Vous êtes sur la page 1sur 7

Neurologie

A 51

Troubles de la marche
et chute du sujet âgé
Orientation diagnostique
DR Nathalie FAUCHER, DR Laurent TEILLET, DR Michel ROGER
Hôpital Sainte-Périne, 75016 Paris.

Points Forts à comprendre Les chutes surviennent plus volontiers chez des sujets
vivant seuls au domicile.
Il s’agit de la 2e cause d’appel du médecin en institution
• En gériatrie, la chute est un symptôme et de la 3e cause de consultations aux urgences.
fréquent qu’il ne faut pas banaliser. Environ 10 à 12 % des chutes ont des conséquences
Lorsqu’elle survient dans un contexte traumatiques représentées pour la moitié par des fractures.
de malaise ou de perte de connaissance, Le risque de rechuter est multiplié par 20 après une
la prise en charge est souvent rapide
première chute. La morbidité est considérable et est
pour la recherche d’une étiologie mais
impliquée à des degrés divers dans un tiers des hospita-
quand elle paraît purement mécanique,
lisations des plus de 70 ans. C’est une des premières
les investigations nécessaires risquent
causes d’institutionnalisation et l’on estime que 40 %
de manquer. Pourtant, chuter n’est pas
normal chez la personne âgée et toute chute des personnes qui chutent seront institutionnalisés en
a une ou des causes qu’il convient de dépister raison de leur réduction d’autonomie.
et des conséquences qu’il faut prévenir. La mortalité est impressionnante. C’est la première
• Certes, il existe un certain degré cause de décès accidentel en gériatrie (supérieure au
de vieillissement des fonctions liées décès par accident de la route) ; 20 à 25 % des sujets
à l’équilibre et à la marche mais ce n’est pas ayant chuté décèdent dans l’année qui suit. Cette pro-
une explication définitive. portion augmenterait à 50 % en institution.
La chute est souvent multifactorielle chez des Chuter est donc un facteur de mauvais pronostic contre
sujets âgés polypathologiques et polymédiqués. lequel il faut lutter avec vigueur.
Les conséquences débordent largement l’aspect
traumatique initial et peuvent aller jusqu’à
la phobie de la marche, la grabatisation, Vieillissement de l’équilibre
l’institutionnalisation et le décès. et de la marche
Elles représentent un enjeu économique
et social majeurs par la morbidité, la mortalité Le maintien de la posture lors d’une action statique ou
et les coûts qu’elles génèrent. dynamique est un mécanisme complexe qui fait appel à
différents éléments du système nerveux et de l’appareil
locomoteur.
Épidémiologie Lors de la sénescence, il existe une altération de ces
afférences et efférences. Les organes sensoriels (vue et
Un tiers des personnes de plus de 75 ans se plaint de audition) sont moins performants et responsables d’une
manque d’équilibre et de sensations d’instabilité au perception déficiente de l’environnement. Le système
lever du lit et à la marche. vestibulaire devient moins sensible aux stimulations
On estime que 30 % des personnes âgées de plus de rapides et complexes. La proprioception musculaire et
65 ans vivant à domicile font au moins une chute dans articulaire est plus faible notamment au niveau des
l’année. Ce chiffre passe à 50 % pour les plus de 85 ans. membres inférieurs. La vitesse d’intégration des infor-
L’incidence augmente de façon linéaire avec l’âge. En mations de posture est, elle aussi, ralentie, surtout lors
institution, les chutes sont plus fréquentes mais la popula- des tâches complexes. La réponse effective sera de qualité
tion est plus dépendante physiquement et psychiquement. moindre lorsqu’il existe une réduction de la force mus-
La rapport est de 2 femmes pour 1 homme. Quatre- culaire et de l’amplitude des mouvements articulaires.
vingt-cinq pour cent des chutes se font dans la journée, On observe alors une altération des performances à la
dans les pièces les plus utilisées : chambre et salle à marche tant au niveau de la rapidité d’exécution qu’au
manger au domicile, chambre et salle de bain en milieu niveau de l’endurance. Le sujet âgé présente un ralentis-
institutionnel. sement de la vitesse de marche par un raccourcissement

