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Actes des colloques du Groupe

de recherche sur l'esclavage dans


l'antiquité

La stimma divisto de iure personarum. Quelques considérations à


propos des formes de dépendance dans la réalité romaine
L. Capogrossicolognesi

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Capogrossicolognesi L. La stimma divisto de iure personarum. Quelques considérations à propos des formes de dépendance
dans la réalité romaine. In: Religion et anthropologie de l'esclavage et des formes de dépendance. Besançon 4-6 novembre
1993. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté, 1994. pp. 163-177. (Actes des colloques du Groupe de recherche
sur l'esclavage dans l'antiquité, 20);

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Religion et anthropologie de l 'esclavage et des formes de dépendance,
Besançon 4-6 novembre 1993, pp. 163-177.

La summa divisio de iure personarum :


quelques considérations à propos des formes de dépendance
dans la réalité romaine.

Luigi CAPOGROSSI COLOGNESI


(Rome)

Dans ses Institutiones , Gaius propose une classification que


nous pouvons définir "classique" des statuts juridiques individuels
dans le droit romain. Elle est fondée comme on le sait bien, sur la
fondamentale summa divisio entre hommes libres et esclaves.

La simplicité de cette distinction et l'importance qu'elle aura


dans la théorie et la pratique juridique romaine ne peut toutefois,
d'aucune façon, justifier l'idée (partagée par bien des savants
contemporains) du caractère originel de cette classification et, je dirais, de sa
valeur presque "naturelle" dans l'expérience juridique romaine.

Sur ce point, je voudrais exposer quelques doutes. Il ne s'agit


pas, bien entendu, d'exclure que les esclaves n'étaient pas connus à
Rome, dès l'âge le plus reculé de son histoire. A ce propos, je suis
convaincu que l'idée encore répandue, d'une origine étrangère de
l'esclavage (Benvéniste, De Martino) est fondée sur des malentendus.
Dans l'histoire de Rome, dès les premiers rois, nous rencontrons des
esclaves1.

Mais le problème que nous devons envisager est différent : il


s'agit en effet, de savoir si la distinction entre hommes libres et
esclaves était capable de résumer et de comprendre la complexité des
relations sociales et juridiques entre les individus. Sur ce point, je suis

1. Cf. sur ces problèmes quelques indications dans L. CAPOGROSSI


COLOGNESI, Proprietà e signoria in Roma antica, 2e ed., Roma, 1994,
pp. 278 sì?.
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convaincu que la simplification représentée par la summa divisio est le


produit d'un processus évolutif difficile et prolongé dans le temps.

En effet, si nous considérons les formes de la société romaine


archaïque, nous rencontrons une complexité des statuts individuels et
de relations sociales et juridiques entre les individus très élevée. Une
complexité qui ne peut trop aisément être réduite à la double
catégorie des libres et des esclaves.

En premier lieu, je voudrais évoquer à ce propos, la relation


entre les clients et les aristocraties gentilices, dans la période
archaïque. La forme de dépendance qui lie le cliens au patronus qui se
rapporte au concept de fides ne peut être d'aucune façon rapporté à la
condition des esclaves. Les clients sont des hommes libres, ils font
partie de la communauté politique - même dans leur condition
subordonnée - et dans la longue période, ils deviendront un élément
constitutif de la plèbe. Il est possible de penser que, dans la première
période de l'histoire de Rome, cette forme de travail dépendant, ait
été bien plus important que la main d'oeuvre fournie par les esclaves1.

Il faut rappeler aussi la hiérarchie très sévère à l'intérieur des


structures familiales romaines : ce qui a contribué à une interprétation
de la condition du filius familias comme assujeti à une puissance
semblable, sinon identique à celle que le pater exerçait sur les esclaves2.

Les situations de dépendance, dans ce système archaïque sont


bien plus nombreuses et différenciées. Il me suffit de rappeler en
premier lieu la situation du citoyen endetté qui mancipium fecit de soi-
même en garantie de ses dettes et qui est soumis à la puissance du
créancier (nexum). Il est probable que celui-ci ait eu la faculté
d'exploiter la force de travail de l'endetté.

Il faut encore rappeler la condition du filius familias qui a été


transférée in mancipio et assujetti à la puissance d'un autre pater

1. Sur ces aspects v. J.-C. RICHARD, Les origines de la Plèbe à Rome, Rome,
1978 ; v. aussi L. CAPOGROSSI COLOGNESI, Proprietà..., cit., chap. I
et 2.
2. A la définition des pouvoirs du pater familias est dédiée une grande
partie des relations publiées dans les Actes du Colloque de Copanello
(1982), "Poteri negotia actiones" nella esperienza giuridica romana arcaica,
Napoli, 1984, avec référence s bibliographiques. Voir aussi G. LOBRA-
NO, Pater fïlus eadem persona, Milano, 1985.

