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Institut

Universitaire d'Abidjan

Macroéconomie monétaire et financière

Support de cours Master 1_ADA

Dr IRENEE KOUASSI KADI


Année universitaire : 2023 - 2024
Plan du cours
Chapitre 1. Le financement de l’économie
Chapitre 2. Théories monétaires et financières
Chapitre 3. Crises bancaires et bulles de prix d’actifs
Chapitre 4. Crises financières internationales, Stabilité financière et politique économique
1.

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Chapitre 1. Le financement de l’économie

Le financement de l’économie fait interagir deux types d’agents : des agents à capacité de
financement (qui ont des excédents financiers ou épargne) et des agents à besoin de
financement (qui sont déficitaires et qui cherchent des financements pour leurs
investissements).
Ce chapitre vise à amener les étudiants à comprendre le processus de financement de
l’économie. A l’issue de ce chapitre, l’étudiant sera en mesure de:
 Définir la monnaie selon ses formes et fonctions.
 Expliquer l’intermédiation financière et son lien avec l’asymétrie
d’information.
 Présenter les différents types d’asymétrie d’information.
 Distinguer les deux types d’intermédiation financière et les marchés
financiers.
 Différencier l’économie de marché de l’économie d’endettement
 Décrire les différentes formes de financement externe.
 Comparer les obligations et les actions.
 Citer les acteurs de l’intermédiation financière active et leurs rôles.
 Discuter des mesures de performance et de solvabilité d’une banque
 Présenter les objectifs intermédiaires et finaux de la politique monétaire,
expliquer ses instruments, ses canaux de transmission, citer ses acteurs et
leurs rôles.

Plan du chapitre
1. La monnaie : Définition, fonctions et formes
2. Les principes de l’intermédiation financière
3. Les différentes formes de financement externe
4. Les principes de la politique monétaire

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1. La monnaie : définition, fonctions et formes
1.1. Définition
La monnaie peut se définir comme un actif généralement accept é pour le paiement de
biens, de services ou pour le remboursement de dettes. Elle se constitue de l’ensemble des
moyens de paiement dont disposent les agents économiques pour régler leurs transactions. La
monnaie a une dimension sociale car elle suppose une relation de confiance de la part des
individus qui la détiennent dans le système institutionnel qui la produit. Pour les agents, la
monnaie est donc une créance vis-à-vis de la banque centrale (monnaie fiduciaire) et des
banques commerciales (monnaie scripturale). En présence d’incertitude et de risque, la
monnaie reste l’actif dont la valeur est la plus stable et demeure, par conséquent, le moyen
d’échange privilégié sur un territoire national ou dans une zone monétaire et ce, tant que les
agents lui accordent leur confiance.
1.2. Les fonctions de la monnaie
Les trois grandes fonctions de la monnaie sont :
- La monnaie comme unité de compte : la monnaie permet de mesurer la valeur d’un
bien ou d’un service et permet de comparer les biens et services entre eux. Elle est un
numéraire ou unité de compte, ce qui permet de réduire le nombre de prix dans
l’économie. Au lieu de mesurer la valeur de chaque bien par rapport à un autre
(comme dans le troc), la présence d’une unité de compte reconnue sur un territoire
facilite la comparaison de la valeur des biens et services entre eux.
- La monnaie comme moyen d’échange : la monnaie est également un instrument de
règlement des transactions. La monnaie sert de contrepartie unique au bien ou au
service échangé. Par rapport au troc, qui nécessite de trouver que la contrepartie à
l’échange propose un bien qui correspond à ce que l’on désire, que la valeur des biens
échangés soit équivalente et que les décisions d’échanges soient simultanées,
l’utilisation de la monnaie facilite et multiplie les échanges. En effet, grâce à la
monnaie, il n’est pas nécessaire de céder une marchandise pour en acheter une autre ;
l’échange peut avoir lieu entre deux individus dont les marchandises à céder
correspondent aux désirs de chacun ; et les échanges n’ont pas besoin d’être
simultanés.
- La monnaie comme réserve de valeur : comme la monnaie permet de dissocier la
vente d’un bien ou service et l’achat d’un autre bien ou service, elle permet aux agents
économiques de la conserver sous forme de réserve pour décaler dans le temps un
achat. Lorsque la détention de monnaie sous forme d’épargne est rémunérée, l’agent
qui renonce à une consommation immédiate peut être récompensé par sa patience en
obtenant une quantité achetée supérieure dans le futur.
1.3. Les Formes de la monnaie
Dans l’histoire et à des moments différents dans l’espace, la monnaie est apparue sous la
forme d’instruments monétaires de nature très différente (marchandise, ornement, etc.).
Puis progressivement, les agents économiques ont cherché à concevoir des instruments
monétaires plus faciles d’utilisation. Les différentes formes d’existence que la monnaie
a prise sont :

- La monnaie-marchandise : Les premières monnaies étaient des objets, des


marchandises, qui tiraient initialement leur valeur de leur emploi en tant que
marchandise, autrement dit qui avaient une valeur intrinsèque. La monnaie-
marchandise a donc une double utilité : une utilité spécifique en tant que bien

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satisfaisant un besoin particulier et une utilité universelle en tant qu’instrument
d’échange.
- La monnaie métallique : Les premiers métaux utilisés comme monnaie furent des
métaux non précieux (fer, cuivre, bronze), mais très rapidement, les métaux précieux
se sont imposés (or, argent).
- La monnaie fiduciaire : Le qualificatif fiduciaire provient du fait que cette monnaie
ne peut être utilisée que si les agents économiques ont confiance en elle. On distingue
dans ce groupe les monnaies divisionnaires (les pièces) et les billets.
- La monnaie scripturale : L’appellation monnaie « scripturale » vient de ce qu’elle est
matérialisée par des écritures sur les livres des banques. Elle est constituée par les soldes
créditeurs des comptes à vue avec carnet de chèque, qui sont appelés dépôts à vue (DAV)
monétaires. Elle circule à l’aide d’instruments :
 Le chèque : En faisant un chèque, le titulaire d’un compte (le tireur) donne
l’ordre au gestionnaire de son compte (le tiré) de payer la somme indiquée sur
le chèque au bénéficiaire du chèque et cela en débitant son compte à vue ; le
compte du bénéficiaire étant crédité du même montant à l’issue de l’opération.
 La carte bancaire : C’est un instrument équivalent à un carnet de chèque mais
qui fonctionne de manière totalement informatisée. Le titulaire de la carte
peut effectuer des paiements qui se traduisent par un débit sur son compte et
retirer des espèces dans les distributeurs automatiques de billets.
 L’ordre de virement : En établissant un ordre de virement, un client d’une
banque donne l’ordre au gestionnaire de son compte de débiter son compte de
la somme indiquée et de transférer cette somme au titulaire du compte qui est
mentionné.
- Les crypto-monnaies : La Banque centrale européenne distingue trois formes de
monnaies virtuelles :
 Des monnaies virtuelles non échangeables contre de la monnaie officielle et
qui permettent uniquement des transactions dans un monde virtuel, comme il
peut en exister dans certains jeux électroniques ;
 Des monnaies virtuelles, que l’on obtient avec de la monnaie légale et qui
permettent des transactions dans le monde réel et dans le monde virtuel, là
aussi elles existent dans des jeux électroniques avec mise de fonds ;
 Des monnaies virtuelles que l’on obtient avec de la monnaie légale et qui sont
échangeables contre cette dernière et qui permettent des transactions dans le
monde réel et dans le monde virtuel, comme le bitcoin. Lorsqu’elles reposent
sur une technique de cryptographie, elles sont qualifiées de crypto-
monnaies.

1.4. Création monétaire


La monnaie est créée par la banque centrale et les banques commerciales. La banque centrale
crée la monnaie fiduciaire (billets et pièces) et les banques commerciales créent la monnaie
scripturale (écriture de compte). La monnaie scripturale est créée principalement lors de
l’octroi de crédits, les banques commerciales anticipant une création de richesse à venir. Dès
qu’une banque accorde un crédit à un agent économique, la quantité de monnaie en circulation
dans l’économie augmente via une augmentation correspondante des dépôts, la banque
créditant immédiatement le compte de l’emprunteur du montant du prêt (les crédits font les
dépôts). Il y a création monétaire car il y a accroissement de la quantité de monnaie détenue
par les ANF (Agents Non Financiers), qui représente une capacité de dépense supplémentaire,

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sans que personne d’autre n’ait renoncé à son pouvoir d’achat. Il n’y a pas eu de transfert de
ressources entre agents, ce qui serait le cas si par exemple l’entreprise qui a besoin de
financement, pour se financer, émettait un titre souscrit par un ANF. La monnaie peut être
également créée lorsque les banques achètent des devises étrangères à leurs clients.
Inversement, la monnaie sera détruite lorsque les crédits seront remboursés ou lorsque la
banque convertira de la monnaie nationale en devises étrangères. La création monétaire est
contrôlée par la banque centrale à travers la politique monétaire et la politique de change. La
politique monétaire contrôle la création monétaire par la fixation des taux d’intérêt directeurs
et des taux de réserves obligatoires ou par des politiques non conventionnelles
d’assouplissement quantitatif leur permettant de créer de la « monnaie banque centrale » via
des opérations dites d’open market. Par la politique de change, la banque centrale peut aussi
contrôler la création de monnaie en agissant sur le taux de change de la monnaie nationale par
rapport aux monnaies étrangères. Cette action n’est possible qu’en régime de change flexible
ou de flottement administré. En régime de change fixe, la banque centrale doit maintenir le
taux de change à sa parité officielle. Maintenir le taux de change fixe a également un effet sur
la quantité de monnaie en circulation dans l’économie. Par exemple, si la monnaie a tendance
à se déprécier, la banque centrale devra défendre la parité en réduisant ses réserves de change
via la vente de devises, ce qui diminuera la masse monétaire.

2. Les principes de l’intermédiation financière


2.1. Equilibre épargne-investissement
Les grands équilibres macroéconomiques de la comptabilité nationale mettent en avant la
relation entre l’épargne et l’investissement dans une économie. En économie fermée,
l’épargne est égale à l’investissement. Cet équilibre épargne-investissement découle de
l’équilibre entre les ressources de l’économie (revenu national) et ses emplois
(consommation, investissement privé et dépenses publiques). L’épargne nationale se définit
comme la somme de l’épargne des ménages, du profit des entreprises et de l’excédent
budgétaire des administrations publiques. L’investissement national se définit quant à lui
comme la somme de l’investissement privé (des ménages et des entreprises) et de
l’investissement public. Les identités de comptabilité nationale impliquent l’égalité entre
épargne nationale et investissement national. Cet équilibre est modifié en économie ouverte
car tout déséquilibre entre épargne et investissement est compensé par la balance des
transactions courantes. Par exemple, un excès d’épargne nationale par rapport à
l’investissement national implique ainsi un surplus du compte courant.

2.2. Agents à capacité et à besoin de financement


La relation entre épargne et investissement introduit deux grands types d’agents : les agents à
capacité de financement (ou excédentaires) et les agents à besoin de financement (ou
déficitaires). Les agents à capacité de financement sont des agents dont les revenus (par
exemple les salaires et les revenus de patrimoine) excèdent les dépenses (par exemple la
consommation de biens et de services). Les ménages, en tant que principaux détenteurs
d’épargne, appartiennent principalement à cette catégorie. À l’opposé, les agents à besoin de
financement sont des agents dont les dépenses excèdent les revenus. Les entreprises, qui sont
les principaux investisseurs dans l’économie, appartiennent typiquement à cette seconde
catégorie.

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2.3. Les deux types d’intermédiation financière
On appelle intermédiation financière l’opération consistant à mettre en contact les agents non
financiers ayant une capacité de financement, appelés aussi prêteurs, et les agents non
financiers ayant un besoin de financement, appelés emprunteurs, afin de réaliser l’équilibre
épargne-investissement. Gurley et Shaw (1960) opposent deux types d’intermédiation :
 La finance directe (ou intermédiation de marché ou intermédiation passive) : dans ce
cas, les agents à besoin de financement vont céder des titres aux agents à capacité de
financement en contrepartie des fonds demandés via un marché financier (comme les
Bourses des valeurs ou les marchés obligataires).
 La finance indirecte (ou intermédiation de bilan ou intermédiation active) : dans ce
cas, le financement est intermédié par une institution financière qui, d’une part,
collecte les ressources excédentaires des agents à capacité de financement et d’autre
part, octroie des prêts pour financer les besoins des agents à besoin de financement.

2.4. Intermédiation et asymétrie d’information


Contrairement aux autres transactions économiques, l’intermédiation financière implique la
notion de temps. La relation contractuelle entre l’agent à besoin de financement,
l’emprunteur, et celui à capacité de financement, le prêteur, suppose une relation temporelle,
et ce quel que soit le type d’intermédiation (directe ou indirecte).
L’incertitude entourant la relation contractuelle entre prêteur et emprunteur est liée tout
d’abord à un problème d’information imparfaite. De plus, il existe une asymétrie
d’information entre prêteur et emprunteur, ce dernier disposant d’informations non
accessibles au prêteur quant à la qualité de son projet ou sa capacité à le mettre en œuvre.
Deux types d’asymétrie d’information sont donc possibles : la première intervient avant ou
au moment de la signature du contrat entre prêteur et emprunteur (asymétrie d’information ex-
ante) et la seconde au cours de l’exécution du projet financé par l’emprunt (asymétrie
d’information ex-post).

2.4.1. L’asymétrie d’information ex-ante ou « sélection adverse »


Akerlof (1970) a théorisé ce premier type d’asymétrie d’information dans son célèbre
exemple des voitures d’occasion (ou « lemons »). L’exemple de sélection adverse proposé par
Akerlof peut se transposer aisément au problème de l’intermédiation financière. Le prêteur ne
connaît pas parfaitement la qualité de l’emprunteur ni les risques liés au prêt octroyé.

2.4.2. L’asymétrie d’information ex-post ou « aléa moral »


Appelé « aléa moral » ou « aléa de moralité » (moral hazard), le second type d’asymétrie
d’information intervient après la signature du contrat, au moment de l’exécution du projet. Il y
a asymétrie d’information dans le sens où l’agent non-informé (appelé aussi le principal) ne
peut pas parfaitement vérifier les actions de l’agent avec qui il s’est engagé contractuellement
(appelé aussi l’agent). Rapporté au problème de l’intermédiation financière, le problème
d’aléa de moralité se traduit par la façon pour l’agent à capacité de financement non informé
(le principal) de s’assurer que l’agent à besoin de financement informé (l’agent) ait
suffisamment d’incitations dans le contrat de prêt pour adopter des comportements conformes
à ce que le principal attend.
Ces problèmes d’asymétrie d’information et de fonctionnement imparfait des marchés
justifient l’intervention des pouvoirs publics pour réguler les systèmes financiers.

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2.5. Economie de marché financier et économie d’endettement
Selon l’importance d’un type d’intermédiation financière (directe via le marché financier ou
indirecte via des institutions financières), on distinguera entre une économie de marché
financier et une économie d’endettement. Cette distinction a été proposée par Hicks (1974)
qui appelle économie de marché financier une économie dans laquelle le financement
des investissements se fait de manière prédominante par intermédiation directe.
À l’inverse, l’économie d’endettement est une économie dans laquelle les institutions
financières ont un rôle central et le crédit assure de manière prédominante le financement des
investissements.

3. Les différentes formes de financement externe


Les formes de financement externe sont sous formes de titres émis sur les marchés financiers
(obligations et actions) ou sous forme intermédiée par une institution financière. Les agents
peuvent aussi se financer à l’aide de leurs ressources propres (épargne) sans faire appel à un
financement extérieur. On parle alors de financement interne ou d’autofinancement.
Contrairement à ce type de financement, réalisé par autofinancement, le financement
externe nécessite des transactions réalisées via des systèmes financiers.
Les agents à capacité de financement disposent d’excédents financiers (épargne nette) qui
peuvent être investis en les prêtant à d’autres agents. De leur côté, les agents à besoin de
financement doivent faire appel aux épargnants pour se financer en empruntant les fonds
nécessaires à la couverture de leurs dépenses.

Comme vu précédemment, les capitaux des prêteurs atteignent les emprunteurs via deux
canaux :
 Financement direct par les marchés financiers : cette forme de financement implique
que l’emprunteur émette des titres qui seront acquis par le prêteur. Ces transactions
interviennent sur différents types de marchés financiers :
– les marchés monétaires (financements de court terme) : marchés où les fonds sont prêtés et
empruntés pour une durée allant de quelques jours jusqu’à un an, principalement à travers
des prêts interbancaires. Les types de titres échangés sur ce marché incluent les certificats
de dépôts, les bons du Trésor ou les papiers commerciaux ;
– les marchés des capitaux (financements de long terme) : marchés où les fonds sont
échangés pour le financement de projets grâce à l’émission de titres (obligations et actions).
 Financement indirect par des intermédiaires financiers: cette forme de financement
implique que l’emprunteur s’adresse à une institution financière (établissement de
crédit ou autre type d’institutions financières ou monétaires) pour obtenir un crédit. Le
prêteur de son côté placera ses excédents (épargne) auprès de l’intermédiaire contre
une rémunération (intérêts).

3.1. Obligations
Les obligations peuvent être émises par les entités suivantes :
– États souverains et organismes publics ;
– entreprises ;
– institutions internationales.

