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Burgelin Olivier. Echange et déflation dans le système culturel. In: Communications, 11, 1968. Recherches sémiologiques le
vraisemblable. pp. 122-140;
doi : https://doi.org/10.3406/comm.1968.1161
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1968_num_11_1_1161
Echange et déflation
I. PREMIER MODÈLE.
Sous sa forme la plus radicale, l'hypothèse de l'unicité du sens est rejetée par
tous, même par le langage courant qui distingue sens propre et sens figuré. C'est
pourtant cette hypothèse que nous allons prendre comme point de départ, non
bien sûr pour la retenir en dernière analyse, mais pour ne la rejeter que
radicalement, et après avoir exploré certaines de ses implications quant au problème qui
nous intéresse ici.
Une telle hypothèse présente deux aspects : 1) ce que nous appelons sens est
toujours une seule et même réalité, quelle qu'elle soit ; 2) chaque signe ou chaque
1. N« 9, 1967.
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Échange et déflation
élément d'un système culturel possède un signifié et un seul. Pour que ces deux
aspects s'impliquent réciproquement, il faut et il suffit que l'on admette que
chaque élément du système culturel est, en tant qu'unité de ce système, l'homo-
ogue ou le reflet du système dans son ensemble.
Le double échange.
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Olivier Burgelin
Du fait de ce médium, l'échange s'effectue sur deux paliers. D'une part le
sens des éléments s'échange contre la forme singulière qui les fait «
fonctionner » — cette forme qui est considérée comme la création par excellence
du destinateur. Nous appellerons échange-message ce premier palier de
l'échange.
L'échange-message n'est possible que si la forme singulière s'intègre dans une
forme générique « allant de soi » — selon la formule de Wôlfflin — pour le
destinataire, et permettant au destinateur de donner à la communication un sens
qui soit compris du destinataire. Nous appellerons échange-code, ce second palier
de l'échange.
La relation du double échange peut être représentée par un schéma :
Sens >
Echange-code
< Forme
Destinateur Destinataire
Forme >
Echange-message
< Sens
Ainsi le destinateur et le destinataire produisent l'un et l'autre de la forme et
du sens. Mais pour que la communication ait lieu, il faut que dans chacune des
relations d'échange constitutives du système culturel concret, ce soit un acteur
différent qui apporte le sens et la forme.
Le problème du sens.
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Échange et déflation
Le problème de l'interprétation.
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nulle raison d'exclure de l'interprétation des jugements aussi ouvertement éva-
luatifs ou subjectifs que « Madame Bovary est immoral » ou « ennuyeux ». Nous
pouvons donc identifier opinion et interprétation.
Mais une opinion exprimée est elle-même un système culturel concret. Du
point de vue de la définition que nous avons jusqu'à présent adoptée de l'œuvre
la différence entre œuvre et opinion n'est pas pertinente. L'une et l'autre sont
communications, terrains d'échange entre forme et sens.
Or, si nous examinons un certain nombre d'interprétations ou d'opinions sur une
œuvre, nous constaterons qu'elles ne concernent ni la forme ni le sens de l'œuvre.
Dire que les James Bond sont stupides, immoraux, fascistes, « invraisemblables »,
ne concerne immédiatement ni la forme ni le'sens de ces œuvres. De toute évidence
l'interprétation fait apparaître au sujet de l'œuvre quelque chose qui n'y est pas —
pour autant que l'œuvre soit telle que nous l'avons décrite.
Or ce quelque chose n'est ni la forme, ni malgré les apparences, le sens de
l'interprétation. Lorsqu'un commentateur nous propose une interprétation d'un
texte des Illuminations, le sens de son interprétation est la manière dont elle
s'intègre au commentaire rimbaldien. Certes elle ne peut s'intégrer au
commentaire rimbaldien que parce qu'elle possède un certain contenu. Mais, toujours
dans l'hypothèse de l'unicité du sens, ce contenu n'est nullement son sens
manifeste dénoté, mais précisément le sens impliqué par sa place dans l'ensemble du
commentaire. Autrement dit ce sens que l'interprétation fait surgir au sujet de
l'œuvre n'est ni le sens de V œuvre ni le sens de l'interprétation \
Un « modèle » fondé sur l'hypothèse de l'unicité du sens ne peut donc mettre
en lumière la réalité du « vraisemblable » puisqu'il exclut toute confrontation
de J'oeuvre et de l'opinion. Tout au plus nous permet-il d'augurer qu'un modèle
plus efficace devra traiter chaque système culturel concret comme produisant
non un seul mais une hiérarchie de sens, la' communication avec des systèmes
culturels concrets d'un autre type s'exerçant non au niveau de son sens «
principal » — celui par lequel il s'intègre à son principal contexte — mais à d'autres
niveaux de signification.
