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PENSER LE GESTE DANSÉ - ENTRETIEN AVEC


CHRISTINE ROQUET

Guilherme Hinz
Étudiant en Master en Danse à l’Université Paris 8
hinz.guilherme@gmail.com

Résumé Abstract

Après avoir suivi une formation en analyse Having trained in movement analysis with
du mouvement auprès d’Odile Rouquet et puis Odile Rouquet and then with Hubert Godard in
auprès d’Hubert Godard dans le cadre du dé- the Dance department of the University Paris
partement Danse de l’Université Paris 8, Chris- 8, Christine Roquet supports in 2002 his doc-
tine Roquet soutient, en 2002, son doctorat in- torate entitled “La scène amoureuse en danse:
titulé « La scène amoureuse en danse : codes, codes, modes et normes de l’intercorporéité
modes et normes de l’intercorporéité dans le dans le duo chorégraphique” [The love scene
duo chorégraphique ». Depuis 2003, elle est in dance: codes, modes and standards of inter-
maître de conférences en analyse du mouve- corporeality in the choreographic duo]. Since
ment au sein de ce même département où elle 2003, she is a professor of movement analysis
est également responsable de la licence Arts du in the same department, where she is also re-
spectacle chorégraphique. Dans cet entretien, sponsible for the bachelor’s degree course Arts
réalisé en janvier 2017 à Fontenay-sous-Bois, du spectacle chorégraphique. In this interview,
Christine Roquet explique d’abord comment conducted in January 2017 in Fontenay-sous-
l’analyse du mouvement issue du champ de la Bois (France), Christine Roquet first explains
Danse s’est développée en France et ensuite how the movement analysis – originating from
la discussion accorde une place centrale à the field of dance – has developed in France
l’approche du département Danse de Paris 8. and then the discussion gives a main place to
La problématique de la définition d’un champ the approach of the Dance department of the
d’étude ; le cousinage entre pratiques soma- University Paris 8. The problem of defining a
tiques, notation du mouvement et cours de field of study; the kinship between somatic
danse ; la spécificité des théories développées practices, notation of movement and dance
par Michel Bernard et Hubert Godard sont au- classes; the specificity of the theories devel-
tant de thèmes qui traversent cette conversa- oped by Michel Bernard and Hubert Godard
tion entre une professeure et un élève qui com- are themes that run through this conversation
mence ses études en ce domaine. between a professor and a student who begins
his studies in this area.

Mots-clés Keywords
Analyse du Mouvement. Danse. Département Movement Analysis. Dance. Dance Department
Danse Université Paris 8. Geste expressif. of the University Paris 8. Expressive Gesture.
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Guilherme Hinz - Mon idée est de tenter tout Godard4. Ces deux personnes sont les piliers
d’abord un survol historique afin de penser fondateurs de ce champ d’études en France
comment l’analyse du mouvement s’est dé- que j’appelle de manière synthétique mais
veloppée en France – puis, dans un deuxième problématique : « analyse du mouvement ».
temps, de recentrer le propos sur l’approche La terminologie posait problème dès le
du département Danse1 de l’Université Paris 8, départ : prenons l’exemple d’Odile Rouquet, qui
département dans lequel vous développez cet a fait un double parcours, en danse et dans ce
axe de recherche. Ma première question serait qu’on appelle aujourd’hui l’« éducation soma-
alors : selon vous, comment s’est construit le tique » – à l’époque on appelait ces pratiques
champ de l’analyse du mouvement ? les release technics, ou « nouvelles méthodes
Christine Roquet - Le premier élément à pré- d’éveil corporel5 » ou encore « techniques
ciser, c’est que ce qui va être dit concerne psycho-corporelles », etc. Dans ses ateliers,
l’analyse du mouvement telle qu’elle se déve- Odile transmettait les savoirs de l’Ideokine-
loppe en France et non ailleurs. Il s’agit d’un sis de Irene Dowd, mixés avec d’autres. En
domaine de connaissances assez récent qui 1985, Odile fit paraître un petit fascicule, Les
intègre ce qui est appelé, du côté du Minis- techniques d’analyse du mouvement et le dan-
tère de la Culture, « analyse fonctionnelle du seur6, présentant différentes méthodes d’édu-
corps dans le mouvement dansé2 » (AFCMD). cation somatique, parmi lesquelles on trouvait
L’AFCMD a été fondée dans les années 1980- des textes sur le Body-Mind Centering (BMC),
1990, d’une part avec les cours privés d’Odile Feldenkrais, Alexander et d’autres. Comme
Rouquet3 à Paris et d’autre part, à peu près son titre l’indique, les « somatiques » étaient
à la même époque, avec le travail d’Hubert donc catégorisées, à ce moment-là, comme
« techniques d’analyse du mouvement », voici
un fait qui peut faire référence historiquement.
Ensuite, le travail d’Odile a trouvé à se déve-
1 Créé en 1989 par le philosophe et professeur Michel Ber-
nard et dirigé ensuite par ce dernier et par Hubert Godard, le lopper dans un cadre plus institutionnel qui est
département Danse de l’Université Paris 8 est actuellement
composé de six chercheuses permanentes – Isabelle Ginot, celui du Conservatoire National Supérieur de
Mahalia Lassibille, Isabelle Launay, Sylviane Pagès, Julie Per- Musique et de Danse de Paris (CNSMDP).
rin, et Christine Roquet – ainsi que de chercheurs et artistes
associés (Laurent Pichaud), professeurs étrangers, artistes et
pédagogues invités. Cf. http://www.danse.univ-paris8.fr/. 4 Après une formation en chimie, Hubert Godard s’inscrit dans
le champ de la danse : il est danseur, chercheur et professeur.
2 Les savoirs de l’AFCMD sont fondés sur les études de la Son travail en analyse du mouvement s’est développé en plu-
biomécanique, de l’anatomie, de la physiologie et de la neuro- sieurs lieux : dès les années 1980, il étudie et enseigne le
logie. L’AFCMD a été institutionnalisée en 1990 par le Minis- Rolfing (thérapie créée par l’américaine Ida Rolf) ; il a participé
tère de la Culture, désormais une discipline obligatoire dans la à la mise en œuvre du Diplôme d’État en dirigeant avec Odile
formation des professeurs de danse en France. Rouquet l’enseignement de l’AFCMD ; il a été maître de confé-
rences et co-responsable du département Danse de l’Univer-
3 Chorégraphe et danseuse, Odile Rouquet a reçu en 1977
sité Paris 8 et continue aujourd’hui à diriger des recherches à
une bourse Fulbright pour étudier la pédagogie de la danse
l’Institut National de la recherche sur le cancer à Milan (Italie).
à Columbia University. Aux Etats-Unis, elle suit une formation
en Ideokinesis avec Irene Dowd. De retour en France, Odile 5 Pierre Etevenon, préface à Rouquet, Odile. Les techni-
Rouquet enseigne ce qu’elle a appelé initialement la kinésio- ques d’analyse du mouvement et le danseur. Fascicule FFD,
logie, qui a ensuite été intégré par le Ministère de la Culture ACEC, 1985, p. 3.
sous le nom d’AFCMD. Créatrice de l’association Recherche
en mouvement et auteure de livres, d’articles et de documen- 6 ROUQUET, Odile. Les techniques d’analyse du mouvement
taires, Odile Rouquet a enseigné l’AFCMD de 1989 à 2015 et le danseur. FFD, ACEC, 1985 (épuisé). Disponible en ligne
au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse sur : http://www.rechercheenmouvement.org/spip.php?ar-
de Paris. ticle8.

