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Laurent Feller

Les hiérarchies dans le monde rural


du haut Moyen Âge : statuts, fortunes
et fonctions

L
es apports historiographiques de ces dernières années ont
introduit beaucoup de complexité dans l’analyse de la société
rurale du haut Moyen Âge. De la complexité mais aussi des
éléments de clarification, grâce à l’utilisation de plus en plus courante
de concepts tirés de la sociologie rurale et de l’anthropologie écono-
mique  1. L’utilisation de ces outils a puissamment aidé à renouveler
aussi notre connaissance des groupes paysans et à mieux en connaître
le fonctionnement. La mobilisation de l’ensemble des sources dispo-
nibles, et particulièrement des actes de la pratique, permet d’autre
part de progresser : on ne se cantonne plus, désormais, aux textes
normatifs et aux polyptyques, mais on utilise aussi les dossiers d’actes
de vente ainsi que les contrats agraires qui nous permettent de donner
une image plus fine et mieux articulée de la réalité économique et
sociale, particulièrement en ce qui concerne le monde rural. La pay-
sannerie est ainsi devenue accessible et apparaît comme un objet
d’étude légitime, même pour ces hautes périodes 2.
Les sociétés paysannes du haut Moyen Âge sont des collectivités
socialement et économiquement différenciées. Même à l’intérieur
d’organismes qui, comme le grand domaine, pourraient fonctionner
comme des laminoirs sociaux, elles produisent des élites et secrètent

1
  J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans l’Europe franque (vie-ixe siècle), Paris, 2004 ; Id.
« Communiquer et signifier entre seigneurs et paysans », in Comunicare e significare nell’alto
medioevo, Spolète, 2005 (Settimane di studio del Centro italiano di studi sull’alto medioevo,
52), p. 121-154. Surtout : Id., Puissants et misérables. Système social et monde paysan dans l’Europe
des Francs (vie-ixe siècle), Bruxelles, 2006 ; C. Wickham, Framing the Middle Ages. Europe and the
Mediterranean (400-800), Oxford, 2005. L. Feller, Paysans et seigneurs au Moyen Âge (viiie-
xve siècle), Paris, 2007.
2
 L. Feller, « L’historiographie des élites rurales du haut Moyen Âge. Émergence d’un
problème ? », in L’historiographie des élites (actes de la table ronde tenue à l’université de
Marne-la-Vallée en janvier 2005, publié en ligne  : http://lamop.univ-paris1.fr/lamop/
LAMOP/elites/feller.pdf). Voir, en dernier lieu, É. Renard, « Une élite paysanne en crise ?
Le poids des charges militaires pour les petits alleutiers entre Loire et Rhin au ixe siècle »,
in F. Bougard, L. Feller et R. Le Jan (dir.), Les élites au haut Moyen Âge : crises et renouvelle-
ments, Turnhout, 2006, p. 315-336.

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des hiérarchies qui permettent le jeu d’une certaine mobilité sociale


et l’expression d’une différenciation interne au groupe. Il existe,
d’autre part, un en dehors du domaine : les libres, propriétaires et
exploitants de leurs terres sont en nombre plus important et surtout
mieux documentés dès lors que l’on quitte l’espace d’entre Loire et
Rhin que ce que l’on a longtemps pu penser. La recherche a cessé
d’être obnubilée par la problématique du grand domaine pour par-
venir à une vision beaucoup plus fine et articulée de l’ensemble des
sociétés rurales.
Trois critères permettent d’approcher de plus près le fonctionne-
ment des hiérarchies du monde paysan : les statuts, les fonctions et
les fortunes. Ils doivent être tous trois considérés selon la nature du
milieu où ils sont observés : le grand domaine, d’une part, informé
essentiellement par les capitulaires et les polyptyques, c’est-à-dire par
des textes normatifs et administratifs ; la société alleutière, d’autre
part, documentée par les dossiers des chartriers, comme ceux que
nous ont laissés le groupe des Totoni, Pierre de Niviano, Folkwin de
Rankweil, Karol fils de Liutprand ou encore les Leopogisi de Cologno
Monzese 3. On dispose donc désormais d’assez de dossiers bien docu-
mentés pour proposer une première synthèse de la question.
Je me propose d’en traiter en présentant tout d’abord les groupes
de statut : non libres, dépendants et indépendants pour passer ensuite
aux élites paysannes et aborder, enfin, la question des mobilités ascen-
dantes et descendantes, en m’intéressant à chaque fois aux fonctions,
aux fortunes et aux positions à l’intérieur de la société.

1. Les groupes de statut


Si tous les hommes dont nous allons parler dans ce paragraphe
peuvent être classés parmi les agricolantes, les travailleurs du sol, ils ne
forment pas une masse informe et indifférenciée.

3
  Carte di famiglia. Strategie, rappresentazione e memoria del gruppo familiare di Totone di Campione
(721-877), éd. S. Gasparri et C. La Rocca, Rome, 2005 ; F. Bougard, « Pierre de Niviano,
dit le Spolétin, sculdassius, et le gouvernement du comté de Plaisance à l’époque carolin-
gienne », Journal des savants, 1996, p. 291-337. L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune
de Karol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au haut Moyen Âge, Rome, 2005
(Bibliothèque de l’École française de Rome, 347) ; K. Bullimore, « Folcwin of Rankweil :
the world of a Carolingian local officer », Early Medieval Europe, 13/1 (2005), p. 43-77 ; G. Ros-
setti, Società e istituzioni nel contado lombardo durante il medioevo, Cologno Monzese : i secoli VIII-X,
Milan, 1968, p. 10-122. L. Feller, « Dettes, stratégies matrimoniales et institution d’héritier :
sur l’élite paysanne lombarde aux ixe siècle », Revue historique, 310/2 (2008), p. 339-368.

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Le premier critère de distinction est celui qui oppose les libres à


ceux qui ne le sont pas. Le critère juridique a des implications anthro-
pologiques qui tendent à s’affaiblir depuis l’Antiquité tardive 4. Si la
différence entre libres et non libres est extrêmement importante, les
conséquences pratiques de la distinction tendent cependant à s’es-
tomper lentement : le processus par lequel les esclaves ont été totale-
ment réintégrés à l’humanité touche à sa fin au ixe siècle. Désormais,
en effet, les non libres ont accès au mariage, leur filiation est reconnue
et certaines formes de droits sur la terre qu’ils exploitent, plus ou
moins étendus, leur sont reconnues.
Le chasement établit une situation de possession d’état sur laquelle
il est difficile de revenir et que, au demeurant, les maîtres ont intérêt
à maintenir. Ils garantissent ainsi la continuité de l’exploitation et
donc celle du prélèvement et de leur revenu. La succession hérédi-
taire dans la tenure est la solution la plus simple et la plus satisfaisante
pour tous, sauf dans des cas extrêmes comme ceux que l’on observe
en Bavière où, si l’on suit C. Hammer, les seigneurs choisissent de
déplacer les tenanciers en fonction de leur position dans le cycle de
vie, les faisant passer de valets de ferme dans leur jeunesse à exploi-
tants dans leur maturité et lorsqu’ils sont mariés, puis les ramenant
au statut de valet durant leur vieillesse 5. Il semble que, la plupart du
temps, les seigneurs ne soient pas en mesure d’opérer de telles mani-
pulations et qu’ils préfèrent considérer d’abord la continuité de la
mise en valeur de la tenure. En Sabine, cela se traduit, au ixe siècle,
par le recours à l’institution de l’affiliatio qui, permettant d’attribuer
un fils adoptif à un couple stérile, assure au seigneur que la disparition
du couple titulaire n’interrompra pas l’exploitation. Cette institution
permet d’autre part de régler la question de l’entretien du couple
sans descendance lorsqu’il est devenu trop faible pour pourvoir lui-
même à ses besoins 6. Elle ne semble pas attestée, au ixe siècle, ailleurs