Sur un tout autre plan nous pouvons constater empiriquement que les
interprétations paraissent pouvoir se grouper selon certains vastes points de vue.
Lorsqu'on nous dit que les aventures de James Bond sont « invraisemblables », que
Swann est Charles Haas, ou même peut-être que l'Agrippine racinienne est le
Père au sens psychanalytique du terme 2, c'est chaque fois une certaine factua-
lité (élaborée ou non) du monde extérieur qui est confrontée à l'œuvre.
Lorsqu'on nous dit comme Elie Faure que le baroque romain est un art « gonflé de
vanité », ou comme le procureur qui requit contre cet ouvrage que Madame
Bovary est un livre immoral, on se place manifestement dans une perspective
d'évaluation morale, etc. Bref, peut-être peut-on parvenir à une classification
qui permette de maîtriser l'infinité, apparemment immaîtrisable, des
interprétations. A tout prendre nous sommes ramenés au problème des catégories de
signification. En identifiant à la fois les interprétations et les œuvres à des sys-
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Échange et déflation
tèmes culturels concrets, nous avons admis que la classification des points de
vue sur les formes culturelles s'identifie avec la classification des formes culturelles
elles-mêmes.
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Pays-Bas a pris le contrôle de la Thomson~Houston est dénué de signification si
l'on n'a pas idée des types de rapports qu'entretiennent en général les niveaux
socio-économiques dont la Banque de Paris et des Pays-Bas et la Thomson-
Houston sont les segments.
Comment caractériser les systèmes d'un ordre plus élevé dont relèvent l'œuvre
et l'opinion ? Allons-nous parler de la « littérature » et de la « critique » ? Pour
l'instant nous ne savons pas exactement à quoi correspondent de telles entités.
Le seul fil directeur auquel nous puissions nous rattacher est le suivant : les
systèmes que nous cherchons doivent définir chacun un type de signification.
Si nous admettons que la signification forme elle-même une totalité structurée
(ce qui paraît difficilement niable), il faut que les systèmes que nous cherchons
soient des « parties » du système culturel global : entendons non pas des parties
obtenues par une segmentation circonstancielle mais des parties fonctionnelles,
mises au jour par une différenciation procédant selon les axes mêmes du système
culturel global. Pour cette raison nous appellerons ces « parties » postulées des
sous-systèmes culturels.
Une théorie du « vraisemblable » implique la mise à jour des sous-systèmes
culturels et de leurs relations.
Les axes de différenciation fonctionnelle d'un système culturel ne peuvent
être que ceux que nous avons précédemment utilisés et qui — au demeurant —
sont admis par tous, encore qu'avec quelques différences dans la terminologie.
1° Code vs message (ou sujet vs objet).
Ce qui est en question peut être soit la signification des objets pour les acteurs,
soit la signification des orientations en général prises par les acteurs *.
2° Destinataire vs destinateur (ou paradigme vs syntagme).
Ce qui est en question peut être soit la communication dans ses implications,
soit la communication dans son développement.
Appliquée à l'œuvre littéraire la première distinction est familière aux lecteurs
de Communications 8, où elle revient plusieurs fois comme opposition du «
discours » et du « récit ». Quant à la seconde distinction elle y est constamment
utilisée comme mode de structuration du récit.
Si maintenant nous croisons ces deux distinctions, nous obtenons quatre
catégories :
Destinataire Destinateur
'
Message 1 2
Code 4 3
1. « (We) shall use the distinction between the meanings of objects oriented to (the
external aspect of a cultural system), and the meanings of orientation by actors (the
internal aspect) as our major frame of reference ». Parsons (T.), « Introduction to the
part four : Culture and the social system », in Parsons (T.) and al. Theories of Society,
Free Press, New York, 1961.
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Échange et déflation
Ces quatre catégories sont définies par les quatre fonctions essentielles d'un
système culturel. Nous allons faire l'hypothèse qu'à chacune d'entre elles
correspond un type spécifique de signification.
1) Au niveau du message, le point de vue du destinataire est celui de la culture
en tant qu'elle procède d'affirmations sur les faits, indépendamment de la
résonance que ces faits peuvent trouver chez les acteurs impliqués. Dans notre propre
culture c'est évidemment la science qui correspond le plus précisément à ce
point de vue. Mais elle n'est pas seule à le faire. Le moindre article de journal
rendant compte d'un événement quelconque adopte, au moins partiellement,
ce point de vue. Nous appellerons signification factuelle le type de signification
correspondant.
