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Buletinul Ştiinţific

al
Universităţii „Politehnica” din Timişoara

Tom 1 (1) Seria Limbi moderne 2002

Les erreurs de français des roumanophones : essai de


typologie

Céline MOLLAERT 

Abstract
In this paper we analyse the main types of errors made by Romanian students in the initial
stages of studying the French language. After a short presentation of the theoretical concepts
in the field, we suggest a classification of these errors depending on the context in which they
occur, and we highlight the interferences-based errors, particular to a certain linguistic group.
Rezumat
În acest articol, ne propunem să analizăm principalele tipuri de greşeli pe care le-am
identificat la studenţii români, începători în studiul limbii franceze. După o scurtă trecere în
revistă a noţiunilor teoretice de specialitate, vom propune o clasificare a greşelilor în funcţie
de contextul în care acestea apar, insistând asupra tipurilor de greşeli datorate interferenţelor,
specifice unui anumit grup lingvistic.

Introduction

Discipline pratiquée en didactique des langues depuis les années 1960, l'analyse
d'erreurs comporte un "double objectif" (Besse et Porquier, 1991, p. 227). Elle cherche, d'une
part, à "mieux comprendre les processus d'apprentissage d'une langue étrangère" et, d'autre
part, à "améliorer l'enseignement". C'est dans ce cadre que s'inscrit cet article. Sans prétendre
à l'exhaustivité, il tente en effet d'expliquer les types d'erreurs rencontrées chez les apprenants
roumanophones en français et surtout de déterminer les mécanismes qui les ont engendrées.
Les justifications avancées pourraient peut-être permettre, par la suite, de proposer des outils
pédagogiques adaptés pour prévenir et corriger ces erreurs.
Vu l'objectif, il nous a semblé intéressant de travailler avec des "débutants" ou "faux
débutants". Cela permet en effet de mettre en évidence les erreurs qui se manifestent dès le
début de l'apprentissage, et qui, si elles ne sont pas prises en compte assez rapidement,
peuvent se fossiliser. Les erreurs commentées, choisies d'après leur fréquence et leur nature,


Lectrice belge (CGRI) à la Chaire de langues modernes de l’Université „Politehnica” de Timişoara.

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proviennent toutes de copies d'une centaine d'étudiants des deux premières années d'université
(Université "Politehnica" de Timişoara, Faculté de Mécanique). Même si certains d'entre eux
ont étudié le français au lycée, cette discipline ne fait pas partie de leurs spécialités.

"Faute", "erreur" et "interlangue"

Le véritable objectif de cet article est de faire une analyse des erreurs commises par les
Roumains en français à partir d'un relevé de fautes. La synonymie entre ces termes dans la
langue standard ne tient plus dès qu'on pénètre dans le champ de la linguistique. Besse et
Porquier (ibid., p. 209), se basant sur la distinction de Chomsky, rapprochent ainsi la "faute"
du domaine de la performance et l'"erreur" de celui de la compétence. Alors que la première
peut être due à différents facteurs externes, la seconde serait représentative de l'interlangue
des apprenants, c'est-à-dire le système grammatical qu'ils se construisent en cours
d'apprentissage. Parmi les règles qui le sous-tendent, on trouve des règles de la langue-cible
déjà assimilées, des traces de règles de la langue maternelle et des règles qui n'appartiennent à
aucune des deux langues mais jouent le rôle de relais structurant dans le développement de
l'apprentissage (ibid., p. 225 et 232). Ce sont ces différentes règles qui vont influencer les
fautes.

Classification des erreurs

Pour cette étude, nous avons uniquement pris en compte les "erreurs d'émission", de
production, commises à l'écrit, dans des textes libres. Ce choix présente un double avantage. Il
permet tout d'abord un repérage des fautes plus aisé qu'à l'oral. Il reflète ensuite mieux
l'interlangue.
Voyons maintenant comment qualifier les fautes relevées. T. Cristea, dans son article de
1977, redéfinit les catégories d'erreurs possibles sur base des "mécanismes qui sous-tendent
[leur] production" (p. 84). L'apprenant, sur base des ressemblances qu'il a observées entre la
langue-base et la langue-cible, peut être tenté d'étendre ces ressemblances à d'autres structures
grammaticales ou mots du lexique, et ce d'autant plus que "les langues sont apparentées
génétiquement"(ibid., p. 80). Lorsque la proximité entre les langues aide l'apprentissage, on
parle de "transfert", réservant le terme "interférence" aux situations où les structures de la
langue maternelle freinent l'acquisition de la langue-cible. C'est pourquoi, on les qualifie
d'"erreurs interférentielles".