4
 Voir l’essai classique de Pierre Bonnassie : « Survie et extinction du régime esclavagiste
dans l’Occident du haut Moyen Âge (ive-ixe siècle) », Cahiers de civilisation médiévale, 28
(1985), p. 307-343 [= Les sociétés de l’an Mil. Un monde entre deux âges, Bruxelles, 2001 (Biblio-
thèque du Moyen Âge, 18), p. 85-142]. L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit., p. 40-71.
5
 C. Hammer, « Family and familia in early-medieval Bavaria », in R. Wall, J. Robin et
P. Laslett (dir.), Family forms in historic Europe, Cambridge, 1983, p. 217-248 ; Id., A large-
scale Slave Society of the early medieval Ages : Slaves and their Families in early-medieval Bavaria,
Abingdon, 2002.
6
 L. Feller, « La population abruzzaise durant le haut Moyen Âge : les conditions de pos-
sibilité d’une croissance démographique », in R. Comba et I. Naso (dir.), Demografia e società
nell’Italia medievale, Cuneo, 1994, p. 327-349. J.-P. Devroey, Économie rurale et société dans
l’Europe franque (vie-ixe siècle), Paris, 2004, p. 70-75.

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qu’en Sabine. L’institution relève toutefois des manipulations sur la


parenté et le lien de filiation que les sociétés traditionnelles sont ame-
nées à opérer afin d’assurer la transmission des biens et de créer des
communautés de vie 7.
La situation de possession peut entraîner d’autres conséquences.
Dans certaines circonstances, elle donne, dès le ixe siècle, accès au
marché des parcelles  : dans la principauté de Bénévent, dans les
années 830, les non libres vendent et achètent des terres sous le
contrôle de leur maître 8. Le cartulaire de Sainte-Sophie de Bénévent,
renferme par exemple un diplôme émis en 834 par le prince Sicard
et par lequel celui-ci confirme la validité des ventes de terres auxquel-
les viennent de procéder deux groupes de servi, le premier apparte-
nant au monastère et le second à lui-même. La question de la posses-
sion de terres par des serfs ne fait ici pas problème, pas plus que celle
des mutations à titre onéreux que les détenteurs de tenures peuvent
être amenés à faire. Il existe cependant des limitations à ce droit,
puisque le seigneur doit sanctionner et approuver la vente, ce qui, en
Italie du moins, n’est jamais le cas lorsque la transaction se déroule
entre alleutiers. Il existe donc une forme d’appropriation de la terre
caractéristique des non libres et qui peut tendre à ressembler à la
pleine propriété qui est celle des alleutiers.
Toutefois, si les enfants peuvent espérer succéder à leur père dans
sa tenure ce n’est sans doute pas le cas des collatéraux : la lignée ser-
vile n’est tout de même pas reconnue à égalité de celle des libres. La
différence entre les divers groupes de statut inclus dans le domaine
continue d’être marquée. Le chasement a enfin entraîné la stabilisa-
tion définitive des maisonnées serviles. L’exemple le plus évident nous
en est fourni par la Vie de saint Emmeram dont un passage nous montre
un maître, propriétaire d’esclaves, organiser la continuité de l’exploi-

7
 Ces institutions apparaissent sporadiquement dans la documentation à travers toutes les
périodes du Moyen Âge et mériteraient bien que l’enquête, à laquelle R. Aubenas appelait
dans les années 1930, ait effectivement lieu. Voir, mais pour le xve siècle, R. Aubenas,
« L’adoption en Provence au Moyen Âge (xive-xvie siècle) », Revue historique de droit français
et étranger, 58 (1934), p. 700-726 ; A. Courtemanche, « Women, family and immigration
in the fifteenth century Manosque : the case of the Dodi family of Barcelonette », in J. Dren-
del et K. Reyerson (dir.), Urban and rural communities in medieval Languedoc, Southern France
and Provence, Boston/Leyde, 1998, p. 101-127. Pour un exemple italien du xiiie siècle :
L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit., p. 214-215 et, en dernier lieu : L. Feller, « Adop-
tion et servage en Italie centrale au xiiie siècle. L’exemple de la seigneurie du Mont-Cassin »,
à paraître dans Mélanges Jean-Marie Martin.
8
  Chronicon Sanctae Sophiae, éd. J.-M. Martin, Rome, 2000 (Fonti per la storia dell’Italia
medievale , 3), t. 1, n° 27, p. 380-382 (a. 834) ; commentaire : L. Feller, Paysans et sei-
gneurs…, ibid., p. 45.

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tation d’une tenure en mariant la veuve d’un tenancier avec celui qu’il
désigne comme son successeur, un personnage qui s’est distingué
dans la familia par ses compétences particulières en matière d’entre-
tien des moulins. Cet homme, un ancien libre enlevé lors d’un voyage
et vendu comme esclave, accepte le mariage, mais sous la pression
d’une forte contrainte, son maître menaçant de le vendre chez les
Saxons. La raison de sa réticence est simple : du temps de sa liberté,
il était marié et risque donc de se retrouver bigame du fait de l’union
voulue par son maître. Le récit précise que des rites particuliers sont
célébrés, soulignant ainsi qu’il s’agit bien d’une union définitive, des-
tinée à produire de la filiation, c’est-à-dire des enfants légitimes, et
des droits sur des choses, en l’occurrence une tenure dont il n’est pas
question que la veuve soit chassée  9. Le mariage servile, dans ce cas,
est une institution particulière qui ne tient pas compte des situations
antérieures, le changement de statut ayant entraîné la disparition de
tous les liens sociaux et juridiques établis avant la capture. Incluant
des rites, il produit une situation stable, analogue à celle du mariage
entre libres, la différence, mais elle est de substance, reposant sur
l’absence de consentement effectif des mariés.
La maisonnée, que l’on définit comme le collectif institué pour la
survie, c’est-à-dire d’abord pour la production et la consommation de
nourriture, autour d’une famille conjugale et, éventuellement, des
ascendants, ne peut pas être dissoute. Les enfants ne peuvent pas, sauf
exception, être ôtés à leurs parents et les couples, unis par le mariage,
ne peuvent pas non plus être séparés par la seule volonté du maître.
Ce collectif, dont la taille et la composition varie, peut inclure des
esclaves, comme c’est le cas à Redon  10. Il fournit la force de travail
nécessaire à la mise en valeur de la terre aussi bien paysanne que
seigneuriale. Enfin, les esclaves de peine, les prébendiers, sont deve-
nus minoritaires. Leur force de travail est l’un des éléments, non le
seul, dans la mise en valeur du domaine. En aucun cas, le système
économique du haut Moyen Âge ne peut être comparé à une écono-
mie de plantation 11. Ainsi, sur les 85 curtes possédées par S. Giulia di

