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Collection Histoire de l’art

Julien Lugand (éditeur)

1
Les échanges artistiques entre la France et l’Espagne
(XVe-fin XIXe siècles)

2012
Presses universitaires de Perpignan
Ouvrage publié avec l’aide
de l’université de perpignan Via Domitia ;
du CRHiSM (Centre de Recherche Historiques sur les
Sociétés Méditerranéennes [EA 2984]) ;
de l’Universitat de Girona ;
de l’Institut de Recerca Històrica de la Facultat de Lletres.

Collection Histoire de l’art


Direction : Francesc Miralpeix, Julien Lugand.
Comité scientifique : Christine Aribaud, Joan Bosch Ballbona,
Bonaventura Bassegoda Hugas, Michel Cadé, Mariàno
Carbonell Buades, Esteban Castaner-Muñoz, Quitterie Cazes,
Martin Galinier, Joaquim Garriga Riera, Yolanda Gil Saura,
Jean-Marie Guillouët, Michel Horchmann, Natacha Laurent.
Adresse : Université de Perpignan Via Domitia

La loi du 1er juillet 1992 (code de la propriété intellectuelle, première partie) n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de
l’article L. 122‑5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non desti‑
nées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration,
« toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou
ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article L. 122‑4).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon passible des
peines prévues au titre III de la loi précitée.

© PUP 2012
ISBN 978-2-35412-151-8
Sommaire Architecture
9 Adriana Sénard
L’architecture jésuite française et espagnole
à l’époque moderne : bilan historiographique
21 Basile Baudez
La commission d’architecture de l’académie des beaux-
arts de Saint-Ferdinand de 1786 à 1808 :
bilan des recherches
35 Colin Debuiche
Un édifice toulousain de la Renaissance entre France
et Espagne : l’hôtel de Bernuy
55 Javier Ibáñez Fernández
Renaissance à la française dans le Quinientos aragonais
83 Maria Garganté Llanes
De las personas a las ideas : Francia en la arquitectura
catalana de la época moderna
103 Mercedes Gómez-Ferrer
La estereotomia. Relaciones entre Valencia y Francia
durante los siglos XV y XVI

Sculpture
121 Jean-Marie Guillouët
Circulations, échanges et transferts artistiques entre
la France et la péninsule ibérique au XVe siècle :
Les enjeux d’une nouvelle attribution
143 Teresa Laguna Paúl
Cultura visual y promoción artistica del escultor Miguel
Perrin en la catedral de Sevilla (1517-1552)
165 Sarah Munoz
Les têtes en médaillon dans le décor sculpté
de la Renaissance : typologie et diffusion d’un ornement
à travers la France méridionale et l’Espagne
183 Cyril Peltier
De Jean de Joigny (1507-1533) à juan de Juni (1533-1577)
201 Germán Ramallo Asensio
Actualización de cultos y devociones del Barroco en la
catedral de Murcia a cargo de escultores franceses
223 Véronique Gérard Powell
La sculpture polychrome espagnole dans la france du
XIXe et début du XXe siècle : amateurs et érudits

Peinture
237 Irune Fiz Fuertes
Les échanges entre la France et la Castille dans la
peinture des XVe et XVIe siècles
247 Francesc Miralpeix Vilamala
Pintores franceses en Cataluña y catalanes en Francia
en los siglos XVII y XVIII
263 Julien Lugand
Joseph Flaugier (1757-1813) peintre néoclassique et
fondateur du Musée de Barcelone :
mythe ou réalité de l’influence française ?
275 Frédéric Jiméno
Charles le Brun et l’Espagne : réception artistique
et politique d’un modèle français (1746-1808)
293 Catherine Compain-Gajac
L’œil des peintres espagnols sur le paysage catalan
français à la fin du XIXe siècle et au début du XXe,
regards choisis
L
a collection Histoire de l’art des Presses Universitaires
de Perpignan a été créée à l’initiative des Universités de Gé‑
rone et de Perpignan Via Domitia. Elle a pour objectifs,
dans le cadre du Centre de Recherche Historiques sur les
Sociétés Méditerranéennes (CRHiSM [EA 2984] Universi‑
té Perpignan-Via Domitia) et du Groupe de Recherches en
Histoire de l’art moderne de l’Institut de Recherches His‑
toriques de la faculté de lettres (Université de Gérone) de
valoriser l’historiographie française de l’art espagnol, l’his‑
toriographie espagnole de l’art français et, au-delà, publier
les travaux en histoire de l’art de chercheurs – universitaires
comme responsables d’institutions culturelles – dont les
investigations portent, de l’Antiquité à nos jours, sur toute
forme d’expression artistique produite dans l’espace pyré‑
néen et l’arc méditerranéen occidental.

La col·lecció Història de l’art de Premses Università‑


ries de Perpinyà ha estat creada a partir d’una iniciativa de
les universitats de Girona i Perpinyà Via Domitia. Té per
objectius, en el marc del Centre de Recerques Històriques
sobre les Societats Mediterrànies (CRHiSM [EA 2984]
Universitat de Perpinyà-Via Domitia) i del Grup de Re‑
cerca en Història de l’Art Modern de l’Institut de Recerca
Històrica de la Facultat de Lletres (Universitat de Girona),
posar en valor la historiografia francesa sobre l’art hispà‑
nic i viceversa, a més de publicar els treballs en història de
l’art d’investigadors – tant universitaris com responsables
d’institucions culturals – les recerques dels quals abracin, de
l’Antiguitat als nostres dies, tota forma d’expressió artística
produïda en l’espai pirinenc i l’arc mediterrani occidental.