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50 1245


TROUBLES DE LA MARCHE ET CHUTE DU SUJET ÂGÉ

du pas avec une réduction du temps d’appui monopodal, TABLEAU I


une trajectoire moins régulière, un écartement modéré
des pieds avec réduction de l’élévation des pointes, une Étiologie des chutes accompagnées
légère flexion du tronc en avant, une diminution du bal- de malaises
lant des bras, le tout pour tendre vers une plus grande
stabilité.
❑ Hypotension orthostatique
❑ Troubles du rythme cardiaque ou de la conduction
Étiologie ❑ Rétrécissement aortique
❑ Anémie, hypoxie, hypoglycémie…
Les causes de chutes chez le sujet âgé sont le plus souvent ❑ Accident vasculaire cérébral, accident ischémique
variées et intriquées. L’existence de troubles de la transitoire
marche est fréquente dans de nombreuses pathologies ❑ Vertiges
responsables de chutes. Il est nécessaire de distinguer ❑ Épilepsie
les chutes mécaniques par obstacles (causes extrinsèques) ❑ Insuffisance vertébro-basilaire
et les chutes dues à un malaise ou à une maladie (causes ❑ Médicaments
intrinsèques).

Causes extrinsèques
1. Causes cardiovasculaires
Les causes environnementales sont à l’origine de 30 à
50 % des chutes. Ce sont des chutes accidentelles d’origine Elles représentent environ 25 % des causes des chutes
mécanique. Elles surviennent volontiers au domicile chez le sujet âgé et peuvent s’accompagner d’un malaise.
dans les pièces les plus utilisées : salle à manger, • En premier lieu, l’hypotension orthostatique qui est
chambre à coucher, mais aussi escalier. présente chez 1 sujet âgé sur 4. Elle se définit comme
On recherche des facteurs favorisants : une chute de la tension artérielle lors du passage de la
– un éclairage de mauvaise qualité surtout dans les station couchée à la station debout d’au moins
couloirs ou les escaliers ; 20 mmHg. Elle entraîne une baisse de débit cérébral par
– l’absence de lumière lors du lever nocturne ; mauvaise adaptation à l’orthostatisme. Elle est favorisée
– un sol instable, glissant (parquet trop ciré, carrelage par le vieillissement de l’arc baroréflexe (diminution de
mouillé, tapis non fixé, descente de lit) ou irrégulier la sensibilité des barorécepteurs et de la réponse du
(planchers inégaux, tapis usé, barre de seuil, dénivel- système rénine-angiotensine) et majorée en post-prandial.
lation imprévue comme la première ou la dernière Lorsqu’elle est symptomatique, elle s’accompagne
marche de l’escalier) ; d’une sensation de fatigue, de flou visuel, de vertiges.
– un obstacle imprévu (meuble déplacé, fils de téléphone On pratique la mesure au moins 5 min après un repos
ou de lampe, objet qui traîne, animal domestique) ; en décubitus, immédiatement au lever puis au bout de
– des meubles inadaptés (branlant, lit trop haut, roulettes 2 min avec la prise du pouls concomitante.
non freinées) ; Quand la fréquence cardiaque s’accélère, il s’agit d’une
– des efforts déséquilibrants ou risqués (escabeau, hypotension d’origine hypovolémique ; si elle ne bouge
échelle, montée sur une chaise…). pas, on évoque un trouble de conduction cardiaque ou
En institution, les chutes surviennent essentiellement une dysfonction autonomique (Parkinson, diabète). Le
dans la chambre, la salle de bain ou lors des transferts. plus souvent l’hypotension est multifactorielle et ses
On retrouve certains facteurs de risque environnementaux causes sont variées : alitement prolongé, troubles hydro-
communs au domicile mais, le plus souvent, ils sont électrolytiques (hyponatrémie, hypokaliémie), insuffi-
associés à des causes intrinsèques. sance veineuse, hypovolémie (anémie, déshydratation),
À l’extérieur, il s’agit d’accidents de la voie publique neuropathies, certains médicaments (antiparkinsoniens,
avec collision d’un tiers (voiture, vélo, moto), avec obs- antihypertenseurs, antidépresseurs).
tacle (dénivellation d’un trottoir, poubelles, excréments • Les troubles du rythme ou de la conduction (bloc
de chien), bousculade, difficulté à se hisser dans un bus, auriculo-ventriculaire complet, fibrillation ou flutter
agression. auriculaire, maladie de l’oreillette, maladie du sinus,
On inspecte aussi le chaussage car lorsqu’il est inadapté, tachycardie ventriculaire ou bradycardie) peuvent être
il peut être responsable de chute : chaussons qui ne responsables de chutes notamment lors des changements
tiennent pas le pied, chaussures trop serrées ou trop de rythme avec parfois des syncopes à l’emporte-pièce.
petites, absence de talon ou talon trop haut. Les syncopes d’effort associées à un souffle cardiaque
systolique évoquent un rétrécissement aortique serré.
Causes intrinsèques • Les syncopes vasovagales surviennent avec des pro-
dromes (pâleur, sueur, sensation de perte de connaissance)
Elles sont le plus souvent découvertes lors d’un interro- lors d’un stress émotionnel ou douloureux. La perte de
gatoire et d’un examen clinique minutieux. connaissance est brève.

