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La conception industrielle de produits 1

© LAVOISIER, 2008
LAVOISIER
11, rue Lavoisier
75008 Paris

www.hermes-science.com
www.lavoisier.fr

ISBN volume 1 978-2-7462-1921-2


ISBN général 978-2-7462-1920-4

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Printed and bound in England by Antony Rowe Ltd, Chippenham, March 2008.
La conception industrielle
de produits
volume 1

management des hommes,


des projets et des informations

sous la direction de
Bernard Yannou
Michel Bigand
Thierry Gidel
Christophe Merlo
Jean-Pierre Vaudelin
DIRECTION ÉDITORIALE HISHAM ABOU-KHANDIL
Collection Productique
SOUS LA DIRECTION DE JEAN-PAUL BOURRIÈRES

Gestion et performance des systĂšmes hospitaliers, Eric Marcon, Alain


Guinet, Christian Tahon, 2007.
Liste des auteurs

Gwenola BERTOLUCI Franck MARLE


AgroParisTech Ecole Centrale Paris
Massy
Nada MATTA
Michel BIGAND Université de Technologie
Ecole Centrale de Lille Troyes

DjĂ©mil CHAFAÏ Christophe MERLO


CETEGE ESTIA
Paris Bidart

Anthony DELAMARRE Stéphanie MINEL


ISTIA ESTIA
Université d'Angers Bidart

Olivier DEVISE Vincent ROBIN


IFMA Université Bordeaux I
Clermont-Ferrand
Michel SONNTAG
Thierry GIDEL INSA de Strasbourg
Université de Technologie
CompiĂšgne Nadine STOELTZLEN
ENSGSI
Jean-Pierre GRANDHAYE Nancy
ENSGSI
Nancy Jean-pierre VAUDELIN
IFMA
Anne-Lise HUYET Clermont-Ferrand
IFMA
Clermont-Ferrand Bernard YANNOU
Ecole Centrale Paris
Muriel LOMBARD
UHP
Nancy
TABLE DES MATIÈRES

Introduction générale. La conception industrielle de produits . . . . 15


Bernard YANNOU

Introduction au volume 1. Management des hommes, des projets


et des informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Michel BIGAND et Thierry GIDEL

PREMIÈRE PARTIE. L’INDIVIDU ET LE GROUPE . . . . . . . . . . . . . . . 21

Chapitre 1. L’homme au cƓur de l’entreprise . . . . . . . . . . . . . . . 23


Jean-Pierre VAUDELIN et Olivier DEVISE

Chapitre 2. Leadership et apprentissage organisationnel


pour un groupe performant et innovant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Jean-Pierre VAUDELIN, Michel SONNTAG et Olivier DEVISE
2.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.2. Le milieu de la conception : un milieu spécifique ? . . . . . . . . 29
2.2.1. Innover pour durer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.2. L’acte excentrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.3. Choix d’un modùle de leadership pour mener l’innovation . . . . 32
2.3.1. Evolution des modĂšles du leadership : des traits
de personnalité à la prise en compte de la situation . . . . . . . . . 33
2.3.2. La prise en compte de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.4. Le stade de développement du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.4.1. L’équipe nominale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
8 La conception industrielle de produits 1

2.4.2. L’équipe fusionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38


2.4.3. L’équipe conflictuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.4.4. L’équipe unitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.5. Application à la prise de décision collective . . . . . . . . . . . . . 40
2.5.1. Le modĂšle de Tannenbaum et Schmidt . . . . . . . . . . . . . 41
2.5.2. De nouvelles forces à considérer . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.5.2.1. Les forces propres au leader . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.5.2.2. Les forces propres aux subordonnés . . . . . . . . . . . 45
2.5.2.3. Les forces propres Ă  la situation . . . . . . . . . . . . . . 47
2.6. La conception : une culture spécifique ? . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2.6.1. L’avantage crĂ©ativitĂ© : l’organisation apprenante . . . . . . . 48
2.6.2. Faire les choses bien ou bien faire les choses ? . . . . . . . . 51
2.6.3. L’ùre de la cognition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
2.6.3.1. Mettre ses Ă©motions au service d’un objectif . . . . . . . 54
2.6.3.2. Parier sur les intelligences multiples de ses collaborateurs . . 56
2.6.3.3. Changer l’état d’esprit de groupes . . . . . . . . . . . . . . 58
2.7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Chapitre 3. Structure et instrumentation du processus de conception


versus rationalité de la décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Gwenola BERTOLUCI, Anthony DELAMARRE, Stéphanie MINEL,
et Nadine STOELTZLEN
3.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3.2. Organisations en conception et prises de décision . . . . . . . . . 67
3.2.1. Processus de conception : le mythe du modĂšle unique . . . 67
3.2.2. La conception de produit dans le contexte d’un marchĂ©
en demande de produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.2.3. Incidence de la saturation des marchés concurrentiels
sur la conception de produits complexes . . . . . . . . . . . . . . . . 73
3.2.4. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.3. Apports et limites des groupes pluriculturels à la rationalité
de la décision en conception de produits complexes . . . . . . . . . . . 81
3.3.1. Quelques définitions de termes afférents aux groupes
pluriculturels en conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.3.2. L’individu et le collectif dans la coopĂ©ration entre mĂ©tiers . 83
3.3.2.1. Coopérer et collaborer : quelques définitions . . . . . . 83
3.2.2.2. L’individu dans le collectif coopĂ©rant . . . . . . . . . . . 86
3.3.3. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Table des matiĂšres 9

3.4. Le rÎle des représentations intermédiaires dans les prises


de décisions individuelles et collectives en conception . . . . . . . . . 88
3.4.1. Définition des représentations intermédiaires . . . . . . . . . 88
3.4.2. La représentation intermédiaire : un support à la création
de connaissances multidisciplinaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
3.4.3. Le rÎle de la formalisation des objets intermédiaires
dans la prise de décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.4.4. Influence des choix de représentation dans la décision . . . 93
3.4.5. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3.5. Faire prendre du recul aux acteurs multidisciplinaires par le jeu 95
3.5.1. Le rîle du jeu participatif dans l’apprentissage . . . . . . . . 96
3.5.2. Pourquoi utiliser la phase créative pour notre serious play ? 98
3.5.3. Les conditions de mises en Ɠuvre et les objectifs
de maniÚre générale du serious play utilisé . . . . . . . . . . . . . . . 98
3.5.4. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
3.6. Le serious play : le cas de la re-conception d’un siùge de bureau . . 102
3.6.1. Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
3.6.2. Modalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
3.6.3. La suite des travaux de recherche Ă  conduire. . . . . . . . . . 106
3.7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

DEUXIÈME PARTIE. LE MANAGEMENT DE PROJET . . . . . . . . . . . . . 109

Chapitre 4. Le projet, mode de conception de produit. . . . . . . . . . 111


Michel BIGAND
4.1. Définir le mot « projet » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
4.2. Cycle de vie d’un projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

Chapitre 5. Expression des besoins du client : étude de cas,


le projet masque sourireÂź . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Jean-Pierre GRANDHAYE et DjĂ©mil CHAFAÏ
5.1. Les premiĂšres investigations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5.1.1. La démarche préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5.1.2. L’analyse marketing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
5.2. Etablissement du plan d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
5.2.1. Les participants au projet et la méthode . . . . . . . . . . . . 121
5.2.2. Les principaux rĂ©sultats de l’analyse prĂ©liminaire . . . . . . 122
5.3. La démarche fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
5.3.1. Identifier les fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
10 La conception industrielle de produits 1

5.3.2. Ordonner les fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125


5.3.3. Caractériser les fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
5.4. La recherche d’idĂ©es et l’évaluation de solutions nouvelles . . . 128
5.4.1. Envisager le cycle de vie et le coût global . . . . . . . . . . . 128
5.4.2. Le prototype pour la matĂ©rialisation d’une proposition . . . 129
5.4.3. L’évaluation des propositions de solution. . . . . . . . . . . . 129
5.5. Le projet avec ses impulsions et perturbations . . . . . . . . . . . . 131
5.5.1. La planification avec ses contraintes et opportunités . . . . 131
5.5.2. Les stratĂ©gies d’acteurs et les flux . . . . . . . . . . . . . . . . 132

Chapitre 6. Structuration des moyens du projet . . . . . . . . . . . . . 135


Christophe MERLO et Michel BIGAND
6.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
6.2. Les acteurs du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
6.3. Structurer les tĂąches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
6.4. Evaluer les tĂąches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
6.5. Ordonnancer les tĂąches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
6.6. Représenter graphiquement les tùches . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
6.7. Notion de délai optimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
6.8. Quelques erreurs classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
6.9. Cycle de vie et structuration du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
6.10. Une démarche pédagogique de structuration des moyens
du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
6.11. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

Chapitre 7. Pilotage de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153


Michel BIGAND et Thierry GIDEL
7.1. Importance du pilotage en phase de réalisation. . . . . . . . . . . . 153
7.2. Les deux niveaux de management de projet. . . . . . . . . . . . . . 155
7.3. Evolution des dĂ©penses d’un projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
7.4. Gérer le recrutement de collaborateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
7.5. GĂ©rer l’avancement des travaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
7.6. Gérer le turn-over . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
7.7. Gérer les incidents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
7.8. Gérer les évolutions des besoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
7.9. Gérer la sous-traitance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
7.10. Gérer les livraisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
Table des matiĂšres 11

7.11. Gérer la communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168


7.12. Le pilotage agile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
7.13. RĂŽle du chef de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

Chapitre 8. Management d’un portefeuille de projets innovants . . 173


Thierry GIDEL et Franck MARLE
8.1. Le projet, l'entreprise et le multi-projets . . . . . . . . . . . . . . . . 173
8.1.1. L’entreprise doit innover . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
8.1.2. L’entreprise a de plus en plus de projets Ă  gĂ©rer . . . . . . . 174
8.1.3. L’entreprise doit gĂ©rer les ressources investies dans les projets . . 174
8.1.4. L’entreprise gùre l’innovation par processus . . . . . . . . . 174
8.2. Les différents modes de management multi-projets . . . . . . . . 175
8.2.1. L'approche portefeuille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
8.2.2. L'approche plate-forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
8.2.3. L'approche des trajectoires d’innovations . . . . . . . . . . . . 177
8.2.4. L'approche programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
8.2.5. Vers une combinaison de différentes approches . . . . . . . 178
8.3. Principes généraux du management multi-projets . . . . . . . . . 179
8.3.1. Le cycle prévoir-décider-contrÎler . . . . . . . . . . . . . . . . 180
8.3.2. La gestion pilotée par le multi-projets . . . . . . . . . . . . . . 182
8.3.3. La gestion pilotée par le projet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
8.3.4. La nécessité d'instrumenter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
8.4. Les instruments du MMP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
8.4.1. Prévoir : outils de réflexion stratégique . . . . . . . . . . . . . 184
8.4.2. Décider : outils de pilotage opérationnel . . . . . . . . . . . . 185
8.4.3. ContrĂŽler : outils de communication . . . . . . . . . . . . . . . 186
8.5. Conclusions et perspectives de développement . . . . . . . . . . . 186
8.5.1. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
8.5.2. Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

Chapitre 9. Du management de projet au management de l’innovation . 189


Thierry GIDEL
9.1. Etude de cas 1 : remanier une planification de projet erronée. . . 191
9.1.1. Enoncé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
9.1.2. Documents pour consultation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
9.1.3. Correction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
12 La conception industrielle de produits 1

9.2. Etude de cas 2 : multi-projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194


9.2.1. Enoncé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
9.2.2. Faire un classement des projets par ordre de préférence . . 194
9.2.3. Prendre en compte les interactions entre projets. . . . . . . . 195
9.2.4. Gérer des portefeuilles multiples . . . . . . . . . . . . . . . . . 196

TROISIÈME PARTIE. LES SYSTÈMES D’INFORMATION . . . . . . . . . . 199

Chapitre 10. Les systùmes d’information, supports de la conception


de produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
Christophe MERLO
10.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
10.2. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
10.3. Supporter la prise de décision. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204

Chapitre 11. SystĂšmes d’information pour la prise de dĂ©cision . . . . 207


Christophe MERLO, Muriel LOMBARD et Vincent ROBIN
11.1. Les systùmes d’aide au travail collectif. . . . . . . . . . . . . . . . 207
11.1.1. Collecticiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
11.1.2. Cas d’application : Ă©tude d’un collecticiel pour la prise
de décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
11.1.2.1. Les cas d’utilisation du systùme. . . . . . . . . . . . . . 212
11.1.2.2. Des diagrammes de séquences à la définition
du systĂšme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
11.2. Les systùmes d’information pour la conception . . . . . . . . . . 223
11.2.1. Les systÚmes de gestion de données techniques . . . . . . . 223
11.2.2. Cas d’application : un outil pour la conduite des projets
en conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
11.2.2.1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
11.2.2.2. Mise en Ɠuvre de la conduite à l’aide de PEGASE . 226
11.2.2.3. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
11.3. Limites et évolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230

Chapitre 12. Capitalisation des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . 233


Nada MATTA
12.1. Capitalisation des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
12.1.1. La modélisation des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . 235
12.1.1.1. Les modÚles génériques et la méthode CommonKADS 236
12.1.1.2. La méthode MASK. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Table des matiĂšres 13

12.1.2. Exemples de systĂšmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241


12.2. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243

Chapitre 13. Traçabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245


Anne-Lise HUYET et Nada MATTA
13.1. Traçabilité des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
13.1.1. Une mĂ©thode pour le retour d’expĂ©rience : REX . . . . . . 246
13.1.2. Mémoires de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
13.1.3. Illustration : traçabilitĂ© de la conception d’une Ă©olienne . 252
13.1.4. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
13.2. Apprentissage automatique de connaissances . . . . . . . . . . . . 255
13.2.1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
13.2.2. Objectifs des méthodes existantes et résultats prévisibles . 256
13.2.3. Les mĂ©thodes d’extraction automatique de connaissances 257
13.2.3.1. Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
13.2.3.2. Les réseaux de neurones . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
13.2.3.3. Les graphes d’induction et arbres de dĂ©cision . . . . . 265
13.2.3.4. Les algorithmes génétiques et les treillis de Galois
en apprentissage automatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
13.2.4. Méthodes hybrides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
13.3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Chapitre 14. Une dĂ©marche de mise en Ɠuvre de systĂšmes


d’information pour la conception de produit . . . . . . . . . . . . . . . . 273
Muriel LOMBARD et Christophe MERLO
14.1. Modélisation par ajustements de points de vue : la méthode VIM 275
14.2. Application dans le cadre du projet USIQUIK . . . . . . . . . . 278
14.3. SynthĂšse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303

Sommaire du volume 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307

Sommaire du volume 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311


INTRODUCTION GÉNÉRALE

La conception industrielle de produits

La conception industrielle de produits tente de concilier ce qui est a


priori difficilement conciliable : la crĂ©ation et l’innovation sur les produits et
les impératifs industriels de maßtrise de la qualité, des délais et des coûts.
Une mécanique industrielle de lancement de produit nouveau se met donc en
route par le truchement de projets plus ou moins innovants de conception-
industrialisation de produit. Ces projets sont organisĂ©s de telle maniĂšre qu’il
devient possible à des métiers et disciplines différents de co-concevoir un
produit en structurant et synchronisant leurs activitĂ©s autour d’une gestion
des tĂąches et des rĂŽles, d’outils, de documents et de procĂ©dures standards, de
moments organisés (jalons) de décisions collectives. Cette structuration en
projet est d’autant plus nĂ©cessaire que le produit est complexe, le nombre de
concepteurs important, et le secteur concurrentiel.

Nous avons voulu aborder les problématiques actuelles de la conception


industrielle de produits au travers du prisme de l’évaluation et de la dĂ©cision
durant le processus de conception d’un produit. En effet, ces Ă©tapes
d’évaluation et de dĂ©cision s’opĂšrent Ă  tout niveau du produit, Ă  tout moment
du projet, que ce soit à titre individuel - celui d’un acteur du projet - ou au
titre d’une Ă©quipe de conception. Elles reprĂ©sentent le « C » du modĂšle du
cycle d’amĂ©lioration continue PDCA (Plan-do-check-act), dit roue de
Deming, qui consiste en un cycle d’analyse, de proposition de solution(s)
conceptuelle(s), d’évaluation de cette(ces) solution(s), de choix d’une
solution et de développement de cette solution.
16 La conception industrielle de produits 1

Le propre de la conception de produits est d’avancer de la sorte par


propositions, évaluations et choix successifs.

Or, bien qu’unanimement reconnues comme Ă©tant primordiales pour


assurer la qualité des processus et des résultats de conception, ainsi que pour
garantir une certaine équité, transparence et efficacité de travail, ces tùches
d’évaluation et de dĂ©cision s’avĂšrent souvent ĂȘtre les moins formalisĂ©es et
documentées. Quelles étaient les hypothÚses sous-jacentes à cette évaluation
du produit alors qu’il Ă©tait Ă  l’état de concept ? Quels Ă©taient les critĂšres qui
ont présidé au choix de cette solution ou aux raisons de cette reconception ?
Sans outil pour évaluer, sans processus de décision explicité, sans une
capitalisation de la connaissance générée en cours de projet, une entreprise
ne saura plus revenir sur une hypothÚse ou une décision pour reconcevoir ou
réactualiser son produit face à une concurrence qui évolue en permanence.

Le thĂšme de l’évaluation et de la dĂ©cision nous permet donc de parcourir


toute l’étendue du champ de l’ingĂ©nierie de la conception en se rĂ©fĂ©rant plus
largement au champ du génie industriel. Cette série de trois volumes est
conçue pour trois objectifs :
– avoir un descriptif des projets industriels de lancement de produits
nouveaux et des problématiques actuelles associées en abordant une grande
diversité de secteurs industriels pour souligner à la fois les points communs
et les diffĂ©rences d’approche ;
– isoler les concepts et thĂ©ories structurantes qui font l’objet de recherches
actuelles dans le domaine de l’ingĂ©nierie de la conception au sens large ;
– ĂȘtre un ouvrage pĂ©dagogique de rĂ©fĂ©rence en proposant, dĂšs que possible,
des énoncés de problÚmes et exercices avec corrigés. Le lecteur désireux
d’approfondir l’énoncĂ© d’un cas d’étude, les explications d’un corrigĂ©, ou
désirant utiliser des données (fichiers Excel) ou des codes informatiques (Matlab
ou Scilab) utilisés par les auteurs, des images ou des articles scientifiques,
pourra télécharger les documents supports supplémentaires mis à disposition sur
le site HermĂšs : www.hermes - science. fr /yannou/cip.zip.

Le public visé est à la fois celui des acteurs industriels (techniciens et


ingénieurs), des étudiants de niveaux maßtrise, master professionnel, master
recherche et des doctorants en génie industriel, mais aussi des consultants,
enseignants et enseignants-chercheurs.
Introduction générale 17

Les trois volumes de la série ont été organisés autour des aspects humains
et d’organisation pour le volume 1, des aspects de gestion des paramùtres du
produit durant le déroulement du projet pour le volume 2, et des méthodes
spĂ©cifiques d’évaluation et d’aide Ă  la dĂ©cision appliquĂ©es Ă  la conception de
produits pour le volume 3. Leurs titres :
– volume 1 : Management des hommes, des projets et des informations ;
– volume 2 : SpĂ©cifications, dĂ©ploiement et maĂźtrise des performances ;
– volume 3 : IngĂ©nierie de l’évaluation et de la dĂ©cision.

Cette série de trois volumes est le fruit du travail collaboratif de 49 co-auteurs


(dont 45 enseignants-chercheurs - professeurs des universités, maßtres de
conférences et post-doctorants) appartenant à 22 universités et écoles
d’ingĂ©nieurs (dont une universitĂ© amĂ©ricaine), et 4 partenaires autres (grande
entreprise, agence de l’état et cabinets conseils).

Ce travail n’aurait jamais vu le jour sans l’impulsion dĂ©cisive et le


support financier du groupement national d’enseignement et de recherche
AIP-PRIMECA1. Une Ă©tape dĂ©cisive de ce projet a Ă©tĂ© l’UniversitĂ© d’étĂ©
organisĂ©e en septembre 2006 sur le campus de l’Ecole Centrale Paris, sur le
thÚme « Evaluation et décision dans le processus de conception ». Le groupe
de recherche (GDR) en automatique du CNRS intitulé MACS (modélisation,
analyse et conduite des systÚmes dynamiques)2 a également été un lieu de
dĂ©bats et d’échanges scientifiques Ă  la base de la constitution de la
communautĂ© des co-auteurs. Qu’ils en soient remerciĂ©s.

Bernard YANNOU

1. http://www.aip-primeca.net/
2. Il s’agit des groupes de travail IS3C (ingĂ©nierie des systĂšmes de conception et conduite du
cycle de vie produit) et C2EI (modélisation et pilotage des systÚmes de connaissances et de
compétences dans les entreprises industrielles).
INTRODUCTION AU VOLUME 1

Management des hommes,


des projets et des informations

Dans le monde professionnel du XXIe siĂšcle, les schĂ©mas d’organisation


sont amenés à évoluer, en substituant à la compétition individuelle un travail
collaboratif mieux Ă  mĂȘme de dĂ©velopper de nouvelles formes
d’intelligence, tant il est vrai que l’innovation n’est plus le fait d’un individu
isolĂ© mais d’un travail pluridisciplinaire menĂ© avec mĂ©thode.

Cet ouvrage replace l’homme au cƓur du processus de conception de


produit, en s’intĂ©ressant successivement Ă  la question de l’individu et du
groupe dans le processus décisionnel en conception, puis aux méthodes de
management des projets de conception, et, enfin, en Ă©tudiant l’apport des
systĂšmes d’information en tant qu’outils d’aide Ă  la dĂ©cision.

La premiùre partie, l’individu et le groupe, rappelle tout d’abord


l’importance de la conception innovante pour l’entreprise dans un contexte
de mondialisation et de saturation des marchĂ©s. Les auteurs s’intĂ©ressent
ensuite au rĂŽle du manager dans le dĂ©veloppement de la capacitĂ© d’un
groupe de concepteurs à générer des innovations en phase avec le marché.
DiffĂ©rents stades de maturitĂ© d’un groupe sont prĂ©sentĂ©s, en mettant l’accent
sur les relations entre acteurs ; la capacitĂ© de l’entreprise Ă  innover dĂ©coule
en définitive de la maniÚre dont elle parvient à mobiliser ses collaboratrices
et collaborateurs dans une dynamique collective.
20 La conception industrielle de produits 1

Cette partie se prolonge par l’étude du processus de dĂ©cision dans le


domaine des produits complexes. Les auteurs montrent l’impact de la
concurrence, du comportement des acteurs et du management sur les prises
de dĂ©cision ; ils expliquent comment la formalisation d’objets intermĂ©diaires
contribue à rendre le processus décisionnel plus performant.

La deuxiĂšme partie, le management de projet, s’intĂ©resse au management


de projet de conception de produit. AprÚs avoir dessiné les contours du terme
« projet » et de son cycle de vie, les auteurs dĂ©veloppent, Ă  partir d’une Ă©tude
de cas rĂ©el, la dĂ©marche basĂ©e sur l’analyse de la valeur permettant
d’identifier le pĂ©rimĂštre du projet, les acteurs concernĂ©s, les besoins que le
produit et le projet ont Ă  satisfaire. Ils expliquent comment le projet, soumis
à des perturbations et des opportunités a finalement convergé vers un produit
innovant. Cette partie se poursuit par la présentation de la structuration des
moyens permettant de mener Ă  bien le projet : il s’agit de dĂ©finir la
« référence » en termes de qualité-coût-délai, préalable indispensable à la
réalisation proprement dite. Vient ensuite précisément le pilotage de cette
réalisation ; les auteurs soulignent par de nombreux exemples quelques
erreurs classiques conduisant les projets Ă  l’échec et tentent d’en tirer des
enseignements pour les esquiver. Prenant enfin un peu de recul sur
l’organisation en mode projets des entreprises, diffĂ©rentes approches de
management multi-projets sont développées amenant une réflexion
stratĂ©gique sur la gestion d’un portefeuille de projets, son pilotage et
l’instrumentation à mettre en place.

La troisiĂšme partie, les systĂšmes d’information, prĂ©sente les diffĂ©rents


types de systùmes d’information qui viennent en soutien de la conception de
produits, en s’intĂ©ressant tout particuliĂšrement Ă  leur apport en tant que
support à la décision. Ces systÚmes se sont enrichis ces derniÚres années en
intĂ©grant des niveaux d’abstraction plus Ă©levĂ©s.

Ainsi, certains systĂšmes d’information rĂ©cents apportent une aide efficace


à la capitalisation et la traçabilité des connaissances en conception ; ils
peuvent mĂȘme permettre de reconstituer la connaissance de maniĂšre
automatique. En conclusion, une démarche multi-points de vue des
connaissances en conception est présentée ; elle est appliquée sur un cas
d’étude.
Michel BIGAND et Thierry GIDEL
PREMIÈRE PARTIE

L’individu et le groupe

Partie coordonnée par Jean-Pierre VAUDELIN et Stéphanie MINEL.


CHAPITRE 1

L’homme au cƓur de l’entreprise

De plus en plus, la valeur d’une entreprise ne se lit pas que dans ses
comptes. L’essentiel ne figure pas au bilan. C’est son portefeuille de
marques, c’est la qualitĂ© de ses salariĂ©s, leur connaissance, leur crĂ©ativitĂ©,
leur intelligence émotionnelle, leur capacité à travailler ensemble qui vont
assurer sa pérennité et sa croissance.

Ces indicateurs, aux contours encore assez flous, plus difficiles Ă  mesurer
que la valeur de l’équipement d’une usine ou des murs d’un immeuble, sont
les avantages compĂ©titifs de demain. Passer d’une Ă©conomie industrielle Ă 
une Ă©conomie dite immatĂ©rielle, c’est une autre maniĂšre de travailler, une
autre maniùre de mobiliser l’intelligence collective ; c’est aussi une autre
façon de compter.

DĂšs lors, on peut lĂ©gitimement s’intĂ©resser au capital immatĂ©riel des


entreprises et, en particulier, Ă  la nature des liens qui se tissent entre
l’individu et le collectif. Pendant longtemps, l’économie a ignorĂ© les
phénomÚnes collectifs en privilégiant une approche individuelle en termes
d’agent intervenant dans les relations marchandes.

Cette premiùre partie aborde donc la question de l’individu et du groupe


dans le processus décisionnel en conception. Comment la compétence

Chapitre rédigé par Jean-Pierre VAUDELIN et Olivier DEVISE.


24 La conception industrielle de produits 1

collective est-elle prise en compte théoriquement et empiriquement ? Ne


peut-on pas en dégager quelques caractéristiques ?