Julien Lugand
Francesc Miralpeix Villamala
Architecture
Alors que de nombreux sculpteurs fran‑
çais – Gabriel Joly, Juan de Juni, Étienne
Jamet – avaient émigré avec succès en Es‑
pagne au XVIe siècle, la sculpture espagnole
demeura totalement inconnue en France
jusqu’au cœur du XIXe siècle, bien après
que l’engouement pour la peinture de la
péninsule ait engendré l’arrivée d’un flot
continu de tableaux dans notre pays. Tota‑
lement ignorée de Jean-François Bourgoing
dans son Nouveau Voyage en Espagne [...]
(1re  édition, Paris, 1789), elle est à peine
mentionnée par Alexandre de Laborde dans
La sculpture polychrome le Coup d’œil sur l’état des arts en Espagne
espagnole dans la france qui clôt le quatrième et dernier volume
du XIXe et début du XXe siècle : de son Voyage pittoresque et historique de
l’Espagne : une rapide allusion au passage
amateurs et érudits du gothique au classique dans la sculp‑
ture du XVIe siècle est accompagnée de la
mention des noms d’Alonso Berruguete,
Véronique Gérard Powell
Maître de conférences,
de Gaspar Becerra et de Grégoire Hernán‑
Université Paris IV-Sorbonne dez1. Pas la moindre allusion chez Custine
en  1838 ou Alexandre Dumas en  1847,
tous deux il est vrai plus férus de cou‑
leur locale que d’inquiétudes artistiques.
Le silence est plus étrange chez Pros‑
per Mérimée : aucune mention dans les
Lettres d’Espagne (1833) ; dans son compte-
rendu des Annals of the Artists of Spain
de l’écossais William Stirling –  ouvrage
qui contient quelques remarquables des‑
criptions, sensibles et sans emphase, de
sculptures de Juan de Juni ou de Grego‑
rio Fernández2 – Mérimée ne fait qu’une
courte allusion au fait que « la sculpture,
toujours un peu négligée en ce pays, n’a
obtenu l’attention de M. Stirling que chez
les maîtres des XVIe et XVIIe siècles »3.

1. Laborde, 1820, p. 33-34.


2. Stirling-Maxwell, 1848, 3 vol. Voir par exemple, Juan de Juni,
vol. I, p. 296-299 et Gregorio Hernández, vol. II, p. 444-446.
3. Mérimée, 1833 ; P. M. « [Sur la peinture espagnole] », Re-
vue des deux Mondes, 15 novembre 1848, p. 639‑645.
Théophile Gautier cependant, dans son dont elles ne devaient être que de pales
Voyage en Espagne  (1845), fait référence reflets7. Figuraient aussi dans les salles de
aux « statues coloriées, madones fardées et la Renaissance des moulages des tombeaux
revêtues d’habits véritables » pour étayer sa des Rois Catholiques et de ceux de Philippe
théorie du « besoin du vrai » comme carac‑ le Beau et de Jeanne la Folle (Chapelle
téristique de l’art espagnol4. Royale, Grenade)8.
Pourtant, la mission Taylor (no‑
vembre  1835-avril 1837), principalement
tournée vers la constitution d’une Galerie Davillier, historien de la
de peintures espagnoles pour le roi Louis- sculpture espagnole
Philippe, avait rapporté de Tolède, de Gre‑
nade et de Séville plusieurs moulages de Il faut en fait attendre la fin des an‑
sculptures, exécutés par un certain Vallet, nées  1860 pour qu’un intérêt véritable se
mouleur de son état, membre de l’expédi‑ manifeste, tant chez les historiens de l’art
tion. Elles furent exposées de 1838 à 1848 que chez les amateurs. Le Baron Jean-
dans les salles de sculpture du Louvre, au Charles Davillier (Rouen 1823-Paris 1883)
rez-de-chaussée du musée5. Il y avait là, appartenait à ces deux catégories. Grand
semble-t-il, quatre moulages de statues en collectionneur, il fut aussi l’un des premiers
ronde-bosse, celles de saint Jérôme de Tor‑ érudits français à s’intéresser à l’Espagne,
rigiani et de saint Dominique de Martínez le premier en tout cas à se passionner pour
Montañés (venant de Séville), du saint ses arts décoratifs dans lesquels il incluait la
François de Pedro de Mena (cathédrale sculpture sur bois. Il était probablement à
de Tolède ?) ainsi que d’un Christ en croix cette époque, plus encore que Mérimée, le
attribué au même sculpteur6. Mais Vallet meilleur connaisseur français de l’Espagne
n’était pas sculpteur, seulement mouleur qu’il avait déjà visitée dix fois avant sa tren‑
et ses œuvres n’avaient certainement ni la tième année et dont il parlait parfaitement
polychromie ni l’ajout des détails réels qui la langue : pour la toute jeune revue Le Tour
font la spécificité de cette sculpture sur bois du Monde, Le nouveau Journal des voyages,
fondé par Édouard Charton et Hachette
4. Gautier, 1843, p. 50.
5. Guinard, 1966, p. 291, qui mentionne également la col- en 1860, il réalisa en 1862 en compagnie de
lection de céramiques et de verreries déposées à la Manu- son ami Gustave Doré son dixième voyage,
facture de Sèvres. Il ne cite hélas pas ses sources qui sont qui couvrit toutes les provinces espagnoles
probablement l’article de Delécluze, « Galerie espagnole du
Louvre », Journal des débats politiques et littéraires, 24 fé- et qui, après avoir été publié en feuilletons
vrier 1838, p. 1-3 et l’article anonyme « Ouverture publique (1862-1973), allait donner Le Voyage en
Collection Histoire de l’art 1

