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Thème 2 – Société, Église et pouvoir politique dans l’Occident féodal (xie-xve siècles)
❏ Démarches et contenus d’enseignement : la société féodale, ❏ Une approche HDA : elle est proposée dans le chapitre par
empreinte des valeurs religieuses du christianisme, se construit l’étude du tympan de Conques (p. 70-71). On peut aussi travailler
sous la domination conjointe des pouvoirs seigneuriaux, laïques et sur l’architecture médiévale, qu’elle soit militaire avec le château
ecclésiastiques. Les campagnes et leur exploitation constituent les fort (p. 64 et 66) ou civile (la bastide p. 65, l’abbaye cistercienne
ressources principales de ces pouvoirs. En abordant la conquête des p. 72). Il est également possible de mener une réflexion sur les
terres, on envisage, une nouvelle fois après l’étude du néolithique miniatures (p. 64, 66, 67, 68, 69, 73).
en 6e, le lien entre hommes et environnement.
❏ Des choix multiples proposés aux enseignants : la séquence
❏ Bornes chronologiques fixées par le programme : ce thème repose sur plusieurs études distinctes permettant d’envisager les
s’inscrit dans le temps long (4 siècles, du xie au xve siècle), essentiel- différentes perspectives demandées par le programme. Le manuel
lement dans l’espace de l’Europe occidentale. À partir du milieu du permet aux professeurs de construire leur propre parcours : il est
xie siècle se généralise la seigneurie castrale instrument privilégié du par exemple possible de commencer par le « contexte » général
pouvoir aristocratique et de l’encadrement des populations rurales, avant les études de cas ou par la place centrale de l’Église.
tandis qu’elle achève de s’effacer au xve siècle devant la montée en
➤ Bibliographie
puissance de l’autorité royale. La rupture chronologique, entre les
trois siècles de forte croissance démographique et économique (du ❏ Synthèses
xie au début du xive) et les deux derniers de la période, marqués par
– Baschet Jérôme, La Civilisation féodale. De l’an mil à la coloni-
les crises, ne remet pas en cause le mouvement général d’expan- sation de l’Amérique, Paris, Flammarion « Champs Histoire », 2011
sion. (éd. originale 2004).
– Bove Boris, Le Temps de la guerre de Cent Ans, 1328-1453, Paris
❏ Problématique du chapitre : il s’agit de monter comment, pen- Belin, 2009.
dant la période, se met en place une triple domination : celle, crois- – Cassard Jean-Christophe, L’Âge d’or capétien, 1180-1328, Paris
sante, de l’homme sur la nature (avec par exemple l’effacement de Belin, 2011.
la forêt), celle complète de l’Église sur ensemble corps social (grâce – Mazel Florian, Féodalités, 888-1180, Paris, Belin, 2010, rééd.
à son renforcement décisif des xie et xiiie siècles et par l’imposition 2014.
de son imaginaire), celle plus complexe du contrôle des hommes et ❏ Outils de travail
de l’espace par le seigneur.
– Charron Pascale, Guillouet Jean-Marie (dir.) Dictionnaire d’histoire
❏ Notions clés du chapitre de l’art du Moyen Âge occidental, Paris, Robert Laffont « Bou-
La notion centrale de domination, notamment dans sa dimension quins », 2009.
sociale, doit être envisagée, dans la mesure du possible, de manière – Duby Georges, Wallon Armand (dir.), Histoire de la France rurale
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la plus complexe possible, dans une société vue comme un équi- T.1 « La formation des campagnes françaises. Des origines à 1340 »,
libre en évolution permanente (même lente). Cette domination est Paris, Seuil, 1992.
triple : c’est celle croissante de l’homme sur la nature (effacement – Feller Laurent, Paysans et seigneurs au Moyen Âge viiie-xve siècles,
de la forêt) ; c’est aussi celle complète de l’Église sur l’ensemble Paris, Armand Colin, 2007.
corps social grâce à son renforcement décisif entre les xie et xiiie – Le Roy Ladurie Emmanuel (dir.), Histoire de la France rurale T. 2
siècles et par l’imposition de son imaginaire et de son idéologie ; « 2. L’âge classique des paysans. De 1340 à 1789 », Paris, Seuil,
enfin, au quotidien, c’est celle plus complexe des seigneurs sur les 1992.
campagnes, à la fois imposée et négociée, plus échange réciproque – Leturcq Samuel, La Vie rurale en France au Moyen Âge, Paris,
déséquilibrée dans un imaginaire dominé non par la richesse mais Armand Colin, Cursus, 2004.
par la réputation. – Morsel Joseph, L’Aristocratie médiévale ve-xve siècle, Paris Armand
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Colin, 2004. désertion de ces noyaux ecclésiaux ».