2) Au niveau du message, le point de vue du destinateur est celui de la
culture en tant qu'elle se développe selon les vibrations affectives que les faits
peuvent déclencher chez les acteurs impliqués. Plutôt que d'art — terme corrompu
par un usage trop exclusivement anoblissant — nous parlerons ici de
symbolisme expressif et de signification expressive.
3) Au niveau du code, le point de vue du destinateur est celui de la culture en
tant qu'elle classe ou apprécie selon une échelle de valeur, que cette échelle se situe
dans le domaine proprement moral ou dans tout autre domaine. Nous
appellerons evaluative la signification correspondante.
4) Au niveau du code, le point de vue du destinataire est celui du fondement
de type philosophique, religieux ou autre, sur lequel repose l'évaluation. Nous
parlerons ici de signification fondamentale.
Pour accéder au « vraisemblable », c'est-à-dire plus généralement au problème
des relations trans-culturelles, nous allons désormais considérer la culture non
comme le domaine du sens en général, mais comme le champ des relations entre
quatre sous-systèmes culturels, caractérisés chacun par une définition du sens qui
lui soit propre, et donc par un type particulier de signification.
Une telle position peut étonner. Nous osons à peine rappeler qu'elle est très
proche de celle du Moyen- Age concernant les quatre sens de l'Écriture *. Le
discrédit qui entoure aujourd'hui encore cette période de l'histoire des idées risque
trop de se retourner contre qui avouera lui emprunter quelque chose. Mais la
caution du Moyen- Age n'est pas ici nécessaire 2.
1. Littera gesta docet, Quid credas allegoria, Moralis quid agas, Quo tendas anagogia.
Augustin de Dacie, cité par H. de Lubac, in Exégèse médiévale, Les quatre sens de
V Ecriture, t. I, Aubier, 1959, p. 25.
2. On pourrait également se référer à diverses classifications modernes. Celle que nous
proposons ici présente d'apparentes analogies avec celle de Panofsky : signification
primaire, subdivisée en signification de fait et signification expressive, signification
secondaire ou conventionnelle, signification intrinsèque ou contenu (Essais d'iconologie),
trad, franc. Gallimard, 1967, p. 17. Le fait que Panofsky ne pense qu'à 1' « œuvre
d'art » importe peu s'il est vrai que tous les types de signification se retrouvent dans chaque
système culturel concret (cf. infra p,139-140).Maissaclassificationrelève de deux points
de vue différents. En fait la « signification primaire » se rapporte à un type de relation
infra-culturel (« naturel » écrit Panofsky) et donc non-pertinent de notre point de vue.
La « signification secondaire » correspond à ce que nous appelions ici signification
symbolique expressive. Quant à la « signification intrinsèque ou contenu », elle correspond
aux deux niveaux supérieurs de la signification que nous appelons ici évaluatif et
fondamental. Donc des trois types de signification de Panofsky le premier s'oppose aux deux
autres comme la nature à la culture ; le second au troisième comme le message au code.
Nous sommes donc fondés à soutenir que cette classification n'est pas homogène.
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1. Parsons (R.), Smelser N., Economy and Society, Routledge and Kegan Paul,
1956. Parsons lui-même adopte le principe d'une classification du système culturel
en quatre sous-systèmes, mais sans aborder le problème des types de signification,
ni, en général, celui des relations entre ces sous-systèmes ; cf. « Introduction... »
Loc. Cit.
2. Nous appellerons ces quatre médias : factuel, expressif, évaluatif et fondamental,
et les désignerons sur les schémas par les quatre premières lettres de l'alphabet : A, B, C,
D. Nous abrégerons parfois en « culture factuelle » etc.. « sous-système factuel du
système culturel » etc.
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Échange et déflation
Échange-message
< Richard III B
Culture factuelle Culture expressive
Staline
A ►
Échange-code
Culture B >■ Culture
factuelle < B expressive
Échange-message
A >
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Échange et déflation
1. Cette comparaison n'a de sens que si l'on admet que la banque n'appartient pas
à l'économie. En fait il est bien évident qu'une banque n'a pas directement pour
fonction la modification de l'entourage physique d'une société. Son but n'est pas d'agir sur
cet entourage mais d'agir sur l'économie. Cela et son type de fonctionnement en font,
malgré nos habitudes de langage, une institution du même type que celles que nous
appelons généralement « politiques ».
