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Le corps comme espace : Quand qui

-toise

Vinciane Despret

accueilleraient-ils mieux, plus sûrement, plus authentiquement, plus adéquatement que


nous ? Je ne pense pas que ce soient de bonnes questions à leur adresser : il ne faut pas

am
déprendre.
-t-
tion : on leur

des actes cognitifs, si possibles


ent, quand on sait les
entendre -à-dire à
vraiment nous déprendre : «
compétence limitée que vous renvoyez ce terme ? Mais nous, nous les animaux, avons

faire-
attention-aux-autres îtes vous

vous
des
fidélité ; ou encore
-vous ? Que faîtes
vous de ces intelligences que les rats et les oiseaux migrateurs ont inventée avec les
chemins , ces intelligences que les oies cendrées et les corbeaux ont cultivées avec leurs
partenaires, ces intelligences de la flexibilité du rapport au monde que corbeaux et
corneilles, sautillant et hésitant de manière parfaite, ont créées et déviées dans leur usage
du monde ? Est-ce pour être plus humain que vous les avez toutes oubliées ? ».

toujours pas nous déprendre de ce que nous savons de manière répétitive, surtout en

en apprendredes
: dans quel usage du monde, de soi et des
liens sont-ils « tout à leur affaire »
intelligent dans le monde des vivants.
-ils donc à nous apprendre, non
ais au sujet de la

encore bien cette idée : que les animaux nous apprennent la diversité des bons usages.
llir ; cela ressemblerait
vraiment trop à ces clichés héritiers des discours post colonisateurs (paternalistes et

des ex-colonisés, « comme ils sont accueillants ! ». Donc, non, on ne fera pas aux

généreux du bon accueil. En revanche, on pourrait leur demander, ça et là, des usages en
leur monde, et plus particulièrement, quand ils diffèrent suffisamment de ce que nous

accueille. Les choses sont secondaires, les lieux aussi, le plus souvent. Certes, on peut faire
un nid pour y accueillir la femelle, on peut même magnifiquement le décorer, comme le
font les oiseaux jardiniers ; certes encore - ?, on peut
marquer les frontières de son territoire, et les traces odoriférants sont bien comme une
: ici tu es chez moi. Mais il faudrait alors se convaincre

s doigts, les dents, le sexe, les yeux, la bouche, les


testicules, les oreilles, la queue et tout ce qui, en outre, produit des odeurs et de la chimie
des corps
avant
traduits, salutation to greet
désigne une salutation de bienvenue.
Un premier usage, récurrent dans de nombreuses espèces, je parle ici des chiens, des
-
mêmes :
on y lit que les pratiques d ; mieux même, elles prennent leur sens
dans la répétition et de la répétition. Voilà sans doute où peut se construire un parallèle avec
: nous, les
hu un lieu, une
porte, une salle, un fauteuil ; nous pouvons charger des objets, des choses, des
: une porte ouverte, un
fauteuil et un feu allumé. Un espace traduit un accueil. Une porte ouverte, un fauteuil et
un feu allumé -vous, mais, justement, on est sûrs de se
comprendre. Les significations, chez les humains sont stabilisées par des institutions

: on peut déléguer une


intention de dire « on ne passe pas » comme on peut déléguer, à une porte ouverte, ce

ement, pour
échapper aux conventions, bref pour mieux accueillir

; et aucune
insti

comprendre

doivent sans cesse être renouvelés, et se déroulent souvent selon des séquences bien
les
rituels, pourrait-on dire, désignent les gestes que les animaux exécutent, de manière
lé et à la synchronisation
avec les partenaires.

certains animaux, produit un effet particulier


apparence « introductive » q
vous voilà donc, quel
plaisir, entrez, soyez bienvenu, faîtes comme chez vous, enlevez votre veste, voulez vous quelque
chose à boire. Certes, il y a bien quelque chose du rituel ici, les phrases sont généralement
convenues, comme le sont les gestes, mais en est absente une certaine forme de

important. Toujours est-


occasion, dans sa forme complète et stéréotypée. On imaginerait mal à moins de
suspecter une dégénérescence neurologique intéressante un hôte ou une hôtesse
disparaître en cuisine, et en revenir 5 minutes après avec des exclamations similaires à
vous voilà donc, quel plaisir, entrez, soyez bienvenu, faîtes comme
chez vous, enlevez votre veste, voulez vous quelque chose à boire.
Avec les chiens, pourtant bien proches des humains et partageant avec eux quelques
toujours pareil. Chaque retrouvaille
-être est ce