9
  Arbeo, Vita et passio sancti Haimhrammi martyris, éd. B. Krusch, MGH, SS rerum germanica-
rum in usum scholarum, 13, Hanovre, 1920, p. 85 sq. ; trad fr. A. Stoclet, Les sociétés en Europe,
Lyon, 2003, p. 70-72. C. Hammer, A large-scale…, op. cit., p. 133-135.
10
  W. Davies, Small Worlds. The Village Community in Early Medieval Brittany, Berkeley/Los
Angeles, 1988.
11
  P. Toubert, « Il sistema curtense : la produzione e lo scambio interno in Italia nei secoli
VIII, IX e X », in Economia naturale, economia monetaria, Turin, 1983 (Storia d’Italia Einaudi,
Annali 6), p. 5-63 [= L’Europe dans sa première croissance, Paris, 2004, p. 145-218].

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Brescia au début du xe siècle, les intendants peuvent compter sur la


présence quotidienne d’environ 200 prébendiers contre 300 tenan-
ciers astreints à la corvée. La présence servile est, dans ce cas, encore
importante. Elle n’est pas exclusive dans l’organisation du travail, et
c’est ce qui compte 12.
Il est enfin possible de changer de statut soit par un acte unilatéral
du maître, par affranchissement, soit par achat de la liberté 13.
Quoique le chasement ait également entraîné une homogénéisa-
tion des statuts de fait à l’intérieur du domaine, l’existence de la ser-
vitude divise très profondément la société rurale et affaiblit considé-
rablement les solidarités qui pourraient s’y faire jour. Les services
demandés aux libres et aux non libres, comme les redevances que l’on
attend d’eux, tendent en effet à s’aligner et à unifier les conditions,
en établissant des formes de servitude pratique qui atteignent aussi
des hommes théoriquement libres. L’exécution de la corvée est un
puissant niveleur social, même si, localement, la perception entre
celle qui est due par les esclaves, et qui doit avoir des traits spécifiques,
et celle qui est due par les libres se maintient fortement. Dans le plaid
de 864 concernant les serfs de Mitry, la condamnation des paysans est
obtenue après qu’il a été prouvé qu’ils exécutaient un service infé-
rieur et qu’ils travaillaient plus que les libres, et sans doute différem-
ment d’eux 14. De même, en 873, les témoignages sollicités pour éta-
blir la servitude des paysans de Saint-Vincent-au-Volturne dans les
Abruzzes insistent sur la façon dont la corvée est exécutée autant que
sur le châtiment des infractions 15. Dans l’un et l’autre cas, de plus, les
témoins insistent sur la filiation des hommes et des femmes en cause.
On naît servus et l’établissement d’une généalogie est également une
preuve de l’appartenance au groupe de statut.
La distinction entre libres et non libres est encore formellement
essentielle au xie siècle. L’un des Miracles de saint Benoît, commentés
récemment par Dominique Barthélemy, nous montre par exemple
une jeune femme libre, seule de son espèce dans un village dont la

12
  P. Toubert, « Il sistema curtense… », ibid. L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit., p. 54.
J.-P. Devroey, Puissants et misérables…, op. cit., p. 274-280.
13
 Voir C. Wickham, Framing…, op. cit., p. 259-302.
14
  G. Tessier, Recueil des actes de Charles le Chauve, II, Paris, 1952, n° 228, p. 7-9.
15
  Chronicon Vulturnense del monaco Giovanni, éd. V. Federici, Rome, 1925 (Fonti per la
storia d’Italia, 58), p. 337-340, n° 72. L. Feller, « Liberté et servitude en Italie centrale
(viiie-xe siècle) », in Les formes de la servitude : esclavages et servages de la fin de l’Antiquité au
monde moderne (Actes de la table ronde des 12 et 13 décembre 1997) [= Mélanges de l’École fran-
çaise de Rome, 112 (2001/2)], p. 511-533.

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majorité est serve, travailler un jour où les autres femmes du village


vaquent, et arpenter le village sa quenouille et son fuseau à la main
en filant, par manière de provocation : libre, elle n’a pas à subir l’obli-
gation de ne pas travailler un jour de fête de saint Benoît 16. Le mira-
cle punitif qui l’atteint la contraint à accepter d’entrer dans la servi-
tude du saint pour obtenir sa guérison. L’intervention du saint mon-
tre plusieurs points importants. Le premier relève de l’autorégulation
des groupes. Les serfs, là où ils sont majoritaires, exercent eux-mêmes
une forte pression sur les libres pour qu’ils abandonnent leur statut
et les rejoignent dans la servitude. La capacité de contrainte du monas-
tère qui mobilise la force du saint n’est en revanche pas une surprise.
L’enjeu est cependant clair  : empêcher la jeune fille de travailler
quand cela lui convient, afin de réaffirmer et de consolider le contrôle
social horizontal en créant une communauté de statut. L’anecdote est
tout à fait significative des périls qui pèsent sur les libres dès lors qu’ils
sont amenés à prendre des terres en tenure ou dès lors que, simple-
ment, ils vivent à l’intérieur d’une seigneurie régie de façon un peu
stricte : l’homogénéisation s’opère vers le bas, vers le statut le moins
avantageux 17.
Le critère pratique le plus important de la distinction et sur lequel
se fonde la hiérarchie de la société paysanne est celui du travail forcé.
Savoir qui y est astreint et qui ne l’est pas est au fond le plus important
aux yeux du maître, qui trouve dans le statut juridique un argument
pour exiger davantage des non libres qu’à toute autre catégorie de la
population. La question essentielle est pour lui celle du fonctionne-
ment de la tenure. Être libre, c’est avoir la possibilité de résister au
moins un peu aux exigences seigneuriales en matière de rente et de
service, c’est pouvoir aussi négocier corvées et redevances. C’est cela
qui, dans la pratique, fonde la distinction entre libres et non libres.
Paradoxalement enfin, être libre c’est aussi pouvoir choisir de travailler,
alors que la « loi du domaine » imposerait de ne pas le faire et donc,
de façon plus générale, de ne pas être astreint au respect de la norme
qui organise la vie des tenanciers au statut diminué ou humilié.
À côté de cette première distinction, d’autres jouent. Le lexique
social des polyptyques est, on le sait, assez riche. Il existe une taxino-

16
 D. Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris, 2004,
p. 182-186.
17
  W. Davies, « On servile status in the Early Middle Ages », in M. Bush (dir.), Serfdom and
Slavery. Studies in Legal Bondage, Londres/New York, 1995, p. 225-246 et C. Wickham, Fra-
ming…, op. cit., p. 561-567.