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Il faut savoir qu’à partir de 1989, pour enseigner méthode Feldenkrais, la méthode Ehrenfried7,
la danse en France, le danseur se trouva l’obli- etc.). Puis, au fil du temps, certains professeurs
gation d’être titulaire du Diplôme d’État (DE), ont commencé à intégrer des « somatiques »
Hubert Godard raconte combien il fallut lutter au sein de leurs interrogations sur la danse. Le
pour que l’anatomie, la physiologie, l’analyse cas d’Odile via l’Ideokinesis montre bien cette
fonctionnelle soient enseignées par des dan- intégration, cette sorte de métissage entre le
seurs, formés évidemment, et non par des mé- geste dansé, les exercices de danse, la prise
decins ou des kinésithérapeutes. Une fois que de conscience par le mouvement, les interro-
l’AFCMD fut une matière du DE, les jeunes qui gations sur la pédagogie8… Ce mélange était
passaient le Diplôme d’État devaient être éva- là depuis le début, les frontières ont toujours
lués ; il fallut composer des jurys de collègues été poreuses, car ce qui caractérise ces tech-
formés par Odile ou Hubert, donc cette forma- niques c’est de venir du champ de la danse.
tion s’est institutionnalisée sous la forme d’une En France et ailleurs, dans tous les cas, ce
« formation de formateurs ». Celle-ci continue champ est articulé directement au champ de la
encore aujourd’hui, toujours sous l’égide du danse… Laban, Bartenieff, Irene Dowd, Bonnie
Ministère de la Culture, et a conservé cette ap- Cohen, Odile Rouquet, Hubert Godard et tous
pellation, AFCMD. leurs élèves viennent principalement du champ
De son côté, Hubert Godard, qui venait du de la danse. Il existe un grand cousinage de-
champ de la danse et du théâtre, avait lui puis le départ.
aussi, traversé un très grand nombre de
« somatiques », pour reprendre la terminologie GH: Et comment avez-vous commencé à tra-
en vigueur aujourd’hui. Il pilotait la formation vailler dans ce champ de l’analyse du mouve-
en AFCMD et dans le même temps, il répondit ment ?
positivement à l’appel de Michel Bernard qui CR: Complètement par hasard. J’ai traver-
venait d’ouvrir, en 1989, le département Danse sé ces pratiques au fur et à mesure des ren-
de Paris 8 et vint le rejoindre. contres, sans avoir suivi l’intégralité d’une for-
mation « diplômante ». J’ai toujours fait du
GH: On prend conscience ici de l’importance Feldenkrais principalement, de la gymnastique
des pratiques somatiques dans la construction holistique – que j’ai appréciée énormément –,
de ce qu’on appelle « analyse du mouvement ». de l’Alexander, de l’anti gymnastique de Thé-
Pourriez-vous développer davantage comment rèse Bertherat et, dans une moindre mesure,
cela fut travaillé au sein même des cours ? du BMC, un peu de yoga… Cela faisait par-
CR: En fait, dans le champ de la danse contem- tie de ma vie, j’avais l’impression que c’était
poraine, à l’époque déjà, les danseurs étaient comme une balance, il y avait la danse d’un
relativement nombreux à suivre d’autres pra-
7 Ou « gymnastique holistique ». Cf. EHRENFRIED, Lily. La
tiques que des cours techniques en danse ;
gymnastique holistique. De l’éducation du corps à celle de
on appelait ces pratiques par le nom propre l’esprit. Paris: Aubier, 1956. Pour une bibliographie « Soma-
tiques et analyse du mouvement » voir : GINOT, Isabelle. Pen-
de leur « créateur » (la technique Alexander, la ser les somatiques avec Feldenkrais. Lavérune: L’Entretemps,
2014, p. 163-169.

8 Voir documentaire Marie Hélène Rebois, Odile Rouquet, Le


geste créateur. Pantin : CREC, CNSMDP, 2008.

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côté et ces pratiques de l’autre, ainsi je trou- GH: Pourriez-vous préciser ce dernier point ?
vais un équilibre. CR: Le problème principal c’est un problème
Un problème qui se pose à chacun-chacune de modulation tonique. Beaucoup de pratiques
c’est l’intégration de ces pratiques et de ces « somatiques » fondent leur travail sur la pos-
savoirs au sein même d’un cours de danse. ture allongée, sur une certaine chute du tonus,
Quand j’ai pris mes premiers cours avec Odile sur l’induction d’un état de conscience modifié
Rouquet, c’était une époque où je donnais moi- par la détente et la lenteur. On travaille par mi-
même des cours de danse. Au bout d’un mo- cro-mouvements, beaucoup nourris d’imagi-
ment, j’ai commencé à tellement tout interro- naire, on utilise la respiration abdominale qui
ger que mes cours de danse se transformaient est une respiration de repos et – tout d’un coup,
de plus en plus et les élèves ont fini par dire : youp ! – il faut se lever et que le cours ait lieu !
« Mais, attendez, là Madame, ce ne sont plus On va faire fonctionner la mémoire, le rappel de
des cours de danse que vous donnez ». Alors, coordinations alors que le cerveau était plutôt
j’ai tout arrêté car je me disais « effectivement, en repos ; on doit presque de but en blanc trou-
ça n’est pas cela que les élèves attendent ». ver des coordinations et s’engager dans une
Même si on faisait toujours de la pratique et certaine dépense. Il y a là quelque chose d’une
bien de la pratique dans les cours d’Odile ou rupture, comment la négocier ? Jusqu’à main-
d’Hubert, on ne faisait pas, à cet endroit, un tenant, je ne vois pas que le passage de l’un à
cours de danse. On expérimentait beaucoup, l’autre – du mouvement hyper lent au mouve-
on faisait beaucoup d’improvisations, des lec- ment rapide et à un état de tonicité d’éveil – ait
tures du geste et de la posture etc., c’était été interrogé en théorie. Même si je ne doute
plutôt de l’ordre de l’atelier que du cours tech- pas qu’en pratique on puisse, comme le fait
nique de danse. A l’époque, ce cousinage Peter Goss, articuler savamment la partie au
entre danse et « somatiques » n’était pas in- sol, lente, et les changements de niveau dans
tégré dans le cours technique, à ma connais- l’espace, les modulations toniques pour ame-
sance, sauf peut-être déjà chez Peter Goss9. ner au mouvement, mais tout le monde n’est
Alors que de nos jours, c’est une tentative, et pas Peter Goss… Je remarque d’ailleurs que
même plus qu’une tentative. C’est peut-être dans la plupart des cours de danse contempo-
même le contraire : il n’y a pas un cours de raine à l’heure actuelle on commence allongé
danse qui ne tente d’intégrer une optique so- au sol, ce qui ne laisse pas de m’interroger…
matique au sein du cours technique… Et peu
de chercheurs s’intéressent aux problèmes GH: Concernant votre parcours avec Odile Rou-
que cela peut poser. quet, diriez-vous que cela initiait la construction
d’un savoir en retour sur ce que vous faisiez
dans la pratique de danse ? Que s’ouvrait ainsi
9 Le travail de Peter Goss (et de ses assitant.e.s) est au cœur
de la formation des danseurs contemporains, très nombreux la possibilité de parler de ce que vous étiez en
à suivre ou avoir suivi ses cours à Paris ou en stage. Peter train de faire ?
Goss enseigne la danse aussi au CNSMDP. Cf. PRAUD, Do-
minique. « Danse contemporaine et pratiques somatiques : CR: Oui, mais surtout de découvrir ce qu’on
l’enseignement de Peter Goss ». in : Incorporer, Nouvelles de
danse, n° 46-47. Bruxelles: Contredanse, 2001, p. 188-197.
était en train de faire ! Je me souviendrai toute
Disponible en ligne sur : http://www.ecolepetergoss.com/docs/ ma vie du travail du demi-plié : en apparence
texte_d_praud.pdf .

