Vous êtes sur la page 1sur 4

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

pas avoir de « plan B » au cas où les Européens se


braqueraient. Ils ne savent pas si l'Iran « sera d’accord
Les va-t-en-guerre américains triomphent
avec une renégociation globale » de l'accord iranien.
à la Maison Blanche
PAR MATHIEU MAGNAUDEIX Ils n'ont pas parlé avec « le secteur privé »
ARTICLE PUBLIÉ LE VENDREDI 11 MAI 2018
des conséquences de la réintroduction de certaines
sanctions économiques contre l'Iran. Ils ne savent
pas dire combien de temps il faudra pour évaluer
l'efficacité des sanctions contre Téhéran. « Un haut
diplomate européen nous a décrit des diplomates
américains incapables d’expliquer à leurs partenaires
et alliés ce qui se passe, et encore moins ce qui va se
passer », interpelle un journaliste. « C’est dingue »,
8 mai. Trump acte à la Maison Blanche le retrait des réagit un de ses collègues, soufflé.
États-Unis de l'accord nucléaire iranien. © Reuters
En sortant de l’accord nucléaire iranien, le En dénonçant l'accord nucléaire iranien de 2015, et en
président Donald Trump a voulu satisfaire sa réimposant « les sanctions les plus fortes jamais mises
base. Mais son administration n’a aucun « plan sur un pays » (sic), Donald Trump a choisi sa voie :
B ». Conduite par Mike Pompeo et John Bolton, le pur rapport de force. Il pense que l'accord iranien
elle est condamnée à utiliser la même rhétorique signé par les Européens et son prédécesseur était trop
belliciste et les mensonges qui justifièrent les guerres favorable aux Iraniens, qu'il leur a donné un blanc-
catastrophiques du début des années 2000. seing pour déstabiliser la région, qu'il faut donc des
sanctions économiques pour les forcer à réviser à la
New York (États-Unis), de notre correspondant.-
baisse leurs ambitions au Moyen-Orient.
C’est tous les jours ainsi dans le magasin de Trump :
devant le monde entier, l’éléphant en chef passe son
temps à casser la porcelaine. En coulisses, les petites
mains tentent de recoller les morceaux.
L’opération peut faire illusion si les dégâts sont
limités. Lorsque la crise est internationale et provoque
déjà d’inquiétants hoquets, cela devient mission
impossible. 8 mai. Trump acte à la Maison Blanche le retrait des
États-Unis de l'accord nucléaire iranien. © Reuters
Les États-Unis en sont là. Mercredi 9 mai, deux
officiels du Département d’État qui recevaient la Mercredi, au lendemain du retrait américain, Trump
presse pour commenter la sortie fracassante du a d'emblée menacé l'Iran de « conséquences très,
président Trump de l’accord nucléaire iranien de 2015 très sévères » en cas de redémarrage de ses activités
n’ont même pas fait semblant. nucléaires. « Ils vont négocier ou quelque chose va
se passer. » Jeudi, il a utilisé la même rhétorique,
Le verbatim du long briefing avec les journalistes
à la fois brutale et très vague. « On va voir ce
publié sur le site du Département d'État est un sommet
qu’on va faire avec l’Iran, probablement ça ne va
de nullité diplomatique. Les pauvres officiels, dont
pas aller très bien avec eux mais c’est O.K. aussi.
les deux noms ne sont pas cités, n'ont réponse à rien.
Ils doivent comprendre la vie, je ne pense pas qu’ils
Ils ne savent pas dire, et pour cause, où en sont les
comprennent la vie. » La décision brutale a provoqué
discussions avec les Européens, toujours attachés à
un choc mondial, consterné les Européens et déjà
l'accord mais sommés par l'administration Trump de
ravivé de façon spectaculaire la tension entre l'Iran
« ralentir » leur activité en Iran. Ils admettent ne
et Israël. Comme l'administration américaine elle-