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mie sociale dont on ne sait pas toujours comment elle opère les dis-
tinctions. À Saint-Germain, on trouve mention de colons, de lites,
d’hommes de Saint-Germain. Marc Bloch pensait que seule la men-
tion « homme de » avait une réelle incidence  18. Sur les colons, par
exemple, la confusion lexicale peut être totale. Souvent libres, ils peu-
vent parfois cependant être de condition servile. Le mot peut désigner
aussi n’importe quel exploitant quel que soit son statut juridique  19.
Les conséquences concrètes de l’appartenance à tel ou tel groupe
juridique ne sont effectivement pas toujours très claires dans certains
polyptyques et notamment dans celui d’Irminon. Elles le sont davan-
tage dans d’autres inventaires comme par exemple celui de Bobbio,
où trois groupes différents sont énumérés : les arimanni, les livellarii
et les massari, chacun ayant des obligations propres rappelées par le
texte. Les arimanni, qui sont ici de simples tenanciers, doivent parti-
ciper à l’entretien des ponts et des voies publiques dans la région de
Plaisance. Les massari, des exploitants coutumiers peuvent ne pas être
libres. Quant aux livellarii, ils sont libres par définition, puisqu’ils dis-
posent d’un contrat écrit. L’articulation entre eux de ces groupes de
statut différent n’a rien d’évident. Une lecture attentive des deux
versions du polyptyque montre que la pression exercée sur les massari
et les livellarii tend à devenir identique et que, dans les années 860, il
n’y a plus de différence économique réelle entre les deux. L’avantage
d’être livellarius est alors devenu inexistant, du point de vue de ce qui
est dû au titre de la tenure 20.

2. Les fonctions

Ces groupes de statut inférieur sont commandés par une hiérarchie


locale, détentrice de parcelles de l’autorité seigneuriale. À la tête du
domaine sont députés des hommes de rang différent. Ils commandent
à toute une gamme d’officiers et d’intermédiaires que J.-P. Devroey a

18
 M. Bloch, « Comment et pourquoi finit l’esclavage antique », Annales ESC, 1947 [= Mélan-
ges historiques, I, Paris, 1963, p. 261-285], p. 30-43 et 161-170.
19
  J.-P. Devroey, Puissants et misérables…, op. cit., p. 282.
20
  « Adbreviatio de rebus omnibus, S. Colombano di Bobbio », in A. Castagnetti, M. Luzzati,
G. Pasquali et A. Vasina (dir.), Inventari altomedievali di terre, coloni e redditi, Rome, 1979
(Fonti per la storia d’Italia, 104), p. 130 et p. 151 ; L. Feller, Paysans et seigneurs…, op. cit.,
p. 34-35.

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récemment bien mis en lumière  21. Les plus hauts dignitaires du


domaine sont ceux que le capitulaire de Villis appelle les juges. On
considère qu’ils appartiennent à l’univers aristocratique pour deux
raisons. La première est qu’ils sont employés dans les ambassades
royales et à l’armée, ce qui est une marque d’appartenance à l’élite
de la société, même si leur intégration se fait à un niveau médiocre.
L’élite est elle-même hiérarchisée et différenciée et, à côté des plus
puissants, ou plutôt en dessous d’eux, se trouvent des mediocres, des
hommes d’un rang intermédiaire comme le sont les intendants des
domaines. La seconde raison tient à la discipline propre à leur corps
et qui leur est imposée : on ne prévoit, pour les juges, en cas de man-
quement, qu’une convocation et une réprimande, assortie d’un jeûne
léger, puisqu’ils doivent simplement s’abstenir de boissons alcoolisées.
Les personnages qui leur sont subordonnés, leurs adjoints en quelque
sorte, que l’on dénomme les iuniores, appartiennent, quant à eux, à
un rang inférieur. S’ils commettent une faute, ils sont eux aussi convo-
qués au palais, mais ils doivent, entre le moment de leur convocation
et celui de leur comparution, s’abstenir d’alcool et de viande. S’ils
sont jugés coupables, ils peuvent être battus de verges, ce qui signifie
évidemment qu’ils appartiennent à un autre groupe de statut que leur
patron, et dont vraisemblablement ils ne peuvent que difficilement
sortir.
Hincmar a noté l’importance de ces personnages qu’il appelle
villici et qui sont chargés d’organiser toute la vie économique du
domaine. Le capitulaire de Villis contenait déjà quelques recomman-
dations sur ce point, qui étaient essentiellement de bon sens. Elles
sont reprises et développées par l’archevêque de Reims qui, dans l’ad-
monestation qu’il envoie à Louis le Germanique dans la lettre de 858,
dresse le portrait idéal du villicus  22. Il fait également de ce gestion-
naire domanial une pièce importante du dispositif de commande-
ment et de contrôle de la société, placé en dessous du comte avec
d’autres fonctions. Ainsi, le villicus ou le juge doit obéir à quelques
critères élémentaires de bon gouvernement : ne pas recourir à l’usure,
ne pas exiger de redevances plus lourdes que celles demandées du
temps de Louis le Pieux, ne pas accabler les dépendants par des cor-

21
  J.-P. Devroey, « Communiquer et signifier… », op. cit. ; Id., « Libres et non-libres sur les
terres de Saint-Remi de Reims : la notice judiciaire de Courtisols (13 mai 847) et le polyp-
tyque d’Hincmar », Journal des savants, 2006, p. 65-103 ; Id., Puissants et misérables…, op. cit.,
p. 492-499.
22
  MGH, Concilia aevi Karolini (843-859), éd. W. Hartmann, Hanovre, 1984, p. 422.

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vées inopportunes (in tempore incongruo). Il doit faire convenablement


