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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

Faculté de philosophie et lettres


Langues et littératures françaises et romanes

EXERCICES DE STYLE
Récriture de deux anecdotes aux contraintes grammaticales à
la façon de Raymond Queneau

ROIG Travail réalisé dans le cadre du cours :


Audrey Grammaire descriptive du français II
(Roma-B-304)

ANNÉE ACADÉMIQUE 2006-2007


Introduction

Notre « langue belle » comme l’a appelée Yves Duteil, est teintée de
nombreuses subtilités qui controversent beaucoup de gens. Marc Wilmet est l’une
de ces personnes qui a décidé de publier ses idées sur bon nombre de
problématiques linguistiques dans un ouvrage intitulé Grammaire critique du
français. C’est donc en nous référant de manière fréquente et explicite à cet
ouvrage, ainsi qu’en nous basant sur deux mêmes anecdotes récrites, que nous
allons tenter d’observer les règles de quantifiants aux mystérieux noms de
bipolaires et de caractérisants personnels…

2
I. Les quantifiants bipolaires

I. 1. Avant-propos

L’organisation du commentaire qui suit la récriture de l’anecdote peut


surprendre : il aurait été normal de reprendre un à un chacun des éléments
concernés et de les détailler, seulement la matière ne nous le permet pas. C’est dès
lors suivant une logique ensembliste que nous allons aborder le texte. En effet, il
serait inapproprié de traiter les quantifiants dans l’ordre de leur apparition dans
l’anecdote car nous serions amenés à discuter sur des beaucoup de avant
d’aborder la problématique-même du de.

I.2. Récriture de l’anecdote

Dans une rue passante à une heure où beaucoup de gens circulent, un


peintre nommé André rafraîchit les couleurs de la façade d’une habitation, perché
sur un échafaudage. Le pinceau à la main, il rythme par un sifflement les va-et-
vient des poils, quand soudain un geste un peu plus gauche – car un homme n’est
pas toujours adroit – fait choir le pot dans les airs. En bas, un homme qui fume du
tabac lève la tête et aperçoit l’objet en chute libre. Voulant échapper à la
catastrophe, il s’élance, avec courage, d’un coup sur le lieu de la tragédie
prochaine, renverse au passage la plupart des passants, notamment une vieille
tenant un chien en laisse, ainsi qu’un fonctionnaire qui ne se rend pas compte de
l’événement, les yeux braqués sur son journal. Le pot arrive à vive allure et, non
sans avoir manqué de déverser son contenu sur une maman et son fils, termine sa
course entre les mains du nouveau héros. Mais pas mal de confusions l’accaparent
lorsqu’il conçoit que ce n’étaient que les tartines du peintre qu’il avait secourues.
L’être humain étonnera toujours.

3
I.3. Observation des quantifiants bipolaires parsemés dans l’anecdote

Habituellement nommés déterminants (in)définis, Marc Wilmet rappelle


dès la remarque du paragraphe 132 de sa Grammaire critique que cette
appellation est à remettre en question. Les raisons invoquées font appel au
concept de véracité : le n’est pas toujours plus déterminé ou défini que un, il suffit
de s’en reporter aux exemples 7, 8, 9 et 10 du paragraphe 134 de l’ouvrage. Ces
dénominations sont donc à écarter, et c’est sur le concept d’extensivité d’une part,
sur celui de « restitution • massive ou numérative, • continue ou discontinue » (§
154) d’autre part que se basera par la suite la première section de ce travail. Ces
critères, nous le verrons, permettront de différencier les quatre types de
quantifiants bipolaires recensés par Marc Wilmet – à savoir le, un, de et enfin le
quantifiant zéro (ф) – parsemés dans l’anecdote retranscrite ci-dessus.

Le quantifiant le plus présent dans le texte est inévitablement le et ses


allomorphes la, les. Bien que fort courant, il mérite toutefois d’être examiné à la
loupe.

[1] [...] un peintre nommé André rafraîchit les couleurs de la façade d’une
habitation [...]
[2] Le pinceau à la main [...]
[3] [...], il rythme par un sifflement les va-et-vient des poils [...]
[4] [...] fait choir le pot dans les airs.
[5] [...] un homme [...] lève la tête et aperçoit l’objet en chute libre.
[6] Voulant échapper à la catastrophe [...]
[7] [...] il s’élance avec courage d’un coup sur le lieu de la tragédie prochaine
[...]
[8] [...] les yeux braqués sur son journal.
[9] Le pot arrive à vive allure [...]
[10] [...] termine sa course entre les mains du nouveau héros.
[11] [...] ce n’étaient que les tartines du peintre qu’il avait secourues.
[12] L’être humain étonnera toujours.

Chacun de ces allomorphes de le exprime une idée, semblable pour les


extraits allant de [1] à [11] et bien différente pour le douzième. Dans un premier
temps, il s’agit toujours d’un être ou d’un objet unique dans un ensemble unique.

4
C’est ce que Marc Wilmet appelle « l’extensivité extensive 1=1 » (§ 142).
Illustrons ceci par la phrase [9] : l’ensemble ne comprend au total qu’un seul pot
de peinture ; c’est un objet unique, un singleton. Le rapport par conséquent de
l’ensemble – l’extension – et de la quantité qu’il contient – l’extensité – définit
une extensivité 1=1.

C’est ici que se démarque la phrase [12]. Puisque pour chacune des
illustrations précédentes il existe un rapport de 1 à 1, il n’en existe qu’un de t à t
dans la phrase « L’être humain étonnera toujours ». En effet, l’ensemble des êtres
humains comprend plus qu’un seul élément puisque nous ne sommes pas seuls sur
terre. Il détient donc autant d’éléments qu’il existe d’hommes, c’est-à-dire un
nombre t. Ainsi, nous avons affaire à « une extensivité extensive t = t » comme
l’explique le paragraphe 142 de la Grammaire critique.

