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plein air sont jonchées d’immondices. Les résidents Se souvenant de leur expérience personnelle pendant
doivent faire leurs besoins dehors : les sanitaires la guerre de 1992-1995, les habitants du canton
sont depuis longtemps hors d’usage. Avec les brumes d’Una Sana ont longtemps regardé avec bienveillance
humides de l’automne, la température tombe déjà en et solidarité les exilés bloqués dans cette impasse
dessous de zéro certains soirs, beaucoup souffrent de de la route des Balkans. Mais aujourd’hui, c'est un
la grippe, tandis que MSF recense de nombreux cas de sentiment de lassitude et d’exaspération qui domine.
tuberculose et de sida. Plusieurs manifestations anti-migrants ont eu lieu
« Si ces personnes restent à l’extérieur, comme c’est à Biha# ces dernières semaines, et les autorités
le cas aujourd’hui, il y en a qui vont mourir cet locales mettent des bâtons dans les roues des rares
hiver, prévient Nihal Osman. Ici, les températures humanitaires présents sur le terrain, comme Médecins
peuvent descendre sous les – 20 °C et les feux de sans frontières. En fait, les réfugiés paient au prix
branchage ne suffiront pas. » L’ONG n’intervient fort les sombres calculs politiques qui opposent les
pas à l’intérieur du camp de Vu#jak, refusant de autorités locales à celles de la capitale, Sarajevo.
cautionner son existence. Pour assurer malgré tout sa Une longue odyssée balkanique
mission humanitaire, son personnel opère dans une Le contrôle des frontières et la gestion des migrations
petite clinique établie dans le village voisin, malgré relèvent théoriquement de l’État central de Bosnie-
l’hostilité des riverains. « On est obligé de se faire Herzégovine et de son ministère de la sécurité, mais le
discrets. On ferme à 15 heures, avant que les gens canton d'Una Sana, qui possède son propre ministère
reviennent du travail », explique Nihal Osman. de l’intérieur, relève de la Fédération de Bosnie-
Seule la Croix-Rouge locale délivre un repas par Herzégovine, l’une des deux « entités » de ce pays
jour – ce lundi, c’était une louche de riz, un peu de toujours divisé. Or, les autorités du canton estiment
sauce à la viande, quelques fines tranches de pain qu’elles sont abandonnées par les autorités fédérales
et un litre de soda. Depuis l’été, les organisations et qu’elles doivent faire face seules à la crise. Leur
internationales pressent les autorités bosniennes de politique vise à donc à rendre les conditions de vie
trouver un autre emplacement, mais celles-ci font des migrants les plus difficiles possibles afin de les
la sourde oreille. « Tout le monde se focalise sur dissuader de rester sur leur territoire. Depuis deux
le scandale humanitaire de Vu#jak, nuance Nihal semaines, elles interdisent même la circulation des
Osman, mais le problème est européen. De plus en réfugiés. Ceux qui sont raflés dans la rue par la police
plus de gens s’engagent sur la route des Balkans, sont immédiatement envoyés à Vu#jak.
et le canton de Biha# en est le débouché naturel. » Pour sa part, l’OIM, qui gère l’ensemble des camps de
De fait, Biha#, à l’extrémité nord-ouest de la Bosnie- Bosnie-Herzégovine, par délégation des compétences
Herzégovine, constitue le point le plus proche de la normalement dévolues à l’État, cherche aussi à
Slovénie et de l’Italie, l'objectif que veulent gagner délocaliser les migrants en insistant pour l’ouverture
tous ceux qui se massent ici. Pour y demander l’asile d’autres camps officiels à l’intérieur du pays, vers
et poursuivre leur route plus sereinement vers les pays Tuzla ou Sarajevo. Une politique qui a peu de chances
de l’ouest et du nord de l'Union européenne. Pour la d’être suivie d’effet, Biha# restant la « porte d’accès »
Bosnie-Herzégovine, en 2019, 28 327 arrivées ont été à la Croatie. De surcroît, bien peu de migrants osent
officiellement enregistrées, en hausse de presque 5 s’aventurer dans le nord de la Bosnie, qui dépend de
000 par rapport à 2018 et presque 30 fois plus qu’en
2017. En Europe, seule la Grèce a enregistré plus
d’arrivées. La Bosnie-Herzégovine dépasse désormais
l’Espagne et l’Italie.