1246 LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50


Neurologie

Les syncopes réflexes peuvent être liées à la toux (ictus logie dans l’hydrocéphalie à pression normale souvent
laryngé), à la miction, à la défécation mais restent des précédée par l’apparition de troubles urinaires et intel-
diagnostics d’élimination. lectuels. Au maximum, la marche devient quasiment
• Au décours d’une embolie pulmonaire, d’un infarctus impossible lors d’une astasie-abasie.
du myocarde, d’un angor syncopal, d’une cardiomyopathie Le syndrome cérébelleux se traduit par un élargissement
obstructive, d’un myxome de l’oreillette, peut survenir du polygone de sustentation, une augmentation des
un malaise responsable d’une chute. temps d’appui, une démarche ébrieuse. Il s’agit le plus
souvent d’une atteinte vasculaire (syndrome de
2. Causes neurologiques Wallenberg) ou dégénérative (atrophie olivo-ponto-céré-
Elles sont responsables de chutes par perte de connais- belleuse).
sance ou par troubles de l’équilibre ou de la marche. L’existence de paresthésies uni- ou bilatérales des
La survenue d’un accident ischémique transitoire d’origine membres inférieurs, suivant un trajet radiculaire,
carotidienne ou vertébro-basilaire ou d’un accident apparaissant à la marche, est caractéristique d’un canal
vasculaire cérébral constitué peut se traduire par un lombaire étroit.
trouble postural aigu avec chute. Les polyneuropathies (diabète, myélopathie cervicar-
L’existence de vertiges et (ou) d’étourdissements peut throsique…) donnent une marche sinueuse, talonnante
être responsable de chutes (8 % des cas). Il s’agit de avec perte de la sensibilité du sol et pas brusques et
vertiges positionnels très brefs, violents, répétitifs, irréguliers.
déclenchés par les mouvements brusques de la tête et Les atteintes neurologiques périphériques peuvent
(ou) les variations de position du corps, ou de vertiges donner des chutes. Une paralysie du sciatique poplité
associés à une sensation durable d’instabilité de la externe se traduit par un steppage, une paralysie du
marche. Ils sont centraux (insuffisance vertébro-basilaire, crural par un dérobement du genou.
lésions tumorales, hydrocéphalie à pression normale, Les troubles de la marche existent aussi à un stade évo-
hématome sous-dural) ou périphériques (neurinome, lué de la maladie d’Alzheimer avec une démarche
syndrome de Ménière, vertige paroxystique bénin, iatro- instable, irrégulière. Il s’agit d’une véritable apraxie qui
génie). Les drop-attaks sont des chutes brusques, sans s’inscrit dans le cadre d’une atteinte sévère (troubles du
prodrome et sans perte de connaissance causées par une jugement, de l’attention, de la mémoire…).
faiblesse soudaine des membres inférieurs. Elles Chez nos patients âgés, il peut exister des séquelles de
seraient le témoin d’une insuffisance vertébro-basilaire poliomyélite avec des troubles de la marche et des
et seraient déclenchées par les mouvements brusques de chutes.