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un geste « simple » – on arrive dans un cours des choix… Ainsi tu as plus de possibilités de
technique, les demi-pliés c’est la barre du dé- peindre ton propre tableau et d’être l’auteur de
but du cours. Avec Odile, à l’époque dont je ton geste.
parle, on vivait des expériences : expérimenter GH: On parle d’une approche théorico-pra-
un demi-plié dans ce contexte venait boulever- tique. L’équilibre entre théorie et pratique vous
ser et révolutionner la manière dont on envisa- a-t-il posé un problème ?
geait l’aspect mécanique du demi-plié dans le CR: Il faudrait poser cette question à des col-
cours technique. C’était non seulement pertur- lègues qui, contrairement à moi, ont beaucoup
bant, mais parfois ce fut désagréable... Il y eut dansé professionnellement. La difficulté, j’ima-
un matin où je n’ai pas pu me lever pour aller au gine, que tous les danseurs-somaticiens ont dû
cours d’Odile, je me disais : « si à chaque fois et doivent encore traverser c’est qu’à un mo-
j’ai l’impression que je dois tout réapprendre ment donné on est confronté à un vocabulaire,
et que je ne sais plus rien, ce n’est pas pos- une grammaire, une syntaxe, bref à l’écriture
sible, je vais devenir folle ». La semaine d’après chorégraphique de tel ou telle chorégraphe. Et
cela allait mieux, j’y suis retournée, mais c’était l’efficacité esthétique n’est pas du même ordre
compliqué de gérer les deux choses, la danse que celle de ramasser un objet à terre sans se
et l’analyse du mouvement, en même temps. faire mal au dos. Je parle ici de ce qui concerne
la « danse d’école » – la DOTE, la danse oc-
GH: Que pensez-vous qu’un cours d’analyse cidentale de tradition écrite, pour reprendre la
du mouvement puisse apporter à l’interprète ? terminologie des musiciens qui eux parlent de
S’agit-il d’une ouverture perceptive ? MOTE. Si tu auditionnes pour aller danser chez
CR: Dès le début, la problématique de Cunningham, chez Forsythe ou chez Preljocaj,
« qu’est-ce que cette pratique peut apporter tu dois affronter quelque chose de l’imposition
à l’interprète ? » a été présente. On a toujours du geste de l’autre, que tu acceptes ou que tu
tendance à dire que c’est la question péda- n’acceptes pas. Et si tu ne peux pas l’accepter,
gogique qui est au cœur de ce travail et ce le mieux c’est quand même de ne pas postu-
n’est pas faux. Mais la question du travail du ler…
danseur, de la palette des mouvements, de la Je pense que la pratique de l’analyse du
qualité du geste pour l’interprétation de l’écri- mouvement peut nourrir la part d’auteur que
ture chorégraphique était elle aussi présente chaque interprète a en lui, mais l’interprète
dès le départ. On a passé un nombre d’heures peut également la nourrir autrement, c’est
infini à faire des improvisations et à regarder ce que dit Boris Charmatz dans le livre avec
ensemble les improvisations des autres, avec Isabelle Launay10, c’est-à-dire : par des activi-
Odile et puis avec Hubert, pour tenter de nom- tés nourrissant notre plasticité perceptive, par
mer les qualités du geste, d’un port de bras le biais d’expériences sensori-motrices qui ne
par exemple... L’idée, c’est d’ouvrir ta « palette sont pas forcément de la danse… Cela nourrit
de coloris » pourrait-on dire – la couleur étant aussi la qualité de mon geste. Ces pratiques «
ce qui sort du tube, alors que le coloris est ce
que tu inventes toi avec les couleurs – que 10 CHARMATZ, Boris et LAUNAY, Isabelle. Entretenir, à pro-
cette palette s’élargisse, qu’on puisse y faire pos de la danse contemporaine. Paris: CND, presses du réel,
2003.