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familias qui pourra l'exploiter comme un esclave, mais qui ne devient


pas pour cela un vrai esclave, ne perdant pas sa civitas1. Il y a encore
ceux qui ont été l'objet d'une exécution personnelle pour des dettes
non payées ou ceux qui ont été l'objet d'un jugement qui les a assignés
à la puissance de leur créancier (les addicti, les judicati) et, enfin, ceux
qui se sont eux-mêmes vendus à d'autres citoyens, sans pour cela être
devenus de vrais esclaves (auctorati).

Je rappellerai encore la situation de subalternité de ceux qui ont


été rachetés aux ennemis chez qui ils étaient prisonniers et esclaves
(redempti ab hostibus). Ils vont rester dans la puissance de celui qui les
a rachetés jusqu'au moment où il reçoit le prix qu'il a payé pour le
rachat2. Et encore, nous devons rappeler la condition des noxae dediti
pour des délits commis contre un autre groupe familial.

La condition de la femme donnée en mariage et qui est in manu


mariti et in potestate du père de celui-ci, est tout à fait étrangère à la
notion de subalternité dans un sens parallèle à celui de l'esclave, mais
faisant quand même objet d'une puissance domestique non moins
autoritaire.
Il est assez probable que la plus grande partie de ces situations
constituait la source d'un travail subalterne exploité par ceux qui
avaient une puissance temporaire ou permanente sur ceux-ci. Les
obaerati, évoqués dans un passage bien connu de Varron3 qui
travaillaient dans les campagnes italiques et les ergastula des hommes
"libres" qui sont attestés aux temps d'Hadrien4 doivent se référer à ces
cas.

1. Sur ce problème, v. tout récemment G. PUGLIESE, In mancipio esse, in


Satura K. Feenstra, Fribourg (Suisse), 1985, pp. 43 sq .
2. Pour tous ces cas, v. B. ALBANESE, Le persone nel diritto privato romano,
Palermo, 1979, pp. 386 sq. ; L. PEPPE, Studi sull'esecuzione personale, I,
Milano, 1981.
3. Il s'agit d'un passage bien connu de Varron, re rust., 1.17 : omnes agri
coluntur hominibus servis aut liberis aut utriusque : liberis aut cum ipsi
colunt, ut plerique pauperculi cum sua progenie, aut mercennariis, cum con-
ductiis liberorum operis res maiores, ut vindemias ac faeniscia,
administrant, iique quos abaerarios nostri vocitarunt et etiam nunc sunt in Asia atque
Aegypto et in Illirico complures . Sur l'emploi de obaerarius ou de obaeratus
dans les manuscrits de Varron, voir tout récemment E. LO CASCIO,
"Obaerarii"
("obaerati") : la nozione della dipendenza in Varrone,
Index, 11 (1981), pp. 265 sq. Cf. aussi P. W. de NEEVE, Colonus,
Amsterdam, 1984, pp. 1/9 sq .
4. Cf. SHA, Hoar., 18.10 : Ergastula servorum et liberorum tulit.

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II est possible d'imaginer que, pour une classification efficace


de toutes ces situations, plutôt que la summa divisio entre liberté et
esclavage, on ait pu utiliser l'autre distinction archaïque des
jurisconsultes romains entre personae sui iuris et alieno juri subiectae1.

Toutes les situations que j'ai très rapidement évoquées


persistent encore dans une phase plus récente du droit romain à la fin
de la République, bien que dépourvues désormais de toute
importance pratique. On ne peut plus apercevoir leur signification d'origine
et non plus les différents régimes qui les réglaient. Ce qui est
significatif - même pour comprendre la situation plus ancienne - c'est que
dans aucune de ces situations, l'individu ne perd son statut de citoyen
et d'homme libre.

Entre le pater familias, le vir bonus et l'esclave, le verna, le


famulus, l'homo dans cette période plus reculée,, il y a donc une série de
situations intermédiaires qui empêchent une séparation trop rigide
entre liberté et esclavage.

2.- Le "progrès", l'évolution du droit de la cité - entre l'âge de


Servius et la moitié du IVème siècle avant notre ère - coïncide avec la
dissolution de la société aristocratique et patriarcale et la perte
d'importance pratique de toutes ces situations évoquées ici. C'est alors
qu'apparaît une nouvelle conception du citoyen ainsi que des
garanties introduites par la cité pour défendre la liberté et le statut
politique de celui-ci.

Avec la fin de l'asservissement pour dettes et de toutes formes


d'assujetissement individuel à une puissance d'un autre citoyen, avec
l'égalité de tous les citoyens devant la loi de la cité, on peut rappeler
la plus fondamentale des garanties de la libertas de tous citoyens : la
provocano ad populum . Celle-ci, avec Yintercessio des tribuns de la Plèbe
doit être considérée comme une limitation posée à la toute puissance
de l'Etat. Dans la conscience politique des Romains et dans leur
mémoire historique, elle s'identifie avec la libertas républicaine. C'est à
ces institutions que la pensée politique du XVIIème et du XVIIIème
siècles reviendra dans sa réflexion sur les formes modernes de la

1. Gai., 1, 48 : Sequitur de iure personarum alia divisio. Nam quaedam personae


sui iuris sunt, quaedam alieno iuri subjectae sunt, aliae in potestate, aliae in
manu, aliae in mancipio sunt. V. B. ALBANESE, Persone, pp. 205 sq.