la tête (flexion-rotation).
Lors d’un état confusionnel, le sujet âgé perd ses repères 3. Causes ostéo-articulaires
habituels et risque de chuter d’autant plus qu’il existe Elles sont responsables de troubles de la marche plus
une prise médicamenteuse associée ou un changement ou moins sévères et sont souvent douloureuses.
de lieu (hospitalisation). • Les plus fréquentes sont les atteintes arthrosiques
L’altération des fonctions cognitives est un facteur de dégénératives touchant la hanche et le genou.
risque propre de chute : il est majoré par la prise de sédatifs La coxarthrose se traduit par une boiterie de hanche
ou de psychotropes. avec déficit du moyen fessier et la gonarthrose par un
La survenue d’une crise d’épilepsie sur des lésions vas- dérobement du genou. Les enraidissements de la cheville
culaires séquellaires ou sur un état démentiel plus que donnent une marche avec défaut de déroulement du pied
sur une atteinte tumorale peut être responsable de chute. au sol et mauvaise adaptation aux obstacles.
Les anomalies de la marche sont corrélées aux risques Les séquelles d’intervention chirurgicale sur la hanche
de chutes : on retrouve essentiellement les séquelles peuvent être responsables d’un raccourcissement ou
d’hémiplégies avec fauchage du membre inférieur, pied d’un allongement du membre, de douleurs résiduelles,
en varus équin entraînant un hyper-appui au bord externe d’une persistance de la rotation externe, d’une faiblesse
de l’avant-pied et une instabilité latérale de la cheville. du moyen fessier et entraîner une boiterie de hanche,
Dans la maladie de Parkinson, la marche se fait à petits génératrice de chute.
pas avec piétinement devant l’obstacle, perte du ballant Les fractures passées inaperçues lors d’un traumatisme
des bras, tendance à la rétropulsion avec flexum de (fracture engrenée de hanche, bassin, sacrum) sont res-
hanche et de genou. Dans la maladie de Steele, ponsables de douleurs et de troubles de la marche.
Richardson et Olszewski, les troubles posturaux sont Les polyarthrites comme la chondrocalcinose articulaire
plus précoces, intenses et aggravés par l’existence d’une (genou ou cheville), plus fréquente que la goutte, don-
rigidité axiale. nent une impotence fonctionnelle douloureuse avec
Dans les états lacunaires, la marche est lente à petits pas risque de chute. Dans la polyarthrite rhumatoïde et dans
avec pieds collés au sol. Les risques d’accrochage de la la pseudopolyarthrite rhizomélique, l’atteinte des
pointe du pied sur les obstacles et de chute en arrière ceintures notamment pelvienne (sacro-iliaque) limite les
sont importants. L’association à une atteinte des transferts assis-debout et entrave la marche.
fonctions supérieures de type vasculaire fait suspecter le L’association à un syndrome inflammatoire et à une
diagnostic. On peut rencontrer cette même symptomato- altération de l’état général oriente le diagnostic.

