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Chapitre 37

Choisir son financement

« Naviguer entre Charybde et Scylla ».

En guise de conclusion de cette partie consacrée au choix d’une source de finan-


cement, nous souhaitions aborder les aspects pratiques. Confronté à cette ques-
tion, l’équipe de direction d’une entreprise fera certes appel à ses souvenirs de
théorie financière, mais d’autres considérations viendront également à l’esprit
(choix des concurrents, notation financière, opportunités de financement sur le
marché…).
Rappelons d’abord à notre lecteur cette évidence trop souvent oubliée : en
matière de création de valeur, le choix d’un investissement est infiniment
plus important que le choix d’une structure de financement. Les marchés
financiers étant liquides, les situations de déséquilibre ne durent pas à cause des
arbitrages qui ne manquent pas de se produire. Dès lors, il est très difficile de
créer de la valeur en émettant des titres à un prix supérieur à leur valeur. En
revanche, les marchés industriels sont beaucoup plus « visqueux » en raison de
protections réglementaires, technologiques… qui rendent les arbitrages (cons-
truction d’une nouvelle usine, lancement d’un produit concurrent…) beaucoup
plus lents et difficiles à mettre en œuvre que sur un marché financier où un sim-
ple appel téléphonique ou un ordre sur Internet suffisent.
Autrement dit, une entreprise qui a fait des investissements au moins aussi
rentables que l’exigent ses pourvoyeurs de fonds n’aura jamais de problèmes
insurmontables de financement. Si besoin est, elle pourra toujours restructurer
son passif et trouver de nouveaux bailleurs de fonds. À l’inverse, une entreprise
dont l’actif économique n’est pas assez rentable aura tôt ou tard des problèmes
de financement même si elle a pu initialement bénéficier de conditions de finan-
cement très favorables. La vitesse de dégradation de sa situation financière
dépendra simplement de l’importance de son endettement.

Un bon financement ne rattrapera jamais un mauvais investissement.

Section 1
Les grands concepts

1/ Le coût d’une source de financement


Plusieurs idées simples peuvent être énoncées :
• Face à l’investissement, toutes les sources de financement ont le même
coût : le taux de rentabilité exigé sur l’investissement compte tenu du risque
702 Structure financière de l’entreprise

propre de cet investissement. On exigera ainsi du 25 % sur une cimenterie en


Russie, que l’on soit financé par capitaux propres ou par endettement, que l’on
soit un investisseur russe, suisse ou indonésien(1).

Le taux de rentabilité à exiger ne dépend pas du mode de financement ou de la nationalité


de l’investisseur. Il ne dépend que du risque de marché de l’investissement.

Il en résulte les conséquences suivantes :


– il est impossible de lier le financement à l’investissement;
– aucun « effet portefeuille d’investissement » ne peut réduire ce coût;
– seul le risque de marché (ou systématique) de l’investissement doit être
rémunéré.
C’est donc être atteint de myopie que de choisir une source de financement en
fonction de son coût : on oublie alors que toutes les sources de financement ont
le même coût compte tenu de leur risque.
• Dans la gestion du passif de l’entreprise, une grande erreur est de retenir
comme coût d’une source de financement son coût apparent.
Nous avons trop souvent entendu dire que le coût d’une augmentation de
capital était faible parce que le rendement de l’action était faible; que l’autofi-
nancement ne coûtait rien; que l’obligation convertible permettait d’abaisser le
coût de financement d’une entreprise etc. Tout ceci revient à confondre coût
comptable et coût financier.
Une source de financement n’est bon marché que si, pour des raisons
diverses, elle a été émise à une valeur supérieure à sa valeur de marché. Une
obligation convertible n’est pas bon marché si elle a un taux facial faible, mais
si l’option implicite qu’elle contient est vendue plus chère que sa valeur de marché.
Revenons sur l’erreur que le lecteur commettrait en confondant coût apparent
et coût financier :
– elle est faible pour l’endettement, la différence pouvant provenir de l’évolu-
tion du taux du marché et, plus rarement, de la dégradation du risque de
défaut. L’endettement présente donc un intérêt en matière d’organisation
financière car son coût comptable est proche de son coût financier; de plus,
son prix est visible dans les comptes (les frais financiers sont des charges
comptables);
– elle est déjà plus forte pour les capitaux propres dans la mesure où il faut
ajouter au rendement de l’action les perspectives de croissance;
– elle est considérable pour l’autofinancement dans la mesure où, comme
nous l’avons vu, son coût apparent est nul;
– elle est difficile à évaluer pour tous les produits hybrides. Ceci explique
souvent leur succès. Mais nous mettons en garde le lecteur : ce n’est pas
parce que de telles sources de financement ont un taux facial plus faible que
leur coût financier est, lui, plus faible. Une analyse par la valeur comme
nous l’avons exposée jusqu’ici, qui utilise à la fois les techniques de la
valeur actuelle et de l’option, permet de saisir le véritable coût de cette
source de financement.
• En matière de politique financière de l’entreprise, il est impossible de
négliger les conséquences directes et immédiates des sources de financement.
(1) Nous approfondissons ceci L’endettement, au travers des engagements de remboursement et des intérêts,
au chapitre 39. a une conséquence directe sur la trésorerie de l’entreprise. L’endettement préci-
Chapitre 37 Choisir son financement 703

pite l’entreprise dans le ravin en cas de difficultés ou, au contraire, peut se révéler
être un « super réacteur » qui permet à l’entreprise de décoller en cas de réussite.

Les coûts des financements de l’entreprise

Coût Coût
théorique suivant
Coût apparent
à prendre la théorie
ou explicite Explication
Finan- en compte financière Différence
Modalités (comptabilité, de la
cement dans le (incidence (A) – (B)
trésorerie) différence
choix sur
(B)
d’investis- la valeur)
sement (A)
Endet- Taux du Taux facial Faible Évolution
tement marché des taux
auquel du marché;
l’entreprise exceptionnel-
pourrait se lement, évolu-
réendetter tion du risque
de défaut
Capitaux Augmen- Taux de Nul dans le Importante Taux
propres tation rentabilité compte de de croissance
de capital exigé par le résultat, coût espéré des
marché sur apparent dividendes
les capitaux mesuré par le
propres rendement
Auto- Le même Nul dans Considérable Absence
financement pour tous le compte totale
les produits, de résultat, de coût
il dépend du coût apparent apparent
bêta de nul
l’investis-
sement
Produits Obligation Taux de Taux d’intérêt Moyenne Valeur du
hybrides convertible, rentabilité actuariel plus bon / option
obligation actuariel faible implicite ou
à bons de combiné explicite
souscription avec la
d’actions valeur du
(OBSA) bon / option
Obligation Taux qui Plus élevé que Faible L’ORA est une
rembour- devrait être le rendement action dont
sable en légèrement de l’action une partie du
action (ORA) inférieur au normale prix est
taux exigé et surtout fixe garantie
pour l’action jusqu’au (valeur
remboursement actuelle
des frais
financiers)
Titres super Taux supé- Taux facial Difficile Variabilité
subordonnés, rieur au coût à évaluer servant
etc. de la dette à la clause de
normale subordination
704 Structure financière de l’entreprise