des nouveaux Musées du Louvre », Le Temps, journal des


progrès politiques..., 7 janvier 1838 qu’il utilise par ailleurs.
Espagne (1874) : il était chargé du « récit »
6. Delécluze parle d’un saint Jérôme de Martínez Montañés et Doré de l’illustration9. Sous l’apparent
mais Guinard doit avoir eu une source plus sûre pour parler
du moulage du saint Dominique pénitent, d’iconographie 7. Il n’est pas sûr qu’elles aient eu l’impact que leur prête
assez proche, ce qui est d’autant plus probable que, à la Luxenberg, 2008, p. 18.
différence du monastère hiéronymite de San Isidoro où se 8. Réalisés par Vallet à Grenade pendant l’hiver 1836/7, ils
trouve encore le saint Jérome, le couvent de Porta Coeli furent envoyés en France en février 1837 en seize caisses
avait été abandonné au moment de la desamortización et placées dans trois galères : Guinard, 1866, p. 243. Aucune
que son saint Dominique venait de rentrer dans le nouveau trace de ces moulages n’a pu être localisée pour le moment.
Museo de Bellas Artes de Séville. Vallet ayant séjourné à 9. Le Voyage d’Espagne a fait l’objet de plusieurs analyses
Tolède (Guinard, 1866, p. 183, note 1), le saint François de liées surtout à la littérature des voyages (voir notamment
Mena pourrait être celui de la cathédrale tolédane dont Palacios Bernal, 2007-2008, p.  815-826, mais aucune ne
nous parlerons plus loin. s’est encore intéressée à l’histoire détaillée de la com-

224
et obligatoire goût du pittoresque et de la famille péruvienne, fils du diplomate Juan
couleur locale, s’impose une solide culture Ignacio de Osma et d’une mère cubaine,
autant littéraire qu’historique et artistique. il était venu en 1873 faire une licence à la
C’est sous sa plume, admirablement com‑ Sorbonne avant de partir pour Oxford et
plétée par deux gravures de Doré – l’une de commencer ensuite une brillante car‑
représentant la procession du Jesus Naza- rière diplomatique et politique au service
reno del Gran Poder –qu’apparaît pour pre‑ de l’Espagne. Il n’était pas encore lié au
mière fois, dans une livraison consacrée aux comte de Valencia de Don Juan, érudit et
fêtes religieuses à Séville, une description archéologue, dont il épousa la fille, héritière
précise des pasos10, symbole par excellence du nom, en 1888 et avec laquelle il fonda
de la spécificité de la sculpture espagnole de en 1916 l’Instituto Valencia de Don Juan qui

Véronique Gérard Powell - La sculpture polychrome espagnole dans la France du XIXe et début du XXe siècle...
l’époque moderne. abritait leur collection et reflétait son érudit
Collectionneur d’objets d’art du Moyen savoir. Une bonne génération séparait Da‑
Âge et de la Renaissance dès sa jeunesse, villier et Osma lorsqu’ils se rencontrèrent,
Davillier donna à l’Espagne la première probablement à Paris entre 1873 et 1875,
place dans sa recherche d’objets et dans ses mais ils avaient en commun une passion ab‑
études. Profitant de l’ouverture en  1864 solument identique pour les arts décoratifs
de la ligne de chemin de fer Paris Madrid espagnols et un égal souci d’érudition et de
via Irún, il lui arrivait de faire des voyages connoisseurship. Cette transmission d’objets
éclair dans la péninsule dans le seul but semble être le premier témoignage de l’inté‑
d’acquérir un objet, une tapisserie à Ségovie rêt d’Osma pour les arts décoratifs13.
(Couronnement de la Vierge, Louvre) ou un C’est d’ailleurs surtout en temps que
bouclier milanais à Valence11. Il ne semble « connaisseur » et érudit que Davillier nous
cependant pas avoir cherché à acquérir de intéresse ici. L’ouvrage qu’il publia en 1879
sculptures espagnoles. Elles ne sont repré‑ sur les arts décoratifs espagnols, le premier
sentées dans sa splendide collection léguée en Europe à s’intéresser à ce thème, est un
au Louvre (ainsi qu’au Musée de Sèvres et superbe exemple de divulgation érudite,
à la Bibliothèque nationale) après sa mort, fondée en partie sur l’étude des œuvres ex‑
que par une paire de colonnes en bois posées au Trocadéro pour l’Exposition uni‑
ornées de grotesques (en dépôt au Musée verselle de 187814. Le chapitre III, consacré
d’Écouen) qui semblent être des œuvres de à la sculpture sur bois, est le plus développé,
la première moitié du XVIe siècle. Selon des plafonds artesonados de tradition arabe
l’inventaire manuscrit rédigé lors de l’en‑ à la sculpture sur bois polychrome en pas‑
trée de la collection au Louvre, Davillier sant par une étude assez détaillée de Felipe
les aurait acquises de Guillermo de Osma y Vigarny, originaire de Langres ; arrivé aux
Scull (1853-1922)12. Rejeton d’une illustre
mentation.
mande et de la publication de l’ouvrage ou à son apport 13. Sur les ancêtres d’Osma, http.www.genealogiafamiliar.
pour l’histoire de l’art espagnol. net/familygroup.php ?familyID=F203086 ; l’article de Barrio
10. Les gravures des sculptures furent publiées pour la pre- Moya, 1998, p.  364-374 est surtout une présentation des
mière fois en 1866, dans la section « Fêtes religieuses à Sé- œuvres principales des collections rassemblées par son
ville » le Tour du Monde, second semestre 1866, p. 389-391. beau-père, sa femme et lui, présentées dans l’Instituto de
Conscient qu’il s’agit d’une image toute nouvelle pour le pu- Valencia de Don Juan. Osma est pour l’auteur un collection-
blic français, Davillier la mentionne à nouveau,1879, p. 54-55. neur atypique dans la mesure où il collectionnait des objets,
11. Sur ces deux achats, voir Belan, 2002, p.  55-58. Voir marbres, bronzes, tissus peu recherchés alors en Espagne
aussi notice Davillier dans Laclotte, 1989 p. 184. et qui risquaient donc d’être acquis par des étrangers.
12. Musée du Louvre, Département des sculptures, docu- 14. Davillier, 1879, p. 46-49.