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Mais, il peut aussi s'appuyer sur ses connaissances, mêmes basiques, de la langue-cible,
pour tenter d'inférer des règles grammaticales ou des mots de vocabulaire inconnus. On parle
alors de "fautes internes" (ibid., p. 86).
Cette auteur fait un parallèle entre "fautes proactives" et "fautes interférentielles" car ces
dernières "résultent de l'assimilation incomplète d'une règle de la langue-cible"(ibid., p.90):
l'apprenant s'adapte donc en s'appuyant sur sa langue maternelle. De même, elle rapproche
"fautes rétroactives" et "fautes internes" quand (puisque), par analogie, il étend le champ
d'action d'une règle d'une "unité assimilée antérieurement". Il s'agit là d'une "faute de fixation"
(ibid., p. 90).
"Internes" ou "interférentielles", les erreurs peuvent être "relatives" ou "absolues". Pour
Maria Ţenchea (1999, p. 157), les premières "sont des formes et des structures existant en
français mais mal utilisées quant à leur sens ou bien du point de vue du contexte syntaxique
ou situationnel où elles sont intégrées" tandis que les secondes "consistent dans l'emploi de
structures phoniques ou lexico-grammaticales inexistantes [dans la langue-cible]".

Relevé commenté

Nous avons choisi de classer les erreurs relevées d'après le champ linguistique ou le
domaine grammatical concerné. A l'intérieur de chacun d'eux, nous avons regroupé les fautes,
illustrées par au moins un exemple, d'après la stratégie qui semble avoir guidé les étudiants.
Nous donnerons, dans le cas des interférences, la forme roumaine qui pourrait être à l'origine
de l'erreur. A ce sujet, remarquons que ces formes appartiennent dans la plupart des cas à la
langue courante voire familière. Voilà qui peut peut-être nous éclairer sur l'image que se font
les Roumains de la langue française…

Fautes d'orthographe

o Conservation de l'orthographe roumaine dans la retranscription de certains phonèmes :


- Les sons [z] et [s] étant toujours représentés par la même lettre en roumain
(respectivement "z" et "s" non redoublé), on rencontre fréquemment des orthographes
comme *utilization (roumain utilizare) et *profeseur (profesor).
- Selon le même principe, on obtient, pour le [o], *chofeur.
- Le son [k] pose des problèmes semblables. En roumain, il est retranscrit par la lettre
"c" (ou le groupe "ch" devant "e" ou "i") sauf lorsqu'il apparaît dans un mot étranger.
On peut ainsi expliquer que les débutants écrivent *calités (calitate) mais respectent
l'orthographe de kilomètres (kilometri).

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- Non-redoublement des consonnes car ce phénomène n'existe pas en roumain. Comme
pour le [s] ci-dessus, les apprenants écrivent aussi *personage ou *chofeur.
o Influence de la prononciation roumaine
- Lorsqu'il n'existe pas de mot proche en roumain, les apprenants peuvent quand même
se baser sur la prononciation roumaine pour déterminer l'orthographe française. C'est
par exemple le cas pour *se cucher où le son [u] est représenté comme en roumain.
o Influence d'une mauvaise prononciation française
- A l'inverse, il arrive qu'ils soient influencés par leur mauvaise assimilation de la
prononciation française. S'ils ont pris l'habitude de prononcer sur [sur], comme s'il
s'agissait d'un terme roumain, il est "normal" qu'ils finissent par écrire sour 1 .
- La présence de graphies du type *je me leve ou *il se promene, dans la conjugaison
des verbes français, peut être un indice de la non-discrimination des phonèmes [e], []
et []. Ce phénomène est très courant chez les roumanophones, d'où l'importance à
accorder à la phonétique dès le début de l'apprentissage.

Fautes lexicales
Le domaine lexical donne lieu à un grand nombre de fautes, pour la plupart absolues.
Les mécanismes qui les sous-tendent sont de différents ordres.
o Utilisation de mots roumains sans adaptation. Lorsque l'apprenant débutant se heurte à un
mot inconnu, il n'hésite pas à recourir à la forme roumaine en se basant sur les
ressemblances entre les langues. Un exemple parmi d'autres: un ghid touristique.
o Emploi de termes étrangers, principalement anglais. Parfois, les apprenants préfèrent opter
pour le mot anglais, le considérant comme universel ou au moins plus proche de la forme
attendue en français que son équivalent roumain. On rencontre ainsi *agency pour agence
et *computer au lieu d'ordinateur.
o Invention de mots français à partir de la forme roumaine. Déposer devient ainsi *depositer
sous l'influence de a depozita et horloge, *horologe sur le modèle d'orlogiu. Ces erreurs
sont bien sûr des fautes absolues puisque ces termes n'existent pas en français. Notons que
les adaptations formelles observées attestent une connaissance minimale de la langue. On
peut ainsi penser que le "e" final dans *langue materne a été ajouté à la forme roumaine
pour respecter les règles d'accord de l'adjectif en français.
o Utilisation de termes français dans un contexte lexical ou syntaxique mal adapté. Ces
erreurs relatives se produisent en présence de faux amis, c'est-à-dire de termes
phonétiquement ou orthographiquement proches (ex: emploi de ajouter au lieu de aider