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50 1247


TROUBLES DE LA MARCHE ET CHUTE DU SUJET ÂGÉ

• Les problèmes podologiques sont fréquents chez le • Les antiparkinsoniens génèrent une hypotension
sujet âgé et souvent négligés. Le médecin traitant n’y orthostatique, troubles du rythme.
pense pas toujours et le patient peut présenter quelques • Les anticonvulsivants entraînent somnolence et
difficultés pour se pencher sur ses pieds et les inspecter. hypotension orthostatique.
La marche est rendue douloureuse, précautionneuse, • Les antidiabétiques oraux et l’insuline sont cause
voire instable avec perte d’appui correct du pied au sol d’hypoglycémie.
par des déformations comme le hallux valgus, les orteils • Les anticoagulants : anémie.
en griffe, les pieds plats, les onychomycoses. Certains • Les anti-inflammatoires non stéroïdiens : entraînent
troubles de la statique du rachis comme une vieille anémie et sensations vertigineuses.
cyphoscoliose entraînent une démarche en antépulsion Cette liste n’est pas exhaustive.
parfois risquée. Il ne faut pas méconnaître l’intoxication éthylique
aiguë ou chronique et, dans un contexte particulier
4. Causes sensorielles de chauffage au gaz ou de précarité, l’intoxication à
Il s’agit essentiellement des atteintes visuelles (cataracte l’oxyde de carbone.
et dégénérescence maculaire liée à l’âge) et auditives
(presbyacousie). L’altération de ces fonctions entraîne 7. Causes psychiatriques
une moins bonne adaptation à l’environnement et une L’hystérie est un diagnostic d’élimination et les chutes
marche hésitante à petits pas. L’examen des lunettes est sont souvent spectaculaires, théâtrales, sans aucun
important car si elles sont mal adaptées à la vue, elles traumatisme.
peuvent faire chuter. La chute, symptôme d’appel, peut démasquer une
dépression sous-jacente.
5. Causes métaboliques Lors d’une pathologie intercurrente, d’une hospita-
L’existence d’une anémie aiguë, d’une déshydratation, lisation avec rupture du milieu habituel, une véritable
d’une hyponatrémie est responsable d’une hypovolémie régression de la marche avec anxiété majeure, rétro-
génératrice de chute. L’hypoglycémie provoque des pulsion et opposition peut apparaître. Cette attitude de
vertiges ou des étourdissements, plus ou moins sévères refus se retrouve dans le syndrome post-chute.
selon son degré, avec risque de perte de connaissance
et de chute. Une anémie chronique peut se traduire TABLEAU II
par une sensation vertigineuse. L’hypothyroïdie et
l’insuffisance surrénale entraînent des hypotensions et
une asthénie. Dans l’hyperthyroïdie, il existe une
Principales pathologies responsables
faiblesse musculaire proximale responsable de chutes de chute chez la personne âgée
dans certains cas. L’hypokaliémie liée à une diarrhée
chronique, une maladie de Cushing favorise la faiblesse ❑ Hypotension orthostatique
musculaire et donc les chutes de même que les dyscal-
cémies. Un sujet âgé dénutri qui a une amyotrophie plus ❑ Troubles du rythme
ou moins marquée et une faiblesse musculaire chute ❑ Séquelles d’hémiplégies
plus aisément. ❑ Accident ischémique transitoire
La chute peut donc être le témoignage d’affections
générales multiples et parfois masquées : pneumopathie, ❑ Syndrome parkinsonien
infection urinaire. ❑ Neuropathies périphériques
6. Causes iatrogéniques ❑ Canal lombaire étroit
Devant une chute avec ou sans malaise, il faut suspecter ❑ Épilepsie
une étiologie médicamenteuse. L’existence de pathologies ❑ Hydrocéphalie à pression normale
multiples aboutit à des ordonnances très chargées,
méconnues par les coprescripteurs. Le sujet âgé a fré- ❑ Démences et syndrome confusionnel
quemment recours à l’automédication. De nombreux ❑ Pathologies des articulations portantes
traitements peuvent être responsables de chutes.
❑ Déséquilibres orthopédiques du tronc
• Les médicaments cardiovasculaires :
– digitaliques, bêtabloquants, antiarythmiques : troubles ❑ Affections podologiques
du rythme et (ou) de la conduction ; ❑ Troubles sensoriels
– diurétiques : hypovolémie, hypotension orthostatique,
troubles hydroélectriques, asthénie ; ❑ Troubles métaboliques : anémie, déshydratation,
– antihypertenseurs : hypotension orthostatique et asthénie. hypoglycémie
• Les psychotropes tels les antidépresseurs, neuroleptiques, ❑ Iatrogénie
anxiolytiques, hypnotiques entraînent, selon le type, une ❑ Syndrome de régression psychomotrice
somnolence, un relâchement du tonus musculaire, une
hypotension orthostatique, des troubles du rythme.