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La sutntna divisio de ture personarum ... 1 67

liberté et de l'organisation politique. La fin des stratifications


complexes et des formes de dépendance se réalise en même temps que les
transformations politiques et contribue à la formation de l'idéologie
de la cité républicaine.

Cela ne signifie pas que dans la société romaine à l'âge de la


République s'imposaient des tendances démocratiques et égalitaires.
Plus simplement, la fin du système des ordres et des statuts
différenciés et la simplification des formes de dépendance correspond à de
nouvelles formes de circulation économique, à un niveau plus élevé
de richesse. Dans cette situation plus évoluée, les oligarchies romaines
ont la possibilité de réaliser des formes plus "modernes" et efficaces
d'exploitation du travail dépendant, avec une conception plus sévère
de l'esclavage.

C'est dans cette nouvelle période de l'histoire de Rome que la


distinction entre hommes libres et esclaves va s'accentuer d'une façon
presque jamais réalisée dans le monde ancien.

La fin de l'esclavagisme "patriarcal" et même la croissance


numérique des esclaves dont les propriétaires romains avaient une
pleine disposition, contribuait au changement des conditions de vie
des esclaves, de plus en plus mauvaises, et à une conception
péjorative de leur régime juridique. Nous pouvons encore apercevoir, entre
l'époque de Plaute et celle de Terence, le conflit qui, au niveau du
langage, se dégage entre hommes libres et esclaves, ceux-ci en
essayant de conserver une conception plus archaïque de leur
condition et pourtant plus favorable1. A la moitié du Ilème siècle av.
J.-C, même la mémoire linguistique de cette interprétation disparaît à
jamais : désormais, les hommes réduits en esclavage ne diffèrent pas
des autres choses et des animaux en dominium ex iure Quiritium .

C'est à ce moment que paraît le traité de Caton de re rustica qui


propose, déjà parfaitement dessiné, un nouveau type d'organisation
du travail dans l'agriculture, constitué par la villa esclavagiste. Je
voudrais souligner que les esclaves ne sont pas supposés fournir
seulement une force de travail, mais aussi une capacité de direction et

1. Sur les tendances du vocabulaire des esclaves, voir L. CAPOGROSSI


COLOGNESI, La denominazione degli schiavi e del padrone nel latino
del terzo e del secondo secolo a. C, Actes colloque sur l'esclavage Girea
(Nieborow, 1975), Warszawa, 1979, pp. 171 sq .

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de gestion de la villa . C'est à ceux-ci qu'est en effet confiée par les


propriétaires fonciers résidant à la villa, la responsabilité de la
direction technique et économique ainsi que le contrôle des autres
esclaves qui travaillent dans la villa1.

Le rôle de plus en plus important de l'esclavage dans la société


et dans l'économie romaine du Ilème siècle av. J.-C, jusqu'aux II-
Illème siècles, et la simplification des catégories juridiques et des
statuts individuels effectués par la science juridique romaine dans la
même période, aboutissent à un résultat bien compréhensible. C'est-à-
dire que la complexité juridique des rôles économiques et sociaux qui,
auparavant, empêchait toute solution de continuité entre liberté et
servitude, maintenant est reconduite à l'intérieur de cette dernière
catégorie.

Dans la même condition juridique d'esclave, nous avons donc


aussi bien la plus grande partie de la main-d'oeuvre subordonnée,
destinée à tous les travaux ruraux et urbains, que des spécialistes bien
qualifiés dans les différents domaines de la vie économique, sociale et
même culturelle romaine. Et c'est en considération de cette nouvelle
situation que les jurisconsultes romains, après avoir théorisé
l'assimilation des esclaves à tous les autres objets en propriété quiritaire (la
pleine propriété romaine), s'engagèrent dans une voie apparemment
contradictoire. Il s'agissait de reconnaître aux esclaves une certaine
personnalité et la possibilité de jouer un rôle dans les relations
juridiques et dans les négociations commerciales. Ce qui - en théorie -