L’enjeu est ici d’interroger la façon dont des Ă©quipes cohĂ©sives sont
capables d’innover sur de nouveaux produits, de nouveaux services ou de
nouveaux processus.

C’est le propos commun des deux contributions prĂ©sentĂ©es dans cette


partie qui, aprĂšs avoir situĂ© l’enjeu de la conception innovante pour les
entreprises, explorent la relation entre dynamique créative et dynamique de
groupe.

Olivier Devise, Michel Sonntag et Jean-Pierre Vaudelin introduisent cette


discussion par une rĂ©flexion sur le milieu de la conception. La capacitĂ© d’une
entreprise Ă  rendre son produit utile et Ă  le maintenir utile dans le quotidien
des individus fait la différence. Pour eux, la question est de savoir comment
entraüner une entreprise dans cette aventure de l’innovation. Les auteurs se
centrent plus précisément sur la fonction managériale.

Que sait-on de la mobilisation des individus dans l’action collective ? Les


auteurs se centrent sur les stades de dĂ©veloppement d’un groupe en insistant
sur les aspects de la structuration interne des relations entre les membres et
sur la notion de maturation. Ils précisent la place du leader dans le processus
de prise de dĂ©cision collective et montrent qu’il est possible d’adopter une
approche plus globale et interactionniste qui mise Ă  la fois sur le potentiel
humain et sur la nĂ©cessitĂ© des collaborations. Ils rappellent que l’innovation
se stimule plutît qu’elle ne se gùre et que, dans un monde de nouvelles
technologies en mal d’humain, le recours Ă  l’irrationnel peut ĂȘtre un outil de
management.

Prolongeant cette réflexion, Gwenola Bertoluci, Anthony Delamarre,


StĂ©phanie Minel et Nadine StƓltzlen nous invitent Ă  examiner la façon dont
le degré de concurrence du marché et le mode de management des
organisations industrielles influent sur les processus de conception de
produits et la rationalité des décisions. En particulier, la saturation des
marchés se traduit par une prise en compte croissante des attentes des clients
en conception de produits.

Les auteurs nous proposent un regard sur le processus de décision en


conception de produits complexes. Ils privilĂ©gient la voie de l’interdisciplinaritĂ©
L’homme au coeur de l’entreprise 25

et soulignent le rÎle des représentations intermédiaires dans la décision. Pour


illustrer le comportement des acteurs dans le processus de décision, ils
proposent un jeu participatif de créativité dans lequel un certain nombre
d’outils sont proposĂ©s aux membres du groupe. Ils montrent en particulier
comment la formalisation des objets intermédiaires participe à la
convergence des Ă©changes et mettent l’accent sur l’optimisation du processus
décisionnel.

La mise en place et l’animation d’une sĂ©ance de crĂ©ativitĂ© portant sur la


reconception de meubles de bureau permet d’entrevoir les stratĂ©gies des
acteurs.
CHAPITRE 2

Leadership et apprentissage organisationnel


pour un groupe performant et innovant

2.1. Introduction

Nous nous intéresserons au milieu de la conception en interrogeant les


dimensions d’une crĂ©ativitĂ© en mouvement. DĂšs que l’on parle de crĂ©ativitĂ©,
l’on songe à l’inventeur, à cet individu capable de trouver des solutions
inédites, de reformuler les problÚmes de façon originale. Mais en entreprise,
cette fonction inventive s’inscrit dans une longue chaüne pour devenir
innovation, c’est-Ă -dire dĂ©boucher sur un produit ou un service pour le
marchĂ©. Cette longue chaĂźne est loin d’ĂȘtre un long chemin tranquille. Elle
relĂšve d’un collectif de travail qui fait systĂšme et qui sait rĂ©sister aux idĂ©es
qui lui semblent trop Ă©trangĂšres. En d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir
une idĂ©e gĂ©niale en entreprise pour garantir l’innovation, il faut compter sur
le collectif de travail, le solliciter, l’animer. C’est pourquoi la conception en
entreprise est, en réalité, un acte collectif.

MĂȘme si certains individus sont plus inventifs que d’autres, le processus


qui fonde l’innovation concerne de nombreuses personnes et des services
complĂ©mentaires : l’innovation se joue dans la relation entre le concepteur et
le collectif. Cette dialectique entre l’individuel et le collectif se dĂ©cline de
multiples façons que l’on retrouve aussi bien dans la relation entre

Chapitre rédigé par Jean-Pierre VAUDELIN, Michel SONNTAG et Olivier DEVISE.


28 La conception industrielle de produits 1

l’entrepreneur dynamique et son entreprise qu’entre le directeur du service


R&D et son équipe ou plus simplement entre le leader et son groupe. La
question pratique reste la mĂȘme : comment favoriser l’esprit inventif et faire
passer une collection d’individus à un collectif innovant ?

Concrùtement, peut-on parler des bonnes pratiques de l’innovation ?


CommunĂ©ment, l’on admet que les entrepreneurs innovants ont un projet
stratégique pour leur entreprise et le proclament haut et fort. Mais tout le
monde ne s’improvise pas visionnaire. Il n’est pas forcĂ©ment nĂ©cessaire
d’avoir Ă  la tĂȘte des entreprises des visionnaires mĂȘme si ceux-ci ont la
capacitĂ© de susciter l’enthousiasme pour leurs idĂ©es parce qu’ils sont
passionnĂ©s. La culture et la structure d’entreprise peuvent favoriser
l’émergence d’idĂ©es nouvelles Ă  la base aussi bien qu’au sommet. Mais pour
que l’innovation s’enracine de maniùre durable dans les pratiques, il importe
de la concentrer sur ce que produit l’entreprise, sur la maniùre dont elle le
produit et sur la maniùre dont ce qu’elle produit vit dans le quotidien des
gens. Il importe Ă©galement d’envisager la crĂ©ation d’équipes cohĂ©sives,
capables d’imaginer des concepts diffĂ©rents et / ou des façons de faire des
affaires qui soient radicalement nouvelles [HAM 00].

Dans les discours scientifiques dominants sur la compétence collective, il


est question d’aspects conatifs et cognitifs de la compĂ©tence collective, c’est-
Ă -dire de sa dimension socio-cognitive [LEB 00 ; SON 06] : savoir et vouloir
collectivement. Comment rĂ©ussir cette dynamique ? Il s’agit pour les
chercheurs d’interroger le « savoir comment s’y prendre pour travailler
ensemble » (facteurs cognitifs) et le « vouloir travailler ensemble » (facteurs
conatifs). Ces deux aspects sont interdépendants et reposent sur des facteurs
multiples comme la culture qui définit les comportements estimés légitimes,
la structure de l’organisation [MIN 82], l’environnement concurrentiel, les
conditions de travail, la fonction managériale. Dans la présente analyse, nous
avons décidé de nous centrer plus précisément sur la fonction managériale,
incarnée par le leadership créatif et innovant.

Il n’y a pas de rĂšgles prescriptive dĂ©finissant un bon leader. En revanche,


des stratégies de leadership ont été définies en sciences de gestion. Et nous
savons qu’elles se cristallisent de façon gĂ©nĂ©rale autour de la confiance
qu’inspire le responsable ou du dĂ©sir des individus d’ĂȘtre reconnus par celui
qui fait figure d’autoritĂ©.
Leadership et apprentissage organisationnel 29

AprĂšs avoir situĂ© l’enjeu de la conception innovante pour les entreprises,


nous explorerons la relation entre la dynamique créative et le leadership dans
les groupes. Dans cette exploration du leadership, nous prenons le parti de
montrer, en adaptant un modùle de la contingence, que l’on peut faire
Ă©voluer un groupe d’individus plus ou moins Ă©trangers les uns aux autres
vers un groupe unitaire, en s’inspirant d’un large Ă©ventail de styles de
commandement.

Nous analyserons aussi les stades de dĂ©veloppement d’une Ă©quipe en


soulignant l’importance de la construction identitaire dans la compĂ©tence
collective d’un groupe.

Nous nous intéresserons à un modÚle de leadership qui interroge la prise


de dĂ©cision individuelle et collective. Nous l’avons complĂ©tĂ© en intĂ©grant
des théories récentes et les évolutions de la société. Nos interventions en
organisation nous ont également permis de recueillir un matériau important
sur les relations sociales dans l’entreprise.

Enfin, nous questionnerons la culture de l’entreprise en nous demandant


comment générer et entretenir en permanence une vitalité créative. Peut-on
galvaniser les imaginations en les provoquant à coups de défis ?

2.2. Le milieu de la conception : un milieu spécifique ?

Lorsque les individus ne sont plus aux aguets et Ă  l’écoute de toutes les
interactions de l’entreprise avec son milieu, ses clients, ses fournisseurs,
leurs entreprises perdent un jour ce sens de l’écoute et de l’attention. Leur
compĂ©titivitĂ© risque rapidement d’ĂȘtre affectĂ©e. Pour une entreprise, ĂȘtre aux
aguets, c’est dĂ©velopper et lĂ©gitimer diverses veilles comme la veille
Ă©conomique, technologique, sociale. C’est aussi savoir traduire ce qu’elle
entend Ă  partir de cette Ă©coute en termes de produit et de service. C’est
savoir concevoir et innover.

2.2.1. Innover pour durer

Les dirigeants peuvent se doter d’un avantage crĂ©ativitĂ© en mobilisant les


ressources intellectuelles de leurs collaborateurs, en stimulant leur
imagination et en organisant des processus adaptés.
30 La conception industrielle de produits 1

De plus en plus, ĂȘtre crĂ©atif, aujourd’hui, c’est trouver un quoi inĂ©dit


[DEB 04a] alors que, pendant longtemps, ĂȘtre crĂ©atif, c’était trouver un
comment original. Des entreprises telles que Google, IKEA, Apple secrĂštent
un particularisme qui transpire par tous leurs actes et qui contribue Ă  leur
diffĂ©rence et Ă  leur succĂšs alors qu’elles vivent dans le mĂȘme environnement
incertain que leurs concurrents.

Nous dĂ©finissons la crĂ©ativitĂ© comme l’art de faire germer des idĂ©es


nouvelles. Elle devient innovation lorsque l’idĂ©e nouvelle est dĂ©veloppĂ©e
jusqu’au stade de la valeur rĂ©alisĂ©e, mise sur le marchĂ©.

La crĂ©ativitĂ© ne s’obtient pas en perfectionnant le connu, mais en


s’aventurant dans l’inconnu. En ce sens, on peut dire que l’amĂ©lioration, qui
porte sur le connu et Ă  laquelle il manque l’acte crĂ©atif qui est excentrique
par essence, est l’ennemi de l’innovation [WIL 06].

Imiter et amĂ©liorer s’inscrivent dans une autre logique plus facile Ă 


appréhender qui peut, certes, contribuer à la productivité en perfectionnant
l’existant, mais qui ne crĂ©e pas les ruptures qui fondent l’avantage
concurrentiel des entreprises novatrices.

L’innovation peut porter sur de nouveaux produits, de nouveaux services


ou de nouveaux processus. Elle redĂ©finit ce que l’entreprise produit et porte
sur le marché. De Bono [DEB 82] précise cette idée en insistant sur la
nĂ©cessitĂ© pour les entreprises de se placer au dessus de la mĂȘlĂ©e, hors
concurrence en développant une façon de faire les affaires unique,
incomparable et difficile Ă  imiter. Ce qu’il appelle la surpĂ©tition par rapport
à la compétition.

L’histoire le prouve : toute entreprise, en se dĂ©veloppant, augmente sa


structure de coûts et élÚve le seuil de sa rentabilité. Pour maintenir ses
marges, elle aura souvent besoin de plus de produits de haut de gamme. En
escaladant la pente du haut de gamme, elle finit par se faire déstabiliser par
une offre bas de gamme. Ainsi, dans le secteur automobile, les voitures
américaines se sont fait détrÎner par les japonaises, qui se laisseront
déstabiliser par les coréennes qui se verront, un jour, destituées par les
chinoises. Ce n’est pas dans le toujours plus que se situe l’innovation, mais
dans le penser autrement.
Leadership et apprentissage organisationnel 31

2.2.2. L’acte excentrique

Dans cette quĂȘte de l’innovation qui assure une prééminence


concurrentielle durable, les entreprises qui arrivent Ă  se placer hors
concurrence sont celles qui, au-delà du produit qu’elles fabriquent ou des
services qu’elles offrent, adoptent une attitude de producteur de services qui
les place au-dessus de la mĂȘlĂ©e. Dans un monde oĂč le consommateur a de
plus en plus de pouvoir et de plus en plus l’envie de l’exercer, il est
important de satisfaire et de capter son attention dans la durée. Et la
satisfaction de ce besoin passe, sans doute, par un questionnement sur la
valeur d’usage de ce qu’une entreprise produit. Ce respect des utilisateurs est
une lame de fond qui bouleverse le monde des affaires.

En donnant dĂšs sa conception la primautĂ© de l’utilitĂ© Ă  l’usage, Google


s’est concentrĂ© sur l’utilisateur. L’entreprise organise l’information du
monde en la rendant universellement accessible et utile. Ses dirigeants,
lorsqu’ils Ă©taient chercheurs Ă  l’universitĂ© de Standford, ont inventĂ©
l’algorithme qui donne un ordre de grandeur aux pages web en fonction de la
frĂ©quence avec laquelle elles sont rĂ©fĂ©rencĂ©es ou liĂ©es Ă  d’autres pages web.
Ce produit a modifiĂ© la donne. Google s’est concentrĂ© sur l’utilisateur et le
reste a suivi. Ce qui a de la valeur aujourd’hui, c’est ce que le client attend
d’un produit Ă  l’usage, depuis son entrĂ©e au point de vente jusqu’à la
poubelle ou la revente. Comme Google a développé de nouvelles
applications qui ont rendu de plus en plus de données accessibles (Google
Earth, Google Video, Google Talk), son potentiel de croissance est devenu
gigantesque. Google est le site le plus visité de la planÚte et la premiÚre régie
publicitaire au monde. De ce fait, il offre aux annonceurs des publicités
toujours plus ciblées et ne tardera sans doute pas à dominer le marché
publicitaire mondial. Hyper-puissant, « l’ogre de Mountain View » rachĂšte
les entreprises Ă  tour de bras, multiplie les services et indexe toujours plus de
contenus [ICH 07]. AccusĂ© d’hĂ©gĂ©monie, le moteur de recherche croule sous
les critiques et les procÚs. Malgré cela, son image de marque reste excellente
auprĂšs du grand public. Car la marque a bĂąti son succĂšs en plaçant l’intĂ©rĂȘt
du consommateur au-dessus de tout, en refusant, par exemple, d’avoir
recours aux banniÚres publicitaires, jugées trop intrusives.

Avec l’iPod, le leader des baladeurs, Apple considùre aussi son client
comme son utilisateur. Il lui offre une valeur d’usage de l’achat à la revente
en passant par l’entretien, les accessoires, le systĂšme de tĂ©lĂ©chargement
musical iTunes, la revente, la possibilitĂ© de l’acheter avec une gravure au
32 La conception industrielle de produits 1

dos pour le personnaliser, la possibilité de créer des programmes musicaux.


L’iPod a fait plus pour attirer l’attention sur Apple que la firme n’en a fait
pour attirer l’attention sur l’iPod. Du coup, Apple s’ouvre aux amateurs de
PC avec l’intĂ©gration d’un processeur Intel.

A contrario, ignorer les goûts du public coûte cher quelle que soit la
qualitĂ© de la marque. Sony reste une belle marque, mais elle n’a pas inventĂ©
l’iPod. Et mĂȘme si le lien Ă©motionnel d’une marque n’a pas disparu, la prime
que consent à payer le public pour se l’offrir est de plus en plus petite, n’en
déplaise aux gens de marketing !

Ce ne sont donc plus les campagnes publicitaires qui déterminent le


succĂšs d’un produit ou d’une entreprise, mais bien la capacitĂ© d’une
entreprise Ă  rendre son produit utile et Ă  le maintenir utile dans le quotidien
des individus. IKEA vend partout les mĂȘmes objets, mais en s’efforçant de
toujours rĂ©pondre Ă  la fonction d’utilitĂ©. L’idĂ©e stratĂ©gique de l’entreprise
fondĂ©e par Ingvar Kamprad est de rendre la beautĂ© accessible et d’envisager
le design mobilier en tenant compte du prix et de la réduction des coûts. Le
fondateur de l’entreprise ne s’est pas contentĂ© de regarder horizontalement
autour de lui : il a regardĂ© ce qui doit ĂȘtre et qui n’existe pas encore. Et
lorsqu’un produit est bon, il creuse sa niche. IKEA parie, depuis plusieurs
années, sur du mobilier pratique, léger, simple et surtout mieux adapté aux
besoins contemporains. Un design assumé qui leur réussit plutÎt bien et qui
malmĂšne les enseignes comme Conforama et But qui proposent plusieurs
styles Ă  la fois, du rustique Ă  l’exotique, sous le mĂȘme toit. Ce design
s’apparente plus Ă  une collection de produits qu’à une attention portĂ©e Ă 
l’utilitĂ© d’usage des objets.

La question est donc de savoir comment entraĂźner une entreprise dans


cette aventure de l’innovation. En nous demandant qui saurait entraüner le
collectif dans l’acceptation du risque que reprĂ©sente la dĂ©marche crĂ©ative,
nous posons, d’une certaine façon, la question du leadership et de la
mobilisation des individus dans l’action collective.

2.3. Choix d’un modùle de leadership pour mener l’innovation

De nombreux auteurs se sont intéressés à la question du leadership et ont


proposĂ© des dĂ©finitions variĂ©es. Nous retiendrons l’idĂ©e basique que le
leadership peut ĂȘtre dĂ©fini comme la capacitĂ© d’influencer d’autres
Leadership et apprentissage organisationnel 33

personnes en vue d’atteindre les objectifs. Et de façon plus prĂ©cise nous


pouvons retenir trois grandes approches : l’approche axĂ©e sur les traits de
personnalitĂ©, l’approche axĂ©e sur les comportements et l’approche axĂ©e sur
la situation.

2.3.1. Evolution des modÚles du leadership : des traits de personnalité à la


prise en compte de la situation

Pour Ă©tudier le leadership, les chercheurs en psychologie se sont d’abord


intéressés, dans la premiÚre moitié du XXe siÚcle aux traits de caractÚre des
dirigeants [BOR 60, MAN 59, STO 48]. Les deux grandes guerres
mondiales vont constituer une période privilégiée pour vérifier les méthodes
dĂ©veloppĂ©es par les psychologues. Celles-ci vont ĂȘtre particuliĂšrement
centrĂ©es sur l’identification des pilotes et des officiers [SCH 76]. Les
caractĂ©ristiques des leaders vont ĂȘtre testĂ©es et Ă©tudiĂ©es par l’observation
directe des comportements dans des situations de groupe.

Elles vont ĂȘtre rĂ©parties dans six grandes catĂ©gories [STO 74] :
– les caractĂ©ristiques physiques : les recherches empiriques n’établissant
pas un lien direct et causal entre celles-ci et le leadership ;
– l’environnement social dont on n’observait aucune relation significative
avec l’efficacitĂ© d’un style de leadership ;
– l’intelligence avec une corrĂ©lation faible entre le rĂŽle du leader et la
capacité intellectuelle de ce dernier ;
– la personnalitĂ© qui devait ĂȘtre prise en considĂ©ration dans toute
approche du phénomÚne de leadership ;
– les caractĂ©ristiques liĂ©es Ă  la tĂąche qui dĂ©montraient clairement la
motivation, le besoin d’accomplissement et le sens de l’initiative et des
responsabilités du leader ;
– les habiletĂ©s sociales et interpersonnelles reconnues par le groupe car
elles tendent Ă  Ă©tablir un climat de confiance, d’harmonie et de cohĂ©sion.

Les chercheurs mettent donc l’accent sur les qualitĂ©s personnelles des
leaders. Et ils attribuent leur réussite à leurs qualifications, à leurs talents et à
leurs caractĂ©ristiques personnelles. L’approche par les traits de caractĂšre
postule, comme facteur déterminant, la personnalité du chef, son charisme.
En arriĂšre pensĂ©e, nous retrouvons ici l’idĂ©ologie du don : on naĂźt chef.
L’autoritĂ© serait naturelle et les leaders ne devraient qu’à eux-mĂȘmes d’avoir
34 La conception industrielle de produits 1

tant d’influence sur les autres. Pour ĂȘtre chef d’un groupe, il faut possĂ©der,
jusqu’à un certain degrĂ© du moins, les caractĂ©ristiques (traits de caractĂšre,
connaissances, expériences) que ce groupe attend. Bien entendu, il est utile
d’ĂȘtre intelligent, confiant, Ă©quilibrĂ©, dynamique et sociable.

Cette approche ne tient pas compte de l’environnement dans lequel les


individus Ă©voluent, ni des processus d’apprentissage et de dĂ©veloppement
personnel. Ainsi, Potter et Fiedler [POT 81] ont démontré que si les relations
comportent beaucoup de stress, l’expĂ©rience acquise du leader devient un
meilleur baromùtre du rendement que l’intelligence. Cette critique va
conduire les chercheurs à mettre l’accent sur les comportements des leaders.

Dans les années 1940, au lieu de chercher à définir les traits de caractÚre
des leaders, les chercheurs Ă©tudient leur comportement, c’est-Ă -dire ce que
les dirigeants font, en réalité, et comment ils le font [CAR 51; LIK 61;
STO 57]. L’aspect le plus important du leadership ne concerne plus les
caractéristiques du leader, mais bien son style et sa façon de réagir dans
diffĂ©rentes situations, c’est-Ă -dire des comportements susceptibles d’ĂȘtre
appris. Ils définissent deux manifestations du leadership : un leadership
orientĂ© vers la tĂąche et un leadership orientĂ© vers l’employĂ©. Les
comportements liĂ©s Ă  la dimension structurelle du leadership visent l’atteinte
exclusive des objectifs. Le leader met l’accent sur la dĂ©finition et la
rĂ©partition des tĂąches Ă  accomplir, sur l’établissement d’un rĂ©seau de
communication formel dans le groupe ainsi que sur l’organisation et la
direction des activités du groupe. Les comportements liés à la dimension de
la considĂ©ration favorisent l’émergence de relations de travail saines,
fondées sur une confiance mutuelle, sur une bonne communication et sur un
respect des idées.

En croisant ces deux dimensions (capacitĂ© d’initiation et considĂ©ration


pour autrui), ils précisent le meilleur style de leader, à travers un certain
nombre de typologies de leadership [BLA 64; MIS 89] qui sont autant de
comportements de référence. On parlera de gestion (ou style) autocratique,
de gestion paternaliste, de gestion anémique, de gestion démocratique ou de
gestion de type intermédiaire.

Mais ces deux dimensions du leadership ne permettent pas, Ă  elles seules,


de prĂ©juger de la satisfaction et de l’efficacitĂ© des membres d’un groupe car
d’autres Ă©lĂ©ments entrent en ligne de compte : les attitudes, les attentes des
participants, leurs normes et leurs valeurs, les caractéristiques particuliÚres
Leadership et apprentissage organisationnel 35

d’une tĂąche ou d’une situation, les caractĂ©ristiques du groupe ou de


l’organisation et sa structure de pouvoir. Petit à petit, les chercheurs se
concentrent sur le rÎle du contexte et prennent en considération des facteurs
qui, environnant et structurant la relation de leadership, ont des effets sur son
efficacité. Dans les années 1970, les théoriciens de la contingence en matiÚre
de leadership cherchent à découvrir les variables qui permettent à certaines
caractéristiques et certains comportements de dirigeants de se révéler
efficaces dans une situation donnée [DUA 99, DUR 70, FIE 67, HER 77,
HOU 81, VRO 73].

2.3.2. La prise en compte de la situation

Intéressons-nous à présent au modÚle de la contingence et aux principales


variables qui affectent le comportement d’un leader.

Figure 2.1. Principe des modĂšles de la contingence

Par contingence, l’on dĂ©signe :


– les caractĂ©ristiques personnelles du leader : sa personnalitĂ©, ses besoins
et ses motivations, ses expériences passées ;
– les caractĂ©ristiques personnelles des subordonnĂ©s : leur personnalitĂ©, leurs
besoins et leurs motivations, leurs expĂ©riences passĂ©es, leur degrĂ© d’expertise ;
– les caractĂ©ristiques du groupe : son stade de dĂ©veloppement, sa structure, la
nature de la tùche à effectuer, les normes formelles et informelles données par le
groupe, ses critÚres de légitimité ;
– les caractĂ©ristiques de la structure organisationnelle : les sources de pouvoir
du leader, les rĂšgles et les procĂ©dures Ă©tablies par l’organisation,
le niveau d’apprentissage organisationnel, le temps allouĂ© pour effectuer une
tùche ou pour prendre une décision.
36 La conception industrielle de produits 1

2.4. Le stade de développement du groupe

Un groupe, rassemblement de personnes autour d’un projet, d’une raison


d’ĂȘtre, a une vie. C’est-Ă -dire qu’il naĂźt, croĂźt et peut mourir. Conduire un
groupe, c’est donc, d’une part rassembler les donnĂ©es multiples qui
dĂ©terminent sa dynamique pendant la durĂ©e de vie liĂ©e Ă  sa raison d’ĂȘtre et,
d’autre part, tenir compte du dĂ©roulement probable des opĂ©rations.

Certains facteurs non nĂ©gligeables influent sur l’évolution du groupe de


façon significative :
– les caractĂ©ristiques personnelles de chaque membre du groupe,
– l’existence d’intĂ©rĂȘts et de buts communs,
– l’influence mutuelle des membres,
– la frĂ©quence Ă©levĂ©e d’occasions d’interagir.

Plusieurs études [OBE 83, TUC 65, TUC 77] ont démontré que la
majorité des groupes évoluent fréquemment selon quatre phases :
– l’orientation : les membres du groupe recherchent des affinitĂ©s
possibles avec leurs collĂšgues ;
– le conflit : les membres dĂ©fendent et confrontent leurs idĂ©es et leurs
opinions avec celles des autres membres ;
– la cohĂ©sion : les membres comprennent et respectent davantage les
rÎles et les responsabilités de chacun ;
– l’évaluation et le contrĂŽle : un climat de confiance et d’acceptation
s’installe.

Le passage d’une phase Ă  l’autre reflĂšte le degrĂ© de maturitĂ© d’un groupe.


Il est à noter qu’il est possible que le groupe soit dissout à l’une ou l’autre
des Ă©tapes de dĂ©veloppement. MĂȘme si ce parcours reprĂ©sente une Ă©volution
du genre « idéal type », il ne demeure pas moins une référence intéressante
pour déterminer le type de leadership le plus efficace pour mener le groupe
vers l’accomplissement de ses objectifs.