1248 LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50


Neurologie

Évaluation du patient chuteur Examen clinique

L’interrogatoire et l’examen clinique du sujet âgé L’examen clinique permet de faire le bilan d’éventuelles
chuteur sont les points clés de la démarche diagnos- atteintes traumatiques et recherche des points d’appel.
tique. Il est systématique appareil par appareil.
• Examen cardiovasculaire : on prend la tension et le
Interrogatoire pouls couché/debout, aux deux bras à la recherche d’une
hypertension, d’une hypotension artérielle orthostatique,
L’histoire n’est pas toujours simple à reconstituer, s’il d’une asymétrie tensionnelle (vol sous-clavier), d’un
existe une atteinte traumatique et (ou) vitale qui prédo- rythme irrégulier.
mine, un état démentiel ou même anxieux. L’entourage L’auscultation cardiaque recherche une tachycardie, une
apporte alors un témoignage précieux. Si le sujet était arythmie, une bradycardie, un souffle évocateur d’une
seul, il faut avec patience rechercher tous les détails atteinte valvulaire. Les trajets vasculaires sont aussi auscultés
utiles. à la recherche de souffle. On élimine des signes d’insuf-
On essaye tout d’abord de reconstituer de façon précise fisance coronaire, d’infarctus du myocarde ou d’embolie
les circonstances de survenue de la chute : pulmonaire. On examine les jambes et les mollets afin de
– Où s’est-elle produite ? à la maison et dans quelle noter l’existence de varices et d’insuffisance veineuse.
pièce ? dans le jardin ? dans la rue ? • Examen neurologique : on recherche des troubles de
– À quelle heure ? le jour ou la nuit ? la vigilance (obnubilation, confusion post-critique),
– Était-elle précédée de prodromes ou de symptômes l’apparition d’un déficit moteur (hémiplégie franche,
évocateurs (sueurs, vertiges, palpitations, troubles hémiparésie…), d’une atteinte musculaire, d’une para-
visuels, parésie…) ? lysie faciale avec troubles de l’élocution, des troubles de
– Était-elle brutale, spontanée ou provoquée par un la sensibilité superficielle et profonde, un syndrome
obstacle ? extrapyramidal, cérébelleux.
– Y a-t-il des facteurs déclenchants (mouvements On précise la présence d’une pathologie préexistante,
brusques de la tête, lever…) ? maladie de Parkinson, séquelles d’accident vasculaire
– Y a-t-il eu un malaise préalable à la chute ? cérébral.
– Y a-t-il eu des mouvements anormaux (interrogatoire Les fonctions intellectuelles sont à évaluer à la
de l’entourage) ? recherche d’une déficience cognitive type Alzheimer,
– Est-ce la première chute ou existe-t-il la notion de d’une démence vasculaire (mini mental test de Folstein).
chute à répétition ? • Examen ostéo-articulaire : on étudie la statique du
– Quels sont la durée de la chute et surtout le temps tronc, un éventuel raccourcissement de membre, la
passé au sol ? mobilité de toutes les articulations à la recherche de
– La personne a-t-elle eu la possibilité de se relever douleur, de limitation, de raideur, d’instabilité, d’attitude
seule ? vicieuse (flessum de hanche, du genou, équinisme), la
On doit préciser les antécédents médicaux et chirurgi- force musculaire et l’on examine de façon attentive les
caux du patient, les pathologies en cours qui peuvent pieds et le chaussage.
orienter vers une piste étiologique et bien sûr la prise de Marche et équilibre étant intimement liés, on se penche
médicaments. de façon très précise sur l’analyse de ces derniers. On
observe la station debout, le passage de la position assise
à la position verticale, la montée et la descente de
TABLEAU III quelques marches, la réalisation d’un demi-tour. On
note la vitesse, la longueur, la hauteur du pas, le balan-
Facteurs de risque de chute cement des bras, la régularité de la trajectoire, le dérou-
lement du pas.
L’équilibre est exploré :
❑ 3 chutes durant l’année précédente – par la manœuvre de Romberg yeux ouverts et fermés ;
❑ 1 chute avec blessure durant l’année précédente – par la mesure d’appui monopodal ;
– par les réactions à la poussée brusque vers l’avant,
❑ Difficulté à se lever d’une chaise vers l’arrière et latéralement.
❑ Anomalie de l’équilibre et de la marche Pour être systématique, on peut s’aider de test d’évaluation
❑ Hypotension orthostatique de l’équilibre et de la marche. Le plus simple et le plus
rapide est le Get up and go test. On cote l’épreuve de 1 à
❑ Faiblesse musculaire
5 en la chronométrant :
❑ Problèmes podologiques – évaluation de l’équilibre assis droit sur une chaise à
❑ Atteinte cognitive dossier ;
– évaluation du lever sur une chaise à accoudoirs ;
❑ Usage de psychotropes
– évaluation de la marche et de l’équilibre sur 3 m ;
– évaluation de l’équilibre pendant un demi-tour ;