Sur les formes d'organisation de l'exploitation agraire romaine de la


fin de la République aux premiers siècles de l'Empire, voir pour la
bibliographie de ces dernières années, K. D. WHITE, Roman farming,
London-Southampton, 1970, pp. 332 sa. ; E. GABBA, Sulle structure
agrarie dell' Italia romana fra III e I sec. a. C, in E.
GABBANI. PASQUINUCCI, Strutture agrarie e allevamento transumante nell'
Italia romana, Pisa, 1979, pp. 15 sa. ; Società romana, e produzione
schiavistica (ed. A. GIARDINA - A. SCHIAVONE), Voi I et II, Bari,
1981. Voir aussi F. DE MARTINO, Storia economica di Roma, II, Firenze,
I-II 1979, pp. 87 sq. ; pp. 228 sa. ; J. PERCIVAL, The Roman villa,
London, 1976, chap. Ill, V, VII ; J. KOLENDO, L'agricoltura nell' Italia
romana (tr. it.), Roma, 1980, et V. I. KUZICIN, La grande proprietà agraria
nell'Italia romana (tr. it.), Roma, 1984, et, plus récemment, A. CARAN-
DINI, Schiavi in Italia, Roma, 1988, pp. 33 sq. ; 330 sq. Ces ouvrages
n'ont pas diminué la valeur des classiques recherches de Weber,
Gummerus, et Heitland, auxquelles je crois qu'il faut ajouter le nom de
Dohr.

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La sutnma divisio de iure personarum ... 169

n'était pas possible, étant donné que le droit romain excluait, dans sa
rigueur, toute personnalité aux esclaves.

Avec l'empirisme et l'élasticité qui justifient l'importance et la


vitalité du droit romain, les juristes républicains ont été capables de
résoudre cette difficulté, surtout en se référant aux aspects procès -
suels : les actiones adiecticiae qualitatis sont le point de départ d'une
évolution qui, en donnant de plus en plus d'autonomie aux esclaves
autorisés en cela par leurs maîtres, caractérisera toute la période de la
jurisprudence "classique". Dans cette évolution, on ira jusqu'à
reconnaître à certains esclaves - toujours avec le consentement au moins
initial de leurs domini - de se proposer comme une contrepartie de
leur maître dans des négociations juridiques1.

3. Je voudrais revenir maintenant à certains aspects de


l'organisation rurale en Italie, dans le premier siècle de l'Empire. C'est ici en
effet, qu'on peut apercevoir un témoignage significatif de cette
tendance que j'ai tout à l'heure citée. En effet, dès l'époque
républicaine, nous savons que les propriétaires fonciers romains n'exploitaient
pas leurs fonds exclusivement selon le schéma de la villa catonienne
que j'ai évoqué. Il pouvait suivre un autre critère, inspiré lui-même de
la gestion des terres publiques (et suivi plus tard dans l'exploitation
des propriétés impériales). Il s'agissait de la location de ces même
domaines à des conductores qui en avaient la responsabilité de la
gestion.

Il est intéressant de constater que, selon le témoignage du


Digeste, pour les juristes républicains et du Principat, le domaine le
plus important et le plus fréquent d'application de la locatio conductio
rei a été précisément la location des fonds de terre. Même la location
des propriétés urbaines semble avoir été considérée par ces
jurisconsultes d'une façon un peu plus marginale que celle des fonds de
terre. Nous nous intéresserons ici au cas d'un grand domaine divisé
par son dominus en plusieurs unités foncières, chacune d'elles louée à
un petit colonus qui travaille directement la terre avec l'aide de sa
famille de quelques esclaves. C'est une situation fréquente et bien

Cf. I. BUTI, Studi sulla capacità patrimoniale dei "servi", Napoli, 1976 ;
M. MORABITO, Les réalités de l esclavage d 'après le Digeste, Ann. Univ.
Besançon, Paris, 1981, pp. 103 sq. et plus récemment, A. DI PORTO,
Impresa collettiva e schiavo "manager" in Roma antica (H sec. a. C. - II sec. d.
C), Milano, 1985.

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attestée dans nos sources pendant toute la période historique à


laquelle nous nous intéressons ici1.

Le système que j'ai très rapidement évoqué, présupposait


naturellement la présence d'une quantité suffisante d'agriculteurs libres
dans les campagnes qui pouvait constituer des coloni de ces fonds. Il
ne faut pas croire toutefois que, dans le cas où cette disponibilité
d'une population libre n'existait pas, les grands propriétaires auraient
été obligés de suivre le modèle alternatif d'entreprise agricole
représentée par la villa catonienne. Bien au contraire, les domini, si les
conditions générales ou leurs choix individuels conseillaient
l'application du schéma de la location, étaient capables de reconstituer
artificiellement les conditions pour l'existence de ce rapport.

C'est dans ce cas là, en effet, que nous pouvons apercevoir


l'origine d'une situation juridique qui est attestée d'époque très
ancienne et qui semble se reproduire régulièrement pendant la
période "classique" de la jurisprudence impériale. Je me réfère au
servus quasi colonus . Je me bornerai, pour les aspects plus strictement
juridiques de cette situation, à souligner encore une fois l'élasticité des
juristes romains qui n'exigèrent pas d'aller bien au-delà des limites
représentées par les actiones adiecticiae qualitatis et du système des
peculia pour subvertir presque entièrement la summa divisio de iure
personarum2.