Ceci dit, nous pouvons toutefois affirmer que chacune de ces formes
possède un nombre de caractéristiques communes qui définissent ce type de
quantifiant bipolaire et qui, de fait, les opposent aux autres. Marc Wilmet les
compte au nombre de deux (§ 154) et opère une nouvelle dichotomie : bien que
tous ces quantifiants aient une extensivité extensive, nous l’avons vu, il sépare le-
la de les. La phrase [1] (« les couleurs ») a sa restitution « discontinue » alors que
la phrase [2] (« le pinceau ») l’a « continue ». En effet, « […] le singulier et le
pluriel confrontent une vision d’un seul tenant ou continue et une vision morcelée
ou discontinue » (§ 57).

Enfin, une dernière observation pour les le-la-les s’impose à ce stade-ci de


l’analyse. Il est étonnant, lorsqu’on y songe, de voir que dans certaines de ces 12
phrases nous pouvons remplacer le par un (phrases 1-3, 5-6, 9) alors que nous ne
pouvons pas dans d’autres (4, 7-8, 10-12)… Cette observation fait appel en réalité
aux deux propriétés que décrit Marc Wilmet : la « commutativité
différenciatrice » (§ 144) et « l’incommutativité occasionnelle » (§ 145). Dans les
énoncés où nous pouvons alterner les deux quantifiants, nous aurions certes pu

5
écrire un pot au lieu de le pot (phrase 5) si toutefois il n’y avait pas de différence
exprimée. Mais tel n’est pas le cas ; change la référence à l’ensemble. Un pot se
réfère aux autres pots de peinture, le pot se réfère, lui, aux autres objets qui
entourent le peintre (tant un pinceau que son échafaudage ou autre chose encore).
La phrase [10] illustre en revanche parfaitement l’incommutativité occasionnelle.
S’il est tout à fait correct de parler des mains de quelqu’un, dans cet exemple-ci, la
sémantique de la phrase exige qu’il n’y ait qu’un quantifiant extensif discontinu
qui puisse prendre place devant le nom « mains ». En effet,

- * [Le pot] termine sa course entre des mains du nouveau héros.


- * [Le pot] termine sa course entre la main du nouveau héros.

sont totalement proscrits au niveau du sens. Toutefois ces quantifiants sont admis
dans d’autres phrases, telles :

- La clef termine sa course dans des mains égarées.


- La clef termine sa course dans une main égarée.

Ce dernier exemple semble nous inviter à aborder le quantifiant bipolaire


suivant, à savoir un et ses allomorphes. Les différentes phrases qui en comportent
sont :

[13] Dans une rue passante à une heure où beaucoup de gens circulent [...]
[14] [...] un peintre nommé André rafraîchit les couleurs de la façade d’une
habitation, [...]
[15] [...] perché sur un échafaudage.
[16] [...] il rythme par un sifflement les va-et-vient des poils [...]
[17] [...] quand soudain un geste un peu plus gauche
[18] [...] car un homme n’est pas toujours adroit [...]
[19] En bas, un homme qui fume du tabac lève la tête [...]
[20] [...] il s’élance avec courage d’un coup sur le lieu de la tragédie
prochaine [...]
[21] [...] renverse au passage la plupart des passants, notamment une vieille
tenant un chien en laisse, ainsi qu’un fonctionnaire [...]
[22] Le pot arrive à vive allure et, non sans avoir manqué de déverser son
contenu sur une maman et son fils [...]

Notons que nous avons délibérément omis tous les petits mots des sur
lesquels nous reviendrons ultérieurement. Les quantifiants restants sont eux aussi

6
unis par des caractéristiques, allant au nombre de trois : tous sont partitifs,
numératifs et enfin continus. Observons ces trois aspects plus en détail.
S’ils sont effectivement partitifs, cela signifie que chacun de ces articles
expriment une notion de quantité, non globale mais partielle. « Le partitif
numératif continu un (une) annonce un résidu d’extension […], lui ouvre à tout le
moins carrière […] » nous révèle Marc Wilmet au paragraphe 158. Prenons pour
exemple la phrase 13 : « Dans une rue passante à une heure où beaucoup de gens
circulent [...] », il s’agit bien d’une seule rue, bien que cette dernière suggère une
extension plus large : un ensemble d’autres rues. Le quantifiant ci-dessus est donc
caractérisé par une extensivité partitive : une rue (extensité individuelle) se
détache d’un lot de rues qui constitue « l’extension collective » (§ 142). Nous
rejoignons ainsi Marc Wilmet sur ce qu’il énonce au paragraphe 154 et pouvons
définir le quantifiant un comme étant un article partitif.
Marc Wilmet ajoute à ce même passage que les quantifiants un-une sont
par ailleurs numératifs. Nous en avons déjà eu un avant-goût en détaillant la
partitivité, concept étroitement lié à celui-ci. Si l’on se réfère à l’article 152 de la
Grammaire critique, nous comprenons que le numératif s’oppose au massif d’une
chose. La phrase 14 « [...] un peintre nommé André rafraîchit les couleurs de la
façade d’une habitation, [...] » illustre bien le propos ; un-une isole les éléments
concernés, à savoir respectivement un peintre et une habitation.
Enfin, il est question de continuité. Ce concept n’est plus à détailler
puisque nous l’avons déjà abordé préalablement. Il suffit de se reporter à la
section des quantifiants le-la.