En cas de succès, le coût d’une augmentation de capital paraîtra beaucoup


plus élevé. En effet, d’un côté nous avons un coût fixe (celui de l’endettement), et
de l’autre nous avons un coût variable qui peut être ex-post négatif. Une augmen-
tation de capital faite à un cours très élevé, suivie d’un krach boursier, conduit à
un taux de rentabilité négatif pour l’investisseur et donc à un coût négatif (ce
phénomène ne peut se produire pour l’endettement que dans le cas d’extrêmes
difficultés où le créancier abandonne une partie de sa créance).

2/ Existe-t-il une structure financière optimale ?

La réponse est claire : non dans l’absolu !


Tout au plus existe-t-il quelques grandes idées que notre lecteur doit avoir
assimilées. Sinon comment expliquer que la notion de « bonne structure finan-
cière » ou de « structure financière équilibrée » se soit tant et si souvent modifiée
au cours du temps :
• dans les années 1950 à 1960, une bonne structure financière est caractérisée
par la faiblesse de l’endettement; on met alors l’accent sur l’autonomie indus-
trielle et financière de l’entreprise, dans un contexte caractérisé par la stabilité
de l’économie;
• dans les années 1970, une bonne structure financière doit faire apparaître un
niveau d’endettement jugé « normal », c’est-à-dire, en tout état de cause, non
excessif par rapport aux capitaux propres; on met alors l’accent sur le levier
financier de l’endettement dans le cadre d’une forte croissance économique et de
taux d’intérêt réels (c’est-à-dire calculés après inflation) faibles, voire négatifs;
• dans les années 1980, une bonne structure financière doit traduire le rééqui-
librage de la structure d’une entreprise, caractérisée par une diminution pro-
gressive de l’endettement, une amélioration de la rentabilité et un autofinance-
ment accru;
• au début des années 1990, l’environnement se caractérise par l’absence de
forts investissements et des taux d’intérêt réels élevés. Le choix n’existe plus : il
ne faut plus être endetté. Un nouveau pecking order (voir chapitre 35) apparaît :
l’entreprise disposant de trésorerie, mais sans opportunité d’investissement suf-
fisamment rentable, choisira :
– tout d’abord de se désendetter;
– puis de réaliser une réduction de capital;
– enfin d’augmenter son taux de distribution de dividendes. Cette opération
est la dernière dans le choix des dirigeants car elle hypothèque l’avenir. La
hausse du dividende, contrairement à la réduction de capital implique des
engagements pour le futur, c’est l’effet de « cliquet » du dividende;
• mais la fin des années 1990 marque un retour en grâce de l’endettement uti-
lisé soit pour financer des acquisitions, soit pour réduire le capital. La raison
tient à des taux d’intérêt nominaux à leur plus bas historique depuis 30 ans;
• à un climat assez euphorique de croissance en volume et d’inflation très fai-
ble succède, au début des années 2000, une crise économique couplée à une
quasi-fermeture des marchés actions rendant difficile un rééquilibrage rapide de
la structure financière des entreprises qui venaient de fortement s’endetter.
Chapitre 37 Choisir son financement 705

Endettement net / Capitaux propres comptables Malgré la meilleure conjonc-


120 %
USA ture financière au milieu des
années 2000, les entreprises
100 % échaudées préfèrent encore
réduire leur niveau de dette
80 % que de repartir dans une
vague d’acquisitions. Elles
60 % cherchent néanmoins à sécu-
riser des conditions d’endet-
Europe tement qui apparaissent
40 %
exceptionnellement bonnes
tant dans l’absolu (taux
20 %
d’intérêt bas) qu’en relatif
(marges d’intérêt réduites).
0%
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Source : Datastream, Eurostoxx 50 et S&P 100.
@ téléchargement

40 %
Endettement net / Valeur de marché des capitaux propres

35 % USA

30 %

25 %

20 %

15 % Europe

10 %

5%

0%
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Source : Datastream, Eurostoxx 50 et S&P 100.

2,5 x Endettement net / EBE

USA
2,0 x

1,5 x

1,0 x
Europe

0,5 x

0,0 x
1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004
Source : Datastream, Eurostoxx 50 et S&P 100.
706 Structure financière de l’entreprise

3/ Structure financière, inflation et croissance

L’inflation étant toujours un phénomène de déséquilibre, elle est très difficile à


analyser d’un point de vue financier. Constatons cependant, qu’en période
d’inflation et de taux d’intérêt réels négatifs, on assiste à un surinvestissement
et à un surendettement, et donc à une dégradation des structures financières des
entreprises. Ce faisant, les entreprises investissent tout en bénéficiant de profits
d’inflation : le coût du financement est faible après inflation. L’actionnaire
pourra bénéficier de ce phénomène : en effet, la faible rentabilité de l’investisse-
ment sera compensée par le faible coût du financement. Ceci explique la stratégie
des entreprises françaises à la fin des trente Glorieuses ou celles des groupes
coréens dans les années 1990, voire celle des groupes chinois de nos jours.

En fait, l’appétence des entre- Taux d’inflation, taux d’intérêt réel et taux de croissance en France
prises pour l’endettement
dépend beaucoup du taux 14 %
d’intérêt réel et du taux de
12 %
croissance en volume de
l’économie.
10 %

@ téléchargement 8%

6%

4%

2%

0%
1967 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006
–2%
Inflation Taux d’intérêt réel Croissance du PIB

Source : INSEE, Datastream.

Lorsque l’inflation s’accompagne de taux d’intérêt réels faibles, les entreprises sont ten-
tées de surinvestir en se finançant par endettement, déséquilibrant ainsi leur structure
financière.
La désinflation conduit à un raisonnement strictement inverse : la lourdeur des taux
d’intérêt réels pousse les entreprises à se désendetter d’autant que des taux élevés indui-
sent le plus souvent une activité économique anémique qui ne crée pas un climat de
confiance propice à l’endettement.

4/ À quoi servent les capitaux propres ?