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hors pistes » viennent évidemment enrichir la du geste », « Approche qualitative du geste »,


pratique technique de la danse, mais il est dif- « Lecture du mouvement ». Quand on choisit
ficile d’avoir suffisamment de recul pour voir où les mots, on choisit certaines idées, et « ana-
elles viennent l’enrichir, comment elles viennent lyse du mouvement » m’a semblée suffisam-
l’enrichir et où peut-être elles viennent empê- ment neutre pour englober tout le monde – or,
cher quelque chose, tout dépend du contexte. ce n’est pas vrai, ce n’est pas neutre comme
L’analyse du mouvement, ça n’est pas positif appellation, mais c’est toujours le problème de
en soi, ce n’est pas une « vérité » du geste, la catégorie. La notation, par exemple, est un
valable pour tous ! En réalité, tout dépend système de transcription et les notateurs ana-
de comment chaque interprète, artiste, ou lysent des mouvements. Nous, de notre côté,
analyste du mouvement arrive à interroger le nous ne transcrivons pas, nous n’élaborons
contexte dans lequel s’inscrit son expérience à pas de partition. Cela nous intéresse évidem-
tel ou tel moment de son histoire. Ni l’analyse ment mais nous ne sommes pas des notateurs
du mouvement ni aucune pratique somatique en danse, c’est un autre métier.
ne peuvent être considérées comme une pana- Une manière possible de sortir du piège de la
cée ! Il se pourrait même que pour certains cela nomination est de partir de la proposition théo-
soit perçu comme quelque chose de tellement rique de Michel Bernard, telle que présentée
perturbant et même que cela puisse avoir mo- un jour à Paris 8 lors d’une rencontre avec les
mentanément des effets négatifs, et pourquoi étudiants. Michel disait, d’une part, « décrire
pas ? Pensez-vous qu’il irait de soi d’imposer c’est percevoir, identifier et désigner ». Il y a
de la lenteur et du proprioceptif au sein de la toute une partie de notre domaine où, effective-
pratique du jazz, par exemple ? ment, quelqu’un danse, on le regarde bouger :
on perçoit du mouvement – je ne m’étendrai
GH: On pourrait dire que sous la catégorie pas ici sur la théorie bernardienne du sentir12,
« analyse du mouvement » il existe différents fondamentale pour nous – ; on identifie – une
types d’analyse… L’approche du département identification fonctionnelle, par exemple, qui
Danse de Paris 8, par exemple, ne travaille pas consiste à observer les coordinations – et on
avec la notation du mouvement. désigne, on essaye de nommer, de transcrire.
CR: Avec le titre de la postface du livre sur les Mais, ajoutait Michel Bernard, « analyser, c’est
Fattoumi-Lamoureux11, « De l’analyse du mou- chercher les conditions de possibilité du phé-
vement », mon intention était de regrouper tout nomène » ; à quelle(s) condition(s) ce phénomène
le monde sous le même chapeau ; j’ai pensé a-t-il lieu, se donne-t-il à percevoir, pour celui qui
que sous cette étiquette on pourrait rassem- bouge comme pour celui qui regarde ? Le travail
bler plusieurs pratiques, plusieurs pensées. d’Hubert Godard13 à Paris 8 c’est exactement
J’ai mis aussi des guillemets parce que selon le
12 BERNARD, Michel. « Sens et fiction, ou les effets étran-
sens qu’on donne à « analyse » ou à « mouve-
gers des trois chiasmes sensoriels ». In : Nouvelles de danse,
ment » cela ne va pas de soi, on pourrait donc n° 17, 1993, p. 56-64.

trouver d’autres appellations comme « Lecture 13 Voir notamment GODARD, Hubert. « Le geste et sa per-
ception ». In : GINOT, Isabelle et MICHEL, Marcelle. La danse
au XXème siècle. Bordas, 1998, p. 224-229. Ce texte, ainsi
11 ROQUET, Christine. « Postface ». In : Fattoumi-Lamou- qu’une grande partie de la bibliographie de Godard, est dis-
reux, danser l’entre l’autre. Paris: Séguier, 2009, p. 166-171. ponible sur le site http://www.danse.univ-paris8.fr/, sous la

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ça, toutes nos recherches sur le pré-mouve- une base technique et envisager un regard plus
ment, l’attitude dans la posture, l’interrogation théorique, dans le sens godardien, où l’on s’in-
constante sur le lien avec l’environnement, la terroge sur d’où et comment on pense, d’où
question du sens du geste dans telle situation, et comment on regarde, d’où et comment on
à tel moment, dans tel environnement… C’est construit des discours sur le geste. Je pense
de l’analyse au sens bernardien du terme. Le que les choses sont complémentaires.
problème est que le terme d’« analyse » au ni-
veau scientifique n’a pas ce sens-là. Analyser GH: Que serait alors la singularité de l’approche
en règle générale, c’est découper une totalité de Paris 8 ?
en sous-parties de plus en plus petites en ima- CR: Le problème pour moi de mesurer les
ginant qu’en utilisant le microscope on aura écarts avec l’AFCMD, c’est que l’AFCMD
une vision de la globalité ! Or, on sait qu’évi- n’est certainement plus celle que j’ai vécue il
demment ça ne fonctionne pas comme ça y a trente ans, je pense que tout le monde a
pour le geste, donc à cet endroit on ne fait pas avancé sur son chemin. Moi, ce qui m’a inté-
« d’analyse du mouvement », on ne fait pas de ressée, ce qui m’a passionnée, ce qui me pas-
la découpe en sous-segments, on ne cherche sionne toujours et qui fait peut-être écart avec
pas à découper un continuum en kinèmes ou les pratiques d’AFCMD plus techniques ou
autre « unités de mouvement », mais à l’en- même les méthodes d’éducation somatique,
droit de Michel Bernard, on fait de l’analyse du c’est l’interrogation incessante sur le sens du
geste. Tout dépend donc de ce qu’on met sous geste. Certes, il est important de savoir lire un
le terme d’« analyse ». port de bras, comment il s’organise, quel est le
Aujourd’hui, ce qui me semble vraiment intéres- moteur du mouvement, qu’est-ce qui se passe
sant, c’est que chacun a développé une sorte dans l’organisation posturale, quel schéma
de spécificité : en analyse fonctionnelle, ils respiratoire, etc., mais s’intéresser au sens que
sont hyper forts sur la biomécanique ; certains peut avoir ce geste en fin de compte pour ce-
sont savants sur le développement de l’enfant ; lui qui regarde comme pour celui que le vit…
la notation, de son côté exerce un regard ana- Le « sens », pas uniquement dans le sens de
lytique proprement dit, selon des modèles par- signification, mais dans celui de la signifiance,
faitement maîtrisés14… Chacun-chacune déve- pour reprendre la proposition de Barthes sur le
loppe des choses qui, en fin de compte, sont « troisième sens »15. Le sens avec son revers
complémentaires. Il faudrait réinventer une indissociable de non-sens, de ce qui échappe,
formation en analyse du mouvement qui rende de ce dont on ne peut pas forcément parler…
compte de toutes ces strates, qui propose à la
fois de la transcription – cela me semble assez GH: Cela implique parfois une posture critique
indispensable pour les danseurs de traverser ?
un système de notation avec ses enjeux –, une CR: C’est le deuxième aspect de la spécificité
formation en analyse fonctionnelle qui serait du travail à Paris 8. Il y a la question du sens qui

rubrique « Chercheurs et publications », « Les fondateurs ».