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L’émission d’obligations se fait sur les marchés primaires, c’est-à-dire « l’endroit » où les
émetteurs proposent leurs obligations à des investisseurs en échanges de capitaux.
Les plus grands marchés obligataires sont ceux de la dette d’État. Les obligations se
distinguent selon différentes caractéristiques : leur taux d’intérêt, leur maturité et leur lieu
d’émission.
 Taux d’intérêt (ou coupon) : le coupon correspond au taux d’intérêt que l’émetteur
doit payer au détenteur de l’obligation. Il peut être fixe (c’est-à-dire le taux d’intérêt
reste constant tout au long de la vie de l’obligation) ou flottant (le taux d’intérêt
change périodiquement).
 Maturité : la maturité est la date à laquelle l’émetteur est obligé de rembourser le
principal (le montant levé à l’émission). Les obligations, qui sont des titres de long
terme, ont des maturités supérieures à 7 ans, généralement pour des périodes de 25 à
30 ans.
 Lieu d’émission : les obligations peuvent être émises en monnaie nationale ou en
devises selon trois types :
– Obligations domestiques : émises dans le pays et dans la monnaie de
l’émetteur par un consortium de banques et d’investisseurs domestiques.
– Obligations étrangères : souscrites par un consortium de banques d’un pays
étranger, libellées dans la monnaie de ce pays et vendu principalement dans ce
pays.
– Euro-obligations (Eurobonds) : similaires aux obligations étrangères sauf
qu’elles sont souscrites par un consortium international de banques et vendues
dans des pays autres que celui de la monnaie dans laquelle elles sont émises.
Ces différentes caractéristiques nous permettent de distinguer cinq grands types
d’obligations :
– Obligations à taux fixe : le taux d’intérêt est fixé à l’émission de l’obligation et
reste constant jusqu’à maturité.
– Obligations à taux variables (FRNs ou Floating-Rate Notes) : le taux d’intérêt
est indexé sur un taux d’intérêt de référence comme l’EURIBOR.
– Obligations à coupon zéro : ces obligations ne possèdent pas de coupon et sont
émises à escompte en dessous de leur valeur nominale. Par exemple, si une
obligation est émise à un prix de 85 %, il sera remboursé à sa valeur nominale
à maturité (à 100 %). Le gain de 15 % est traité comme intérêt.
– Obligations à haut rendement ( high-yield bond) : ces obligations sont émises
par des émetteurs ayant une notation de crédit faible.
– Obligations convertibles : ces obligations ont un taux de coupon fixe, des
maturités entre 10 et 15 ans et sont émises par une entreprise. Elles sont
convertibles dans le sens qu’elles donnent le droit à son détenteur de l’échanger
contre des actions de cette même entreprise.
Comme tout actif financier, le prix d’une obligation correspond à la somme actualisée des
flux de revenus futurs (coupons et paiements à maturité). La formule utilisée pour
N
C CF
l’actualisation des flux est la suivante : P= ∑ ( n )n + ( N)N
n=1 1+i 1+i

avec P le prix de marché, N le nombre de périodes jusqu’à maturité, i le taux d’intérêt


actuariel de marché, C n le coupon de la période n e t CF N le principal remboursé à
maturité. On constate avec cette formule la relation inverse entre le prix de l’obligation et son
taux d’intérêt qui prévaut sur le marché, déterminé par l’équilibre entre l’offre et la demande
de cette obligation. Il est différent du taux d’intérêt contractuel qui permet de calculer le
coupon.
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3.2. Actions
Une entreprise, en tant qu’agent à besoin de financement, peut émettre des actions en échange
de fonds. Dans ce cas, elle vend une part du capital de son entreprise à l’agent à capacité de
financement (investisseur), qui devient actionnaire de l’entreprise. Il existe deux types
d’actions, les actions cotées sur un marché boursier et les actions non cotées.
Quand une entreprise émet des actions cotées sur un marché boursier pour la première fois,
on parle alors d’introduction en Bourse (IPO ou Initial Public Offering). La même entreprise
peut procéder par la suite à des augmentations de capital sous forme d’émissions d’actions
nouvelles. Le second type d’actions, les actions non cotées, concerne les entreprises qui ne
font pas un appel public à l’épargne mais vendent leurs actions directement à des investisseurs
en échange de fonds. Comme elles ne sont pas cotées, elles ne peuvent pas être échangées sur
un marché boursier.
De façon générale, le prix d’une action doit révéler la valeur intrinsèque de l’entreprise.
Comme tout actif, la valeur d’une action se mesure comme la valeur actuelle des revenus
futurs de cet actif (les profits futurs dans ce cas).
Pour la calculer, elle nécessite d’évaluer l’anticipation des profits futurs de l’entreprise et d’un
taux d’actualisation (le coût du capital). L’agent à capacité de financement n’investira donc
son capital dans une entreprise que s’il attend de cet investissement une rentabilité au moins
égale au coût du capital. En tant qu’actionnaire, l’investisseur a également un droit sur les
revenus de l’entreprise. Les versements périodiques des profits de l’entreprise se font sous
forme de dividendes. Les revenus espérés de cet investissement peuvent prendre soit la forme
de flux réguliers (dividendes versés par l’entreprise à ses actionnaires), soit un gain en capital
lors de la revente de l’action.

La méthode de valorisation d’une entreprise se base ainsi sur le principe que son prix est
déterminé par ses dividendes futurs. Le prix d’une action aujourd’hui ( P0) est donc la valeur
actualisée des dividendes attendus dans les périodes futures, E0 ( DPS t ), et ce, sur une durée
de vie infinie :

E (DPS t )
P 0= ∑ 0
t =1 (1+ k )t

E0 est l’anticipation en 0 (aujourd’hui) et DPS t est le dividende par action (dividend per share).
L’actualisation se fait au taux de rentabilité exigé par les actionnaires (k), c’est-à-dire la
rentabilité anticipée minimale rémunérant la prise de risque correspondante à l’investissement
et en tenant compte des opportunités du marché à la date de l’investissement.

En utilisant le principe que le prix d’une action correspond à l’actualisation des flux de
revenus futurs générés par l’entreprise, plusieurs méthodes ont été proposées pour évaluer ces
prix. La plus simple est celle de Gordon et Shapiro (1956) pour qui le prix d’une action
correspond à la somme actualisée des dividendes futurs de l’entreprise. Ce modèle est simple
car il suppose que les dividendes distribués tous les ans augmentent à un taux constant (g) sur
une période de durée infinie. La valeur de l’action aujourd’hui est égale à :

E0 ( DPS1 )
P 0=
( k −g )

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Le modèle de Gordon-Shapiro est peu réaliste car, dans les faits, le taux de croissance d’une
entreprise n’est pas constant dans le temps. Des extensions prévoient néanmoins l’utilisation
de ce modèle avec des phases de croissance différentes dans la vie de l’entreprise (par
exemple une croissance élevée dans les premières années et une croissance plus modérée par
la suite). Ce modèle reste attractif par sa simplicité et son intuition sous-jacente. Les
dividendes représentent les seuls flux de revenus tangibles pour les investisseurs. De plus, ils
sont relativement plus faciles à prévoir que les flux de trésorerie disponibles (free cash-flows),
qui sont par nature plus volatils. Malgré tout, il existe des méthodes de valorisation des
entreprises basées sur l’estimation des free cash-flows, telle la méthode DCF (Discounted
Cash-Flow).
La méthode DCF calcule la valeur de l’entreprise (V), c’est-à-dire, pour reprendre les
notations ci-dessus, le prix de l’action P fois le nombre d’actions. La valeur de l’entreprise est
la somme actualisée des flux de trésorerie disponibles futurs :
n−1
CF t CF n
V 0= ∑ t
+
t =1 ( 1+ k ) ( 1+ k )n
Les free cash-flows sont les excédents nets de trésorerie après financement des
investissements d’exploitation et de distribution (dividendes). Ils correspondent à l’excédent
dégagé par l’entreprise qui peut être mis à la disposition des investisseurs. Dans cette
méthode, ces excédents ( CF 1… … ,n−1 ) sont calculés à partir des données prévisionnelles de
CF n
l’entreprise. La valeur terminale, ou la valeur de long terme de l’entreprise, , est
( 1+ k )n
calculée à partir du modèle de Gordon-Shapiro, détaillé ci-dessus.

3.3. Intermédiation active par une institution financière


Obligations et actions sont les principales formes de finance directe ou d’intermédiation
passive. Dans ce qui suit, nous allons présenter les principes de l’intermédiation active et
introduire un nouvel acteur dans les relations de financement : l’intermédiaire financier.

3.3.1. Banques et intermédiation financière


On parle d’intermédiation active lorsqu’entre en jeu une institution financière qui va
intervenir entre les agents à besoin de financement et ceux à capacité de financement. Les
banques sont les principaux acteurs de l’intermédiation financière active.
Le rôle traditionnel des banques est de collecter des dépôts et d’octroyer des prêts. L’intérêt
demandé sur les prêts étant supérieur à celui offert pour les dépôts, la banque obtient un
revenu qui lui permet de couvrir ses frais administratifs et les pertes sur crédit (lors de défaut
de paiement de la part de l’emprunteur), tout en réalisant des rendements sur actifs. Les
activités de prêts sont parfois financées par des emprunts sur les marchés financiers.
3.3.2. Bilan bancaire
Le bilan d’une banque commerciale peut s’écrire simplement comme l’exemple présenté dans
le tableau ci-après :
Bilan simplifié d’un établissement de crédit
Actif Passif

Caisse, banque centrale 100 Dépôts 650

10
Crédits à la clientèle 700 Dette de court terme 100

Portefeuilles de titres 150 Dette de long terme 200

Valeurs immobilisées 50 Capitaux propres 50

Total 1000 Total 1000

Source : Dees, 2019.


Le ratio entre les fonds propres et le total des actifs est appelé ratio de levier. Ce ratio est un
indicateur de l’effet de levier, c’est-à-dire l’utilisation de l’endettement pour financer des
actifs.
3.3.3. Compte de résultat bancaire
Le tableau ci-dessous présente le compte de résultat simplifié de la même banque. La
principale source de revenus de la banque est le revenu net d’intérêts. Cette source est liée à
l’activité d’intermédiation bancaire. C’est la différence entre les intérêts perçus sur les prêts
octroyés et les intérêts versés aux déposants ou aux autres institutions bancaires
(refinancement sur le marché interbancaire).
Tableau : compte de résultat simplifié d’un établissement de crédit
Intérêts perçus 25
Intérêts versés -10
Revenus nets d’intérêts 15
Commissions nettes 10
Gains (+) et pertes sur instruments et actifs financiers 5
Produit net bancaire 30
Charges d’exploitation et autres dépenses non liées aux intérêts -20
Résultat brut d’exploitation 10
coût du risque -5
Résultats d’exploitation 5
Gains et pertes sur autres actifs 0
Résultats avant impôts 5
Impôts sur les bénéfices -2
Résultat net 3

Source : Dees, 2019.


L’activité d’intermédiation de la banque consiste à octroyer des crédits à des taux supérieurs à
ceux versés sur les dépôts. Les dépôts ont généralement des maturités plus courtes que
celles des crédits. Le résultat des banques lié à leur activité de prêts s’appelle la marge
d’intermédiation bancaire. Les intérêts versés et perçus incluent aussi ceux correspondants
aux titres émis ou détenus par la banque qui portent des intérêts (par exemple des
obligations). La ligne suivante du compte de résultat correspond aux commissions nettes
(liées aux services bancaires et conseils). Au revenu précédent s’ajoutent enfin les gains (nets
des pertes) sur les instruments financiers détenus dans les portefeuilles de titres des banques.
Par ce biais, la banque est donc aussi exposée au risque de marché, son profit étant lié aux
fluctuations des prix des titres détenus. L’ensemble de ces revenus constitue ce que l’on

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appelle le produit net bancaire. En retirant les charges d’exploitations (salaires, coûts
informatiques et frais généraux), on obtient le résultat brut d’exploitation. Ces charges
peuvent aussi venir de pertes liées aux procédures judiciaires (litiges), interruption d’activité,
fraudes d’employés, etc. Le risque associé à ce type de pertes est appelé risque opérationnel.
La ligne suivante correspond au coût du risque dont une grande partie est composée de
créances irrécouvrables ou pertes sur crédit. Il correspond à ce que l’on appelle le risque de
crédit. Le résultat net est enfin obtenu une fois pris en compte les gains ou pertes sur autres
actifs ainsi que les impôts sur les bénéfices.

3.3.4. Mesures de performance et de solvabilité


L’une des mesures de performance d’une banque est le rendement des capitaux

propres (ROE ou return on equity). Le ROE est le rapport entre le résultat avant impôts (5
dans l’exemple du tableau 2) et les capitaux propres (50 dans l’exemple du tableau 1), soit 10
%. Pour augmenter le ROE, la banque peut donc soit augmenter le résultat (numérateur),
c’est-à-dire augmenter les revenus, soit baisser le niveau des capitaux propres (dénominateur).
Cependant, le niveau de capitaux propres va déterminer dans quelle mesure la banque peut
absorber des chocs défavorables et assurer sa survie.

3.4. Marché des changes


Pour terminer le panorama des intermédiaires entre agents à besoin et à capacité de
financement, nous rappellerons que le marché des changes a aussi une grande importance
pour des économies de plus en plus tournées vers l’international et dans un environnement de
plus en plus globalisé. Le marché des changes est indispensable pour financer des crédits en
monnaie étrangère et investir à l’étranger soit sous forme d’investissement direct étranger
(IDE) soit comme investissement de portefeuilles en titres étrangers.
Le marché des changes est le marché sur lequel les participants peuvent acheter, vendre,
échanger ou spéculer sur des devises. Les participants sont les banques centrales – via des
interventions visant à mettre en place une politique de change (par exemple défendre la parité
de la monnaie nationale contre une autre monnaie) –, les institutions financières (banques et fonds
d’investissement), les entreprises (pour se couvrir contre le risque de change lié à leurs
activités de commerce international), les fonds d’investissement spéculatifs (ou hedge funds),
et des courtiers de changes. Le marché des changes, appelé aussi Forex, FX ou currency
market, est le lieu d’échange de devises. En plus des échanges, le marché des changes permet
de convertir des devises à des fins de commerce international ou d’investissement
international. Le marché des changes attire les opérateurs en devises (ou forex traders) par ses
volumes très importants qui fournissent ainsi une liquidité élevée.

4. Les principes de la politique monétaire


La politique monétaire joue un rôle central dans la mesure où elle permet de stabiliser
l’économie à la suite de chocs. La capacité de la banque centrale à absorber les chocs passe
généralement par une règle de politique monétaire (comme la règle de Taylor) qui permet de
stabiliser la production et l’inflation lorsque des chocs les éloignent de leurs valeurs
d’équilibre de long terme. Il est important cependant d’analyser plus en détail la transmission de
la politique monétaire.

12
4.1. Des objectifs finals aux objectifs intermédiaires de la politique monétaire
Les objectifs de la politique monétaire sont ceux de toute politique économique (croissance
économique, stabilité des prix, plein emploi et équilibre des échanges extérieurs). La
réalisation simultanée de ces quatre objectifs est représentée par ce qu’on a appelé le « carré
magique » de l’économiste britannique N. Kaldor.

4.1.1. Le rythme de croissance de la quantité de monnaie


Les autorités monétaires surveillent les agrégats monétaires mais la surveillance de ces
agrégats peut être insuffisante. En effet, la capacité transactionnelle de la monnaie est aussi
conditionnée par sa vitesse sauf à supposer que cette vitesse est stable.

4.1.1.1. La surveillance du rythme de croissance des agrégats


monétaires
Un rythme de croissance des agrégats monétaires constitue un bon objectif intermédiaire dès
lors que les autorités monétaires peuvent l’influencer à l’aide des instruments dont elles
disposent (taux de refinancement, encadrement de crédit, réserves obligatoires, etc.).
Mais pour être de bons objectifs intermédiaires, les agrégats monétaires doivent être revus
régulièrement. Il est nécessaire que le rythme de progression de la quantité de monnaie en
circulation permette à l’offre de trouver des débouchés. Une croissance équilibrée de
l’économie exige donc que la quantité de monnaie en circulation ne soit ni trop importante, ni
insuffisante. C’est pourquoi la politique monétaire vise à contrôler les agrégats monétaires.
Toutefois, cette liaison entre agrégats monétaires et demande de biens et de services dépend
aussi de la vitesse de circulation de la monnaie.

4.1.1.2. La question de la stabilité de la vitesse de la circulation de la


monnaie
La connaissance de la quantité de monnaie en circulation constitue une donnée insuffisante
dans la mesure où une même unité monétaire peut être utilisée plusieurs fois. La question des
déterminants de la vitesse de circulation et de son éventuelle stabilité renvoie aux débats sur la
demande de monnaie. Pour Fisher et, plus récemment, pour les monétaristes, la demande de
monnaie de même que la vitesse de circulation sont stables. Par conséquent, il existe une
relation prévisible entre la quantité de monnaie en circulation et le PIB, d’où la définition
d’un rythme de croissance d’un agrégat monétaire comme objectif intermédiaire de la
politique monétaire. Pour les keynésiens en revanche, dès lors que la vitesse de circulation de
la monnaie est instable, la liaison entre quantité de monnaie et PIB ne peut être prévue (Or,
dans de nombreux pays, cette vitesse est très instable. Cf. J. E. stiglitz et B. greenwAld (2005),
p.17). Ainsi, si la stabilité de la vitesse de circulation de la monnaie n’est pas avérée, alors le
contrôle des agrégats monétaires est insuffisant.
4.1.2. Le niveau des taux d’intérêt
Il existe de nombreux taux d’intérêt parmi lesquels on distingue les taux d’intérêt pratiqués
sur les marchés ou les taux pratiqués par les institutions financières. Sur les marchés, on
distingue les taux d’intérêt à court terme (sur le marché monétaire) ou à long terme (sur le
marché financier). Sur le marché monétaire, les taux s’établissent en fonction des capitaux
empruntés, des emprunteurs et de la durée (taux au jour le jour pour les capitaux empruntés à
24 heures, taux à terme). Sur le marché financier, les principaux taux sont respectivement le
taux du marché obligataire qui fournit le rendement des obligations et celui du marché

13
hypothécaire qui fournit le rendement des titres représentant des créances sur l’habitat d’une
durée supérieure à 10 ans.
Quant aux taux pratiqués par les institutions financières, on distingue les taux d’intérêt qu’elles
exigent pour les prêts qu’elles accordent à leur clientèle (ce qu’on appelle les taux débiteurs)
et ceux qu’elles consentent sur les ressources qu’elles collectent (par exemple, livrets
d’épargne) auprès de leur clientèle (ce qu’on appelle taux créditeurs). Les taux d’intérêt
peuvent constituer un bon objectif intermédiaire dans la mesure où ils sont facilement
mesurables. Par ailleurs, si les autorités monétaires ne peuvent intervenir directement sur ces
taux, elles peuvent, en revanche, se fixer comme objectif intermédiaire un certain niveau de
ces taux et agir sur eux indirectement au travers des taux de refinancement, c’est-à-dire au
travers des taux auxquels les banques obtiennent de la monnaie centrale.
Enfin, le niveau des taux d’intérêt de même que l’évolution de ces taux influencent le
comportement des agents.

4.1.3. Le taux de change


Le taux de change exprime la valeur de la monnaie nationale par rapport à une monnaie
étrangère. Dans une économie qui effectue de nombreux échanges avec l’étranger, le niveau
du taux de change peut être retenu comme objectif intermédiaire. Il présente en effet les
qualités requises pour être un bon objectif intermédiaire. Il est mesurable, relativement
influençable par les autorités monétaires à l’aide des instruments dont elles disposent et
enfin on peut considérer que dans une certaine mesure, il est lié aux objectifs finals tels que la
stabilité des prix, la croissance.
Ainsi, si les autorités monétaires décident de baisser les taux auxquels elles refi nancent les
banques, cette baisse va générer une baisse des différents taux d’intérêt. Les capitaux sont
alors moins bien rémunérés dans le pays : ils vont aller se placer là où les taux sont
relativement plus importants, c’est-à-dire à l’étranger. Ces mouvements de capitaux se
traduisent alors par une vente de la monnaie nationale et par une baisse de la valeur externe de
la monnaie, c’est-à-dire une baisse du taux de change. Cette baisse du taux de change va
engendrer une compétitivité accrue des entreprises nationales dont les prix en monnaie
étrangère auront baissé, ce qui peut se traduire par une augmentation des exportations, source
de croissance. Mais cette baisse du taux de change va aussi générer une hausse des prix des
produits importés dans le pays, ce qui, si le montant des importations ne peut être réduit dans
cette économie, peut se traduire par une hausse des prix par effet de contagion. Par ailleurs, la
stabilité du taux de change peut aussi être une contrainte que les autorités monétaires doivent
respecter dans le cas d’un régime de change fixe.
Pour atteindre ces objectifs intermédiaires, les autorités monétaires disposent de certains
instruments qui vont agir sur les objectifs finals au travers de différents canaux.
4.2. Les instruments de la politique monétaire
Pour mener à bien une politique monétaire, les autorités monétaires disposent de deux types
d’actions : des actions directes sur le crédit (encadrement du crédit) et des actions indirectes
sur la liquidité bancaire (par l’intermédiaire du coût et des modalités du refinancement des
banques et par les réserves obligatoires).