Cette opération réalisait au mieux les avantages de la location


des fonds aux coloni. Tous les aspects de subordination et toute la

1. Beaucoup d'ouvrages mentionnés p. 168, n. 1, traitent aussi de ce


problème. Il faut ajouter la citation de deux importantes recherches qui
nous donnent une perspective suffisamment exhaustive, d'une
bibliographie extraordinairement étendue et qui comprend les ouvrages des
plus éminents savants de plusieurs générations d'historiens, de
Godefroy à Savigny, de Fustel de Coulantes à Mommsen, Rostovzev
et Schulten. Cf. G. SEGRE, Studio sull ' origine e sullo sviluppo storico del
colonato romano, Arch, giur., 1889-90, réédité dans SEGRE, Dalle radici
pandettistiche alla maturità romanistica, Torino, 1974, pp. 227 sq. ; R.
CLAUSING, The Roman Colonate. The Theories of its Origins, New York,
1925. Dans ces dernières années, ont été publiés des ouvrages très
importants. Je rappellerai surtout M. I. FINLEY, Private Farm Tenancy
in Italy before Diocletian, dans FINLEY (ed.), Studies in Roman Property,
Cambridge, 1967, pp. 103 sq. P. W. de NEEVE, Colonus, Amsterdam,
1984, et K. P. JOHNE - J.KOHN - W. WEBER, Die Kolonen in Italien und
den Westlichen provinzen des Ròmischen Reiches, Berlin, 1983.
2. Sur ce point cf. G. GILIBERTI, Servus quasi colonus, Napoli, 1981.

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La stimma divisto de iure personarum ... 1 71

capacité de pression économique sur les coloni, étaient assurées de


cette façon. D'un côté, l'intérêt des esclaves ruraux à s'élever de la
condition de mancipia enchaînés dans l'organisation "di massa" de la
main-d'oeuvre servile des villae et des latifundia pouvait contribuer à
établir un prix de la location à un niveau plus élevé que dans le cas de
coloni libres. De l'autre côté, le pouvoir de contrôle des domini sur la
qualité du travail du colonus, sur ses choix dans l'exploitation du fond
de terre, sur le respect du contrat de location était plus fort.

Même la tendance, déjà attestée au commencement de l'Empire,


des domini à lier les coloni à la terre - au moins jusqu'au paiement de
leurs dettes - était, dans notre cas, assurée par la liaison personnelle
de l'esclave-colon à son dominus, sinon à la terre.

Il y a un autre aspect aussi de la condition du servus quasi


colonus qui doit être considéré dans toute son importance. Il s'agit de
la possibilité, je dirais presque de la nécessité pour celui-ci de former
une famille servile régulière. Tandis que le système des ergastula, et
plus encore, celui de la villa esclavagiste ne favorisait pas la présence
d'un nombre significatif de femmes esclaves dans la grande propriété
et la formation des familles serviles, ce type différent d'organisation
de la production agricole en favorisait le développement. La
conséquence était un plus grand intérêt de l'esclave pour son travail : ce
que les agronomes latins, en effet, avaient déjà observé.

Intérêt donc des esclaves à la formation d'une famille, à une vie


plus élevée que celle qui caractérisait les grandes villae esclavagistes,
ce qui était assuré par un système de cultures dont la partie destinée
aux consommations des coloni était plus élevée que dans le cas de la
villa plus orientée en faveur des productions destinées aux marchés.
L'intérêt des domini consistait, au contraire, dans la stabilité et la
productivité plus élevées de ces servi quasi coloni et, en plus, dans la
reproduction de cette forme de travail grâce à ces familles.

A l'époque de Pline le Jeune et de Trajan, on peut apercevoir


une nouvelle tendance qui de plus va assimiler la condition des coloni
libres à celle des servi quasi coloni, plus étroitement liés à la terre. La
liberté du colonus à la fin de la période prévue par le contrat de
location perd sa valeur pratique, tandis que la pression des
administrateurs des grands propriétaires, en premier lieu de l'Empereur, tend
à homogénéiser les différentes conditions des coloni. Les témoignages

Religion et anthropologie de l'esclavage...


172 L. CAPOGROSSI COLOGNESI

épigraphiques des grands domaines africains montrent que des


nouvelles formes de dépendances se sont désormais développées à la
place du vieux régime des esclaves.

En parallèle, nous connaissons les transformations des


domaines ruraux et des formes d'exploitations de ceux-ci. J'ai eu
l'opportunité, il y a quelques temps, d'analyser un passage de
Columelle dans lequel on peut apercevoir une tendance de la villa
esclavagiste à s'accroître encore et à se renfermer par rapport à
l'extérieur. De cette façon, les relations entre la villa et les marchés
urbains s'affaiblissent, tandis qu'elles s'éloignent - sinon
physiquement, au point de vue économique - de la ville. C'est le latifundium qui
tend à se substituer aux vieux modèles. Dans le même temps, le mot
saltus accentue sa signification de grandes propriétés foncières qui
s'élargit bien au-delà du beau paysage agricole exalté par Vairon.