15 Cf. BARTHES, Roland. « Le troisième sens. Notes de re-
14 A Paris, le CNSMDP offre une formation en cinétographie cherche sur quelques photogrammes de S. M. Eisenstein ». In
Laban et une formation en notation Benesh. : Cahiers du cinéma, n° 222, juillet 1970, p. 12-19.

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fait écart avec pas mal d’autres pratiques, mais pierres de fondement théoriques de ce qu’on
il y a aussi cette question de la perspective cri- fait à Paris 8 sont pour une grande part celles
tique et donc de la perspective autocritique de Michel Bernard17, en particulier sa pensée
également. C’est-à-dire, remettre à chaque de l’altérité, sa pensée de l’imaginaire, sa pen-
fois sur la table ses propres propositions et sée de la corporéité et du sentir. Après, nous
essayer de penser l’impensé, c’est-à-dire ce sommes fortement influencés par des pensées
à partir d’où l’on pense, comme le proposent du processus évidemment, par le travail de
des philosophes comme François Jullien ou François Jullien, par la perspective actuelle de
Michel Bernard. C’est à cette fin qu’on insiste Tim Ingold en anthropologie contemporaine…
beaucoup sur la problématique de l’usage du
concept de « corps » : en utilisant certains GH: Et comment se fait-il que ce soit à Paris 8
concepts, certaines catégories, on ne se rend que cette problématique ait vu le jour ?
pas forcément compte de l’impensé sur lequel CR: Il y a d’abord le contexte de l’université
ce choix repose (ici, la dualité irréductible entre Paris 8, université critique par excellence, si je
le « corps » et « l’âme » ou « l’esprit »). Dans la puis dire... Beaucoup de choses, encore au-
proposition théorique de Godard, il y a toujours jourd’hui, sont possibles dans cette université
cette possibilité de naviguer dans un système précisément et ne le sont pas ailleurs grâce au
complexe ; des éléments sont en interaction, contexte de l’histoire de Vincennes, de la liberté
parfois on fait des coupes – on s’arrête sur une pédagogique, de la liberté de pouvoir travailler
partie et on prend un outil, on regarde ce qui les thématiques de recherche en creusant les
se passe –, mais tout de suite on essaie de enseignements, du fait de pouvoir ouvrir des
penser la coupe qu’on a opérée dans l’interac- cursus à des professionnels par équivalence,
tion au sein d’un système vivant et dynamique etc. Hubert a saisi cette occasion qui lui a été
(le mouvement en train de se faire, l’affect qui offerte, mais c’était aussi un geste politique.
est traversé par celui qui regarde ou celui qui Avec son travail, il s’agissait de pouvoir dire « re-
bouge, la sensorialité, etc.). gardez, les danseurs peuvent construire du dis-
cours sur ce qu’ils font, sur ce qu’ils regardent
GH: S’agit-il en quelque sorte d’une perspec- ; les danseurs sont dépositaires de savoirs tout
tive philosophique ? à fait intéressants et sont capables eux-mêmes
CR: Oui peut-être, la difficulté est que dans de mettre des mots sur leurs savoirs », pour
la pratique c’est effectivement une phénomé- sortir un peu du silence… C’était une des pro-
nologie, mais dans la théorie, c’est davantage blématiques à l’origine de la construction de ce
une pensée du complexe16. Comment s’orga- département. Le désir de Michel Bernard était
nisent les choses ? Comment en envisageant de conférer à la danse le statut et la dimension
des processus, des dynamiques entre le so- de recherche qu’elle mérite et qui lui manquent,
cial, le culturel, l’interaction avec celui qui re- si je résume. En musique, cela existait, en pein-
garde, peut-on émettre des hypothèses ? Les ture aussi, et en danse cela n’existait pas. Tu
avais l’impression à l’époque que les danseurs
16 Cf. MORIN, Edgard. Introduction à la pensée complexe.
Paris : E.S.F., 1990 et GUESPIN-MICHEL, Janine. Emanci-
pation et pensée du complexe. Bellecombes-en-Bauges : Edi- 17 Notamment dans : BERNARD, Michel. De la création
tions du Croquant, 2015. chorégraphique. Pantin : CND, 2001.

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et les danseuses devaient danser, lever la comprenant la posture debout, les coordina-
jambe et puis c’est tout. tions, la perception, l’expressivité et comment
GH: Et est-ce que l’approche développée au- tous ces éléments entrent en interaction dans
jourd’hui à Paris 8 porte un nom ? telle situation. De temps en temps, on zoome
CR: Le nom, cela pose toujours problème… sur un détail, on observe quelque chose pour
Et ce d’autant plus qu’Hubert refuse de nom- valider une hypothèse ou pas, ou pour poser
mer ce qu’il fait, car il sait que nommer fixe les une autre question, et généralement on pose
choses, scripta manent. C’est une question plus de questions qu’on ne propose de solu-
importante dans le contexte universitaire : si je tions ! La pensée du complexe a apporté à Go-
nomme, si je catégorise, je clos ; « il y a du défi- dard – danseur de formation scientifique, il faut
nitif dans la définition » dit Georges Didi-Huber- le rappeler – des outils tels que l’importance
man. Comment garder ouvert quelque chose des conditions initiales, la notion d’émergence,
quand on l’a nommé ? Je pense que ce n’est celle de la causalité circulaire… Elle nous livre
pas une question qu’il faut penser en amont, des concepts qui peuvent vraiment nous aider
c’est une question à laquelle il faut aboutir. à penser le geste dans son environnement.
En fait, on est évidemment centré sur le geste Il ne faudrait plus même dire « geste », mais
dansé et il s’agit d’expérimenter, d’observer et « geste-dans-son-environnement ». Il n’y a
de théoriser à chaque fois à partir d’un point pas une cause unique qui conduirait à tel effet,
de vue et de changer de point de vue ; on uti- mais différentes causes à tel ou tel phénomène
lise plusieurs outils – de la biomécanique, de et le plus souvent des liens peuvent être mis
la philosophie, des outils de la psychologie du à jour sans qu’il soit possible de prouver une
développement de l’enfant, et puis de la psy- quelconque causalité. Ce qui définirait cette
chanalyse, des neurosciences, etc. Cette ap- approche aujourd’hui, c’est la complexité. Si
proche, pour ne pas dire « analyse » (terme qui cela doit porter un nom, une étiquette, à mon
porterait à confusion) centrée sur le geste, uti- avis ce qui lui rendrait justice c’est l’appellation
lise plusieurs outils selon les questions qu’elle d’« approche complexe du geste expressif »,
se pose, mais elle est aussi transdisciplinaire « expressif » parce que ce n’est pas n’importe
dans le sens où elle traverse d’autres ensei- quel mouvement et que l’on s’interroge princi-
gnements du département Danse de Paris 8. palement sur la danse.
Elle traverse, par exemple, l’histoire de la danse
avec Isabelle Launay, le champ de l’anthro- GH: Et quels sont les axes de travail ? Com-
pologie avec Mahalia Lassibille. On essaie à ment organisez-vous vos cours ?
chaque fois de prendre en compte le contexte, CR: On est sur plusieurs champs. Il y a évidem-
en envisageant le geste comme un système, ment le champ que nous avons déjà évoqué,
un ensemble de plusieurs éléments en interac- le champ de l’analyse de l’interprétation pour
tion. C’est un peu comme quand Hubert parle les œuvres chorégraphiques. Dans les cours,
de la fonction tonique18 : il parle d’un système quand on travaille sur le regard du spectateur,
on travaille la perception justement pour faire
18 Voir KUYPERS, Patricia. « Des trous noirs. Un entretien
saisir aux étudiants comment en percevant
avec Hubert Godard ». In : Scientifiquement danse, Nouvelles autrement on module son regard sur le mou-
de danse, n° 53. Bruxelles : Contredanse, 2006, p. 56-75.