14
4.2.1. La politique d’action directe sur le crédit
Puisque ce sont les crédits qui font les dépôts, l’idée est de limiter directement l’octroi de
crédits aux ANFR-AIF, cela afin de limiter la croissance de la quantité de monnaie en
circulation. En effet, la quantité de monnaie en circulation s’accroît lorsqu’il y a création
monétaire; or le crédit à l’économie est une des sources de la création monétaire. Cette action
a pour objectif de réglementer l’octroi de crédits par le système bancaire aux ANFR-AIF. Le
contrôle direct sur le crédit s’opère au travers de l’encadrement du crédit. La Banque centrale
fixe une norme de progression des crédits par rapport à l’année précédente. Si la Banque
centrale décide que les crédits accordés par une banque ne doivent pas croître de plus de 5 %
durant l’année en cours et si cette banque a accordé l’année précédente pour 1 000 de crédit,
cette banque ne pourra accorder plus de 1 050 de crédits durant cette période (1 000 ⋅ 5 % + 1
000).

4.2.2. Actions indirectes : les actions sur la liquidité bancaire


L’objectif de ces actions est d’influer sur la liquidité bancaire dans la mesure où cette liquidité
influe sur la capacité des banques à accorder des crédits. En effet, c’est parce que les banques
doivent faire face à des fuites en monnaie centrale et doivent se refinancer auprès de la
Banque centrale que cette dernière peut influer sur leur pouvoir de création monétaire en
agissant sur la monnaie centrale disponible. Le refinancement peut être défini comme l’acte
par lequel une Banque centrale assure le financement (avec intérêt) d’une opération en
seconde position, après qu’une première institution financière a préalablement accordé un
crédit ou acheté un titre. Les différents types d’actions possibles sur la monnaie centrale sont
le réescompte, les interventions sur le marché de la monnaie centrale, (le marché
interbancaire) et les réserves obligatoires.
En définitive, l’on peut retenir que le choix de l’instrument le plus efficace dépend des
modalités de financement de l’économie. Dans une économie d’endettement, c’est-à-dire une
économie dans laquelle ce sont les intermédiaires financiers qui sont à l’origine de la majeure
partie du financement de l’économie et où les marchés de capitaux sont peu actifs,
l’instrument privilégié reste l’encadrement du crédit associé aux réserves obligatoires. Dans
une économie de marché de capitaux dans laquelle les besoins de financement des entreprises
sont limités et satisfaits le cas échéant sur les marchés de capitaux, les instruments privilégiés
relèvent d’une logique de marché, la Banque centrale intervient sur le marché de la monnaie
centrale. Les différentes actions de la Banque centrale sont transmises aux objectifs finals par
des canaux de transmission.

4.3. Les mécanismes de transmission de la politique monétaire


Les mécanismes de transmission de la politique monétaire sont multiples et peuvent être
classifiés en cinq grandes catégories de canaux : le canal des taux d’intérêt, le canal du
crédit, le canal des prix d’actifs, le canal externe et le canal des anticipations.

4.3.1. Le canal des taux d’intérêt


Un changement de politique monétaire impacte directement les taux d’intérêt sur le marché
monétaire et, indirectement, les taux d’intérêt pertinents pour les entreprises et les ménages
(taux de dépôts et d’emprunt), ce qui affecte leurs décisions financières en termes d’épargne
et d’investissement. Par exemple, et toute chose égale par ailleurs, une hausse des taux
d’intérêt rend moins attractive une demande de prêt bancaire pour financer la consommation
de biens durables et l’investissement car cela renchérit leurs coûts. Il est à noter que la

15
transmission de la politique monétaire via le canal des taux d’intérêt se fait davantage par un
changement des taux d’intérêt réels que par les taux nominaux.
Les taux d’intérêt réels se définissent par la relation de Fisher,
r t =i t −Et ( π t +1 )
qui montre que le taux d’intérêt réel r t est égal au taux d’intérêt nominal i t corrigé des
anticipations d’inflation Et ( π t +1 ).

4.3.2. Le canal du crédit


La hausse des taux d’intérêt augmente les asymétries d’information, ce qui entraîne une
remontée des primes de financement externes et restreint la disponibilité des financements.
Les banques resserrent les conditions de financements, que ce soit au niveau des coûts, des
garanties ou du rationnement de crédit. Au sein de ce canal du crédit, on peut distinguer trois
canaux différents.
4.3.2.1. Le canal étroit (ou strict) du crédit
La hausse des taux directeurs resserre les conditions de refinancement des établissements de
crédit sur les marchés monétaires et financiers. Les opérations d’open-market des banques
centrales réduisent l’accès des banques aux fonds prêtables. Les banques font également face
à des difficultés pour lever de nouveaux capitaux sur les marchés. La réponse des banques
face à ces difficultés est de réduire l’octroi de crédits.

4.3.2.2. Le canal large du crédit (ou canal du bilan des entreprises et


des ménages)
Un choc restrictif de politique monétaire affecte le bilan des entreprises et des ménages et,
selon la théorie de l’accélérateur financier augmente la prime de financement externe. Une
hausse des taux réduira la rentabilité anticipée des projets, augmentera la prime de
financement externe et aura des effets d’autant plus restrictifs sur les dépenses
d’investissement que les agents font initialement face à des fragilités financières (très endettés
et peu solvables).

4.3.2.3. Le canal de la prise de risque


Aux canaux traditionnels de crédit, s’ajoute le canal de la prise de risque (« Risk Taking
Channel ») qui concerne l’influence de la politique monétaire sur les perceptions et les
comportements des banques à l’égard du risque. Adrian et Shin (2009) mettent en évidence le
lien entre taux d’intérêt faible et la prise de risque par les banques et montrent que ce canal
fonctionne au moins de deux façons : premièrement, à travers une recherche de rendement («
search for yield ») dans un contexte de rendements faibles et, deuxièmement, à travers
l’impact des taux d’intérêt sur la valorisation des actifs et leurs revenus qui peuvent eux aussi
modifier la perception du risque par les banques.

4.3.3. Le canal des prix d’actifs


La politique monétaire peut agir en modifiant le prix des actifs financiers (actions et
obligations) et immobiliers. Une politique monétaire accommodante va avoir un effet positif
sur le prix des actifs via une baisse des taux d’intérêt. La baisse des taux d’intérêt a un effet
mécanique sur le prix des actifs, qui augmente de manière inversement proportionnelle. En
effet, une baisse des taux d’intérêt incite les agents à acheter des actifs déjà émis dont le taux
de rendement, déterminé dans le passé, est plus élevé que le taux des actifs nouveaux. En
augmentant la demande pour ces actifs sur les marchés secondaires, leurs prix augmentent

16
pour rétablir l’équilibre entre prix et rendements pour des actifs de risques similaires. La
transmission de la hausse des prix d’actifs à l’économie réelle se fait par deux canaux
principaux selon le type d’agents.

4.3.3.1. Effet de richesse pour les ménages


La hausse des prix d’actifs financiers et immobiliers augmente la richesse des ménages.
Cette hausse de patrimoine va inciter les ménages à consommer davantage et à épargner
moins. À l’inverse, lorsque les taux augmentent et que les prix d’actifs baissent, les ménages
sont incités à épargner plus (moins consommer) pour atteindre leur objectif de richesse.
4.3.3.2. Effet du Q de Tobin pour les entreprises
Une politique monétaire accommodante peut entraîner la hausse de l’investissement en
soutenant le prix des actions des entreprises. La hausse des prix d’actions stimule
l’investissement via l’effet sur le Q de Tobin. Tobin (1969) introduit un ratio Q rapportant la
valeur cotée en Bourse d’une entreprise et la valeur de remplacement de son capital fixe. Si le
ratio Q est supérieur à 1, l’entreprise sera incitée à investir car l’accroissement de capital aura
une valeur boursière supérieure au montant investi.

4.3.4. Le canal externe (ou canal de change)


Avec un rôle de plus en plus important dans les relations économiques et financières
internationales, le canal externe prend une place centrale dans la transmission de la politique
monétaire, surtout dans les petites économies ouvertes, qui deviennent très sensibles aux
conditions monétaires des grands pays avancés. La transmission de la politique monétaire se
fait dans ce cas par ses effets sur la variation des taux de change.
4.3.5. Canal des anticipations et crédibilité des banques centrales
4.3.5.1. Le canal des anticipations
Le canal des anticipations est le dernier canal important de la transmission de la politique
monétaire. Dans le cadre de leurs décisions économiques, les agents économiques intègrent de
nombreuses anticipations sur les niveaux futurs de consommation, d’investissement, de
capacité de production, de salaires et de prix. Ces anticipations jouent un rôle important dans
la détermination des variables économiques. La politique monétaire actuelle envoie donc
des indications sur la perception par la banque centrale de l’état futur de l’économie et de
ses décisions de taux d’intérêt futures. La banque centrale peut ainsi jouer sur les anticipations
que forment les agents économiques. Comme le résultat de la politique monétaire varie selon les
anticipations des agents, le défi principal des banques centrales est de gérer correctement les
anticipations.
4.3.5.2. La crédibilité des banques centrales
Dans ce contexte, la crédibilité de la banque centrale est une condition essentielle. Les banques
centrales ont pris de nombreuses mesures pour améliorer la crédibilité de leur politique
monétaire, notamment pour celles qui ont adopté des stratégies de ciblage d’inflation (inflation
targeting). Cette amélioration de la crédibilité passe par une meilleure communication et une
transparence accrue pour que les agents se fient à ses engagements. Une banque centrale est dite
crédible si « les gens croient qu’elle fera ce qu’elle dit » (Blinder, 2000).
Les bénéfices de l’engagement (commitment) d’une autorité de politique économique ont été
mis en évidence par Kydland et Prescott (1977), préconisant que la mise en place d’une règle
de politique économique était souhaitable pour résoudre les problèmes d’incohérences
temporelles (une décision optimale aujourd’hui peut ne plus l’être dans le futur, amenant

17
l’autorité à revenir sur l’annonce faite initialement, ce qui peut être perçu par les agents
comme une volonté de les tromper). À la suite de Kydland et Prescott (1977), Barro et
Gordon (1983) se réfèrent aussi à l’utilisation d’une règle « optimale » ou « pré-engagée »,
tandis que la discrétion est considérée comme « incohérente » ou « à courte vue ».

4.3.5.3. Règle ou discrétion ?


La règle proposée par Taylor (1993) peut être vue comme un exemple de règle de politique
monétaire, étant à la fois flexible et robuste dans le temps et adaptée à différents types
d’économie. La règle établit que le taux d’intérêt de court terme devrait être déter miné
¿
par trois facteurs : (1) l’écart de l’inflation π t par rapport à la cible de la banque centrale π t ;
(2) l’écart de la production y t par rapport à son niveau y t de plein emploi (ou niveau
potentiel) ; et (3) le niveau du taux d’intérêt de court terme compatible avec le plein emploi
¿ ¿
(c’est-à-dire la somme du taux d’intérêt réel d’équilibre r t et de la cible d’inflation π t ). Elle
s’écrit généralement ainsi :
i t =ρi t −1+ (1−ρ ) [ ( r ¿t + π ¿t ) +θ π ( π t −π ¿t ) +θ y ( y t− y t ) ]
Avec i t le taux d’intérêt, ρ un paramètre de lissage des taux d’intérêt, θ π et θ y les paramètres
de sensibilité de la règle respectivement aux écarts d’inflation et de production. Pour une cible
d’inflation à 2% et un taux d’intérêt réel d’équilibre de 2%, Taylor propose de calibrer θ π à
1,5 et θ y à 0,5.
Evidemment, cette règle est suffisamment simple pour permettre à la banque centrale de
garder un certain niveau de discrétion autour de la règle. Toutefois, Taylor avance qu’une
politique basée sur une telle règle est importante pour établir la crédibilité des banques
centrales et la prédictibilité de ses actions futures par les agents privés.
Enfin, pour asseoir sa crédibilité et respecter ses engagements, la banque centrale doit être
indépendante des autres autorités de politique économique. Barro et Gordon (1983) montrent
que des banques centrales plus indépendantes permettent d’atteindre des taux d’inflation plus
faibles.

4.4. Politiques monétaires non conventionnelles


4.4.1. Les limites du taux d’intérêt
Le rôle des banques centrales et leurs moyens d’action ont connu beaucoup d’évolution au
cours de l’histoire et selon les pays. L’attention s’est focalisée sur l’objectif de stabilité
monétaire et en particulier sur le contrôle de l’inflation à partir de la fin des années 1970, dans
la plupart des économies avancées. La majorité des banques centrales ont ainsi adopté une
cible d’inflation autour de 2%. Les taux directeurs constituaient le principal outil de politique
monétaire. Ils influencent, en effet, l’ensemble des autres taux d’intérêt : ceux du marché
interbancaire, ceux des marchés obligataires et ceux des crédits.
À la suite de la crise financière mondiale, les banques centrales ont mené des politiques
monétaires très accommodantes, avec une baisse des taux d’intérêt directeurs de plusieurs
centaines de points de base. Malgré ces baisses des taux, le fonctionnement des canaux de
transmission de la politique monétaire, tels qu’on les a vus plus haut, a été perturbé et
l’accommodation monétaire ne s’est pas correctement transmise à l’économie réelle.
Les mouvements des taux directeurs devenant moins efficaces au fur et à mesure qu’ils
s’approchaient de la borne de zéro, les banques centrales ont mis en place des politiques
monétaires non conventionnelles passant par l’utilisation de leur bilan, sous la forme d’octroi
de liquidités à long terme et à taux fixe ainsi que via des programmes d’achats de titres

18
publics et privés. L’objectif principal des politiques monétaires non conventionnelles est de
faire augmenter le prix des actifs et de favoriser les conditions de financement.
La principale des politiques dites « non conventionnelles » dont les banques centrales des
pays occidentaux ont eu recours à la suite de la crise financière de 2007-2008 est le
quantitative easing (QE) ou assouplissement quantitatif.

4.4.2. Le « Quantitative Easing » (QE)


Le quantitative easing (ou assouplissement quantitatif) consiste, pour une banque centrale, à
intervenir de manière massive et prolongée sur les marchés financiers en rachetant des titres
financiers (principalement des titres de dette), avec de la monnaie qu’elle crée. La plupart du
temps, les titres sont rachetés à des banques, mais parfois aussi à d’autres acteurs financiers.
Par ailleurs, le QE prend le plus souvent la forme de rachats d’actifs, c’est-à-dire qu’il s’agit
d’opérations effectuées sur le « marché secondaire ». Dans leur majorité, les programmes de
QE ont concerné des rachats de titres de dette publique (government bonds). De plus, les
programmes de QE ne réduisent pas la dette publique, ils en transfèrent simplement la
propriété (puisque ce sont des opérations sur le marché secondaire). Il est important de
rappeler que le marché primaire (marché du neuf) désigne le marché sur lequel un émetteur
(un Etat, une entreprise) introduit pour la première fois des titres financiers (actions, titres de
dette). Ces titres peuvent ensuite être échangés sur le marché secondaire (marché de
l’occasion). Si les opérations de QE se déroulent principalement sur le marché secondaire,
elles peuvent parfois se dérouler sur le marché primaire : dans ce cas, la banque centrale
achète directement le titre de dette à l’émetteur. Cette pratique est cependant beaucoup moins
répandue et totalement interdite par les traités européens pour les achats de titre de dette
publique.

19
Chapitre 2. Théories monétaires et financières
Les agents non financiers détiennent de la monnaie (appelée « encaisses monétaires ») parce
que celle-ci remplit les fonctions que nous avons étudiées précédemment. Mais poser la
question des motifs de détention de la monnaie, c’est aussi poser la question de la nature de la
monnaie : est-ce un bien comme les autres, que l’on va détenir parce qu’il satisfait un besoin
ou bien est-ce un bien particulier ? Schématiquement, on peut distinguer trois grandes
approches théoriques de la demande de monnaie, l’approche classique puis néoclassique,
l’approche keynésienne et l’approche monétariste.

1. La théorie classique de la monnaie


L’analyse des classiques repose sur la loi des débouchés et aboutit à la théorie quantitative de la
monnaie.

1.1. La loi des débouchés de la monnaie


Dans son Traité d’économie politique, l’économiste français Jean-Baptiste Say formulait en
1803 la loi des débouchés selon laquelle « toute offre crée sa propre demande », c’est-à-dire
que « c’est la production qui offre des débouchés aux produits ». Cette loi constitue un pilier
principal de la théorie de l’offre et a des conséquences importantes dans une économie
monétaire. L’échange de produits contre des produits que l’on trouve au niveau d’une
économie de troc reste valable dans une économie monétaire car la monnaie ne fait l’objet
d’aucune demande pour elle-même. Elle n’est qu’un voile qui sert à véhiculer les produits.
Ainsi, la quantité de monnaie en circulation influe uniquement sur le niveau des prix mais elle
n’affecte pas le niveau de la production. Cette approche est qualifiée de dichotomique en ce
sens qu’elle sépare la sphère réelle et la sphère monétaire. Cette vision dichotomique a ensuite
été reprise par I. Fisher à travers la théorie quantitative de la monnaie.

1.2. L’équation quantitative d’Irving Fisher


I. Fisher (1911) va réactualiser la théorie quantitative de la monnaie en formalisant l’idée
d’une liaison entre la quantité de monnaie en circulation et le niveau des prix, dans ce qu’on a
appelé l’équation quantitative de la monnaie. La théorie quantitative de la monnaie met en
relation la quantité de monnaie en circulation M, sa vitesse de circulation V, le niveau des prix
P et le volume de production Y sous la forme :
M .V =P. Y
L’idée est ainsi la suivante : « dans le total de l’ensemble des échanges d’une année, la valeur
totale de la monnaie payée est égale à la valeur totale des biens achetés ». I. Fisher (1911 :
20).
Fisher pose trois hypothèses fondamentales qui vont avoir une portée en termes de politique
monétaire :
 A court terme, la vitesse de circulation de la monnaie est constante ;
 L’économie est en situation de plein-emploi. Dès lors, le volume des transactions est
stable ;
 Les autorités monétaires contrôlent parfaitement la masse monétaire. L’offre de
monnaie est par conséquent exogène. Ce sont les autorités monétaires qui décident de
l’évolution de la masse monétaire (expansion ou diminution).