1/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

même le reconnaît, rien ne garantit que la stratégie Le 29 janvier 2002, quelques mois après le 11-
du choc puisse aider à reconstruire un hypothétique Septembre, l'Iran fait partie, avec l'Irak et la Corée
nouvel accord avec Téhéran. du Nord, du trio de pays composant « l’axe du mal
Candidat à la présidentielle, Trump a toujours » désigné par le président des États-Unis George W.
vilipendé l'accord iranien, conformément aux griefs de Bush. – un concept signé David Frum, aujourd'hui
la base républicaine, qui a appris depuis des décennies une des figures conservatrices de l'anti-trumpisme
à détester la théocratie des mollahs. chic.
Dans Becoming Enemies (2011), un ouvrage qui L'Iran, explique ce jour-là le président américain
retrace la « démonisation mutuelle » entre l'Iran et devant le Congrès, « poursuit agressivement sa quête
les États-Unis, Hussein Banai, professeur à l'Indiana d’armes de destructions massives et exporte la terreur,
University de Bloomington, rappelle l'histoire tandis que quelques personnes non élues répriment
contemporaine de cette « obsession américaine » l’espoir démocratique du peuple iranien ». L'Irak de
envers l'Iran, particulièrement virulente à droite depuis Saddam Hussein, accusé à tort de développer des
plus de trente ans. armes de destruction massive, sera attaqué quelques
mois plus tard sans mandat des Nations unies. La
Banai rappelle que l'hostilité s'est en grande partie
Corée du Nord, obsession d’un Trump menaçant dès
nouée « avec la Révolution iranienne de 1979 ». «
sa campagne, a mis de côté sa rhétorique belliqueuse
La prise du pouvoir par les religieux, mais aussi
et ses missiles – au point que les deux chefs
l’isolement prôné par les mollahs et leur dénonciation
d'Etat doivent se rencontrer le 12 juin à Singapour. «
virulente de l’impérialisme américain, saisissent la
Il y a toujours eu cette idée que l’Iran pouvait être le
classe politique américaine, les républicains comme
prochain sur la liste », explique Banai.
les démocrates. Pour eux, le nouveau pouvoir de
Téhéran est bloqué au VIIe siècle . » 2003-2018 : de « saisissants parallèles »
Entre novembre 1979 et janvier 1981, cinquante-deux
diplomates et citoyens américains sont retenus en
otages pendant 444 jours dans l'ambassade américaine
à Téhéran. Cette « crise des otages » cristallise aux
États-Unis l'image d'un régime « anti-occidental, anti-
Américain, fanatique, irrationnel, cruel, impitoyable,
déterminé à attaquer les intérêts américains » mais
Mike Pompeo (à gauche) et John Bolton, le 1er mai, à la Maison Blanche. © Reuters
aussi l'État d'Israël.
Malgré la débâcle irakienne et le chaos au Moyen-
Pendant une quinzaine d'années, les experts en sécurité Orient, la théorie du « changement de régime »
nationale des deux grands partis préconisent l’« iranien a conservé une étrange fraîcheur au sein de la
isolement » de l'Iran et la nécessité de soutenir les droite américaine, notamment dans les cercles les plus
opposants « en espérant que le peuple se retournera conservateurs.
contre un régime considéré comme anachronique ».
À partir de 1997, avec la victoire du « réformateur « Une minorité très active, soutenue par des think
» Mohammad Khatami à la présidentielle, « les tanks comme la Heritage Foundation, l'American
démocrates commencent à voir les complexités du Entreprise institute, la Foundation for Defense of
régime », raconte Banai. Mais « la droite américaine, Democracies, continue de penser qu'il faut isoler ce
elle, s’en tient au récit forgé des années auparavant, régime, le remplacer, pas forcément lancer une guerre
celui d’une puissance dangereuse qui ne peut pas mais au moins attaquer ses sites nucléaires », analyse
évoluer ». l'historien Hussein Banai.

2/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

Pour Trump, la décision de sortir de l'accord iranien »l'Amérique. Au lieu de l'accord nucléaire, qu'il n'a
s'explique par d'autres facteurs, à commencer par son cessé de pilonner, Pompeo a demandé « 2 000 »
« ego », juge Suzanne Maloney, spécialiste de l'Iran frappes contre l'arsenal nucléaire iranien. Sitôt nommé
à la Brookings Institution. « Sortir du deal iranien secrétaire d'État, il a estimé que l’« Iran est le plus
satisfait une multiplicité d’intérêts mesquins : Trump grand sponsor du terrorisme dans le monde ».
défait l’héritage de son prédécesseur, il honore ses Le nouveau secrétaire à la sécurité nationale, John
promesses de campagne, se persuade lui-même d’être Bolton, est un cas encore plus emblématique. Un
un bien meilleur négociateur qu’Obama. » « super faucon dangereux »selon la revue Foreign
Mais pour certains de ses proches, d'authentiques Policy : « Pour lui, il y a peu de problèmes
néoconservateurs guère troublés par le désastre internationaux auxquels la guerre ne saurait être une
géopolitique causé par l'intervention américaine en réponse. »
Irak en 2003, le calcul est plus politique. « Pour eux, Dès 2002, alors sous-secrétaire d'État, Bolton tue dans
écrit Maloney, la folie est justement la méthode : l'œuf un deal nucléaire prometteur avec la Corée du
guidés par leur mantra qui prétend que Téhéran ne Nord négocié par l'administration Clinton – à maintes
comprend que la force, les faucons de l’administration reprises et encore quelques jours avant sa nomination,
ont fait leur la théorie selon laquelle les États-Unis il a défendu l'idée de frappes « préventives » sur les
doivent se préparer à bouleverser le statu quo dans la installations nucléaires de Pyongyang.
région. »
En 2002 encore, il signe au nom de l'administration
Leur méthode est beaucoup plus chaotique. « de George W. Bush, engagée dans la « guerre à la
Ils ne savent pas dire comment précisément terreur » après le 11-Septembre, le retrait américain de
ce bouleversement pourrait rééquilibrer l’équation la Cour pénale internationale. En 2003, il soutient avec
régionale en faveur des États-Unis. Et le seul enthousiasme la guerre en Irak, « confiant » quant
précédent de cette vision stratégique, l’invasion à la détention d'armes de destruction massive par le
américaine de l’Irak en 2003, n’a pas vraiment de quoi régime de Saddam Hussein, malgré les inspections
nous rassurer. » négatives de l'ONU. Deux ans plus tard, il sera
À la Maison Blanche, ce sont justement ces nommé ambassadeur des États-Unis aux Nations
extrémistes néoconservateurs qui tiennent désormais unies, institution dont il nie la légitimité.
les manettes diplomatiques de la première puissance Comme Rudy Giulani, l'ancien maire de New York
mondiale. À l'image de l'ancien secrétaire d'État désormais avocat de Donald Trump, ou l'ancien
Rex Tillerson, ou de l'ancien conseiller à la sécurité parlementaire Newt Gingrich, John Bolton plaide
nationale H.R. McMaster, les voix les moins ultras depuis longtemps pour un « changement de régime »
et favorables au maintien de l'accord iranien ont été en Iran. En 2015, il a appelé l'administration Obama à
limogées. Leurs remplaçants sont les ennemis les plus bombarder les installations nucléaires iraniennes.
farouches du régime de Téhéran.
Quelques semaines avant sa nomination dans
Ancien congressman du Kansas, un État où l'administration Trump, Bolton exhortait une
pouponnent les conservateurs parmi les plus nouvelle fois le président Trump à « mettre un
extrêmes du pays, le nouveau secrétaire d'État, Mike terme à la révolution islamique de 1979 avant
Pompeo, n'est pas seulement un islamophobe assumé, son quarantième anniversaire ». « Reconnaître un
horrifié par la « perversion »de l'homosexualité, nouveau régime en 2019 renverserait la honte d'avoir
favorable à la torture. C'est aussi l'un des élus du vu nos diplomates pris en otages pendant 444 jours »,
Congrès les plus obsédés par Téhéran. Il milite écrivait-il dans le Wall Street Journal.
depuis des années pour un changement de régime,
décrit l'Iran comme une puissance qui veut « détruire