L’affaire se corse pourtant si l’on considère la phrase 18 – que nous


restituons par facilité.

[18] [...] car un homme n’est pas toujours adroit [...]

Le un ne renvoie plus ici à un seul homme mais à l’ensemble tout entier


des êtres humains. Le raisonnement précédent serait-il faux ? En réalité non, il ne
change dans ce cas-ci que l’extensivité. Alors que pour toutes les autres phrases

7
l’extensivité était partitive, il s’agit dans la présente de la formule suivante :
« 1 × n => t », que Marc Wilmet traduit peu après par « multipli[cation de]
l’extensité individuelle de [homme] autant de fois que nécessaire pour accéder à
l’extensité collective maximale » (§ 143). Autrement dit, ne change dans cette
phrase que le nombre d’éléments pris : alors que nous n’en isolions qu’un seul
précédemment, nous les dissocions maintenant tous un à un.

Toutefois, « le quantifiant un (une) n’a pas en lui-même la capacité de


dépasser l’extensité = 1 » ajoute par la suite Marc Wilmet (§ 159). Il existe deux
méthodes pouvant augmenter l’extensité, dont la prédication. Tel est le cas pour la
phrase 18 que nous venons d’analyser : c’est au moyen de la prédication
existentielle – qui « asserte dans le monde actuel un énoncé dépourvu
d’implication » (§ 159) – que la formule « 1 × n => t » est possible. Un autre
procédé consiste en l’ajout d’un déclencheur tels la plupart de, beaucoup de, pas
mal de.

[23] [...] à une heure où beaucoup de gens circulent [...]


[24] [...] renverse au passage la plupart des passants [...]
[25] Mais pas mal de confusions l’accaparent lorsque [...]

Pour chacun de ces trois exemples, l’on constate que l’extensité n > 1
exprimée par les adverbes introducteurs se répercute automatiquement sur
l’extensité du nom qu’ils accompagnent. Ainsi, l’on obtient la formule
« ( 1 + 1 + 1 + 1 + … = n < t ) » (§ 158, 163) qui montre explicitement
l’augmentation de l’extensivité subie.

Nous remarquons par ailleurs que ces trois adverbes de quantités ont un
impact important sur le quantifiant qui les succède, du moins pour deux des trois.
Bien que nous ne nous attarderons pas longuement sur le sujet – car ils relèvent
majoritairement des quantifiants stricts et non bipolaires – il nous semble légitime
d’observer ce phénomène qui nous mènera à considérer d’autres bipolaires par la

8
suite. Si l’on reprend ces mêmes phrases sans leur indicateur de quantité, nous
obtenons :

[26] [...] à une heure où des gens circulent [...]


[27] [...] renverse au passage des passants [...]
[28] Mais des confusions l’accaparent lorsque [...]

Pour les énoncés 26 et 28, les quantifiants de sont devenus des. Il s’est
produit un phénomène « d’alternance de la quantification de + ф et de la
quantification de + le, la, les » (Wilmet, § 188), où de + ф associe une préposition
et un article zéro, et de + le, la, les deux articles (§ 186). Cette observation
justifie le des survenus dans ces deux cas. Mais qu’en est-il alors de la phrase 27 ?
Il s’est aussi produit un changement, même s’il ne paraît pas. Dans la plupart des,
des provient de la contraction de de + les, où de a la nature de préposition. En
revanche, celui de l’énoncé 27 n’est autre que la contraction de les avec l’article
de. Ainsi, deux nouveaux principes se dégagent, à savoir d’une part l’association
de deux bipolaires entre eux, et d’autre part la distinction qu’il faut opérer entre de
préposition et article (§ 165-170).

La préposition de est présente à de nombreuses reprises dans l’anecdote :


« de la façade », « d’une habitation », « des poils », « d’un coup », « de la
tragédie », « du nouveau héros » et enfin « du peintre ». Ajoutons à cette liste les
trois dernières phrases considérées ci-dessus. En revanche, de-article est plus rare
puisqu’il n’y apparaît qu’une seule fois : « (...) qui fume du tabac (...) ». Le du,
résultat d’une combinaison et d’une contraction entre de + le, exprime la
partitivité massive (le propre du de article) et à la fois un aspect extensif et
continu (résultat du le). Il y a donc eu association des caractéristiques des deux
articles. Marc Wilmet confirme cette hypothèse au paragraphe 179 de sa
Grammaire critique. Il y ajoute néanmoins que « non combinables entre eux […],
les articles LE et UN le sont pourtant avec le quantifiant de, lui-même combinable
avec l’article ф » (§ 178). C’est exact et l’anecdote le confirme : jamais une
association entre un et le n’est possible ; elle ne l’est qu’avec l’article de.

9
Soulignons toutefois que la préposition de n’entre pas en ligne de compte, car il
ne s’agit non plus d’une combinaison mais d’une simple contraction, voire même
d’une élision, avec un article, comme le prouve ces exemples :

[29] [...] les couleurs de la façade d’une habitation [...] (élision)


[30] [...] les va-et-vient des poils [...] (contraction)
[31] [...] il s’élance, avec courage, d’un coup [...] (élision)

Cette citation de Marc Wilmet aborde un point non encore développé : le


quantifiant zéro (ф). Ce dernier n’a d’autre caractéristique que l’absence d’article,
comme l’indique son nom. Il n’est

« [...] en soi ni extensif ni partitif (ni numératif ni massif, ni continu ni


discontinu) [et] refuse d’enregistrer une quelconque extensivité, soit que la
langue estime superflu de repréciser l’extensité ou l’extension (type
[conservateur]), soit qu’on dénie par ce moyen son indépendance au nom
(type [novateur]) » (§ 171).