Rappelons d’abord les différences fondamentales entre les capitaux propres et


les capitaux d’emprunt qui sont au nombre de trois :
Chapitre 37 Choisir son financement 707

• il n’y a aucun engagement de rémunération pour les capitaux propres alors


qu’un tel engagement est pris pour les capitaux d’emprunt. La rémunération de
l’actionnaire dépend donc uniquement de la bonne marche de l’entreprise, con-
trairement à celle du créancier;
• il n’y a aucun engagement de remboursement pour les capitaux propres alors
qu’un tel engagement est pris pour les capitaux d’emprunt(1) ;
• en cas de liquidation de l’entreprise, les créanciers seront désintéressés avant
les actionnaires.
Le rôle des capitaux propres est double. Leur première fonction est bien sûr
de financer une partie de l’investissement. Mais leur objet le plus important est
de servir de garantie aux créanciers de l’entreprise qui financent l’autre partie
de l’investissement; le coût des capitaux propres intègre donc une prime de risque.
D’où le côté assurance (voir la lecture des capitaux propres en tant qu’option
du chapitre 36) des capitaux propres et leur coût élevé car tout comme une prime
d’assurance, ils coûtent toujours trop cher… jusqu’à l’accident (la crise) où l’on
est bien content d’en avoir beaucoup. Comme nous le verrons plus loin, en cas de
crise, avoir des capitaux propres importants donne du temps pour résister à la
baisse des résultats, pour se restructurer, lancer de nouveaux produits, saisir
des opportunités de croissance externe…
L’entreprise endettée est lourdement pénalisée puisqu’elle a des charges fixes
(frais financiers) et des échéances (remboursement du capital) à assurer qui la
tirent vers le bas.
Au total, l’importance du montant des capitaux propres témoigne aussi du
niveau de risque qu’acceptent de courir les actionnaires. En période de crise, les
entreprises les plus endettées sont les premières à disparaître.

5/ Et si tout n’était qu’héritage ?

Une idée simple est que la structure financière d’aujourd’hui d’une entreprise
résulte, non d’un choix conscient d’un ratio dettes / capitaux propres cible, mais
de l’accumulation de décisions prises dans le passé en fonction du contexte
financier du moment : émission d’actions quand les valorisations sont élevées et
que le contexte boursier est bon, émission de dettes et rachat d’actions quand les
valeurs sont basses et la Bourse déprimée.
Si les dirigeants avaient en tête un ratio dettes/capitaux propres, l’entreprise
qui procède à une augmentation de capital devrait dans la foulée s’endetter pour
faire de nouveau converger sa structure financière vers ce ratio cible. Or ce n’est
pas ce qui est observé. Les entreprises peu endettées sont celles qui ont procédé
à des augmentations de capital quand leur valorisation relative (mesurée par le
rapport valeur des capitaux propres/montant comptable des capitaux propres)
était généreuse et vice versa. De la même façon, la structure financière actuelle
est expliquée par des décisions prises il y a longtemps et donc par les niveaux de
valorisations relatives de l’époque.
M. Baker et J. Wurgler font de cette théorie le principal déterminant de la
structure financière actuelle. Ils prennent en effet en compte l’attitude très prag-
matique et opportuniste des directeurs financiers qui ne fait d’ailleurs que cor-
(1) À l’exception des dettes
respondre à l’appétence des investisseurs : émettre des actions quand les cours perpétuelles qui sont raris-
sont hauts, s’endetter et racheter des actions quand les cours sont bas. simes.
708 Structure financière de l’entreprise

Section 2
Les facteurs de choix d’une structure financière

J. Graham et C. Harvey ont mené une large enquête auprès des dirigeants et direc-
teurs financiers de groupes américains. D. Brounen, A. de Jong, K. Koedijk d’une
part et F. Bancel et S. Mittoo d’autre part ont fait de même auprès de dirigeants
et de directeurs financiers européens afin de déterminer les critères qu’ils retien-
nent pour prendre une décision financière. Selon ces études, l’économie d’impôt
liée à l’endettement n’est pas le critère essentiel de choix d’une structure finan-
cière, tout comme la crainte de coûts de faillite importants. La conservation de
la flexibilité et l’impact du choix de financement sur la notation financière arri-
vent en première position. Il est donc rassurant de constater que les conclusions
du second article de Modigliani et Miller (1963) ne poussent pas les entreprises
à se focaliser sur des considérations fiscales pour décider ou non de s’endetter.
Même si les groupes déclarent avoir un niveau cible d’endettement plus ou
moins précis, les directeurs financiers fondent, pour plus de la moitié d’entre eux
(que ce soit en Europe ou aux États-Unis), leurs choix de financement en favori-
sant la flexibilité. Bien que les limites du critère de dilution du bénéfice par
action soient soulignées par tous les théoriciens et enseignants puisqu’il n’est
pas automatiquement synonyme de destruction de valeur, il demeure néanmoins
un critère important mis en avant dans la décision de réaliser ou non une aug-
mentation de capital.
Le lecteur aura compris que la structure financière est le résultat de compro-
mis complexes déterminés par :
• le souci de garder une flexibilité financière, c’est-à-dire conserver une
capacité de financement si des événements positifs (opportunités d’investisse-
ment) ou négatifs (crise) surviennent;
• les caractéristiques économiques du secteur de l’entreprise, son niveau de
développement, le partage coûts fixes/coûts variables ou la nature de l’actif à
financer;
• la position des actionnaires en termes d’aversion au risque et de volonté de
contrôle;
• l’existence d’opportunités ou de contraintes sur les marchés du finance-
ment à un moment donné;
• et enfin la structure financière des concurrents.

1/ La flexibilité financière

La recherche de flexibilité financière est une préoccupation forte des directeurs


financiers. Ils savent en effet qu’un problème de choix de financement ne
s’apprécie pas uniquement à un moment donné, mais dans le temps : un choix
aujourd’hui peut réduire l’éventail des possibilités pour un autre choix de finan-
cement à faire demain.
Ainsi s’endetter aujourd’hui contribue à réduire la capacité d’endettement de
demain où un investissement important prévisible ou non sera à réaliser. Si la
Chapitre 37 Choisir son financement 709

capacité d’endettement est saturée, l’entreprise n’aura pas alors d’autres choix
que de se financer par capitaux propres. Or le marché des capitaux propres est
parfois fermé pour cause de déprime boursière. Dans ce cas, l’entreprise peut
être contrainte de renoncer à son investissement.

