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saura convaincre de nombreux autres dirigeants, à


commencer par les Turcs eux-mêmes, qui ont révélé
Affaire Khashoggi: la nouvelle stratégie
les indices du meurtre initiant l’affaire.
saoudienne de la faute avouée à moitié
pardonnée
PAR THOMAS CANTALOUBE
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 16 OCTOBRE 2018

Après deux semaines de mensonges sur le sort du


journaliste « disparu » à Istanbul, Riyad s’apprête à
admettre une bavure. Ce qui soulagera les businessmen
et les alliés de l’Arabie saoudite, États-Unis et Le prince héritier Mohammed ben Salmane aux côtés de la présidente
France en tête, qui renâclent à critiquer la dictature du FMI Christine Lagarde, lors du « Davos dans le désert » de 2017,
dont la nouvelle édition se tiendra fin octobre 2018. © Reuters
saoudienne.
Dès que la disparition de Jamal Khashoggi, journaliste
« Faute avouée à moitié pardonnée. » Voici la position
saoudien critique exilé aux États-Unis, a été connue
à laquelle les dirigeants saoudiens semblent s’être
le mercredi 3 octobre 2018, elle a plongé les
convertis après deux semaines de dénégations et de
alliés diplomatiques de l’Arabie saoudite, c’est-
mensonges concernant la disparition, et l’assassinat
à-dire la majorité des démocraties occidentales,
probable, du journaliste Jamal Khashoggi dans leur
dans l’embarras. Comment fermer les yeux sur la
propre consulat à Istanbul. La nouvelle stratégie
responsabilité d’un pays quand un homme connu
saoudienne s’est amorcée lundi 15 octobre dans la
disparaît dans le consulat dudit pays et que l’hôte,
journée à Washington.
la Turquie en l’occurrence, commence à livrer en
Le président des États-Unis Donald Trump, après douce des éléments accusateurs : un commando de
s’être entretenu au téléphone avec le roi Salmane qui quinze personnes venues exprès pour un assassinat,
a nié savoir ce qui s’était passé, a évoqué la possibilité des enregistrements audio et vidéo avec des détails
de « tueurs voyous » qui n’en auraient fait qu’à leur macabres de torture et de démembrement à la scie à
tête. Dans la foulée, une « personne familière avec os ?
les plans des dirigeants saoudiens » a entrepris de
Il a néanmoins fallu une semaine à l’administration
faire la tournée des médias américains afin de vendre
américaine, le plus fidèle soutien de Riyad, pour
l’idée que la responsabilité du meurtre de Khashoggi
réagir et dix jours au ministère des affaires étrangères
incombait à un officier des services de renseignement
français pour publier un communiqué qui soit autre
saoudiens qui aurait outrepassé les ordres du prince
chose qu’un robinet d’eau tiède. Car comme il a
héritier Mohammed ben Salmane. Censé interroger
déjà été abondamment documenté et écrit, l’Arabie
le journaliste saoudien critique du pouvoir, voire le
saoudite « tient » les pays occidentaux par le pétrole,
ramener par la force à Riyad, l’espion dévoué aurait
les ventes d’armes et l’investissement que plusieurs
dérapé puis cherché à camoufler sa bavure.
dirigeants, Trump en premier mais Emmanuel Macron
Cette explication bien commode du subordonné trop également, ont fait dans les promesses modernisatrices
zélé est probablement aussi vraie que les démentis de l’homme fort du royaume, le prince Mohammed
apportés pendant quinze jours par le régime saoudien, ben Salmane (alias MBS).
durant lesquels ses porte-parole ont assuré que Jamal
Du côté turc, les fuites de la part de services de
Khashoggi était sorti vivant du poste diplomatique et
sécurité à l’attention des médias étrangers ont été
qu’ils priaient pour sa réapparition saine et sauve. Mais
abondantes et inhabituelles. Tout ce que les enquêteurs
ce nouveau mensonge a l’avantage d’être plus crédible
stambouliotes recueillaient semblait se retrouver illico
que le précédent et il a déjà trouvé un promoteur en
dans la presse, dans un luxe de précisions morbides
la personne du président américain ; gageons qu’il