Le premier type peut être illustré par l’extrait

[32] [...] un peintre nommé André [...]

où André a une extensité et une extension qui valent toutes deux 1, « d’où la
constante 1/1 = 1 (extensité extensive) » (§ 173). Par conséquent, toute rupture
tant au niveau de l’extensité que de l’extension mais encore de l’extensivité
1/1 = 1, entrainera l’apparition d’un quantifiant, puisque l’équilibre sera rompu.
Marc Wilmet nous en donne la preuve dans sa Grammaire critique aux
paragraphes 174 à 176.

Un peu plus loin dans ce même ouvrage, il ajoute : « un nom privé


d’extensivité tend à spécialiser son intension en fonction de son entourage
cotextuel […]. Il forme alors avec le verbe introducteur ou la préposition
introductrice une sorte de locution verbale ou adverbiale » (§ 177). C’est bien ce
que nous retrouvons dans ces extraits 33 et 34, où nous avons respectivement une
locution adverbiale puis verbale.

10
[33] [...] il s’élance avec courage [...]
[34] [...] ainsi qu’un fonctionnaire qui ne se rend pas compte de
l’événement [...]

Avant d’achever, il semble judicieux d’observer un court instant les


quantifiants-caractérisants personnels. Bien que Marc Wilmet ne fasse que deux
brèves allusions à ce qui suit 1 , il ne nie nullement la parenté qui existe entre les
bipolaires et les caractérisants-personnels.

S’il est vrai que de prime abord ils n’ont de commun que le premier terme
de leur appellation – quantifiants –, leur ressemblance s’étend bien au-delà. En
effet, eux aussi sont le fruit d’une combinaison entre deux termes : un
caractérisant + le quantifiant le (la). Dans l’énoncé « une maman et son fils »,
énoncé repris à l’anecdote susmentionnée, son provient de l’association des
quantifiants son et le. À supposer que ceci soit correct, il serait alors possible de
trouver une phrase dans laquelle s’associeraient son et la. N’est-ce pas ce que
nous obtenons dans « [le pot] termine sa course entre les mains du nouveau
héros » ? L’hypothèse qu’il existe bel et bien des « quantifiants bipolaires à
caractérisation personnelle » semble être justifiée, et c’est pourquoi nous ne
pouvions les taire dans le présent travail.

Ainsi, il existe quatre type de quantifiants bipolaires, à savoir


respectivement le, un, de et enfin ф, catégorisables par leurs caractéristiques. Si le

1
Les seules que nous puissions trouver dans la Grammaire critique sont « sémantiquement
parlant, les "possessifs atones" […] associent un article LE à une caractérisation personnelle […] »
(§ 274) et cette phrase qui commence le paragraphe 276 : « Mon, ton, son, etc. sont des
déterminants extensifs (i.e. d’extensivité extensive […] ».

11
est un extensif continu, les en revanche est un extensif discontinu ; si un est un
partitif numératif continu, de n’est qu’un partitif massif. La richesse de ces
quantifiants provient de la variabilité de leur extensivité et de leur éventuelle
combinaison entre de et un autre quantifiant bipolaire, dont nous trouvons échos
chez les quantifiants-caractérisants personnels.

12
II. Les quantifiants-caractérisants personnels

II.1. Récriture classique de l’anecdote 2

Une rue passante à son heure d’affluence. Un peintre, un cousin à moi,


ravive sur son échafaudage les couleurs d’une façade. Il émet quelques sons,
témoins de sa gaieté, et tapote même des pieds ses planches de métal. Soudain,
notre peintre exécute un mouvement gauche et se cogne le coude au pot de
peinture qui immédiatement vole dans les airs. Sur le trottoir, un jeune homme
prend ses jambes à son cou et s’élance, écarte de son chemin une grand-mère et
son chien, renverse un individu au visage dissimulé derrière son journal. Le héros
bondit sur sa proie et l’attrape, a volé entretemps au secours d’une dame et de son
enfant – non le sien mais bien celui de la dame – achève sa course jonché au sol
mais tient de ses dix doigts le pot de peinture. Le sauveur jette un œil sur sa proie
et s’étonne de son contenu : le casse-croûte du peintre.

II.2. Récriture de l’anecdote sous forme de boîtes

P
SN
SN SP
Dét GN P SN
N Adj Dét GN
N SP
P N
Une rue passante à son heure d' affluence

2
Cette récriture vise uniquement la facilité du commentaire qui s’ensuivra.

13
P1
SN *P2 SV
Dét N SN V SP SN
Dét GN P SN Dét GN
N SP Dét N N SP
Prép Pron P SN
Dét N

Un peintre un cousin à moi ravive sur son échafaudage les couleurs d' une façade

P1 C P2
SN SV SV
Pr V S Adj V SP
Adj SN SP SN
N SN P SN Dét SN
N SP Dét N N SP
P SN P N
Dét N
Il émet quelques sons témoins de sa gaieté et tapote d(es) (d)es pieds ses planches de métal

P1 C
S Adv SN SV
Adv Dét N V SN
Dét GN
N Adj
Soudain notre peintre exécute un mouvement gauche et
14
P2
SV
SV SN SP
Pr. réflexif V Dét N Prép SN SR
N SP R S adv SV
P N Adv V SP
P SN
Dét N
se cogne le coude au pot de peinture qui immédiatement vole dans les airs

P1
SP SN SV
P SN Dét GN V SN
Dét N Adj N SN SP
Dét N P SN
Dét N
Sur le trottoir un jeune homme prend ses jambes à son cou