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la Republika Srpska, l’autre « entité » du pays, dont Deux nationalités dominent à Vu#jak, les Afghans et
les autorités prônent une fermeté absolue et refusent les Pakistanais, qui se regardent en chiens de faïence,
l’ouverture de centres d'accueil. chacun occupant sa zone. Les Maghrébins, mal vus,
n’osent pas y rester et se réfugient dans les squats.
Cet été, un Palestinien a été tué d’un coup de couteau.
On trouve pourtant aussi quelques Indiens, et même
trois Sénégalais, qui ont trouvé refuge dans le secteur
afghan. Djallo, 33 ans, est originaire de Kédougou,
à la frontière de la Guinée et du Mali. Il a d’abord
rejoint la Turquie, puis il est passé en Grèce, où il
a travaillé deux ans dans des fermes. Il s’est ensuite
L'épicerie du camp de réfugiés de Vu#jak, en Bosnie-Herzegovine. © Simon Rico engagé sur la route des Balkans, après avoir économisé
Dans les camps officiels, l’OIM multiplie les suffisamment d’argent, pensait-il, pour rejoindre un
campagnes en faveur du retour volontaire. pays riche de l’UE.
Beaucoup de travailleurs humanitaires estiment que Djallo détaille les étapes de sa longue odyssée
l’organisation se préoccupe moins d’apporter une balkanique. Il a franchi clandestinement les frontières
réponse humanitaire que de contribuer à la « gestion de la Macédoine du Nord puis de la Serbie, versant à
des migrations » – c'est-à-dire aux politiques visant chaque fois plusieurs centaines d’euros aux passeurs.
à dissuader les exilés de tenter de gagner l’Union À Preševo, dans le sud de la Serbie, des Pakistanais
européenne. Et ils s’étonnent de l’absence quasi totale lui ont vendu dix euros un faux récépissé de demande
du Haut-Commissariat aux réfugiés (UNHCR), qui d’asile en Serbie, un document pourtant accessible
semble avoir délégué ses compétences à l’OIM. Même gratuitement. Il a ensuite payé 150 euros le passage
le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en barque de la Drina, la rivière qui sépare la Serbie
n’est pas présent. Seules quelques sections nationales et la Bosnie-Herzégovine, puis il a gagné la région de
de la Croix-Rouge ont envoyé des équipes. Biha# en bus et se trouve depuis un mois à Vu#jak.
« Les autorités locales voudraient que ces gens aillent « Dans le nord de la Macédoine, je suis resté bloqué
ailleurs, considérant qu’elles ont trop de migrants dans un village où ils gardent les gens, tant que
à gérer sur leur territoire, souligne Hannu Pekka les familles n’envoient pas l’argent », raconte-t-il,
Laiho, en mission d’observation pour la Croix-Rouge grelottant dans son manteau élimé, des claquettes
finlandaise. Le problème, c’est que chacun des acteurs en plastique dépareillées aux pieds. Deux jours plus
impliqués dans cette crise se renvoie la balle : les tôt, Djallo a été rapatrié dans le camp, après avoir
Bosniens, mais aussi l’OIM et l’Union européenne. » été violemment renvoyé de Croatie. « Cela faisait
Appuyé sur sa canne, le vieil homme s’émeut du sort dix jours que nous marchions avec un groupe de
réservé aux malheureux qui échouent ici. « Tout le Pakistanais et d’Afghans. On nous a arrêtés près de
monde veut se débarrasser de Vu#jak. En attendant, la Slovénie et on nous a ramenés jusqu’ici… Je n’ai
ces gens sont tout bonnement livrés à eux-mêmes. opposé aucune résistance, mais les policiers m’ont
La tension est palpable, mais je m’étonne que ce tout pris. » Désespéré, sans un sou, Djallo envisage
ne soit pas pire encore vu les conditions dans désormais de repartir en arrière. A minima jusqu’en
lesquelles doivent vivre ces hommes. Tous les jours, ils Grèce, « parce que là-bas, au moins, on peut travailler
m’interrogent pour savoir si de nouveaux camps vont et gagner un peu d’argent ». Les violences de la police
ouvrir, en Bosnie, ou en Croatie. Je n’ai rien à leur croate visent à dissuader les gens de tenter le voyage.
répondre de concret. » Zagreb a d’ailleurs été félicitée par ses partenaires
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