Nous nous centrons donc sur les stades de dĂ©veloppement d’un groupe
que nous dĂ©signerons aussi par le terme « Ă©quipe », parce qu’elle reprĂ©sente
l’une des modalitĂ©s des groupes en entreprise que l’on retrouve sous des
expressions comme « Ă©quipe projet », ou « travail d’équipe » ou plus
prosaĂŻquement dans « chef d’équipe ». Nous insisterons sur les aspects de la
Leadership et apprentissage organisationnel 37

structuration interne des relations entre les membres et sur la notion de


« maturation ». En référence aux précédents travaux, nous pouvons ainsi
distinguer quatre stades. Le passage d’un stade à l’autre correspond, dans
cette conception, Ă  un progrĂšs de la maturation du groupe.

Figure 2.2. Les stades de dĂ©veloppement d’un groupe

2.4.1. L’équipe nominale

Ce qui caractĂ©rise le premier stade, c’est la collection d’individus. Les


individus se connaissent mal, leurs relations sont empreintes de la plus
grande prudence et ils ne s’engagent que sur la pointe des pieds dans
l’incertitude des rĂ©actions provoquĂ©es. Les membres sont dans une phase oĂč
ils se constituent en se centrant sur leur identité et sur leurs fonctionnements
individuels. Ils sont centrés sur le maintien de leur territoire et sur la
valorisation de leur propre mĂ©tier individuel Ă  l’intĂ©rieur de l’équipe. On a
affaire Ă  un agglomĂ©rat d’individus. Chacun est prĂ©occupĂ© par le fait de
trouver son identitĂ©, de garantir sa marge de manƓuvre et de se protĂ©ger,
38 La conception industrielle de produits 1

plus qu’à communiquer et Ă  Ă©changer. A ce stade, le nouveau membre


ressent une certaine dĂ©pendance envers ses collĂšgues ainsi qu’envers les
rĂšglements appliquĂ©s dans le milieu du travail. Il tente d’éviter le conflit et
garde ses opinions et ses croyances pour lui-mĂȘme.

La prĂ©sence d’autrui, sous ses diffĂ©rentes formes, dĂ©favorise


l’apprentissage ou la performance à des tñches complexes : effet d’inhibition
sociale [ZAJ 66]. Les valeurs sont des valeurs techniques. Le développement
managérial est centré sur les compétences avec une insistance sur les
contenus. La collaboration qui fonde la compĂ©tence collective n’existe pas.
On a plutĂŽt affaire Ă  une juxtaposition de productions individuelles. Dans ce
temps oĂč le groupe n’est pas encore constituĂ©, on peut dire que rĂšgne
l’impuissance. SĂ©parĂ©s des autres, condamnĂ©s Ă  la solitude, les membres du
collectif sont impuissants Ă  atteindre leur but.

Le danger de cette Ă©tape, c’est la fermeture de chacun par rapport aux


fonctions de l’autre. Bien que cette Ă©tape soit normale, il va falloir, pour en
sortir, crĂ©er les conditions minima d’une confiance entre le responsable
(leader, chef de groupe, entrepreneur, etc.) et ses collaborateurs et pour les
collaborateurs entre eux. Il va falloir construire une identité collective,
légitimer les interactions, instaurer une confiance suffisante pour dépasser
les méfiances individuelles, responsabiliser les acteurs en précisant les
objectifs et les valeurs.

2.4.2. L’équipe fusionnelle

Lorsque les identitĂ©s et l’énergie de chacun des collaborateurs sont


modifiĂ©es, lorsque la frontiĂšre qui dĂ©finit l’appartenance Ă  l’équipe devient
claire, on passe Ă  un deuxiĂšme stade. Le moral du groupe devient une
nécessité vitale ou, moins consciemment, les impératifs affectifs
apparaissent prioritaires. On fuit toutes les mesures qui risqueraient de
troubler l’harmonie du groupe et de rendre insatisfait un de ses membres. On
évite les ordres stricts, les contrÎles tatillons, un pouvoir trop affirmé. On
évite également tout changement qui entraßnerait de graves conséquences sur
la composition du groupe : apport de sang nouveau ou renvoi d’élĂ©ments
anciens.

L’énergie est beaucoup plus centrĂ©e sur l’écoute rĂ©ciproque. Les aspects
positifs de cette étape résident dans le fait que les membres du groupe se
Leadership et apprentissage organisationnel 39

développent dans une relation de solidarité : les individus se sentent


responsables et porteurs des décisions prises par le groupe. Le groupe est en
fusion : il n’y a pas de problùme de pouvoir entre les membres du groupe. Il
n’y a pas de chef car le chef est n’importe qui et personne [LAP 65]. Les
membres ont pris conscience que le groupe est le moyen commun de
rĂ©alisation, la possibilitĂ© de multiplier leurs forces et donc d’accĂ©der Ă  un
véritable pouvoir.

Les dangers de cette solidaritĂ©, c’est que, lorsque celle-ci devient


oppressive, les membres du groupe perdent leur parole individuelle [FES 50,
GER 53, HOF 65, JAN 72, MOS 92, PAR 92, WOL 79]. Un individu ou une
minoritĂ© peut ĂȘtre opprimĂ© par le groupe. Le consensus apparent risque de ne
pas tenir compte de la spécificité réelle de chacun. Lorsque cette solidarité
devient excessive, le groupe peut se fermer sur lui-mĂȘme. Il peut perdre tout
contact avec la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure au nom mĂȘme de cette solidaritĂ©. On devine
que dans ce cas, toute l’énergie consacrĂ©e Ă  la cohĂ©sion est soustraite Ă  la
progression. Pour avoir tout misé sur la cohésion et la dimension affective,
c’est la production qui peut ĂȘtre compromise. Et, faute de progression, les
buts spécifiques des individus ne sont pas atteints. La stagnation à laquelle
on se condamne compromet les satisfactions attendues. Le groupe est
sympathique, mais inefficace. Miné par cette tension, le groupe fusion
évolue souvent vers le conflit qui libÚre les énergies.

2.4.3. L’équipe conflictuelle

Les membres commencent Ă  se constituer en corps collectif. Le conflit


éveille la conscience de la différence et permet de déboucher sur la
collaboration entre individus conscients de leurs complémentarités et de
leurs divergences. Les individus ont déjà intégré leur compétence technique
et leur capacitĂ© Ă  s’écouter mutuellement. Ils sont centrĂ©s sur la recherche de
compromis. L’implication est croissante. Paradoxalement, dans un groupe
conflictuel, les membres peuvent éprouver de la satisfaction par rapport à
leur travail [EXL 57] et par rapport à l’ambiance de travail [ARG 57]. A ce
stade, les membres du groupe ne tiennent plus en réserve leurs opinions et
leurs idées. Ils les défendent et mesurent leur valeur respective. Une certaine
lutte pour le leadership peut s’engager. S’il n’y a pas de leader formel, la
lutte s’engagera entre ceux qui ont le potentiel de le devenir.
40 La conception industrielle de produits 1

Pour que le groupe puisse atteindre le niveau 4, il faut que chaque


membre du groupe puisse intĂ©grer dans son identitĂ© la spĂ©cificitĂ© de l’autre.
Mais en plus, chacun doit ĂȘtre capable de situer sa propre fonction en
cohérence à une vision globale suffisamment partagée.

2.4.4. L’équipe unitaire

Dans le groupe unitaire, les valeurs de l’équipe se situent au-delĂ  des


techniques et du sentiment fusionnel. Elles sont centrées sur la cohérence par
rapport au sens. Les membres du groupe sont centrés sur la tùche dans un
climat de coopération. Petit à petit, ils ont accepté les questions relatives aux
relations interpersonnelles, Ă  la division des tĂąches et au partage des
responsabilités. Le groupe peut concentrer alors son énergie à effectuer les
tùches. A ce stade, le groupe a atteint une certaine forme de maturité.

Le groupe est devenu suffisamment adulte pour ne plus avoir besoin


d’ĂȘtre dirigĂ© mais pour ĂȘtre capable de se conduire tout seul. Chacun est
capable d’affronter ses propres contradictions et de les rĂ©guler.
L’accomplissement de la gestion du groupe serait de pouvoir finalement
dĂ©boucher sur l’autogestion. Le chef doit gĂ©rer le paradoxe d’apprendre Ă  ses
collaborateurs à se débrouiller tout seul. La compétence collective est réelle.

Dans un groupe unitaire, les membres ont plus d’estime d’eux-mĂȘmes


[JUL 66] et ils cherchent à convaincre d’autres personnes de les rejoindre
[CAR 88]. On sait aussi que le haut niveau de communication et
d’homogĂ©nĂ©itĂ© dans le groupe unitaire [LOT 61] facilite la participation et la
rĂ©partition des efforts. C’est pourquoi, la cohĂ©sion du groupe est considĂ©rĂ©e
comme l’un des stimulants qui permettent d’augmenter la performance
[SHE 93].

2.5. Application à la prise de décision collective

Aujourd’hui, on considĂšre la prise de dĂ©cision comme un processus


dynamique, par opposition Ă  la vision statique traditionnelle. Dans la
premiÚre moitié du XXe siÚcle, le dirigeant charismatique éclaire son
leadership grùce à son jugement, à son expérience et à son intuition
[BER 89].
Leadership et apprentissage organisationnel 41

Avec la complexitĂ©, l’augmentation des interactions et des


interdépendances entre les membres des équipes projet et la conception
d’outils et de techniques qui facilitent le travail collaboratif et les Ă©changes
d’informations, la prise de dĂ©cisions devient plus collective.

Le leader doit adopter une approche plus globale et interactionniste qui


doit miser à la fois sur le potentiel humain et sur la nécessité des
collaborations. Précisons cette place du leader qui contribue à assurer la
performance d’un collectif de travail.

2.5.1. Le modĂšle de Tannenbaum et Schmidt

La référence qui nous sert de guide est le modÚle de Tannenbaum et


Schmidt [TAN 73] qui suggĂšre que l’efficacitĂ© d’un groupe de travailleurs
dépend de la situation et des caractéristiques du leader.

La figure 2.3 présente la gamme des styles de leadership. Pour chacun


d’eux, l’étendue de l’autoritĂ© du supĂ©rieur et la libertĂ© d’action des
subordonnés sont indiquées. A gauche, le supérieur garde un contrÎle total :
on a affaire à un style de management autocratique. A droite, le supérieur
délÚgue beaucoup : le style de gestion est démocratique.

Ce modĂšle essaye de reprĂ©senter l’interaction entre la libertĂ© d’action des


subordonnĂ©s et l’autoritĂ© du responsable en fonction du style de leadership.

De la décision solitaire à celle du groupe, sept styles de leadership


illustrent les diffĂ©rents degrĂ©s d’engagement des collaborateurs.

Figure 2.3. Le modĂšle de Tannenbaum et Schmidt


42 La conception industrielle de produits 1

Voyons maintenant ces styles en détail :


1) le manager prend les décisions et les annonce à ses subordonnés ; le
manager est autocratique. Dans ce cas, le dirigeant identifie le problĂšme et
les diffĂ©rentes possibilitĂ©s. Il en choisit une et l’indique Ă  ses subordonnĂ©s
pour qu’ils l’exĂ©cutent. La lecture de la situation est limitĂ©e Ă  la perception
et Ă  l’interprĂ©tation d’un seul individu et soumise Ă  ses biais. Mais la
décision individuelle se prend rapidement. Elle est moins coûteuse ;
2) le manager vend ses décisions. Le manager prend la responsabilité
d’identifier le problùme et de le trancher. Cependant, au lieu d’annoncer sa
dĂ©cision, il essaie de convaincre ses subordonnĂ©s de l’accepter ;
3) le manager prĂ©sente ses idĂ©es et demande l’avis de ses subordonnĂ©s.
Le manager a déjà pris sa décision, mais il expose plus en détail ses raisons
et ses intentions. Il laisse ses subordonnés poser des questions qui leur
permettront de mieux comprendre ce que leur chef essaie de faire ;
4) il permet aux subordonnĂ©s d’exercer une certaine influence dans la
prise de dĂ©cision : le manager prĂ©sente une dĂ©cision conditionnelle qu’il se
dĂ©clare prĂȘt Ă  changer. Le chef garde l’initiative de l’identification du
problÚme et de son diagnostic. Il a déjà analysé le problÚme et pris une décision.
Toutefois, avant de la rendre dĂ©finitive, il la prĂ©sente Ă  ceux qu’elle affecte ;
5) le manager présente le problÚme à résoudre et consulte les
subordonnés avant de prendre une décision. Ici, les subordonnés ont
l’occasion d’explorer les possibilitĂ©s offertes et les diverses solutions. Le
rĂŽle du manager est d’identifier le problĂšme ; celui du groupe est d’élargir
l’ensemble des possibilitĂ©s offertes au chef pour rĂ©soudre le problĂšme ;
6) le manager définit le problÚme à résoudre, délimite les contraintes à
respecter et laisse le groupe prendre une décision en tenant compte des
contraintes imposées. Le chef donne au groupe le droit de prendre des
dĂ©cisions. Il peut se considĂ©rer, lui-mĂȘme, simplement comme un membre
du groupe. Le manager a, toutefois, défini le problÚme au préalable et fixé
un certain nombre de contraintes Ă  respecter ;
7) le manager laisse le groupe libre de choisir pourvu que certaines
contraintes soient respectées : il applique un leadership démocratique-
participatif. Une telle libertĂ© d’action pour un groupe est trĂšs rare dans une
organisation. Les exemples les plus fréquents proviennent des organisations
de recherche. Dans ce cas, une Ă©quipe d’ingĂ©nieurs identifie le problĂšme et
les diverses possibilitĂ©s de le rĂ©soudre. L’équipe choisit ensuite une de ces
possibilités comme solution. La seule servitude est le respect des contraintes
établies à un niveau supérieur. Puisque les personnes sont engagées dans la
Leadership et apprentissage organisationnel 43

prise de dĂ©cisions, l’adhĂ©sion sera plus facile lors de l’application des


décisions. La décision de groupe provoque un effet de synergie et permet
d’engendrer des solutions plus crĂ©atives.

2.5.2. De nouvelles forces à considérer

Théoriquement le manager devrait considérer un certain nombre de


facteurs avant de fixer son choix sur un style de leadership. Tannenbaum et
Schmidt ont relevé trois groupes de facteurs (forces propres au leader, forces
propres aux subordonnés, forces propres à la situation) que nous nous
proposons de complĂ©ter Ă  la lumiĂšre de thĂ©ories rĂ©centes et de l’évolution de
la société.

2.5.2.1. Les forces propres au leader


Tannenbaum et Schmidt soulignent l’importance, pour le leader, de
prendre en compte ses connaissances, son expérience, le degré de confiance
qu’il accorde Ă  ses subordonnĂ©s, sa prĂ©fĂ©rence pour un style donnĂ©, son
systĂšme de valeurs.

La personnalitĂ© du leader, son expĂ©rience de mĂȘme que sa philosophie


de gestion ne peuvent qu’influencer le mode de prise de dĂ©cisions. Selon
que le leader est autocrate ou démocrate, son approche sera différente.
L’expĂ©rience acquise intervient aussi de façon importante. Un gestionnaire,
ayant accumulé plusieurs succÚs sera plus confiant, plus ouvert et plus apte à
prendre des risques que s’il est inexpĂ©rimentĂ© ou qu’il vient d’essuyer un
échec cuisant. Le tempérament et les ambitions pÚseront également dans la
balance.

En fait, les managers coordonnent aujourd’hui plus qu’ils ne dirigent. Ils


doivent chercher un nouveau ton, de nouvelles formules, de nouvelles
pratiques de management pour trouver un équilibre entre les objectifs
Ă©conomiques et le seuil d’acceptabilitĂ© de chacun. S’ils veulent Ă©viter d’ĂȘtre
taxĂ©s d’autoritarisme ou d’ĂȘtre accusĂ©s de harcĂšlement, ils doivent modifier
leurs pratiques. Mais si les salariĂ©s refusent l’autoritĂ© tyrannique, ils ont
cependant besoin de hiérarchiques, capables de proposer une vision
[PAU 96].

Dans cette perspective, les chercheurs se sont intéressés à la personnalité


du leader. Ils décortiquent les fondements de base de la personnalité du
44 La conception industrielle de produits 1

leader et cherchent à comprendre l’influence que celle-ci peut avoir sur la


vie organisationnelle. Ils montrent, en particulier, que l’on a tendance à
accorder trop d’importance aux Ă©lĂ©ments rationnels qui influencent l’action.
Le meilleur des leaders est influencé par des motifs peu logiques et peu
rationnels.

Les leaders narcissiques, par exemple, éprouvent la nécessité


d’impressionner les autres et d’attirer leur attention. A cette fin, ils exagùrent
souvent leurs exploits et leurs talents et affichent des émotions excessives.
Dans une culture d’entreprise narcissique, tout le monde se repose sur le
jugement inspirĂ© du patron. Il existe trĂšs peu d’analyse de la part des
employés ou chez les cadres moyens. La communication interne, elle aussi,
se trouve souvent réduite, parce que la domination exercée par le leader ne
permet pas à l’information de circuler de bas en haut.

Les leaders méfiants et qui se sentent persécutés peuvent adopter une


attitude d’hostilitĂ© envers leurs subordonnĂ©s par rĂ©action de dĂ©fense. Ils
crĂ©ent une culture d’entreprise qui reflĂšte leurs propres sentiments de
défiance et de suspicion. La culture paranoïaque devient contagieuse et
influence les prises de dĂ©cision. L’institutionnalisation de la mĂ©fiance
conduit à penser par stéréotypes. Les leaders ne sont donc plus capables de
percevoir les nuances et les subtilitĂ©s. Harold Geneen, lorsqu’il dirigeait jadis
ITT, en était un exemple. Ses salariés avaient coutume de dire : « travaillez
chez ITT, c’est comme ĂȘtre bouclĂ© Ă  double tour dans une piĂšce avec une
télévision en circuit fermé et un clou enfoncé dans le postérieur ».

Les leaders compulsifs s’attachent Ă  des dĂ©tails mineurs, aux rĂšgles et aux
rĂšglements. Leur perfectionnisme les empĂȘche d’avoir une vue d’ensemble.
Ils crĂ©ent une culture bureaucratique dans laquelle chaque dĂ©cision va ĂȘtre
prise dans un climat de suspicion et de manipulations voilĂ©es. L’attitude
anxieuse et menaçante du dirigeant freine chez ses collaborateurs
l’enthousiasme, l’initiative et le dĂ©sir de s’impliquer. Kenneth Olson le
patron de DEC a conduit son entreprise à la ruine en s’accrochant à une
conception dĂ©passĂ©e de l’utilitĂ© de l’ordinateur personnel.

On comprend mieux que, dans cette optique, c’est une erreur de chercher
les causes des conflits exclusivement dans les pressions extérieures au
groupe ou à l’entreprise. La principale source de dilemmes auxquels le
leader doit faire face se situe en lui, dans ses propres conflits intérieurs.
Leadership et apprentissage organisationnel 45

Les cadres, incapables de maßtriser leurs conflits intérieurs de telle façon


que leurs actions soient ancrées dans la réalité et non pas assujetties à des
sentiments confus, ne peuvent pas s’occuper intelligemment de dĂ©cisions
Ă©pineuses et des inĂ©vitables conflits d’intĂ©rĂȘts qu’on trouve dans les
entreprises.

Dans un monde du travail qui est essentiellement un monde de


compĂ©tition, un leader, qui a de la difficultĂ© Ă  s’adapter Ă  un milieu
compétitif, sera relativement inefficace. On notera aussi que deux types de
peurs peuvent affecter les leaders : la peur de l’échec et la peur du succĂšs.
Au lieu de risquer d’échouer, la personne va se rĂ©fugier dans la rĂ©signation
et la fatigue qu’elle finira par communiquer à ses proches. A l’inverse, le
succÚs peut apporter avec lui des sentiments de culpabilité et des désirs
brĂ»lants de dĂ©faire ou d’inverser le comportement qui a conduit au succĂšs.
Une forme importante de cette façon de défaire consiste à lutter avec
acharnement pour atteindre un but, mais juste au moment oĂč on pourrait
l’atteindre, on se dĂ©truit soi-mĂȘme.

2.5.2.2. Les forces propres aux subordonnés


Tannenbaum et Schmidt montrent que dans un groupe qui a atteint son
degrĂ© de maturitĂ©, les individus affichent leur dĂ©sir d’indĂ©pendance, leur
volontĂ© d’assumer des responsabilitĂ©s et de participer au processus de
dĂ©cision, leur degrĂ© de tolĂ©rance face Ă  l’ambiguĂŻtĂ©, leur niveau de
compréhension des objectifs organisationnels et leurs attentes face à la
participation.

Un leader ne devrait jamais tenter de déléguer une partie de son pouvoir à


des collaborateurs qui ne possÚdent pas les compétences requises ou qui ont
peur de la décision. La délégation du pouvoir ne fonctionne que lorsque les
collaborateurs connaissent à la fois le cadre global dans lequel les décisions
sont prises et les détails de chaque question en particulier. Ce qui suppose
une rĂ©elle transparence de la part de l’entreprise qui doit bannir tout secret et
permettre que l’information circule librement jusqu’à ceux qui sont chargĂ©s
de prendre les décisions.

Au cours de ces derniĂšres annĂ©es, l’image des entreprises (et plus


particuliĂšrement les grandes) s’est considĂ©rablement dĂ©gradĂ©e. Les
dirigeants et les dirigĂ©s ne parlent plus le mĂȘme langage et ils ont cessĂ© de
partager les mĂȘmes valeurs [ALB 06]. Pour les salariĂ©s, l’entreprise n’est
46 La conception industrielle de produits 1

plus sacrĂ©e comme elle l’était pour leurs parents. L’entreprise est confrontĂ©e
Ă  des collaborateurs plus autonomes, plus individualistes, plus distants et
investis sous certaines conditions [LAN 06]. Les salariĂ©s veulent ĂȘtre
considérés dans leur individualité, comme des professionnels et non plus
comme des contributeurs anonymes. Ils s’inscrivent de moins en moins dans
une relation de travail collective. Ils attendent une gestion individualisée de
qui ils sont et non seulement de ce qu’ils font. Les liens traditionnels qui
donnaient sens Ă  l’action menĂ©e en commun ont laissĂ© place Ă  une sorte de
sauve-qui-peut gĂ©nĂ©ral. Difficile, alors que le tissu social est aujourd’hui
déchiré, de ranimer la conversation générale et de faire en sorte que les
diffĂ©rents acteurs tiennent compte de ce qu’ils sont les uns et les autres afin
d’inventer ensemble un avenir qui leur soit commun.

On peut considĂ©rer que la structure mĂȘme des organisations a Ă©voluĂ©. Les


organisations sont plus hybrides que jamais parce qu’elles ont dĂ©veloppĂ© de
nouvelles formes de partenariat qui rendent plus confus et plus diffus le
sentiment d’appartenance des salariĂ©s aux entreprises. L’entreprise
aujourd’hui est trop changeante pour offrir ce sentiment d’appartenance et de
lisibilitĂ© du lien entre le salariĂ© et l’entreprise qui Ă©tait une des clĂ©s du succĂšs
[PFE 98].

C’est dans ce contexte oĂč la notion de collectif rĂ©gresse au profit de


revendication individuelle, que l’on parle le plus de l’importance du
collectif : compétence collective, représentation partagée, interactions
 Il
est de plus en plus demandé aux cadres de faire appel à leurs capacités
émotionnelles pour remplir leur mission : savoir communiquer, savoir gérer
les tensions et les conflits, s’opposer, ĂȘtre capable d’empathie
 A dĂ©faut
d’ĂȘtre une dimension qui va sans dire, le collectif est postulĂ©. On veut
« gĂ©rer » l’émotionnel, « construire » les interactions rationnellement en
pensant pouvoir maĂźtriser conceptuellement et pratiquement les affects qui
traversent les jeux de collaboration entre les salariĂ©s. En d’autres termes, les
salariés sont désormais plus exposés à un nombre de plus en plus important
de contacts et on exige de l’intelligence Ă©motionnelle [DAM 03, GOL 99,
LED 05]. Elle est reconnue comme une compétence indispensable en
matiĂšre de management.
Leadership et apprentissage organisationnel 47

2.5.2.3. Les forces propres Ă  la situation


Tannenbaum et Schmidt font rĂ©fĂ©rence au type d’organisation dans lequel
les individus Ă©voluent, Ă  l’efficacitĂ© du groupe, Ă  la nature des problĂšmes et
au temps alloué à la prise de décision.

Il va de soi que l’ñge et la taille de l’organisation jouent un rîle important


dans le choix du mode de dĂ©cision. Le patron d’une PME est souvent seul Ă 
dĂ©cider dans l’entreprise. Les dĂ©cisions de groupe y sont extrĂȘmement
limitĂ©es Ă  part quelques situations extrĂȘmes oĂč l’entrepreneur consulte les
experts et les conseillers pour prendre certaines orientations. A l’inverse,
dans les grandes entreprises, bon nombre de décisions se prennent en groupe.
Les groupes de travail, munis de méthodes décisionnelles et de techniques
disposent de champs d’intervention clairement dĂ©finis. Leurs membres ont
acquis des habiletĂ©s Ă  travailler ensemble. Le savoir ĂȘtre est devenu un
savoir faire comportemental.

C’est dans ce cadre que l’on peut se demander, par exemple, à quoi
l’animateur d’un groupe de travail doit porter attention. Quels sont les
facteurs qui influencent la décision de groupe et le comportement des
membres :
– la taille du groupe : la taille restreinte d’un groupe favorise les prises de
décision rapides ;
– la distance physique qui sĂ©pare les membres du groupe : la proximitĂ©
des personnes favorise l’augmentation des interactions ;
– la complexitĂ© de la tĂąche : plus une tĂąche est complexe, plus les
probabilitĂ©s d’en arriver Ă  un consensus sont faibles ;
– la composition du groupe : l’homogĂ©nĂ©itĂ© d’un groupe n’est pas
nĂ©cessairement synonyme d’efficacitĂ© ; par contre, l’hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© peut
engendrer des situations conflictuelles qui nuiront Ă  l’épanouissement du
groupe.

La dĂ©cision de groupe requiert du temps. DĂ©cider, c’est Ă©viter de prendre


une dĂ©cision trop rapide, mais ĂȘtre en mesure aussi de couper court lorsque
les circonstances le justifient. C’est aussi s’inspirer du passĂ© pour ne pas
« rĂ©inventer la roue ». C’est ne pas escamoter la dĂ©finition du problĂšme et la
fixation des objectifs. Il arrive qu’en groupe, on sacrifie la qualitĂ© Ă  la
quantitĂ©. Parfois, le choix s’effectue en fonction du nombre de participants
qui y adhĂšrent, et non en regard de la qualitĂ© de la dĂ©cision elle-mĂȘme.
48 La conception industrielle de produits 1

Certains ont parfois tendance Ă  se rallier au conformisme plutĂŽt que par


conviction. Ils privent alors le groupe de l’une de ses forces, soit la multitude
d’opinions et une plus grande quantitĂ© d’informations. Il peut arriver que la
dĂ©cision soit prise Ă  l’intĂ©rieur d’un groupe contrĂŽlĂ© par un seul individu,
peu importe qu’il s’agisse d’un contrĂŽle liĂ© Ă  la menace, Ă  l’autoritĂ©, Ă 
l’expĂ©rience ou au charisme exercĂ© par la personne influente.