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vement. Par exemple, je montre By myself19 discours qui est celle de quelqu’un qui était
avec Fred Astaire et je propose ensuite une pe- très sensibilisé à la danse. Laurence Louppe
tite improvisation avec des huiles essentielles a travaillé longtemps avec Hubert Godard et a
pour tester une marche plus suspendue, plus enseigné dans notre département. Je ne pense
aérienne, puis nous regardons à nouveau Fred pas la trahir en disant que, dans ses ouvrages,
Astaire pour saisir comment la modulation per- ce qu’elle voulait poser ce n’était pas tant la
ceptive a changé le regard porté sur le geste question « quel corps », puisqu’en posant ce
filmé. concept, on n’avance pas et qu’il ne s’agit
Un autre champ est celui de l’analyse des pra- pas de corps « gros », « maigre », « blanc »,
tiques. J’ai travaillé en faisant intervenir des « noir » etc. mais c’est la question « quel geste
pédagogues en danse dans mes cours. Par fabrique quel corps ? » qui l’intéresse. Quand
exemple, on a fait un séminaire de trois années Laurence passe des pages à parler du phrasé,
appelé « le placement du bassin ; du place- à parler du poids, des accents etc., elle parle
ment au mouvement », où l’on examinait quels du geste. Et c’est incroyable, car je relis sou-
étaient les enjeux du travail du placement du vent Mauss, Hall et d’autres anthropologues
bassin dans le ballet classique, en Cunnin- qui sont censés parler du corps, et en fin de
gham, en Graham, dans la danse orientale. Il compte ils ne parlent pas du corps biologique,
s’agissait d’examiner les enjeux d’un geste à anatomique, en fait, ils parlent du geste. Mauss
travers plusieurs pratiques, au sein d’un même parle du geste dans son « introduction aux
séminaire. techniques du corps »21 : prenons l’exemple de
la nage, ai-je appris à nager avec les yeux ou-
GH: Vous avez mentionné donc trois axes de verts sous l’eau ou bien est-ce que j’ai appris
travail, ce qu’on pourrait appeler « atelier du à nager avec les yeux fermés ? Là, on est bien
sentir », où sont travaillés les perceptions du en train de parler de perception, qui change la
danseur-analyste ; un deuxième axe serait coordination complète de la nage. Mauss ne
l’analyse esthétique à partir du point de vue de le nomme pas comme ça, avec ces mots là,
l’interprétation de l’interprète et, en dernier lieu, mais il parle bien du geste. La question pour
l’analyse des pratiques. Laurence serait donc « quel geste ? » et non
CR: Oui, et il y a aussi l’analyse des discours. pas « quel corps ? ».

GH: Sur l’analyse des pratiques, s’agit-il de tra- GH: Et il me semble qu’il n’y a pas d’outils don-
vailler avec la question « quel corps ? », comme nés a priori, non ?
la posait Laurence Louppe20 ? CR: Les outils, on va les chercher, on les in-
CR: La rhétorique que Laurence utilise est par- vente, on les construit quand on est dans la
fois un peu magique, il y a une poétique du question qui est posée par notre regard. De
toute façon, nous n’avons pas de boîte à ou-
tils en amont, parce que même si on utilise les
19 « Solo » d’ouverture du film Tous en scène de Vicente Mi-
nelli (The band wagon, 1953), lors duquel Astaire arpente un outils de l’Effort de Laban, par exemple – la ri-
quai de gare en chantant.

20 Notamment dans : LOUPPE, Laurence. Poétique de la 21 MAUSS, Marcel. « Les techniques du corps ». In : Sociolo-
danse contemporaine. Bruxelles: Contredanse, 1997. gie et anthropologie [1936]. Paris: PUF, 2001.

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chesse des recherches sur Laban vient du fait Rio et a été engagé au Royal Ballet de Londres
que son système est aussi complètement ou- [Thiago Soares]. À peine étaient-ils entrés sur
vert : Espace, Temps, Poids, Flux, tu as tout dit scène, avant même de faire le moindre pas… tu
et tu n’as rien dit (rires). savais déjà qui était qui ! C’était une évidence
! Dans la manière de se porter soi-même, dans
GH: Je reprends une phrase présente dans la la manière de poser le regard, dans la manière
« Postface » : « Expérimenter et pouvoir nom- de respirer. Avant qu’ils bougent, d’emblée on
mer ce qui dans le silence du geste, devient savait qui était qui. Et ce n’était pas une ques-
en quelque sorte éloquent »22. Pourriez-vous la tion de « quel corps », c’est la question « quels
commenter ? gestes » et tout cet indicible qui est porté par
CR: Ce qui attire mon attention sans que je la posture, par le jeu de la tonicité, par l’orga-
n’en sois forcément consciente… C’est ça la nisation sensorielle, où ils posent leur regard,
difficulté dont je parle quand je parle du silence comment ils se préparent à se déplacer vers le
éloquent du geste : il y a quelque chose qui public… Avant même de danser. C’est cela qui
« me parle » quand je suis en interaction, quand est éloquent. Et les danseurs sont des spécia-
je suis en train de regarder le geste de l’autre… listes pour percevoir cela. Après, évidemment,
Il y a des choses visibles et évidentes et puis quand il y en a un qui fait un mouvement de
il y en a d’autres qui le sont moins, des phé- hip-hop et l’autre fait trois tours en l’air, tu vois
nomènes sur lesquels on essaie de mettre des bien qu’il y en a un qui fait de la danse clas-
mots avec les théories sur les neurones miroir, sique et l’autre du hip-hop.
l’empathie, l’accordage affectif (Daniel Stern), Ce qui était très beau dans ce duo, c’est
etc. Cela nécessite un certain nombre d’outils qu’après une première partie de « corporéité
techniques pour voir ce qui se joue avant qu’un classique » – je montre mon corps, mon geste
danseur se mette à bouger. Par exemple, lors académique parfait – avec la fatigue, Thiago
de mon dernier séjour à Rio, nous sommes s’assoit et là il y a un truc qui lâche et, derrière
allés voir un spectacle appelé Roots23, un su- le corps classique revient le petit garçon qui a
perbe duo, un trio pourrait-on dire car il y avait fait de la danse de rue et, tout d’un coup, il y
un musicien [Pedro Bernardes] sur scène. a quelque chose d’hyper intéressant. Évidem-
Roots est dansé par deux danseurs brésiliens ment, je n’ai vu qu’une seule fois ce spectacle,
de la même génération. Tous les deux ont bai- donc je ne peux pas en dire beaucoup plus,
gné dans la danse de rue quand ils étaient pe- mais pour une anthropologue comme Mahalia
tits, mais l’un est resté danseur de rue, mon- [Lassibille], cela aurait été génial de pouvoir lire
dialement connu aujourd’hui [Danilo d’Alma], ça parce qu’il y a quelque chose de la danse
et l’autre a fait une école de danse classique à de rue qui est le fond tonique du danseur, qui
était présent derrière le geste classique. Dans
22 ROQUET, Christine. Fattoumi-Lamoureux, danser l’entre la seconde partie, il continue à faire du geste
l’autre, op. cit., p. 168.
classique, mais ce geste a une autre couleur,
23 Roots, créé et interprété pour la première fois en juillet
2016, à Rio de Janeiro, Brésil. Le spectacle, qui compte avec une autre dimension, parce que le fond tonique
deux danseurs, Thiago Soares et Danilo d’Alma, et un musi-
du petit garçon est revenu. Je ne sais pas si
cien, Pedro Bernardes, a été dirigé par Renato Cruz et Ugo
Alexandre. La représentation dont Christine parle a eu lieu en c’est un choix du chorégraphe, si même il y a
janvier 2017 au Teatro João Caetano, à Rio.