❏ Revues Réponses aux questions
– L’Histoire n°257 sept.2001 « Inondations, tempêtes, effet de Question 1 : Ce château domine le paysage par sa taille et sa posi-
serre. Le climat depuis 5000 ans ». tion élevée. C’est le seigneur qui y réside.
– L’Histoire n°283 janv.2004 « Les grandes heures du Moyen Âge ». Question 2 : C’est l’église qui est placée au centre du village. C’est
– L’Histoire les collections n°67 avril-juin 2015 « L’âge d’or des le lieu de culte des chrétiens. Il sert aussi symboliquement à mar-
abbayes. Une révolution religieuse au Moyen Âge ». quer la puissance de l’Église sur les villageois.
➤ Sitographie Question 3 : On peut penser que les campagnes sont sous la
– Pour des ressources iconographiques : http://mandragore.bnf.fr/ domination des seigneurs (document 1) et sous celle de l’Église
html/enlum/default.htm (document 2).
– Pour approfondir autour du tympan de Conques : http://www.tou-
risme-conques.fr/fr/histoire-patrimoine/église-abbatiale/contruc- Étude p. 66-67
tion-abbatiale.php
Guillaume de Murol, un seigneur en Auvergne
– Conçu par la BNF : http://classes.bnf.fr/ema/campagne/index.htm
– Pour trouver des articles de revue permettant de développer divers L’étude de cas envisagé doit permettre de distinguer les différentes
exemples issus notamment de l’archéologie : http://www.persee.fr/ formes que prend la domination seigneuriale en insistant sur les
obligations réciproques au cœur de ce système. Il s’agit de pré-
Introduction p. 64-65 senter la relation dominants-dominés au sein de la seigneurie. La
seigneurie castrale connaît des difficultés au début du xve siècle,
Pour aborder la domination des seigneurs et de l’Église sur les cam- comme en témoigne la rigueur avec laquelle Guillaume de Murol
pagnes ont été choisis deux documents de nature différente mais (1350-1440) réclame à ses paysans tout ce qu’il estime être son
marquant l’un et l’autre nettement la maîtrise des seigneurs laïcs dû ; mais elle reste la structure la plus courante de domination
et religieux sur l’espace réel et imaginaire. des campagnes d’Europe occidentale, réunissant des pouvoirs
Les documents d’origine foncière et d’autres issus de la dilution du pouvoir central
Document 1 : Commande de Jean de Berry (1340-1416), le prince (notamment la justice). La problématique de l’étude est : Comment
bibliophile et mécène le plus emblématique de la période, aux Guillaume de Murol exerce-t-il son pouvoir dans sa seigneurie ?
frères Limbourg (Paul, Hermann et Jean, actifs de 1399 à 1416), L’objectif est de faire distinguer par les élèves les différentes formes
ces Très Riches Heures du duc de Berry offrent un portrait de la de domination du seigneur et de leur faire saisir le caractère total
France au début du xve siècle, dans lequel est soulignée la puis- de cette domination.
sance de son commanditaire. La miniature du mois de mars (un À partir du document 1, on envisage d’abord la domination mili-
calendrier plus ou moins orné est presque toujours intégré en taire et symbolique sur l’espace de la seigneurie ; on peut faire
tête des livres d’heures) peut servir de premier document pour le retrouver celle-ci dans le document 3 qui permet d’introduire la
chapitre, car elle donne à voir à la fois la diversité du travail agri- dimension économique. De même, on peut faire travailler en paral-
cole et l’emprise seigneuriale avec le château de Lusignan (fortifié lèle les documents 2, 3, et 4, en faisant retrouver dans le dernier les
après sa reprise aux Anglais en 1374) avec son bourg protégé par types de domination visibles dans les deux autres.