travailler la terre, en gérer les surplus dans le but de faire vivre la
maisonnée royale et de recevoir les envoyés se rendant au palais. Ce
comportement repose sur un principe très simplement énoncé par
Hincmar : le roi doit être large, mais ce dont il fait largesse, il ne doit
pas l’avoir acquis par l’injustice et l’iniquité  23. Ce petit précis, écrit
dans une situation de crise extrême, nous montre une hiérarchie
sociale s’étendant au monde rural des fiscs et fonctionnant par ana-
logie. Les juges, c’est-à-dire les intendants doivent agir selon les mêmes
principes de respect du droit et de l’équité que les autres hommes
chargés dans l’Empire d’un degré de responsabilité, et ils apparais-
sent, dans ce texte, comme des répliques des comtes à une échelle
plus petite. Ils doivent, en tout, agir selon la loi et la coutume et ne
pas tolérer que leurs subordonnés, à leur tour, fassent le mal ou ne
respectent pas les normes édictées par l’empereur. Hincmar pose
donc l’existence d’une homothétie entre le gouvernement de l’Em-
pire et le gouvernement du domaine. Il est tentant, d’ailleurs, de voir
là un aveu : le domaine, même le domaine royal, implique l’existence
d’une telle autorité sur les hommes qui le peuplent et le mettent en
valeur, qu’on peut le considérer comme doté d’un système de gouver-
nement et de contrôle qui fait de lui, déjà, une seigneurie au sens où
les historiens l’entendent.
Les villici sont secondés dans leur tâche par tout un personnel de
petits officiers, des maires, des forestiers, des palefreniers, des cellé-
riers, doyens, préposés aux tonlieux, tous subordonnés au maire. Ce
dernier est à placer à part. Fréquemment mieux pourvu en terres que
les autres masoyers, il n’est pas lui-même un exploitant direct. Son
office, qui est d’organiser la corvée et de veiller au prélèvement à
l’intérieur d’un territoire important, ne lui en laisse pas le loisir. Il est
rémunéré pour sa fonction, puisque, à cause d’elle, il doit des prélè-
vements supplémentaires qui ne s’appliquent pas aux autres manses :
on sait que le maire retient pour lui une partie des taxes prélevées au
titre de l’hostilicium. D’autres officiers, comme, dans le polyptyque
d’Irminon, le forestier de Bucy, gardent pour eux une fraction consi-
dérable de certaines redevances  24. Ces personnages sont remarqua-
blement bien placés pour parvenir à s’évader de leur groupe. Ainsi,
le maire de Gagny, à la fin du xe siècle, peut se faire passer pour libre,

23
  MGH, Concilia aevi Karolini…, ibid. (p. 423) : Rex et largus debet esse et non, quod largitur, de
iniustitia vel iniquitate debet conquirere.
24
  J.-P. Devroey, « Communiquer et signifier… », op. cit.

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amenant l’abbé à entreprendre une action répressive contre lui et sa


famille afin de l’amener à payer de nouveau le chevage. De même, au
xie siècle, l’affaire de Stabilis : le personnage, un serf, semble avoir
été un intendant suffisamment riche pour épouser une fille de la
petite noblesse. Il a oublié, avec son statut, les marques de déférence
et de soumission qu’il devait au saint. Sa défaite en combat judiciaire
ne le prive pas de ses avantages matériels, mais le ramène à la
conscience de ses devoirs 25.

3. Les hiérarchies sociales en dehors du domaine

À côté de ceux qui doivent du travail, qu’ils soient serfs, recom-


mandés ou titulaires, en Italie, d’un contrat agraire exigeant, à côté
des redevances en nature ou en argent, des prestations en travail, se
trouve le groupe de ceux qui, totalement libres, ne doivent rien à la
seigneurie. Ceux-là ne sont pas liés par la naissance ou par les obliga-
tions nées de cérémonies d’auto-dédition. Leur présence est faible
dans les régions d’établissement du grand domaine, entre Loire et
Rhin ou encore en Bavière. Elle est forte dans un certain nombre de
zones périphériques comme la Catalogne, l’Alémanie ou l’Italie
centro-méridionale où de véritables communautés de type villageois
existent. Elles sont structurées par des réseaux de clientèle et des
réseaux d’amitié qui déterminent les obligations sociales de chacun :
les relations hiérarchiques se doublent de relations entre égaux sta-
tutaires qui utilisent des modes d’expression extrêmement voisins. La
documentation, cependant, fréquemment limitée à des actes de vente,
rend la présentation et l’interprétation des réseaux par lesquels s’éta-
blissent relations entre égaux et relations hiérarchiques assez malai-
sées.
Des dossiers exceptionnels, comme celui de Karol fils de Liutprand
dans les Abruzzes, permettent de percevoir ce que Florence Weber
appelle joliment « l’étoile d’interconnaissance » dont le sujet est le
centre : s’exprimant uniquement à travers des transactions foncières,
cette étoile ne propose pas de hiérarchie mais donne le nom de tous
les individus avec lesquels Karol a été en affaires. On peut légitime-

 D. Barthélemy, Chevaliers et miracles. La violence et le sacré dans la société féodale, Paris, 2004,
25

p. 161-166.

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ment supposer que, à l’intérieur du groupe ainsi constitué, tous les


membres disposent d’informations les uns sur les autres 26.
Karol est, au cours de sa vie active, entre 850 et 870, en relations
d’affaires avec une quinzaine de personnes qui sont ses égaux statu-
taires et avec lesquels les échanges sont fondés sur une réciprocité qui
transforme la plupart de ses vendeurs en obligés. Il traite aussi avec
des membres de l’aristocratie locale et appartient à la clientèle infor-
melle d’un gastald appelé Allo. Patron de plus petites gens que lui,
Karol est l’ami de ses égaux et le client de membres de l’élite locale.
Il se trouve en situation intermédiaire entre des hommes localement
puissants et le groupe des paysans libres mais assez pauvres qui peuple
la région. Sa situation médiane le place dans une forme de notabilité
et il est un moment en bonne position pour devenir un leader « en
groupe », un médiateur entre la société globale et la société locale
issue de cette dernière  27. C’est l’un des buts que, manifestement, il
cherche à atteindre en mettant en œuvre sa politique patrimoniale et
que ni lui ni ses fils ne peuvent rejoindre.
L’une des caractéristiques de la société rurale carolingienne est la
présence au sein des collectivités paysannes de notables qui sont en
situation marginale. Ils gouvernent la communauté et la dominent
d’une manière qui nous est parfois perceptible. Toutefois, leurs
réseaux d’amis et de protecteurs, ainsi que leur parentèle, se trouvent
en dehors de la communauté paysanne, à la fois socialement et phy-
siquement. Qu’ils dominent la communauté ne fait aucun doute,
comme le montre l’exemple du groupe familial de Totone di Cam-
pione. Les Totoni sont essentiellement de gros propriétaires fonciers
qui tirent leurs revenus du commerce de l’huile qu’ils font avec la ville
de Milan. Ils possèdent un certain nombre d’exploitations régies par
des massarii, des exploitants coutumiers dont le statut juridique est
variable, et ils possèdent des esclaves, qui sont affranchis en 777 au
moment où la nue-propriété des biens est cédée à l’évêque de Milan.
Les membres de la famille sont en position de prêter de l’argent : leur
pouvoir social repose sur une activité économique qui joint le crédit
à l’organisation de la production et à la commercialisation. La déten-
tion d’une église privée, vouée à San Zeno et destinée à servir de
nécropole familiale, est un élément clé dans la construction du statut

26
 L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune de Karol…, op. cit., p. 97, graphique n° 9.
27
  H. Mendras, Les sociétés paysannes, Paris, 1976 (éd. refondue, 1995), p. 117.