4. Pour revenir à la forme classique de l'esclavage, je voudrais


souligner une particularité très importante dans le régime de cette
institution et qui ne disparaîtra pas dans la période la plus intensive
de l'esclavagisme romain. Je me réfère à l'étroite association effectuée
par le droit romain du concept de liberté et de celui de citoyen. A l'âge
le plus reculé, les maîtres, avec leur toute puissance sur la vie et la
mort de l'esclave, avaient en effet un autre pouvoir qui venait, lui-
même de la civitas. Ils pouvaient donner la liberté à leurs esclaves,
mais avec cette nouvelle condition, leur conféraient aussi
nécessairement le statut de citoyens romains.

Lorsqu'à la fin de la République, la civitas romaine deviendra


un statut personnel très apprécié dans tout le monde méditerranéen,
et quand la condition des esclaves romains sera devenue beaucoup
plus mauvaise qu'auparavant, le régime juridique des manumissiones
ne changera pas. Les nouvelles situations représentées par les latini
iuniani et les dediticii aeliani correspondent à des limitations imposées
à la liberté des domini d'effectuer ces manumissions massives1.

La facilité avec laquelle on octroyait aux esclaves, avec la


liberté, la civitas romaine, avec le seul consensus de leurs anciens

1. Cf. entre autres M. MORABITO, Les réalités ..., cit., pp. 228 sq . Sur ces
aspects, il est indispensable d'utiliser aussi les recherches inspirées par
le Centre d'Histoire ancienne de l'Université de Besançon.

Religion et anthropologie de l'esclavage...


La sutntna divisto de iure personarutn... 173

maîtres, peut bien être opposée à la condition des étrangers pour ce


qui concerne leur jouissance du droit romain et leur admission à la
civitas romaine. En effet, à la période archaïque, le changement de
statut des groupes sociaux était plutôt facile : la polis n'ayant pas à
assumer cette position forte et donc très exclusive qui sera le propre
de la période suivante. Il est suffisant de rappeler la survivance,
même dans ce cas précis, de pratiques qui devaient être plus
communes et plus généralisées dans la phase précédent la migration
de Claude qui est évidemment l'épisode le plus important que nous
connaissons de ce changement de statut et la facilité avec laquelle une
communauté gentilice étrangère est reçue dans la communauté
politique. Mais à un moment donné nous voyons que la polis devient
un organisme serré et surtout que le droit civil, le droit des citoyens,
va devenir un droit exclusif : il ne s'applique pas aux étrangers. Cet
exclusivisme de la ville ancienne a été si fort qu'il a justifié les idées
courantes au siècle dernier d'une naturelle hostilité entre les
différentes communautés politiques, entre les Etats anciens. Je ne
reprendrai pas cette discussion qui n'a aucun intérêt pour nous ici,
mais je voudrais souligner que dans cette phase archaïque, les
premiers moyens avec lesquels on donne des garanties à l'étranger,
sont fondés sur des éléments religieux. Même l'hospitium, Yhospitiutn
publicum et privatum est fondé sur la fides c'est-à-dire sur un élément
qui n'est pas étroitement juridique, mais qui se rallie à la sphère
religieuse des intra-individuelles. Ensuite le mécanisme que le droit
romain connaît pour modifier cette exclusion juridique de l'étranger,
ce sont deux systèmes différents :

- l'un est représenté par le ius commerci par l'assimilation


partielle de l'étranger aux citoyens
- l'autre par la formation d'une nouvelle dimension juridique
qui soit commune à l'étranger comme au citoyen : c'est le ius gentium.

La partie plus dynamique de la vie juridique romaine s'est


concentrée dans cette deuxième solution ; c'est la sphère du ius
gentium , surtout lorsque le prêteur peregrinus, après 242 av. n. è.,
pourra régler dans l'administration de la justice la position des
étrangers en renouvelant et en élargissant les institutions juridiques
romaines. Dans les deux cas, du commercium et du ius gentium, nous
voyons que la condition de départ c'est la reconnaissance de
l'appartenance de l'étranger à une communauté juridique tout à fait
différente de celle de Rome et qui est considérée souveraine. Par
exemple dans le cas de commercium, et c'est ce qui s'est passé entre

Religion et anthropologie de l'esclavage...


1 74 L. CAPOGROSSI COLOGNESI

Rome et les cités du Latium vêtus, les plus anciennes alliées de Rome,
le principe de la réciprocité est le principe fondamental, c'est-à-dire
que tandis que le citoyen de Tibur ou de Praeneste qui se trouve à
Rome et participe à la vie juridique romaine peut jouir du droit civil
romain, de même le citoyen romain qui se trouve à Tibur ou à
Praeneste et devient propriétaire d'un terrain, tombe sous le coup du
droit de Tibur ou de Praeneste et non du droit romain.