Le marché des capitaux propres peut se fermer en période de crise car les investisseurs
préfèrent alors reporter leurs investissements sur des produits de dette, plus sûrs. Les
marchés de la dette restent, quant à eux, presque tout le temps ouverts quelle que soit la
conjoncture.

Seuls les marchés de la dette risquée (high yield) réagissent comme les mar-
chés actions, et peuvent donc se fermer.
À l’inverse, se financer aujourd’hui par capitaux propres n’interdit pas de se
financer de nouveau ultérieurement par capitaux propres. De surcroît, un finan-
cement par capitaux propres aujourd’hui accroît la capacité d’endettement qui
peut être mobilisée demain.

Un fort accroissement de l’endettement aujourd’hui réduit la flexibilité financière de l’entre-


prise alors qu’une augmentation de capital accroît la capacité d’endettement de demain.

Cette recherche de flexibilité financière pousse l’entreprise à être moins


endettée que le niveau maximum qu’elle juge supportable, de sorte à pouvoir à
tout moment être en mesure de saisir des opportunités d’investissement inatten-
dues. On retrouve le concept d’option appliqué au financement de l’entreprise.
Les entreprises s’éloignent alors potentiellement sensiblement de leur levier
financier cible. En effet, la hausse du cours de Bourse de l’entreprise déséquili-
bre (sans que l’entreprise ne fasse aucun choix) la structure financière vers plus
de capitaux propres. Ce déséquilibre devient d’autant plus important que la
société émet de nouvelles actions.
Afin de garantir sa flexibilité financière, le directeur financier prend soin de
négocier avec sa banque des lignes de financement non utilisées, d’avoir toutes
les autorisations nécessaires de ses actionnaires pour émettre de nouveaux titres
(actions, obligations…), d’avoir une communication financière efficace avec les
agences de notation, les analystes financiers, les investisseurs.
Au-delà de la dichotomie dette-capitaux propres, la recherche de flexibilité
financière nécessitera pour le directeur financier d’ouvrir à l’entreprise diffé-
rents marchés. Ainsi, une entreprise ayant déjà émis sur le marché obligataire et
entretenant un dialogue avec ce type d’investisseurs peut très rapidement faire
appel à ce marché si une opportunité d’investissement apparaît.
La multiplication des sources de financement (dette bancaire bilatérale ou
syndiquée, titrisation, émission obligataire, convertibles, capitaux propres…)
permettra d’accroître la flexibilité financière de l’entreprise. La limite de cette
stratégie est double :
– les émissions sur les différents marchés doivent être suffisamment impor-
tantes pour garantir aux investisseurs une liquidité suffisante;
– la multiplication des sources de financement (éventuellement à différents
niveaux d’un groupe), accroît la complexité de la structure financière et
donc la gestion de celle-ci (en particulier en cas de crise de liquidité).
710 Structure financière de l’entreprise

2/ Les caractéristiques économiques du secteur


de l’entreprise, et le type d’actifs à financer

Une start-up aura beaucoup de mal à se financer par endettement. Elle n’a pas
de passé et donc pas d’historique de crédits remboursés, ni probablement
d’actifs corporels qui pourraient servir de garantie. L’environnement technologi-
que dans lequel elle évolue est probablement très mouvant et ses flux de tréso-
rerie disponibles sont négatifs pour quelque temps. Son niveau de risque
spécifique pour un prêteur est donc très élevé. Elle n’a pas d’autre choix que de
se financer par capitaux propres.
À l’opposé, l’entreprise établie sur son marché depuis plusieurs années et qui
arrive à maturité n’aura pas de difficulté à « séduire » des prêteurs. Son histori-
que de crédit est établi, ses actifs sont bien réels, elle génère des flux de trésore-
rie disponibles (sur lesquels le risque de prévision est faible) d’autant plus élevés
que les gros investissements ont déjà été réalisés. Bref, tout ce qu’aime un
créancier ! À l’inverse, l’investisseur en capitaux propres sera peu enthousiaste :
peu de croissance, peu de risque, donc peu de rentabilité.

On retrouve là le cycle de vie des sources de financement : l’aventure industrielle est


financée par les capitaux propres. Au fur et à mesure que l’entreprise s’institutionnalise
et que son risque diminue, l’endettement prend la relève, libérant ainsi des capitaux pro-
pres qui vont financer de nouveaux secteurs émergents qui en ont besoin.

Structure financière et cycle de vie de l’entreprise

Proportion
de dette

@ téléchargement

Réductions de capital
Forte distribution de dividendes
LBO

Émissions d’obligations
Crédits syndiqués
Augmentations de capital

Endettement Introduction
bancaire en Bourse
Investisseurs
privés

Création Croissance Maturité

Risque industriel (de l’actif économique)

Risque financier (de la structure financière)

De la même façon, dans un secteur à coûts fixes élevés, une entreprise cher-
chera plutôt à se financer par capitaux propres de sorte à ne pas ajouter aux
Chapitre 37 Choisir son financement 711

coûts fixes d’exploitation les coûts fixes de l’endettement (les intérêts) et à


réduire sa sensibilité aux à-coups conjoncturels. Mais les secteurs à coûts fixes
élevés (sidérurgie, cimenterie, papier, énergie, télécoms…) sont généralement
très capitalistiques et requièrent des investissements importants qui impliquent
un inévitable recours à l’endettement.
À l’inverse, un secteur à coûts variables forts (la distribution…) pourra faire
le pari de l’endettement, les frais financiers alors générés s’ajoutant à des coûts
fixes faibles.
Enfin la nature de l’actif peut avoir une influence sur la disponibilité du
financement. Un actif extrêmement spécifique, c’est-à-dire qui a peu de valeur en
dehors d’un processus de production donné, sera difficilement finançable par
endettement. En effet, les prêteurs craindront que la valeur de marché de l’actif,
en cas de défaillance de l’entreprise, ne soit pas suffisante pour rembourser leurs
encours.

3/ La position des actionnaires

Si l’actionnariat de l’entreprise est composé d’actionnaires influents (majoritai-


res ou minoritaires), leur point de vue aura certainement un impact sur le choix
de financement.
Certains refuseront des augmentations de capital qu’ils ne pourraient pas
suivre et qui dilueraient leur participation. L’entreprise est alors conduite à
s’endetter fortement (Rémy-Cointreau).
D’autres auront une aversion marquée pour l’endettement ne voulant pas
accroître leur niveau de risque (Général Electric).

Le choix d’une structure de financement est aussi le choix d’un niveau de risque que sou-
haitent courir les actionnaires.