une double enceinte. À partir d’une analyse de la construction de Les documents
l’image (taille et place du château, disposition quasi géométrique Le document 1 est une photo du château de Murol qui a été choisi
des différentes parcelles…), on peut amener les élèves à réfléchir notamment en raison de son bon état général de conservation (en
sur sa dimension idéalisée. Selon Jérôme Baschet, « les tradition- partie dû à la fidélité de la famille d’Estaing, alors propriétaire du
nelles représentations des travaux des mois sont considérablement château, à Richelieu, qui évita ainsi le démantèlement) et de son
amplifiées : au premier plan, un vilain procède au labour avec une aspect imposant (souligné notamment par Mérimée). Sur un site
charrue munie d’un coutre et d’un versoir métalliques, que tire une occupé dès le ixe siècle, constructions et reconstructions durent
paire de bœufs ; plus loin deux vignes encloses dont on taille les du xie au xvie siècle. À l’époque de Guillaume, le village (alors d’une
sarments et un berger gardant ses moutons ». trentaine de bâtiments) devait encore se trouver, d’après les fouilles
Document 2 : Avec la photo de Bram, bastide à plan circulaire qui archéologiques, à proximité immédiate voire directement à l’inté-
se met en place à partir du xie siècle, on insiste sur la place centrale du rieur de l’enceinte, alors que la bourgade actuelle se situe dans la
bâtiment église comme symbole de celle de l’Église dans la société. vallée proche. La fonction défensive est visible à travers les fortifica-
On peut insister sur la volonté de dominer et d’organiser l’espace et tions (postérieures à l’époque de Guillaume) peu utilisées pendant
au-delà de la nature en s’appuyant sur la régularité du plan du vil- la longue occupation du château et surtout pendant les guerres de
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lage (grâce au travail des géomètres-arpenteurs) ; on pourra souli- religion ; si l’on suit son journal, Guillaume de Murol n’a pratique-
gner l’organisation des habitations en cinq anneaux concentriques, ment pas été confronté à la guerre durant son existence et notam-
avec le cercle de trente pas de l’aire d’asile définie autour l’église ment pas dans son château de Murol. Plus généralement, même si
depuis l’Antiquité tardive et renforcée par les conciles de la paix de elle est aux yeux de la noblesse et son activité principale et la plus
Dieu. La paroisse est le premier cadre au sein duquel s’affirme l’es- digne, l’importance de la guerre ne doit pas être exagérée : plutôt
prit communautaire des habitants. Selon Samuel Leturcq, « dans assimilable à une « cueillette périodique » (Georges Duby), la guerre
le bassin de l’Aude, les fouilles archéologiques récentes ont mis en chevaleresque reste dominante au moins jusqu’au xiiie siècle et ne
évidence une première génération villageoise issue d’une polarisa- comporte qu’exceptionnellement de grandes batailles, notamment
tion du peuplement par les églises, antérieurement à la “révolution en raison de son coût (on estime qu’il faut disposer d’environ cent
castrale” du xie siècle qui entraîne parfois l’affaiblissement voire la cinquante hectares de propriété foncière pour assumer les frais
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d’équipement de l’activité chevaleresque). Outre son rôle de rési- avec Antoine Beneit). Il y a aussi les banalités, issues de la posses-
dence pour le seigneur et ses proches et son rôle de défense et de sion de certains équipements collectifs (ici le four). La domination
refuge déjà évoqué, la fonction symbolique peut être mise en avant de Guillaume sur ses paysans apparaît donc bien comme très com-
à travers la taille de l’ensemble : sa position sur le site le plus élevé plète à travers cet extrait. Il permet aussi éventuellement de tracer
marque la domination sur le terroir comme le seigneur domine les les contours de la vie d’un petit seigneur auvergnat du début du
paysans. xve siècle, existence assez banale et routinière, remplie surtout par
Le document 2 est une miniature tirée des Novella in Decretales la quête continuelle de ressources pour faire face à la « crise de la
Gregorii VIIII, compilation des textes juridiques du droit canon, ras- seigneurie » qui caractérise la période.