225
sculpteurs du XVIIe siècle, il donne une ex‑ La copie (perdue) réalisée par le critique,
plication de l’estofado et de l’imagen de ves- peintre et sculpteur Zacharie Astruc (1833-
tir et s’intéresse au rôle important joué par 1907) pourrait bien avoir été le résultat
les peintres dans leur achèvement, faisant d’un engouement personnel d’Adolphe
notamment allusion au conflit entre Mar‑ Thiers (1797-1877) pour la sculpture de la
tínez Montañés et Pacheco. Ce qui l’amène cathédrale de Tolède17. Il l’avait probable‑
à « la » sculpture qui était à l’époque la ment vue pendant son voyage de 1845 en
seule œuvre de référence pour les Français, Espagne au cours duquel il visita Tolède18.
le saint François de la cathédrale de Tolède N’oublions pas que Thiers possédait plu‑
de Pedro de Mena que l’on attribuait alors sieurs tableaux espagnols dans sa collec‑
couramment à Alonso Cano15. Nous allons tion et qu’il était sincèrement attiré par
revenir sur les raisons de ce succès parisien l’Espagne. Chef du pouvoir exécutif puis
de la sculpture tolédane mais ce qui mérite Président de la République en  1871, il
d’être signalé ici, c’est l’analyse de l’historien relança alors, avec le soutien du ministre
de l’art : d’une part, il rectifie une erreur des Beaux-Arts Charles Blanc, le projet que
d’attribution transmise depuis cinquante tous deux avaient entrepris en 1834, au tout
ans – et qui dura encore longtemps – en début de sa carrière politique, d’un « Musée
rendant, sur la foi de Palomino, de Ceán universel », fait de copies des grands chefs
Bermúdez et de Ponz, la statue tolédane à d’œuvres de l’art occidental19 et pensa pro‑
Mena ; d’autre part il se lance, en s’appuyant bablement à y intégrer une copie du saint
sur une analyse formelle très détaillée, sup‑ François de Mena. Selon certaines sources,
portée par une photo comparative (ce qui il aurait promis une bourse à qui réussirait
est très rare à l’époque) dans une tentative à copier la statue enfermée dans une des
d’attribution à Cano d’un autre saint Fran- tours de la cathédrale depuis la révolution
çois (Musée du Louvre), presque identique, de 186820. Il semble plus logique de pen‑
que venait d’acquérir Ernest Odiot. ser que Thiers et Blanc avaient directement
confié la réalisation de la copie à Zacharie
Astruc qui s’installa pour deux ans à Ma‑
Saint François, Astruc et Odiot drid en  1872-1873 et invoqua le nom de
Thiers pour obtenir la permission de faire la
Pourquoi donc le saint François offert copie. Astruc en réalisa donc un moulage en
en 1663 par Pedro de Mena à la cathédrale terre cuite, suivie d’une épreuve sur plâtre
de Tolède était-il devenu célèbre à Paris à la
fin des années 1870 alors que Davillier ne la 17. Flescher, 1978, p. 45-47, fait allusion à cette sculpture et
Collection Histoire de l’art 1

à l’admiration de Thiers pour l’original. La statue était effec-


mentionne pas dans son Voyage en Espagne ? tivement difficilement visible car les chanoines la cachaient
Parce que, si on n’avait guère remarqué le au public par crainte de vol ou d’exaction.
moulage rapporté par Taylor16, on avait 18. Documents publiés sur le site de Radio Canal Acadé-
mie, www.rss-one.com/reader-8435-Canal-Acadmi, à l’occa-
pu voir chez Christofle les sculptures déri‑ sion de l’exposition ( sans catalogue) montée par Sylvie
vées de la copie qu’en avait réalisé Zacharie Biet, Collections voyageuses et voyageur collectionneur :
Astruc en 1872-1873 puis, à l’Exposition les périples de Monsieur Thiers, Bibliothèque Thiers, sep-
tembre-décembre 2011. Il en avait peut-être aussi remarqué
universelle de 1878, le saint François récem‑ le moulage placé au Louvre entre 1838 et 1848.
ment acquis par Odiot. 19. Duro, 1993, p. 283-288. Le rapport de Charles Blanc du
25 octobre 1871 mentionne, sans toutefois citer d’œuvres
15. Sur cette sculpture, voir Bray, 2009, no 33, p. 182-187. espagnoles, plusieurs exemples de sculptures à copier.
16. Voir supra. 20. Flescher, 1978, p. 45.