4/ Les opportunités

Les marchés n’étant pas systématiquement à l’équilibre, des opportunités peu-


vent surgir à un moment donné. Une flambée des cours de Bourse permettra de
réaliser à bon compte une augmentation de capital (vente d’actions à un prix très
élevé). La folie d’une banque qui dit oui à tous les dossiers de crédit, un engoue-
ment soudain des investisseurs pour un secteur ou un type de valeurs (les socié-
tés Internet au début 2000) en sont d’autres exemples. Enfin, des vides en matière
de réglementation fiscale pourront créer des opportunités (TSDI dans les années
1980), mais malheureusement, l’administration fiscale ne se laisse pas berner
longtemps !

Que notre lecteur ne se laisse pas griser par les opportunités. Il est en effet difficile de
baser une politique financière sur une succession d’opportunités, à l’occurrence par défi-
nition imprévisible. Elles ne peuvent que venir à la marge.
712 Structure financière de l’entreprise

Par ailleurs, si l’entreprise bénéficie à un moment donné d’un coût de finan-


cement exceptionnellement favorable, des investisseurs auront en contrepartie
fait une mauvaise affaire. Furieux, ils risquent de ternir l’image de la société et
il ne faudra pas compter sur eux avant longtemps pour apporter de nouvelles
sources de financement. La start-up qui s’est introduite en Bourse au pic de valo-
risation des valeurs de la « nouvelle économie » aura sûrement levé des fonds à
bon compte. Mais comment pourra-t-elle lever des capitaux complémentaires un
an après si son cours de Bourse a alors baissé de 70 % ?

5/ La structure financière des concurrents

Avoir plus d’endettement net que ses concurrents, c’est prendre position, en parti-
culier, sur les espérances de rentabilité de l’entreprise, c’est-à-dire sur la conjonc-
ture, sur la stratégie, etc.
De même, avoir plus d’endettement net que ses concurrents c’est, toutes cho-
ses égales par ailleurs, être plus vulnérable en cas de baisse de conjoncture, ce
qui risque de se traduire par un assainissement du secteur et par la disparition
des plus faibles, etc.
L’expérience montre que les chefs d’entreprise rechignent à mettre en péril
une stratégie industrielle par une politique financière substantiellement diffé-
rente de celle de leurs concurrents. Ils considèrent que s’ils ont des risques à
prendre, c’est au niveau industriel ou commercial, pas au niveau financier.

Le choix d’une structure financière n’est pas absolu mais relatif : la vraie question est
comment se financer par rapport à la moyenne de son industrie, c’est-à-dire comment se
financer par rapport à ses concurrents ?

Les études faites, le décideur sera alors éclairé et pourra prendre sa décision
en toute connaissance. Il se rappellera cependant que, statistiquement (et donc
pour son portefeuille bien diversifié), ses rêves de multiplier sa richesse par un
endettement judicieux constitueront le cauchemar de l’entreprise en difficulté.
La réussite financière de quelques-uns fait oublier l’échec d’entreprises
n’ayant pas survécu à cause d’un trop fort endettement.

Section 3
Le choix de financement
et les critères comptables et financiers

Après les grandes idées que notre lecteur doit avoir à l’esprit, voici venu le temps
de la mise en œuvre d’un choix de structure financière dans un plan de finance-
ment. À cet effet, nous lui suggérons de disposer des documents suivants :
• les états financiers passés : comptes de résultat, bilans économiques, tableaux
de flux de trésorerie;
Chapitre 37 Choisir son financement 713

• les états prévisionnels et le plan de financement qui sont construits dans la


même forme que celle des tableaux de trésorerie passés : soit des prévisions
moyennes, soit des simulations en fonction de plusieurs hypothèses, ce qui nous
semble être la meilleure solution. Un modèle de simulation sera très utile pour
établir l’évolution probable de la structure financière de l’entreprise, de sa ren-
tabilité, de ses conditions d’exploitation, etc., en fonction de différentes hypothè-
ses. Cette recherche est largement facilitée par l’utilisation de tableurs et la
simulation d’hypothèses qui dynamisent l’analyse.
Enfin, pour être complet, l’analyste pourra disposer des ratios moyens par
secteur qu’il pourra se procurer dans différentes études sectorielles.
Il convient donc d’étudier les conséquences d’un choix de financement sur le
résultat courant après impôt. Ce critère classique ne suffit cependant pas lors-
que le plan de financement prévoit un appel aux actionnaires qui implique une
création d’actions. De là le passage au bénéfice par action (BPA) et aux capitaux
propres par action.

1/ Incidence sur le résultat

Toutes choses égales par ailleurs, l’endettement élève le point mort de l’entreprise.

Ceci est une évidence, dans la mesure où les frais financiers constituent une
charge fixe qu’il est impossible de réduire, sauf à déposer le bilan ou à renégocier
les conditions du prêt. Considérons par exemple une entreprise dont les coûts
fixes s’élèvent à 40 et qui supporte des coûts variables de 0,5 par produit. Si le
prix de vente est de 1, le point mort est alors de 80 unités. Si l’entreprise finance
un investissement de 50 avec de la dette à 6 %, le point mort s’élève à 86 unités, car
les coûts fixes ont augmenté de 3 (montant des frais financiers liés à l’emprunt).
En revanche, si l’investissement est financé par capitaux propres, le point mort
reste à 80 unités.
Le problème est d’autant plus délicat que les taux d’intérêt constituent une
charge fixe par rapport à l’activité de l’entreprise, mais sont indexés sur les taux
du marché. Or, les taux s’élèvent le plus souvent lorsque l’activité générale se
réduit (début de crise). Aussi est-il important de tester la sensibilité du résultat
de l’entreprise à l’évolution des taux d’intérêt. Reprenons l’exemple précédent en
supposant que la dette soit à taux variable. Si le taux de l’emprunt est de 10 %, le
point mort passe à 90 unités; si le taux s’élève à 15 %, le point mort passe alors à
95 unités.
En période de difficultés économiques et de hausse des taux, les charges
financières de l’entreprise augmentent, élevant ainsi son point mort et
accroissant ses problèmes.

2/ Incidence sur la rentabilité comptable des capitaux propres

Pour une entreprise non endettée, le taux de rentabilité comptable des capitaux
propres est égal au taux de rentabilité de l’actif économique. Pour l’entreprise
714 Structure financière de l’entreprise

endettée, il faut y ajouter un supplément (parfois négatif) de rentabilité dû


à l’effet de levier (différence entre la rentabilité de l’actif économique et le
coût de l’endettement, multipliée par le rapport dettes/capitaux propres, voir
chapitre 15).
L’analyse de la rentabilité des capitaux propres doit donc distinguer la part
due à la rentabilité de l’actif économique de celle due à l’effet de levier. Toutefois,
cette étude statique est insuffisante. Il est en effet nécessaire de déterminer la
sensibilité de la rentabilité des capitaux propres à toute variation du levier
financier, du coût de l’endettement, et de la rentabilité de l’actif économique.