20
1.2. La demande de monnaie de l’école de Cambridge : équation des encaisses de
Cambridge
Une deuxième formulation de la théorie quantitative de la monnaie date de 1917 et émane de
deux économistes anglais : Alfred Marshall et Arthur Cecil Pigou.
Pour Marshall (1922) et Pigou (1917), la demande de monnaie naît de la volonté des
individus de détenir des liquidités leur permettant d’effectuer des transactions. On retrouve
donc toujours l’idée selon laquelle la monnaie est exclusivement transactionnelle. Dans cette
analyse, la demande de monnaie Md est une fonction du PIB en volume Y et du niveau des
prix P ainsi que d’un coefficient k.

Md
Soit Md−k . P . Y ou −k . Y
P
Md
étant défini par Pigou comme les encaisses réelles (représentent les encaisses déflatées du
P
niveau général des prix, c’est-à-dire le pouvoir d’achat de ces encaisses) qui dépendent de Y et du
coefficient k .
Pigou va montrer que si le niveau des prix augmente, les agents vont chercher à maintenir
leurs encaisses réelles afin que leur pouvoir d’achat ne varie pas, la demande de monnaie va
donc s’accroître. Les agents vont ainsi accroître la part de leur revenu qu’ils détiennent en
encaisses monétaires : c’est l’effet d’encaisse réelle ou effet Pigou.
Ces agents rationnels ne sont pas victimes de l’illusion monétaire (comportement qui consiste
à confondre accroissement des encaisses monétaires et accroissement du pouvoir d’achat.

2. L’approche keynésienne de la monnaie : la demande de monnaie et la préférence pour


la liquidité
L’approche keynésienne du rôle de la monnaie est aux antipodes de l’approche développée
par les classiques. À « la monnaie n’est qu’un voile » de Say, Keynes oppose un rôle
particulier à la monnaie. La monnaie, pour Keynes, n’est pas un simple actif facilitant
l’échange et permettant la synchronisation entre les recettes et les dépenses des individus.
Bien au-delà, pour Keynes, la monnaie est un actif en soi et peut donc être demandée pour
elle-même en raison de ce que Keynes appelle la préférence pour la liquidité. Si Keynes va
reprendre et compléter le motif de transaction précédemment développé par les classiques, il
met également en place un nouveau motif de détention de la monnaie suite à l’hypothèse de
préférence pour la liquidité : le motif de spéculation.
2.1. La demande de monnaie transactionnelle
Pour les ménages comme pour les entreprises, il existe un décalage temporel entre la
perception du revenu ou des recettes et la succession des dépenses. Les salaires des
travailleurs sont perçus en une seule fois en fin de mois alors que les dépenses s’échelonnent
sur la durée totale du mois suivant. Les agents économiques détiennent une partie de leurs
ressources sous forme de monnaie pour régler les dépenses courantes. La détention concerne
ici un motif de transaction ou de trésorerie. Ensuite, le motif de précaution. Il concerne la
détention de liquidités pour faire face à des dépenses imprévues comme la maladie, les
accidents ou d’éventuelles opportunités. Ces deux motifs déterminent une demande de
monnaie transactionnelle (Mt) qui dépend du revenu national Y. Toute augmentation de ce
dernier entraîne un nombre plus élevé de transactions et une plus grande demande de monnaie
pour satisfaire les échanges. La demande de monnaie transactionnelle est donc
proportionnelle au revenu national.

21
(1) Mt=Mt(Y) avec la dérivée première positive. Cette demande de monnaie transactionnelle
est totalement indépendante du taux d’intérêt.
2.2. La demande de monnaie spéculative
À la demande de monnaie transactionnelle, Keynes ajoute une seconde composante qui est
indépendante du revenu, mais reliée au taux d’intérêt : la demande de monnaie spéculative. Le
motif de spéculation donne à la monnaie un rôle de réserve de valeur. Il résulte de la
possibilité pour un spéculateur de conserver une partie de ses avoirs financiers sous forme
liquide pour bénéficier au mieux des fluctuations du marché des titres. Ce motif de
spéculation conduit à une relation décroissante entre la demande de monnaie spéculative et le
taux d’intérêt. Cette relation tient au fait que le taux d’intérêt et le cours des titres à revenu
fixe varient en sens inverse.
La demande de monnaie spéculative (Ms) est ainsi une fonction décroissante du taux d’intérêt
: (2) Ms=Ms (i) avec la dérivée première négative.
Keynes souligne cependant deux particularités à cette fonction :
– il existe un taux d’intérêt maximum (i
- Il existe un taux d’intérêt maximum (imax) au-delà duquel la demande de monnaie
spéculative est nulle. Le taux d’intérêt est tellement élevé que tous les agents
économiques sont persuadés qu’il ne peut que baisser. Chacun d’eux anticipe une
hausse du cours des titres et échange la totalité de ses encaisses spéculatives contre des
titres. La préférence pour la liquidité est nulle, alors que celle pour les titres est totale ;
– il existe un taux d’intérêt minimum (i
- Il existe un taux d’intérêt minimum (imin) en deçà duquel la demande de monnaie
spéculative est infinie. Le taux d’intérêt est tellement bas que tous les agents sont
persuadés qu’il ne peut que monter. Chacun d’eux anticipe une baisse du cours des
titres et échange la totalité de ses titres contre des encaisses spéculatives. La
préférence pour la liquidité est totale, alors que celle pour les titres est nulle. Keynes
appelle cette situation extrême la trappe à liquidité.
La demande globale de monnaie est la somme de la demande de monnaie transactionnelle et
de la demande de monnaie spéculative. Elle est exprimée en termes réels. On parle de
demande d’encaisses réelles (MD): (3) MD=Mt + Ms

3. M Friedman et les monétaristes : Les approches monétaristes


L’idée de dichotomie se retrouvera plus tard chez Friedman et les monétaristes, sous sa
forme faible, c’est-à-dire que la neutralité de la monnaie s’applique à long terme
seulement, alors qu’elle est active à court terme. Pour Friedman, « l’inflation est toujours
et partout un phénomène monétaire en ce sens qu’elle est et qu’elle ne peut être générée
que par une augmentation de la quantité de monnaie plus rapide que celle de la
production » (1970). À court terme, cependant, les individus peuvent interpréter une
augmentation de l’offre de monnaie comme une hausse de leur revenu réel (illusion
monétaire), ce qui les pousse à consommer et investir davantage. Lorsqu’ils se rendent
compte via une hausse de l’inflation que le phénomène est purement monétaire, ils
ajustent leurs anticipations de sorte qu’à long terme, la monnaie reste complètement
neutre. Friedman et les monétaristes défendent la dichotomie faible (monnaie active à
court terme, neutre à long terme) et soutiennent que les agents économiques forment leurs
anticipations de manières adaptatives de sorte qu’une politique monétaire expansionniste
n’aura un effet positif sur l’économie réelle qu’à court terme.

22
4. La monnaie selon l’approche des « nouveaux classiques » : les anticipations
rationnelles
La neutralité de la monnaie sera reprise par les économistes de la nouvelle
macroéconomie classique, qui fonderont la théorie du cycle réel ( Real Business Cycle ou
RBC) dans laquelle les agents sont rationnels et les fluctuations économiques ne sont que
le résultat de leur réaction à des chocs de productivité exogènes. L’introduction
d’anticipations rationnelles a modifié l’hypothèse de neutralité de la monnaie à long terme.
En effet, sous anticipations rationnelles, les agents sont capables d’anticiper parfaitement les
effets de la politique monétaire sur l’économie. Lucas (1972) propose un modèle avec
anticipations rationnelles dans lequel les cycles découlent de réponses rationnelles des agents
à des chocs monétaires non anticipés.

5. La finance dans les théories macroéconomiques


La finance a joué un rôle plus ou moins important dans la macroéconomie selon les écoles
théoriques. Dans la théorie néo-classique, la finance est « un voile » qui implique son
insignifiance. Les monétaristes et la théorie du cycle réel ignoreront aussi la finance comme
facteur des évolutions macroéconomiques réelles. À l’inverse, les économistes qui ont
observé les ravages de l’instabilité financière au cours de la Grande Dépression (Fisher,
Keynes, Minsky) mettent l’accent sur l’instabilité financière comme facteur d’évolutions
réelles.

5.1. La théorie de la déflation par la dette de Fisher


Pour Fisher (1933), il existe deux facteurs dominants à la dépression économique, qu’il
compare à deux maladies : « le surendettement pour commencer, suivi de la déflation peu
après. […] J’ai actuellement la ferme conviction que ces deux maladies économiques – la
maladie de la dette et la maladie des prix (ou maladie du dollar) sont, dans les grands booms
et les grandes dépressions, des causes plus importantes que toutes les autres » (p. 340-341).
En étudiant la Grande Dépression de 1929-1933, Fisher élabore une théorie du cycle en
supposant tout d’abord que l’équilibre économique est perturbé par une situation de
surendettement. Ce niveau de dette excessive fragilise la situation financière des agents,
notamment les entreprises qui sont traditionnellement les agents à besoin de financement. En
réaction à cette fragilité financière, les agents vont essayer de rétablir leur équilibre financier
en liquidant leurs dettes, poussés par l’affolement des débiteurs et/ou des créanciers.
Une chaîne de conséquences en neuf étapes se met alors en marche :

1. La liquidation des dettes conduit à des ventes en catastrophe pour obtenir rapidement
des liquidités.
2. La liquidation des dettes entraîne aussi une contraction des dépôts (les prêts étant
remboursés) et une baisse de la vitesse de circulation de la monnaie.
3. Les ventes en catastrophe et la contraction des dépôts et de leur vitesse de circulation
amène à la déflation (chute du niveau général des prix).
4. La déflation entraîne une chute importante de la valeur nette des entreprises, entraînant
des faillites.
5. La déflation entraîne aussi une chute des profits.
6. Les entreprises qui font des pertes procèdent à des réductions de production,
d’échanges et d’emplois, créant une baisse de la croissance et une hausse du chômage.

23
7. La hausse des faillites et du chômage ébranle la confiance et augmente le pessimisme
des agents économiques.
8. Ce pessimisme amène une augmentation de l’épargne (thésaurisation) et une baisse
supplémentaire de la vitesse de circulation de la monnaie. Le secteur bancaire se
trouve alors en danger (panique bancaire), les banques vendant leurs actifs et réduisant
les prêts pour se protéger.
9. Les huit étapes précédentes amènent une baisse des taux d’intérêt nominaux et une
hausse des taux d’intérêt réels.

Comme expliqué par Fisher, l’ordre chronologique observé dans la réalité peut différer de cet
ordre « logique » en fonction des circonstances et des pays. De plus, il mentionne qu’une
représentation linéaire des enchaînements est « inadéquate » et avance qu’il serait plus facile
de les représenter sous la forme d’un « réseau interactif dans lequel chaque facteur peut être
représenté comme influençant et étant influencé par tout ou partie des autres facteurs ».
Enfin, Fisher explique que si l’on exclut la première et la dernière étape de sa liste
« logique », toutes les évolutions de variables sont dues à la déflation. Ainsi, lorsque le
surendettement n’entraîne pas de chute des prix, alors le cycle sera beaucoup moins sévère.
De même, si la déflation est liée à d’autres facteurs que le surendettement, les conséquences
sont également moins graves. C’est bien la combinaison des deux « maladies »
(surendettement et déflation), ainsi que leurs interactions, qui causent les dépressions les plus
sévères.

5.2. Finance et cycle chez les keynésiens


Keynes utilise la première fois le terme « finance » (avec guillemets) en 1937 dans un article
de l’Economic Journal. La « finance » désigne le crédit bancaire nécessaire dans l’intervalle
entre le projet d’investissement et son exécution (Keynes, 1937). Cet article vise à compléter
sa Théorie générale et défendre l’idée d’antériorité de l’investissement par rapport à
l’épargne, contrairement aux classiques pour lesquels l’épargne précède l’investissement et le
taux d’intérêt est déterminé sur le marché des titres (voir plus haut la théorie des fonds
prêtables).
Dans l’analyse keynésienne, le taux d’intérêt ne détermine pas l’épargne (qui n’est fonction
que de la propension marginale à consommer) mais l’allocation de l’épargne entre titres et
liquidités, le taux d’intérêt étant ainsi le prix de renonciation à la liquidité. Selon la théorie de
la préférence pour la liquidité, le taux d’intérêt se détermine sur le marché monétaire en
confrontant offre de monnaie (contrôlée par la banque centrale) et demande de monnaie. Dans
ces conditions, la monnaie n’est pas neutre puisque le taux d’intérêt joue un rôle central dans
les décisions d’investissement et, partant, sur l’activité économique. Une augmentation de
l’offre de monnaie (politique monétaire accommodante) va réduire le taux d’intérêt et

24
encourager ainsi l’investissement. Par l’effet d’accélérateur, l’augmentation de
l’investissement va stimuler l’activité économique.
Dans l’article sur la « finance », Keynes ajoute aux trois motifs de demande de monnaie
(transaction, précaution et spéculation), un nouveau, le motif de finance, qu’il définit de la
manière suivante : « Pendant la période de transition – et pendant cette période seulement –
entre la date où l’entrepreneur met en place son financement et la date où il investit
réellement, il y a une demande additionnelle de liquidités sans qu’aucune offre additionnelle
ne survienne nécessairement » (Keynes, 1937, p. 218).
Dans ce cas, les projets d’investissement nécessitent l’intervention de la finance via le crédit,
qui entraîne une augmentation de la demande de monnaie et ainsi du taux d’intérêt. La
« finance » joue alors le rôle d’un mécanisme d’avance monétaire, offert par les banques entre
la planification et l’exécution d’un projet d’investissement, et conforme au modèle de
l’économie monétaire de production.

5.3. La théorie de sélection (choix) de portefeuille et la théorie « Q » de Tobin


James Tobin va mettre en évidence le mécanisme de transmission des variables
monétaires via les marchés d’actifs à travers deux importantes contributions : la théorie du
portefeuille et la théorie « Q » de l’investissement.
Tobin reformule tout d’abord la théorie de la préférence pour la liquidité de Keynes. Parmi les
motifs de détention de la monnaie, Keynes avait avancé un motif de spéculation car, en raison
de l’incertitude sur le niveau des taux d’intérêt et des cours des titres, un agent peut vouloir
détenir de la monnaie. Mais la théorie keynésienne de la demande de monnaie à des fins de
spéculation ignorait la possibilité de diversification. En effet, Keynes supposait que les agents
ne pouvaient détenir qu’un portefeuille composé soit d’obligations, lorsque leur taux de
rendement anticipé était supérieur au taux de rendement anticipé de la monnaie (c’est-à-dire
zéro selon Keynes), soit de la monnaie, dans le cas inverse. Or ceci est contraire à ce que l’on
observe dans la réalité.
Tobin va repartir de l’hypothèse keynésienne de détention de richesse sous forme
d’obligations ou de monnaie mais en intégrant la théorie du portefeuille de Markowitz (1952),
qui montre que la volatilité des rendements peut être réduite en investissant dans des actifs
non corrélés. La théorie du portefeuille met en avant le rôle de la monnaie comme réserve de
valeur, impliquant que les agents économiques puissent détenir de la monnaie comme l’un des
actifs de leur portefeuille. Cette détention de monnaie dans un portefeuille d’actifs s’explique
par le fait que la monnaie offre une combinaison différente du couple rendement-risque que
les autres actifs moins liquides (les obligations par exemple).
Tobin construit ainsi un modèle de demande de monnaie à fins de spéculation pour un agent
qui considère, outre le rendement de ses actifs, le niveau de risque qui leur est associé. La
monnaie est un actif à rendement nul mais également à risque nul, alors que les actions et les
obligations peuvent avoir un rendement positif mais font face à un risque non nul de perte.
Comme les individus ont des niveaux d’aversion pour les risques différents, ils vont détenir
chacun un portefeuille diversifié mélangeant obligations et monnaie. Tobin met au point un
modèle de structure de portefeuille optimale qui prône la diversification sous forme de
détention de plusieurs classes d’actifs. Le portefeuille optimal est une combinaison d’actifs de

25
faible risque et d’actifs dont le niveau de risque est plus élevé. Dans l’exposé de sa théorie,
Tobin ne considère que deux classes d’actifs, la monnaie et les obligations.
La fonction de demande de monnaie peut donc s’écrire :

où (M/P)d est la demande de monnaie réelle (M : monnaie en terme nominal et P : niveau


général des prix), rb : le rendement réel anticipé des obligations, πe : le taux d’inflation
anticipé et W : la richesse réelle. La théorie du portefeuille optimal de Tobin détermine
l’allocation de portefeuille entre détention de monnaie (M) et détention d’obligations (B),
sous la contrainte W = M + B. La meilleure anticipation du taux de rendement anticipé des
obligations (rb) est le taux d’intérêt du marché (r).
Même si la théorie de Tobin diffère de celle de Keynes, la conclusion principale reste la
même, à savoir que la demande de monnaie à des fins de spéculation est une fonction
décroissante des taux d’intérêt.
La transmission de la politique monétaire chez Keynes passait essentiellement par le taux
d’intérêt. En se basant sur les mécanismes de sa théorie du portefeuille, Tobin (1969) va
mettre en évidence un autre canal de transmission via le prix des actifs. Il définit la
variable q comme le ratio entre la valeur de marché d’une entreprise (la valeur de ses actions)
et le coût de remplacement du capital :

Les entreprises seront incitées à investir lorsque q > 1, puisqu’il sera relativement bon marché
pour les entreprises de remplacer leur capital (par exemple en faisant une augmentation de
capital pour obtenir des fonds supplémentaires). Le niveau d’équilibre de l’investissement
sera atteint lorsque q =1.
Au niveau de l’économie, en additionnant toutes les variables q des entreprises, on obtient la
valeur Q agrégée. Si la valeur des actions sur les marchés augmente, la variable Q va
augmenter aussi, ce qui signifie qu’il est relativement bon marché pour les entreprises
d’investir. Ceci amène à une croissance de l’investissement agrégé qui a un impact positif sur
la croissance.
La contribution de Tobin à la macroéconomie financière se résume ainsi au rôle important
joué par les marchés financiers comme source d’information et comme mécanisme
d’allocation de l’épargne et de l’investissement dans une économie.
5.4. L’hypothèse d’instabilité financière de Minsky
Hyman Minsky (1982) offre une interprétation de la Théorie générale de Keynes à travers son
hypothèse d’instabilité financière. Le point de départ de son apport se réfère à l’argument de
Keynes selon lequel l’économie se caractérise non seulement par un chômage persistant mais
aussi par une instabilité persistante. Cette instabilité est systématique et non le fruit de chocs
exogènes aléatoires. Elle est liée aux forces déséquilibrantes des marchés financiers qui
affectent principalement la valorisation des actifs par rapport au coût de l’investissement.
Lorsque les anticipations pour le futur sont optimistes, le prix des actions augmente, ce qui
rend possible l’accès à la finance pour les agents à besoin de financement. En d’autres termes,

26
le prix des actions, en tant que somme actualisée des profits futurs, joue le rôle de collatéral
contre lequel des entreprises peuvent emprunter sur les marchés financiers ou auprès des
banques. Cependant, la valorisation des actions se base sur des éléments incertains et est donc
très sensible au degré de confiance des marchés quant au futur de l’économie. Ainsi, lorsque
les marchés estiment que la performance économique réalisée est moindre que celle anticipée
dans les cours d’actions, les cours d’actions sont perçus comme surévalués et les marchés
financiers qui étaient jusque-là un stimulant se mettent à freiner l’économie. Initialement tirée
par la dette, l’économie devient accablée par son endettement excessif.
L’hypothèse de Minsky met en avant trois types d’emprunteurs (et donc trois types de
financement) dans leur relation entre endettement et revenus :

 Le financement couvert (hedge financing) : les flux de trésorerie générés par


l’entreprise endettée sont supérieurs au service de la dette (paiements des
intérêts et du principal).
 La finance spéculative : les flux de trésorerie sont suffisants pour assurer le
paiement des intérêts mais ne permettent pas de rembourser le principal. Dans
ce cas, les entreprises doivent émettre de nouvelles dettes pour assurer le
remboursement des dettes arrivées à leur terme (on parle de « roll over debt »).
 Le financement de Ponzi (Ponzi finance) : les flux de trésorerie générés ne
suffisent ni au paiement des intérêts ni au remboursement du principal. Dans ce
cas, l’entreprise doit soit s’endetter davantage, soit vendre des actifs pour faire
face à leurs engagements.