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chorégraphiquement deux parties, je ne sais rate quelque chose.


pas si c’est la fatigue qui a mené l’interprète
jusqu’au bout, mais c’était quelque chose de GH: Dans vos cours, vous répétez souvent
formidable à voir. Ça c’est le travail de l’inter- l’idée que pour « analyser », il faut que nous
prète : que cela se puisse être conscientisé, ayons un problème à résoudre.
que cela puisse être travaillé… Seul un dan- CR: Le regard, en fait, pose toujours une ques-
seur peut faire ce travail. Il me semble impor- tion, c’est la difficulté première à saisir. Il n’y a
tant d’apporter des outils pour pouvoir dire pas un regard tautologique qui se pose de la
ça, parce que sinon ces savoirs des danseurs même façon pour chacun sur un simple objet,
demeurent inconnus du monde académique et le regard pose une question. Après, on peut
du reste du monde en fait. ne pas se poser la question de la question, on
Ce fond de la danse de rue qui réapparaissait peut se dire : « voilà, je vais voir ce spectacle ou
sans être réapparu dans la forme, dans l’écri- alors je regarde tel danseur et je me contente
ture, mais dans la coloration, dans les dyna- de ça » et on en a parfaitement le droit. En tant
miques, dans les échanges avec l’autre… Il ne qu’amateur de danse, on a le droit de ne faire
s’agirait pas de penser que c’est une vérité qui que de regarder la danse ou de ne faire que
est détenue et qui peut être « hors-sol », que je pratiquer la danse. Mais, si on est chercheur,
vais faire un article là-dessus et que j’aurais alors chercheuse, et qu’on tente de produire des
tout dit de ce qui s’est passé… Non. C’était discours sur ce que l’on perçoit, de poser des
très intéressant de discuter avec le choré- hypothèses sur le travail du danseur, sur son
graphe après le spectacle, il s’avère qu’il n’a rôle dans la société, alors on doit essayer de
pas pu travailler avec le danseur de ballet tout faire émerger la question qui est portée par le
le temps, donc il a travaillé le rôle sur un autre regard, sinon on fait de la description – comme
danseur qui venait de la danse de rue. Com- on a vu avec Michel Bernard tout à l’heure : je
ment les choses se sont-elles transmises ? perçois un morceau de musique, par exemple,
Après, il faudrait évidemment mener des entre- je l’identifie comme étant la neuvième de Bee-
tiens avec les gens, croiser les regards, analy- thoven, je peux le nommer et je peux le décrire,
ser les pratiques de répétition et de construc- du moins décrire ce qui est inscrit sur la parti-
tion, parler aussi avec le musicien qui créait tion. Mais qu’est que ça nous dit de la musique
la musique dans le même temps. Cette « ap- ? Quelles questions sous-tendent mon regard
proche complexe du geste expressif » est juste ou mon écoute ? C’est cela que veut dire Hu-
une perspective : on regarde quelque chose et bert quand il propose de se demander : « qu’est
cela nous pose question. Cela ne veut pas dire qui m’émeut dans le geste de l’autre ? ».
qu’on ait raison et qu’on exclue tout le monde,
au contraire. Par contre, je pense que si on est GH: Où votre travail se développe-t-il au-
toujours ailleurs – c’est-à-dire, si on ne fait que jourd’hui ?
des entretiens avec les danseurs, si on ne s’in- CR: S’il s’agit de reprendre exactement ce
téresse qu’à leur parcours social, qu’aux repré- qu’a fait Hubert à Paris 8, à part moi, je te dirais
sentations culturelles, qu’à l’écriture chorégra- « nulle part », mais ce n’est pas vrai. D’abord
phique ou qu’au rapport avec la musique –, on parce que des collègues en AFCMD ont traver-

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sé le département24 et ensuite parce qu’Hubert hasard : je suis allée au colloque d’Abrace25 à