La capacité à travailler en groupe, à animer le travail de groupe,


l’importance accordĂ©e au leadership s’imposent de fait pour les cadres. Et
pourtant la grande entreprise apparaĂźt comme un monstre lointain et
anonyme, oĂč les dĂ©cisions se prennent en fonction d’intĂ©rĂȘts Ă©trangers Ă  ceux
des salariĂ©s qu’elle emploie [ALB 91]. L’organisation s’est complexifiĂ©e. Le
poids des contraintes donne parfois le sentiment aux managers d’avoir perdu
toute marge de manƓuvre alors qu’on leur demande de tout « gĂ©rer » dans
une logique officielle de collaboration assumée.

En fait, dans une sociĂ©tĂ© oĂč la culture dominante est informationnelle et


communicationnelle, la qualité de la décision est souvent fonction de la
qualitĂ© de l’information dont on dispose. Il y a un juste Ă©quilibre Ă  atteindre.
Vaut-il rĂ©ellement la peine d’avoir une information parfaite avant de faire un
choix sachant que cette information ne peut ĂȘtre obtenue qu’à trĂšs haut prix ?
Ou vaut-il mieux parfois se contenter d’une dĂ©cision satisfaisante [SIM 60] ?

2.6. La conception : une culture spécifique ?

2.6.1. L’avantage crĂ©ativitĂ© : l’organisation apprenante

Le succùs de leurs produits ou de leurs services, quels qu’ils soient,


dépend de la créativité que les dirigeants savent y intégrer, ou de son
absence. Ce qui distingue une organisation d’une autre, c’est ce qu’il y a
dans le cerveau des plus doués de ses collaborateurs [KAO 98]. Ce qui
implique de savoir recruter des collaborateurs pour entretenir un
environnement qui pétille de créativité et de richesse intellectuelle. Soit les
entreprises apprennent à acquérir et à cultiver des collaborateurs créatifs, soit
elles risquent de disparaĂźtre. C’est une opinion aujourd’hui partagĂ©e.

Les dirigeants d’Apple ont su se doter d’un avantage vital, l’avantage


« créativité », en mobilisant les ressources intellectuelles de leurs
collaborateurs, en stimulant leur imagination et en organisant des processus
Leadership et apprentissage organisationnel 49

adaptés. Ces processus sont spécifiquement conçus pour traduire des idées
nouvelles en produits et services de valeur. Sachant qu’un manager ne peut
exiger la créativité, il lui faut contrÎler sans contrÎler, diriger sans diriger,
doser les ingrédients du cocktail dont il devra combiner les mentalités et les
perspectives au sein des équipes. En somme, il doit savoir créer les
conditions propices à la créativité, donc développer ses propres capacités
crĂ©atives et comprendre autant que faire se peut le processus mĂȘme de la
créativité personnelle et collective.

Faire de la crĂ©ativitĂ© une prioritĂ© absolue fait partie de la vision d’un


dirigeant innovateur et d’une nouvelle approche de la gestion des relations
au sein de l’entreprise.

Quand on analyse la façon dont les meilleures entreprises ont modelé leur
environnement de façon Ă  ce que la crĂ©ativitĂ© puisse s’épanouir, on
s’aperçoit qu’elles ont transformĂ© la mentalitĂ© traditionnelle de la direction
et qu’elles ont créé un nouvel Ă©tat d’esprit propice Ă  faire germer des idĂ©es
nouvelles. Dans ce processus, la technologie d’information prend une place
importante. Elle a accru considĂ©rablement l’espace de la pensĂ©e en facilitant
le flux de l’interaction crĂ©ative. Elle permet de reprĂ©senter, d’organiser et de
dĂ©ployer le savoir. L’entreprise est plus Ă  mĂȘme de mieux connaĂźtre son
environnement et de se positionner. Tout le monde dans l’entreprise jouit
d’un accĂšs sans prĂ©cĂ©dent Ă  l’information et aux idĂ©es. A mesure
qu’augmente le nombre des utilisateurs d’un rĂ©seau, la puissance de la
crĂ©ativitĂ© s’accroĂźt exponentiellement. Les technologies d’information, en
plus de déplacer les frontiÚres, ont également enrichi les processus
d’interaction. Elles permettent ce brassage des cultures, la meilleure source
d’idĂ©es contradictoires, duquel peut jaillir l’idĂ©e nouvelle et la crĂ©ativitĂ©.
Elles ont également augmenté considérablement la mémoire institutionnelle,
et par lĂ  permis aux entreprises de mieux s’appuyer sur le passĂ© pour en tirer
des leçons et pour mieux saisir les opportunités. Elles favorisent, de ce fait,
l’apprentissage organisationnel.

Bien entendu, au-delĂ  des ressources physiques et financiĂšres, ce sont les


ressources purement humaines qui sont au cƓur de cette crĂ©ativitĂ© :
l’imagination, l’inspiration, l’ingĂ©niositĂ© et l’initiative. L’individu crĂ©atif,
c’est celui qui est capable de saisir les Ă©carts qu’on veut combler ou de
comprendre ce qui se passe dans une situation donnée, ce qui crée de la
valeur. Certaines entreprises l’ont fort bien compris en investissant
essentiellement en capacités de connaissances. Des séminaires internes sont
50 La conception industrielle de produits 1

organisĂ©s afin de pratiquer l’art et la discipline de la curiositĂ© intellectuelle et


de fournir aux directions des informations et des idées nouvelles. Et, de plus,
cette ouverture correspond bien aux attentes de bien des salariés qui ont un
appétit insatiable de réalisation personnelle, qui veulent échapper aux
contraintes et à l’ennui d’un environnement bureaucratique et qui exigent,
aujourd’hui, de pouvoir exprimer leur crĂ©ativitĂ© au travail.

On sait que c’est dans le design que les entreprises offrent le plus de
liberté créative. Et le design est un élément déterminant dans la performance
des entreprises parce qu’un bon design assure de bonnes ventes. Le design,
c’est le marketing des sens. Mais les entreprises les plus remarquables ne le
cantonnent pas aux produits et services, mais l’appliquent Ă©galement Ă  leurs
processus et à leur structure. Le client, aujourd’hui, veut tout de suite des
produits et des services innovants. Ce qui nécessite de réinventer sans cesse.
Pour mobiliser les idées et les talents, les « managers innovateurs » doivent
entretenir la flamme de la créativité. Cela suppose de trouver le point
d’équilibre, toujours mobile, quelque part entre les systĂšmes et l’analyse
d’un cĂŽtĂ© et la crĂ©ativitĂ© individuelle ouverte et transgressive de l’autre. Il
s’agit de crĂ©er un climat favorable Ă  l’inspiration, d’apprendre Ă  discerner les
trouvailles et d’assurer leur transfert dans le systùme productif.

Stimuler la créativité, à défaut de savoir la « gérer », suppose de savoir


faire travailler ensemble des personnes préparées à la pensée inventive ou,
mieux, crĂ©ative. Mais de qui parle-t-on ? On peut dire qu’il s’agit de
personnes qui ont commencé par évacuer la représentation du monde figé et
répétitif pour atteindre cette disponibilité mentale qui sait accepter la
lĂ©gitimitĂ© du nouveau et de l’altĂ©ritĂ©, propice Ă  la crĂ©ativitĂ©. On pourrait
ajouter que ces personnes ont appris Ă  faire le vide intellectuellement afin de
chercher des apports nouveaux ; ces personnes sont ouvertes au monde
extérieur pour sentir ce qui est authentiquement nouveau et pour briser la
tendance au nombrilisme, figure inconsciente et violente de la répétition du
mĂȘme [BAR 99, MAC 98a]. Cet Ă©tat d’esprit s’épanouit plus
particuliĂšrement dans les entreprises qualifiĂ©es d’apprenantes.

On a beaucoup Ă©crit Ă  propos de l’organisation apprenante [DUA 99,


HOL 95, JAS 99, KAT 93, MAC 98b, SAP 02]. Les organisations n’apprennent
pas. Ce sont les individus qui les composent qui le font. Une entreprise ne
deviendra apprenante que si ses membres améliorent leur capacité à prendre des
décisions et à agir efficacement [ARG 78] et peuvent transférer leurs propres
apprentissages dans le fonctionnement organisationnel.
Leadership et apprentissage organisationnel 51

C’est en aidant les membres des organisations à changer la maniùre dont


ils raisonnent, en leur facilitant l’apprentissage d’un raisonnement
constructif et non dĂ©fensif que l’on peut rendre une organisation apprenante.
Ses membres doivent ĂȘtre Ă  mĂȘme non seulement de rĂ©soudre des problĂšmes
(apprentissage en simple boucle) en ajoutant des savoir-faire Ă  leur
portefeuille de savoir faire, mais aussi de remettre en cause leurs approches
mĂȘme des problĂšmes. Il s’agit, dans ce cas, d’apprendre Ă  agir efficacement
lorsqu’ils sont confrontĂ©s Ă  des situations embarrassantes, voire menaçantes.
Au lieu de se laisser enfermer dans un raisonnement défensif, ils doivent
accepter de remettre en cause les valeurs directrices qui sont au fondement
de leurs stratĂ©gies d’action. Pour reprendre les concepts utilisĂ©s par Argyris
et Schön, l’apprentissage en double boucle renvoie Ă  cette capacitĂ© de
questionner et, si besoin, de modifier les principes d’action et les valeurs
directrices.

Toute organisation voit apparaßtre des routines défensives qui font


obstacle au changement et à l’apprentissage [ARG 95]. Un certain nombre
de stratĂ©gies, de dĂ©marches et d’outils sont particuliĂšrement utiles pour
mobiliser un apprentissage individuel ou collectif : la formation et
l’émulation du personnel, la documentation, l’expĂ©rimentation, la mise au
dĂ©fi de pratiques courantes, l’utilisation de diffĂ©rentes perspectives, la
rĂ©flexion sur le passĂ©, l’analyse des pratiques, l’émergence de communautĂ©
de pratiques, etc. Mais une entreprise ne peut devenir apprenante que si ses
membres acquiÚrent une vision claire de leur rÎle et de leur responsabilité
causale dans le fonctionnement de l’organisation.

2.6.2. Faire les choses bien ou bien faire les choses ?

Le management a souvent pris l’avantage sur le leadership au nom de la


rentabilitĂ© financiĂšre souvent Ă  court terme. Or, l’innovation se stimule
plutît qu’elle ne se gùre. Si beaucoup d’entreprises et d’industries s’enlisent,
c’est parce qu’elles mĂšnent un combat permanent et coĂ»teux sur le front de
la productivitĂ© et de l’amĂ©lioration. Elles perfectionnent sans relĂąche leurs
offres, leurs prix, leur distribution, leurs achats ou leurs processus internes.
Mais elles sont confrontĂ©es, un jour ou l’autre, Ă  des concurrents habiles Ă 
améliorer ou copier leurs produits ou services à un prix moindre. Tout le
monde finit donc par améliorer son produit.
52 La conception industrielle de produits 1

Mais rares sont ceux qui remettent en question sa production, les


motivations initiales de sa création ainsi que le cadrage initial de ses clients.
Beaucoup d’entreprises renoncent donc à chercher ce qui est et devrait rester
inaltérable et vivace chez elles.

On retrouve cette distinction entre amélioration et innovation sous celle


de management et leadership. Plusieurs articles ont été publiés sur ce sujet
[BAS 03, BEN 97, KOT 90]. Les leaders sont considérés comme des
visionnaires qui pensent « créativement » alors que les managers ne seraient
que des abeilles laborieuses qui ne s’occupent que de faire mieux. Cette
distinction a progressivement entraßné une dévaluation généralisée de la
fonction de management [ISA 06].

En fait, management et leadership devraient se conjuguer. Ce qui


diffĂ©rencie fondamentalement les leaders des managers, c’est la capacitĂ© des
premiers Ă  faire avancer les choses et crĂ©er la diffĂ©rence dans l’entreprise,
voire dans le monde [ZAL 66; ZAL 89]. Les managers se contentent, eux de
mettre en application la vision du leader. Cette fonction est d’importance,
certes, mais « faire bien les choses » n’a pas la mĂȘme portĂ©e que « faire les
choses bien » [BEN 85]. Lorsqu’il s’agit d’innover et de transformer,
l’organisation a besoin de ces deux ensembles de compĂ©tences.

Les leaders efficaces jouent Ă  la fois un rĂŽle charismatique et un rĂŽle


architectural. D’un cĂŽtĂ©, ils s’interrogent sur l’idĂ©ologie fondamentale de
l’entreprise, sur sa croyance essentielle qui la distingue des autres entreprises
et qui conditionne sa rĂ©ussite. Ils donnent des perspectives pour l’avenir, ils
dĂ©lĂšguent leur pouvoir, ils mobilisent leurs collaborateurs. De l’autre, ils
mettent en place des structures et des stratégies qui leur permettent de
s’acquitter d’inscrire cette vision dans la rĂ©alitĂ©. Ils privilĂ©gient les questions
liĂ©es au projet de l’entreprise et aux systĂšmes de rĂ©compense et de contrĂŽle.

Les chefs charismatiques dĂ©veloppent une vision dynamique de l’avenir


de l’entreprise qui perpĂ©tue sa raison d’ĂȘtre. Ils indiquent la direction Ă 
prendre, ils mobilisent autour de l’objectif, ils instituent l’ordre dans le
chaos, ils suscitent la confiance et la foi en leurs compétences de chef. On
sait que pour libĂ©rer l’imagination collective qui fĂ©dĂšre les individus et leur
permet de rĂȘver, le leader doit donner un sens, avoir la vision d’un avenir
meilleur, forger un lien entre lui et ses collaborateurs, bĂątir l’identitĂ© du
groupe.
Leadership et apprentissage organisationnel 53

Dans les entreprises innovantes, on entend souvent des déclarations


visionnaires. Ingmar Kamprad d’IKEA, par exemple, s’était fixĂ© pour
objectif « de fabriquer des meubles abordables pour tous ». Steve Jobs, le
patron d’Apple se proposait « d’accroĂźtre la productivitĂ© du client ».

Ces visions deviennent un leitmotiv gĂ©nĂ©ral qui guide l’entreprise. Ces


cris prophétiques et fédérateurs annoncent une idée stratégique qui va
ensuite ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e en charte, en code, en boussole qui vont ĂȘtre autant
de reflets de leur culture d’entreprise.

Le rayonnement de ces chefs charismatiques efficaces va bien au-delĂ  de


rassembler autour d’eux la majoritĂ© de l’entreprise. En appelant Ă 
l’imagination, leur vision, chargĂ©e d’inspiration, engendre un sentiment de
fiertĂ© parmi les membres de l’entreprise qui les pousse Ă  se dĂ©passer pour
réussir. La délégation de pouvoir ne se résume pas simplement à inviter les
collaborateurs Ă  exprimer leur opinion, mais Ă  les habiliter Ă  prendre les
dĂ©cisions qui s’imposent. A tous les niveaux de la hiĂ©rarchie, les salariĂ©s ont
besoin de participer et de savoir quel rĂŽle ils jouent. Leurs performances
dépendent des exigences formulées au départ [ROS 68].

ConcrĂštement, la motivation des collaborateurs pour obtenir des


rĂ©alisations de qualitĂ© passe Ă  la fois par un management par l’affectivitĂ© et
par l’exemple. Apple est incontestablement l’une des entreprises les plus
créatives et les plus florissantes du paysage économique actuel. Steve Jobs y
stimule sans relùche la créativité en proposant de nouveaux défis, dont il est
lui-mĂȘme le principal avatar. Apple repose, bien entendu, sur le gĂ©nie de
Jobs et de ses concepteurs, mais les managers y jouent eux aussi un rÎle clé.
Ils sont les vecteurs du dynamisme et insufflent l’esprit de dĂ©fi qu’ils
reformulent et renouvellent sans cesse.

2.6.3. L’ùre de la cognition

L’approche cognitive se fonde sur une comprĂ©hension scientifique


naissante de la maniùre dont fonctionne l’esprit grñce à la psychologie, aux
neurosciences, Ă  la linguistique et aux autres disciplines voisines. Si nous
utilisons cette approche c’est que, mĂȘme si nous savons qu’il existe des
limites Ă  l’adaptabilitĂ© humaine, que l’émotion ne se ramĂšne pas au cognitif
et que la rĂ©pĂ©tition et l’inconscient font partie intĂ©grante de la dimension
humaine, le travail sur les connaissances permet de donner corps Ă  nos rĂȘves
54 La conception industrielle de produits 1

et l’ignorance et la mĂ©connaissance fondent bien des tragĂ©dies. En somme,


nous prenons le pari de Pascal d’une rationalitĂ© raisonnable.

Dans un monde de nouvelles technologies en mal d’humain, les leaders des


entreprises, pour encourager le développement de communautés de pratiques
[PRA 02, WEN 02], doivent trouver le juste équilibre entre le technologique et
le social [ROC 01]. Ils possùdent un certain nombre d’outils.

L’intelligence Ă©motionnelle est un premier pas vers la reconnaissance des


sentiments, l’acceptation de leurs expressions et la maütrise de leurs effets.
Les leaders qui influencent les esprits par le biais de leurs efforts créatifs
peuvent fédérer la collaboration et stimuler toute la gamme des intelligences.
Ils peuvent produire du changement dans les relations personnelles et le
comportement de leurs collaborateurs. On notera que les histoires et les
légendes qui parlent des grands entrepreneurs fondateurs sont des outils
puissants pour construire une culture, donner de la cohésion et développer un
comportement positif chez les salariés.

2.6.3.1. Mettre ses Ă©motions au service d’un objectif


Daniel Goleman, chercheur en sciences sociales a donné ses lettres de
noblesse Ă  l’intelligence Ă©motionnelle en la faisant entrer dans l’entreprise.
Les dirigeants d’entreprise s’intĂ©ressent Ă  l’émotion depuis qu’ils savent
qu’elle fait « bouger » les individus.

Mais la pratique quotidienne est souvent d’une autre allure. Il n’est pas
rare d’entendre parler de managers qui menacent leurs collaborateurs de
licenciement s’ils s’écartent du droit chemin ou d’employĂ©s qui sont l’objet
de harcĂšlement moral. Et mĂȘme si les subordonnĂ©s ont la loi pour eux, ils ont
souvent peu de possibilitĂ© d’action en dehors de la soumission. Des
hiĂ©rarchies se crĂ©ent et avec elles, leurs lots d’insultes, de secrets, de
ragots, de mensonges et d’humour blessant. La plupart des gens se rendent
compte de ce qui se passe [DEG 05, DEJ 98, ENR 92]. En conséquence, le
lieu de travail est souvent un champ oĂč il peut y avoir beaucoup
d’analphabĂ©tisation Ă©motionnelle [STE 97]. L’enjeu est simple : renverser
une culture émotionnellement analphabétisée pour en établir une
dépourvue de jeux de pouvoir et qui admette une attention aux émotions.

La connaissance de soi reprĂ©sente la premiĂšre Ă©tape vers l’acquisition de


l’intelligence Ă©motionnelle. A force de passer de nombreuses annĂ©es Ă  se
conformer à l’image que l’entreprise attend d’eux, les cadres ont fini par
Leadership et apprentissage organisationnel 55

brouiller la distinction entre leurs propres sentiments et ceux qu’ils sont


censés exprimer [KET 02]. Avec cette distorsion entre le cognitif et
l’émotionnel, le « faux moi » prend le pas, offrant une caricature du cadre
idĂ©al. Les cadres, qui ne se connaissent pas, s’enferment involontairement
dans des schĂ©mas de comportement dysfonctionnels qui les empĂȘchent
d’interprĂ©ter le monde dans sa rĂ©alitĂ©, de reconnaĂźtre leurs sentiments et de
les utiliser Ă  bon escient.

La deuxiĂšme Ă©tape du dĂ©veloppement de l’intelligence Ă©motionnelle


consiste Ă  apprendre Ă  vivre ses Ă©motions. A partir du moment oĂč les cadres
sont capables d’identifier et de traiter toute la gamme des sentiments qu’ils
Ă©prouvent, ils peuvent apprendre Ă  mettre leurs Ă©motions au service d’un
objectif. Ils ont besoin de les métaboliser de maniÚre constructive au lieu
d’agir selon leurs impulsions. Nous savons que l’humain a besoin
d’exprimer les Ă©motions pour maintenir sa santĂ© psychique. Certaines
personnes savent exprimer ce qu’elles pensent mais pas ce qu’elles
ressentent ; d’autres n’expriment aucune Ă©motion et donnent l’image de
personnes « froides » ; d’autres encore expriment leurs Ă©motions en diffĂ©rĂ© ;
certaines personnes enfin, ont un doute sur ce qu’elles ressentent : les
rapports aux émotions sont multiples.

La phase suivante du dĂ©veloppement de l’intelligence Ă©motionnelle


consiste à savoir reconnaßtre les émotions des autres et savoir se situer par
rapport Ă  elles. Avec la facultĂ© d’empathie, les responsables peuvent
accompagner les émotions des autres et exercer une influence sur leurs
collaborateurs. Cette comprĂ©hension des sentiments d’autrui s’enseigne et
s’acquiert tout à la fois et exige un travail sur soi. C’est à ce niveau que
formation et développement de soi se rejoignent.

Comme dans toute relation interpersonnelle, le rapport du leader Ă  ses


collaborateurs (et inversement) est marqué par le jeu des transferts et contre-
transferts c’est-à-dire des projections inconscientes sur autrui de sentiments
dont le fondement se trouve ailleurs dans l’histoire du sujet. Comprendre
cette situation et cette complémentarité des attitudes, permet parfois de
dĂ©passer des blocages. Donc s’il a la libertĂ© personnelle de dire certaines
choses dans le respect des autres, s’il sait dire les choses avec les « mots
justes », il libérera la parole pour ses collÚgues et ses collaborateurs. Le tout,
c’est qu’il l’exprime sans extorquer quoi que ce soit pour lui-mĂȘme et qu’il
soit loyal et franc. L’affaire est loin d’ĂȘtre simple. Il ne faut pas qu’il soit en
attente de quelque chose pour lui de la part de ses collaborateurs. Il ne faut
56 La conception industrielle de produits 1

pas qu’il attende de la rĂ©assurance ou autre chose. Il faut qu’il puisse


signaler lui-mĂȘme, avec toute la pudeur eu Ă©gard Ă  son rĂŽle et Ă  la culture de
l’entreprise, que par rapport Ă  telle et telle chose, il Ă©prouve telle ou telle
Ă©motion. Le rĂŽle du manager est de donner un espace pour l’expression des
Ă©motions. Nous vivons dans un environnement oĂč la violence et l’agressivitĂ©
circulent. Les salariés des entreprises peuvent souffrir lorsque celles-ci se
dirigent contre eux ou leur entourage. Ils peuvent se sentir sans « arme » et
sans réponse.

2.6.3.2. Parier sur les intelligences multiples de ses collaborateurs


Les travaux du psychologue américain Howard Gardner [GAR 97,
GAR 99, GAR 07] ont rĂ©volutionnĂ© la vision de l’intelligence et de la
crĂ©ativitĂ©. Il est arrivĂ© Ă  une dĂ©finition de l’intelligence et Ă  une liste
provisoire d’intelligences. L’intelligence Ă©tant dĂ©finie comme le potentiel
biopsychologique de traiter des formes d’informations prĂ©cises de diverses
maniĂšres. Les intelligences permettent donc aux ĂȘtres humains de rĂ©soudre
des problÚmes ou de fabriquer des produits. En développant le concept des
intelligences multiples, il avance que l’intelligence est plurifonctionnelle ;
elle fabrique des produits autant qu’elle rĂ©sout des problĂšmes. Il avance
Ă©galement l’idĂ©e selon laquelle l’intelligence ne se dĂ©finit pas sur la base d’a
priori ni par des réussites à des tests, mais plutÎt en fonction de ce qui est
apprécié à une époque historique donnée dans un contexte culturel donné.

Quand il énumÚre les intelligences, il distingue les intelligences de


l’analyse des symboles, les intelligences « non canoniques », les
intelligences personnelles et l’intelligence existentielle.

Les intelligences de l’analyse des symboles (intelligence linguistique et


intelligence logico-mathématique) jouent un rÎle particuliÚrement important
dans l’apprentissage au sein des Ă©coles. Dans le monde des affaires, les
managers dotĂ©s d’intelligence linguistique sont capables d’obtenir des
informations utiles par le biais d’un questionnement habile et de discussions
avec autrui. Ils sont capables de convaincre autrui du bien fondĂ© d’un parti
par le recours Ă  des histoires, des discours ou des exhortations. Quant aux
managers dotĂ©s d’intelligence logico-mathĂ©matique, ils excellent Ă 
dĂ©terminer ce qui s’est produit et ce qui risque de se produire, selon divers
scénarios. Ils ont une parfaite aisance dans le monde des chiffres.
L’intelligence logico-mathĂ©matique d’Alfred Sloan lui a permis de faire de
General Motors, dans les annĂ©es 1920, l’organisation la plus prospĂšre du
Leadership et apprentissage organisationnel 57

monde en la dotant de hiérarchies claires dans ses nombreuses unités de


production. Dans les années 1950, le génie logico-mathématique de
McNamara a permis à Ford de récupérer une grande part du marché
amĂ©ricain de l’automobile en rationalisant et en rĂ©glementant une
organisation massive. Cela dit, comme secrétaire à la défense des présidents
Kennedy et Johnson, McNamara a eu du mal à s’adapter aux problùmes
culturels, historiques et stratégiques trÚs différents qui étaient posés par la
guerre naissante en Indochine.

Les intelligences non canoniques sont les intelligences musicale, spatiale,


kinesthĂ©sique3, naturaliste. L’intelligence musicale joue un rĂŽle de premier
plan dans pratiquement tous les aspects de la communication, qu’il s’agisse
de publicités à la télévision, de films, de conférences. Les managers dotés
d’intelligence musicale ont beaucoup d’oreille. Les personnes dotĂ©es
d’intelligence spatiale sont capables de reconnaĂźtre rapidement des schĂ©mas
et des formes et pensent en images et en reprĂ©sentation. Dans l’entreprise, on
peut identifier les individus dont le métier entretient un rapport direct avec le
monde spatial : les infographistes, les architectes, les designers. Les
personnes dotĂ©es d’intelligence kinesthĂ©sique savent utiliser leur corps avec
prĂ©cision. L’imagerie corporelle se retrouve dans la comparaison des
entreprises à des équipes sportives. Souvent, les entreprises conceptualisent
leurs rapports internes ou avec leurs rivaux en termes empruntés au rugby ou
Ă  d’autres sports collectifs. L’intelligence naturaliste englobe les capacitĂ©s de
procéder à des distinctions importantes dans le monde naturel. Nos capacités
de discrimination sont essentielles si on ne veut pas mettre dans le mĂȘme
panier toutes les automobiles, ou a fortiori tous les véhicules.