2. On peut poursuivre cette comparaison jusqu'au bout, et chercher quel est
l'équivalent structurel du naturalisme dans les prises de position concernant la société (et
non plus la culture). Pour le naturalisme, la littérature doit traiter directement des faits
tels qu'ils sont. L'équivalent structurel en est la position selon laquelle les seules
institutions qui ont une fonction réelle sont celles qui « produisent » quelque chose. Dans une
telle perspective les institutions bancaires, fiscales, de contrôle ou même politiques en
général n'ont pas de fonction réelle. En termes plus imagés, politiciens, fonctionnaires
et c banquiers » ne sont que parasites ou fainéants.
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Le « vraisemblable» factuel.
Le « vraisemblable » que nous voyons apparaître dans les rapports entre les
cultures factuelle et expressive ne concerne pas la culture expressive mais. la
culture factuelle. Le problème de savoir si l'œuvre littéraire est vraisemblable,
au sens moderne ordinaire de plausible, ne se pose pas ici : il apparaît seulement
lors de la confrontation de l'œuvre littéraire à une norme de vraisemblance ; et
les normes relèvent non de la culture factuelle mais de la culture evaluative.
Mais à vrai dire le problème classique du « vraisemblable » entre tout entier
dans le cadre de la confrontation de l'œuvre littéraire à des normes diverses —
normes morales en particulier *. II est donc étranger à ce que nous appelons ici
le « vraisemblable » factuel. Ce qui est en cause dans le « vraisemblable » factuel
est, au travers de la confrontation de l'œuvre littéraire ou, en général,
symbolique expressive, et de son interprétation, le conformisme de l'interprétation et
non celui de l'œuvre. Le « vraisemblable » factuel est toujours un « vraisemblable
critique ». Discriminer l'interprétation « vraisemblable » et l'interprétation « non-
vraisemblable », revient donc à distinguer deux types d'interprétation.
Le seul critère formel dont nous disposons pour cela réside dans la distinction
de l'échange-message et de l'échange-code. Nous pourrions donc être tentés de
dire que l'opinion « vraisemblable » est celle qui se situe au seul niveau de l'échange-
message. De fait, l'utilisation normative du terme de « public » — qui est de toute
évidence à la base de certaines définitions du « vraisemblable » comme conformité
à l'opinion d'un « public » — , implique une certaine immédiateté de réception et
d'interprétation. On pourrait définir le « public » en ce sens comme le
destinataire en tant qu'il est réputé ne pas percevoir l'échange-code.
Cela ne revient nullement à dire que toute opinion se situant au niveau de
l'échange-message puisse être considérée comme « vraisemblable ».
L'interprétation de Richard III par Staline reste au niveau de l'échange-message. Mais elle
est suffisamment surprenante pour obliger à prendre conscience de l'échange-code
tous ceux qui ne la rejetteront pas d'un haussement d'épaules comme absurde.
Ce n'est pas une interprétation « vraisemblable ».
Mais si nous allons au fond des choses, c'est parce qu'elle ne tente pas de réduire
à sa propre factualité le symbole qu'elle prend pour objet qu'elle n'est pas une
interprétation « vraisemblable ». L'interprétation « vraisemblable » est celle qui
se donne pour vérité non seulement parce qu'elle masque le symbole, mais parce
qu'elle le masque en le niant, parce qu'elle le refoule. Dans cette perspective ce
n'est donc pas un type de contenu qui caractérise l'interprétation «vraisemblable »
mais la manière dont ce contenu est imposé au lieu d'être proposé, dont il tend
à voiler au lieu de dévoiler.
Si nous rapprochons ce caractère de l'opinion « vraisemblable » de la « fonction
bancaire » de l'œuvre littéraire, il apparaît immédiatement que l'opinion «
vraisemblable » est celle qui s'oppose au libre exercice de cette fonction bancaire. Sur
le plan culturel, le « vraisemblable » est V expression de la déflation. D'où nous
pouvons immédiatement conclure 2 : le « vraisemblable » est l'expression de la
ce, c'est le jugement factuel qui interprète le symbole, non le contraire. Mais dire
que Madame Bovary est immoral ce n'est pas, du point de vue de l'énonciateur,
interpréter Madame Bovary à l'aide d'une norme, c'est juger la manière dont
Madame Bovary interprète la norme. C'est maintenant l'œuvre littéraire qui est
du côté où se trouvait tout à l'heure l'interprétation, et c'est la norme qui occupe
la place qu'occupait précédemment l'œuvre littéraire. Les rapports entre les
trois formes de culture envisagées sont hiérarchiques : la culture expressive contrôle
la culture factuelle ; le culture normative contrôle la culture expressive.