C P2 P3
SV SV
V V SP SN
P SN SN C SN
Dét N Dét N Dét N
et s'élance écarte de son chemin une grand-mère et son chien
15
P4
SV
V SN
SN SP
Dét N Prép SN
N S Adj
Adj SP
Prép SN
Dét N
renverse un individu au visage dissimulé derrière son journal

P1 C P2
SN SV SV
Dét N V SP SN V
Prép SN Pr
Dét N
Le héros bondit sur sa proie et l' attrape

P3
SV
SV S Adv SP
V Adv Prép SN
N SP
Prép SN
SN C SP
Dét N Prép SN
Dét N
a volé entretemps au secours d' une dame et de son enfant
16
P4
Nég. SN C S Adv SN
Dét N Adv Pron. SP
Prép SN
Dét N
- non le sien mais bien celui de la dame -

P5 C P6
SV S adj SV
V SN Adj SP V SP SN
Dét N Prép N Prép SN Dét GN
Dét GN N SP
Adj N Prép N
achève sa course jonché au sol mais tient de ses dix doigts le pot de peinture

P1 C P2
SN SV SV
Dét N V SN SP V SP
Dét N Prép SN Prép SN
Dét N Dét N
Le sauveur jette un œil sur sa prise et s'étonne de son contenu
17
P
SN
Dét GN
N SP
Prép N
le casse-croûte du peintre

II.3. À propos de la structure du commentaire

Contrairement au premier exercice, nous allons examiner ici chacun des


quantifiants pris un à un, ainsi que leur rapport parfois ambigu avec les autres
mots de la phrase mais souvent élucidé par la récriture en boîtes de l’anecdote.

II.4. Observation des quantifiants-caractérisants personnels de l’anecdote

Cette fois encore, l’appellation d’ « adjectifs possessifs atones » ne


satisfait pas entièrement Marc Wilmet, car elle ne reflète pas d’après lui la
structure du système auquel cette classe appartient. Puisqu’ils proviennent de la
combinaison d’un article et d’un caractérisant, nous l’avons vu précédemment,
Marc Wilmet préfère les reclasser dans sa Grammaire critique selon leurs
propriétés de « quantifiants-caractérisants personnels » ; il dégage ainsi une
structure logique au sein des adjectifs-déterminants que l’on avait perdue depuis
longtemps.

« Une rue à son heure d’affluence » est le premier des quantifiants-


caractérisants personnels rencontré dans le texte. Sans doute le plus classique de
tous, il résulte de l’association d’« un article LE à une caractérisation
personnelle : […] "de lui" ou "d’elle" » (§ 274). Étrangement, nous remarquons
qu’ici le quantifiant se réfère à un possesseur féminin (« une rue ») et qu’il est
pourtant de genre masculin (son + le). Il s’agit de l’une des caractéristiques de
notre langue : « le français ne marque pas le genre du "possesseur", contrairement

18
aux langues germaniques » (§ 274, rem., 2). Ainsi, « son » se rapporte à « heure »
et a pour possesseur le terme « rue ». Subsiste toutefois une difficulté : bien que
« heure » soit féminin, « son » est pourtant de genre masculin. En effet, au
féminin singulier, on emploie mon, ton, son devant une voyelle ou un h muet ;
Marc Wilmet ne s’y attarde pas.

Nous sommes amenés à nous interroger sur la véritable valeur


d’appartenance exprimée : cette rue a-t-elle vraiment son heure d’affluence ? La
question est légitime et sa réponse l’est également. De deux choses l’une : soit
cette rue, située parmi d’autres, est seule à recevoir beaucoup de monde à une
heure bien précise de la journée – alors effectivement il est question
d’appartenance –, soit la rue et ses environs connaissent un moment de foule et il
ne s’agit plus ici d’une possession propre à cette rue. Ni le texte, ni les boîtes ne
fournissant plus de détails à cet égard, il est offert au lecteur la possibilité de
choisir le sens qui lui conviendra.

À l’inverse de l’énoncé précédent, « un peintre, un cousin à moi, […] »


n’est nullement ambigu ; le « moi » se réfère inévitablement au locuteur.
Cependant, il ne s’agit pas d’un adjectif possessif atone, mais tonique ! C’est donc
un caractérisant, et non un quantifiant-caractérisant. Une question nous interpelle
alors : l’ambiguïté sémantique est-elle propre aux possessifs atones ou existe-t-
elle également chez les toniques ? Aucune réponse n’est apportée dans la
Grammaire critique puisque le sujet n’y est pas abordé, et bien que la question
mériterait une attention particulière, aucune tentative de réponse ne sera apportée
ici, par peur de perdre l’objectif du présent travail. S’il l’on en revient à ce second
cas, nous nous rappelons avoir vu dans la section précédente que les bipolaires
pouvaient avoir une extension partitive de type massive (du) ou numérative (un).
Marc Wilmet complète à présent en disant que « mon, ton, son, etc. sont des
déterminants extensifs […] auxquels les articles un(e) et de procurent un pendant
partitif […] • en restitution numérative grâce aux caractérisants mien, tien, sien…
[…] » (§ 276). Par conséquent, « un cousin à moi » n’est autre que le fruit de

19
l’association réajustée entre un et mien, « un mien cousin » (§ 276) n’étant pas
français.

La récriture en boîtes de l’anecdote n’est pas évidente ; elle pose


problème. « Un cousin à moi » est ce que le langage nomme couramment une
incise. Mais le courant américain auquel appartient ce type d’agencement (§ 41)
ne permet pas de représenter une phrase à l’intérieur-même d’une autre phrase.
Cette impossibilité est la raison pour laquelle il fallut pointer d’un astérisque cette
P 2 insérée entre le sujet et le verbe de P 1. À défaut de ceci, nous aurions été
amenés à changer notre tournure phrastique.