Il faut souligner que cette réciprocité va durer longtemps,


autant que le pouvoir politique romain sur les communautés du
Latium vêtus est devenu, même au point de vue formel, absolu après
338, lorsque le sénat romain peut décider de la destinée de ces villes
sans aucun accord international. C'est une décision unilatérale du
souverain, c'est-à-dire du Sénat romain qui va établir la condition de
ces villes et de ces citoyens. Mais, du point de vue formel, la volonté
des Romains est de conserver l'autonomie juridique des
communautés politiques du Latium et de l'Italie.

La conséquence en est que jusqu'au bellum sociale et jusqu'à la


lex Cornelia, lorsque la citoyenneté romaine est donnée à tous les
Italiens, les droits de ces villes vont se conserver. C'est ainsi que, pour
la première fois, le système politique romain va séparer le pouvoir
politique du statut juridique, c'est-à-dire que le droit romain va
devenir seulement une partie de ce qui est l'organisation politique
romaine. Dans celle-ci, à côté de la condition du statut du citoyen
romain, il y a un nouveau statut, celui du citoyen latin, garantit
directement par Rome. La même opération se passera dans les siècles
suivants aussi pour le statut de peregrinus. La notion de peregrinus,
"étranger", c'est la notion de celui qui appartient à une communauté
souveraine non hostile, mais tout à fait indépendante de Rome. Ceci
est la notion originelle, notion que l'on trouve aux commencements
de la République. Mais entre celle-ci et la valeur que ce terme
peregrinus va assumer vers la fin de la République, il y a ce grand
changement de relations politiques qui s'est produit dans la Péninsule
italique bien avant même la deuxième guerre punique ; c'est-à-dire
que de plus en plus les sodi, les alliés, vont passer d'une position
paritaire et donc souveraine à l'égard de Rome à une position de
"souveraineté limitée" pourrions-nous dire en employant une
terminologie moderne, dans laquelle on présuppose quand même une
supériorité politique des Romains : la majestas populi romani. Même le
statut du socius, des peregrini donc, n'est plus le statut de celui qui

Religion et anthropologie de l'esclavage...


La stimma âivisio de ivre personarum ... 1 75

appartient à une communauté souveraine étrangère à Rome, mais va


devenir le statut des étrangers qui appartiennent à la même
communauté politique romaine, c'est-à-dire que la souveraine, Rome, peut
disposer de ce statut comme celui du Latin.

Et nous voyons, par exemple, que le statut de latin est multiplié


par les Romains, avec la fondation des colonies latines. Au
commencement les colonies latinae étaient des colonies fondées par la Ligue,
mais bien avant 338, c'est Rome directement qui va fonder de
nouvelles colonies et peut disposer de ce statut et donc donner à
certains individus la citoyenneté romaine, à d'autres le statut de latin.
Et la même chose se passe pour le peregrinus.

Tout ce que j'ai dit nous aide à mieux évaluer l'argument


central de ce discours qui est la position juridique de l'esclave au
milieu de l'affranchissement. Ce qui nous frappe au point de vue
étroitement juridique, c'est la grande libéralité avec laquelle le droit
romain a disposé de la citoyenneté romaine dans le mécanisme de la
libération de l'esclave. Nous devons bien rappeler à ce propos la
raison pour laquelle chaque citoyen peut donner à un esclave avec la
liberté la citoyenneté romaine : c'est exactement la liaison très étroite
qui au commencement se pose entre la libertas et l'appartenance à une
cité. Il n'y a pas une libertas bien garantie pour celui qui n'a pas de
statut juridique, politique et l'appartenance à une ville souveraine. Et
donc si dans le milieu d'application du droit romain on va donner la
liberté à quelqu'un, celui-ci doit avoir, avec la liberté, le statut de
citoyen. Cette liaison entre civitas et libertas était bien compréhensible
lorsqu'il y avait à Rome, dans cette période archaïque, une quantité
très limitée d'esclaves. Nous parlons d'une servitude, d'un esclavage
de type archaïque, de type patriarcal dans lequel les esclaves sont des
personnages qui sont nés dans la maison ou qui ont vécu très à côté
du maître. Ce qui est vraiment le problème historique intéressant c'est
que le droit romain n'a pas changé de régime lorsqu'il y avait toutes
les conditions socio-économiques d'un côté et les conditions
juridiques de l'autre pour changer ce régime. C'est-à-dire lorsque l'Etat
romain a intégré des statuts juridiques, des statuts politiques
parallèles à la cité romaine, mais différents - le statut de latinus à partir de
la fin du quatrième siècle, et dans les derniers siècles av. n. è., même
le statut de peregrinus . A ce moment là, il y avait donc la possibilité de
séparer la libertas qui était reconnue à tous les sodi. Rome avait
théoriquement la possibilité d'assurer aux anciens esclaves la libertas

Religion et anthropologie de l'esclavage...