226
avant la réalisation en bois polychrome vente un saint Jérôme en méditation (no 125)
(aujourd’hui perdus)21. La démission de donné à Alonso Cano et un Christ en croix,
Thiers (24 mai 1873) et le remplacement de terre cuite coloriée (no  124), donné à Mar‑
Blanc par Chennevières qui signifia la fin tínez Montañés qui est probablement celui
du « Musée des copies », laissèrent Astruc qu’il vendit au Louvre en 1889 et qui était
à Madrid avec sa copie qu’il semble avoir une des premières acquisitions de sculpture
réussi à placer chez Goupil & Cie puis dans espagnole du musée25.
la maison d’orfèvrerie Christofle où elle Astruc avait à peine réalisé sa copie
connut un succès certain, avec des versions, qu’était apparu sur le marché madrilène
probablement réduites, en marbre, bronze un autre saint François en bois polychrome,
et bois destinées à la clientèle institution‑ maintenant au Louvre26, très proche dans

Véronique Gérard Powell - La sculpture polychrome espagnole dans la France du XIXe et début du XXe siècle...
nelle et privée catholique22. En 1874, elles ses dimensions et sa facture de l’original de
attirèrent une attention considérable à Tolède. Selon le témoignage du peintre et
l’exposition de l’Union Centrale des Beaux- critique d’art Pedro de Madrazo, la statue
Arts appliqués à l’industrie, dans le pavillon aurait été acquise en 1873/1874 sur le mar‑
de la maison Christofle et Bouilhet23. Il est ché du rastro par un tailleur nommé Mejía ;
possible que la copie même d’Astruc ait elle fut exposée quelque temps plus tard
figuré dans le pavillon Christofle pendant dans « los salones Bosch » – les vastes salles
l’Exposition universelle de 1878 puisque la de l’ancienne orfèvrerie royale rachetées par
maison l’avait acquis quelques jours avant des particuliers du nom de Bosch et louées
l’ouverture de la manifestation : voulant pour des expositions d’art – accompagnée
probablement profiter d’une si belle occa‑ semble-t-il d’une des versions en marbre
sion, Astruc, toujours à court d’argent, de la maison Christofle27. Tout le monde
avait en effet vendu sa « réplique absolue du érudit l’attribua immédiatement à Alonso
chef d’œuvre », accompagnée d’une aqua‑ Cano et s’efforça de la trouver supérieure à
relle « exécutée dans la sacristie » lors d’une la sculpture tolédane28. C’est certainement
vente de son atelier à l’hôtel Drouot, les là qu’elle fut acquise, à un prix que l’on
11 et 12 avril 187824. Il y avait aussi mis en ignore, par Ernest Odiot et devint la pre‑
mière bonne sculpture espagnole à rentrer
21. Ibidem..
22. Ibidem. Aucune mention de l’œuvre dans Goupil & dans une collection privée française.
Cie/Boussod, Valadon &Cue Stock Books, Getty research
Institute. La maison Goupil ne s’occupait pas beaucoup
de sculpture. Selon Orueta y Arte, 1914, p.  163, la copie
d’Astruc et surtout celles faites par Christofle ont assuré la la bibliothèque Jacques Doucet/Inha avec le nom de Chris-
réputation européenne de l’artiste inconnu jusque-là hors tofle. Une rumeur, reprise par de nombreux érudits jusqu’à
de la péninsule. Anderson, 1978, p.  46, appliqué par eux au saint François
23. Voir Exposition de l’Union Centrale des Beaux-Arts appli- Odiot (Louvre) voudrait que Christofle ait payé 100 000 francs
qués à l’industrie, 1874 : Catalogue des objets exposés par pour cette copie, ce qui est hautement improbable.
MM. Christofle et cie, Paris, 1874 et Lanoue, 1874, p. 425- 25. RF 798, 79x29x29 cm, terre cuite et bois polychrome ;
427. Lanoue estime que la transposition en marbre blanc Voir Collectif, 2006, p.  45. L’absence de dimensions dans
jure avec « l’austérité sombre » du moine. Un dessin de ou le catalogue de la vente de 1878 empêche de dépasser le
d’après Astruc de cette statue se trouve dans le fonds de stade de l’hypothèse dans ce cas.
dessins de la maison d’orfèvrerie spécialisée dans le mo- 26. Première étude de l’œuvre « retrouvée » dans Jean-
bilier liturgique Poussièlegue-Rusand avec laquelle Astruc René Gaborit, 1992, p. 50-53.
travailla à plusieurs reprises : 1996/084/0084, chemise  1 27. Madrazo, 1889 ; repris par Carlos Varona, 2009, p. 189
Médiathèque de l’Architecture et du patrimoine, Saint-Cyr. note 14. Sur l’édifice où se trouvaient « los salones Bosch »,
24. Catalogue de la vente de l’atelier de Monsieur Zacharie As- vendu plus tard à l’état et aujourd’hui détruit, voir Martín,
truc, Paris Hôtel Drouot, 11 et 12 avril 1878, no 61 (sculpture) 1992, no 107, p. 59-76.
et 99 (aquarelle). Annotation manuscrite sur le catalogue de 28. Davillier, 1879, p. 50-52 ; Piot, 1878, p. 836-837.