P1
SN *P2
Dét N SN
Dét GN
N SP
Prép Pron

Un peintre un cousin à moi

« Ravive sur son échafaudage » : « son » (son + le) détermine cette fois le
nom « échafaudage » et marque à priori l’appartenance de la structure au peintre.
Mais est-ce vraiment le cas ? Après quelques instants plane comme un doute. Cet
échafaudage peut très bien appartenir à une firme dont le peintre est l’un des
employés. L’appartenance serait alors indirecte, voire inexistante. Cette notion de
possession est à prendre avec des pincettes, Marc Wilmet n’a pas manqué de le
souligner :

« On n’y insiste pas : les relations intellectuelles que traduisent les


quantifiants-caractérisants personnels débordent d’assez loin la possession ou
l’appartenance […] » (§ 275).

« Il émet quelques sons, témoins de sa gaieté ». Cet énoncé apparemment


assez commun, ne l’est pas tant que ça. Même si « sa » détermine le substantif
« gaieté » et renvoie au possesseur – comment l’appeler autrement ? – « il »,

20
c’est-à-dire le peintre, il subsiste toutefois ici une particularité encore jamais
rencontrée dans le cadre de ce second exercice. En effet, contrairement à tous les
cas observés jusqu’à présent, le remplacement de « sa » par une voire la demeure
impossible. Nous aurions pu avoir :

- une rue à une / l’heure d’influence


- un peintre sur un / l’échafaudage,

mais jamais un locuteur ne dira

- *il émet quelques sons, témoins d’une / de la gaieté

s’il ne se trouve derrière le substantif « gaieté » une suite adjectivale de type


« naturelle » ou autre.

« […] et tapote même des pieds […] ». Bien que n’ayant pas les
apparences d’un quantifiant-caractérisant personnel, « des » doit tout de même
faire l’objet d’une attention particulière. Marc Wilmet relève que les « parties du
corps [sont] suffisamment personnalisées par le contexte » et n’ont de fait besoin
que d’une « détermination non personnelle » (§ 274,1). Ceci explique la présence
du des et non d’un ses que nous pourrions tout de même surprendre chez l’un ou
l’autre locuteur distrait. Pourtant, « des » n’attend qu’un adjectif pour se changer
en ses. Observons : « […] et tapote même de son pied gauche […] ». « Seul un
adjectif, démultipliant le nom […], peut distendre le rapport "d’appartenance
inaliénable" » confirme Marc Wilmet 3 (§ 274,1). La détermination supplémentaire

3
A.-M. Spanoghe, La syntaxe de l’appartenance inaliénable en français, en espagnol et en
portugais, cité par Marc Wilmet, Grammaire critique du français moderne, 3ème édition,
Bruxelles, Duculot, 2003, p. 242.

21
qu’apporte « gauche » cible avec précision l’un des deux pieds et il devient alors
utile de mentionner le quantifiant-caractérisant, quoique « du pied gauche » est
également plausible.

La décomposition de cette phrase en boîtes peut doublement étonner :


premièrement, les deux récritures ne sont pas exactement identiques. Nous lisons
« tapote même des pieds » d’une part, « tapote des pieds » de l’autre. Ceci
s’explique par l’impossibilité dans cette structure d’insérer un adverbe entre V (le
verbe) et SP (le syntagme prépositionnel). Il n’est par ailleurs pas plus commode
de placer « même » ailleurs dans la phrase tout en gardant un niveau de langue
correct. En effet,

- * […] et même tapote des pieds ses planches de métal.


- * […] et tapote des pieds même ses planches de métal.
- * […] et tapote des pieds ses planches de métal même.

sont autant de phrases syntaxiquement incorrectes. Si nous forcions pourtant un


peu la structure en boîtes, nous pourrions scander le SV en deux parties ; nous
obtiendrions ainsi :

P2
SV--- S Adv --- SV
V Adv SP
SP SN
P SN Dét SN
Dét N N SP
P N

tapote même d(es) (d)es pieds ses planches de métal

Par ailleurs, nous avons délibérément répété le mot « des » en y mettant


une partie entre parenthèses. Or, si nous faisons appel à ce que nous avons vu
précédemment, nous nous souvenons que ce terme provient de la contraction de la
préposition de avec le quantifiant bipolaire les. Cette fragmentation volontaire a
donc pour but la visualisation du de-préposition et du les qui nous intéresse en tant
que « déterminant non personnel » (§ 274,1).

22
« […] ses planches de métal […] » : le possessif « ses » résulte à nouveau
d’une combinaison – son + les –, et renvoie encore à ce même « il »,
pronominalisation du peintre. Que le déterminant soit de genre contraire au
pronom auquel il renvoie, ne nous étonne plus, et nous observons ici que cette
règle s’applique aussi au nombre.

« Soudain, notre peintre exécute un mouvement gauche […] ». Pour la


première fois apparaît dans l’anecdote un quantifiant-caractérisant personnel autre
que celui de la troisième personne du singulier. « Notre » n’a cependant pas grand
chose de neuf à apporter : lui aussi détermine un nom (« peintre »), en tire
ses marques ; il se réfère à un possesseur qui n’est pas exprimé. L’absence de ce
dernier ne perturbe pourtant pas le lecteur qui immédiatement découvre celui qui
se cache derrière ce « notre » : il s’agit du locuteur.

Le prochain énoncé est considérablement différent de tout ce qui précède.