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et potentiellement embarrassantes (notamment le hollywoodienne, de même que plusieurs médias


fait que les services turcs possèdent un système sponsorisant la conférence. Reste à savoir s’ils
d’écoute à l’intérieur du consulat saoudien). Mais à maintiendront finalement leur désistement sachant
aucun moment, les hauts dirigeants d’Ankara ne sont que, par ailleurs, nombre de leurs concurrents n’ont
apparus publiquement pour appuyer ces révélations. pas renoncé à s’y rendre. C’est le cas notamment des
Et lorsqu’une délégation saoudienne censée faire Français.
la lumière sur l’affaire s’est rendue en Turquie, La présidente du FMI Christine Lagarde, bien
elle n’a fait qu’une brève halte à Ankara puis est qu’« horrifiée », n’a pas prévu d’annuler son voyage à
repartie, indiquant que la discussion avait surtout été Riyad. Sollicitée par Mediapart sur la présence ou non
diplomatique. de son PDG Jean Lemierre, BNP Paribas a répondu
En effet, si la Turquie et l’Arabie saoudite ne sont « pas de commentaire », ce que l’on comprend comme
pas les meilleures amies du monde, aucune des deux le maintien de sa participation. Du côté du Crédit
n’a intérêt à provoquer une vraie rupture. Sachant par suisse, Mediapart a appris que son patron Tidjane
ailleurs que le président Recep Tayyip Erdogan piétine Thiam se rendrait comme prévu au FII. Enfin, le
allègrement la liberté de la presse dans son pays, grand organisateur du « Davos dans le désert »,
beaucoup d’analystes ont vu dans l’attitude turque une Richard Attias, spécialiste de ce genre d’événements et
instrumentalisation de la disparition de Khashoggi. époux de Cécilia ex-Sarkozy, n’a pas répondu à notre
Pour obtenir quoi ? Les médias américains évoquent sollicitation, mais on le voit mal renoncer. C’est donc
des prêts saoudiens pour soutenir l’économie turque. le « business as usual » qui prévaut.
En adoptant cette défense de la « faute avouée La nouvelle explication saoudienne fournit le quid
à moitié pardonnée », les Saoudiens préservent pro quo parfait pour passer à autre chose. Les fuites
l’essentiel, avec l’assentiment de leurs partenaires turques sont validées et mises sur le dos d’un « espion
occidentaux. On pourra sans doute le constater dès la voyou », et les pays occidentaux peuvent se contenter
semaine prochaine, avec la tenue du Future Investment d’une tape sur la main – après tout, ils ne sont pas
Initiative (FII), un grand raout surnommé le « Davos les derniers à commanditer des assassinats ciblés à
dans le désert », qui se tiendra à Riyad du 23 au 28 l’étranger et à se faire parfois exposer en raison d’une
octobre 2018. Initié l’an passé afin de promouvoir la bévue. À Riyad, MBS devra certes ravaler un peu de sa
volonté d’ouverture et de réforme de MBS, ce forum fierté, mais il pourra toujours dire qu’on a outrepassé
commençait à avoir du plomb dans l’aile au fur et à ses ordres. Et de toute manière, le message qu’il
mesure des dénégations absurdes concernant le sort de désirait transmettre avec l’assassinat de Khashoggi est
Jamal Khashoggi. bel et bien passé : les opposants et les critiques de
Un cortège de magnats de la finance et de l’économie tout poil, en particulier ceux qui tiennent la plume,
mondialisée qui devaient participer au FII avaient n’ont qu’à bien se tenir. Ils sont susceptibles d’être
fait connaître leur forfait : les patrons d’Uber, arrêtés partout à tout moment, et eux aussi de devenir
de JPMorgan, de Blackstone, de BlackRock, de les victimes d’une malencontreuse bavure… que les
Ford, des dirigeants de Google ou de l’industrie courtisans de l’Arabie saoudite et de son prince héritier
tout-puissant s’empresseront de balayer sous le tapis.

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