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par interférence avec le roumain a ajuta), ou lorsqu'il n'existe qu'un équivalent roumain
pour deux termes français (ex: confusion entre soir et soirée, correspondant tous deux au
roumain seara). On considérera également comme erreur relative l'emploi de calculateur
pour ordinateur d'après le roumain calculator car ce terme n'existe en français qu'en tant
qu'adjectif. La traduction littérale de Bărbătul merge cu maşina, L'homme marche avec la
voiture aboutit au même résultat.
o Adaptation partielle de termes roumains. Il s'agit dans ce cas d'erreurs internes car elles
sont basées sur les connaissances antérieures de l'apprenant en français. S'il a observé la
proximité entre le suffixe roumain –ate et son pendant français –té, il peut produire à
partir de onestitate le terme *(h)onestité, en omettant d'adapter le radical du mot.
o Mauvaise adaptation de termes roumains. Il arrive également qu'il se base sur la fréquence
de cette équivalence de suffixe pour y recourir quand il n'y a pas lieu de le faire. On a
ainsi pu relever les termes *sériozité 2 et *persévérité.

Fautes d'accord
o Erreur de genre. Ces fautes sont de toute évidence inférentielles, car les étudiants, ignorant
le genre du terme français, opte pour celui de son équivalent roumain. On trouve ainsi
*ma pays (ţară est féminin) ou *le télé(vision) (televizor, masculin).
o Accord partiel. Dans *mon principale qualité, on remarque que l'étudiant a accordé
l'adjectif avec le nom mais a mal choisi le possessif. On peut supposer qu'il maîtrise
l'accord de l'adjectif mais pas les possessifs.

Fautes de construction
o Le syntagme nominal
- Mauvaise connaissance des règles d'emploi de l'article en français. Une erreur du type
*Je voudrais accepter un poste où salaire est considérable ne résulte pas d'une
interférence avec la langue base mais bien d'une non-maîtrise des règles d'utilisation
des articles en français.
- Mauvaise construction des numéraux. Le syntagme *25 000 de kilomètres est un
calque parfait de la structure roumaine correspondante (25 000 de kilometri) où la
préposition de s'intercale entre le numéral et son complément.
o Le verbe
- Erreur dans le régime prépositionnel. Les étudiants se trompent fréquemment dans la
construction des verbes, soit par influence du roumain (*appuyer la pédale
d'accélérateur d'après a apăsa pedala de acceleraţie), soit à cause d'une mauvaise

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connaissance de ces règles (*j'aime de travailler). Il en va de même pour la structure
des expressions verbales: *Je suis passionné des ordinateurs, par exemple, est
construit sur le modèle roumain Sunt pasionat de.
- Multiplication des complétives. On constate que les Roumains utilisent fréquemment
une complétive là où le français requiert l'infinitif. La raison en est simple: ils
appliquent la règle roumaine qui veut que quand deux verbes se suivent le second se
met au subjonctif. *Cela me plairait que je navigue sur Internet est une traduction
littérale de Mi-ar plăcea să navighez pe Internet. L'exemple *Je veux que travailler
semble quant à lui être également influencé par les connaissances antérieures de
l'apprenant et sa conscience de la construction française.
- Problèmes de voix. Transposant telle quelle la forme du verbe roumain, les étudiants
utilisent des verbes à la voix pronominale alors que le contexte impose la voix active.
Cela peut poser des problèmes de sens comme dans *Il se regarde à la télévision (El
se vită la televizor), qui présente de plus une erreur dans le choix du régime
prépositionnel du verbe.
o Les compléments
- Le complément d'agent. Le complément d'un verbe ou d'un participe passé à la voix
passive est très souvent introduit par de au lieu de par selon le modèle roumain: *Il est
utilisé de le chauffeur (este folosit de şofer).
- Le complément adverbial. L'utilisation de l'adjectif en lieu et place d'un adverbe (*Je
connais parfait le roumain) est un calque du roumain qui n'a qu'une forme pour ces
deux fonctions.
- Le complément de temps. L'expression de la durée étant introduite par de (Lucrează de
6 ani), il est fréquent que cette préposition remplace depuis en français (*Il travaille
de 6 ans).
- L'expression de la cause au moyen de pour que. Cette faute est due à la ressemblance
de pentru că (parce que) et pentru ca (pour que) en roumain. Pentru signifiant pour,
une traduction littérale de ces formes aboutit dans les deux cas à pour que, ce qui peut
gêner la compréhension. Un énoncé comme *il veut changer de poste pour que il va
être père peut de ce fait être mal interprété.
o La phrase négative
- Négation totale sans pas. *Il ne parle ces langues est un exemple parmi tant d'autres
de cette faute très fréquente, calque de la construction négative roumaine à un terme
(Nu vorbeşte aceste limbi).