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50 1249


TROUBLES DE LA MARCHE ET CHUTE DU SUJET ÂGÉ

– évaluation du retour à la chaise et à la position assise. On recherche des signes d’anémie, de déshydratation,
Un test inférieur à 20 s est corrélé avec la possibilité de dysthyroïdie, de diabète…
d’aller à l’extérieur sans danger. Un test supérieur à En fonction de l’hypothèse diagnostique, on réalise
30 s traduit le plus souvent une impossibilité de sortir certains examens complémentaires soit au domicile soit
sans aide. en milieu hospitalier si nécessaire. Le bilan biologique
Le test de Tinetti est plus détaillé et plus complexe. Il repose sur la numération formule sanguine (NFS), l’iono-
comporte une série d’épreuves statiques et dynamiques gramme sanguin, la glycémie, les hormones thyroï-
(tableau IV) cotées de 1 à 3 ; 2 items sont particulière- diennes. L’électrocardiogramme (ECG) oriente vers un
ment sensibles : l’incapacité de tenir au moins 5 min sur trouble du rythme ou de la conduction. On peut le
1 jambe en ce qui concerne l’exploration de l’équilibre compléter par un Holter-ECG, voire une exploration du
et l’impossibilité de réaliser un demi-tour sans s’arrêter faisceau de His. L’échocardiographie recherche une
pour ce qui concerne l’évaluation de la marche. cardiopathie, une atteinte valvulaire. L’écho-doppler des
L’intérêt de cette évaluation est de dépister précocement troncs supra-aortiques dépiste une atteinte athéromateuse
la présence d’une incapacité et de prévenir les chutes par carotidienne. Devant la suspicion de crise comitiale, on
la rééducation. fait un électroencéphalogramme (EEG). Le scanner
On remarque pendant ces épreuves de marche des mani- cérébral retrouve un hématome sous-dural, un infarctus
festations de peur, d’anxiété, de refus de marcher récent ou ancien, une tumeur, une hydrocéphalie à
seul(e), d’agrippement au médecin ou aux meubles pression normale. Les radiographies standard retrouvent
alentour, une fatigabilité, une pâleur… des lésions ostéo-articulaires.
On complète l’examen clinique par l’étude des organes
sensoriels : existence d’une pathologie visuelle, de
lunettes bien adaptées, d’une surdité appareillable ou non. Conséquences de la chute
Elles sont immédiates et alors facilement décelables ou
TABLEAU IV insidieuses à plus long terme atteignant le pronostic
fonctionnel et psychique du sujet âgé.
Test de Tinetti • Les conséquences à court terme sont essentiellement
traumatiques. Ce sont les fractures de hanche, de bassin,
Épreuves statiques d’épaule, de poignet, qui nécessitent l’hospitalisation
Chaque item est coté pour un traitement orthopédique et (ou) chirurgical ainsi
1 : normal / 2 : compensé / 3 : anormal que les plaies parfois à suturer (penser à la vaccination
antitétanique). La station au sol pendant plusieurs
❑ équilibre assis droit sur une chaise heures sans pouvoir se relever entraîne une rhabdomyo-
❑ attitude en se levant du siège lyse avec hypothermie, lésions cutanées, déshydratation,
❑ équilibre debout juste après s’être levé
insuffisance rénale, surinfection. Cette incapacité à se
❑ équilibre debout pieds joints, yeux ouverts
relever retentit sur le psychisme du patient : angoisse,
❑ équilibre debout pieds joints, yeux fermés
❑ debout, tour à 360 ˚ sur lui-même, yeux ouverts
anxiété, peur de rester seul, sentiment d’incapacité.
❑ debout, pieds joints, résistance à 3 pressions succes- L’existence d’un séjour au sol supérieure à 1 h est un
sives sur le sternum facteur de mauvais pronostic. La moitié des chuteurs qui
❑ équilibre debout après rotation de la tête ont passé plus de 1 h au sol décèdent dans les 6 mois.
❑ appui monopodal pendant 5 secondes • À moyen terme, l’hospitalisation entraîne une modifi-
❑ équilibre en hyperextension de la tête en arrière cation des repères avec risque de confusion, d’agitation.
❑ saisir un objet sur la pointe des pieds, bras en l’air L’alitement prolongé peut être responsable de thromboses
❑ se pencher en avant pour ramasser un objet veineuses, d’escarres, d’infection, de déshydratation, de
❑ équilibre lorsque le patient s’assied dénutrition, d’amyotrophie.
Il faut penser à l’hématome sous-dural devant tout chan-
Épreuves dynamiques
gement de comportement du sujet âgé qui survient dans
Chaque item est coté
1 : normal / 2 : anormal les heures ou les jours suivant la chute.
• Enfin, à long terme, on se trouve face à certains
❑ initiation de la marche patients phobiques de la marche avec apparition d’un
❑ évaluation de la longueur du pas syndrome de régression motrice post-chute. La rétropul-
❑ évaluation de la hauteur du pas sion perturbe ou empêche la station debout et la marche.
❑ évaluation de symétrie du pas Le patient se tient en arrière et a tendance à glisser de
❑ régularité de la marche son fauteuil. On observe souvent un flessum des
❑ capacité à marcher en ligne droite hanches et des genoux, une hypertonie oppositionnelle
❑ exécution d’un demi-tour et une anxiété majeure.
❑ évaluation de la stabilité du tronc Seule une prise en charge précoce permet de prévenir
❑ évaluation de l’espacement des pieds lors de la marche ce syndrome qui aboutit sinon à une grabatisation
progressive entraînant l’institutionnalisation.