En effet, « [il] se cogne le coude au pot de peinture […] » n’a pas d’adjectif
possessif au sein de sa phrase, et pourtant… Nous sommes dans un cas presque
similaire à celui que nous avons rencontré plus haut avec « […] tapote même des
pieds […] ». À la différence de celui-ci, ce n’est pas le contexte qui exprime la
possession, mais le cotexte ! C’est par l’intermédiaire d’un « simple pronom
réflexif […] débordant le cadre étroit du membre ou de l’organe mentionnés »
(§ 274, 2) qu’est exprimée la personnalisation. Il est de fait inutile de rajouter un
adjectif possessif qui n’alourdirait que sensiblement la phrase sans y ajouter de
sens.

« Sur le trottoir, un jeune homme prend ses jambes à son cou […] ». La
présence de ces deux quantifiants-caractérisants apparaît comme une contradiction
avec ce que nous avons observé auparavant. En réalité, ce cas n’est pas
entièrement similaire. « La repersonnalisation demande toujours "une bonne
raison" », écrit Marc Wilmet (§ 274,1). Il serait en effet impossible d’obtenir :

23
- *un jeune homme prend les jambes à le / au cou

ou encore

- *un jeune homme prend des jambes à un cou.

Cet énoncé ne prend donc du sens qu’en présence des deux quantifiants-
caractérisants personnels, même s’ils se réfèrent tous deux au même individu.

« […] écarte de son chemin une grand-mère et son chien ». Ces deux
adjectifs possessifs, parfaitement identiques en apparence, comportent néanmoins
une légère différence, au niveau des possesseurs. Alors que le premier « son »
renvoie au « jeune homme » mentionné peu avant, le second réfère à la « grand-
mère ». Dans cette phrase, chaque adjectif marque l’appartenance mais il n’y a
plus lieu de répéter que tel n’est pas toujours le cas (§ 275).

« […] renverse un individu au visage […] ». Cette une fois encore,


l’énoncé est « suffisamment personnalisé par le contexte » (§ 274) que pour y
ajouter un déterminant possessif. Le simple quantifiant bipolaire que cache « au »
suffit donc à exprimer l’appartenance de ce visage à l’homme qui le « dissimule
derrière son journal ».

Le « son » ci-dessus est classique ; nous sommes confrontés aux mêmes


cas que « son chemin » ou encore « son chien ». Le possesseur de cet adjectif est
évidemment « l’individu », évoqué peu avant, et les marques du possessif –
masculin singulier – n’étonneront plus personne à présent.

« Le héros bondit sur sa proie […] ». Le possesseur de « sa » n’est autre


que « le héros » ; l’adjectif se rapporte au nom « proie » qu’il détermine et dont il
reçoit cette fois encore les marques en retour. Il n’y a rien de plus à ajouter, ce
possessif étant similaire à beaucoup d’autres déjà observés.

24
« […] a volé entretemps au secours d’une dame et de son enfant ». « Son
enfant » fait ici l’objet d’une ambiguïté sémantique : il pourrait aussi bien s’agir
de l’enfant de la « dame » que celui du « héros ». Il est impossible de tout à fait
trancher si l’auteur de l’anecdote ne nous donne plus d’indications à ce sujet ; le
lecteur ne peut que supposer. C’est ici qu’intervient « l’analyse en constituants
immédiats » (§ 41) qu’offre la récriture en boîtes de l’anecdote. Cette structure a
l’avantage d’analyser chacun des éléments constitutifs de la phrase.
Reproduisons-la par facilité.

P3
SV
SV S Adv SP
V Adv Prép SN
N SP
Prép SN
SN C SP
Dét N Prép SN
Dét N
a volé entretemps au secours d' une dame et de son enfant

Puisque le syntagme qui comprend le déterminant « son » est réuni à la


« dame » par un SN (syntagme nominal) plus vaste – en grasse –, l’enfant ne peut
qu’appartenir à cette femme et non au « héros ». Si tel avait été le cas, nous
aurions obtenu la décomposition suivante :

P3
SV
SV S Adv SP
V Adv Prép SN
N SP
SP C SP
Prép SN Prép SN
Dét N Dét N
a volé entretemps au secours d' une dame et de son enfant

Le SP (syntagme prépositionnel) de ce second énoncé place à égalité une


« dame » et un « enfant », sans y instaurer de relation de dépendance. Ils ne sont

25
que coordonnés par « et » ; rien indique que cet enfant soit lié d’une manière ou
d’une autre à la dame.

Bien que cette structure soit importante à la bonne compréhension du


texte, elle n’est pas sans défauts, nous l’avions déjà entraperçu. Outre la longueur
démesurée des schémas et la quasi impossibilité de joindre succinctement deux
phrases, elle présente une difficulté plus grande encore. Alors que l’anecdote avait
initialement pour texte « a entretemps volé », cette tournure ne put être gardée. Ne
pouvant séparer l’auxiliaire du participe dans ce type de structure, nous avons été
forcés de nous plier à la version actuelle : « a volé entretemps ». Certes moins
charmante, elle est cependant l’unique façon de contourner la difficulté. Mais
déplacer un élément n’est pas toujours réalisable (cf. « même » abordé
antérieurement). Un ennui de même type touche les morphèmes négatifs. Il est
impossible dans une structure en boîtes (§ 44) de disjoindre ne et pas. Ainsi,
même si cette récriture a l’avantage d’écarter toute ambiguïté sémantique, elle
détient également un certain nombre de problèmes.