a formé des tas de gens en Rolfing, en AFC- Porto Alegre en 2011, en remplacement d’une
MD, des cuisiniers gastronomes qui ont leurs collègue indisponible. J’ai rencontré Suzi We-
recettes et vont faire leurs propres plats avec ber et Mônica Dantas, puis d’autres. Joana Ri-
ce qu’ils ont traversé avec lui et avec d’autres, beiro m’a fait venir à Unirio, elle a édité un livre
et qui, à leur façon, continuent donc ce travail. où j’ai publié un texte26, j’y suis retournée pour
En ce qui me concerne, la continuation se fait les colloques, des ateliers, des master class, à
avec des chercheurs au Brésil principalement, Fortaleza, à Rio, à Salvador… Et de nombreux
mais pas ici en France. Parfois, il m’est arrivé collègues brésiliens et brésiliennes viennent à
de revoir plus tard des danseurs, des choré- Paris 8. Jusqu’ici, on a plus expérimenté que
graphes et/ou des étudiants qui ont traversé défini en amont et, peut-être, produit, mais
nos cours et qui ont pris un truc, une expé- nous atteignons un stade où nous devons nous
rience, et qui ont développé tout autre chose montrer plus productifs et plus constructifs, je
avec cela, que ce soit une écriture chorégra- veux dire : « académiquement » parlant…
phique, un outil théorique… Tu sèmes des
choses sans trop savoir, mais en tout cas, au GH: Vous avez aussi un projet d’édition. Est-ce
niveau de la recherche, de l’institution universi- que vous pouvez nous décrire ce sur quoi vous
taire et des échanges, cela se fait uniquement êtes en train de travailler ?
avec le Brésil. CR: Cet ouvrage est destiné à un public spé-
cifique, le monde de la danse : danseurs, cho-
GH: Et comment cela se passe-t-il ? régraphes, notateurs, répétiteurs, etc., et ceux
CR: D’une façon complètement informelle et qui s’y intéressent – les amateurs au sens
très improvisée (rires). Nous nous sommes ren- propre du terme, ceux qui aiment la danse, et
contrés – et les chercheurs et les chercheuses pas un ouvrage universitaire. L’idée, c’est de
brésiliennes se sont rencontrés eux-mêmes – laisser une trace de ce qui s’est fait et pensé
à Porto Alegre, à Rio de Janeiro, à Salvador, en analyse du mouvement au département
à Fortaleza. Dans une approche complexe Danse et de pouvoir offrir aussi quelques outils
(rires), on se croise, on traverse des choses sur la lecture du geste, donc, l’idée de cet ou-
et puis on tente de construire à partir de ça. vrage c’est de rendre compte des savoirs des
Maintenant, nous sommes à un stade où l’on danseurs, des savoirs qui sont portés par les
va davantage « institutionnaliser » le groupe pratiques et par une langue spécifique. Il y a
de recherche. Nous sommes partis à l’inverse
de ce qui se passe habituellement ; générale- 25 Rencontre biennale des chercheurs de l’Associação bra-
ment, tu construis un réseau international, tu sileira de pesquisa e pós-graduação em Artes Cênicas [As-
sociation brésilienne de chercheurs en arts de la scène]. Cf.
déposes donc un projet, tu essaies de trouver ROQUET, Christine. « Ao encontro da criação: a análise do
movimento e o processo de criação coreográfica ». In : Da
de l’argent et tu essaies de nourrir ces engage- Cena Contemporânea. Porto Alegre: ABRACE, p. 39-45,
ments. Nous, nous nous sommes trouvés par 2012. Disponible em ligne sur : http://portalabrace.org/impres-
sos/4_da_cena_contemporanea.pdf.

26 ROQUET, Christine. « Análise do movimento e análise de


obras coreográficas ». In : KEISERMAN, Nara et TAVARES,
24 Comme par exemple Dominique Praud, Emmanuelle Lyon, Joana (dir.). O corpo cênico : entre a dança e o teatro. São
Romain Panassié. Paulo : Annablume, 2013, p. 249-255.

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plein de locutions de la danse – s’appuyer sur té, à l’hôpital, en prison, dans les institutions
l’espace, prendre l’énergie, danser à l’écoute, spécialisées, etc. L’analyse du mouvement, la
etc. – qui ne posent pas problème au sein de lecture du geste, est aussi impliquée là-dedans
la danse mais qui, de l’extérieur, peuvent pa- puisque les mêmes danseurs mêlent ce savoir
raître complètement étranges. Cette langue avec les savoirs issus de la danse, des « soma-
de la danse s’appuie sur des savoirs propres tiques » etc.
aux danseurs et j’aimerais les éclaircir et les C’est vrai que la décision de construire ce dé-
rendre perceptibles à tous ceux qui s’y inté- partement en 1989, de la part de Michel, a été
ressent. Je voudrais montrer aussi comment – un acte politique fort : donner à la danse cette
à travers un corpus d’images, qui sera dans un place dans l’institution universitaire et ensuite
DVD accompagnant le livre – on peut appliquer donner à un praticien qui n’a pas de thèse
les savoirs de l’analyse du mouvement issu du [Hubert] la possibilité d’être responsable d’un
champ de la danse à des œuvres chorégra- département à égalité avec un professeur de
phiques, des peintures, des sculptures etc. Ce philosophie ! Le département garde quelque
livre va s’appeler Vu du geste : interpréter le chose de ça dans son mode de fonctionnement
mouvement dansé ; « vu du geste » est en fran- égalitaire. Comme le dit Isabelle Ginot, il y a
çais un jeu de mots (à l’oral), c’est « vu » depuis quelque chose du « village gaulois » dans notre
et sur le geste. J’essaie toujours de me situer à département, qui n’est pas uniquement cet
la fois du côté de celui qui regarde et à la fois oxygène du geste dansé qui nous relie tous et
du côté de celui qui bouge. toutes de manière souterraine, mais qui réside
aussi dans des choix politiques de fonctionne-
GH: Quelle est l’importance de mener cette re- ment. Et je pense que l’un n’est pas dissociable
cherche aujourd’hui ? de l’autre, il y a un lien entre le contenu et le
CR: Dans ce projet éditorial, le discours tenu fonctionnement : échanger, faire des sémi-
est beaucoup organisé en fonction de locu- naires communs, du co-enseignement, penser
tions de la langue de danse, justement pour nos enseignements ensemble… Ces modes
faire émerger comment les savoirs des dan- de fonctionnement institutionnels ne sont pas
seurs ont toute pertinence à être exposés. À détachables du fait qu’on partage une même
mon avis, cela me paraît éminemment poli- vision des études en danse, une sorte d’ac-
tique dans le sens où la danse est loin d’avoir cordage souterrain, une attitude de recherche.
atteint la dimension de recherche, la prise au Je dirais, donc, que l’« approche complexe
sérieux et la validité académique qu’elle serait du geste expressif » n’est pas une discipline,
en droit de recevoir. Cela a beaucoup changé c’est une mouvance, c’est profondément une
en trente ans, mais les études en danse restent attitude de recherche qui peut être partagée
quand même toujours le parent pauvre des par tous les collègues, qui n’auraient pas for-
arts, – à l’université, c’est certain. En outre, les cément des outils précis de biomécanique, par
danseurs font beaucoup de choses qui ont une exemple. Il s’agit d’une approche transdiscipli-
portée politique dans ce que j’ai appelé ci-des- naire, en ce sens que cela traverse les champs
sus leurs pratiques « hors piste », dans ce qu’ils de recherche des uns et des autres. Et c’est
tentent avec des publics en marge de la socié- bien ainsi.

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Recebido em 26/04/2017
Aprovado em 11/06/2017

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