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de la famille 28, qui la place définitivement au-dessus des autres mem-


bres du groupe, parce qu’elle enrichit sa domination d’un côté sacré.
Être membre de l’élite rurale ne se limite donc pas à commander aux
non libres et aux libres recommandés et à exercer un pouvoir de fait,
lié à la richesse. La détention de l’église légitime et renforce le droit
au commandement sur place 29.
Cela n’est pas tout. Le groupe familial des Totoni entretient évi-
demment avec la ville des relations qui ne sont pas limitées à l’échange
commercial. La donation faite de ses biens en 777 par Totone à l’évê-
que de Milan n’a de sens que si l’on admet l’existence d’une relation
antérieure entre l’évêque et le notable. Elle aboutit au demeurant à
réorganiser la vie de Campione en transformant une partie des esclaves
qui y vivent en demi-libres, les aldions, en établissant des flux continus
de marchandises de la localité vers la ville, sous la forme de redevances
à verser annuellement, et en instaurant le contrôle d’un seigneur
urbain, l’évêque, sur une partie du territoire local. Désormais, la média-
tion sera assurée directement par les agents domaniaux de l’évêque et
par les prêtres députés au xenodochium de S. Zenone pour le gouverner.
La donation a eu comme conséquence de cristalliser les hiérarchies et
de renforcer le lien entre la société locale et la société globale.
La place et le rôle de personnages comme les Totoni au sein du
territoire de Campione est difficile à apprécier et à juger du fait de
leur marginalité même. Mais celle-ci, en fait, les distingue et les carac-
térise. Ils appartiennent à deux mondes à la fois, celui de la ville où
ils font des affaires et où ils ont leurs relations et celui de l’établisse-
ment qu’ils dominent de leur richesse et de leur capacité à comman-
der. La marque de leur appartenance à une élite tient précisément à
cette marginalité qui leur permet d’assumer un certain nombre de
médiations nécessaires entre l’intérieur et l’extérieur, entre leur petit
monde et le monde englobant. Ils n’ont pas besoin, pour ce faire,
d’exercer de fonctions ou de détenir des offices. Leur richesse et le
pouvoir qu’elle leur donne sur l’établissement de Campione les dési-
gnent comme partie d’une élite dont le rôle exact ne peut pas être
connu dans ses détails, mais qui doit se caractériser par le gouverne-
ment de non libres et des aldions, la fourniture d’un certain nombre
de services aux libres, comme des prêts, de l’assistance en toutes cir-

28
  G. P. Brogiolo, « La chiesa di San Zeno di Campione e la sua sequenza stratigrafica »,
in Carte di famiglia…, op. cit., p. 81-106.
29
 C. Wickham, The Mountains and the City. The Tuscan Appennines in the Early Middle Ages,
Oxford, 1988, p. 40-67.

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constances, notamment en cas de procès, l’exercice d’une « justice de


proximité », par exemple en ce qui concerne le suivi du paiement des
compensations.
Les Totoni, toutefois, se situent à un niveau économique tel qu’ils
ne peuvent être assimilés à une simple élite villageoise : ils sont un
peu plus que des leaders locaux dont le champ d’activité sociale serait
limité à la seule communauté. Ce rôle-là est dévolu à des groupes dont
les membres ont une envergure un peu moins grande. Karol appar-
tient sans doute à ce sous-groupe, comme probablement, en Lombar-
die, dans les années 860-880, la famille des Leopegisi, décrite par
G. Rossetti 30. Les Leopegisi forment un groupe de notables qui, dans
les années 840-880, jouent un rôle économique important au village
de Cologno. Ils possèdent des moulins et s’endettent peut-être afin
d’en acquérir ou d’en construire. Les moulins sont susceptibles de
rapporter des liquidités : leur possession place la famille parmi les
détenteurs d’argent susceptibles, éventuellement, d’accumuler de
l’argent ou de le faire circuler. En relation indirecte avec le monastère
de Saint-Ambroise de Milan et en contact permanent avec des clercs
de la ville, ce groupe familial est inséré dans le groupe de l’élite rurale
à un niveau inférieur toutefois à celui des Totoni. Le monastère de
Saint-Ambroise semble avoir particulièrement désiré acquérir les ter-
res de cette famille, une trentaine de parcelles situées dans le terroir
de Cologno. Il est légitime de voir là le désir de son abbé de s’emparer
à la fois d’un bien de production mais aussi des réseaux de dépen-
dants et de clients que cette famille avait dû se construire. De fait, dans
les années 870, ses membres semblent appauvris et en voie de dépos-
session, quoique ces biens fonciers soient probablement encore
importants à ce moment, en valeur comme en surface 31. Les Leope-
gisi sont toutefois en cours d’intégration à la clientèle du monas-
tère.

30
  G. Rossetti, Società e istituzioni…, op. cit., p. 101-122 ; L. Feller, « Dettes, stratégies… »,
op. cit.
31
 En 875, Rachiberga, veuve de Dragulf, l’un des membres de la famille des Leopegisi,
vend la moitié de sa Morgengabe à l’abbé de Saint-Ambroise pour une contrepartie de 60
sous : s’il s’agit effectivement d’un prix de marché, ce qu’il est difficile de démontrer à l’aide
de ce dossier, on peut évaluer la valeur du patrimoine de son mari au moment de son
mariage à 480 sous, ce qui est considérable. Il est manifeste qu’une transaction de cette
nature peut masquer bien d’autres négoces. Voir, pour les ordres de grandeur, L. Feller,
Les Abruzzes médiévales. Territoire économie et société en Italie centro-méridionale du ixe au xiie siècle,
Rome, 1998 (BEFAR, 300). Sur la légitimité d’une estimation de cette sorte et la typologie
des ventes, voir L. Feller, A. Gramain et F. Weber, La fortune de Karol…, op. cit.

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

En Bretagne, les notables paysans de Redon fournissent un autre


cas de figure. La notabilité se définit ici d’abord par la structure du
patrimoine : 7 % des propriétaires détiennent, dans le Vannetais, plus
d’un ran, ce qui les place de fait à l’intérieur d’une élite de la fortune.
Celle-ci se caractérise d’abord par le fait que ses membres ne tra-
vaillent pas eux-mêmes la terre dont la mise en valeur est confiée à
des dépendants ou à des esclaves. Le groupe est lui-même différencié,
puisqu’une minorité seulement de ses membres possède des terres
dans plusieurs villages  32. Parmi eux, les plus riches possèdent des
hereditates, c’est-à-dire de gros patrimoines pouvant comporter des
pêcheries et des salines. L’activité des membres de ce groupe est mul-
tiforme. Du point de vue institutionnel, on les trouve comme juges
ou témoins instrumentaires dans les cours de justice locales. Du point
de vue économique, ce sont des acteurs produisant pour le marché,
détenteurs de liquidités en quantité suffisante pour acheter des terres
et animer le marché foncier ainsi que pour consentir des prêts aux
autres villageois.
Un sort particulier doit être fait au groupe des prêtres des villages
bretons éclairés par le cartulaire de Saint-Sauveur de Redon. Les
familles presbytérales forment en effet, dans le Vannetais, de véritables
dynasties. Les prêtres sont actifs sur le marché de la terre et consen-
tent des prêts. Ils participent au contrôle politique des communautés
rurales en exerçant un certain nombre de fonctions, liées à leur maî-
trise de l’écriture et à leur autorité institutionnelle : scribes dans les
actes de transaction, ils président parfois les cours de justice qui se
réunissent dans leur propre maison. Leur rôle social décline cepen-
dant après la fondation du monastère de Redon, qui assure, passé 850,
le relais et accapare leur fonction de commandement ainsi que leur
rôle de médiation.
Si, à Redon, la fonction presbytérale sert de support à la cristalli-
sation d’un élément constitutif de l’élite rurale, dans d’autres régions,
c’est la possession et la gestion de l’église villageoise qui assume ce
rôle. En Catalogne ou dans les Abruzzes, les plus riches des alleutiers
se partagent des parts de l’église privée, cimentant leur domination
par la copropriété du bâtiment et des terres qui lui sont annexées. En
Toscane, à Campori, la possession de l’église par le prêtre la desser-
vant permet à un groupe familial d’exercer une forme de préémi-