3/ Incidence sur le bénéfice par action

L’endettement n’accroît le bénéfice net de l’entreprise et donc le bénéfice par


action que si le résultat après impôt dégagé par les investissements est supérieur
au coût de la dette après impôts. Si tel n’était pas au minimum le cas, il faudrait
renoncer aux investissements envisagés. Nous retrouvons l’effet de levier. Tou-
tefois, si l’investissement est particulièrement lourd, il se peut que, pendant une
certaine période, sa rentabilité soit inférieure au coût de la dette, cette situation
ne devant être que provisoire.
Pour étudier ces phénomènes, les entreprises ont l’habitude d’étudier l’évolu-
tion du bénéfice par action par rapport au résultat d’exploitation.
Considérons ainsi l’exemple de cette société qui réalise en période 0 un inves-
tissement de 200, devenant pleinement opérationnel en période 2, et financé par
appel aux actionnaires (cas A) ou par endettement (cas E). La simulation des prin-
cipaux paramètres de rentabilité de l’entreprise permet d’obtenir les résultats
suivants dans chacun des cas de figure :

Période 0 Période 1 Période 2


Cas A Cas E Cas A Cas E
Résultat d’exploitation 300 300 300 370 370
– Frais financiers à 6 % 0 0 12 0 12
= Résultat courant avant impôt 300 300 288 370 358
– IS à 35 % 105 105 101 130 125
= Résultat net 195 195 187 242 233
Nombre d’actions 100 120 100 120 100
Bénéfice par action 1,95 1,62 1,87 1,85 2,33

En période 2, le bénéfice par action sera plus important si l’investissement a


été financé par endettement. Dans le cas E, les frais financiers supportés dimi-
nuent certes le BPA, mais moins que la dilution consécutive à l’augmentation de
capital du cas A (voir chapitre 43).
Toutefois, cette conclusion ne peut être généralisée, comme l’illustre le gra-
phique suivant, qui simule divers niveaux de BPA en fonction du résultat
d’exploitation en période 2.
Chapitre 37 Choisir son financement 715

Bénéfice par action et modes de financement Le lecteur pourra vérifier que


BPA si le résultat d’exploitation
par endettement est inférieur à 72, l’assertion
0,7 par capitaux propres précédente s’inverse. Cela
implique toutefois un recul
0,6
très important de ce résultat
0,5 (– 76 % par rapport à la
période 0).
0,4

0,3
@ téléchargement
0,2

0,1

0
20 40 60 80 100 120
–0,1
Résultat d’exploitation en période 2

Mais attention ! Cette croissance plus forte du BPA en cas de financement


par endettement est purement arithmétique, elle n’est pas synonyme de création
de valeur plus forte. Elle est simplement due à l’effet de levier et trouve sa
contrepartie dans un niveau de risque plus élevé pour l’actionnaire.

Un investissement financé par endettement accroît le BPA de l’année N si son taux de


rentabilité économique marginale de l’année N est supérieur au coût de la dette après
impôt.
Un investissement financé l’année N par capitaux propres accroît le BPA de l’année N+1 si
son taux de rentabilité économique marginale de l’année N+1 est supérieur à l’inverse du
PER de l’année N.

4/ Incidence sur la solvabilité

L’endettement accroît le risque d’insolvabilité de l‘entreprise. Nous renvoyons


notre lecteur au chapitre 16 où ceci a été développé.

5/ Incidence sur la liquidité

La liquidité de l’entreprise est son aptitude à faire face à ses échéances financiè-
res dans le cadre de son activité courante, à trouver de nouvelles sources de
financement, et à assurer ainsi à tout moment l’équilibre entre ses recettes et ses
dépenses.
En cas de grave crise financière, les entreprises ne peuvent plus alors, quelle
que soit leur qualité, trouver des moyens de financement nécessaires. C’est le
krach financier entraîné par une panique; il est impossible de se protéger contre
ce risque, heureusement tout à fait exceptionnel. Le risque de liquidité le plus
fréquent intervient lorsque l’entreprise est en difficulté et qu’elle ne peut plus
716 Structure financière de l’entreprise

émettre de titres acceptés par le marché financier ou les institutions bancaires;


les investisseurs ne lui font plus confiance quels que soient les projets proposés.
La liquidité est donc liée à la durée des ressources; elle s’analyse tant au
niveau de la structure à court terme (financement à court terme), qu’au niveau de
la capacité de remboursement des dettes à moyen et long termes. De là l’utilisa-
tion des concepts et ratios classiques que nous avons vus : fonds de roulement,
capitaux propres, endettement, actif circulant/dettes à court terme, etc.
Pour analyser le problème de liquidité, la simulation porte sur les flux de
trésorerie disponibles. L’analyste devra alors simuler différents niveaux d’endet-
tement et leurs modalités de remboursement, tester si les flux de trésorerie dis-
ponibles sont suffisants pour assurer un remboursement normal des crédits
sans avoir besoin de les rééchelonner (ou pour la société de céder des actifs).
C’est ici l’analyse que feront les agences de rating pour attribuer leur note et les
banquiers commerciaux pour déterminer leur décision de prêter ou non à une
entreprise.
En particulier, si l’entreprise est particulièrement endettée, l’analyste réali-
sera des scénarios-catastrophe pour déterminer à quel moment la situation de
liquidité deviendra critique. L’analyste sera non plus focalisé sur le scénario
médian mais sur la volatilité possible des flux de trésorerie par rapport au scé-
nario médian.
Chapitre 37 Choisir son financement 717

Résumé

Si au niveau des marchés industriels, les fréquents déséquilibres laissent espérer la pos- @ téléchargement
sibilité de créer de la valeur par des investissements judicieux, il n’en va pas de même
pour le choix d’une source de financement. Les marchés financiers sont le plus souvent à
l’équilibre et toutes les sources de financement ont le même coût pour l’entreprise compte
tenu de leur risque.

Le coût d’une source de financement qui permet d’acheter un actif est égal au taux de
rentabilité à exiger de cet actif, que celui-ci soit financé par endettement ou par capitaux
propres, et ce quelle que soit la nationalité de l’investisseur.

