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Hiérarchie : le concept et
son champ d’application dans les
sociétés du haut Moyen Âge
E
n 878, le pape Jean VIII était aux prises avec le duc de Spolète
Lambert, qui interprétait sur le mode tyrannique sa mission
officielle de protecteur de Rome et de la papauté. Une missive
du duc déclencha l’ire du pontife : « en entendant la lettre que tu
m’as envoyée, quel n’a pas été mon étonnement devant ses termes
inconvenants, qui ne font guère écho aux louanges dues à saint Pierre
et sont incompatibles avec les règles et les doctrines ecclésiastiques :
tu nous écris avec les mots que tu envoies d’ordinaire aux hommes
du siècle et à tes pairs, en nous disant “de Ta noblesse”, ou encore
“Nous demandons à Votre noblesse” ». Lambert aurait dû s’adresser
à celui que les rois et les princes de la terre n’hésitent pas à supplier
comme à un père ; Jean VIII, fort du proverbe que d’une source amère
on ne tire pas d’eau douce, en tira la conclusion qui s’imposait, en lui
retirant son amitié 1.
Hiérarchie : quand le pape adresse son propre courrier nobili viro
Lamberto glorioso comiti, il se retient lui-même comme socialement supé-
rieur à la noblesse d’un comte. Ordre : Jean VIII n’en est pas moins
lui-même d’origine noble mais, devenu pape, il appartient à un monde
à la fois différent et supérieur à celui des laïcs, celui de l’Église dont
il a la charge, et où la diplomatie emprunte au registre des relations
familiales. Notre rencontre entend se situer sur ces deux terrains,
entre l’analyse sociale et la représentation intellectuelle.
1
MGH, Epistolae, VII, n° 84, p. 79-80 : (…) audientes litteras tuas, quas mandastis, mirati valde
fuimus super earum verbis inconvenientibus, quae nec debitas sancto Petro laudes resonant, nec eccle-
siasticis concordant regulis vel doctrinis, cum nobis illa verba mandastis, quae secularibus viris et
comparibus tuis scribere solitus es, hoc est, cum dicis nobis “Tuae nobilitatis”, vel cum dicis nobis
“Monemus nobilitatem vestram”. In quo luce clarius mentem vestram cognoscimus erga nos minime
devotam, sicut putabamus, existere ; idcirco nostre paternitati tam vilibus verbis et inconvenientibus
sermonibus scribere audaci potius quam sincera mente voluistis, et mirum non est, quia de amaro fonte
dulcis aqua non hauritur…
2
K. Davis, Human society, Macmillan, 1908.
3
W. Moore, Social change, Prentice Hall, 1965 (2e éd.).
4
R. Dahrendorf, Essays in the Theory of Society, Stanford, 1968.
5
T. Parsons, « Une esquisse du système social », in P. Birnbaum et F. Chazel, Théorie
sociologique, Paris, 1975.
6
M. Weber, Économie et société, 1922, trad. allemand, Paris, 1971.
7
L. Dumont, Homo hierarchicus. Essai sur le système des castes, Paris, 1966.
1. La période 500-750
C. Badel, La noblesse de l’Empire romain. Les masques et la vertu, Seyssel, 2005, p. 333.
8
9
B. Dumézil, Les racines chrétiennes de l’Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares,
ve-viiie siècle,
Paris, 2005, p. 190-191.
10
10
C. Wickham, Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean (400-800), Oxford,
2005, p. 168-232.
11
2. La période 750-900
11
J. Nelson, « Kingship and Empire », in R. McKitterick (dir.), The New Cambridge Medi-
eval History, t. 2, Cambridge, 1995, p. 383-430.
12
13
3. Les xe-xie siècles
12
D. Iogna-Prat, Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et
à l’islam, 1000-1150, Paris, 1998.
13
Y. Congar, « Les laïcs et l’ecclésiologie des ordines chez les théologiens des xie et xiie siè-
cles » [1968], in Id., Études d’ecclésiologie médiévale, Londres, 1983 (Collected studies series,
168), art. n° IV.