Le système financier va générer des cycles économiques en alternant des phases de stabilité,
dans lesquelles le financement couvert est dominant, et des phases d’instabilité, caractérisée
par des financements spéculatifs ou de Ponzi. De ce constat découle le premier théorème de
l’hypothèse d’instabilité financière.

27
Chapitre 3. Crises bancaires et bulles de prix d’actifs

1. Théories des bulles de prix d’actifs


1.1. Définition de bulles de prix d’actifs
Il est difficile de trouver une définition unique d’une bulle. Pour Kindleberger (1978), une
bulle est un « mouvement de prix à la hausse sur une période étendue de temps de 15 à 40
mois et qui explose ensuite ». Pour Brunnermeier (2008), « les bulles se réfèrent à des prix
d’actifs qui dépassent leur valeur fondamentale parce que leurs détenteurs croient pouvoir les
revendre à un prix encore plus élevé ». Enfin, pour Schiller (2012), il s’agit d’une « épidémie
sociale dont la contagion dépend des mouvements de prix ».

La dynamique de la formation et de l’éclatement d’une bulle a été décrite par le modèle de


Minsky. On peut distinguer cinq phases (Brunnermeier et Oehmke, 2013) :
 La phase d’innovation (displacement) qui crée des anticipations de profit plus élevés
et de croissance plus forte ;
 La phase de boom (boom phase) caractérisée par une faible volatilté, une expansion du
crédit et des hausses de l’investissement. Les prix des actifs augmentent lentement au
début, puis une dynamique explosive les amène largement au-dessus de leur valeur
fondamentale ;
 La phase d’euphorie (euphoria) dans laquelle les investisseurs échangent l’actif
surévalué avec frénésie. Les prix augmentent de façon explosive et le volume
d’échange et la volatilité augmentent ;
 La phase de prise de profit (profit taking) par les investisseurs les plus avisés qui
réduisent leur position. La demande pour l’actif demeure importante du fait de
nouveaux investisseurs moins avisés ;
La phase de panique (panic) déclenchée par les premières baisses de prix qui amènent les
investisseurs à se débarrasser de l’actif, ce qui provoque une spirale baissière des prix.
L’apparition de bulles est donc le plus souvent liée à l’existence de frictions. Brunnermeier
(2008) et Brunnermeier et Oehmke (2013) recense quatre grandes catégories de modèles.

1.2. Bulles rationnelles sans frictions


Les bulles avec investisseurs rationnels peuvent apparaître car ces investisseurs
souhaitent continuer à détenir l’actif tant qu’ils anticipent que son prix va continuer de croître
dans le futur. Dans le cas d’un modèle à anticipations rationnelles, le prix d’une action est
égal à la valeur actualisée de la somme de son prix anticipé pour la période suivante,
augmentée du dividende attendu pour cette période. Pour le montrer, rappelons que le
rendement net d’une action à la période suivante (r t +1 ) est :

( pt +1 +d t +1 )
r t +1= −1
p t+ 1

Avec respectivement pt et d t , le prix de l’action et le dividende à la période t. En prenant


cette expression en anticipations rationnelles on obtient :

28
pt +1=E t
[ pt +1 +d t +1
1+r t +1 ]
L’on est en présence d’une équation différentielle où le prix d’une action dépend du prix futur
anticipé. Cette équation admet une infinité de solution.
En effet, en supposant pour simplifier que Et [ r t+ 1 ] =r . On peut résoudre l’équation
différentielle par substitutions itératives et obtenir :

[ ] [ ]
T −t
1 1
pt =Et ∑ τ
+ Et p
T −t T
τ=1 ( 1+r ) ( 1+r )

Le prix de l’action à la période t est donc la somme actualisée des dividendes futurs plus la
valeur actualisée de la valeur de l’action à la période T.
Le prix correspondra à la somme actualisée des dividendes futurs, que l’on appelle aussi la

[
valeur fondamentale ν t, si lim E t
T→∞
1
(1+ r )T−t
p T =0
]
1.3. Bulles avec asymétries d’information
En présence d’asymétrie d’information, une condition pour qu’une bulle existe est qu’elle ne
soit pas connue de tous (Brunnermeier, 2001). Ainsi, des bulles peuvent apparaître parce que
les investisseurs ne connaissent pas les croyances des autres investisseurs (absence de
connaissance commune). S’il était au contraire communément connu que l’économie se
trouve initialement à un optimum de Pareto, alors des bulles rationnelles ne pourraient pas se
former car tout le monde saurait qu’il n’y a aucun gain à l’échange et l’acheteur d’un actif
surévalué saurait que le vendeur rationnel ferait un gain à ses dépens (Tirole, 1982). Si, au
contraire, il n’est pas communément connu que l’on se trouve à l’équilibre (asymétrie
d’information), alors même si tous les investisseurs croient que la valeur d’un actif est
supérieure à sa valeur fondamentale, ils peuvent tous croire rationnellement qu’ils pourront la
revendre à quelqu’un d’autre à un prix plus élevé.

1.4. Bulles dues aux limites d’arbitrage


Les bulles dues aux limites d’arbitrage apparaissent dans les modèles dans lesquels les
investisseurs ont des anticipations hétérogènes. Deux types d’investisseurs interagissent : des
investisseurs avisés, rationnels et bien informés qui connaissent les fondamentaux et des
investisseurs non-rationnels qui réagissent aux bruits (« noise traders ») et sont influencés par
des motifs psychologiques. Sous l’hypothèse d’efficience des marchés, les bulles ne
pourraient pas apparaître car les investisseurs rationnels réagiraient avant même que la bulle
n’apparaisse.
Par contre, en présence de limites d’arbitrage, les bulles peuvent persister.

1.5. Bulles avec croyances hétérogènes


Les bulles peuvent émerger lorsque les investisseurs ont des croyances hétérogènes (certains
investisseurs étant plus optimistes que d’autres) et font face à des contraintes liées aux
ventes à découvert. En effet, la présence d’optimistes pousse les prix à la hausse,

29
alors que les pessimistes ne peuvent pas rééquilibrer le marché puisqu’ils sont contraints par
les ventes à découvert.

1.6. Bulles et crédit


Allen et Gale (2000a) développent un modèle de bulles sur prix d’actifs qui tient à l’existence
d’un problème d’agence dans le secteur bancaire. De nombreux investisseurs sur les marchés
d’actions ou dans l’immobilier obtiennent les fonds à investir du secteur bancaire. Ces actifs
risqués sont relativement attractifs parce que les investisseurs peuvent éviter d’encourir des
pertes en cas de situations de marchés peu favorables en faisant défaut sur leurs prêts
bancaires. Ce transfert de risque amène les investisseurs à offrir des prix pour les actifs
risqués supérieurs à leurs valeurs fondamentales. Dans ce cas, il existe un lien étroit entre la
formation des bulles et le volume de crédit octroyé par le système bancaire. Une libéralisation
financière, en augmentant l’offre de crédit et en créant une incertitude sur la croissance future
du crédit disponible, interagit avec ce problème d’agence et peut amener à la formation de
bulles sur des marchés d’actifs financiers. La crise financière intervient lorsque la bulle éclate,
soit parce que les rendements sont plus faibles que prévus, soit parce que la banque centrale
mène une politique monétaire restrictive qui réduit le crédit disponible.

2. Théories des crises bancaires


Deux grands types de théories expliquent le déclenchement de crises bancaires. Le premier
définit des modèles basés sur les croyances (« belief-based models of banking crises »), dans
lesquels des faillites bancaires multiples résultent d’une modification des anticipations des
conditions économiques et financières futures. Le second propose des modèles basés sur les
fondamentaux (« fundamentals-based models of banking crises »), dans lesquels ces faillites
bancaires résultent d’une modification des fondamentaux financiers des banques à la suite de
chocs.

2.1. Modèles basés sur les croyances


Les théories du premier type postulent que les crises ou paniques bancaires ont pour origine
des événements indésirables causés par des retraits de dépôts aléatoires aucunement liés à des
changements de l’économie réelle. Dans les deux travaux fondateurs de ce type de théories
(Bryant, 1980 et Diamond et Dybvig, 1983), les ruées bancaires (« bank runs »)
proviennent de prophéties auto-réalisatrices (« self-fulfilling prophecies »).

2.2. Modèles basés sur les fondamentaux


Les théories expliquant les crises bancaires en se basant sur les fondamentaux avancent que
les faillites bancaires résultent de chocs qui modifient les fondamentaux financiers de la
banque. Empiriquement, les ruées bancaires sont en effet liées à la détérioration des
fondamentaux économiques. Gorton (1988) démontre que les paniques bancaires apparaissent
habituellement après de mauvaises nouvelles sur la santé d’une banque ou sur le système
financier.

3. Prix d’actifs, liquidités et crises bancaires


Alors que les banques traditionnelles se financent via la collecte de dépôts, ainsi sujettes à des
problèmes de paniques ou de ruées bancaires, les banques modernes se financent dans une

30
grande mesure sur les marchés de financement de gros (« wholesale funding markets ») et
sous forme de prêts garantis (« securitized lending ») et de pensions livrées (« repo markets
»). Outre la liquidité obtenue par les dépôts, une banque peut en effet générer de la liquidité
en allant sur un marché financier et vendre des actifs à des acheteurs en échange de liquidités
ou via le marché interbancaire. Dans les pays avancés, le marché interbancaire est la source la
plus importante de liquidités, échangées entre banques seulement. La banque peut enfin
obtenir de la liquidité auprès de la banque centrale.
Le risque de financement dépend donc de la disponibilité des quatre sources de financement
d’une banque (dépôts, marché interbancaire, marché d’actifs, banque centrale).
L’illiquidité d’une banque, liée à un choc idiosyncratique, peut se généraliser à l’ensemble du
système bancaire lors d’une crise via deux canaux de transmission :
- Le marché interbancaire
- Les marchés des capitaux

4. Facteurs déclenchant les crises financières, dynamiques des crises et impact sur
l’économie réelle
Les éléments théoriques vus précédemment sont typiques des crises financières et bancaires
des pays avancés. Il existe en effet de nombreuses similarités entre les différentes crises
financières au niveau des facteurs à la base de leur déclenchement et des mécanismes de
propagation. Mishkin (2018) en recense quatre grands types.

4.1. Processus de libéralisation ou d’innovation financière mal maîtrisée


Alors que le développement des systèmes financiers peut améliorer l’efficacité d’une
économie en facilitant une allocation optimale des ressources, un processus de libéralisation
ou d’innovation financière mal maîtrisé peut amener les institutions financières à une trop
grande prise de risque. Les approches réglementaires et la surveillance prudentielle sont
également insuffisantes pour éviter les prises de risque. Cette prise de risque se traduit par un
emballement ou boom du crédit, le plus souvent par effet de levier, sachant que la collecte de
dépôts ne suit pas le même rythme. Lorsque la prise de risque s’accompagne des premières
pertes, les banques procèdent à une réduction de l’octroi de prêts (« deleveraging »)
entraînant une contraction du crédit.

4.2. Boom de crédit et émergence et explosion de bulles de prix d’actifs


Alors que le secteur spécifique qui connaît un boom peut varier entre les crises (immobilier,
Bourse), les bulles de prix d’actifs ont des conséquences similaires sur l’économie. Le boom
du crédit alimente les achats d’actifs financiers dont les prix s’éloignent de leur valeur
fondamentale. Lorsque la bulle éclate, les emprunteurs voient leur richesse nette diminuer,
réduisant par conséquent leur capacité d’emprunter. Ceci se traduit par une baisse du crédit et
des dépenses. De même, la chute des prix d’actifs détériore le bilan des institutions
financières, les obligeant à réduire leur levier et amplifiant, via la baisse du crédit, le
ralentissement économique.

4.3. Hausse des taux d’intérêt


L’emballement du crédit et la hausse des prix d’actifs amènent la banque centrale à resserrer
sa politique monétaire. La hausse des taux d’intérêt a dans de nombreux cas été à l’origine du
déclenchement des crises financières aux États-Unis. Le manque de liquidités entraîne
31
également des hausses rapides de taux d’intérêt sur les marchés inter bancaires. La
hausse des taux d’intérêt réduit l’investissement et la consommation, augmente les problèmes
d’asymétrie d’information et contribue à précipiter la crise financière.

4.4. Montée de l’incertitude


Les crises financières aux États-Unis ont presque toujours débuté par une période de montée
de l’incertitude liée à une récession ou à un krach boursier et souvent renforcée par des
défaillances d’institutions financières (Mishkin, 2018). Cette incertitude aggrave les problèmes
d’asymétrie d’information avec des conséquences sur la distribution de crédit en ayant des
impacts négatifs sur l’activité économique. À la suite de la détérioration de l’activité
économique et des premières défaillances d’entreprises et/ou de banques, les déposants se
ruent aux guichets des banques et initient la panique bancaire. Les paniques bancaires étaient
typiques des crises financières jusqu’à la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis.

Les études empiriques montrent que les récessions liées à une crise financière sont plus
sévères que les récessions normales et que plus le crédit contribue à la phase ascendante du
cycle, plus la récession qui s’en suivra sera sévère et la reprise plus lente. De plus, lorsque les
bulles de prix d’actifs sont alimentées par un boom de crédit, les risques de crises
financières sont plus forts et lorsqu’elles éclatent, elles tendent à être suivies par des
récessions plus profondes et des reprises plus lentes.

32
Chapitre 4. Crises financières internationales, Stabilité financière
et politique économique

Certaines crises financières ont une dimension internationale, impliquant des mouvements
brutaux de capitaux et des fluctuations importantes des taux de changes. Elles sont souvent
associées à des crises bancaires ainsi que des pressions sur les dettes souveraines. Ces crises
financières internationales concernent principalement les pays émergents, notamment ceux
qui font face à une libéralisation financière mal gérée. Ces crises peuvent ensuite s’étendre à
d’autres pays émergents via des phénomènes de contagion financière.

1. Crises financières et flux de capitaux


L’accent a été mis jusqu’à présent sur les crises dont le déclenchement, les conséquences et
les réponses de politiques économiques étaient essentiellement domestiques. À l’inverse, les
crises financières internationales seront définies comme « des épisodes de turbulence
financière dans lesquels la dimension internationale joue un rôle important » (Lorenzoni,
2015). Cette dimension internationale se manifeste via des sorties de capitaux qui exercent
une pression sur le marché des changes. Les sorties de capitaux amènent à des dépréciations
massives des monnaies. Si le pays poursuit une politique de taux de change fixe, la fuite de
capitaux pousse généralement la banque centrale à abandonner cette stratégie et à laisser sa
monnaie se dévaluer.

Les causes des crises internationales peuvent être diverses. Elles dépendent des motifs du
retrait des flux de capitaux. Ces sorties de capitaux peuvent être liées à quatre causes majeures
(Lorenzoni, 2015) :
- Des mauvais fondamentaux économiques (mauvaises nouvelles sur les prévisions de
croissance future) ;
- Des inquiétudes sur les politiques monétaire et budgétaire à venir ;
- Des doutes sur la capacité des agents du pays en crise à rembourser des dettes
accumulées dans le passé ;
- Une aversion généralisée pour le risque et une fuite vers des valeurs sûres (« flight to
safety ») sur les marchés internationaux des capitaux.
Comme les crises financières vues dans le chapitre précédent, les crises financières
internationales sont également associées le plus souvent à des problèmes domestiques liés au
secteur bancaire. La crise de change et de balance des paiements se couple ainsi très souvent
à une crise bancaire. On parlera alors de crise jumelle (« twin crisis »). Les liens entre dette
publique et système bancaire, lorsque les déséquilibres budgétaires deviennent sévères,
peuvent entraîner également une crise de la dette souveraine (« sovereign debt crisis »). On
parle alors de crise triple (« triplet crisis »).

2. Théories des crises de change


Les crises de change ont commencé à se multiplier dès la fin du système de Bretton Woods.
Elles sont donc devenues un sujet d’étude pour la théorie économique dès la fin des années
1970 jusqu’au début des années 1980. Les premières théories de crise de changes ont associé
les crises avec une dégradation des fondamentaux macroéconomiques, rendant les
déséquilibres extérieurs insoutenables et amenant à une dépréciation (en change flottant) ou

33
une dévaluation (en change fixe) de la monnaie du pays en crise. Avec les crises au Mexique
et en Asie au cours des années 1990, les crises jumelles (crise bancaire et crise de change)
sont devenues plus courantes. Ainsi, Dornbusch (2002) parle de « old style crises » pour
qualifier les crises de change liées aux déséquilibres extérieurs insoutenables et les distingue
des « new style balance sheet crises » qui sont davantage liées aux fragilités du système
bancaire des pays en crise. Eichengreen et al. (1995) distinguent ainsi plusieurs générations de
modèles de crises. Aux théories des crises de change de la première génération (Krugman,
1979) et de la deuxième génération (Obstfeld, 1994), se sont succédées les théories de la
troisième génération intégrant le rôle des flux de capitaux et les fragilités du secteur bancaire
(Kaminsky et Reinhart, 1999).

2.1. Les modèles de première génération

Krugman (1979) développe un modèle de crise de change dans lequel l’abandon d’un taux de
change fixe résulte d’une politique budgétaire insoutenable. Dans la version proposée par
Flood et Garber (1984), ce modèle combine une condition d’équilibre sur le marché de la
monnaie (1) et la parité non-couverte des taux de change (2).