3/4
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
4

Giuliani, Gingrich et Bolton émargent aux « Les parallèles entre ces deux moments sont
conférences grassement rémunérées des saisissants, poursuit-il. Dans les deux cas, les
Moudjahidin du peuple iraniens, un groupe qui figura dirigeants américains craignaient qu’un ancien
sur la liste des organisations terroristes étrangères du adversaire du Moyen-Orient ne se libère des
Département d'État et dont les dirigeants sont installés entraves qui le retenaient. Dans les deux cas,
en France, à Auvers-sur-Oise. ils défendaient une politique plus agressive,
Discret depuis son entrée à la Maison Blanche début étayée par des déclarations effrayantes sur le
avril, Bolton, ancien commentateur de la chaîne programme nucléaire du régime. Dans les deux
ultraconservatrice Fox News, vient de réapparaître cas, les inspecteurs internationaux ont contredit
pour « vendre » dans les médias la décision de Trump. ces déclarations alarmistes. Dans les deux cas, les
Sa rhétorique est clairement va-t-en-guerre. « L’Iran alliés européens des États-Unis ont mis en garde
nous amène plus près de la guerre avec son activité contre le chaos qu’une politique agressive risquerait
belligérante en Irak et en Syrie », a-t-il dit sur CNN. d’entraîner. Dans les deux cas, les faucons en Israël
ont répondu en discréditant le régime des inspections.
Éditorialiste de The Atlantic et professeur de
Dans les deux cas, les dirigeants à la manœuvre
journalisme à la City University de New York, Peter
étaient John Bolton et Benjamin Netanyahou. »
Beinart est frappé par les similitudes entre le moment
présent et l'entrée en guerre des États-Unis en 2003. « Bolton veut la guerre, abonde l'historien Hussen
Mensonges et manipulations compris… Banai. Pendant sa campagne, Trump a promis une
politique isolationniste, mais le voilà entouré par les
« La semaine dernière,écrit-il, en regardant Benjamin
tenants de la ligne la plus dure. Il se retrouve dans une
Netanhayou révéler des informations secrètes censées
impasse. Le plus inquiétant est qu’il est imprévisible.
prouver que l’Iran trompe le monde au sujet de son
S’il considère un jour que la guerre peut lui servir,
programme nucléaire, j’ai eu un “flashback” qui m’a
alors il la fera. »
ramené au 5 février 2003, lorsque le secrétaire d’État
Colin Powell révéla des informations secrètes censées Sans vergogne, l'ancien vice-président de George W.
prouver que l’Irak dupait le monde au sujet de son Bush, Dick Cheney, chaud partisan de la désastreuse
programme nucléaire, chimique et biologique. » guerre d'Irak, a précisément choisi ce moment de
tension et d'incertitude mondiale pour ressortir de la
naphtaline et défendre les programmes de torture de la
CIA après le 11-Septembre. Comme un air de déjà-vu.

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

4/4

Vous aimerez peut-être aussi