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- Double négation dans les phrases avec pronom négatif. Par hypercorrectisme, les
apprenants commettent une faute interne en utilisant ne pas avec un pronom négatif
(ce n'est pas rien). A moins que ce soit ici encore une influence du roumain où les
deux négations sont présentes. Dans tous les cas, le contre-sens est évident…
- Méconnaissance de la construction pas de. Les étudiants observés semblent éprouver
des difficultés avec la négation française, comme l'atteste un autre type de faute: *Il
n'a pas les enfants pour il n'a pas d'enfants.
o La phrase impersonnelle
- Le problème de il y a. Cette erreur est une des plus fréquemment rencontrée chez les
débutants avec la précédente. Ils ont ici l'habitude d'utiliser le verbe être accordé avec
son sujet, ce qui constitue un calque de la forme roumaine. Citons par exemple *Sur la
table est un ordinateur sur le modèle de Pe masă e un calculator.
- On rendu par se. Ici encore, les apprenants fonctionnent par calque et expriment Dans
ce domaine, on gagne beaucoup d'argent par *Dans ce domaine, se gagne beaucoup
d'argent (In acest domeniu, se câştigă mulţi bani).

Conclusion

Tout au long de cet article, nous avons axé nos commentaires sur les causes, les
processus qui ont amené les étudiants à commettre de telles erreurs. On a ainsi pu remarquer
que la majorité des fautes étaient dues à des interférences entre la langue cible, le français, et
la langue maternelle des apprenants, le roumain. Ceci semble logique puisque, à ce niveau, les
étudiants ne connaissent pas encore suffisamment la langue d'apprentissage pour inférer leurs
propres règles. Par la suite, on peut supposer que les fautes interférentielles vont diminuer au
profit des fautes internes. Une autre étude, sur des apprenants de niveau avancé, serait pour
cela nécessaire.
La fréquence des fautes interférentielles chez les débutants n'est pas sans poser
problème aux professeurs de français langue étrangère. Contrairement à ce que prône la
littérature sur le sujet, il nous semble intéressant et presque indispensable de posséder
quelques notions de la langue maternelle des apprenants. Même si l'interlangue est une notion
individuelle et que l'analyse contrastive a montré ses limites, un recensement des erreurs les
plus fréquentes peut aider les professeurs, et plus particulièrement les professeurs non-
roumanophones, à comprendre les erreurs commises par les apprenants et à les prévenir. Il
peut également servir de piste pour la rédaction d'une méthode adaptée aux apprenants
roumains, un outil de travail qui serait bienvenu.

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Notes

1
Il se pourrait aussi qu'il y ait ici analogie avec la forme française sous.
2
Cette faute n'est pas propre aux débutants puisque Maria Ţenchea a pu l'observer chez des étudiants en lettres
(1999, p. 159).

Bibliographie

1. BESSE, H. et PORQUIER, R., Grammaire et didactique des langues, Editions Didier,


1991.
2. BRĂESCU, M., Dicţionar Francez - Român, Bucureşti : Niculescu, 2001.
3. BRĂESCU, M., Dicţionar Român - Francez, Bucureşti : Niculescu, 2001.
4. CRISTEA, T., Eléments de grammaire contrastive, domaine français-roumain,
Bucureşti : Editura didactică şi pedagogică, 1977.
5. DOCA, G. et ROCCHETTI, A., Comprendre et pratiquer le roumain, Bucureşti :
Teora,1998.
6. FABRE, G., Parlons roumain. Langue et culture, Paris : L'Harmattan, 1991.
7. TAGLIANTE, C., La classe de langue, Paris : Clé International, 1994.
8. ŢENCHEA, M., Etudes contrastives (Français-Roumain), Timişoara : Hestia,1999.

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