M
=a0−a1 i , a1 >0 (1)
P

¿ Ṡ
i=i + (2)
S

Dans l’équation (1), M est l’offre de monnaie qui se compose de deux éléments : le crédit
domestique, C , et les réserves officielles, R , c’est-à-dire, M =C + R. P est le niveau de prix
¿
domestique, i et i sont respectivement le taux d’intérêt nominal domestique et étranger (avec
¿
i supposé constant). S est le taux de change coté à l’incertain et Ṡ est la variation du taux de
change. Le modèle suppose aussi la vérification de la parité des pouvoirs d’achat est la
variation du taux de change. Le modèle suppose aussi la vérification de la parité des pouvoirs
¿ ¿
d’achat (« Purchasing Power Parity »), c’est-à-dire P=P S , avec P le niveau de prix
étranger, supposé constant. Enfin, l’économie est supposée suivre des politiques monétaire et
budgétaire insoutenables (mauvais fondamentaux) sous forme d’expansion du crédit
domestique par la banque centrale (à un taux de croissance µ), afin de financer les dépenses.
¿
En régime de changes fixes, S=S et Ṡ=0 . De l’équation (2) on en déduit que i=i
et que P est constant (en raison de la PPA). L’équation (1), dans ce cas, implique que la
quantité de monnaie M est constante. Comme le crédit domestique croît de manière continue
au taux µ, le fait que M soit constante implique une réduction des réserves de change
équivalente à la croissance du crédit.

Le processus se termine par une perte discrète des réserves de change lors d’une attaque
spéculative anticipée et qui, à l’équilibre, annule toute opportunité de profit. Lors de l’attaque
spéculative, qui intervient au temps T, les réserves de change sont épuisées et M =C . Le taux
~
de change flotte et prend pour valeur S de sorte que :
C~
¿ S=a0 −a1 ¿)
P
34
~
Le taux de change post crise S est aussi appelé taux de change virtuel ( « shadow exchange
rate »). En simplifiant les expressions ci-dessus, on peut voir que le taux de change virtuel est
une fonction du crédit domestique :
~
S=α 0+ α 1 C
*

¿
μ a1 P 1
Avec α 0= et α 1= ¿ ¿
( P ( a0−a1 i ) )
¿ ¿ 2
P ( a 0−a1 i )

Le taux de change virtuel ne dépend pas des réserves car celles-ci sont supposées avoir atteint
leur limite nulle en régime flottant.
~
Tant que S> S , le régime de change fixe est soutenable car les spéculateurs qui achèteraient la
~
devise au taux S pour la revendre au taux de marché S feraient des pertes.
~
Pour faire des gains, les spéculateurs doivent donc attendre que S<¿ S . Cependant, en raison
de la concurrence entre spéculateurs, l’attaque spéculative va intervenir au temps T où il n’y a
~
ni gain ni perte, c’est-à-dire lorsque S=¿ S

!
Les modèles de la première génération ont assez bien décrit les crises de change des pays
d’Amérique latine dans les années 1980, au cours desquelles une augmenta tion du
crédit domestique s’est accompagnée d’une baisse symétrique des réserves de changes de
sorte à maintenir le taux de change fixe et l’offre de monnaie constante.
Ainsi, des politiques budgétaires et monétaires non soutenables et incohérentes font l’objet de
corrections par les forces de marché. Dans ces conditions, les modèles de la première
génération prédisent que le régime de change fixe doit inévitablement prendre fin.

2.2. Les modèles de deuxième génération


La crise du mécanisme de change européen au début des années 1990 contredit les prédictions
des modèles de la première génération car cette crise est davantage le résultat d’attaques
spéculatives auto-réalisatrices. Au lieu d’une incohérence entre les politiques monétaires et
budgétaires, cette crise a été interprétée comme un jeu entre investisseurs et gouvernements.
Alors que les modèles de la première génération supposaient que les gouvernements étaient
des entités passives, les modèles de la deuxième génération se basent sur un cadre de théorie
des jeux dans lequel les autorités évaluent les conséquences de différents choix de politiques.
Outre le cas européen, les modèles de la deuxième génération se sont également appuyés sur
l’expérience mexicaine lors de la crise de 1994-1995.

Dans le modèle d’Obstfeld (1996), les autorités évaluent les coûts et les bénéfices de défendre
la parité de change et sont prêtes à l’abandonner si les coûts sont supérieurs aux bénéfices.
Dans les modèles de ce type, les doutes sur la capacité des autorités de maintenir la parité de
change peuvent amener à l’existence d’équilibres multiples et une attaque spéculative peut
réussir même si les politiques économiques ne sont pas incohérentes vis-à-vis du régime de
change. L’attaque réussit en validant les croyances initiales des investisseurs. La crise de
change n’est pas causée par une détérioration des fondamentaux mais par un mécanisme auto-
entretenu. On dit que les attaques spéculatives sont auto-réalisatrices.
La contribution d’Obstfeld (1996) se présente sous forme de théorie des jeux. Le jeu inclut
trois agents : deux investisseurs dans la monnaie domestique et une autorité de politique

35
économique. Les investisseurs (traders) ont le choix soit de vendre la monnaie (attaque
spéculative) soit de la garder dans leur portefeuille (pas d’attaque). L’autorité de politique
économique possède R réserves de change pour défendre la parité-cible.
Chaque trader dispose de six unités de monnaie domestique qui peuvent être vendues contre
les réserves de change. Lors de la vente (et ainsi une prise de position contre l’autorité), le
trader doit payer un coût de transaction de 1 (supposé constant quel que soit le montant
vendu). Dans le cas où l’autorité abandonne la parité de change, la monnaie domestique est
dévaluée de 50 %. Dans ce cas, les traders obtiennent ainsi la moitié de chaque unité détenue.

Nous allons voir trois cas selon le niveau des réserves de change. Dans le cas 1, l’autorité
détient 20 unités en réserves, de sorte que même si les deux traders vendent leurs 6 unités de
monnaie domestique, le niveau de réserves reste suffisant pour maintenir le taux de change à
sa parité-cible (R = 8 si les deux traders vendent en même temps).
Dans ce cas, le trader qui a spéculé contre la monnaie (attaque) reçoit un rendement négatif de
− 1 et celui qui ne vend pas fait un gain nul. La spéculation est une stratégie dominée et le
seul équilibre de Nash est celui du coin nord-est du tableau, à savoir le maintien du taux de
change à sa parité fixe. Dans le cas 2, les réserves sont faibles (R = 6), ce qui signifie que
chaque trader peut à lui seul forcer l’autorité à abandonner la parité fixe (dévaluation de 50
%). Le trader qui a vendu ses 6 unités de monnaie domestique fait un gain en capital de 3 (en
termes de monnaie domestique) et un gain net de 2 après avoir payé les coûts de transaction
de 1. Si les deux traders attaquent en même temps, chacun ne reçoit que la moitié des réserves
(3/2), ce qui après le paiement du coût de transaction, équivaut à un gain net de 1/2 (3/2 − 1).
Ne pas vendre est une stratégie dominée et le seul équilibre de Nash est le coin sud-est,
impliquant la dévaluation de la monnaie.
Enfin, le cas intermédiaire est le plus intéressant (R = 10) car seule une attaque jointe pourra
obliger l’autorité à abandonner la parité fixe. En effet, un trader à lui seul ne peut pas réussir
l’attaque spéculative et l’attaque échouée a un coût (−1), l’autre ne participant pas à l’attaque
reste à 0. Au contraire, si les deux attaquent, alors l’autorité n’a pas suffisamment de réserves
et chacun récupèrent 5/2 − 1 =3/2. Dans ce cas, il existe deux équilibres de Nash. Dans le
premier, au coin sud-est, les deux traders attaquent et la monnaie est dévaluée. Mais si aucun
des deux traders ne croient que l’autre va attaquer, alors le coin nord-est est également un
équilibre de Nash dans lequel la parité fixe est maintenue. Dans ce type de modèle à
équilibres multiples, l’équilibre qui mène à l’attaque spéculative est auto-réalisateur car la
monnaie n’est dévaluée qu’en cas d’attaque ; sans attaque, le taux de change fixe demeure et
ce, quels que soient les fondamentaux de l’économie. L’état des fondamentaux est néanmoins
important (ici des réserves de changes au niveau intermédiaire) pour rendre l’attaque possible,
mais ce n’est en aucun cas une nécessité économique.

Figure : Équilibres selon l’engagement des autorités à défendre le régime de change


Cas 1 : Réserves élevées : R=20 Cas 2 : Réserves faibles : R=6
Trader 2 Trader 2
Pas d’attaque Attaque Pas d’attaque Attaque
Pas d’attaque (0,0) (0,-1) Pas d’attaque (0,0) (0,-1)
Trader 1
Attaque (-1,0) (-1,-1) Trader 1 Attaque (-1,0) (-1,-1)

Cas 3 : Réserves intermédiaires : R=10


Trader 2
Pas d’attaque Attaque
Trader 1 Pas d’attaque (0,0) (0,-1)
Attaque (-1,0) (-1,-1)
36
Source : Obstfeld, 1996

En résumé, le niveau des fondamentaux peut se situer dans trois zones différentes :
– une zone sûre avec des fondamentaux solides pour lesquels aucune attaque
spéculative ne peut réussir quelles que soient les croyances ;
– une zone de crise avec des fondamentaux faibles pour lesquels une attaque
intervient dans tous les cas ;
– une zone intermédiaire où les fondamentaux ne sont ni assez forts pour rendre
une attaque impossible ni assez faibles pour la rendre inévitable. Dans ce cas,
une attaque peut être auto-réalisatrice, dépendant de la coordination des
spéculateurs sur l’équilibre d’attaque spéculative.
Dans les modèles de la deuxième génération, les politiques mises en place pour défendre la
parité, comme augmenter les taux d’intérêt domestiques, peuvent aussi compromettre les
objectifs macroéconomiques. Ainsi, dans ces modèles, une attaque spéculative a davantage de
chance de réussir si une hausse des taux d’intérêt détériore un peu plus les situations
domestiques déjà critiques en termes d’emploi ou de conditions financières.
Dans les modèles de la deuxième génération, les crises deviennent imprévisibles lorsque
l’économie se trouve dans la zone intermédiaire, c’est-à-dire si les fondamentaux sont
vulnérables à une hausse des taux d’intérêt nominaux, notamment en termes de chômage, de
dette publique ou de santé du système bancaire par exemple. Le gouvernement doit donc
arbitrer entre sa préférence de défendre sa parité-cible de change à court terme et ses objectifs
macroéconomiques à plus long terme. Les anticipations des agents ne dépendent donc pas
forcément de l’état des fondamentaux à court terme mais de la façon dont ceux-ci risquent de
se détériorer dans le futur si les autorités maintiennent leur engagement en termes de taux de
change à court terme et dont le coût (augmentation des taux d’intérêt nominaux) risque de
mettre en danger les objectifs macroéconomiques des autorités.

2.3. Les modèles de troisième génération


La terminologie de crises de « première génération » et de « deuxième génération » a été
introduite par Eichengreen et al. (1995). Chaque nouvelle crise semblait repousser les
prédictions des modèles existants et inciter le développement de nouveaux modèles. La crise
asiatique de 1997 a entraîné une « prolifération de modèles de troisième génération »
(Krugman, 2001). Les modèles de la troisième génération mettent l’accent sur l’existence de
distorsions sur les marchés financiers et dans les systèmes bancaires pour expliquer
l’occurrence de crises de change. Contrairement aux modèles des générations précédentes qui
mettaient l’accent sur des vulnérabilités macroéconomiques, ces modèles s’attachent à
démontrer le rôle des asymétries d’information sur les marchés financiers et de la fragilité des
systèmes bancaires dans les crises de change.
Ainsi les modèles de la troisième génération ne sont pas uniquement des modèles de crises de
change, la crise de change faisant partie d’un enchaînement dans lequel l’existence d’une
instabilité financière ou bancaire joue un rôle majeur. Les mécanismes au cœur des modèles
de crise bancaire en économie fermée, comme ceux vus précédemment (voir chapitre
précédent), peuvent être ainsi faire partie d’une dynamique menant in fine à une crise de
change.
Une première catégorie de modèles met l’accent sur des distorsions sous forme de contraintes
de crédit. Par exemple, Aghion et al. (2001) mettent en avant un mécanisme initialement
déclenché par une dépréciation de la monnaie domestique qui augmente le coût de la dette en
monnaie étrangère des entreprises, faisant ainsi baisser leurs profits.

37
Cette baisse de profits fait baisser leur capacité d’emprunt en présence de contraintes de
crédit. La baisse du crédit se répercute en baisse de l’investissement et de la production, ce
qui réduit la demande pour la monnaie domestique et enclenche une crise de change. D’autres
modèles mettent l’accent sur le rôle de la libéralisation financière et des garanties publiques
de dettes privées dans l’émergence de crises, en raison d’une augmentation de l’aléa de
moralité et de l’insoutenabilité des finances publiques.
Pour McKinnon et Pill (1997), la libéralisation financière, associée à la mise en place d’un
système d’assurance des dépôts, incite les banques à alimenter un boom de crédit (via la
hausse des prêts domestiques et étrangers), ce qui peut déboucher sur une crise bancaire et
une crise de change. Burnside et al. (2004) montrent que les garanties publiques au système
bancaire incitent les banques à contracter des emprunts vis-à-vis du reste du monde, les
mettant dans une situation de vulnérabilité face à une attaque spéculative. La fragilité du
secteur bancaire rend la tâche de défense de la parité de change, via des hausses de taux
d’intérêt domestiques, encore plus difficile et peut ainsi entraîner un effondrement de la
monnaie domestique.
Enfin, Chang et Velasco (2001) mettent le lien entre fragilités du système bancaire et risque
d’illiquidité internationale au cœur des crises de change. Dans un modèle de ruée bancaire à la
Diamond et Dybvig (1983), ils montrent qu’une panique bancaire des déposants domestiques
peut interagir avec une panique des créanciers étrangers. La nature de cette interaction dépend
de la structure de la dette internationale et du degré d’engagement des banques à rembourser
leurs créances vis-à-vis du reste du monde.

Les risques d’instabilité financière et ses implications macroéconomiques nécessitent la mise


en place de politiques économiques visant à la fois à réduire la probabilité d’occurrence des
crises financières et amoindrir leurs conséquences sur l’économie lorsqu’elles apparaissent.
La crise financière mondiale de 2007-2008 est l’exemple le plus récent d’une crise aux
conséquences sévères sur l’économie et qui a donné lieu à un nouvel élan visant à réglementer
le secteur financier afin que celui-ci soit plus résistant face à des chocs et soit suffisamment
résilient pour empêcher la transmission et l’amplification des chocs à la sphère réelle.

3. Contagion financière, régime de change et crises financières


3.1. Contagion financière et théories de la contagion
L’occurrence d’une crise dans un pays peut s’accompagner d’une crise dans un autre pays. Le
fait que les crises peuvent arriver par vagues a amené de nombreux auteurs à envisager des
phénomènes de contagion entre différents marchés d’actifs ou entre différents pays.
L’utilisation du terme « contagion » en économie s’est développée depuis les années 1990.
Auparavant, ce terme n’était utilisé que dans le milieu médical. C’est lors de la crise asiatique
en 1997, puis avec la crise russe en 1998, que ce terme est devenu populaire pour décrire les
phénomènes de propagation de crises à l’ensemble d’une région ou d’un groupe de pays
similaires.
Si l’on s’en tient à la définition la plus large de la contagion, plusieurs théories expliquent la
présence de phénomènes de contagion lors des crises financières. Il existe deux grands types
de théories : celles basées sur des causes fondamentales et celles basées sur le comportement
des investisseurs.

3.1.1. Théories basées sur des causes fondamentales


Trois grandes causes fondamentales peuvent expliquer les phénomènes de contagion :

38
 Les chocs communs : des chocs affectant tous les pays, comme des variations de taux
d’intérêt (ou de change) dans un grand pays avancé, des variations de prix de matières
premières et une réduction de la croissance mondiale, peuvent entraîner des sorties de
capitaux des pays émergents et engendrer des crises financières. Ces chocs communs
se traduisent par une hausse des co-mouvements des prix d’actifs et des flux de
capitaux.
 Les relations commerciales : une crise dans un pays entraîne une réduction de ses
revenus et donc de sa demande en importation. Cette baisse des importations affecte
les exportations de ses partenaires commerciaux via des relations commerciales
directes. Pour des économies ouvertes, cette baisse des exportations altère leurs
fondamentaux et peut ainsi générer une crise également dans leurs pays. Outre ces
effets via les exportations, les crises financières peuvent aussi entraîner une
dévaluation de la monnaie du pays en crise, ce qui détériore la compétitivité des autres
économies. Cet effet des « dévaluations compétitives » peut à son tour forcer les autres
pays à dévaluer leur monnaie. Ces interactions peuvent entraîner des mouvements de
taux de change plus importants que nécessaire.
 Les relations financières : une crise dans un pays peut réduire sa capacité à fournir des
prêts bancaires ou des investissements à un autre pays. La réduction des flux de
capitaux vers les autres pays peut, lorsqu’ils sont dépendants des financements
externes, entraîner une hausse de leurs coûts de financement et exercer des pressions
sur leur taux de change (dépréciation). Les banques et autres intermédiaires financiers jouent
un rôle central dans ce type de contagion, à la fois au sein du pays en crise mais aussi
vers d’autres pays. Au niveau international, si des banques font face à une
détérioration de la qualité des prêts dans un pays, elles peuvent être amenées à réduire
le risque total de leurs portefeuilles de prêts en réduisant leur exposition à d’autres
investissements à haut risque, notamment dans les pays émergents. Elles peuvent le
faire pour restaurer les exigences réglementaires en termes d’adéquation des fonds
propres ou en réponse à des ajustements d’exposition suggérés par des modèles VaR
(« value at risk »). De plus, le rôle des banques dans la contagion peut être aggravé par
les liens qui peuvent exister entre le système bancaire et le financement de la dette
publique. Un choc sur le système bancaire d’un pays peut ainsi entraîner des
phénomènes de contagion directement via les prêts bancaires, mais aussi indirectement
via les risques que cela pose à la solvabilité du pays.