32
  W. Davies, Small Worlds…, op. cit., p. 86 sq.

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nence sociale durant tout le viiie siècle. Partout, l’emprise sur le lieu


de culte donne à ses possesseurs le premier rang dans le village.

À côté de ce groupe, et au-dessus du groupe des paysans, d’autres


personnages ont un rôle essentiel dans la construction des hiérarchies
villageoises : les officiers envoyés par des autorités supérieures ou dési-
gnés par elles parmi les membres les plus éminents des communautés
locales. Leur simple présence est de nature à transformer la société
rurale parce qu’elle lie la légitimité de l’autorité à la désignation au
terme d’une procédure et non à la simple reconnaissance consen-
suelle d’un prestige particulier relevant du charisme de tel ou tel, de
sa richesse ou de son entregent. Les fonctions de centeniers, de scul-
dassius, ou sculdahis ou, en Italie centrale, celles de gastald jouent un
rôle de fabrication des hiérarchies. Les positions de personnages
comme Pierre de Niviano, près de Plaisance, ou Folkwin de Rankweil,
en Alémanie, sont à cet égard tout à fait caractéristiques. Ces hommes
sont placés à l’intérieur de petites collectivités territoriales dont ils ne
sont pas nécessairement issus : le surnom de Pierre de Niviano, le
Spolétin, indique pour ce personnage une possible origine extérieure
au Placentin 33.
Il vaut la peine que l’on s’arrête un instant sur eux. Folkwin de
Rankweil, actif dans les années 840-850, semble être extérieur à la
communauté qu’il dirige et avoir été nommé par le comte de Coire.
Il est entouré par un réseau dense de notables au premier rang des-
quels on trouve les prêtres, mais aussi des officiers subordonnés, les
prévôts (prepositi). Il exerce une protection sociale sur les hommes et
les femmes de la localité. C’est ainsi du moins que Katherine Bulli-
more interprète une catégorie d’actes particulière : les donations de
terres effectuées en sa faveur par un certain nombre de laïcs. Il s’agit
peut-être de cadeaux faits afin d’obtenir de sa part une protection
efficace dans des circonstances qui demeurent inconnues. La position
particulière de Folkwin le dispense, pour sa part, d’être généreux. La
définition et le maintien de son rang ne sont pas liés à sa capacité à
redistribuer des biens pour asseoir, maintenir ou accroître son pres-
tige. La présence d’un officier, dans ce cas, inverse le flux des géné-
rosités socialement nécessaires. Dans une société totalement paysanne,
c’est-à-dire où ce que Wickham appelle le « mode de production pay-
san » fonctionne, les notables doivent leur position à leur capacité à

33
 F. Bougard, « Pierre de Niviano… », op. cit. K. Bullimore, « Folcwin of Rankweil… »,
op. cit.

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distribuer leurs propres surplus afin d’établir leur prestige et leur


influence 34. Au contraire, l’autorité des officiers est telle que, même
dans leurs actes d’office, ainsi que l’a montré R. Le Jan, il est néces-
saire de leur faire des dons 35. Dans le cas de Folkwin, cela n’aboutit
pas à modifier la distribution des patrimoines fonciers, mais montre
un fonctionnement différent des relations dans le groupe dès lors
qu’une autorité extérieure au village y intervient.
Pierre de Niviano exerce pour sa part, en plus de ses fonctions
administratives et judiciaires, un rôle multiforme que l’on voit joué
aussi par les prêtres bretons ou par des personnages du niveau des
Totoni. La détention d’un office leur donne un relief particulier.
Pierre de Niviano est d’abord un propriétaire foncier qui construit
localement un patrimoine. Il gère celui-ci et cède des terres en livello,
pour en tirer un revenu. Il cherche également à construire une clien-
tèle d’obligés. Impliqué dans le marché de la terre, il l’est également
dans des affaires de prêt. Enfin, il est lui-même en relations d’affaires
avec une fraction de l’aristocratie urbaine : prenant des terres en livello
d’un prêtre de Plaisance, il apparaît aussi comme le client de celui-ci.
La complexité des affaires de Pierre de Niviano éclaire le comporte-
ment d’un membre de l’élite locale. Elle montre également par quels
processus s’établit, à proximité d’une grande ville, la liaison entre les
différentes composantes de la société carolingienne : le rôle social de
ce sculdassius est de polariser les réseaux villageois et de les faire
converger vers la ville. Le sommet de la hiérarchie permet ainsi de
construire des liens entre les différents niveaux de la société locale,
qui apparaît, dans cette documentation, comme finement articulée.
Elle comporte à la fois des éléments urbains et des éléments ruraux
que des personnages comme Pierre de Niviano, par leur présence et
par leur action, mettent en relations. C’est principalement par les
affaires privées que ce programme se réalise : les achats et les ventes,
les livelli et les emprunts nous révèlent, à la fin, le fonctionnement
d’un monde qui n’est pas si petit que cela. Les élites locales permet-
tent en effet d’établir un lien entre société locale et société englo-
bante.

34
 C. Wickham, Framing…, op. cit., p. 535 sq.
35
 R. Le Jan, « Justice royale et pratique sociale dans le royaume franc au ixe siècle », in La
giustizia nell’alto medioevo (secoli IX-XI), I, Spolète, 1997 (Settimane di studio del Centro ita-
liano di studi sull’alto medioevo, 44), p. 149-170 [= Femmes et pouvoir des femmes dans le haut
Moyen Âge, p. 149-170].