Ce problème d’ambiguïté peut être résolu d’une autre façon, par une incise
par exemple telle « – non le sien mais bien celui de la dame – ». « Le sien » n’est
plus un déterminant mais un pronom possessif ; composé de deux termes, ce
pronom suscite des controverses. Warnant propose la décomposition de le sien en
le (pronom) et sien (adjectif), Marc Wilmet objecte : « le sien […] pronominalise
les deux parties constitutives du quantifiant-caractérisant personnel […] son […],
décomposable en article le (la, les) + caractérisant personnel […] sien […] »
(§ 320). Cette seconde hypothèse semble préférable puisqu’elle résout le
problème du pronom le en position sujet. – En effet, les bipolaires le, la, les ne
peuvent être pronominalisés et simultanément se trouver en position sujet (§ 304).

S’il était aisé d’ajouter une incise comme nous venons de le voir, l’on peut
être amené à se demander si la récriture en boîtes était tellement utile. Elle
recouvre en réalité un avantage dont ne dispose pas un texte linéaire : « [chacun

26
des] segments de l’énoncé […] entretiennent deux types de rapports, que mettent
en lumière (1) leur combinaison dans un plan horizontal et (2) leur commutation
dans un plan vertical » (§ 45). Marc Wilmet clarifie en expliquant que « (1)
horizontalement, [se créent] des rapports in praesentia ou syntagmatiques, à la
source des fonctions / (2) verticalement, [se génèrent] des rapports in absentia ou
paradigmatiques, à la source des natures. » (§ 45).

« […] achève sa course jonché au sol […] ». Ce type de quantifiants-


caractérisants personnels a déjà été longuement observé ; ainsi, il serait vain de
nous répéter encore. L’unique précision que nous pouvons apporter, est que le
possesseur est toujours le « héros » et que « sa » détermine le substantif féminin
singulier « course ».

« […] mais tient de ses dix doigts le pot de peinture ». Alors qu’en
principe les « parties du corps » (§ 274) n’ont pas besoin d’adjectifs possessifs qui
les déterminent, ce cas apparaît comme un paradoxe, mais il ne constitue pas pour
autant une « exception ». « La repersonnalisation demande toujours une "bonne
raison" », écrit Marc Wilmet dans la Grammaire critique (§ 274,1). Il faut donc
chercher la raison de cette apparition soudaine du possessif. L’explication est
évidente : cette construction est tombée dans le domaine de l’expression française.
Elle revient à dire que le « héros » (le possesseur de « ses ») tient fermement le
pot de ses mains.

« Le sauveur jette un œil sur sa proie […] ». « Un » détermine dans cet


énoncé encore une partie du corps humain. Le contexte étant suffisamment clair et
déjà personnalisé, il apparaît comme inutile d’y ajouter un quantifiant-
caractérisant personnel. L’énoncé en serait à nouveau alourdi sans qu’il n’y ait un
apport de sens supplémentaire. « Sa », en revanche, est facultative ; la aurait aussi
bien pu convenir. Ce quantifiant apporte toutefois un effet supplémentaire. Il
donne l’impression d’insister sur l’accomplissement de la quête du « héros »,

27
l’achèvement de sa quête. Par conséquent, la aurait été moins efficace pour
exprimer ce que nous venons de dire.

Enfin, voici venu le dernier des quantifiants-caractérisants personnels de


ce texte : « [il] s’étonne de son contenu […] ». Cet énoncé est classique ; le
possessif renvoie à la « proie » que s’est accaparée le héros, tandis qu’il détermine
le substantif masculin singulier « contenu ».

Tous ces énoncés furent donc l’occasion d’observer les quantifiants-


caractérisants personnels sous leurs divers aspects. Nous avons vu que leur tâche
principale est de référencer une chose ou une personne à une autre, sans pour
autant vouloir marquer la possession à proprement parler. En échange du sens
qu’ils apportent aux noms qu’ils déterminent, les substantifs qui les accueillent
leur « offrent » un genre et nombre. La détermination personnelle est cependant
parfois superflue selon le contexte ou le cotexte que crée l’énoncé.

28
Conclusion

Ainsi, nous avons vu tant dans le domaine des quantifiants bipolaires que
dans celui des quantifiants-caractérisants personnels que le déterminant faisait
toujours l’objet d’un choix judicieux de la part de l’auteur, selon le message qu’il
tente de faire passer à son lecteur. Mais en final, il appartient – et appartiendra
toujours – à l’auteur d’un récit d’écrire ce que bon lui semble. S’il préfère des à
ses, ou la à sa, il est seul maître à bord et dirige son navire en bon capitaine. Marc
Wilmet semble en faire l’aveu : « les usagers conservent plus d’autonomie que les
grammairiens ne l’avouent » … (§ 274,1)

29
Bibliographie

- ENGLEBERT, Annick., Le mémoire sur ordinateur. Les nouvelles technologies au


service du travail de fin d’études, Paris-Bruxelles, De Boeck Université,
1998, 166 p.

- Id., Guide pour la présentation des travaux écrits, Bruxelles, PUB, 2006, 35 p.

- WILMET, Marc, Grammaire critique du français, 3ème édition, Bruxelles,


Duculot, 2003, 758 p.

30
Table des matières

Introduction ........................................................................................................ 2
I. Les quantifiants bipolaires ............................................................................. 3
I.1. Avant-propos ................................................................................................. 3
I.2. Récriture de l’anecdote .................................................................................. 3
I.3. Observation des quantifiants bipolaires parsemés dans l’anecdote ............... 4

II. Les quantifiants-caractérisants personnels ................................................ 13


II.1. Récriture classique de l’anecdote ................................................................. 13
II.2. Récriture de l’anecdote sous forme de boîtes ............................................... 13
II.3. À propos de la structure du commentaire ..................................................... 18
II.4. Observation des quantifiants-caractérisants personnels de l’anecdote ......... 18

Conclusion ........................................................................................................... 29
Bibliographie ...................................................................................................... 30
Table des matières .............................................................................................. 31

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