
embarquement de Brouage; mais j’ay bien ouï dire qu’elle n’en fut la première
autrice. » (Brantôme, Les Dames, p.123)
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2. Une forme unique
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2.2. Formes épicènes ?
L’adjectif attaché à écrivain est ici accordé au féminin, nous n’avons donc
plus affaire au masculin générique. Dans ce type d’occurrences, on considère
généralement le mot comme épicène, c’est-à-dire pouvant revêtir les deux genres.
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Au vu de tels accords, deux points de vue sont envisageables.
Soit auteur et écrivain sont des mots qui peuvent endosser les deux genres.
Or, nous n’avons trouvé aucun dictionnaire dans lequel les mots auteur et écrivain
sont présentés comme pouvant être des substantifs à la fois féminins et masculins.
2.3. Adjectifs ?
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me sentir à moi-même ni trop étrange ni trop familière, en face de ma psyché »
(Giraudoux Jean, Suzanne et le Pacifique, p.5)
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qu’on veut leur donner, force est de constater que, pour qu’une paire s’accorde, il
faut que l’un des deux membres soit modulable en genre. Ainsi, même si ce
membre est un substantif, il faudra bien lui reconnaître un emploi adjectival.
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Conclusion
En définitive, nous constatons que parmi les partisans d’une forme unique
de ces mots pour les deux genres, l’entente n’est qu’apparente. De nombreuses
divergences existent sur la réelle nature grammaticale de ces mots et sur la
manière dont il faut les traiter dans la langue. Si beaucoup sont d’avis de dire
écrivain, la question de l’accord, dès que l’on entre dans une phrase construite,
provoque déjà des disparités. Malgré le parti pris clair d’une forme unique, on
constate souvent une difficulté à faire totalement abstraction du genre sexuel de
l’écrivant(e). Le masculin générique pur semble, en définitive, peu appliqué. On
en vient à penser que les divergences d’opinions sont de moindre importance entre
ceux qui proposent des dérivés suffixés, même si les formes proposées sont
différentes chez chacun.
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quel point écrire était considéré comme un métier. Cette ambiguïté de statut n’a-t-
elle pas joué son rôle dans le malaise que l’on a pu ressentir à en nommer les
actrices? De plus, l’accession des femmes elles-mêmes à un métier intellectuel ou
artistique n’a certainement pas laissé d’en troubler plus d’un. Finalement, cette
activité ne serait-elle considérée comme un métier que lorsqu’elle est pratiquée
par des hommes?
C’est peut-être cette double ambiguïté qui crée tout le malaise. Un malaise
qui se traduit tout simplement dans la langue.
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Bibliographie
Académie française, Dictionnaire de l’Académie françoise, Genève, Slatkine,
1994
Brantôme, Pierre de Bourdeille, seigneur de, Les Dames, Paris, Garnier, 1947
Grevisse Maurice, Le bon usage : grammaire française, avec des remarques sur
la langue française d'aujourd'hui, Gembloux, J. Duculot, 1980
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Imbs, Paul, Trésor de la langue française : dictionnaire de la langue du XIXe et
du XXe siècle (1789-1960) Paris, Editions du Centre national de la
recherche scientifique, 1971
Rheims Maurice, Dictionnaire des mots sauvages (écrivains des XIXe et XXe
siècles), Paris, Larousse, 1969
Romieu Marie de, Les œuvres poétiques, Genève, Droz, 1972, p.26
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Table des matières
Introduction..............................................................................................................2
1. Règles de grammaire et mécanismes de dérivation .............................................4
1.1. Ajout d’un -e .............................................................................................4
1.2. Le suffixe –esse.............................................................................................5
1.3. Les suffixes –trice et -teuse...........................................................................7
2. Une forme unique...............................................................................................10
2.1. Le masculin générique ................................................................................10
2.2. Formes épicènes ? .......................................................................................11
2.3. Adjectifs ? ...................................................................................................12
Conclusion .............................................................................................................15
Bibliographie..........................................................................................................17
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