Dès lors, le choix d’une source de financement ne s’effectue pas sur la base de son coût
(puisqu’elles ont toutes le même coût compte tenu de leur risque !). Au demeurant, il s’agit
de ne pas confondre coût apparent et coût financier (le coût véritable d’une source de
financement). La différence entre coût apparent et coût financier est faible pour l’endette-
ment (évolution du taux d’endettement et du risque de défaut), plus forte pour l’action
(perspectives de croissance), considérable pour l’autofinancement (coût explicite nul), dif-
ficile à évaluer dans tous les produits hybrides. Enfin une source de financement n’est bon
marché que si, pour des raisons diverses, elle a été émise à une valeur supérieure à sa
valeur de marché.

Comme il n’existe pas de structure financière optimale, le choix entre dette et capitaux
propres va dépendre de plusieurs paramètres :
– la conjoncture macroéconomique : des taux d’intérêt réels (c’est-à-dire après infla-
tion) élevés et une faible croissance de l’activité poussent les entreprises à se
désendetter. À l’inverse, une croissance forte et/ou des taux d’intérêt faibles après
inflation favorisent l’endettement;
– le souhait de garder une marge de flexibilité financière afin de pouvoir saisir très vite
d’éventuelles opportunités d’investissement. À cette aune, les capitaux propres
sont favorisés car ils créent une capacité d’endettement supplémentaire et n’obè-
rent pas les choix futurs. À l’inverse, une saturation de la capacité d’endettement
actuelle ne laissera à l’avenir comme source de financement que les capitaux pro-
pres dont la disponibilité est liée à la bonne tenue des cours de Bourse. D’où un
risque;
– le niveau de maturité d’un secteur et la structure financière des concurrents. La start-
up ne trouvera à se financer que par capitaux propres compte tenu de son risque
spécifique élevé alors que l’entreprise bien établie, aux flux de trésorerie disponi-
bles importants mais sans forte perspective de croissance, pourra largement se
financer par endettement. Les entreprises d’un même secteur d’activité adoptent
souvent un certain mimétisme car il s’agit de ne pas faire plus de bêtises que le
voisin !
– la position des actionnaires. Certains favorisent l’endettement pour éviter de se faire
diluer par une augmentation de capital qu’ils ne pourraient pas suivre. D’autres pri-
vilégient les capitaux propres pour ne pas augmenter leurs risques. Tout est affaire
d’aversion au risque et de volonté de contrôle !
– les opportunités de financement. Elles sont par définition imprévisibles et il est dif-
ficile de bâtir une politique financière rigoureuse sur elles. Elles permettent de lever
718 Structure financière de l’entreprise

des fonds à un coût inférieur à leur coût normal, mais au détriment d’investisseurs
qui se sont leurrés.

Notre lecteur, qui réalisera des simulations des principaux paramètres financiers selon
que l’entreprise s’endette ou se finance par capitaux propres, devra bien avoir conscience
que celles-ci montrent surtout les conséquences de l’effet de levier :
– élévation du point mort;
– croissance accélérée du BPA;
– amélioration de la rentabilité comptable des capitaux propres;
– dégradation de la solvabilité;
– impact sur la liquidité en fonction de la durée de l’endettement.

Questions

@ quiz 1/ Un bon plan de financement peut-il rattraper un investissement médiocre ?


2/ De quelle maladie est atteint l’investisseur qui confond le taux facial de l’obligation convertible
avec son coût financier ?
3/ On exige d’un actif économique un taux de rentabilité de 17 %. Celui-ci est financé intégralement
par capitaux propres. Quel est alors le taux de rentabilité exigé par les actionnaires ? Si l’actif est
maintenant intégralement financé par endettement, quel est le taux de rentabilité exigé par les
prêteurs ?
4/ Quelle est la source de financement pour laquelle l’écart entre coût financier et coût apparent est
le plus grand ?
5/ Conseilleriez-vous à une start-up de se financer par endettement ? Si oui, le pourrait-elle ?
6/ Existe-t-il une structure financière optimale ?
7/ Dans un plan de financement les capitaux propres ont deux rôles. Quels sont-ils ?
8/ Un bon de souscription gratuit est distribué à tous les actionnaires dans la proportion d’un pour
une. La valeur de ce bon est b. Quelle est la valeur de l’action après détachement de ce bon, toutes
choses égales par ailleurs ?
9/ Si l’actionnaire vend ce bon, que vend-il en définitive ?
10/ Quelle différence y a-t-il entre une forte distribution de dividendes et une réduction de capital d’un
même montant pour l’entreprise ? pour les actionnaires ?
11/ Quel est l’article fondamental dans le domaine de la structure financière ?
12/ En définitive, la ressource la moins chère n’est-elle pas le court terme ?
13/ Comment concilier ces deux affirmations :
– « On ne peut faire fortune qu’en s’endettant »,
– « L’endettement ne crée pas de valeur » ?
14/ Une société avec beaucoup d’opportunités de croissance aura-t-elle tendance à émettre de la
dette à court, moyen terme ou à long terme ? Pourquoi ?
15/ Donner deux exemples de profits d’inflation. Dans quelles conditions peuvent-ils s’observer ?
Chapitre 37 Choisir son financement 719

16/ Si l’on croit que la flexibilité financière est la préoccupation première du directeur financier, une
entreprise sature-t-elle sa capacité d’endettement ?
17/ Une entreprise a-t-elle durablement vocation à être financée par capitaux propres ?
18/ Pourquoi les start-up font-elles plusieurs tours de financement avant d’atteindre la maturité ? Ne
pourraient-elles pas en faire qu’un seul plus important ?
19/ Un entrepreneur opportuniste dans ses choix de financement peut-il avoir une stratégie indus-
trielle sur la durée ?
20/Pourquoi dans les années 1980-1998 les entreprises européennes se sont-elles beaucoup
désendettées ? Pourquoi ont-elles arrêté de le faire sur la période 1999-2002 ?

Exercice

Une société envisage l’investissement suivant :

Année 0 1 2 3 4 5
Flux – 100 – 10 0 0 10 150

qui peut être financé :


– par capitaux propres :

Année 0 1 2 3 4 5
Dettes/Capitaux propres 30 % 22 % 22 % 22 % 22 % 22 %
BPA 10 8,25 9,1 10,3 11,8 13,6
Taux de croissance du BPA – 17,5 % + 10 % + 13 % + 15 % + 15 %
Rentabilité des capitaux propres 15 % 11 % 11 % 11,4 % 11,6 % 12 %

– ou par endettement :

Année 0 1 2 3 4 5
Dettes/Capitaux propres 30 % 67 % 67 % 67 % 67 % 67 %
BPA 10 9,3 10,4 12 14,1 16,5
Taux de croissance du BPA –7% + 12 % + 15 % + 17 % + 17 % + 17 %
Rentabilité des capitaux propres 15 % 14 % 17 % 18 % 21 % 22 %

Si le coût de capital est de 10 %, le taux de rentabilité exigé par l’actionnaire de 12 %, et le coût de


l’endettement de 5 %, pensez-vous que cet investissement doit plutôt être financé par capitaux
propres ou endettement ? N’y a-t-il pas une autre question à se poser préalablement ?