semblés sous le pontificat de Grégoire IX (1227-1241), dans un Réponses aux questions
manuscrit du début du xiiie siècle de l’abbaye Saint-Aubin d’An-
Question 1 : Le château a une fonction militaire de défense : c’est
gers. Le seigneur juge se tient assis au milieu entre le plaignant
là que le seigneur et les paysans peuvent se protéger en cas de
et le défenseur. Confiscation du pouvoir central, la justice seigneu-
menace grâce aux fortifications. Il est aussi la résidence du seigneur,
riale est sans appel jusqu’au xiiie siècle et constitue une source de
de sa famille et de ses proches. Il a aussi une fonction symbolique :
revenus non négligeable pour le seigneur car c’est surtout une
il représente, par sa taille, la puissance du seigneur sur ses terres.
justice foncière : elle impose des amendes ou la confiscation d’un
Question 2 : Le seigneur est placé au centre de l’image, assis alors
bien pour de nombreuses infractions, par exemple en cas de non- que les autres personnages sont debout autour de lui. Avant de
paiement d’une taxe ou de contravention aux règles d’usage des rendre la justice, le seigneur écoute les protagonistes de l’affaire
bois. Même si c’est relativement rare, le seigneur peut aussi acca- donner leur point de vue.
parer les fonctions de haute justice, allant jusqu’à la condamnation Question 3 : Sur l’image, on distingue nettement le groupe des
à mort : le gibet, en général peu utilisé et placé près du château, paysans courbés sous le poids du travail et l’agent du seigneur,
dépasse alors son rôle symbolique. Mais l’exercice de la justice varie debout qui les surveille. Son geste, avec le bâton dressé au-dessus
selon les régions et les coutumes locales que le seigneur et son pré- de la tête des paysans, marque la domination du seigneur sur les
vôt doivent respecter. On peut, à partir de la position des person- paysans.
nages, souligner que la justice est souvent rendue après un débat Question 4 : Les paysans peuvent travailler sur les terres de Guil-
pendant lequel les différentes parties peuvent parler. Ce document laume de Murol en échange du cens et de la corvée. Pour utiliser
peut être mis en relation avec le document 4 où on pourra faire les services collectifs comme le four, ils doivent aussi lui payer les
retrouver aux élèves ce qui concerne la justice et leur faire relativi- banalités.
ser la dimension contradictoire de cette justice quand le seigneur Question 5 : On retrouve, dans le document 4, le pouvoir du sei-
est à la fois juge et partie. gneur de rendre la justice sur ses terres car le seigneur de Murol
Miniature extraite du Psautier de la reine Marie, réalisée vers 1320- met à l’amende Antoine Beneit « pour les grands plaisirs qu’il
1330, le document 3 donne à voir une autre des exigences fortes m’avait faits ».
de la relation de dominium, liée elle à la propriété foncière, la cor-
Pour conclure : Dans sa seigneurie, Guillaume de Murol exerce
vée. C’est un travail dû sur les terres exploitées par le seigneur
plusieurs pouvoirs. Comme il a la propriété de la terre, il reçoit
(ou parfois un travail domestique au château). Très inégale selon
des paysans qui y habitent le cens ; de plus, ceux-ci doivent tra-
les régions, elle correspond, le plus fréquemment, à un ou deux
vailler gratuitement sur les terres du seigneur pendant la corvée.
jours par semaine plus quelques jours au moment des récoltes,
Le seigneur exerce aussi sur ses terres la justice y compris dans
mais la tendance générale est à son rachat par un paiement annuel
les affaires qui le concernent. En échange de ces pouvoirs, les pay-
en argent (qui permet au seigneur d’employer alors des ouvriers
sans sont protégés par Guillaume et peuvent se réfugier, en cas de
agricoles salariés pour l’exploitation de la réserve). La présence du menace, dans le château fort. Celui-ci symbolise aussi la puissance
surveillant envoyé par le seigneur peut renvoyer aux fortes réti- du seigneur.