227
Ernest Odiot (1841-1890) appartenait position universelle de 1878 pour occuper
à la dynastie Odiot, maîtres orfèvres à Paris toute une vitrine dans la section française :
depuis la fin du XVIIe siècle. Pendant que le saint François acheté à Madrid dominait
son frère ainé Gustave (1823-1912) diri‑ les émaux et les ivoires médiévaux, le calice
geait la Maison familiale, Ernest, de santé espagnol et, selon Davillier, ridiculisait les
fragile, érudit reconnu, rassemblait une quelques statues de bois polychromes du
collection assez petite en quantité, mais de pavillon espagnol, au réalisme outrancier.
très grandes qualités d’objets d’art médié‑ Il y voyait « un Zurbaran en sculpture »31.
vaux et de la Renaissance, accompagnée de Œuvre espagnole par excellence de toute
quelques excellentes peintures (ainsi une cette exposition universelle, elle fut plu‑
Vierge à l’Enfant de Joos van Cleve main‑ sieurs fois comparée aux versions et à la
tenant au Metropolitan Museum de New copie d’Astruc exposées dans le pavillon
York). Le saint François était certainement Christofle. Par un effet du hasard, deux des
l’œuvre la plus tardive qu’il ait acquise. grandes maisons d’orfèvrerie française s’in‑
Miné par la maladie, il se résolut au prin‑ téressaient au même type d’œuvre, la plus
temps  1889 à se retirer sur la Riviera et à ancienne sur un plan purement artistique,
faire une vente publique de sa collection, la plus récente, dans une optique résolu‑
d’autant plus que la montée des prix et ment commerciale.
la difficulté à trouver de belles œuvres le Dix ans plus tard, lors de la vente
décourageaient. Alfred Darcel, alors direc‑ aux enchères de la collection Odiot le
teur du Musée de Cluny, lui consacra à 26 juin 1889, le saint François fut immédia‑
cette occasion dans la Gazette des Beaux- tement acquis par le baron Arthur Schickler
Arts un long article, illustré avec soin, qui (1828-1919). Autre amateur avide d’objets
demeure, avec le catalogue de la vente, le d’art médiévaux et renaissants, ce banquier
meilleur témoignage sur cette remarquable du roi de Prusse avait fait transformer par
collection dispersée à l’hôtel Drouot les l’architecte britannique Henry White le
26  et 27  juin  1889. Odiot devait mourir château de Martinvast (Cotentin) en for‑
quelques mois après, le 10 janvier 189029. teresse néo-gothique pour abriter sa collec‑
N’étant pas spécialement intéressé par l’Es‑ tion. En  1988, la sculpture passa directe‑
pagne, Darcel ne fait que mentionner un ment des descendants du baron au Musée
calice du XVIe siècle et un contador, faisant du Louvre. Longtemps donc oubliée des
allusion à la splendide collection de meubles spécialistes, elle a été prudemment attri‑
espagnols d’Odiot, dont des prêts à l’Expo‑ buée à l’Espagne du milieu du XVIIe siècle
sition d’art décoratif espagnol et portugais par Gaborit32. De dimensions pratiquement
Collection Histoire de l’art 1

au Musée londonien de South Kensing‑ identiques à la sculpture de Mena à Tolède,


ton (le futur Victoria & Albert Museum) de technique exactement semblable, jusque
nous donnent une meilleure idée30. Les dans le travail de la corde, elle en diffère par
raisons de l’intérêt d’Odiot pour l’Espagne
et la manière dont il a acquis cette œuvre 31. Davillier, 1879, p. 50 et 55. Nous n’avons pas pu trouver
demeurent inconnues. Sa collection était de descriptions précises de ces sculptures dans les catalo-
gues de l’Exposition. Dans son article, Piot cite également
déjà suffisamment remarquable lors de l’ex‑ comme œuvre espagnole une Tête de saint Jean-Baptiste
en marbre appartenant au collectionneur Edmond Taigny
29. Darcel, 1889, p. 245-258. Cet article est repris en intro- mais le matériau et la description conduisent à penser plu-
duction du catalogue de vente. tôt à une œuvre italienne.
30. Robinson, 1881. 32. Gaborit, 1992.