176 L. CAPOGROSSI COLOGNESI

en l'associant à la condition de peregrinus, ou à celle de latinus, sans lui


donner la citoyenneté.

Nous voyons qu'à la fin de la République et qu'au


commencement de l'Empire nous avons une série de lois qui, en effet,
introduisaient pour les esclaves affranchis des limitations, en assurant
le statut non de citoyen romain, mais de latinus, de dediticius. Mais il
s'agissait de lois marginales, il n'y eu pas un changement radical. On
voulait limiter la quantité des affranchis qui pouvaient accéder à la
citoyenneté romaine, mais cette limitation n'était pas une exclusion.
Et cela, selon moi, est la grande différence et la grande nouveauté
dans l'histoire ancienne introduite par l'expérience romaine, en
réalisant cet extraordinaire dynamisme au point de vue de la mobilité
sociale. Nous savons très bien naturellement que l'esclavagisme
romain est peut-être le plus sévère et le mode d'exploitation le plus
sauvage dans certains moments que le monde ancien a connu même
en considérant les esclaves des mines en Grèce etc. Mais il y a aussi
une grande articulation sous l'exploitation des esclaves : d'un côté la
main d'oeuvre dont on parlait ce matin, de l'autre une série de
titulaires de techniques spécialisées des formes culturelles plus
élaborées que celles du ferum victorem, qui travaillaient à côté des
maîtres, les esclaves urbani, qui avaient le plus de possibilité
d'affranchissement.

L'autre aspect sur lequel je voudrais insister, c'est le fait que ce


n'est pas seulement la citoyenneté romaine qu'on donnait aux
esclaves, mais on donnait à leur descendance une complète
assimilation aux vieux citoyens. Il y a dans le système romain une
séparation entre les classes sociales qui ne peuvent accéder à une
carrière et à une mobilité sociale très forte. Bien évidemment il est
difficile d'appartenir à l'ordre sénatorial en provenant d'une condition
servile, même pas à des niveaux un peu inférieurs car toute
possibilité de participer à la vie politique et sociale de la ville dépend
de la naissance, c'est-à-dire le statut d' ingénus. Or, l'esclave affranchi
n'aura jamais ce statut d'ingénus car il est destiné à appartenir à
l'ordre des libertini . Mais les fils ou les fils du fils de l'esclave qui sont
nés ingenui, sont pleinement intégrés dans la communauté politique
et civile romaine.

Religion et anthropologie de l'esclavage...


La summa divisto de iute personarum ... 1 77

Ceci doit être souligné avec une certaine insistance car cela
donne un caractère tout à fait particulier au système juridique romain
et qui a un caractère très moderne à ce point de vue ; et c'est tout
simplement le grand formalisme du droit romain qui permet ce
résultat. Or cette situation qui a créé des fortes tensions sociales à
l'intérieur de la ville, même après, à la période républicaine nous
voyons ces mêmes tensions dans la polémique qui se passe pendant
la période impériale. Nous rappellerons par exemple toutes les
formes polémiques sur les fortunes accumulées par certains liberti,
par ces ex-esclaves qui ont fait de grandes carrières dans la gestion
des grands patrimoines privés et surtout dans l'organisation de
l'appareil bureaucratique de l'Etat qui est le grand patrimoine de
l'Empereur - il est inutile de rappeler l'importance de cette catégorie.
Or nous voyons que ce n'est pas seulement un problème de richesse,
mais c'est un problème de mobilité c'est à dire que les fils de ces
anciens esclaves, les neveux de ces anciens esclaves pouvaient comme
ingeni participer aux chances, aux possibilités que donnait cette
société romaine. Et je terminerai sur ce point de vue, nous voyons que
ce renouvellement de cadre et cette croissance démographique et de
compétence fondés sur une sélection très brutale, très darwinienne je
dirais, a été une des conditions de la possibilité de contrôler un très
vaste empire pendant une période si longue et réalisé par Rome.

Il faut encore ajouter que le droit romain a conservé un autre et


fondamental facteur de contrôle social en proposant à tout esclave
une possibilité de mobilité et de croissance individuelle qui pouvait
même assurer un certain consensus des exploités en ne supprimant
pas l'espérance de la liberté. Une espérance pas seulement théorique
si on considère l'importance des affranchis et le rôle joué dans la vie
économique et sociale des premiers siècles de notre ère1.

1. Voir, par exemple, les indications que nous offrent des ouvrages
comme celui de G. BOULBERT, Esclaves et affranchis impériaux sous le
Haut Empire romain, Naples, 1970, et de G. FABRE, Libertus. Recherche
sur les rapports patron-affranchi à la fin de la République romaine, Rome,
1981.

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