monde social, le monde des relations, est à chaque fois remis à neuf.
: les salutations ne sont pas un simple mode
ession, les salutations ne « disent ; les
On en a eu
ué que
: ils
présentaient leur partie génitale à un partenaire afin que celui-ci les touche. Le risque
s, le babouin qui le
propose place par là même et littéralement ses chances de reproduction future dans
Le toucher, en outre, dénote avec la manière habituelle, assez
rude et relativement tendue, dont ces babouins entrent en relation. Comment
? On aurait pu penser que ces rituels
réaffirment la hiérarchie, le rituel serait la réaffirmation de la dominance de certains
cette explication est, soit dit en passant, la tarte à la crème des explications en éthologie.
Barabara Smuts, heureusement, va en proposer une autre. En observant que les babouins
ayant tissé des relations de coopération amicales vont présenter les rituels les plus
complets et les plus intimes du registre comportemental, Smuts suggère de considérer le

de développer des interactions coopératives. Toute relation coopérative dépend toujours

toujours possible de défection, chaque individu réellement désireux de coopérer sera


confronté au problème de savoir comment convaincre les autres de ses bonnes

évident pour chacun. Le geste

de sa constante réitération traduit en même temps les difficultés auxquelles sont


confrontés les babouins :
conflit, le traître de demain. En une nuit, une autre alliance a pu se
former. Comment savoir, dans un monde aussi changeant, qui est fiable et sur qui on peut
compter ? Le
-à-
dire un geste qui modifie la relation au moment même où il affirme la qualité de cette
relation ; un geste qui crée le lien au moment même où il sanctionne (affirme, notifie) le
lien.

se construisent comme partenaires de la relation dans ces gestes, avec le chien, on


pourrait traduire
« -elle devenue, cette relation, depuis la dernière fois, et ce même si la dernière
?
de son humain ; sans que nous puissions savoir si la question est vraimentposée

réaffirmer quelque chose que chacun des partenaires sait, mais dont la réaffirmation
nourrit la relation.
Accueillir, dès lors, cela voudrait dire construire un agencement qui permet à chacun des

écaillés. Pourquoi les cratéropes dansent-ils le matin au lever du soleil ? Pour comprendre
Zahavi, vous devez prêter attention
au fait que danser comme ils le font tous ensemble, en formant une ligne aussi tanguante
extrêmement dangereux. Ils pourraient le faire sous un arbre : ils dansent dans un espace
découvert. Ils pourraient attendre que le jour soit pleinement levé et que la lumière leur

hasard y trouverait une belle opport

réaffirme, réactualise et évalue, de manière fiable, les engagements de chacun. Ainsi,

ses intentions.
A
visiteur, de manière très amicale, et se mettent contre lui. Puis, continue Zahavi, ils se
laissent aller, transférant progressivement leur poids sur la jambe du visiteur candide,
-
la qualité des relations possibles est alors terminé, et concluant dans ce cas, pour le chien :
de manière fiable et sous la forme

-
demander de témoigner, par sa patience et sa disponibilité, de la qualité et de la force de
son engagement ? Mais le chien ne réactive-il pas, de ce fait même, par ses gestes, sa
présence encombrante et son enthousiasme entier, cet engagement ?

pour le lien : il en est à la fois la mi

eil fait lien.

Note bibliographique.

- Bruno Latour et Shirley Strum : Strum, S et Latour, B. (1987) « Redifining the social
Link : from Baboons to Humans ». Social Sciences Informations 26 (4) : 783-802.
- Barbara Smuts : Smuts, B & Watanabe, J. (1990). Social relationsnip and ritualized
greetings in adult male baboons (papio cynocephalus anubis). International journal of
primatology 11, 2 : 147-172.
- Amotz Zahavi : Zahavi, A et Zahavi, A (1997)The Handicap Principle : a Missing Piece
of Puzzle. Oxford : Oxford University Press
- Donna Haraway : Haraway, D. When Species meet. Minnéapolis, University of
Minessota Press, 2008.

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