228
un travail plus animé des plis et un traite‑ les sculptures, peintures et meubles espa‑
ment plus accentué de l’expression « vision‑ gnols, une crèche napolitaine (en dépôt au
naire » et une apparence légèrement plus Musée de la Crèche, Chaumont), au Musée
frêle, due aux épaules davantage baissées. La des Arts décoratifs (vingt-deux objets) et au
polychromie semble traitée avec une iden‑ Conservatoire des Arts et métiers sa collec‑
tique délicatesse sur le visage, mais l’absence tion d’horloges, au Conservatoire – d’où la
de stries sur les manches et la poitrine donne nécrologie dans le Ménestrel – ses nombreux
un aspect légèrement plus monotone à la instruments de musique anciens, notam‑
bure33. Sans revenir peut-être aux discours ment les guitares espagnoles dont il aimait
enthousiastes des visiteurs de l’Exposition jouer34. C’est en 1885 aussi que furent dé‑
universelle de 1878, on devrait, en ayant la posées au Musée de Rouen, ville natale de

Véronique Gérard Powell - La sculpture polychrome espagnole dans la France du XIXe et début du XXe siècle...
possibilité de la confronter à d’autres sculp‑ Darcel, des copies d’œuvres de Velázquez
tures de Pedro de Mena et de cette époque, par le peintre sévillan Díaz Carreño (1836-
lui rendre une meilleure place dans le pa‑ 1903) qu’avait acquises Audéoud35. La créa‑
norama actuel de la sculpture polychrome tion en 1886 par l’Académie des Sciences
espagnole. morales et politiques d’un prix Jules Au‑
déoud « pour encourager les études, les tra‑
vaux et les services relatifs à l’amélioration
la collection audeoud du sort des classes ouvrières et au soulage‑
ment des pauvres » témoigne des préoccu‑
L’intérêt pour la sculpture espagnole pations humanitaires de l’homme.
dans la France de la fin du XIXe siècle appa‑ La famille Audéoud avait de solides
raît donc essentiellement comme une affaire intérêts en Espagne, ce qui fut la raison
d’érudits, intéressés aux arts décoratifs et des premiers voyages de notre collection‑
qui acquérirent une œuvre ou deux comme neur dans la péninsule. Son père était un
témoins d’un travail spécifique du matériau des fondateurs de la banque genevoise
et peut-être comme reflet d’une civilisation. Mussard-Audéoud36. Le gaz avait d’abord
Il semble que la France n’ait en fait connu été leur placement principal à Genève
qu’un seul enthousiaste de sculpture espa‑ puis à Paris où ils participèrent en  1850
gnole, Paul-Jules Audéoud  (1836-1885). à la création de la Compagnie française du
En mourant de façon prématurée, à l’âge gaz37. Insérée à Paris dans le réseau d’af‑
de quarante-huit ans, cet ancien banquier faires des frères Péreire, la banque familiale
confia à sa nièce la charge de donner la col‑ avait investi suffisamment en  1858 dans
lection assez hétéroclite qu’il avait amassée la création des Chemins de fer du Nord de
dans son hôtel parisien de la rue Ampère l’Espagne pour être considérée comme
aux Musées nationaux. Celle-ci s’adressa membre fondateur de la Compagnie38.
à Alfred Darcel, le directeur déjà cité du
Musée de Cluny, qui procéda aussitôt à la 34. Il n’y a aucune étude sur la collection Audéoud. Les élé-
répartition : il déposa au Musée de Cluny ments rassemblés ici sur l’homme et sa collection viennent
principalement de la presse de l’époque. Voir surtout sa né-
crologie par Gustave Chouquet dans Le Ménestrel, 28 juin 1885,
33. L’étude de la polychromie de la statue de Mena à Tolède p. 238 ainsi Chronique des arts, 16 mai 1885, p. 156.
a été remarquablement faite dans Bray, 2009, p. 38-40. Son 35. Base Joconde.
prêt à l’exposition a permis cette première étude précise 36. Perroux, 2003.
de l’œuvre, et par ricochet, une meilleure appréciation de 37. Williot, 2005, p. 161.
celle du Louvre. 38. Fontaine, 1861, p. 156-164. 

229
D’où les premiers voyages du jeune Jules, de Castres qui a assuré, par son exposition
ingénieur des mines, qui s’enthousiasma permanente et par des prêts dans plusieurs
pour la musique espagnole. En 1868, pro‑ expositions, une meilleure connaissance des
bablement prise dans les revers de fortune plus belles pièces de la collection41. Appar‑
qui touchent les affaires de la famille Péreire, tenant davantage, pour un collectionneur,
la banque Mussard, Audéoud & cie cesse à cause de leurs dimensions moyennes (de
son activité. Veuf de très bonne heure39, cinquante à cent-dix centimètres de haut),
Paul-Jules dut alors se consacrer totale‑ au concept des arts décoratifs, elles appor‑
ment à sa passion pour l’Espagne et y faire, taient à Audéoud de parfaits exemples des
grâce notamment à l’ouverture de la ligne techniques hispaniques de la sculpture poly‑
de chemin de fer Paris-Madrid par Irún chrome sur bois, de l’estofado et des tissus
en  1864, de nombreux séjours. La pièce collés, des membres sculptés séparément et
maîtresse de ses acquisitions d’œuvres d’art assemblés, des yeux de verre et des objets
espagnoles fut le retable de saint Martin ajoutés42. Ce n’est pas ici le lieu d’étudier
considéré maintenant comme une œuvre en profondeur ces sculptures qui devaient
de jeunesse du peintre valencien Vicente à l’origine être, pour les plus sophistiquées
Macip (v. 1475‑1550), toujours conservé au d’entre elles, des objets de dévotion auto‑
Musée de Cluny. L’inventaire dressé par le nomes et pour les autres – notamment les
Musée de Cluny en 1885 recense quarante- effigies de saints d’une bonne soixantaine de
cinq pièces, dont vingt-trois de sculpture centimètres qui semblent des œuvres anda‑
espagnole, toutes de petit ou moyen for‑ louses datant de la grande période baroque
mat, qui nous sont presque toutes connues à cheval entre la fin du XVIIe et le début du
aujourd’hui au moins par d’anciennes pho‑ XVIIIe siècle – des statues ornant la struc‑
tographies40. Audéoud en avait prêté quatre ture de retables démontés ou vandalisés
à l’exposition rétrospective du Musée des pendant le XIXe siècle. C’est probablement
Arts décoratifs en 1882. Une grande partie à cause de ce type d’achat, si éloigné du goût
de ces objets, jamais étudiés, semble avoir français de l’époque en matière d’arts déco‑
été déposée à Azay-le-rideau en 1934. Elles ratifs, que le journaliste de la Chronique des
durent regagner ensuite le Musée de Cluny, Arts a qualifié Audéoud de « collectionneur
avec un premier dépôt à Castres en  1952 de curiosités ».
(saint François de Paule, saint Antoine de Cet intérêt de quelques amateurs éru‑
Padoue, Musée de Castres). Avec la créa‑ dits pour la sculpture polychrome espa‑
tion du Musée national de la Renaissance gnole reste un épiphénomène au regard des
à Écouen en 1971, l’ensemble de la dona‑ grandes collections d’objets d’art français,
Collection Histoire de l’art 1