cences des paysans, qui se traduisent par le faible rendement de
ces travaux (le prédicateur Jacques de Vitry dénonce, dans un de Point méthode
ses sermons, la fraude des paysans quant aux quantités exigées
Question 1 : Il s’agit du journal de Guillaume de Murol.
par les seigneurs), encourageant ainsi leur transformation en taxe
monétarisée. Outre la lente dislocation des manses et de la réserve Question 2 : Guillaume de Murol est le seigneur de Murol, espace
et la percée de l’économie monétaire dans les campagnes, la troi- sur lequel il exerce son pouvoir.
sième cause du progressif recul de la corvée est à chercher surtout
dans l’organisation des communautés paysannes agissant comme L’atelier de l’historien p. 68-69
une force de proposition et de résistance face aux seigneurs
Le document 4 est un extrait du journal de Guillaume de Murol, Des paysans écrasés par leur seigneur ?
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retranscrit et étudié par Pierre Charbonnier dans sa thèse de doc- Le but de ce travail est de faire approcher par les élèves de 5e la com-
torat Guillaume de Murol. Un petit seigneur auvergnat au début plexité historique, autour de la question du poids de la domination
du xve siècle, Institut d’études du Massif Central 1973. Seigneur de seigneuriale sur les campagnes. Il s’agit de faire apparaître combien
Murol de 1383 à sa mort en 1440, Guillaume tient scrupuleusement la domination seigneuriale oscille entre coercition et négociation,
dans son journal les comptes de ses domaines, en particulier de ce comment elle s’apparente par certains aspects à la recherche d’un
que lui doivent « ses » paysans. On retrouve dans les différents pas- équilibre. Comme prévient Jérôme Baschet, « il faut se garder autant
sages sélectionnés, la domination liée au foncier avec le cens, dont de la légende noire que de la légende rose » : ainsi la domination
le montant reste identique d’une année sur l’autre, quelles que seigneuriale n’empêche pas à partir des xiie et xiiie siècles (période
soient les conditions matérielles (accident climatique, guerre…). Il y de croissance marquée aussi par l’alourdissement du prélèvement
a aussi celle issue de la captation seigneuriale de la justice (l’affaire seigneurial) la diversification sociale des campagnes, avec l’appari-
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tion de groupes de paysans plus riches dans les villages. On peut 1175, nommé ainsi à partir de 1229 chez Philippe de Novarre), épo-
ainsi faire souligner par les élèves que la domination seigneuriale ne pée animale bien connue constituée de contes versifiés très variés,
peut être réduite à la seule dimension économique. représentant au final plus de 25 000 vers destinés avant tout à
À partir de l’étude du document 1, pour faire distinguer les dif- provoquer « ris et gabets » à partir de l’observation de la société
férentes difficultés rencontrées par les paysans, on peut d’abord du temps. Le succès de l’ouvrage est tel qu’il se diffuse largement
chercher à les retrouver dans les documents 2 (la pauvreté) et 4 (le hors du royaume de France et de nouvelles « branches » paraissent
labeur permanent). Enfin, le document 3 permettra de proposer un
au cours du début du xiiie siècle, mais progressivement la dérision
autre point de vue et d’apporter de la nuance.
cède la place à la satire et à l’érudition. Il n’est pas étonnant d’y voir
Les documents brocarder le paysan aisé « coq de village » dont Renart finira, après
La source 1 est un extrait du Livre des manières d’Étienne de cet extrait, par visiter le poulailler. On remarquera la description
Fougères (mort en 1178), d’abord chapelain d’Henri II Plantagenêt précise des réserves du garde-manger mais aussi les indications
et secrétaire de sa chancellerie puis évêque de Rennes, « homme sur l’exploitation manifestement tournée vers la polyculture asso-
distingué et lettré » ayant composé notamment dans sa jeunesse
ciée à l’élevage lui aussi diversifié (volailles et bestiaux). Ce sont
« beaucoup de choses gaies en vers rythmiques et en prose pour
ces majores, constituant progressivement une élite villageoise, qui
s’attirer l’applaudissement des hommes » selon la Chronique de
Robert de Thorigni. Dans son ouvrage le plus célèbre, le Livre des seront capables d’obtenir peu à peu des seigneurs des chartes de
manières composé entre 1474 et 1478, ouvrage en langue verna- franchise.