Sans doute la « scène du fiacre » qui scandalisa tant le procureur chargé de
requérir contre Madame Bovary fait-elle allusion à l'accomplissement d'un acte
sexuel dans des circonstances ou dans des termes qui lui parurent ne point devoir
trouver place dans une œuvre littéraire. Mais la norme dont le réquisitoire tente
une application particulière à un cas précis, est d'abord empruntée par lui à la
littérature du xixe siècle. Au niveau du code la norme est issue non de la culture
evaluative (le réquisitoire) mais de la culture expressive (la littérature). A son
tour si la littérature du xixe siècle implique cette norme c'est parce qu'elle obéit
à un certain archétype expressif du convenable qu'elle ne produit pas, puisqu'elle
le suppose, mais qu'elle emprunte à la culture evaluative.
Tels sont les deux paliers d'un double échange comparable à celui selon lequel
communiquent les cultures factuelles et expressives. Toutefois la situation de la
culture expressive y est l'inverse de ce qu'elle était tout à l'heure.
Archétype expressif
< B
Échange-code
Norme générique
C
Culture expressive Norme spécifique Culture evaluative
< C
Échange-message
Symbole
T> (« scène
expressif
du fiacre
spécifique
») y
1. Il ne s'agit que d'une tradition. On en trouvera d'autres dans lesquelles tous les
signes sont inversés et le « vraisemblable » exactement le contraire de ce que nous
décrivons. Outre que cela n'a pas d'importance dans la perspective de pure « démonstration »
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Échange et déflation
quelque degré des novateurs en ce domaine n'ont pu que bousculer cet équilibre
normatif. En général ils l'ont fait non par une contestation globale du système
des normes, mais en mettant l'accent sur une norme et en distendant son champ
d'application traditionnel (c'est là qu'il y a inflation) jusqu'à en violer d'autres
avec lesquelles elle était auparavant solidaire. C'est à une telle inflation que
s'opposent les artisans du « vraisemblable » expressif qui, dans une « querelle »
archétypique, nient que cette norme puisse effectivement se traduire par ces
symboles expressifs nouveaux que propose le novateur : non l'amour n'autorise
pas à rejeter le respect dû aux parents ; non le réalisme n'autorise pas à
transgresser la bienséance ; non la recherche d'une écriture ne justifie pas l'obscurité
etc.. Pour le « vraisemblable » expressif, les normes n'ont pas de « fonction
bancaire » : on ne peut leur en faire dire plus, ou leur faire dire autre chose que ce
qu'elles ont dit jusqu'à présent.
Ainsi, compulsivement fixé au niveau de l'échange-message, le « vraisemblable »
expressif érige ses classiques en norme dont il tire des symboles, sans voir que si
les classiques sont classiques à ses yeux, c'est parce que, se situant au niveau de
l'échange-code, ils ont fait d'un symbole une norme.
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Le « vraisemblable » fondamental.
Comment naît une religion ? Sans pour autant souscrire à tous les aspects de
sa thèse, nous pouvons admettre avec l'auteur d' Erewhon revisited, qu'une
religion naît d'abord de faits, ou plus exactement de jugements sur les faits. C'est
la culture factuelle qui contrôle la culture fondamentale et qui exerce vis-à-vis
d'elle la « fonction bancaire ». D'un seul jugement sur un fait peuvent jaillir
un grand nombre d'interprétations fondamentales. L'échange-message n'est
possible que parce qu'au niveau de l'échange-code un jugement générique sur
les faits (en d'autres termes une théorie issue de la culture fondamentale) s' échange
contre un archétype factuel (des concepts fondamentaux) issu de la culture factuelle.
Concepts fondamentaux
« D
Échange-code
Culture fondamentale Théorie Culture factuelle
A *
Jugement
sur les faits
Échange-message
Interprétation fondamentale
D >
« Le vraisemblable » fondamental masque la théorie dont il est issu en «
naturalisant » sa propre interprétation et en bloquant ainsi la « fonction bancaire »
de la culture factuelle. L'attitude stigmatisée dans la tradition française sous le
nom d'« empirisme » nous en fournirait de beaux exemples. Mais au fond il n'est
pas moins « vraisemblable » de proclamer que « tout rationnel est réel » que de
proclamer que « tout réel est rationnel ». Le « vraisemblable » disparaît lorsqu'on
proclame à la fois l'un et l'autre et qu'on dévoile ainsi l'échange-code qui sous-
tend l'une et l'autre de ces positions 1.
1. Est-ce à dire qu'à un certain niveau d'universalité dialectique il y aurait
disparition du « vraisemblable » au niveau du contenu même des propositions ? Ce serait oublier
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Olivier Burgelin
École Pratique des Hautes Études, Paris.
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