14
14
Ratherius Veronensis, Praeloquia, éd. P. L. D. Reid, CCCM, 46a, Turnhout, 1984 ; cf.
J. Batany, « Rhétorique et statuts sociaux dans les Praeloquia de Rathier de Vérone », in
R. Chevallier (dir.), Colloque sur la rhétorique. Calliope I, Paris, 1979 (Caesarodumum, XIVbis),
p. 221-238 ; G. Vignodelli, « Milites Regni : aristocrazie e società tripartita in Raterio da
Verona », Bullettino dell’Istituto storico italiano per il medio evo, 109 (2007), p. 97-149.
15
15
Cf. O. G. Oexle, « Stand, Klasse », in O. Brunner, N. Conze et R. Koselleck (dir.),
Geschichtliche Grundbegriffe, VI, Stuttgart, 1990, p. 155-200, ici p. 173 ; D. Iogna-Prat,
« Ordre(s) », in J. Le Goff et J.-C. Schmitt (dir.), Dictionnaire raisonné de l’Occident médiéval,
Paris, 1999, p. 845-860, ici p. 845.
16
J. Batany, « Tayon de Saragosse et la nomenclature sociale de Grégoire le Grand »,
Bulletin du Cange. Archivum latinitatis medii aevi, 37 (1969-1970), p. 173-192.
17
Cf. G. Vignodelli, « Il problema della regalità nei Praeloquia di Raterio di Verona », in
G. Isabella (dir.), « C’era una volta un re… ». Aspetti e momenti della regalità, Bologne, 2005
(Quaderni del Dipartimento di Paleografia e Medievistica [dell’Università di Bologna],
dottorato, 3), p. 59-74, spéc. p. 66.
18
Pénitentiel de Silos, c. 259, éd. F. Bezler, Paenitentialia Hispaniae, Turnhout, 1998 (CCSL,
156a), p. 42 ; cf. F. Bezler, « Pénitence chrétienne et or musulman dans l’Espagne du
Cid », Annales ESC, 50 (1995), p. 93-108.
16
19
MGH, Concilia, II-1, p. 283, l. 32-33.
20
O. G. Oexle, « Stand… », op. cit., p. 191 : « die Ständevermittlung als Un-Ordnung ».
21
De omnibus ordinibus omnium hominum in hoc saeculo viventium rubrica, éd. M. Lokrantz,
L’opra poetica di S. Pier Damiani, Stockholm, 1964 (Studia latina Stockholmiensia, 12),
17
p. 144-150 ; cf. N. D’Acunto, I laici nella chiesa e nella società secondo Pier Damiani. Ceti domi-
nanti e riforma ecclesiastica nel secolo XI, Rome, 1999 (Nuovi studi storici, 50), p. 118-126.
Pierre Damien, qui doit sans doute beaucoup à Rathier, énumère sans solution de continuité
les clercs, en y associant les moines (episcopi, presbyteri, diaconi, canonicus, plebani, magister/
discipulus, scriptores, illiteratus clericus, abbates, monachus et monachae), puis un groupe « socio-
professionnel » (iudex, testes, notarii, castaldiones et vicedomini, tenentes ministeria, advocatores,
consiliarius aut auricularius, missus), puis des catégories morales (nutritus atque sapiens, decep-
tor, hypocrita, ebriosi), enfin « tous les laïcs » (maris, dives/pauper, miles/fello, placentes/viles,
coniugatae feminae, viduae, puellae, meretrices, servi et ancillae).
22
Bonizon de Sutri, Liber de vita christiana, éd. E. Perels, Hildesheim, 1988 (2e éd.), II,
3 p. 35 : pour les clercs sont énumérés les évêques puis les secundi ordinis sacerdotes, les abbés,
les prévôts ; pour les laïcs, les rois, les « juges », les milites, la plebs, elle-même répartie (III,
8, p. 252) entre artifices (exemplifiés par les sutores), negotiatores et agricolae.
18
P. Fouracre, « The origins of the nobility in Francia », in A. J. Duggan (dir.), Nobles and
23
nobility in medieval Europe. Concepts, origins, transformations, Woodbridge, 2000, p. 17-24, spéc.
p. 22-23.
19