culaire, peut-être traduit en latin, il passe en revue, souvent avec un La source 4 est un ensemble de miniatures ornant le Martyrologue
certain mordant (par exemple à l’égard du chevalier), les différentes d’Usuard, produit vers 1270 pour l’abbaye de Saint-Germain-des-
catégories sociales de son époque. Parmi elles, dans l’extrait choisi, Prés sans doute dans le foyer des ateliers laïcs parisiens (vraisem-
il porte un regard relativement bienveillant sur le paysan : il décrit blablement celui de maître Honoré), et non plus seulement dans le
sa dure vie de labeur en soulignant le poids des prélèvements sei- scriptorium d’un monastère. Il présente un calendrier des travaux
gneuriaux en particulier en nature. agricoles renvoyant à une conception cyclique du temps contrôlé
On retrouve, dans la source 2, trois siècles plus tard, la même sol- par l’Église (qu’il soit quotidien, avec le son des cloches, ou annuel,
licitude envers les pauvres ruraux sur cette miniature illustrant les avec le calendrier des fêtes religieuses). Celui-ci est centré sur les
Traités théologiques, datant des années 1490. La droite de l’image
productions de base de l’alimentation médiévale, les céréales (juin
est occupée par une famille de pauvres paysans devant leur masure
juillet août octobre) l’élevage (novembre) et la vigne (septembre),
en partie en ruine, tandis qu’à gauche arrivent des pauvres hères
errants sur les routes en haillons, cherchant l’aumône (la main ten- qui est aussi un élément fondamental des échanges commerciaux.
due) ; au milieu, un franciscain et un dominicain, dont les frocs Outre la précision des détails, on pourra faire souligner aux élèves la
troués rappellent le vœu de pauvreté, implorent également la béné- manière dont sont représentés les paysans souvent courbés à la fois
diction divine. À l’arrière-plan à gauche, le château, imposant et par les efforts et sous le poids de la domination des seigneurs laïcs
massif, rappelle le poids de la domination seigneuriale. et ecclésiastiques, ce qui correspond à un discours qui est celui des
La source 3 est un extrait du Roman de Renart (réuni à partir de élites, qu’elles soient laïques ou ecclésiastiques.
Réponses aux questions
Question 1
Source 1 Source 2 Source 3 Source 4
Nature Poème Miniature Conte Miniatures
Date 2e moitié du xiie siècle Vers 1490 xiie siècle 1270
Auteur Étienne de Fougères Inconnu Inconnu Inconnu
Impression donnée sur Une vie dure, pleine Une vie dure et pauvre Une vie agréable et un certain Une vie de labeur
la vie des paysans de labeur et sous la niveau de richesse pour
domination du seigneur certains paysans
Arguments relevés dans « bien du travail et Les habits déchirés, « un paysan fort à son aise » Uniquement des
la source justifiant cette peine », « jamais il ne le toit de la chaumière « abondamment garnie des travaux, les corps
impression mange de bon pain » en ruine meilleures provisions » penchés
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Question 2 : Alors que dans la source 4, on voit des paysans tra- « fort à l’aise » avec une maison remplie de nombreuses provisions
vaillant sans arrêt, dans la source 1 on voit que ce travail difficile et diverses, en particulier des viandes « fraîches et salées ».
constant (« travail et peine ») profite surtout aux seigneurs (« à son Question 4 : J’ai appris que, pour répondre à cette question, il faut
seigneur il le destine »). Dans la source 2, la situation des paysans faire preuve de nuance car la situation n’est pas la même selon les
semble encore plus mauvaise puisqu’ils sont en haillons devant une périodes et les lieux. Globalement la vie des paysans est une vie de
masure en ruine ou errants sur les routes. travail (sources 1-3-4), mais, alors que lors de certaines périodes,
Question 3 : Alors que dans la source 1, le paysan voit le seigneur la domination seigneuriale pèse lourd sur les paysans (source 1) et
profiter des fruits de son travail, dans la source 3 le paysan est qu’ils peuvent être très pauvres (source 2), durant d’autres périodes,
certains s’enrichissent (source 3).