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internationale antiterroriste, aidée par les combattants


kurdes que le président américain vient de trahir en
Al-Baghdadi: la victoire de Trump est
les livrant à la vindicte du régime turc d’Erdogan.
surtout symbolique
PAR RENÉ BACKMANN Privé de son emprise territoriale en Syrie et en Irak
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 28 OCTOBRE 2019
et de ses deux bastions, l’État islamique/Daech, dont
La liquidation tardive du fondateur de feu le « califat » nombre de combattants avaient été faits prisonniers,
islamique ne pèsera pas lourd dans le calamiteux bilan n’a pas disparu du jour au lendemain, mais il a été
du président américain au Moyen-Orient, où fausses contraint de changer de nature et de méthodes. Faute
manœuvres et échecs se sont accumulés. d’imposer une dictature d’acier aux populations de son
califat perdu, l’État islamique, désormais privé d’État,
Le 2 mai 2011, lorsque Barack Obama avait annoncé
s’est concentré sur les opérations de guérilla et les
la liquidation au Pakistan d’Oussama Ben Laden,
actes de terrorisme. Deux activités qui risquent fort de
Donald Trump avait posté sur Twitter un message
survivre à la disparition de Baghdadi.
demandant d’attribuer ce succès aux commandos des
Navy Seals et non au président. Devenu, à son tour, Selon plusieurs experts, il est probable que l’État
président des États-Unis, Trump serait bien inspiré de islamique ait depuis des années cherché et trouvé un
se souvenir de cet appel à la modestie. successeur à Baghdadi, dont chacun savait qu’il était,
pour les États-Unis et leurs alliés, une cible majeure.
En effet, si la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, qu’il
Le chef de l’EI avait d’ailleurs choisi d’adopter une
a annoncée dimanche à une heure de grande écoute,
posture plus que discrète. Certes, il restait en contact
en se prévalant à plusieurs reprises de son titre
avec ses troupes mais il était resté silencieux, face au
de « commandant en chef », est évidemment un
monde extérieur, pendant cinq ans avant de diffuser
succès militaire, c’est une victoire essentiellement
en mai dernier une vidéo où il apparaissait, comme
symbolique, qui ne diminuera en rien l’ampleur des
autrefois Ben Laden, en chef de guérilla, avec une
échecs et des erreurs stratégiques et diplomatiques
kalachnikov à portée de la main.
accumulées au Moyen-Orient par la Maison Blanche
depuis l’élection de Trump en 2016. Puis il avait fait diffuser en septembre un message
vidéo où il encourageait ses combattants et ses
sympathisants à agir pour « sauver » les djihadistes
détenus et leurs familles rassemblées dans des camps
de personnes déplacées en Syrie et en Irak. Deux pays
où ses cellules continuaient de commettre des attentats
pratiquement chaque semaine, malgré la perte de leur
territoire.
Donald Trump entouré du vice-président Mike Pence, du secrétaire à la Selon l’Institut national israélien pour les études
défense et de plusieurs de ses conseillers dans la « Situation Room » de la
Maison Blanche, le 26 octobre. © Shealah Craighead/The White House de sécurité, il existe encore quelques enclaves où
Car la véritable victoire contre l’organisation État la présence « militaire » de l’EI est importante.
islamique (EI) ou le « califat » dont Baghdadi s’était L’une de ces enclaves est le désert du Sinaï où une
proclamé le chef, en juin 2014 à Mossoul, n’a pas branche de l’organisation poursuit une guerre d’usure
eu lieu dimanche, dans les environs d’Idlib, lorsque contre l’armée égyptienne. Une autre branche de l’EI
Baghdadi, assiégé, a déclenché le gilet explosif qu’il avait tenté, selon les renseignements israéliens, de
avait revêtu. Elle s’est produite il y a deux ans, s’implanter dans la région du Golan syrien, avant d’en
lorsque Mossoul et Raqqa, les deux « capitales » du être délogée il y a deux ans, par l’armée de Damas et
califat, sont tombées sous les attaques de la coalition ses alliés russes.

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En août dernier, un rapport du Pentagone estimait que d’un nouveau régime de sanctions renforcées contre
l’EI était en train de se réorganiser et de resurgir en Téhéran n’a ni assoupli la position de l’Iran sur ses
Syrie et en Irak avec un effectif de près de 18 000 missiles, ni, pour l’instant, déstabilisé le régime des
combattants. Lorsqu’on rapproche ces informations mollahs comme l’espérait la Maison Blanche.
des avertissements émis par les Kurdes, depuis Autre mauvais calcul : l’alliance avec l’Arabie
l’opération lancée par l’armée turque contre leurs saoudite et les monarchies du Golfe dans leur
positions, avertissements selon lesquels les djihadistes mobilisation contre l’Iran, qui devait permettre
de l’EI détenus dans la région risquent de profiter du d’exercer « une pression maximum » sur la
chaos pour s’enfuir, et rejoindre la clandestinité, on République islamique, a surtout débouché sur une
peut juger exagéré, voire déplacé, le triomphalisme de opération militaire retentissante de l’Iran contre les
Trump. installations pétrolières saoudiennes.
D’autant que cette liquidation-suicide, même si elle Le tout sous le regard apparemment indifférent des
risque de devenir un argument électoral de poids radars et satellites américains et sans provoquer
dans la campagne de Trump, ne fera pas oublier les la moindre action de représailles de Washington.
faux pas et les échecs à quoi se résume l’exercice Résultat inattendu de cet épisode : Israël impressionné
de son premier mandat au Moyen-Orient. L’appui par la « nouvelle donne » stratégique instaurée par
aveugle et inconditionnel accordé à Netanyahou, sous Téhéran et la passivité américaine revoit ses plans de
la forme de la reconnaissance de Jérusalem comme défense. Et Riyad a demandé au Pakistan de lui servir
capitale, puis du transfert de l’ambassade et de la d’intermédiaire pour ouvrir un dialogue avec Téhéran.
reconnaissance de l’annexion du Golan, n’a même pas
Dernière en date des décisions surprenantes et
permis au premier ministre, menacé par de lourdes
cyniques de Washington : le retrait des forces spéciales
accusations de corruption, de conserver les fonctions
américaines du nord de la Syrie et le feu vert de facto
qu’il détient depuis dix ans. Après deux scrutins, le
donné à Erdogan pour passer à l’offensive contre les
pays est toujours à la recherche d’une coalition de
Kurdes, ceux-là mêmes qui avaient aidé la coalition
gouvernement.
internationale à vaincre l’État islamique. Manœuvre
« L’accord du siècle » qui devait mettre un terme à moralement choquante et stratégiquement illisible qui
la question palestinienne est sur le point de passer par a largement contribué à faire de Moscou l’acteur
pertes et profits. Sa version « économique » a donné principal de la scène syrienne.
lieu à Bahreïn à un échec spectaculaire. Les fonds qui
Ce bilan diplomatique et stratégique calamiteux du
devaient être avancés par les États arabes pour acheter
mandat de Trump sera-t-il éclipsé, demain, par la
le renoncement des Palestiniens à leurs aspirations
liquidation d’al-Baghdadi, même vendue au monde
nationales, sont restés au stade de promesses.
par un « commandant en chef » extatique ? On peut
La sortie des États-Unis de l’accord international en douter.
sur le nucléaire iranien n’a été imitée par aucun
autre signataire. Et l’instauration par Washington

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