tion encore à Cluny passa, sauf le retable, au italien ou de l’Europe du Nord qui ont mar‑
nouveau musée. En 2001, une bonne par‑ qué cette fin du XIXe siècle. On remarque‑
tie d’entre elles ont été déposées au Musée ra que, hormis l’achat du Christ en croix à
39. Il avait épousé en 1862 Anaïs Delacour qui décéda en 41. Outre les catalogues du musée, voir Augé et Pérez
1866, le laissant avec deux enfants en bas âge ; le plus Sánchez, 2002-2003, p. 176-181. On se permettra juste de
jeune décéda en  1869 et l’aîné Gaston Maurice Audeoud rectifier le nom véritable du donateur, Jules-Paul Audéoud,
(1863-1907) fut, suivant l’exemple de son père, un très qui fit donc cette donation bien avant la mort de son fils
généreux donateur au Musée du Louvre : www.geneatnet Gaston-Maurice-Jules (dit Jules-Maurice) (1865-1907).
et Laclotte, 1989 p. 139. 42. On notera la présence d’une petite Tête décapitée en
40. Le Musée d’Ecouen, que nous remercions pour son bois polychrome et d’une remarquable tête d’homme
accueil et son aide, conserve dans sa documentation ces (Castres), peut-être un saint Jean de Dieu. Étant en terre
photos et un exemplaire de l’inventaire de 1885. cuite, elle pourrait peut-être être napolitaine.

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Astruc, les quelques acquisitions espagnoles pour la réalisation duquel il parcourut très
faites alors par le département des sculptures souvent toute l’Espagne en compagnie de
du Louvre, auprès du marchand Stanislas son épouse Jane. Le livre est abondamment
Baron, sont des œuvres médiévales et renais‑ illustré de superbes photos, parfois en cou‑
santes qui s’inscrivent sans problème dans le leur, provenant d’agences de photographie
goût de cette époque. En revanche l’intérêt installées en Espagne, comme Laurent ou
des érudits français pour cet aspect spéci‑ Lévy, mais aussi de nombreuses autres en
fique de l’art espagnol a joué un rôle très im‑ grande partie prises par Jane44. En se fon‑
portant dans les premiers pas de son étude dant sur les travaux les plus récents de la
scientifique. Trente ans après Davillier, l’ar‑ première génération d’érudits espagnols
chéologue Marcel Dieulafoy  (1844-1920), à s’intéresser au thème – Martí y Monsó,

Véronique Gérard Powell - La sculpture polychrome espagnole dans la France du XIXe et début du XXe siècle...
spécialiste de l’art de la Perse, publiait en Agapito y Revilla, etc., il écrivit la première
1908 La Statuaire polychrome en Espagne43. synthèse d’ensemble sur la question, l’orga‑
C’est d’un double intérêt, d’abord pour la nisant d’abord par écoles, puis par sujets
question de la polychromie de la sculpture iconographiques sans oublier les explica‑
dans l’antiquité et le Moyen Âge puis, une tions techniques. Mal connu en France, cet
fois qu’il dut abandonner le champ des ouvrage joua pourtant un rôle capital dans
études perses, pour l’Espagne, sa littérature la découverte de la sculpture polychrome
et son art religieux qu’est né cet ouvrage espagnole.

44. Jane Dieulafoy était célèbre pour son habitude, prise


lorsqu’elle accompagnait son mari sur les champs de
43. Voir notice Dieulafoy, Jane et Marcel, Dictionnaire cri- fouilles du Moyen-Orient, de s’habiller avec des vêtements
tique des historiens de l’art, Inha, http://www.inha.fr/spip. masculins. Elle publia en 1921 une étude sur Isabelle la Ca-
php ?article2286. Dieulafoy publia aussi en 1913, une His- tholique. Les photos, dont une grande partie ne put être pu-
toire générale de l’art en Espagne et Portugal. bliée faute de place, ont été déposées à l’Institut de France.

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