3.1.2. Théories basées sur le comportement des investisseurs


 Chocs de liquidité et crises auto-réalisatrices : une crise dans un pays entraîne des
pertes qui peuvent inciter des investisseurs à vendre des titres sur d’autres marchés
pour récupérer des liquidités. Goldfajn et Valdes (1997) développent un modèle dans
lequel la crise réduit la liquidité des investisseurs, les forçant à reconstituer leurs
portefeuilles en vendant des actifs sur un marché d’un autre pays. Ces comportements
peuvent engendrer des baisses de prix d’actifs au-delà du pays en crise et le choc
initial peut ainsi se propager sur différents marchés financiers.
 Asymétrie d’information et comportements moutonniers : Certains investisseurs n’ont
pas le même niveau d’information que d’autres sur les conditions de chaque pays qui
peuvent affecter le rendement de leurs portefeuilles, notamment en raison des coûts
d’information. Ainsi, en l’absence d’un meilleur niveau d’informa tion, une crise
dans un pays peut amener d’autres investisseurs à croire que d’autres pays font face à

39
des problèmes similaires et les inciter à vendre des actifs de ces pays-là. Les
problèmes d’asymétrie d’information peuvent aussi donner lieu à des
comportements moutonniers («herding behaviour»). En effet, les investisseurs
non-informés vont trouver avantageuses les stratégies visant à suivre les tendances en
matière d’investissement des investisseurs mieux informés. Ces comportements ont
plus de chance d’apparaître lorsque les investisseurs (gestions de fonds notamment)
sont évalués en fonction de la performance relative de leurs portefeuilles par rapport à
un indice.
 Réévaluation des risques (« wake-up call ») : une crise dans un pays peut inciter les
investisseurs à rechercher des faiblesses ou des politiques similaires dans d’autres
pays. Par exemple, une crise de change dans un pays peut amener les investisseurs à
réévaluer leur exposition au risque dans d’autres pays qui ont un taux d’inflation
similaires ou des déficits de compte courant comparables, causant un phénomène de
contagion parmi plusieurs pays similaires en même temps. Cette réévaluation des
risques (appelée « wake up call ») peut intervenir parce que les investisseurs ignorent
initialement certains types de vulnérabilités ou parce que certains fondamentaux ne
deviennent problématiques que pendant des périodes de crises, générant ainsi des
équilibres multiples.

3.2. Régime de change et crises financières


3.2.1. L’impossible trinité
La capacité d’un pays à maintenir des taux de change fixes est devenue de plus en plus
difficile en raison de l’intégration financière internationale et de l’augmentation de la mobilité
des capitaux dans le temps. Selon le principe de l’impossible trinité (ou trilemme), principe
clé de l’économie et de la finance internationales (modèle Mundell-Fleming), quand les
capitaux sont mobiles, un pays ne peut pas avoir simultanément des taux de change fixes (ou
gérés) et une politique monétaire indépendante (voir graphique). Ainsi, lorsque la mobilité des
capitaux est élevée et qu’un pays ancre sa monnaie sur la monnaie d’un autre pays, ses taux
d’intérêt sont liés aux taux d’intérêt du pays de la monnaie de référence, ce qui limite sa
possibilité de mener une politique monétaire indépendante. Si, par exemple, le pays veut
augmenter ses taux d’intérêt pour limiter une surchauffe dans son économie, l’écart positif
entre ses taux d’intérêt et ceux de la monnaie de référence va entraîner des afflux de capitaux
pour bénéficier du différentiel de rendements transfrontaliers. Cet afflux va avoir tendance à
annuler la hausse initiale des taux d’intérêt. Dans ce contexte, le régime de change fixe va
exporter la politique monétaire du pays de la monnaie de référence vers le pays qui ancre sa
monnaie sur cette référence.

Graphique : le trilemme ou l’impossible trinité

Ouverture financière
Indépendance de la politique monétaire

40
Stabilité des taux de change

3.2.2. Trilemme et crises de change


Ce trilemme a été au centre de trois crises de change des années 1990 : la crise du Système
monétaire européen en 1992-1993, la crise du peso mexicain en 1994-1995 et la crise
asiatique de 1997-1998. Dans le premier cas, le deutsche mark servait de monnaie de
référence pour les autres pays européens, dans le deuxième et troisième cas, le dollar
américain était la monnaie cible. Ces crises ont montré comment les pays avancés et
émergents ne peuvent pas défendre leur parité de change de manière crédible pendant une
période longue. Même si techniquement il est possible pour un pays de défendre son régime
de change fixe tant que sa banque centrale a accès à suffisamment de réserves de change pour
répondre à des attaques spéculatives, cette banque centrale doit pour ce faire abandonner tous
les autres objectifs de la politique monétaire. En pratique, la banque centrale doit être prête à
augmenter ses taux d’intérêt autant que nécessaire pour maintenir l’attractivité de sa monnaie
et faire ainsi face aux spéculateurs. Si le prix à payer pour défendre la parité fixe devient trop
élevé par rapport aux fondamentaux économiques, le pays verra la probabilité de faire face à
des attaques spéculatives augmenter et deviendra vulnérable à une crise de change. Dans les
faits, on observe en effet que les pays qui adoptent des régimes de change fixe ainsi que des
régimes intermédiaires (régimes qui maintiennent les taux de change relativement fixes même
s’ils ne sont pas formellement arrimés à une monnaie de référence) sont plus susceptibles de
connaître des crises de change, ainsi que d’autres types de crises financières (crise de dettes
souveraines, arrêt brutal de flux de capitaux et crises bancaires).

3.2.3. Peur du flottement


Selon le principe du trilemme, les pays avec des taux de change flottants devraient donc être
moins vulnérables aux crises de change, puisque leurs taux de change s’ajustent
continuellement sur les marchés de change, limitant ainsi l’accumulation de pressions
amenant à une surévaluation des changes. Néanmoins, de nombreux pays émergents qui
prétendent suivre un régime de change flottant ont connu des crises de change. Cela peut être
attribuable au fait que les pays qui déclarent avoir des régimes de change flottant hésitent dans
la pratique à laisser leur monnaie flotter en raison de la « peur du flottement » (« fear of
flotting »). Calvo et Reinhart (2001) montrent que dans les faits de nombreux régimes de
change officiellement flottant sont de facto des régimes de change quasi-fixe.
La capacité d’un pays à maintenir des taux de change fixes est devenue de plus en plus
difficile en raison de l’intégration financière internationale et de l’augmentation de la mobilité
des capitaux dans le temps. Selon le principe de l’impossible trinité (ou trilemme), principe-
clé de l’économie et de la finance internationales (modèle Mundell-Fleming), quand les
capitaux sont mobiles, un pays ne peut pas avoir simultanément des taux de change fixes (ou
gérés) et une politique monétaire indépendante. Ainsi, lorsque la mobilité des capitaux est
élevée et qu’un pays ancre sa monnaie sur la monnaie d’un autre pays, ses taux d’intérêt sont
liés aux taux d’intérêt du pays de la monnaie de référence, ce qui limite sa possibilité de
mener une politique monétaire indépendante. Si, par exemple, le pays veut augmenter ses taux
d’intérêt pour limiter une surchauffe dans son économie, l’écart positif entre ses taux d’intérêt

41
et ceux de la monnaie de référence va entraîner des afflux de capitaux pour bénéficier du
différentiel de rendements transfrontaliers. Cet afflux va avoir tendance à annuler la hausse
initiale des taux d’intérêt. Dans ce contexte, le régime de change fixe va exporter la politique
monétaire du pays de la monnaie de référence vers le pays qui ancre sa monnaie sur cette
référence.

4. Réglementation financière
4.1. Réglementation des systèmes bancaires : les accords de Bâle
4.1.1. Le but de la réglementation
Le but de la réglementation bancaire est de s’assurer qu’une banque détient suffisamment de
capital par rapport aux risques qu’elle prend. Même s’il est illusoire d’éliminer le risque
qu’une banque fasse faillite, les autorités de politique économique souhaitent que la
probabilité de défaut soit aussi faible que possible. En maintenant un risque de défaut d’un
établissement financier faible, les autorités contribuent à créer un environnement économique
stable dans lequel les agents économiques peuvent maintenir leur confiance dans le système
bancaire.
L’inquiétude principale des autorités de politique économique est que la faillite d’un
établissement bancaire entraîne la faillite d’autres banques, menant in fine à l’effondrement du
système financier. Il existe en effet de nombreux liens entre les différentes banques à travers
des transactions interbancaires. Ces liens sont soit directs, via des expositions bilatérales entre
deux banques, soit indirects, via des expositions à une troisième banque. La faillite d’une
banque entraîne des pertes sur les expositions des autres banques, créant des difficultés
financières pouvant déclencher une succession de faillites. Le système financier a jusqu’à
présent survécu aux faillites de grands établissements bancaires, tels Drexel en 1990, Barings
en 1995 ou Lehman Brothers en 2008, mais les régulateurs restent inquiets vis-à-vis du risque
systémique. Lors de la crise financière mondiale de 2007-2008, de nombreux établissements
financiers ont été sauvés plutôt que d’être autorisés à faire faillite. Ceci provient en grande
partie de la crainte des gouvernements des effets catastrophiques qu’une série de faillites
bancaires aurait pu entraîner. En revanche, le sauvetage des grandes institutions financières
risque aussi d’envoyer des signaux négatifs aux marchés financiers. Il existe en effet le danger
que les grandes institutions financières soient moins vigilantes dans la gestion des risques en
raison de leur taille. En étant « trop grande pour faire faillite » (« too big to fail »), elles
peuvent être amenées à prendre davantage de risques car elles savent que le gouvernement les
sauvera toujours. La réglementation bancaire vise à inciter les banques à gérer correctement
les risques pris sans mettre en danger l’ensemble du système financier.

4.1.2. Bâle I
4.1.3. Bâle II
4.1.4. Bâle III

4.2. Réglementations financières internationales dans le cadre du G20


Outre un renforcement de la réglementation financière dans le cadre du Comité de Bâle, la
crise financière a incité les pays du G20 à améliorer le cadre réglementaire du système

42
financier. Au Sommet de Londres en 2009, le G20 a défini quatre objectifs principaux à
mettre en œuvre sous l’égide du Comité de stabilité financière (Financial Stability Board –
FSB) :
1. Rendre les institutions financières plus résilientes (BâleIII – voir plus haut).
2. Mettre fin au problème du too big to fail en traitant les risques propres aux institutions
1. Rendre les institutions financières plus résilientes (Bâle III – voir plus haut).
2. Mettre fin au problème du too big to fail en traitant les risques propres aux institutions
systémiques (appelées en anglais « systematically important financial institutions » ou SIFIs)
3.Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformer le financement parallèle de marché ou shadow banking en financement sain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
3. Sécuriser les marchés de dérivés de gré à gré (over the counter ou OTC).
4. Transformerlefinancementparallèledemarchéou shadow banking enfinancementsain.
Au niveau du traitement des risques des SIFIs (too big to fail), des exigences supplémentaires
ont été faites :
- Exigences de fonds propres supérieures : les banques systémiquement importantes au
niveau mondial (G-SIBs ou «Globally systematically Important Banks ») doivent
détenir des fonds propres supplémentaires à la demande des régulateurs nationaux
(jusqu’à 3,5% des fonds propres). La liste des banques globalement systémiques est
publiée sur le site du FSB.
- Exigences de fonds propres supplémentaires pour les banques domestiques
systémiques (O - S I I s o u « Other Systematically Important Institutions ») :
le but est similaire à celui des exigences supplémentaires demandées aux G-SIBs, mais
concernent, à la discrétion de l’autorité nationale, les banques qui sont importantes
pour le fonctionnement de l’économie domestique.
- Coussin pour risque systémique (SRB ou « Systemic Risk Buffer ») : le coussin de
risque systémique ne vise pas des institutions individuelles mais soit toutes ou un
groupe d’institutions afin de réduire le risque systémique. Généralement, les banques
doivent seulement satisfaire l’un des trois coussins (SRB, coussin pour les G-SIBs ou
O-SIIs).
- Des exigences en matière d’absorption des pertes (TLAC ou « Total Loss
Absorption Capacity ») : les banques doivent constituer des ressources
supplémentaires qui peuvent être mobilisées en cas de recapitalisation d’un
établissement bancaire systémique. Ce dispositif a pour but de mettre en place la
résolution d’un établissement bancaire sans menacer la stabilité financière ni
exposer les contribuables aux pertes. Dans le cadre de la Directive européenne
sur la résolution et le redressement (BRRD), l’Union européenne a défini un
mécanisme similaire, appelé MREL (« Minimum requirement for own funds and

43
eligible liabilities »). TLAC et MREL sont des éléments de passifs des banques
qui peuvent être convertis en CET1 lors de la résolution d’un établissement
bancaire.
Au-delà des exigences réglementaires, des fonds propres additionnels spécifiques à chaque
banque peuvent être exigés de la part du superviseur sous le Pilier 2. Les banques elles-
mêmes peuvent décider d’avoir un niveau de fonds propres supérieurs à celui exigé par la
réglementation (coussin volontaire).

Sécuriser les marchés de dérivés de


gré à gré (over the counter ou
OTC).
4. Transformer le financement parallèle
de marché ou shadow banking en
financement sain.
Sécuriser les marchés de dérivés de
gré à gré (over the counter ou
OTC).
4. Transformer le financement parallèle
de marché ou shadow banking en
financement sain.
Sécuriser les marchés de dérivés de
gré à gré (over the counter ou
OTC).
44
4. Transformer le financement parallèle
de marché ou shadow banking en
financement sain.
Sécuriser les marchés de dérivés de
gré à gré (over the counter ou
OTC).
4. Transformer le financement parallèle
de marché ou shadow banking en
financement sain.
Sécuriser les marchés de dérivés de
gré à gré (over the counter ou
OTC).
4. Transformer le financement parallèle
de marché ou shadow banking en
financement sain.
4.2. Réglementation du secteur des assurances
Les banques ne sont pas les seules institutions financières à faire l’objet d’une plus grande
réglementation. En ce qui concerne les compagnies d’assurance, même s’il n’existe aucun
standard international, des réglementations nationales ou régionales sont en vigueur. Aux
États-Unis, les compagnies d’assurance sont réglementées au niveau des États selon des
recommandations faites au niveau fédéral. En Europe, la réglementation est gérée au niveau
de l’Union européenne. L’existence de longue date d’un cadre réglementaire, connu sous le
nom de Solvency I a été remplacé en 2013 par un nouveau cadre réglementaire, Solvency II.
Alors que Solvency I ne considérait que les risques de souscription,

45
Solvency II considère également les risques d’investissement et les risques opérationnels.
La structure de Solvency II ressemble dans une large mesure à celle de Bâle II.

4.3. La dimension macroprudentielle du nouveau cadre réglementaire


De nombreux aspects des accords de Bâle III reflètent une approche macroprudentielle de la
réglementation bancaire. Alors que les accords de Bâle I et II étaient essentiellement
microprudentiels, la crise financière mondiale a mis à jour les écueils de la réglementation
bancaire face à son objectif de stabilité financière. Ces défauts concernaient l’omission de
l’importance systémique des institutions bancaires et des risques de contagion et
d’amplification de chocs au sein du système financier.

5. Stabilité financière, risque systémique et politique macro prudentielle

5.1. Stabilité financière et risque systémique


Certaines institutions telles que la BCE, préfèrent définir la stabilité financière comme une
situation empêchant l’émergence de risques systémiques. Il est nécessaire dans ce cas
d’introduire la notion de risque systémique, qui se définit comme « le risque que la fourniture
de produits et services financiers par le système financier soit entravée à un point tel que la
croissance économique et le bien-être pourraient s’en trouver considérablement affectés ».
Le risque systémique a deux dimensions :
- Dimension temporelle : cette dimension se rapporte aux vulnérabilités liées à la
montée des risques au cours du cycle économique ;
- Dimension structurelle et transversale : cette dimension se réfère aux vulnérabilités
liées aux interconnexions au sein du système financier et aux risques qui y sont
associés.

5.2. Les objectifs de la politique macroprudentielle


La politique macroprudentielle est l’utilisation d’outils principalement prudentiels pour
limiter le risque systémique et vise à réduire la fréquence et la sévérité des crises financières
(FSB/IMF/BIS, 2011).
Les mesures de politique macroprudentielle visent à :
- Prévenir l’accumulation excessive de risques, liée à des facteurs externes et des
défaillances du marché, afin de lisser le cycle financier (dimension temporelle) ;
- Renforcer la capacité de résistance du secteur financier et limiter les effets de
contagion (dimension transversale) ;
- Favoriser une perspective à l’échelle du système dans le cadre de la réglementation
financière en vue d’instaurer un ensemble approprié d’incitations pour les intervenants
de marché (dimension structurelle) [source :
www.ecb.europa.eu/ecb/tasks/stability/html/index.fr.html].

5.3. Indicateurs des risques systémiques, EWS et tests de résistance macroprudentiels


L’opérationnalisation de la politique macroprudentielle nécessite le suivi et l’évaluation des
risques systémiques. Pour évaluer la dimension temporelle des risques, il est nécessaire
d’examiner les vulnérabilités liées à une croissance excessive du crédit ou des prix d’actifs, au
niveau de l’économie ou d’un secteur (immobilier ou entreprises non financières) ainsi que les

46
vulnérabilités liées aux asymétries de maturités ou de devises (« maturity and foreign
currency mismatches »). Pour évaluer les dimensions transversales et structurelles des risques
au sein du système financier, il est nécessaire de contrôler les risques liés aux relations
existantes entre les intermédiaires systémiques et évaluer l’impact qu’un défaut de l’une de
ces institutions pourrait avoir sur l’ensemble du système.
Les autorités macroprudentielles disposent d’un grand nombre d’outils quantitatifs pour
mesurer les risques d’instabilité financière et la résilience du système financier en cas de
matérialisation de ces risques. On peut distinguer les indicateurs qui mesurent le niveau de
risque systémique de ceux qui sont plus prospectifs, ayant pour but une évaluation de la
probabilité de crise (système d’alerte précoce). Pour mesurer la résilience du système
financier, les tests de résistance macroprudentiels sont les outils qui font actuellement l’objet
de développements au sein des institutions en charge de la politique macroprudentielle.

5.3.1. Indicateurs de risques systémiques

 Mesures de contribution au risque systémique


De nombreuses mesures quantitatives des risques systémiques ont été proposées dans la
littérature qui s’est développée après la crise financière mondiale. Parmi les contributions,
Acharya et al. (2017) proposent un modèle pour quantifier la contribution de chaque
institution financière au risque systémique total. Leur indicateur de risque systémique est
appelé MES (« marginal expected shortfall » ou insuffisance anticipée marginale) et est
calculé à partir des prix des actions des banques individuelles.
D’autres contributions ont donné lieu à d’autres indicateurs de risque systémique basés sur les
prix d’actions des institutions financières. Entre autres, Adrian et Brunnermeier (2016)
proposent le CoVar (« Conditional Value-at-risk » ou valeur à risque conditionnelle) qui
mesurent la sensitivité de l’indice de prix boursier du secteur bancaire à une baisse de prix
d’action d’une banque individuelle et Brownlees et Engle (2016) proposent le SRISK («
Conditional capital shortfall measure of systemic risk » ou mesure de risque systémique,
basée sur l’insuffisance en fonds propres marginale) qui mesure l’insuffisance en fonds
propres d’une institution financière conditionnelle à une baisse importante du rendement de
marché.

Ces indicateurs mesurent l’ampleur des contributions des banques au risque total du système
financier et identifient celles à considérer comme systémiques. Ces approches demeurent ainsi
microéconomiques dans la mesure où elles se concentrent sur le rôle des institutions
financières significatives prises de manière individuelle dans le risque systémique total.