Dans le monde de l’entreprise, l’intelligence Ă©motionnelle associe les


intelligences personnelles (interpersonnelle, intrapersonnelle). L’intelligence
personnelle est utilisée pour faire des distinctions entre des individus,
comprendre leurs motivations, travailler efficacement avec eux. Les
personnes dotĂ©es d’intelligence personnelle savent diriger et travailler en
Ă©quipe. Toute entreprise implique de travailler avec d’autres et ceux qui ont
une connaissance des gens ont un avantage particulier. L’intelligence
intrapersonnelle est dirigĂ©e vers l’intĂ©rieur. Les personnes qui en sont dotĂ©es

3. En physiologie, la kinesthésie est l'ensemble des sensations, c'est-à-dire la tension des


muscles, leur relùchement, le mouvement des articulations, les positions des différentes
parties du corps, la direction, la dynamique, le ralenti, l'arrĂȘt, l'Ă©quilibre, etc. (dĂ©finition
wikipedia).
58 La conception industrielle de produits 1

connaissent parfaitement leurs propres sentiments. Elles déchiffrent trÚs bien


leurs motivations et leurs propres comportements. Ceux qui possĂšdent une
bonne compréhension de leurs forces et de leurs besoins peuvent plus
facilement créer des environnements de travail qui soient compatibles pour
eux-mĂȘmes et pour les autres.

Howard Gardner croit en l’existence d’une intelligence existentielle. Pour


lui, celle-ci entraßne la capacité humaine à poser et à examiner les questions
importantes sur l’origine et le sens de la vie. Bien qu’il prenne beaucoup de
précautions sur cette question, il estime que cette intelligence existentielle a
toute sa place dans le monde des affaires. La créativité du comment et du
quoi doit s’accompagner d’une philosophie du pourquoi de façon à ce que
l’excellence et l’éthique soient plus Ă©troitement liĂ©es. Il existe une vĂ©ritable
différence entre ceux qui font tout leur possible pour respecter une éthique et
ceux pour qui seuls l’argent, la notoriĂ©tĂ© ou le pouvoir ont de l’importance.

2.6.3.3. Changer l’état d’esprit de groupes


S’il n’est jamais facile de susciter un changement d’état d’esprit, les
chances de rĂ©ussir sont plus grandes quand l’entitĂ© est de taille limitĂ©e. A de
rares exceptions prĂšs, les entreprises sont relativement petites. Leur public se
compose de dizaines ou de centaines d’élĂ©ments, voire de dizaine de
milliers. La participation des individus est en partie volontaire, mais aussi
temporaire.

Pour susciter un changement d’esprit chez des collaborateurs, un leader


peut faire appel à toute une gamme de leviers d’action [GAR 07]. De toute
façon, il lui faut communiquer sur sa vision et sa stratégie. Il peut créer un
rĂ©cit qui raconte une histoire fascinante Ă  propos d’une nouvelle vision du
changement. Il peut les présenter dans ses discours et ses communiqués. Il
peut également proposer un argument logique - un dossier raisonné dans
lequel il prĂ©sente les conditions d’avant, dĂ©montre en quoi chacune a Ă©tĂ©
sabotée par des développements récents et offre des solutions de rechange. Il
n’est pas toujours nĂ©cessaire de prĂ©senter verbalement une telle approche qui
fait appel à l’intelligence logique. Pour certains, les chiffres sont parlants ;
pour d’autres ce qui les impressionne, ce sont les graphiques, les Ă©quations
ou les tableaux.

Les histoires que racontent les leaders et la vie qu’ils mĂšnent peuvent ĂȘtre
dĂ©terminantes dans leur rĂ©ussite ou leur Ă©chec Ă  modifier l’état d’esprit de
Leadership et apprentissage organisationnel 59

leurs collaborateurs [TIC 97]. Les humains aiment qu’on leur raconte des
récits. Les histoires sont des récits qui décrivent des événements qui se
dĂ©roulent dans le temps. Les leaders n’émettent pas seulement un message,
un slogan, une image ou une vision, bien que chacun de ces éléments puisse
ĂȘtre glanĂ© dans leur discours. Leurs messages contiennent les Ă©lĂ©ments
essentiels pour faire une bonne histoire : un protagoniste principal, des
activités visant un objectif, une crise et une résolution. Steve Jobs, le
charismatique PDG d’Apple, au-delà des actions classiques de management,
a fort bien compris le parti qu’il pouvait tirer d’histoires oĂč le bien et le mal
s’affrontent et oĂč l’ogre IBM se voit fustigĂ© [LEV 94]. Tandis que ses
dĂ©veloppeurs travaillent jour et nuit, il leur donne de l’énergie en leur
racontant des histoires dans lesquelles les messages délivrés sont clairs : la
lutte contre les graves difficultés de la vie est inévitable mais, si au lieu de se
dérober, on affronte fermement les épreuves inattendues et souvent, injustes,
on vient Ă  bout de tous les obstacles et on finit par remporter la victoire.

Rappelons quelques principes qui gouvernent ces discours qui


enthousiasment souvent l’auditoire. Certains leaders sont capables de
charmer des individus en tĂȘte Ă  tĂȘte et de s’adresser de maniĂšre tout aussi
convaincante à des publics nombreux et hétérogÚnes. On remarquera que
leurs apparitions publiques ont souvent une qualité physique, presque
charnelle. Ils enlacent leurs publics qui les stimulent. Ils sentent ce que le
public attend et le leur donnent, en corrigeant le tir ou en soulignant
diffĂ©rentes prioritĂ©s mais en ayant toujours l’objectif de plaire. Mais, pour
qu’une histoire retienne l’attention d’un auditoire et qu’elle prenne le pas sur
les critiques, encore faut-il qu’elle possĂšde certaines caractĂ©ristiques. Quand
on s’adresse Ă  un public variĂ©, il faut que l’histoire soit simple, qu’il soit
facile de s’y identifier, qu’elle ait une rĂ©sonance Ă©motionnelle et qu’elle
évoque des expériences positives. Les histoires complexes ont toujours du
mal Ă  ĂȘtre entendues et peinent Ă  emporter l’adhĂ©sion. En revanche, une
l’histoire simple mais à laquelle on ne peut pas s’identifier tombe
complĂštement Ă  plat.

Outre sa séduction consciente, une histoire doit également captiver un


public Ă  un niveau plus viscĂ©ral. Les leaders qui s’efforcent de tout dire ne
laissent aucune place à la puissance d’imagination de leurs collaborateurs.
Pour convaincre d’autres de les suivre, les leaders encouragent leurs
collaborateurs à participer et à projeter sur eux les qualités pour lesquelles ils
les regardent.
60 La conception industrielle de produits 1

La rhĂ©torique est un vĂ©hicule important du changement d’état d’esprit.


Elle fonctionne au mieux lorsqu’elle englobe une logique sans faille, repose
sur une recherche pertinente et a une rĂ©sonance auprĂšs d’un public. Se faire
entendre n’a rien de facile pour une histoire. Il faut savoir faire appel à la
raison. Les leaders brillent à savoir analyser les problÚmes, énoncer les
arguments d’un cĂŽtĂ© ou d’un autre, mettre au point les meilleurs dĂ©fenses
pour leurs partis pris. Ils savent tirer les leçons d’autrui en exposant les
faiblesses d’un concurrent et dĂ©montrer en quoi leur ligne de pensĂ©e va les
résoudre et les mener au succÚs.

Nonaka et Kenney [NON 91] nous montrent en comparant les méthodes


d’innovation de produits utilisĂ©s par Apple et Canon qu’une des exigences
concerne notamment la volontĂ© Ă  apprendre en s’inspirant de projets
achevés. Si les projets sont souvent examinés et évalués, les évaluations
revĂȘtent la plupart du temps la forme d’un examen critique et sont destinĂ©es
à couvrir des erreurs et des difficultés. Mais le véritable besoin réside dans le
regroupement de toutes les leçons durement apprises à la lumiÚre des succÚs
et des échecs et la possibilité de les transmettre à la génération suivante.
C’est ainsi que Jobs, aprĂšs ĂȘtre devenu un formidable raconteur d’histoires,
n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  utiliser l’ensemble des mĂ©dias pour donner encore plus de
relief à son histoire [LIN 00]. En sortant de l’entreprise, celle-ci est venue
renforcer l’identitĂ© du groupe en construisant la lĂ©gende d’Apple.

En mĂȘme temps, les leaders doivent stimuler les consciences de leurs


collaborateurs et utiliser le pouvoir de résonance. Un point de vue ou une
idĂ©e a une rĂ©sonance dans la mesure oĂč elle paraĂźt convenir Ă  un individu,
semble s’adapter Ă  la situation et convainc l’intĂ©ressĂ© qu’il est superflu de
s’interroger plus avant. Pour ne pas ĂȘtre instantanĂ©ment rejetĂ©e, une nouvelle
histoire doit renfermer suffisamment d’élĂ©ments familiers, tout en Ă©tant
assez originale pour retenir l’attention. Il faut à la fois que le public soit
préparé et surpris. Dans la Silicon Valley, la plupart des cadres ont une
image romantique de la technologie et sont trÚs excités de participer à des
projets Ă  la pointe du progrĂšs. En mĂȘme temps, les leaders doivent aussi
incarner l’histoire qu’ils racontent sur leur propre vie. Leurs actions doivent
reflĂ©ter leurs convictions. Leur discours doit ĂȘtre en accord avec le genre de
vie qu’ils mùnent. Est-ce à dire que l’entreprise attend de ces cadres qu’ils se
comportent comme Richard Branson, déguisé en robe de mariée lors du
lancement de sa compagnie aérienne Branson Airlines [BRA 05] ?
Leadership et apprentissage organisationnel 61

Les leaders savent exploiter les événements du monde réel : tout leader
Ɠuvre dans le cadre de son Ă©poque. Le leader se distingue par sa maniĂšre de
réagir et de prendre en compte les événements difficiles à prévoir ou à
contrÎler. Quand Ingvar Kamprad se retrouve coincé dans son propre pays
pour ses approvisionnements, il part à l’Est et trouve son bonheur en
Pologne. Lorsque les Polonais augmentent leurs prix, il se tourne vers
d’autres pays de l’Est. L’impossible n’existe pas chez IKEA. S’il ne trouve
pas un fabricant de poubelles Ă  mĂȘme de fabriquer de belles poubelles en
métal à bas prix, Ingvar Kamprad se tourne vers des fabricants de boßtes de
conserves.

Steve Jobs lui, a su anticiper l’évolution de l’opinion publique et le


basculement de son comportement vers un nouveau modĂšle. Alors que
l’industrie traditionnelle de la musique n’a pas su rĂ©agir Ă  temps ou donnait
des explications alternatives continuellement [PRA 04], le patron d’Apple a
vu que l’industrie de la musique Ă©tait en pleine rĂ©volution (due Ă  la
technologie) en ce qui concerne les réseaux de distribution de disques,
enregistrements et CD avec un téléchargement direct des pistes sur des MP3
et des formats connexes. En parallĂšle avec le lancement de son lecteur
individuel iPod-MP3, la firme a inauguré un site appelé iTunes qui offre aux
utilisateurs un choix de plusieurs milliers de pistes permettant chacune un
tĂ©lĂ©chargement. Ce site est devenu le leader mondial d’un domaine de plus
en plus fréquenté.

Les leaders s’efforcent aussi d’apaiser les rĂ©sistances qu’ils rencontrent,


autrement dit briller lorsqu’il s’agit de persuader ceux qui ne sont pas
d’accord avec eux. Ils Ă©vitent de stimuler l’opposition en soulignant leurs
diffĂ©rences. Ils Ă©vitent de s’aliĂ©ner ceux qu’ils peuvent convertir Ă  leurs
causes en passant sur les divergences d’opinions. Ils savent aussi qu’ils ont
besoin d’un cercle de proches solides et sĂ»rs qui soutiendront leur position et
leur légitimité. Ils en choisissent les membres avec soin, leur confÚrent le
pouvoir et le prestige voulus. Mais le leader peut aussi construire des
expériences qui vont contribuer à amener, chez ses collaborateurs, la
dĂ©couverte d’un concept plus puissant, d’une histoire plus fascinante, d’une
thĂ©orie plus solide, d’une pratique plus efficace. Il construira, dans ce cas,
l’apprentissage plutît que de professer la leçon.
62 La conception industrielle de produits 1

2.7. Conclusion

Dans le milieu de la conception, ĂȘtre capable de rĂ©aliser ce que personne


d’autre n’a encore conçu ou ne peut faire, ou le faire mieux que n’importe
qui, est une source majeure d’avantages. De mĂȘme, ĂȘtre capable d’offrir de
meilleurs services, plus rapides, moins onéreux, de meilleure qualité est une
source d’avantages concurrentiels. Mais les avantages qui rĂ©sultent de ces
mesures innovantes peuvent ĂȘtre progressivement concurrencĂ©s, voire
Ă©liminĂ©s, lorsque d’autres acteurs entreprennent de les imiter. Se pose alors
la question de savoir comment maintenir permanent l’esprit d’innovation.

Pour garantir l’innovation, qu’en est-il du rîle et de la figure du leader ?


Nous avons complété un modÚle contingent de leadership en nous appuyant
sur des évolutions socioculturelles et sur des développements théoriques
récents en psychologie. Il est évident que la maniÚre dont est dirigé un
groupe engendre plus ou moins de satisfaction et affecte le degré
d’attractivitĂ© et, par voie de consĂ©quence, la cohĂ©sion du groupe et la
motivation de ses membres. La décision collective intervient avec un groupe
qui partage des schĂ©mas d’action, des valeurs, des façons de travailler. Dans
ce cas, il est possible de concevoir un groupe cohĂ©sif oĂč le dĂ©bat, les luttes
de tendances et l’acceptation des diffĂ©rences soient possibles. Cela dit, nous
ne voulons pas induire l’idĂ©e d’un enchaĂźnement causal simple et linĂ©aire.
Les liens entre les différents phénomÚnes évoqués et la cohésion peuvent se
développer dans une relation de causalité circulaire.

Le management hiérarchique traditionnel, qui était ancré exclusivement


sur la notion juridique de subordination, reste fonctionnel dans bien des
entreprises. Mais une nouvelle configuration managĂ©riale s’impose et pousse
les responsables Ă  placer leurs collaborateurs dans une posture plus
égalitaire. Elle légitimise de nouveaux comportements qui prennent en
compte les attentes implicites des uns et des autres pour accéder à un
collectif de travail, une communauté de pratiques qui réponde suffisamment
aux objectifs de l’entreprise, aux attentes des managers et des salariĂ©s. Pour
nous, la question centrale du leadership consiste à savoir réaliser au mieux
les exigences souvent contradictoires de la satisfaction et de la productivité.

Nous vivons Ă  l’ùre de la crĂ©ativitĂ© parce que les entreprises sont de plus
en plus obligées de se réinventer pour assurer leur croissance. La
concurrence mondiale porte chaque jour davantage sur la capacité à
mobiliser des idées, des talents et des organisations créatives. Pour entretenir
Leadership et apprentissage organisationnel 63

la flamme de la crĂ©ativitĂ©, le rĂŽle du management n’est plus de contrĂŽler


l’entreprise, mais de libĂ©rer sa crĂ©ativitĂ©. La mise en rĂ©seau est une solution
particuliĂšrement efficace en ce qui concerne les ressources.

Mais les avantages d’une mise en rĂ©seau ne sont pas automatiques ; ils
nécessitent des efforts de coordination considérables. La construction et
l’exploitation de ces rĂ©seaux peuvent ĂȘtre facilitĂ©es par l’utilisation des nouvelles
technologies d’information et de communication qui influencent considĂ©rablement
l’efficacitĂ© du traitement de l’information. Mais l’instrumentation ne suffit pas Ă 
donner sens.

Pour faciliter la création et le maintien de réseaux efficaces, les dirigeants


doivent indiquer des directions. Ils doivent inspirer, écouter, faciliter et
fournir les ressources nĂ©cessaires. Parce qu’ils ne peuvent plus se reposer sur
le systÚme managérial pour encadrer les comportements collectifs, on peut
dire que les dirigeants doivent adopter une posture de leader qui « éponge
l’angoisse » et restitue une autonomie suffisante aux acteurs, afin que ceux-
ci puissent faire face à l’incertitude et prendre des initiatives dans le sens de
l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Pour pouvoir affronter le changement de contexte, le leader
ne peut le faire qu’en Ă©tablissant un contact direct, personnalisĂ© avec ses
collaborateurs et en outrepassant de facto les rÚgles édictées par la structure
en place.

Le contexte est un facteur important au-delà des considérations relatives


aux tĂąches et aux individus. Un des rĂŽles les plus importants que les leaders
doivent assumer est la crĂ©ation d’un climat propice Ă  l’innovation. Les
rĂ©cents travaux sur l’intelligence Ă©motionnelle ont mis en lumiĂšre
l’importance de l’émotion dans la construction des identitĂ©s collectives et la
nĂ©cessitĂ© pour le leader d’ĂȘtre attentif aux ressorts Ă©motionnels et la diversitĂ©
des intelligences de ses collaborateurs.

Les histoires et les lĂ©gendes participent Ă  construire de l’humain dans un


monde de technologies en mal d’humain et Ă  instaurer un climat crĂ©atif et de
collaboration. Pour cette raison, lorsqu’il s’agit de changer d’état d’esprit de
groupes, certains dirigeants élaborent des récits qui mettent en mots et en
image leur vision pour mieux la partager. Ils deviennent créateurs de mythes
qui soutiennent la mobilisation des Ă©nergies et font rĂȘver Ă  des lendemains
promis.
CHAPITRE 3

Structure et instrumentation du processus


de conception versus rationalité de la décision

3.1. Introduction

L’évolution des connaissances et de leurs reprĂ©sentations a conduit


certains chercheurs de Génie industriel à construire et proposer des modÚles
d’organisations des processus de conception de produits. En sciences de
gestion, la création et la validation des modÚles sont, le plus souvent, établies
selon des modÚles déductifs. En Génie industriel, au contraire la démarche
est le plus souvent inductive : à partir de cas particuliers observés sur le
terrain les chercheurs structurent et testent des modĂšles. La structure et la
dynamique d’un processus de conception industriel sont dĂ©pendantes du
contexte dans lequel il opĂšre. En fonction des relations qui lient le produit
(sa complexité, les technologies en cause, les volumes à produire et
l’importance des installations requises, etc.), son marchĂ© (besoin client,
concurrence, etc.), le mode de management et de culture de l’entreprise,
chaque solution est, en fait, unique. Les modÚles proposés en Génie
industriel ne sont donc pas prescriptifs mais plutĂŽt illustratifs de
fonctionnalités types que doivent ou devraient permettre ces processus dans
des configurations particuliÚres de natures et diversités des technologies
mises en Ɠuvre dans la fabrication des produits, de la nature de l’innovation

Chapitre rédigé par Gwenola BERTOLUCI, Anthony DELAMARRE, Stéphanie MINEL et Nadine
STOELTZLEN.
66 La conception industrielle de produits 1

(rupture, incrémentale ou inexistante), de la complexité du produit et de


l’exigence client en terme de Time to Market (temps de mise sur le marchĂ©).

Dans ce texte, nous nous intéressons au champ particulier de la


conception de produits impliquant le recours à des compétences multiples,
au sein ou non de l’entreprise et destinĂ©s Ă  une commercialisation de grande
série ou de masse. Dans le cadre du processus de décision en conception, on
peut extrapoler de ces caractéristiques particuliÚres des processus de
conception deux aspects importants :
– diffĂ©rents « macro » modĂšles, formant une typologie, existent
impliquant chacun des besoins et des modes de diffusion des informations,
des données, des modes de gestions
 différents et donc des processus de
dĂ©cisions affĂ©rents aussi divers. S’intĂ©resser Ă  ces macro-modĂšles malgrĂ©
leur « généricité » permet de mettre en relief les enjeux, avantages et
difficultĂ©s de chacun. C’est cet aspect que nous prĂ©sentons dans la premiĂšre
partie de ce chapitre ;
– quel que soit le modĂšle de rĂ©fĂ©rence que traduit la formalisation des
processus d’une entreprise et malgrĂ© la volontĂ© de maĂźtrise stratĂ©gique des
ces processus par la direction, plus le produit Ă  concevoir est en rupture avec
ce qui l’a prĂ©cĂ©dĂ©, plus les acteurs de ces projets disposent d’une certaine
autonomie décisionnelle. Dans ce cadre se pose alors la question du
traitement de la concordance des intĂ©rĂȘts de chaque mĂ©tier reprĂ©sentĂ© dans
l’équipe projet : comment rapprocher le rĂ©sultat final (le produit
commercialisĂ© avec succĂšs) d’une configuration qui soit le meilleur
compromis pour toutes les parties prenantes : acteurs du projet, actionnaires,
clients
 C’est dans ce cadre que se pose notamment la question de la
construction d’un paradigme commun de vision du produit pour les
différents acteurs impliqués dans le projet. Différentes voies concourants à
ce résultat sont traitées dans ce chapitre en deuxiÚme partie. AprÚs avoir
redĂ©fini l’enjeu de l’interdisciplinaritĂ© des Ă©quipes de conception nous
explorons deux sujets qui concourent à créer ce paradigme dans les équipes
de conception : les reprĂ©sentations intermĂ©diaires et l’usage des serious
plays au sein de groupes d’élĂšves concepteurs en formation. Dans le premier
cas nous montrons comment le choix de la représentation intermédiaire
influe sur les décisions des membres de groupes et donc combien ces choix
de support doivent ĂȘtre soigneusement choisis. Dans le second cas nous
avançons l’idĂ©e que ces serious plays permettent de sensibiliser et d’alerter
de futurs acteurs de projets interdisciplinaires sur l’incidence de leur savoir
ĂȘtre sur l’évolution d’un projet de conception de produit.
Structure et instrumentation du processus de conception 67

3.2. Organisations en conception et prises de décision

Dans cette premiĂšre partie, nous exposons non exhaustivement la


diversité des organisations qui donnent lieu à des processus de conception.
Nous montrons que cette diversitĂ© est notamment liĂ©e Ă  l’état des marchĂ©s
(offre/demande, intensité de la concurrence) et à la complexité des produits
qui induit une complexité de la conception et une interdisciplinarité des
acteurs qui s’y associent.

Au travers de cette analyse nous dĂ©gageons l’incidence de ces formes


d’organisations sur la rationalitĂ© des dĂ©cisions - chĂšre Ă  Simon - des acteurs
en conception. Ce sont, en effet, ces organisations et leurs modes de
management qui, pour partie, établissent la nature, la forme et la qualité des
données circulant entre les acteurs. Elles influent donc de façon importante
sur la possibilité pour ces acteurs de transformer ces données en
informations puis en connaissances requises pour prendre la « bonne »
décision au sens de celle la plus conforme à satisfaire la stratégie de
l’entreprise proposant un produit au marchĂ©.

3.2.1. Processus de conception : le mythe du modĂšle unique

Dans le contexte du développement de la production des pays à bas coûts,


l’entreprise innovante est plĂ©biscitĂ©e dans les pays « avancĂ©s » comme le
facteur déterminant de la guerre économique engagée.

Dans les mĂ©dias comme dans les entreprises, l’usage du vocable


innovation semble flécher la terre promise qui permettra la sauvegarde des
meilleurs élÚves.

Mais la capacitĂ© Ă  innover d’une entreprise ne se dĂ©crĂšte pas : elle se


construit autour de modes de management, de moyens d’échanges et de
systùmes de l’information, de mises à disposition et d’usage d’outils d’aide à
la recherche d’idĂ©es, de constructions dĂ©taillĂ©es des solutions, de
simulations, d’évaluations, etc.

La recherche en ingénierie de la conception a permis de faire émerger des


points dĂ©terminants pour l’efficience d’un processus de conception :
– savoir Ă©tablir un cahier des charges hiĂ©rarchisant les fonctionnalitĂ©s et
les caractéristiques produit attendues ;
68 La conception industrielle de produits 1

– ĂȘtre capable de mobiliser des compĂ©tences internes et externes ;


– faire preuve de crĂ©ativitĂ© ;
– savoir identifier les coĂ»ts et les bĂ©nĂ©fices rĂ©els du projet ;
– savoir construire un systĂšme dĂ©cisionnel qui aboutisse aux dĂ©cisions
porteuses de la plus forte valeur ajoutĂ©e pour l’entreprise, etc.

Mais les moyens, les processus, les outils à mettre en Ɠuvre pour
atteindre ces objectifs prennent, dans chaque situation entrepreneuriale
particuliÚre, des aspects différents.

Les facteurs qui établissent ce contexte sont multiples, intra et extra


entreprises, et tous les lister est impossible.

Cependant, par souci d’illustration, nous nommerons :


– la concurrence effective du marchĂ© sur ce secteur ;
– la nature de valeur diffĂ©renciante apprĂ©ciĂ©e dans le produit : savoir-
faire, délais, services aprÚs-vente, etc. ;
– la valeur effective et non rationnelle accordĂ©e par le client au produit ;
– les moyens de distribution dont elle dispose
 ;

Mais également dans une vision intra entreprise :


– la complexitĂ© du produit qu’elle propose ;
– les compĂ©tences dont elle dispose en interne et qu’elle sait mobiliser en
externe ;
– la culture de son organisation et de ses pratiques managĂ©riales ;
– son aptitude Ă  utiliser ses expĂ©riences passĂ©es, Ă  mettre en Ɠuvre une
réelle synergie dans les équipes impliquées dans le projet


On voit ainsi que les facteurs qui influencent les méthodes et les pratiques
de conception (et donc d’innovation) sont multiples.

De ce fait, bien que l’on puisse dĂ©finir Ă  une Ă©chelle macrographique


(figure 3.1) des « moments » majeurs de décisions, la position, la
formalisation et la rationalité de multiples moments de décisions touchant
notamment Ă  l’évaluation prĂ©cise des caractĂ©ristiques quantitatives et
qualitatives d’un produit innovant, varient d’un processus à un autre et d’une
étape à une autre.
Structure et instrumentation du processus de conception 69

Les travaux de recherches menés en génie industriel sur le thÚme de la


conception de produit ont conduit à établir des classes de modÚles de
processus qui permettent de définir les grandes catégories de situations de
décisions rencontrées en conception.