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Ces officiers ne restent pas en charge toute leur vie, et leur fonction
n’a pas de caractère héréditaire. Pierre de Niviano cesse, à un certain
moment, d’être sculdassius. Dans les Abruzzes, le gastald Allo a résigné
sa charge au début des années 870 avant de se faire moine au monas-
tère de Casauria 36. Dans les années 850, il avait succédé à son beau-
père mais son propre fils, quant à lui, n’exerça par la suite aucune
fonction publique. Cependant, le prestige attaché à la fonction
demeure même après la sortie de charge, ainsi que l’attestent plu-
sieurs dossiers, dont celui du Salien Sisenand, installé dans les Abruz-
zes adriatiques vers 850. Disposant de liquidités importantes, il achète
beaucoup de terres : nous détenons une vingtaine d’actes, principa-
lement des achats, par lesquels il débourse la somme importante de
443 sous, auxquels il faut ajouter douze bœufs et une épée, afin de se
procurer des terres. Il achète fréquemment à des veuves qui lui cèdent
leur Morgengabe, ce qui le place en situation de protecteur, voire de
patron, de ces femmes. Gros propriétaire foncier, il n’est cependant
pas véritablement membre de l’élite locale. Son désir d’y entrer est la
seule explication possible au mariage qu’il contracte au début des
années 870 et qui précipite sa ruine. Il épouse, en effet, la veuve d’un
gastald franc, nommé Juston, que ses fils avaient placée dans un cou-
vent. Dénoncé à l’évêque et à l’empereur, il est condamné à payer une
composition ruineuse. L’alliance avec un groupe familial puissant,
dont un membre avait exercé une fonction publique d’ampleur locale,
a donc eu suffisamment d’attraits pour que Sisenand coure ce ris-
que.
Présence et activité sur le marché de la terre en tant qu’acheteur,
capacité à redistribuer des terres pour qu’elles soient mises en valeur,
capacité aussi à intervenir dans le secteur du crédit, détention d’une
fonction et d’un titre, apparaissent ainsi, à côté de la possession de
l’église locale, comme les paramètres permettant aux hiérarchies vil-
lageoises de s’établir.

À partir du xe siècle, celles-ci se réorganisent. Les leaders sociaux


du type de Pierre de Niviano ou de Flokwin ne sont plus aussi néces-
saires et ne sont plus aussi présents dans les villages. La notabilité
devient alors purement locale, comme si les sociétés rurales avaient
moins besoin des fonctions de médiation exercées par les personnages
de ce niveau. Celles-ci sont en réalité désormais absorbées par la sei-

36
 L. Feller, Les Abruzzes médiévales…, op. cit., p. 649.

274

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les hiérarchies dans le monde rural du haut moyen âge

gneurie territoriale dont le titulaire récupère à son profit, mais aussi


à sa charge, le rôle social de lien avec la société englobante. En revan-
che, un certain nombre d’acteurs locaux prennent alors une nouvelle
importance. On voit bien, en effet, dans les chartes de fondation ita-
liennes que le village, lorsqu’il se fonde, a déjà à sa tête des person-
nages plus riches et plus puissants que d’autres. Ainsi, autour du Mont-
Cassin, les fondateurs des castra du xe siècle semblent former une
société d’égaux : ils ont des procédures leur permettant de choisir des
délégués qui parlent en leur nom avec l’abbé  37. Mais ils ont aussi,
au-dessous d’eux, des dépendants, les recommandés, dont la présence
est bien attestée : l’abbé traite ainsi avec des patrons de groupes de
clientèle, non avec des individus et leurs familles. En tout cas, dès le
xie siècle, ces villages disposent d’une élite militarisée capable de tenir
tête à l’abbé au point de l’amener à faire appel aux mercenaires nor-
mands pour calmer des rébellions.
Les chartes de franchise octroyées dès la fin du xie siècle nous
montrent enfin une société villageoise souvent scindée en deux grou-
pes, ceux qui doivent le service à cheval et ceux qui le doivent à pied.
En Italie, en effet, on voit bien que le castrum a permis l’émergence
d’un groupe de personnages assez riches pour effectuer à cheval un
service de type militaire dans l’entourage des seigneurs. C’est le cas à
Suvio en Campanie ou à Guastalla en Lombardie. Les habitats villa-
geois ont produit des différenciations sociales, permettant aux boni
homines de se placer au-dessus des autres et de se placer comme média-
teurs entre le seigneur et la communauté villageoise 38.

Les collectivités paysannes sont, dès le ixe siècle, des communautés


hiérarchisées et, d’ailleurs, en ce sens, elles forment des communau-
tés. Elles le sont d’abord dans le cadre du domaine, où l’opposition
entre libres et non libres joue un rôle structurant, appelé à se prolon-
ger à l’intérieur de la seigneurie territoriale. Cette opposition voit sa
pertinence accrue grâce aux multiples distinctions juridiques permet-
tant de distinguer les différentes catégories de travailleurs de la
terre.

37
 L. Feller, « La charte d’incastellamento de Sant’Angelo in Theodice. Édition et com-
mentaire », in D. Barthélemy et J.-M. Martin (dir.), Liber Largitorius. Études d’histoire médié-
vale offertes à Pierre Toubert par ses élèves, Paris, 2003, p. 87-110.
38
 Sur le castrum producteur de hiérarchies sociales, voir P. Toubert, Les structures du Latium
médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du ixe siècle à la fin du xiie siècle, Rome, 1973 (BEFAR,
221), p. 1103-1126.

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La fortune, d’autre part, établit des positions de notabilité, elles-


mêmes fort éloignées les unes des autres et hiérarchisées. Les mem-
bres du groupe familial des Totoni sont capables d’assurer une forme
de contrôle social assez resserré sur la localité de Campione en faisant
jouer en leur faveur les institutions judiciaires, soit en faisant des pro-
cès, soit au contraire en manœuvrant pour éviter l’ouverture d’actions
qui pourraient être en leur défaveur. De plus minces personnages,
comme Karol, ne peuvent parvenir à ce stade. Ils sont un ou plusieurs
degrés en dessous et ne peuvent compter que sur leur capacité à faire
patrimoine pour construire et accroître leur influence. Celle-ci
s’exerce à travers un réseau qui les place en intermédiaire entre l’élite
politique locale et le groupe des paysans : la politique patrimoniale
de ces personnages joue un rôle important dans la construction de la
hiérarchie locale.
C’est toutefois l’élite politique locale, celle des sculdassii ou des
gastalds abruzzais qui joue le rôle le plus important. L’ensemble des
rôles sociaux et économiques assumé par ces hommes, qui sont sou-
vent des horsains, des hors groupes, les place au centre de tous les
processus de constitution des différences hiérarchiques entre les pay-
sans. Ils forment un pôle duquel il est nécessaire de se rapprocher ou
avec lequel il est bon d’être en relation, que ce soit par l’offrande de
dons ou par des échanges de biens à caractère non commercial. Accé-
der à leur amitié est une nécessité, s’allier à leur groupe de parentèle
est sans doute perçu comme l’une voies possibles de l’ascension
sociale.
La dislocation de l’Empire carolingien et la dissociation de ses
cadres déplacent cette forme de domination vers la seigneurie terri-
toriale qui accapare désormais l’ensemble des fonctions de médiation
entre la société locale et la société globale, ne laissant subsister dans
le village ou dans le castrum qu’une hiérarchie tournée vers le service
et définie par lui, la distinction essentielle devenant, au xie siècle, la
forme que prend le service militaire. La fonction ou l’office a cessé
d’être un critère pertinent. La fortune, quant à elle, ne joue comme
facteur de classement que si elle permet d’accéder à une forme par-
ticulière de service.

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