Éléments
de réponse

Questions
1. Non, car il est très difficile de créer de la valeur au niveau du plan de financement.
2. La myopie ! car il oublie que le détenteur des obligations convertibles attend une progression du
cours de l’action pour pouvoir convertir.
720 Structure financière de l’entreprise

3. 17 %, 17 %.
4. L’autofinancement.
5. Non, car cela est beaucoup trop risqué pour elle : certitudes de flux à rembourser avec des flux de
recettes très incertains. Non, vraisemblable.
6. Non !
7. Assurer une partie du financement et renforcer la garantie des prêteurs.
8. Valeur de l’action diminuée de b. Il n’est donc pas gratuit.
9. Un partage de la valeur au-delà du prix d’exercice, une valeur temps bien sûr.
10. Pour l’entreprise, a priori, aucune. Pour l’actionnaire, la liberté individuelle de recevoir ou de ne
pas recevoir les fonds dans la réduction de capital, alors que tous les actionnaires reçoivent le
dividende.
11. Celui de Modigliani-Miller (1958).
12. Non, non et non !
13. « On ne peut faire fortune qu’en s’endettant », cette phrase s’applique à un investisseur ayant un
portefeuille mal diversifié : c’est tout ou rien pour celui qui s’endette. « L’endettement ne crée pas
de valeur » s’applique à un portefeuille parfaitement diversifié.
14. À court terme afin de pouvoir la refinancer à de meilleures conditions au fur et à mesure que les
opportunités de croissance deviennent des investissements rentables.
15. Profit sur stocks et profit d’opportunité sur un investissement réalisé plus tôt que prévu. À condi-
tion que le taux d’inflation soit supérieur au taux d’intérêt.
16. Non car le directeur financier voudra toujours garder une marge de manœuvre au cas où…
17. Non, moins elle devient risquée, plus elle peut être financée par dettes.
18. Pour profiter d’une valorisation qui s’accroît entre chaque tour de financement. Non car les inves-
tisseurs veulent être sûrs que le plan d’affaires est tenu entre chaque levée de fonds.
19. Non car une stratégie industrielle ne peut pas attendre l’arrivée éventuelle d’opportunités.
20. Forts taux d’intérêt réels, faibles investissements. Car il n’est plus possible de se désendetter
quand la quasi-totalité de la dette a déjà été remboursée ! Par ailleurs, de nouvelles opportunités
d’investissement apparaissent.

Exercice
Le TRI de l’investissement est de 8 %, soit moins que le coût du capital. Il ne doit donc pas être réalisé.
La question du financement n’a donc pas d’intérêt.

Bibliographie

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Zingales L., « In search of new foundations », Journal of Finance, août 2000, vol. 55, pages 1623 à 1653
Conclusion
Cinquante ans de recherches
en finance d’entreprise

En guise de conclusion à ce titre consacré à la structure financière, nous présen-


tons en un seul tableau les différentes pensées en matière de finance d’entre-
prise. Que le lecteur ne se trompe pas. Il y a la préhistoire avant 1958, puis
l’histoire de la finance d’entreprise à partir du fameux article de Modigliani-
Miller.
Théorie des marchés Théorie institutionnelle

H. Markovitz, 1952
Théorie du portefeuille
B. Graham, L. Dodd, 1951 724
Il existe une structure financière optimale
Intérêt de la diversification qui réduit
qui est cependant indéterminée
le risque pour une même rentabilité

J. Tobin, 1958 M. Miller, F. Modigliani, 1958 J. Lintner, 1956


* Introduction de l’actif sans risque En l’absence d’impôt, il n’y a pas Les dirigeants ont un niveau cible
* Théorème de la séparation entre la de structure financière (endettement net / de distribution de dividendes
détermination du portefeuille de marché et capitaux propres) optimale, ni de politique
le choix des portefeuilles par les investisseurs de distribution optimale

G. Donaldson, 1961
W. Sharpe, J. Mossin, J. Lintner, 1964 Le niveau d’endettement dépend
MEDAF : méthode d’évaluation des actifs financiers des anticipations de flux futurs
* Aucun portefeuille ne peut battre « le marché » M. Miller, F. Modigliani 1963
* Le bêta (β) apparaît L’existence de l’impôt sur les sociétés
* Les rentabilités des actions ne sont liées entre elles conduit à privilégier l’endettement
que par une relation commune à un actif de base
« le portefeuille de marché »

E. Fama, 1970, 1991


Efficience des marchés
F. Black, M. Scholes, 1972 et 1973
* Formule d’évaluation des options
sur actions M. Miller, 1977 M. Jensen, W. Meckling, 1976 S. Ross, 1977
* Application de la théorie optionnelle La valeur d’une firme est la même quelle Théorie de l’agence (ou des mandats) : Théorie du signal : certaines décisions
Structure financière de l’entreprise

à la valorisation de l’entreprise que soit sa structure financière compte conflits entre actionnaires, créanciers, de politique financière sont prises pour
tenu de la fiscalité des investisseurs dirigeants et modes de résolution rompre l’asymétrie d’information
et de celles des groupes par l’endettement, les stock-options entre dirigeants et investisseurs
R. Merton, 1974 S. Ross, 1976
* Évaluation des options Arbitrage Pricing
sur actions versant des dividendes Theory APT
S. Myers, 1984
J.Cox, S. Ross, M. Rubinstein, 1979 Théorie du pecking order
S. Grossman, S. Stiglitz, 1980
Modèle binomial d’évaluation en matière de choix
W. DeBondt, R. Thaler, 1985
des options de financement
* Inefficience des marchés
* Finance comportementale
M. Garman, S. Kolhagen, 1983
Évaluation des options sur devises
Réflexions sur les interactions entre
les choix de structure financière
et la politique d’investissement

M. Jensen, 1986
En parenté intellectuelle Théorie du free cash-flow
L’endettement empêche le gaspillage
En réaction prévisible des ressources financières
M. Becker, J. Wurgler, 2002
La structure financière n’est la résultante
que d’une accumulation
de choix opportunistes

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