Ces modĂšles ont comme principal intĂ©rĂȘt de proposer des modes


macrographiques d’organisation des flux d’informations et d’objets dans la
conception. En ce sens ils établissent les grandes étapes décisionnelles :
choix de poursuivre ou non le projet au terme de l’étape de faisabilitĂ©, au
terme de la recherche de concept de solutions, au terme du Business Plan


Ils permettent également de percevoir et de mettre en évidence la


variabilitĂ© de l’interdisciplinaritĂ© des acteurs de la conception, sa non
linéarité au long du processus, une plus ou moins grande nécessité de fluidité
de l’information. De ces diffĂ©rences il rĂ©sulte une variabilitĂ© tant de la
formalisation du processus décisionnel que de la rationalité des décisions
prises.

3.2.2. La conception de produit dans le contexte d’un marchĂ© en demande


de produits

En premier lieu il convient de revenir sur les activités que recouvre le


processus de conception puisque c’est Ă  la dĂ©cision en conception que nous
nous intéressons ici.

Pour [PER 01] la conception est un sous processus de l’innovation, cette


derniĂšre englobant le dĂ©ploiement d’une invention sous formes de solutions
industriellement réalisables et en vue de répondre à un besoin authentifié du
marché.

Cette approche est compatible avec celle de l’AFNOR [AFN 90] dans
laquelle la conception est une « activité créatrice qui, partant des besoins
exprimĂ©s et des connaissances existantes, aboutit Ă  la dĂ©finition d’un produit
satisfaisant ces besoins et industriellement réalisable ».
70 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.1. Processus de décision en conception [CHA 05]

On observe ici que la dĂ©finition de l’AFNOR recouvre une phase de


travail conceptuel comme dans la définition donnée par Pahl et Beitz, pour
lesquels la conception de produit est « une tentative intellectuelle pour
rĂ©pondre Ă  une certaine demande, de la meilleure façon qui soit. C’est une
activitĂ© de l’ingĂ©nieur qui touche presque tous les secteurs de la vie
humaine, qui est liée à la découverte et aux lois des sciences et qui crée les
conditions pour appliquer ces lois dans l’industrie et les produits »
[PAH 96a].
Structure et instrumentation du processus de conception 71

L’ingĂ©nierie de la conception s’intĂ©resse donc Ă  la mise en Ɠuvre des


conditions adĂ©quates Ă  l’efficience des processus de conception au regard
des variables produit/entreprise/marché. Les variables considérées imposent
la prise en compte d’élĂ©ments informationnels, de savoirs et de moyens
internes Ă  l’entreprise mais Ă©galement Ă  l’interface entreprise/monde
extérieur et propres au monde extérieur (par exemple pour prendre en
compte les contraintes liées à la distribution).

Nous montrons ci-aprÚs comment ont évolué, dans le temps, les moyens
déployés pour cette prise en compte.

L’histoire de l’innovation industrielle est telle que le besoin d’une science


de l’ingĂ©nierie de la conception est rĂ©cent. En effet, malgrĂ© le
dĂ©veloppement de l’enseignement de la mĂ©canique et du dessin industriel
aux XVIIIe et XIXe siùcles, jusqu’au XIXe siùcle la conception demeure le plus
souvent l’acte de l’ingĂ©nieur-savant dont LĂ©onard de Vinci est le
reprĂ©sentant le plus prestigieux. L’idĂ©e du produit est alors transmise par des
schémas, des plans, des maquettes (figure 3.2) et des échanges directs entre
l’ingĂ©nieur/savant et l’artisan/constructeur permettent la rĂ©alisation de
l’objet.

Si l’on peut Ă©voquer ici une forme « d’organisation » entre ces deux
acteurs c’est celle que Mintzberg [MIN 99] rĂ©fĂ©rencie comme de
l’ajustement mutuel : « 
 rĂ©alise la coordination du travail par le simple
processus de la communication informelle
 ». La rationalitĂ© de la dĂ©cision
prise est alors celle du compromis qui s’instaure entre ces deux acteurs.

Figure 3.2. Les ponts de Léonard de Vinci [STA 05]


72 La conception industrielle de produits 1

La rĂ©volution industrielle du XIXe siĂšcle s’est construite grĂące Ă  l’usage et


la maĂźtrise de capacitĂ©s Ă©nergĂ©tiques remplaçant l’activitĂ© humaine, Ă  la
croissance dĂ©mographique et Ă  l’augmentation du pouvoir d’achat de ces
populations.

Pour rĂ©pondre Ă  ces marchĂ©s Ă©mergents, les sciences de l’organisation se


sont créées au XXe siÚcle avec notamment les travaux de Taylor, Fayol,
Weber qui ont conduit à structurer l’entreprise autour d’un nouvel objectif :
produire en volume, à bas coût avec une marge financiÚre prédéfinie qui
établit le prix de vente.

Cette approche rationaliste et déterministe (figure 3.3) a impacté la


conception en segmentant les activités de la conception de produit dans les
manufactures en deux fonctions : l’ingĂ©nieur du bureau d’études (conception
du produit), l’ingĂ©nieur mĂ©thodes (conception des outillages et machines
requis Ă  sa fabrication).

Le mode d’organisation des entreprises qui a dĂ©coulĂ© de ces Ă©volutions a


été nommé « modÚle de standardisation » [COH 99; PAI 99] en référence
aux modÚles de standardisation des procédés de travail, des résultats et des
qualifications référencés dans les travaux de Mintzberg.

Dans ces modĂšles d’organisations, tout choix dĂ©cisionnel a Ă©tĂ© envisagĂ©


ce qui ne peut ĂȘtre le cas en conception. Dans ces entreprises, les frontiĂšres
entre les mĂ©tiers de l’entreprise sont gĂ©nĂ©ralement marquĂ©es et Ă©tanches.

De ce fait le dĂ©veloppement d’un nouveau produit est officiellement un


processus séquentiel, ponctué de prises de décisions managées en
supervision directe par la direction [MIN 99]. La limite de la rationalité
décisionnelle est alors celle du dirigeant en partie définie selon son
information sur le sujet.

C’est justement cette information bottom up que Mintzberg estime plus


ou moins dĂ©naturĂ©e par le middle management (d’oĂč un facteur de rationalitĂ©
limitée) pour des raisons de compétition inter métiers dans les entreprises.
Structure et instrumentation du processus de conception 73

Figure 3.3. Différents regards (non exhaustif) portés sur les organisations industrielles
par les sciences de l’organisation [BER 01]

Le mode sĂ©quentiel de travail ne favorise pas le dĂ©veloppement d’un


sentiment de communautĂ© d’intĂ©rĂȘts entre les reprĂ©sentants de mĂ©tiers
différents mais bien plutÎt de concurrence.

3.2.3. Incidence de la saturation des marchés concurrentiels sur la conception


de produits complexes

C’est Ă  partir des annĂ©es 1960 qu’émergent les fondements du marketing


que formalise Alderson [KOT 03].

Cette fonction prend rapidement place dans la structure des entreprises


qui produisent les biens de consommation : un nouvel acteur s’interpose
entre la direction, le marché et le concepteur de produit.
74 La conception industrielle de produits 1

Le processus de conception s’intùgre alors dans un processus plus vaste :


celui de l’innovation, dans lequel l’analyse et la maütrise financiùre du projet
jouent des rĂŽles croissants (l’entreprise doit s’ajuster aux rĂ©ductions des
marges et de durées de vies des produits sur les marchés).

Les variĂ©tĂ©s de flux d’informations, de critĂšres de dĂ©cisions, s’accroissent


avec cependant des marchés stables et rentables autorisant financiÚrement
des développements de produits par des essais/erreurs successifs. La
saturation des marchés se traduit par une prise en compte croissante des
attentes clients en conception de produits.

Pour cela le marketing fournit dans ces « briefs » le cadre des projets
pour les ingénieurs et crée les conditions de lancement des produits
(publicitĂ© et promotion). L’organisation de ces entreprises au sens de la
circulation des informations, du fonctionnement séquentiel de la conception
et de la centralisation de la prise de décision demeure cependant dans un
management de type « supervision directe ».

La concurrence continuant de croĂźtre pour certaines entreprises, ces


derniÚres se dotent de ressources et de compétences supplémentaires,
porteuses de nouvelles fonctions et valeurs pour leurs produits.

Des outils tels que l’analyse fonctionnelle, l’analyse de la valeur, puis le


Quality Function Deployment sont développés. Ces méthodes et ces outils
permettent de jeter des ponts entre les représentants des clients (services
marketing, qualitĂ©, commercial), l’entreprise technique (bureau d’etudes,
bureau des méthodes, production, logistique, maintenance, etc.), et
l’entreprise stratĂ©gique (direction, actionnaires, banques, etc.), cherchant Ă 
rendre cohĂ©rents les attentes clients satisfaites ainsi que les intĂ©rĂȘts de
l’entreprise et de ses membres.

C’est dans ce contexte Ă©conomique qui a Ă©tĂ© nommĂ© « modĂšle de


variĂ©tĂ© » [GOD 83] qu’apparaissent les premiĂšres propositions de modĂšles
de processus de conception dont celles de Kline [KLI 86] (figure 3.4) et de
Pahl and Beitz (figure 3.5).
Structure et instrumentation du processus de conception 75

Figure 3.4. ModÚle de « liaison en chaßne » [KLI 86]

« Par rapport aux autres modĂšles d’innovation, le modĂšle de la chaĂźne


interconnectĂ©e prĂ©sente une caractĂ©ristiques importante : il n’y a pas un mais
plusieurs processus d’innovation » [PER 01] :
– le processus principal d’innovation est indiquĂ© par la lettre C et dĂ©crit
une suite chronologique d’activitĂ©s : Ă©tude de marchĂ©, invention, etc. ;
– le deuxiùme type de processus comprend les feed-backs entre les
activités connexes (représentés par la lettre f) et ceux entre des activités non
connexes (représentés par la lettre F) ;
– les relations 1, 2 et 3 figurant entre les activitĂ©s d’invention, de
conception et de reconception sont employées pour modéliser les appels
imposés aux sphÚres de connaissance et de recherche par acteurs du
processus pour résoudre les problÚmes aux solutions méconnues ou
inconnues ;
– la lettre D figure les relations directes avec la recherche dans le cadre
d’une innovation radicale : situation considĂ©rĂ©e comme rare par les auteurs ;
– les lettres I et S modĂ©lisent les retours vers la science expĂ©rimentale
des apports d’innovations technologiques (dĂ©cryptage du gĂ©nome,
développement de la micro informatique, etc.).
76 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.5. ModÚle de conception de produits proposés par [PAH 96b]


Structure et instrumentation du processus de conception 77

Le modÚle Pahl and Beitz, issu du monde de la mécanique, est plus


structuré et directif que celui de Kline, économiste, qui met surtout en
Ă©vidence la nĂ©cessitĂ© d’interactions entre les mĂ©tiers et de boucles de
rétroactions.

Les rĂ©troactions prĂ©sentĂ©es sur les figures 3.4 et 3.5 illustrent qu’en
développement de produit innovant le problÚme et sa solution se construisent
simultanément par récursivité grùce aux apports successifs de chaque métier,
de ses contraintes et de ses perceptions du sujet : en conséquence bon
nombre de dĂ©cisions se construisent suivant la mĂȘme graduation.

Cette approche du processus de conception comme une succession de


phases de résolution de problÚmes sera reprise par différents auteurs
[DAR 97, ROO 95, SIM 95].

Darse proposant de considérer la démarche de conception comme une


rĂ©duction progressive d’un espace de recherche, dĂ©marche qui induit une
recherche de rationalisation rĂ©duisant le risque d’erreur dĂ©cisionnelle.

Ce point de vue est rejeté par Le Masson [LEM 06] qui avance que
l’innovation est une source non seulement de mobilisation mais Ă©galement
de crĂ©ation de connaissances (ce qu’Hatchuel nomme l’« expansion ») et
que, de fait, elle ne peut pas ĂȘtre rĂ©duite Ă  une dĂ©marche de rĂ©solutions de
problÚmes, se repose alors la question de la décision dans un tel contexte :
suivant quels critÚres prendre des décisions lorsque les concepts produits
dĂ©veloppĂ©s relĂšvent de la terra incognita en termes d’expĂ©rience ?

Cette question se pose avec toujours plus d’acuitĂ© dans des marchĂ©s
hyperconcurrentiels dans lesquels il faut oser se différencier et donc
accroĂźtre les risques d’erreur : seuls les avis, savoirs, expĂ©riences combinĂ©es
d’un groupe d’individus confrontant leurs connaissances permettent de
diminuer ce risque.

L’augmentation de la concurrence a accru le besoin pour de nombreuses


entreprises de se différencier sur les performances, les prix, les délais et la
qualité au cours des dix derniÚres années. Cette évolution se traduit suivant
deux axes.
78 La conception industrielle de produits 1

D'une part, la demande d'une plus grande variété des produits, dans des
conditions de délais, et de qualité perçue par les clients correspondants au
sacrifice financier qu'ils sont prĂȘt Ă  consentir [PAI 99].

D'autre part, une demande croissante de services associés à ces produits


(aprĂšs vente, formation, mise en Ɠuvre, etc.). L'intĂ©gration des fonctions
nécessaires à la fourniture de ces services conduit à augmenter la complexité
des organisations industrielles. Elles doivent alors développer de nouveaux
savoir-faire, intégrer de nouvelles pratiques devant coexister et s'harmoniser
au sein d'une mĂȘme entitĂ©. Mais l'Ă©lĂ©ment clĂ© auquel doivent se soumettre
ces entreprises est celui de la réactivité. Pour cela elles doivent instaurer des
canaux interactionnels forts et nombreux avec leurs environnements. Ces
canaux supportent l'entrée et la diffusion des informations permettant de
détecter les évolutions du marché et de les intégrer dans le mode de
fonctionnement de l'organisation. Le nouveau paradigme de l'entreprise est
celui du « modĂšle de rĂ©activitĂ© » l’obtention et la gestion des informations y
jouent un rĂŽle capital.

Figure 3.6. Représentation du cycle en « V » développé chez Renault [YAN 06]


Structure et instrumentation du processus de conception 79

Mais cette information ne vaut que si elle est captée, assimilée et


exploitĂ©e. Ainsi, il faut informatiser les Ă©changes, changer les lieux d’une
partie des décisions en les décentralisant en des lieux opérationnels. Pour
maĂźtriser les impacts de ces dĂ©cisions il s’agit d’inscrire les personnes et les
groupes qui les prennent non plus dans un objectif de moyens mais de
rĂ©sultats. C’est tout le jeu du management par les processus et de la gestion
des unités autonomes. En termes de modÚles de conception propres à ces
formes d’organisations, le cycle en « V » (figure 3.6) est une excellente
illustration de notre propos.

Le modĂšle de conception du type de celui que propose Aoussat [AOU 90]


(figure 3.7) est une autre illustration de processus de conception qui peut ĂȘtre
adoptĂ© dans ces formes d’organisations. Ces organisations impliquent
d’éclater les tĂąches de conception au sein de groupes aux contraintes, aux
cultures trÚs différentes et parfois géographiquement éloignés. Elles
nécessitent des moyens de communications trÚs importantes et efficaces, et
une forte implication des personnels sur les projets.

L’augmentation du nombre de publications scientifiques sur les


problÚmes de communication dans ces projets montre la réalité de la
difficulté de concevoir au sein de groupes pluriculturels et donc de prendre
des dĂ©cisions rationnelles au regard du bĂ©nĂ©fice final pour l’entreprise.

Accroßtre la communication des membres de ces équipes ne passe pas que


par le dĂ©veloppement de plates formes d’échanges de donnĂ©es et de fichiers.
Une rĂ©elle communication doit s’établir pour permettre aux membres des
diffĂ©rents groupes de se construire des reprĂ©sentations communes d’une
réalité qui est leur projet, leur produit et son cahier des charges.

Cette communication est indispensable pour créer des organisations


intelligentes, capables d’identifier, d’analyser et de rĂ©soudre un problĂšme
avec les meilleurs compromis possibles pour chacun des stakeholders4
intéressés par le résultat. Il est alors possible de restreindre une irrationalité
dĂ©cisionnelle qui ne peut ĂȘtre totalement rĂ©duite par une organisation
procédurale.

4. Stakeholder : partie prenante.


80 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.7. ModÚle processus de conception créative


Structure et instrumentation du processus de conception 81

3.2.4. SynthĂšse

Nous nous sommes appuyĂ©s sur l’évolution chronologique des marchĂ©s


occidentaux dans le cas de produits complexes et destinés à des marchés de
masse (type automobiles et certains produits électroménagers) pour montrer
comment la concurrence et le mode de management des organisations
industrielles influent sur les processus de conception de produit et la
rationalité des décisions qui y sont prises. Ce parti pris chronologique ne doit
pas masquer le fait que, bien évidement, tous les cas de figures (diversités
organisationnelles, complexité des produits, niveaux de concurrence, etc.)
sont simultanĂ©ment prĂ©sents aujourd’hui dans le tissu industriel des pays
industrialisés. Nous avons également souligné que plus le produit est
innovant plus il est difficile de préétablir les critÚres techniques précis qui
permettront de l’évaluer : dans ce cadre la coopĂ©ration active des diffĂ©rents
acteurs des projets est indispensable pour établir graduellement ce cadre de
mesure. La dĂ©finition de cette coopĂ©ration est l’objet du texte qui suit.

3.3. Apports et limites des groupes pluriculturels à la rationalité de la décision


en conception de produits complexes

Dans un premier temps nous rappellerons les différentes formes


d’interactions qui peuvent ĂȘtre recherchĂ©es dans des groupes pluriculturels
de conception et retiendrons celle de l’interdisciplinaritĂ© dans notre cas. Sur
cette base, nous nous intĂ©resserons aux facteurs qui favorisent ou gĂȘnent
l’émergence de pratiques coopĂ©ratives entre les membres de ces Ă©quipes
dans le cadre de l’exercice de cette interdisciplinaritĂ©. Enfin, nous
exposerons les limites de la rationalité des acteurs projets dans leurs
collectifs.

3.3.1. Quelques définitions de termes afférents aux groupes pluriculturels


en conception

Interdisciplinarité, multidisciplinarité, pluridisciplinarité et transdisciplinarité


sont diffĂ©rents qualificatifs que l’on peut donner aux membres d’une Ă©quipe
appelés à travailler ensemble et de façon complémentaire. Ainsi, Jantsch
dans [VIN 00] propose des définitions hiérarchisées des termes Multi, Pluri,
Poly, Inter et transdisciplinaire (figure 3.8).
82 La conception industrielle de produits 1

Cette classification exprime de maniÚre croissante le degré de


coopération et de coordination attendu entre les disciplines.

Figure 3.8. Classification Croissante du degré de coopération et de coordination


entre les disciplines selon Jantsch

De mĂȘme LariviĂšre dĂ©finit la multidisciplinaritĂ© comme « 
la mise en


relation d’échanges et de travail des personnes dont la formation
professionnelle est diffĂ©rente en vue d’offrir une complĂ©mentaritĂ© »
[LAR 98]. Elle se caractérise donc par la juxtaposition de plusieurs
disciplines, sans rapports apparents, tandis que la pluridisciplinarité
s’exprime avec un rĂ©pertoire parfois plus restreint de disciplines mais avec
un nombre d’interactions plus important.

Denis précise : « La pluridisciplinarité est une approche qui guide des


projets sans prĂ©supposer quant Ă  la forme de l’implication des disciplines
associées, ni quant au degré de réciprocité dans le partenariat, ni enfin quant
au fait que cette implication conjointe serve un objectif authentiquement
commun aux diffĂ©rents partenaires, (
) l’interdisciplinaritĂ© est une forme de
coopĂ©ration plus intĂ©grĂ©e mise en Ɠuvre en vue de rĂ©soudre un problĂšme
commun. La transdisciplinarité peut caractériser une démarche encore plus
intégrée, avec franchissement des limites des champs disciplinaires et
dĂ©finition d’un champ de recherche nouveau dans lequel les disciplines
partenaires se fondent dans une démarche conceptuelle et méthodologique
unique » [DEN 03].

En consĂ©quence, l’interdisciplinaritĂ© nous apparaĂźt comme la voie Ă 


privilégier dans le cadre de la conception de produits complexes. En effet, la
confluence des disciplines, et par voie de conséquence des compétences, ne
suffit pas à garantir l’efficience de la conduite de projet.
Structure et instrumentation du processus de conception 83

La mise en Ɠuvre de l’interdisciplinaritĂ© permet de garder les spĂ©cificitĂ©s


de chaque discipline et donc que chaque acteur exprime son regard sur le
problùme tout en comprenant le point de vue l’autre.

En effet, c’est la complĂ©mentaritĂ© des expertises qui permet l’émergence


des compromis les plus rationnels d’un point de vue global. Il n’est pas
question de rechercher dans cette pratique une convergence forcée des
savoirs, mais de favoriser l’apprentissage d’un collectif.

De par l’interaction entre les acteurs qu’elle sous-tend, l’efficience de


l’interdisciplinaritĂ© implique le dĂ©veloppement d’attitudes de coopĂ©ration
entre les acteurs des groupes oĂč elle s’exerce. Nous allons donc dans la
partie qui suit explorer le sens et les implications de la coopération dans un
collectif qui doit prendre des décisions collégiales pour un projet commun.

3.3.2. L’individu et le collectif dans la coopĂ©ration entre mĂ©tiers

3.3.2.1. Coopérer et collaborer : quelques définitions


La coopĂ©ration s’exerce dans le cadre de l’action, elle n’est pas une
caractĂ©ristique de travail d’un groupe mais un Ă©tat qui se construit en
permanence.

Nous définirons la collaboration comme un pendant requis à la


coopération mais qui implique lui un état plus permanent, indispensable pour
la coopĂ©ration, et qui gĂ©nĂšre et s’alimente d’un paradigme commun aux
acteurs impliqués construit grùce à la coopération.

Pour définir cette notion, Boujut sépare le but, c'est-à-dire le fonctionnement


coopératif, et les moyens (organisationnels, instrumentaux, etc.). Ainsi, le
fonctionnement coopératif dépend :
– des relations entre les acteurs : mise en commun des buts, confiance,
entraide ;
– de la constitution d'un collectif de travail qui suppose l'existence d'une
tùche commune globale affectée au groupe avec mise en commun des
ressources ainsi que des prises de décisions communes par négociations et
compromis [BOU 00].
84 La conception industrielle de produits 1

La coopĂ©ration n’implique pas obligatoirement la prĂ©sence simultanĂ©e


des participants. Il y a plusieurs modes de travail coopératif :
– le mode synchrone (mĂȘme moment, mĂȘme endroit),
– le mode synchrone distribuĂ© (mĂȘme moment, endroits diffĂ©rents),
– le mode asynchrone (moments diffĂ©rents)
– le mode asynchrone distribuĂ© (moments diffĂ©rents, endroits diffĂ©rents)
[DEF 02].

Tarpin-Bernard et David propose le schéma suivant (figure 3.9) pour


définir les différents modes de coopération.

Figure 3.9. Illustration des communications dans chaque mode de coopération [TAR 96]

Pour Sardas, développer une activité de coopération est la réponse au


besoin d’amĂ©liorer les performances de la conception : «Toutes choses
égales par ailleurs, le fait de vouloir développer de la coopération est une
rĂ©ponse au besoin d’amĂ©liorer la performance des activitĂ©s de conception
caractérisées par :
Structure et instrumentation du processus de conception 85

– un haut niveau d’incertitude ;


– le besoin de combiner une expertise inventive et de crĂ©er une nouvelle expertise ;
– la nĂ©cessitĂ© d’induire et accroĂźtre des Ă©changes entre individus aux
intĂ©rĂȘts contradictoires au sein des projets ».

« La complexitĂ© de cette activitĂ©, combinĂ©e avec des besoins d’une


performance élevée, expliquent les différentes voies envisagées pour
développer la coopération ».

Cet auteur propose la définition suivante : « Nous utilisons le terme


coopération pour qualifier les interactions entre acteurs dans un processus
collectif de fonctionnement. Nous essayons de distinguer clairement le
but, c’est-Ă -dire un mode de fonctionnement coopĂ©ratif (mĂȘme si cet
objectif n’est qu’une Ă©tape intermĂ©diaire destinĂ©e Ă  atteindre l’excellence), des
moyens (organisationnels, instrumentaux, contractuels, etc.) qui
favorisent ce mode de fonctionnement. Nous nous intéressons donc à des
modes de travail plus ou moins coopĂ©ratifs aussi bien qu’à l’étude des
formes et des conditions d’efficience des moyens dĂ©veloppĂ©s pour crĂ©er
cette coopération. » [SAR 01].

Pour notre part nous retiendrons qu’il y a travail collaboratif lorsque les
acteurs échangent des points de vue sur des informations existantes,
partagent de l’expĂ©rience, dĂ©finissent des objectifs communs et construisent
des informations et des compétences ensemble. Cette définition n'oblige pas
Ă  une harmonie virtuelle. Nous partageons le point de vue de Reynaud sur
cette question. Cet auteur énonce que « les compétences individuelles se
combattent autant qu'elles s'ajoutent ». Ainsi, la collaboration peut devenir «
une bataille incessante de chacun pour faire valoir son point de vue et
imposer les exigences de son métier. (
) une espÚce de rapport de force
cognitif qui ne va pas sans blocages et sans affrontements » [REY 01].

La coopération entre individus est un enjeu majeur pour les organisations.


Le déploiement de technologies de communication nouvelles oriente la
communication entre les individus vers une communication homme-
machine-homme. Le CSCW (Computer supported cooperative work)
rassemble depuis les années 1980 des chercheurs de disciplines diverses :
ingénieurs, informaticiens, ergonomes, psychologues, sociologues (surtout
ethno-méthodologues). Pour notre part nos travaux de recherche [MIN 03,
STO 04] nous poussent Ă  croire qu’il faut sensibiliser et amener les Ă©lĂšves
(futurs concepteurs) Ă  la question du savoir-ĂȘtre dans la coopĂ©ration.
86 La conception industrielle de produits 1

Nous proposerons par la suite une réflexion sur le travail mené dans cette
optique. NĂ©anmoins, la question de l’individu, de son savoir-ĂȘtre dans le
groupe et de l’influence de celui-ci dans la construction de la prise de
dĂ©cision est une clĂ© d’entrĂ©e. De ce point de vue, les choix de participants au
groupe et le leadership de l’animateur responsable (voir chapitre 2) sont des
Ă©lĂ©ments dĂ©terminants de l’émergence de pratiques collaboratives.