 Mesures de risque de contagion


Le risque de contagion se réfère à la diffusion d’un problème idiosyncratique à l’ensemble du
système financier. Segoviano et Goodhart (2009) définissent un indice de la stabilité bancaire
(« Banking Stability Index » ou BSI) qui mesure le nombre de banques en difficulté étant
donné qu’au moins une banque se trouve en difficulté. Un nombre élevé suggère une
instabilité plus importante dans le système bancaire.
 Indicateurs composites
Des contributions ont également proposé des mesures d’instabilité coïncidente condensées en
un indicateur unique. Par exemple, Hollo et al. (2012) définissent un indicateur composite du
stress systémique (CISS ou « Composite Indicator of Systemic Stress ») qui agrège plusieurs
sous-indices. Chacun d’eux représente les différents segments du marché financier
(intermédiaires financiers, marchés monétaires, obligataires, boursiers et des changes) et

47
capture des symptômes de stress financiers, tels que l’incertitude des investisseurs, leurs
désaccords, les asymétries d’information ou les effets de fuite vers la qualité ou vers la
liquidité.

5.3.2. Indicateurs et systèmes d’alerte précoce


De nombreux indicateurs d’alerte précoce ( « early warning indicators ») sont considérés
comme utiles pour évaluer les vulnérabilités avant même l’émergence de stress financier. Le
Comité de Bâle considère les écarts du ratio crédit/PIB par rapport à sa tendance de long
terme (« credit-to-GDP gap ») comme un indicateur d’alerte précoce de la croissance
excessive du crédit total (BCBS 2010). Cet indicateur est régulièrement mis à jour et publié
sur le site de la BRI et est proposé comme indicateur déclenchant l’activation du coussin
contra-cyclique (www.bis.org/statistics/c_gaps.htm). Cet indicateur fait néanmoins l’objet de
critiques car, calculé en déviation par rapport à une tendance extraite à l’aide d’un filtre
statistique, il a tendance à être décalé par rapport au cycle économique et peut donner de
fausses indications aux autorités macroprudentielles. Le Comité de Bâle lui-même reconnaît
que cet indicateur peut ne pas être performant en période de stress et suggère d’utiliser le
jugement du superviseur pour toute utilisation macroprudentielle.
Des systèmes d’alerte précoce (« early warning system » ou EWS) sont également
employés pour prédire l’occurrence d’une crise financière dans un horizon futur. Ces
systèmes utilisent des bases de données de grande taille comprenant des séries
macrofinancières pouvant mettre à jour un certain nombre de vulnérabilités (crédit, prix de
l’immobilier, rendements d’actifs…).

5.3.3. Tests de résistance macroprudentiel


L’objectif de la politique macroprudentielle ne visait pas seulement à réduire les risques
systémiques mais aussi à s’assurer que le système financier était suffisamment résilient pour
faire face à l’éventuelle matérialisation de ces risques.
Les tests de résistance (ou stress tests) macroprudentiels permettent d’évaluer si un système
financier peut résister à des risques systémiques au cours d’un horizon futur (typiquement
deux ou trois ans). Contrairement aux stress tests bancaires microprudentiels (réalisé par le
superviseur ; voir par exemple la description des stress test de l’Autorité bancaire
européenne : www.eba.europa.eu/risk-analysis-and-data/eu-wide-stress-testing) qui
s’intéressent à la solvabilité des banques prises de manière individuelle suite à la
matérialisation de chocs exogènes (approche dite « bottom-up »), les stress tests
macroprudentiels partent d’une approche « top-down » et visent à capturer la nature
endogène du risque systémique créée par les interconnexions des institutions financières entre
elles, leurs relations avec la macroéconomie et les effets de contagion vers le reste du système
financier. Cette évaluation commence par la définition d’un scénario adverse hypothétique
dont la sévérité est comparable à un stress macrofinancier rare. L’exercice de test de
résistance revient ensuite à évaluer sous forme de prédictions la solvabilité des banques au cas
où ce scénario hypothétique se matérialiserait au cours de l’horizon de prévision.
Les tests de résistance macroprudentiels vont plus loin que la simple évaluation de la
solvabilité des établissements bancaires et prennent en compte cinq domaines ignorés par les
tests microprudentiels (voir Constancio, 2017 : voxeu.org/article/macroprudential-stress-tests-
new-analytical-tool) :

48
 La dimension dynamique des bilans bancaires : contrairement aux tests de résistance
microprudentiels qui supposent que les bilans bancaires restent statiques sur l’horizon
de prévision, les tests de résistance macroprudentiels prennent en compte la réaction
des banques qui peut passer en cas de stress par un désendettement, une augmentation
de capital ou une gestion des prêts non-performants.
 L’interaction avec l’économie réelle : les tests de résistance macroprudentiels prennent
en compte les relations existant entre les banques et l’économie réelle, notamment
l’impact sur la macroéconomie du possible désendettement des banques sur le crédit
agrégé, qui à son tour peut affecter l’investissement et la croissance.
 Les interconnexions entre institutions financières : la modélisation macroprudentielle
doit prendre en compte les interconnexions existant entre les institutions financières
pour évaluer les effets de contagion et d’amplification des chocs au sein du système
bancaire. Les modèles d’analyses macroprudentielle incluent par exemple des effets
de contagion via le canal interbancaire. Des modèles incluant les non-banques
(assurances et shadow banks) sont également en développement.
 L’intégration des stress liés au problème de liquidité : il existe une relation très étroite
entre liquidité et solvabilité des institutions financières, qu’il convient de prendre en
compte pour évaluer la résilience aux risques de l’ensemble du système financier. Les
problèmes de liquidité jouent également un rôle important dans la diffusion des chocs
via des effets de réseaux et d’interconnexions au sein du système financier.
 Les interactions avec les secteurs non-financiers : une évaluation plus fine des
vulnérabilités des ménages et des entreprises non-financières à des stress
macrofinanciers peut également être intégrée dans les modèles d’analyses
macroprudentielle pour rendre compte des probabilités de défaut (« probability of
default » ou PD) et du montant des pertes en cas de défaut (« loss given default » ou
LGD) des agents non-financiers qui sont centraux dans les méthodes de gestion du
risque de crédit des établissements financiers.

Une description détaillée ainsi que l’utilisation de ces outils dans le cadre de tests de
résistance macroprudentiels est disponible dans Dees et al. (2017).

5.4. Le cycle financier


L’évaluation de l’émergence de risques systémiques et les systèmes d’alerte précoce
supposent implicitement l’existence de certaines régularités dans les relations entre les
différentes variables financières. Par exemple, comme nous l’avons vu précédemment, une
crise financière a tendance à être précédée par un boom de crédit et/ou une hausse excessive
de prix d’actifs. Ces régularités ont été synthétisées dans ce que l’on nomme le « cycle
financier ». De la même manière que les variables macroéconomiques possèdent des
évolutions cycliques (le cycle d’affaire), les variables financières suivraient ainsi un cycle
financier qui aurait les caractéristiques suivantes (Borio, 2012) :
- Il peut se décrire de façon parcimonieuse en termes d’évolution de crédit et de prix de
l’immobilier.
- Il a une fréquence beaucoup plus faible que le cycle d’affaire (Drehmann et al.
[2012] montrent qu’il dure en moyenne 16ans).
- Ses pics sont fortement associés aux crises financières.
- Il aide à détecter les risques de difficultés financières avec une certaine avance en
temps réel.

49
- Sa longueur et son amplitude dépendent des régimes de politiques économiques (Borio et
Lowe, 2002a).
Des mesures du cycle financier ont été proposées entre autres par Drehman et al. (2012).
Il est intéressant de pouvoir observer que certains épisodes se caractérisent par une certaine
corrélation entre les cycles propres à chaque pays et le cycle mondial. Cette observation tend
à se renforcer au cours des périodes les plus récentes. Néanmoins, les cycles financiers gardent
souvent une composante nationale importante, qui justifie la conduite de politiques
macroprudentielles par les autorités de chaque pays.

5.5. La gouvernance, les instruments et les canaux de transmission de la politique


macroprudentielle
5.5.1. La gouvernance de la politique macroprudentielle
Le cadre institutionnel de la politique macroprudentielle suppose un mandat clair assigné à
une autorité, qui peut être soit une autorité existante, soit un comité de décideurs ou un conseil
regroupant différentes institutions. La banque centrale joue souvent un rôle important en
raison de son expertise et de son indépendance. Les autorités de régulation et de supervision
sont également impliquées en raison de leur expertise et des informations qu’elles possèdent
sur le secteur bancaire. La mise en place des mesures se fait également souvent sous leur
autorité. Le ministère des Finances participe aussi dans quelques pays à l’élaboration de la
politique macroprudentielle, le ministre étant même dans certains pays (France, Allemagne et
États-Unis) le président du conseil ayant autorité. Des experts indépendants peuvent
également être associés dans la structure de prise de décision (France, Royaume-Uni) ou en
tant que comité de conseil de l’autorité (ESRB).

5.5.2. Les instruments de la politique macroprudentielle


La politique macroprudentielle dispose de nombreux instruments pour atteindre ses
objectifs. On peut classer les instruments en fonction des différents objectifs intermédiaires.
Les mesures visant à lisser le cycle financier concernent plutôt les instruments qui s’attachent
à réduire la vulnérabilité des emprunteurs ou des secteurs. Les mesures visant à renforcer la
résilience des institutions financières concernent plutôt les instruments qui s’attachent à
augmenter les fonds propres des intermédiaires financiers.

5.5.2.1. Mesures visant à réduire la vulnérabilité des emprunteurs


Les instruments visant à restreindre le crédit en fonction du degré de fragilité financière des
emprunteurs incluent les limites au ratio prêt/valeur (LTV ou « loan-to-value »), au ratio
service de la dette/revenu (DSTI ou « debt service to income ») et aux ratios prêt/revenu ou
dette/revenu (LTI ou « loan to income », DTI ou « debt to income »). Ces limites visent
essentiellement à diminuer la vulnérabilité des emprunteurs à des chocs de prix d’actifs ou de
revenu. Elles sont souvent appliquées aux prêts immobiliers, mais peuvent aussi concerner d’autres
types d’emprunts (cartes de crédit, immobilier commercial ou des prêts à effet de levier aux
entreprises non financières). Ces instruments ont un fort impact sur le volume du crédit et
contribuent ainsi à modérer les relations pro-cycliques entre prix d’actifs et crédit.
5.5.2.2. Mesures visant à renforcer les fonds propres des intermédiaires financiers
Les exigences de fonds propres supplémentaires inclues dans les accords de Bâle III rentrent
toutes dans cette catégorie (comme le CCB et le CCyB), ainsi que les mesures visant la
limitation des expositions risquées (pondérations en fonction du risque, ratio de levier). Ces
instruments visent principalement à augmenter la résilience des intermédiaires financiers et
maintenir l’offre de crédit en cas de conditions adverses. Ces mesures ont aussi pour objectif

50
de réduire les phénomènes de contagion en augmentant la résilience des institutions dites
systémiques. Rentrent dans cette catégorie les surcharges en fonds propres pour ces institutions
significatives (G-SIBs ou O-SIIs) et les mesures facilitant l’absorption des pertes (TLAC et
MREL). Les autres mesures prudentielles, telles l’augmentation des pondérations en fonction
du risque (« risk weights ») ou les limites aux expositions importantes (« large exposure limits
») peuvent être utilisées pour décourager des prises de risques excessives au sein du système
financier.
Parmi ces instruments, le coussin de fonds propres contra-cyclique (counter-cyclical capital
buffer, CCyB) possède une place importante car il permet de jouer à la fois sur la résilience et
sur la modération du cycle financier. Il montre aussi comment la réglementation peut
s’adapter selon la phase du cycle financier. Le CCyB vise à réduire la procyclicité du système
financier et, plus spécifiquement, à protéger le secteur bancaire des périodes de croissance
excessive du crédit qui sont souvent associées à l’émergence de risques systémiques. Le
CCyB est une exigence en fonds propres supplémentaire au cours des périodes de croissance
forte du crédit pour augmenter la résilience du secteur bancaire avant que les périodes de stress
n’apparaissent, c’est-à-dire avant que les pertes se matérialisent. Le coussin sera ensuite réduit
pendant les phases de récessions en vue de limiter les restrictions d’offre de crédit au secteur
privé. Les indicateurs de risque systémique vus plus haut servent de références aux autorités
macroprudentielles pour augmenter ou réduire le CCyB.

5.5.3. Les canaux de transmission à l’économie


5.5.3.1. Mécanismes de transmission d’une hausse des exigences de fonds
propres
Ces mécanismes fonctionnent pour tous les instruments liés à des exigences de fonds propres.
Ils sont d’autant plus pertinents pour le CCyB puisque son taux varie en fonction de la
position dans le cycle financier. La hausse des exigences se traduit par la nécessité pour les
banques d’augmenter leurs fonds propres même si pour certaines ces exigences peuvent être
en partie absorbées par une baisse des coussins volontaires ou par arbitrage réglementaire vers
d’autres juridictions. Les options pour combler les besoins en capital incluent la hausse des
bénéfices mis en réserve, la baisse des dividendes distribués ou l’augmentation de capital.
Ceci devrait avoir un effet positif sur les taux d’intérêts des crédits et affecter la demande de
crédit à la baisse. Si la banque n’est pas en mesure d’améliorer sa position bilancielle par ces
moyens, elle doit alors réduire ses actifs pondérés en fonction du risque (RWA).
Pour ce faire, la banque doit réduire le volume de ses prêts, notamment les plus risqués, ce qui
rend le marché du crédit plus tendu. Les baisses de la demande et de l’offre de crédit affectent
le cycle du crédit. Ces effets peuvent être amplifiés par la réaction des prix d’actif, via le canal
des anticipations. À l’inverse, les fuites vers les secteurs non affectés par la réglementation
(non-banques) peuvent amoindrir les effets. L’amélioration de la position bilancielle de la
banque améliorera aussi sa capacité d’absorption des pertes ce qui augmentera sa résilience.

5.5.3.2. Mécanismes de transmission d’un resserrement des limites à l’emprunt


Un resserrement des limites à l’emprunt (par exemple un abaissement des limites des LTV,
LTI et DSTI) entraine des contraintes à l’emprunt qui affectent à la fois la demande et l’offre
de crédit. Ces contraintes à l’emprunt ont un impact négatif sur le cycle du crédit. Les prix
d’actifs (c’est-à-dire le prix de l’immobilier si les limites concernent les emprunts
immobiliers) peuvent réagir à ce changement de réglementation, directement à la suite de
l’annonce, ou indirectement via le marché du crédit ou via le canal des anticipations. Cette

51
baisse du prix de l’immobilier participe à la modération du cycle financier. Ces mesures
affectent aussi positivement la capacité de résilience des institutions financières via une gestion
des risques plus stricte et via une baisse du risque porté. En effet, ces limites à l’emprunt
excluent les emprunteurs les plus fragiles et, par conséquent, les probabilités de défaut (PD) et
les pertes en cas de défaut (LGD) sont plus faibles.

5.6. Relation entre politique monétaire et stabilité financière


La politique macroprudentielle interagit avec d’autres politiques économiques qui ont un
impact sur le risque systémique. Ceci inclut la politique microprudentielle, les politiques de
gestions de crises et de résolutions, ainsi que les politiques monétaire et budgétaire. Les
frontières et les interactions entre ces politiques sont complexes et peuvent donner lieu à la
fois à des complémentarités et des tensions qu’il s’agit de résoudre pour obtenir une
utilisation appropriée des différents instruments et s’assurer d’un bon « policy mix ».

L’un des objectifs de la politique macroprudentielle est de modérer le cycle financier, et ses
instruments opèrent via les actifs, les passifs et l’effet de levier des intermédiaires financiers.
Ainsi, politique macroprudentielle et politique monétaire partagent des similarités. Tout
d’abord, les deux politiques affectent la demande de crédit en réallouant les dépenses dans le
temps, soit en retardant les dépenses (en incitant les agents à besoin de financement
d’emprunter moins via des limites à l’emprunt pour la politique macroprudentielle ou en
augmentant le coût du crédit pour la politique monétaire), soit en avançant les dépenses (en
incitant les agents à besoin de financement à emprunter davantage, en relâchant les
instruments de politique monétaire ou macroprudentielle).
Les deux politiques affectent également l’offre de crédit en influençant les coûts de
financement des intermédiaires financiers et, partant, leur levier. Pourtant, les deux politiques
poursuivent des objectifs différents : la stabilité financière pour la politique macroprudentielle
et la stabilité des prix pour la politique monétaire. Selon le principe de Tinbergen, deux types
d’instruments distincts permettent la mise en place de deux politiques différentes ayant
chacun son propre objectif. Si l’on suit l’argument de Mundell (1962) selon lequel « les
politiques doivent être associées avec les objectifs sur lesquels elles ont le plus d’influence »,
on peut raisonnablement allouer la stabilité des prix à la politique monétaire et la stabilité
financière à la politique macroprudentielle (Beau et al., 2012).
Une telle allocation des instruments de politiques économiques à des objectifs distincts
évacue en principe les problèmes de coordination. Pourtant, en pratique, il existe des
situations où les deux politiques peuvent être complémentaires et d’autres où elles peuvent
être en conflit. Cela tient principalement au fait que la politique macroprudentielle utilise les
mêmes canaux de transmission que la politique monétaire, à savoir le canal du crédit et le
canal de bilan des banques et qu’elle vise principalement le système bancaire, relais central de
la politique monétaire. Beau et al. (2012) identifient les situations de complémentarité, de
conflits et d’indépendance des politiques monétaire et macroprudentielle (tableau 7.6). Dans
les cas où l’un des deux objectifs est atteint ainsi que le cas où les deux sont atteints, politique
monétaire et politique macroprudentielle sont indépendantes. Elles sont complémentaires
lorsque le cycle d’affaire et le cycle financier sont synchrones, soit un boom financier
accompagné d’un haut de cycle économique (inflation au-dessus de sa cible), soit une
contraction du cycle du crédit accompagnée d’un ralentissement ou récession (inflation au-
dessous de sa cible). L’exemple typique de la situation conflictuelle est celle où l’inflation
reste en dessous de sa cible, nécessitant une accommodation monétaire, alors que des risques
de bulle financière ou de boom de crédit ont été identifiés, nécessitant un resserrement de la

52
politique macroprudentielle. Or chaque politique affecte l’efficacité de l’autre, d’où conflit.
En effet, dans cet exemple, l’accommodation monétaire encourage la hausse du crédit, qui lui-
même alimente la bulle de prix d’actifs et participe aux déséquilibres financiers en stimulant
le canal de la prise de risque. De son côté, le resserrement de la politique macroprudentielle,
en restreignant l’octroi de crédit, limite l’investissement et l’activité économique et accroît les
risques à la baisse sur la stabilité des prix.

Références bibliographiques (voir syllabus)

53

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