1250 LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50


Neurologie

Traitement et prévention (grimper sur un escabeau, courir pour répondre au


téléphone…). La mise en place d’une téléalarme, de
On essaye, en premier lieu, de traiter la cause du trouble téléphone dans la chambre avec numéros préenregistrés
de la marche et (ou) de la chute quand cela est possible permet de rassurer un sujet qui vit seul et son entourage.
et l’on réévalue la prise médicamenteuse. L’organisation d’un réseau de surveillance pour les
On prescrit une rééducation précoce et adaptée à la personnes à risque permet de rassurer et de maintenir au
pathologie causale afin de restaurer une marche de qualité domicile plus longtemps.
et une confiance en soi : verticalisation avec une tierce L’attitude face aux sujets âgés chuteurs en institution
personne, travail des transferts assis-debout, marche entre s’évalue au cas par cas et est un problème difficile. Il
les barres parallèles puis avec un déambulateur, des cannes, vaut mieux éviter la station prolongée dans un fauteuil et
montée et descente des escaliers, marche avec obstacles, s’investir dans la kinésithérapie d’entretien mais
mise en situation dans l’environnement, rééducation de parfois malheureusement il n’existe pas d’autre solution.
l’équilibre avec statique du tronc pour lutter contre la On doit expliquer au patient, à sa famille et aux
rétropulsion, restauration des fonctions parachutes. soignants le pourquoi de cette immobilisation, sa durée
Le rééducateur apprend au patient à se relever selon une quotidienne. Quant aux barrières de lit, elles peuvent
technique précise : rassurer certains malades quand elles sont unilatérales
– se retourner du décubitus dorsal au décubitus ventral ; mais restent potentiellement dangereuses pour d’autres
– se mettre à quatre pattes ; qui les enjambent et tombent de plus haut.
– se rapprocher d’un appui solide ; La chute, événement fréquent, est souvent la somme de
– passer en position dite « du chevalier servant » avec un plusieurs facteurs qu’il convient de dépister par une
pied au sol et le genou controlatéral à terre ; évaluation diagnostique et environnementale méthodique
– et se relever. et précise.
Le médecin prescrit si besoin des aides techniques La prise en charge doit être rapide afin de limiter les
comme le déambulateur fixe ou à roulettes, les cannes conséquences à long terme sur la perte d’autonomie du
anglaises, la canne tripode, la canne en T. On utilise des sujet âgé. ■
orthèses plantaires, des chaussures orthopédiques, des
releveurs du pied… POUR EN SAVOIR PLUS
Un soutien psychologique est parfois nécessaire dans un
souci de réassurance et de confiance en soi pour le patient Andrieu JM, Allard M, Vellas B et al. Étude de l’équilibre et de la
marche dans une population de 390 sujets âgés vivant au domicile.
mais aussi pour la famille. Une visite à domicile permet Rev Geriatr 1992 ; 17 : 423-8.
d’évaluer les situations à risque (tapis, pièces encombrées Bouchon JP. Malaises ou chutes chez la personne âgée : incidence,
de meubles, mauvais éclairage) et de proposer des conséquences, étiologies. Sem Hop Paris 1994 ; 70 : 463-6.
aménagements (barre d’appui, rehausseur de toilettes…). Nizard J, Potel G, Dubois C. Chutes et pertes d’autonomie du sujet
âgé : prise en charge pratique. Concours Med 1999 ; 121-06 : 397-402.
La prévention passe par une alimentation régulière et
Roger M. Malaises et chutes du sujet âgé. Rev Geriatr 1987 ; 12 ; 4 : 155-
équilibrée, une bonne hygiène du pied, un chaussage 8.
correct, des exercices physiques pour maintenir la force Strubel D, Jacquot JM. Troubles posturaux du sujet âgé : méca-
musculaire et l’équilibre, l’abandon de gestes inconsidérés nismes et prise en charge. In : Pellisier J, Brun V, Engalbert M (eds).
Équilibre et médecine de rééducation. Paris : Masson, 1993 : 199-
206.
TABLEAU V
Évaluation de l’habitat Points Forts à retenir
État des sols Escaliers
❑ tapis ❑ rampes • La démarche diagnostique doit s’appuyer
❑ revêtements glissants ❑ état des marches sur l’interrogatoire précis, l’examen du patient
❑ contraste visuel et de son cadre de vie ainsi que sur quelques
Aires de circulation
❑ supprimer des meubles Toilettes et salle de bain examens complémentaires. La prévention
❑ libérer les espaces ❑ tapis antidérapant reste fondamentale avec notamment le dépistage
de circulation ❑ barre d’appui des troubles de la marche.
❑ dissimuler les fils ❑ siège devant le lavabo
❑ sens d’ouverture • Il ne faut pas banaliser une chute.
de téléphone et autres
des portes • Les facteurs favorisants de la nature
Aménagements d’appuis Matériel d’assistance et de la sévérité des troubles de la marche
❑ meubles stables ❑ téléalarme et de l’équilibre doivent être évalués
❑ barres d’appui ❑ téléphone sur table de médicalement de façon rigoureuse.
Éclairage nuit (numéros précodés) • Le patient doit reprendre au plus vite la marche.
❑ intensité des lampes ❑ pince de préhension
❑ accessibilité des interrup- ❑ siège garde-robe • Il doit être soutenu psychologiquement.
teurs (lumineux) Accessibilité des objets • Il faut corriger les facteurs étiologiques
❑ veilleuse d’utilisation courante et adapter l’environnement.

LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50 1251

Vous aimerez peut-être aussi