3.3.2.2. L’individu dans le collectif coopĂ©rant


Pour comprendre le fonctionnement, et les dysfonctionnements, d’un
groupe dans une activitĂ© coopĂ©rative, deux axes sont Ă  privilĂ©gier. D’une
part, les paramĂštres qui permettent d’établir sa structure : sa taille, son mode
d’organisation et la nature du projet portĂ©. D’autre part, l’identification des
mĂ©canismes Ă  l’Ɠuvre dans les comportements individuels et collectifs au
cours de la prise de dĂ©cision. Cependant, comprendre l’existant ne garantit
pas de savoir y remĂ©dier : comment spĂ©cifier les conditions d’une action
avec d’autres dans une sociĂ©tĂ© oĂč les acteurs sont Ă  la fois de plus en plus
autonomes et outillés ? Nous ne tenterons pas de répondre à cette question
dans ce chapitre, mais nous allons exposer notre positionnement sur l’aide à
apporter à la coopération métier dans le groupe au sein du processus de
conception. Ceci nous permettra d’éclairer les choix effectuĂ©s par la suite
pour l’apprentissage de la coopĂ©ration et l’optimisation de la prise de
décision dans le processus de conception de produits et de services.

Toute activité coopérative suppose une interaction entre des partenaires


aux savoirs et aux compétences hétérogÚnes. Cette réalité induit
frĂ©quemment pour ces membres la perception d’une prise de risques. La
perception du risque est éminemment subjective selon l'époque, les
particularités culturelles et le systÚme de valeurs des individus concernés
ainsi que les enjeux envisagĂ©s, qu’ils soient connus ou non avouĂ©s. Il peut
ĂȘtre difficile au sein d’une organisation de communiquer sur le risque, pas
seulement l'organisation dans ses rapports avec l'extérieur, mais aussi et
surtout dans son fonctionnement propre.

En effet, l'incertitude est omniprésente dans l'entreprise et sa gestion


implique de multiples échanges entre les acteurs concernés. Or, toute
dĂ©cision est une prise de risque. Le collectif peut ĂȘtre une aide Ă  ce choix ou
Ă  l’inverse une contrainte. Ainsi, l’individu plongĂ© dans un groupe doit
s’appuyer sur les forces vives et rĂ©sistantes de ce groupe en termes de
moyens humains et technologiques pour expliquer, convaincre les autres
Structure et instrumentation du processus de conception 87

membres du groupe d’adhĂ©rer Ă  son choix. Pour cela il doit non seulement
amener les autres Ă  partager ses contraintes mais ĂȘtre Ă©galement en mesure
d’apprĂ©hender les leurs.

Pour ce faire, le respect de l’autre et la propension de chacun à


développer des relations empathiques avec les autres membres du groupe
sont essentiels. Il est aussi nécessaire que le dirigeant évite que le groupe
adopte un fonctionnement qui soit trop fortement basé sur les émotions.

Le respect de l’expression de chacun, le rappel des objectifs de


l’entreprise dans le projet comme la pierre angulaire de sa construction et
l’utilisation de reprĂ©sentations graphiques sont autant de moyens de crĂ©er
des Ă©lĂ©ments communs d’un projet dĂ©passionnĂ©.

3.3.3. SynthĂšse

L’apprĂ©hension du processus de prise de dĂ©cision en conception passe par


la prise en compte de l’interdisciplinaritĂ©. En effet, la complexification de la
conception de produits nĂ©cessite l’implication de multiples acteurs rĂ©vĂ©lant
divers points de vue parfois contradictoires, voire des intĂ©rĂȘts divergents
devant aboutir Ă  une dĂ©cision respectĂ©e par tous (Ă  dĂ©faut d’ĂȘtre approuvĂ©e !).

Cette interdisciplinarité devient un véritable avantage managérial si elle


est cultivĂ©e, gĂ©rĂ©e et favorisĂ©e pour maĂźtriser l’efficience de la prise de
décision en au cours du développement du produit innovant.

Les représentations intermédiaires sont justement un des leviers sur


lesquels peut agir un responsable de projet pour aboutir à un tel résultat (voir
section 3.4). Ces représentations sont des supports de mémoire ou d'action
qui matĂ©rialisent les idĂ©es/concepts/solutions imaginĂ©es tout au long d’un
projet de développement de produit.

Elles sont des mĂ©diateurs qui donnent Ă  tous les acteurs une mĂȘme
représentation commune et éphémÚre du projet nécessaire à son activité
propre.
88 La conception industrielle de produits 1

3.4. Le rÎle des représentations intermédiaires dans les prises de décisions


individuelles et collectives en conception

Nous avons montré en section 3.3 en quoi la collaboration est


déterminante dans une équipe pluridisciplinaire pour permettre une réelle
efficience des décisions prises en collectif. Les critÚres contextuels
(personnalitĂ©s du groupe, du leader, etc.) qui s’appliquent Ă  tout type de
travail collectif ont été traités au chapitre 2. Dans ce qui suit nous explorons
un support particulier du travail collaboratif en conception de produit : les
représentations intermédiaires.

3.4.1. Définition des représentations intermédiaires

Dans le processus de conception, les représentations intermédiaires (RI)


sont indispensables pour le fonctionnement de l’équipe interdisciplinaire.
Selon Jeantet [JEA 95] Ă  elles sont « des outils d’interaction entre
l’ensemble des acteurs de la vie du produit, afin de permettre des Ă©changes
et des compréhensions mutuelles plus efficaces ».

Les formes qu’elles prennent sont dĂ©finies par Donald A. Schön


[SCH 96], comme des représentations graphiques ou autre (sémantique,
iconique, etc.) du concept avant que le résultat final de la conception globale
ou du projet de développement soit réalisé.

La mĂȘme idĂ©e est avancĂ©e par Yannou [YAN 01], « la notion de concept
dont nous parlons est également un objet intermédiaire dans la
représentation de ce que sera le produit solution final ».

GrĂące Ă  ces artefacts, chaque acteur de la conception peut donc interagir


sur la représentation intermédiaire commune, du point de vue de son métier,
et en interaction avec les autres métiers.

Il est alors intĂ©ressant d’étudier l’incidence des modes de reprĂ©sentations


employés sur les décisions effectivement prises par le groupe, la figure 3.10
est une illustration de cette notion.
Structure et instrumentation du processus de conception 89

Figure 3.10. Evolution des représentations intermédiaires [DEL 06]

Les supports et les formes employés pour réaliser ces représentations


intermĂ©diaires sont trĂšs divers d’un processus Ă  un autre et au cours du
dĂ©roulement d’un mĂȘme processus. Nous pouvons citer les fiches idĂ©es
(description sĂ©mantique d’une idĂ©e), les brouillons de recherche d’idĂ©es, les
roughs 5, etc.

Les représentations intermédiaires classiques sont des plans, maquettes et


prototypes physiques elles font aussi de plus en plus appel aux outils
informatiques, à la modélisation 3D interactive et à la réalité virtuelle. Les
maquettes physiques et les prototypes physiques restent nécessaires, mais
leur nombre diminue fortement avec les représentations intermédiaires
virtuelles [CHE 98].

La RI est donc la projection d’un Ă©tat de la conception du produit qui


permet de matérialiser la solution élaborée, plus ou moins conceptuelle, plus
ou moins rĂ©aliste, plus ou moins fiable mais elle est toujours l’expression
d’une rĂ©flexion Ă  un instant t du dĂ©roulement du projet.

5. Rough : terme provenant des arts graphiques dĂ©signant un dessin d’ébauche ou de projet
90 La conception industrielle de produits 1

Les décisions du groupe de conception découlent de la formalisation et de


l’interprĂ©tation de ces reprĂ©sentations intermĂ©diaires car c’est notamment sur
cette base que se créent de nouvelles compétences permettant de réduire le
risque d’erreur dĂ©cisionnelle (c’est-Ă -dire d’une dĂ©cision qui ne conduise pas
au meilleur compromis possible pour les différents stakeholders intéressés).
La création de ces compétences est bien sûr indispensable pour accroßtre
l’efficience des prises de dĂ©cisions communes.

Nous allons montrer dans le paragraphe suivant de quelle façon ces


reprĂ©sentations intermĂ©diaires favorisent l’émergence de ces nouvelles
compétences individuelles.

3.4.2. La représentation intermédiaire : un support à la création de connaissances


multidisciplinaires

Nonaka [NON 97] définit la compétence comme la connaissance en


action ou encore, la facultĂ© de pouvoir mettre en Ɠuvre de la connaissance.

La compétence est donc une aptitude à adapter de la connaissance à un


contexte particulier. Cette capacitĂ© d’adaptation est pour partie une facultĂ©
propre Ă  chaque individu (ce qui renvoie au chapitre 2 et Ă  la structuration
des Ă©quipes) mais elle peut ĂȘtre favorisĂ©e, biaisĂ©e ou gĂȘnĂ©e en fonction des
données transmises au groupe.

En effet, pour Nonaka la création de connaissances est une assimilation et


un construit cognitif de l’individu en fonction des informations qu’il reçoit
(voir le modĂšle du tableau 3.1).

Ces informations peuvent lui ĂȘtre transmises en l’état ou sous formes de


donnĂ©es qu’il devra lui-mĂȘme convertir en informations. Ă  partir de donnĂ©es
Ă©lĂ©mentaires. L’information est appropriĂ©e par son rĂ©cepteur qui l’interprĂšte
selon son propre paradigme mais qui Ă©galement l’utilise pour faire Ă©voluer
son propre paradigme. C’est notamment cette Ă©volution de son paradigme
personnel qui lui permet d’acquĂ©rir de nouvelles connaissances et Ă  terme de
nouvelles compétences.
Structure et instrumentation du processus de conception 91

Terme Exemple Définition


Données Résultat Fait élémentaire, discret et objectif résultat
chiffrĂ© de d’une acquisition d’une mesure effectuĂ©e
calcul par un instrument naturel ou construit
par l’homme.
Information SOS Ensemble de données sémantiquement
cohĂ©rentes pouvant ĂȘtre interprĂ©tĂ© pour lui
donner un sens, dans une intention
particuliĂšre.
Connaissance Alerte : lancer Ensemble d’informations construites
(synonyme. savoir) les opĂ©rations permettant de comprendre et d’agir.
de secours La connaissance implique l’Homme porteur :
elle est interprétée, appropriée, activable dans
un but, contribue à une recherche de vérité.
Compétence Capacité à Ensemble de connaissances, de capacités
(synpnyme savoir-faire) porter secours d’action et de comportements structurĂ©s en
fonction d’un but et dans un type de situation
donnée.

Tableau 3.1. Illustration des notions de données, informations, connaissances, compétences

En conséquence le fond et la forme des données et informations


transmises jouent un rÎle prépondérant sur la façon dont les individus
modifient leur paradigme et avec celui-ci les critĂšres des dĂ©cisions qu’ils ont
Ă  prendre.

3.4.3. Le rÎle de la formalisation des objets intermédiaires dans la prise de décision

Selon la définition des représentations intermédiaires donnée en


section 3.4.1, le processus de conception produit une formalisation de la
vision du concepteur.

La décision en conception apparaßt par la nécessaire sélection entre


plusieurs alternatives de solutions. Ces alternatives ne sont pas toujours
formalisĂ©es sous forme de reprĂ©sentations intermĂ©diaires, mais lorsqu’il
devient nécessaire de légitimer un choix, les représentations intermédiaires
deviennent indispensables.
92 La conception industrielle de produits 1

La formalisation des reprĂ©sentations n’est donc pas anodine pour la prise


de décision : la formalisation des représentations et les paramÚtres du
systÚme mis en avant dans la représentation influent sur la décision puisque
comme nous venons de l’expliquer ils sont Ă©galement des facteurs de
crĂ©ation de connaissances pour les individus chargĂ©s de l’évaluation.

Le processus qui conduit Ă  l’établissement des critĂšres d’évaluation et Ă  la


décision est représenté par le tableau 3.2.

Tableau 3.2. Processus de mise en Ɠuvre d’un systĂšme d’évaluation de la performance

Le tableau 3.2 dĂ©crit la mise en Ɠuvre d’un systĂšme d’évaluation de la


performance. Elle permet donc de dĂ©crire la construction d’un systĂšme
d’évaluation qui nous mĂšne Ă  la dĂ©cision. Trois niveaux de sous-processus y
sont montrés :
– un niveau tĂ©lĂ©ologique auquel est dĂ©finie la problĂ©matique donnant lieu
à une évaluation de solution, ses finalités et le modÚle cible auquel
l’évaluateur va se rĂ©fĂ©rer ;
– un niveau stratĂ©gique auquel sont Ă©tablis les objectifs dont l’atteinte est
Ă  Ă©valuer et les indicateurs que l’évaluateur peut mesurer pour vĂ©rifier
l’atteinte de ses objectifs ;
– un niveau pilotage qui permet de confronter une mesure de la rĂ©alitĂ© Ă 
laquelle on peut associer un risque aux modĂšles construits au niveau
téléologique afin de prendre la décision.

Ce processus tel qu’il est formalisĂ© dans le tableau 3.2 ne fait pas
apparaßtre les représentations intermédiaires : elles interviennent pourtant à
deux phases de ce processus : la phase de construction de modĂšle Ă  partir des
problĂ©matiques et la phase d’état Ă©tudiĂ© du systĂšme.

Les reprĂ©sentations intermĂ©diaires en conception sont souvent l’état


Ă©tudiĂ© du systĂšme. C’est donc sur la base de ces reprĂ©sentations que nous
allons utiliser un systĂšme d’évaluation de la performance.
Structure et instrumentation du processus de conception 93

Un systĂšme d’évaluation peut ĂȘtre trĂšs prĂ©cis si la reprĂ©sentation sur laquelle


nos critĂšres d’évaluation s’appliquent n’est pas maĂźtrisĂ©e : le risque liĂ© Ă  la
dĂ©cision est alors trĂšs fort. C’est pourquoi la formalisation de reprĂ©sentations
intermédiaires support à la décision est importante pour la prise de décision.

3.4.4. Influence des choix de représentation dans la décision

Afin de dĂ©montrer l’importance des reprĂ©sentations intermĂ©diaires dans


le processus de décision en conception, nous allons illustrer nos propos par
une étude menée dans le cadre de décision de conception en entreprise
Ă©tendue [CHE 98]. Les auteurs ont testĂ© la validation de l’impact d’outils de
reprĂ©sentation pour la conception d’emballages innovants.

L’impact sur les dĂ©cisions de conception de quatre reprĂ©sentations a Ă©tĂ©


testĂ© au sein d’une PME, Elyce innovation.

Chaque reprĂ©sentation avait pour base la mĂȘme solution, seule la


technologie employée pour créer la RI a changé et différentes solutions ont
ainsi Ă©tĂ© proposĂ©es sous des reprĂ©sentations diffĂ©rentes. L’évaluation des
solutions a Ă©tĂ© conduite par le PDG de l’entreprise et le client final
commanditaire de l’emballage [CHE 98]. Chaque technologie employĂ©e
permettait l’accĂšs Ă  des natures d’informations diffĂ©rentes, propres Ă  la
technologie de reprĂ©sentation employĂ©e pour l’exercice.

Les consĂ©quences de cette variabilitĂ© d’apport informationnel se


traduisent, de la part des acteurs de l’évaluation, par des approches
cognitives des solutions dépendantes des modes de représentations proposés.
Par exemple, l’animation permet d’apprĂ©hender l’ouverture facile de
l’emballage qui est difficilement Ă©valuable avec d’autres modes de
représentation.

Cette expĂ©rimentation a mis en relief l’intĂ©rĂȘt de combiner diffĂ©rents


modes de représentations. Elle aussi permit de montrer que les décisions de
prĂ©fĂ©rence d’une solution variaient selon les modes de reprĂ©sentations
proposĂ©s : la hiĂ©rarchie des solutions proposĂ©es n’était pas la mĂȘme selon le
mode de représentations proposées.
94 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.11. Description des représentations intermédiaire virtuelles [CHE 98]

Figure 3.12. Les quatre représentations virtuelles testées

Cet exemple nous montre l’importance des reprĂ©sentations intermĂ©diaires


dans les processus de conception et de prises de décision. En effet, les
décisions doivent se fonder sur des supports de contenus qui respectent
formellement le concept de solution imaginé et qui permettent aux décideurs
d’accĂ©der Ă  la comprĂ©hension de cette solution.
Structure et instrumentation du processus de conception 95

Il faut donc, avant mĂȘme d’implĂ©menter un systĂšme d’évaluation de


performance du systÚme, réfléchir aux données nécessaires à la décision. Ces
donnĂ©es doivent alors ĂȘtre formalisĂ©es sous formes de reprĂ©sentations
intermédiaires qui supporteront la prise de décision.

3.4.5. SynthĂšse

Les reprĂ©sentations et objets intermĂ©diaires sont une projection d’un Ă©tat


de conception intervenant dans processus de décision. La formalisation de
ces objets participe à la convergence des échanges, et de fait devient une
aide aux choix à effectuer. Les représentations intermédiaires peuvent
devenir un tableau de bord pour les décisions collectives, via les paramÚtres
fixés et acceptés par tous. En intégrant ces objets dans la gestion de projet,
l’organisation laisse une place au partage et participe à la capitalisation des
connaissances pour une meilleure aide à la décision.

Un autre levier qui peut ĂȘtre employĂ© pour influer sur la capacitĂ© des
acteurs multidisciplinaires à travailler en « bonne intelligence » est de les
aider au travers de d’expĂ©riences participatives Ă  prendre conscience des
consĂ©quences d’un comportement purement dĂ©fensif de leurs intĂ©rĂȘts
sectoriels. C’est cet aspect qui est traitĂ© dans la partie qui suit.

3.5. Faire prendre du recul aux acteurs multidisciplinaires par le jeu

Nous avons montré de quelles maniÚres différentes caractéristiques -


propres au management industriel, au produit conçu, aux natures de
coopérations construites dans les équipes de conception et aux
représentations dont elles se dotent - influent sur les processus de décision.
Dans ce qui suit nous nous intéressons à une autre dimension : celle du
comportement des acteurs. Notre objet n’est pas d’expliquer ces
comportements (enjeu du chapitre 2) mais d’aborder la question de la
sensibilisation des concepteurs (ou des futurs concepteurs) à l’incidence de
leurs propres comportements en groupe sur la rationalité des décisions qui y
sont prises.

On mesure combien ces axes de rĂ©flexion s’éloignent des paradigmes des


acteurs dont la culture est Ă  dominante technique et/ou scientifique.
96 La conception industrielle de produits 1

Cependant l’importance que les personnels opĂ©ratifs et d’encadrement


saisissent le rĂŽle du savoir ĂȘtre est dĂ©terminant pour l’efficience
dĂ©cisionnelle des Ă©quipes de conception multidisciplinaires. « Aujourd’hui,
la formation des individus orientĂ©e vers le dĂ©veloppement de savoir-ĂȘtre et
d’aptitudes de collaboration demeure problĂ©matique.

En effet, de par la multitude des « paramÚtres » (développement


personnel, psychologie de l’individu, du groupe, culture d’entreprise, jeux de
pouvoir, habitude de travail, etc.) qui la conditionnent, il faut reconnaĂźtre le
caractÚre fortement contextuel de la collaboration. » [LEG 06 ; RIE 98].

Pour proposer une réponse à ce constat nous inscrivons notre démarche


dans les courants de Giordan [GIO 98] et de Charpak [CHA 96]. L’objectif,
ici, est de proposer un type de pĂ©dagogie basĂ© sur l’expĂ©rience. Nous
illustrerons notre propos par une expérimentation de type serious play6 qui
sera présentée en section 3.6.

L’apprentissage est un vaste dĂ©bat, et une discipline Ă  part entiĂšre. Nous


exposerons ici uniquement les choix réalisés pour construire notre serious
play et leurs motivations.

3.5.1. Le rîle du jeu participatif dans l’apprentissage

Pour Karl Popper [POP 34] : « les démonstrations les plus convaincantes
sont celles qui Ă©tablissent qu’une idĂ©e est fausse ». Cependant, l’objet de nos
mises en situations n’est pas de dĂ©montrer que l’apprenant se trompe mais de
l’amener Ă  dĂ©construire son raisonnement par des preuves (visuelles,
expĂ©rimentales, etc.) afin de l’aider Ă  en reconstruire un plus proche de la
réalité.

En fait, le modĂšle dĂ©ductif anglo-saxon qui se base sur l’expĂ©rimentation


tend à se développer en Europe également dans toutes les natures de
formations au travers des serious play.

6. Technique d’apprentissage dĂ©veloppĂ©e tant pour les enfants que les adultes et s’appuyant
sur la mise en situation de jeux qui mettent en Ă©vidence l’importance des interactions entre les
individus et/ou les événements.
Structure et instrumentation du processus de conception 97

D’aprùs Rieber [RIE 98], c'est en rendant le processus d'apprentissage


intĂ©ressant en lui-mĂȘme - et non son seul rĂ©sultat - que l'on peut obtenir le
plus de motivation chez l'apprenant. Rieber appelle serious play (parfois
aussi appelé hard fun) le type d'expérience d'apprentissage intense dans
lequel les enfants, autant que les adultes, s'engagent et consacrent
volontairement des quantités énormes d'énergie et de temps et dont ils
retirent en mĂȘme temps un grand plaisir [RIE 01].

Ces jeux sont un moyen de développer ce que Giordan [GIO 98] nomme
l’attitude expĂ©rimentale, en dĂ©centrant la focalisation de l’apprenant afin de
l’amener non pas sur le sujet Ă©tudiĂ© mais sur les relations, les consĂ©quences
que sa participation au traitement du sujet crée dans son comportement. Il est
nĂ©cessaire que l’apprenant dĂ©construise au fil de la dĂ©marche, ses schĂ©mas
théoriques ou préétablis pour construire un savoir opérant rapidement en
industrie.

Le coaching est basé, entre autre, sur de la mise en situation observée par
un « expert » qui aide Ă  analyser le vĂ©cu au profit de l’optimisation des
savoirs-ĂȘtre faces Ă  la situation. Nous reprenons ce principe pour guider la
rĂ©flexion de l’apprenant sur son propre comportement plutĂŽt que de lui
dresser une liste de savoirs-ĂȘtre Ă  dĂ©velopper, sans forcĂ©ment lui expliquer
les moyens qu’il faudrait y associer.

Nous inscrivons également la démarche présentée ici dans une fusion


entre l’apprentissage par projet [HUB 99] et l’apprentissage par erreur. Notre
travail est basé sur un groupe (en milieu industriel la prise de décision est
rarement individuelle de sa genĂšse Ă  son application) qui va devoir mettre en
jeu ses différents savoirs face à un contexte, pour proposer une solution à un
problĂšme. Ce n’est pas la solution en elle-mĂȘme qui est Ă©valuĂ©e mais le
parcours pour y arriver qui doit faire l’objet d’un bilan avec le formateur.

C’est dans cette logique que nous avons dĂ©veloppĂ© le cas de travaux
dirigés présenté par la suite. Il est important de construire le chemin
parcouru avec l’apprenant car il n’y a pas une solution face à la question de
la coopération et de la prise de décision dans la conception de produits, mais
bien des chemins contextuels Ă  bĂątir avec le collectif Ă  partir de savoir-ĂȘtre
et de savoir-faire.
98 La conception industrielle de produits 1

Dans ce qui suit nous présentons les raisons qui nous amené à positionner
notre serious play dans la phase de crĂ©ativitĂ© amont d’un processus de
conception de produit.

3.5.2. Pourquoi utiliser la phase créative pour notre serious play ?

La crĂ©ativitĂ© est un processus de recherche d’idĂ©es. Degrange [DEG 00]


la dĂ©finit comme Ă©tant d’abord « 
 une question, une ouverture vers une
dimension inconnue, un indéterminé ; elle est ensuite la suspension des
certitudes, passage prĂ©caire mais nĂ©cessaire, enfin elle s’impose
Ă©ventuellement comme proposant une solution ».

La créativité ou plus précisément le fait de générer des idées nouvelles est


un acte depuis longtemps pratiqué chez les philosophes et plus récemment
chez les scientifiques. De nombreux chercheurs ont contribué au
développement de la créativité notamment L.D. Miles, E. De Bono (pensée
latérale), P. Alto, F. Zwicky, W. Gordon, G. Prince, Osborn (association
libre ou encore brainstorming) [BOU 01, DEG 00]. De ces différents
courants de pensée, nous distinguons cependant deux types de créativité,
complémentaires : la créativité individuelle et la créativité collective. De
plus comme prĂ©sentĂ© dans la section 2.6.1, la crĂ©ativitĂ© nĂ©cessite d’amener le
groupe Ă  travailler ensemble.

Dans les sections suivantes, nous allons la positionner Ă  travers le


processus de créativité collective puis la présenter en mettant en avant ses
particularités et ses objectifs, et enfin, nous allons développer en quoi elle
nous permet d’observer le phĂ©nomĂšne d’apprentissage de diffĂ©rents acteurs
dans le cadre d’une construction commune de projet.

3.5.3. Les conditions de mises en Ɠuvre et les objectifs de maniĂšre gĂ©nĂ©rale


du serious play utilisé

Le processus créatif intervient bien sûr dans la phase créative du projet


mais il peut aussi arriver qu’il intervienne pour traiter ponctuellement un
problĂšme dans les autres phases du processus de conception. Nous traiterons
ici de la créativité collective utilisée comme recherche de concepts dans les
phases amont du processus de conception.
Structure et instrumentation du processus de conception 99

Le processus de créativité est ainsi appliqué dans le cadre de sessions ou


de séances de créativité (une session comprend plusieurs séances).

Un des principes fondateurs de la crĂ©ativitĂ© collective est d’utiliser la


synergie inventive d’un groupe de personnes multidisciplinaires
(personnellement et professionnellement) dans l’objectif de trouver
ensemble, grĂące Ă  des outils spĂ©cifiques dĂ©diĂ©s, un maximum d’idĂ©es
nouvelles à un problÚme donné [DEB 04b, ISA 03].

Figure 3.13. Positionnement du processus de créativité appliqué


dans le processus de conception d’aprùs [STO 04]

Afin de mener à bon terme une session de créativité collective, un


animateur est indispensable. Il a le rĂŽle Ă  la fois de garant des moyens et
outils utilisés, de leur orchestration et de la production créative du groupe. Il
a pour fonctions de prĂ©parer, animer les sessions et de gĂ©rer l’analyse et la
synthÚse des résultats.

Il est important que l’animateur soit externe au groupe pour ĂȘtre


hiérarchiquement et culturellement indépendant des membres du groupe et
de leurs thématiques de travail.
100 La conception industrielle de produits 1

Dans notre cas, le cas d’une activitĂ© de crĂ©ativitĂ© collective est


particuliĂšrement intĂ©ressant car c’est une activitĂ© qui requiĂšre l’émergence
d’un apprentissage collectif indispensable à la construction de solutions
innovantes à un problÚme donné.

Nous allons maintenant détailler la maniÚre dont se décompose le


processus de créativité collective.

Figure 3.14. Processus de crĂ©ativitĂ© appliquĂ© d’aprĂšs [STO 04]

Chaque Ă©tape du processus de crĂ©ativitĂ© peut ĂȘtre soutenue par


l’utilisation d’outils spĂ©cifiques de natures variĂ©es mais complĂ©mentaires.
Vadcard [VAD 96] a proposé au cours de ses travaux de classer ces outils
par familles. La liste des outils prĂ©sentĂ©s est loin d’ĂȘtre exhaustive mais
permet d’illustrer les diffĂ©rentes familles rĂ©pertoriĂ©es.

Famille Outils (exemples)


Combiner Matrice de découvertes
Associer Carte mentale, brainstorming
Analyser Purge, avocat de l’ange, fiche idĂ©e
Analogique Analogie, inversion, scénario
Onirique RĂȘve Ă©veillĂ©

Tableau 3.3. Les principaux outils utilisés en créativité collective


Structure et instrumentation du processus de conception 101

La matrice de découverte due à A. Moles est basée sur une exploitation


de la logique combinatoire et plus précisément sur une analyse systématique
des combinaisons possibles.

Le brainstorming libre inventé en 1953 par Osborn [DEG 00] signifie


littĂ©ralement tempĂȘte de cerveau . Aussi appelĂ© remue-mĂ©ninges, cet outil de
créativité collective est basé sur la logique associative des idées soumises par
les diffĂ©rents participants. Il demande l’émission d’une grande quantitĂ©
d’idĂ©es, sans censure. « Cet outil a pour objectif de mettre Ă  jour des
solutions Ă  un problĂšme donnĂ©, de quelque nature qu’il soit. Il peut ĂȘtre
utilisé comme outil préliminaire à un autre outil de créativité » [VAD 96].
La purge se pratique généralement en début de séance de créativité et de
maniùre individuelle. Elle permet aux participants d’exprimer toutes les
premiĂšres idĂ©es sur un sujet donnĂ© et ainsi d’ouvrir leurs esprits Ă  d’autres
possibilités.

L’analyse fonctionnelle externe (AFE) s'intĂ©resse, comme son nom


l'indique, aux relations externes entre le produit et son environnement. « Elle
permet de dématérialiser le produit en identifiant les fonctions qui le
caractĂ©risent. L’objectif de cette Ă©tape n’est pas de trouver une solution mais
de bien poser le problùme afin d’ouvrir le champ de recherche à des
solutions innovantes, pertinentes par rapport au besoin et adaptées aux
contraintes du projet » [PLO 00]. L’analogie a Ă©tĂ© mise en Ă©vidence par
Gordon dans le but de « rendre l’insolite familier, c’est-Ă -dire d’aller
chercher des idées dans des domaines déjà explorés pour résoudre des
problÚmes » [VAD 96].

Enfin, la fiche idĂ©e est un outil d’analyse utilisĂ© en phase de convergence.


Elle est indispensable pour présenter tous les concepts et idées qui auront
Ă©mergĂ©s lors d’une session de crĂ©ativitĂ© collective. Elle permet ensuite une
analyse, une évaluation et une sélection des idées.

3.5.4. SynthĂšse

La phase de créativité est une phase délicate, qui demande aux différents
acteurs de diverger vers d’autres solutions que leurs prĂ©jugĂ©s et de converger
vers un compromis pour tous, un panel de possibles partagés.
102 La conception industrielle de produits 1

Cette phase met en exergue la question des représentations


intermĂ©diaires, et de leur rĂŽle dans l’optimisation du processus dĂ©cisionnel.
Il est question d’amener les acteurs à percevoir l’incidence de leurs
comportements dans la prise de décision.

3.6. Le serious play : le cas de la re-conception d’un siùge de bureau

Dans ce qui suit nous présentons un scénario et un exemple de


dĂ©ploiement et d’exploitation d’un serious play . L’objectif d’un tel exercice
proposĂ© Ă  des Ă©tudiants en Ă©cole d’ingĂ©nieurs est de leur faire prendre
conscience du rÎle des comportements individuels sur les résultats finaux du
groupe de travail. Cela impose de les faire entrer en action, de susciter des
émotions puis de leur permettre de prendre du recul par rapport événements
vĂ©cus par le groupe. Nous dĂ©taillons tout d’abord les objectifs et modalitĂ©s
de mise en Ɠuvre pour exposer ensuite les rĂ©sultats obtenus et ceux qu’il
serait souhaitable d’amĂ©liorer.

3.6.1. Objectifs

L’objectif de cette Ă©tude de cas (EC) est d’illustrer l’influence du


comportement des acteurs sur les prises de décisions. Cette illustration se fait
plus précisément au cours des phases de divergence (phase créative du
groupe) et de convergence (phase de négociation du groupe : conception de
concepts). La rĂ©alisation de l’EC amĂšne les utilisateurs Ă  vivre une situation
de prises de décisions :
– individuelles, ils sont amenĂ©s Ă  choisir entre la satisfaction de leurs
contraintes personnelles et celles des autres membres du groupe ;
– collectives, car le groupe doit proposer des solutions à la fin du temps
imparti pour rivaliser avec les autres groupes en concurrence.

3.6.2. Modalités

L’EC a Ă©tĂ© menĂ©e avec plusieurs groupes de 6 personnes. Ces groupes


ont utilisĂ© des outils de crĂ©ativitĂ© au cours d’une session de 2 heures, puis
ont effectuĂ© un dĂ©briefing de 30 minutes. L’animateur du groupe a le choix
des outils de crĂ©ativitĂ© qu’il utilise pour la phase d’émergence de concepts
(divergence) et de négociation (convergence).
Structure et instrumentation du processus de conception 103

Le sujet d’application de la session de crĂ©ativitĂ© portait sur « le


reconception d’un siĂšge de bureau ». Le sujet ainsi que les diffĂ©rents groupes
ont Ă©tĂ© dĂ©finis par les crĂ©ateurs de l’EC. Afin de « recrĂ©er » artificiellement
les contraintes qui s’appliquent aux acteurs des groupes projets rĂ©els
interdisciplinaire, chacun a reçu une liste de critÚres (cahier des charges
mĂ©tier : C.d.C. mĂ©tier dans le texte) qu’il devait faire accepter comme
critĂšres du C.d.C commun par les autres membres du groupe. Deux sources
de conflits ont ainsi été suscitées :
– certains paramĂštres mĂ©tiers Ă©taient antagonistes entre mĂ©tiers ;
– chaque acteur dĂ©fendait trois critĂšres Ă  faire inscrire au cahier des
charges global du produit (3 critÚres par 5 acteurs métiers, soit 15 critÚres)
alors que le nombre de critÚres du C.d.C commun est limité à 5 ; 10 critÚres
doivent donc ĂȘtre Ă©liminĂ©s.

Une opportunité de construction commune a été offerte :


– des esquisses de solutions rĂ©pondant aux cinq critĂšres retenus doivent
ĂȘtre proposĂ©es par le groupe ;
– l’objectif de dĂ©briefing final sera de mettre en relation la façon dont se
sont déroulés ces moments clés du point de vue des comportements des
acteurs et les résultats finalement obtenus.

1) Constitution des équipes

Pour la force de la démonstration il est souhaitable lors de cette phase de


constituer des équipes avec des membres présentant des personnalités trÚs
différentes (caractéristiques personnelles, expertises professionnelles). Cette
condition est importante pour ne pas former des équipes majoritairement
constituées de personnes à tempérament de « leader » ou de « suiveur » par
exemple, et ainsi se trouver dans une configuration qui aurait peu de chance
d’ĂȘtre concluante. Si possible, les C.d.C mĂ©tiers sont attribuĂ©s de façon Ă  ce
que leurs défenseurs aient suffisamment de connaissances pour les
comprendre et les dĂ©fendre. Cependant, il faut Ă©videmment Ă©viter d’attribuer
un rÎle métier exactement dans le champ professionnel de la personne. Pour
aider cette phase de constitution des groupes il est possible de réaliser des jeux
utilisés en développement personnel ou en ressources humaines avant la session
de créativité. On utilise alors des exercices de coopération, de challenge collectif
et/ou de mise en concurrence. Ces jeux sont habituellement proposés en tout
début de sessions ou aprÚs des pauses. Ils peuvent également aider à initier une
cohésion de groupe qui favorise ensuite la production créative.
104 La conception industrielle de produits 1

2) PrĂ©sentation du sujet et de l’objectif de l’EC par les animateurs

Dans notre cas quatre groupes ont été placés dans deux salles différentes.
Dans chaque salle, un animateur a expliqué le travail à effectuer et les
objectifs attendus. Cette phase est importante et doit ĂȘtre trĂšs claire pour que
les participants n’aient pas, ou trùs peu, de questions à poser par la suite ce
qui risquerait de stopper la dynamique crĂ©ative et mettrait en pĂ©ril l’enjeu de
l’EC : crĂ©er une situation chargĂ©e d’ « Ă©motions » pour les acteurs.

3) Présentation des paramÚtres métiers à chaque acteur

Chaque groupe se compose d’un responsable de l’éco-conception, un


ingénieur calcul, un responsable matériaux, un responsable des achats, un
designer produit et un animateur de la séance de créativité. Avant de commencer
l’EC, chacun prend connaissance de son C.d.C personnel (figure 3.15) qui
comprend systĂ©matiquement une description du rĂŽle Ă  jouer, c’est-Ă -dire les
caractĂ©ristiques de « l’acteur Ă  jouer » et la liste de 4 ou 5 contraintes mĂ©tier
qu’il va tenter de faire admettre comme nĂ©cessaires au C.d.C commun et qui
servent ensuite à évaluer les concepts de solutions imaginées.

Cahier des charges


L’animateur
r Contexte
Vous avez les compétences méthodologiques et
la personnalité requise (dynamisme) pour assurer
l’organisation, le dĂ©roulement et l’animation d’une
séance de créativité. Vous devez mettre le groupe
dans une atmosphĂšre propice Ă  une production
crĂ©ative et en ĂȘtes le garant.

Objectif : amener 3 de ces contraintes dans les


fiches idées

‱ Respecter le timing et les rùgles du jeu


‱ Amener le groupe Ă  produire le plus d’idĂ©es
possibles (en brainstorming et inversion)

‱conviction)
Relancer le groupe si blocage (dynamisme,

‱explicatifs
Il ne faut pas plus de 5 critÚres métiers
par fiche idée.

Stéphanie
- Minel, ESTIA Nadine Stoeltzlen,
- ENSGSI
Anthony Delamarre, ISTIA Gwenola Bertoluci, ENSIA

Figure 3.15. Cahier des charges de l’animateur


Structure et instrumentation du processus de conception 105

4) Recherche créative et synthÚse

La sĂ©ance dĂ©bute sur une phase divergente, d’ouverture (le groupe


s’éloigne du sujet initial) oĂč chacun donne ses idĂ©es, rebondit sur ce que
disent les autres participants sans censurer les idées émises.

L’objectif est d’avoir un maximum de matiùre à traiter pour la conception


de fiches idĂ©es (ou sont formalisĂ©es les idĂ©es et les concepts). Puis c’est la
phase de convergence qui aboutit Ă  la rĂ©daction de fiches idĂ©es. C’est durant
cette séance que sont recueillis sur lesquels est conduit ensuite le debriefing :
les photos, films, renseignement d’une grille d’observation (tableau 3.4).

Lors de la rédaction des fiches idées des négociations entre acteurs


s’engagent. Chacun doit soumettre et argumenter ses prĂ©fĂ©rences de critĂšres
Ă  prendre en compte pour Ă©valuer les solutions. C’est Ă  ce moment
qu’apparaissent divers Ă©lĂ©ments :
– personnels : certains tempĂ©raments ou profils d’acteurs sont plus Ă 
l’aise que d’autres, gĂšrent plus aisĂ©ment cette phase de nĂ©gociation et de
décision ;
– l’émergence d’objets intermĂ©diaires, sortes d’objets de nĂ©gociation qui
facilitent les discussions, les explications de données métiers, les compromis
pour construire en groupe une fiche idée.

Statut (suiveur, Prise de parole / Conflit / blocage : Forme de décision Facteur de


opposant, temps de parole, quand, sujet, (collective,autoritaire, déblocage
leader
) sur quel sujet durée compromis
) amorcé
refusée / négociée par qui ?
par qui ?
Animateur
Designer
Responsable
Eco-conception
Matériaux
Calcul

Tableau 3.4. Exemple de grille d’observation


106 La conception industrielle de produits 1

5) Debriefing

Cette phase est alimentée par les notes rédigées dans la grille
d’observation et la diffusion de vidĂ©o/photos qui illustrent les postures
physiques des participants. L’objectif est ici d’analyser le comportement du
groupe et les « rÎles » de chacun dans les phases de coopération et de prises
de dĂ©cision. Il est important de travailler sur les « rĂŽles » afin d’éviter tout
jugement personnel parfois d’éviter l’entrĂ©e dans un comportement affectif.
De plus, toutes les argumentations doivent ĂȘtre factuelles et illustrĂ©es par des
photos ou des prises de notes.

Cette phase est la base mĂȘme de l’apprentissage. Dans certains cas


[LEG 06], cette phase fait mĂȘme l’objet d’une sĂ©ance ultĂ©rieure afin d’aider
à la construction des représentations, nous demandons aux participants
d’exposer, selon leurs points de vues, ce qui s’est passĂ©, la maniĂšre dont ils
l’ont vĂ©cu et comment ils se sont organisĂ©s. Ceci afin de leur dĂ©montrer que
certaines phases (de prises de recul ou au contraire d’entraünement) et
certains leviers peuvent ĂȘtre mis en place pour aider Ă  une prise de dĂ©cision
commune et concertĂ©e, comme par exemple l’utilisation d’objets
intermédiaires.

En effet, la coopĂ©ration mĂ©tier ne peut pas se faire sans le choix d’une


mĂ©thodologie de travail, d’une organisation admise par tous, sans le partage
de contraintes personnelles, leur pondĂ©ration au mieux de l’objectif
commun, et l’utilisation d’objets communs de nĂ©gociation (ici confondus
avec les représentations intermédiaires) favorise cette dynamique. La prise
de décision est alors plus facile, factuelle et argumentée. Elle devient
partagée lorsque chaque acteur, parvient à exprimer et faire entendre son
expertise.

3.6.3. La suite des travaux de recherche Ă  conduire

Nous avons mis en Ɠuvre cette dynamique d’apprentissage avec diffĂ©rents


publics et ainsi acquis des éléments de démonstration de son efficacité. Nous
poursuivons actuellement nos recherches sur la question de la « mesure » de
l’effectivitĂ© de cet apprentissage. Des questions restent en suspens : est ce que
tous les projets offrent une mĂȘme facilitĂ© d’apprentissage ? Y a-t-il des profils
d’acteurs qui rendent l’apprentissage plus difficile que d’autres ? Quels facteurs
influent sur le temps d’apprentissage ?
Structure et instrumentation du processus de conception 107

3.7. Conclusion

Le besoin de réduire le time to market a considérablement joué au cours


des trente derniÚres années sur les pratiques et outils de conception de
produits complexes destinĂ©s Ă  des marchĂ©s de grand public. L’évolution des
pratiques de management des personnels, de travail en groupe de projets, le
dĂ©veloppement des TIC (technologies de l’information et de la
communication) ont permis de réduire les temps de développement, de
réduire les erreurs de conception, de diminuer les coûts de conception, etc., il
reste au milieu de ce formidable effort de rationalisation, une ressource qui
ne peut et ne doit ĂȘtre totalement maĂźtrisĂ© et contrĂŽlĂ© : l’homme.

Nous devons accepter que notre volontĂ© d’efficience des processus se


heurte à des comportements non prévisibles, non souhaités pas
nécessairement toujours non souhaitables.

C’est aux responsables de groupe projets, au dirigeant d’entreprise


d’admettre que la crĂ©ativitĂ©, l’intelligence inattendue vient du vivant : la
contrepartie est cette non maĂźtrise partielle des comportements. Il est alors
important pour chacun de ces managers d’admettre que c’est dans le partage
des intĂ©rĂȘts que se construit une vision commune. Les reprĂ©sentations
intermédiaires et les serious plays que nous avons présentés ici concourent à
la crĂ©ation de cette vision commune. C’est pourquoi nous avons choisi de
présenter un exercice réalisable tant dans le monde pédagogique
qu’industriel et s’adaptant parfaitement au contexte et aux individus rĂ©unis.
Si tout est lié (prise en compte du leadership, stimulation de la créativité
comme argument concurrentiel, optimisation du processus décisionnel en
vue de la capitalisation des connaissances liées à la question des départs et
turn-over, etc.), ce n’est que parce qu’au cƓur de ces focalisations il y a les
acteurs différents. Ces individus sont dotés de motivations et de stratagÚmes
individuels propres mais aussi prĂȘts Ă  les pondĂ©rer par l’impact, le poids ou
l’intĂ©rĂȘt du collectif, rĂ©seau dans lequel ils se trouvent plongĂ©s de par leurs
activitĂ©s. Nous avons extrait des phases et des thĂ©matiques qui doivent ĂȘtre
replacĂ©es et liĂ©es avec la question mĂȘme de la gestion de projet Ă©voquĂ©e dans
la section suivante.
DEUXIÈME PARTIE

Le management de projet

Partie coordonnée par Michel BIGAND.


CHAPITRE 4

Le projet, mode de conception de produit

4.1. Définir le mot « projet »

L’utilisation du terme « projet7 » est courante ; pour clarifier nos propos il


est utile de le dĂ©finir et d’en cerner progressivement les diffĂ©rentes facettes.

En guise de préambule nous pouvons nous livrer à un petit remue-


mĂ©ninge (brainstorming) qui, en partant d’un projet rĂ©el (la conception-
rĂ©alisation d’un prototype de produit, la prĂ©paration d’un voyage,
l’organisation d’une manifestation, etc.), consiste à lister tous les termes
caractéristiques, tous les éléments relatifs à ce projet.

Nous pouvons écrire chaque idée sur un petit papier, puis les regrouper
par rubriques. La tableau 4.1 donne un exemple du résultat que nous
pouvons obtenir. Nous pouvons également chercher dans quel cas on parle
de projet, et faire ainsi Ă©merger les spĂ©cificitĂ©s d’un projet : celui-ci est
unique, vise un objectif concret, nouveau, innovant, il est risqué car il
comporte une large part d’incertitudes, des modifications en cours de route, a
une durĂ©e limitĂ©e, mĂ©lange des Ă©lĂ©ments Ă©prouvĂ©s et d’autres nouveaux, il
est complexe du fait d’une forte interdĂ©pendance des tĂąches, mais surtout Ă 
cause des (grĂące aux) facteurs humains laissant une place significative aux
aspects non rationnels, aux divergences d’intĂ©rĂȘts


Chapitre rédigé par Michel BIGAND.


7. Le projet dĂ©signe ici le programme de rĂ©alisation de l’objet final, et non l’objet lui-mĂȘme.
112 La conception industrielle de produits 1

Une idée est-elle un projet ? Non, mais elle en constitue le point de départ
incontournable ; rechercher et trouver des idées est une activité humaine qui
peut concerner tout le monde, Ă  tout Ăąge, et qui repose sur une vision
idéaliste (optimiste ou non) du futur. Dire « un jour, je ferai le tour du
monde » ne constitue pas un projet ; s’organiser pour le faire et commencer Ă 
rĂ©aliser son rĂȘve devient un projet Ă  part entiĂšre. Toute entreprise peut
s’organiser pour favoriser l’émergence d’idĂ©es.

Une étude prospective est-elle un projet ? Non plus. Mais comme un


projet se projette vers l’avenir, il est indispensable de rĂ©duire dĂšs que
possible les incertitudes, en s’appuyant notamment sur ce type d’études.

Une recherche est-elle un projet ? Pas s’il s’agit de recherche


fondamentale qui ne vise pas une finalité précise ; toutefois, chaque projet
possĂšde sa part d’innovation et s’appuie sur les rĂ©sultats de recherches
théoriques ou appliquées.

Qu’est-ce qu’un projet ?

Rubriques Idées

Travail Analyse des besoins, étude, conception, prototype, réalisation,


production, développement, livrable, produit, systÚme, etc.

Coûts Coût prévu, coût réel, design to cost, budget prévisionnel, budget réalisé, devis,
analyse des coûts, comptabilité analytique, finance, etc.

Temps Date de début, de fin, délai, charge de travail, durée, planning,


planification, jalons, gestion du temps, chemin critique, etc.

Management Organisation, équipe, motivation, conflits, communication, arbitrage,


compromis, responsabilité, tableau de bord, communication, suivi, etc.

Ressources Hommes (femmes et hommes), personnel, moyens matériels, ressources


financiĂšres, machines, informations, locaux, etc.

Tableau 4.1. RĂ©sultat d’un brainstorming sur la dĂ©finition d’un projet

Enfin, il faut bien distinguer « projet » et « opération » [DEC 97] ; une


opération, comme par exemple la production de boissons gazeuses, est une
activité répétitive et sans fin, ce qui la distingue du projet dont la durée est
limitée.
Le projet, mode de conception de produit 113

Toutefois, les entreprises qui s’organisent en mode projet auront à cƓur


de définir des méthodes, de capitaliser sur les projets passés, et finalement
d’opĂ©rationnaliser tant que faire se peut l’activitĂ© de projet.

Nous proposons en définitive de retenir la définition suivante du mot


« projet » (AFNOR norme X50-105) [GID 06] : « Un projet est une action
spécifique, nouvelle, qui structure méthodiquement et progressivement une
rĂ©alitĂ© Ă  venir, pour laquelle on n’a pas encore d’équivalent ». Pour
compléter cette définition, ajoutons que le projet se caractérise par [AFI 98]
[WES 91] :
– un objectif qu’il s’agit de concrĂ©tiser ; cet objectif, souvent flou au
départ, va progressivement se construire lors de la structuration initiale
(phase de cadrage) et devra ĂȘtre spĂ©cifiĂ© clairement, puis sera parfois amenĂ©
à évoluer du fait des événements qui se produiront ;
– une date de dĂ©but et une date de fin ; en cela un projet se distingue
d’une activitĂ© de type « opĂ©ration » sans fin ;
– un coĂ»t prĂ©visionnel et des gains espĂ©rĂ©s ; dĂšs les premiĂšres Ă©tudes, le
projet reprĂ©sente un coĂ»t pour l’entreprise (en mobilisant des ressources
humaines notamment) ; quel que soit le projet, la dimension économique est
Ă  prendre en compte (en particulier, une entreprise ne peut investir dans tous
les projets qui lui sont soumis, et elle doit nécessairement arbitrer en faveur
des projets les plus en phase avec sa stratégie de développement, comme
nous le verrons plus loin) ;
– une organisation spĂ©cifique et temporaire ; les ressources mobilisĂ©es
sont libérées en fin de projet, et concernant les ressources humaines,
l’éclatement du groupe n’est pas sans consĂ©quence sur les acteurs ; cette
dimension doit ĂȘtre anticipĂ©e par les managers.

Trois indicateurs clés du projet sont étroitement liés : les coûts, les délais
et la qualité (et les fonctionnalités) du livrable. Ces trois indicateurs devront
ĂȘtre dĂ©finis lors des Ă©tudes prĂ©visionnelles, puis respectĂ©s lors de la
réalisation du projet.

4.2. Cycle de vie d’un projet

Nous avons souvent tendance initialement à spécifier non pas un besoin


mais une solution à un besoin, ce dernier étant souvent mal cerné. Ainsi, un
groupe projet formule son objectif de conception d’un dĂ©tecteur de hors-jeu
114 La conception industrielle de produits 1

au football comme suit : « Ă©quiper le ballon et chaque joueur d’un capteur


électronique qui permette de connaßtre les positions et changements de
trajectoire ». Bien que cela ne soit pas formalisĂ©, on peut deviner qu’il s’agit
d’automatiser la dĂ©tection des situations de hors-jeu au football.
Naturellement, la solution proposĂ©e n’est pas unique (elle est d’ailleurs peu
rĂ©aliste) et ne suffit pas Ă  atteindre l’objectif ; mais le projet lui-mĂȘme
répond-il à un véritable besoin ? Les arbitres ne font-ils pas partie du jeu,
avec leurs erreurs d’apprĂ©ciation, leurs faiblesses ? N’allons pas plus loin
dans ce vaste débat.

Il est possible, au tout dĂ©but du projet, de procĂ©der en trois Ă©tapes : rĂȘver


au produit8 idéal (cette étape génÚrera immanquablement des idées
d’innovations), dĂ©truire les idĂ©es (sur ce point, l’homme est trĂšs fort), puis ne
conserver que les idĂ©es d’innovations les plus rĂ©alistes dans le contexte du
projet.

Il est ainsi possible de spécifier le besoin en termes de fonctions à


rĂ©aliser, indĂ©pendamment de toute solution. P. Boulanger l’avait compris
lorsqu’il demanda Ă  ses services de crĂ©er ce qui allait devenir la 2 CV
Citroën : « Faites étudier une voiture pouvant transporter deux cultivateurs
en sabots, 50 kg de pommes de terre ou un tonnelet Ă  une vitesse maxi de
60 kms/h pour une consommation de 3 litres aux 100 kms. La voiture devra
pouvoir passer dans les plus mauvais chemins, ĂȘtre conduite par une
conductrice débutante et avoir un confort irréprochable. Le point de vue
esthĂ©tique n'a aucune importance. Le prix devra ĂȘtre infĂ©rieur au tiers de
celui de la Traction-avant 11 CV. ». Il est remarquable de constater que les
critĂšres et leurs niveaux d’acceptabilitĂ© Ă©taient cadrĂ©s avant le premier coup
de crayon (les mauvaises langues prĂ©tendent que le critĂšre sur l’esthĂ©tique
fut le premier Ă  ĂȘtre pris en compte).

L’analyse de la valeur nous sera trùs utile dans cette phase de cadrage :
elle contribue à construire une intelligence collective de la problématique,
permet de mettre en Ɠuvre une approche systĂ©mique et d’aborder le coĂ»t
global. Elle permet en outre d’exprimer les besoins, de maniùre objective, en
termes de résultats à atteindre, et encourage la recherche créative de
solutions.

8. Il s’agit du produit du projet, au sens rĂ©sultat ; le terme « produit » recouvre aussi bien un
produit qu’un service ou un produit et les services qui lui sont associĂ©s.
Le projet, mode de conception de produit 115

Le cycle de vie du projet peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© par les Ă©tapes du tableau 4.2 ;
une littĂ©rature abondante propose d’autres dĂ©coupages qui se rejoignent.

Tableau 4.2. Cycle de vie d’un projet de conception de produit

Les étapes fondamentales de la réalisation de projet sont, par la suite,


abordées et développées par des études de cas :
– l’avant-projet (Ă©tudes d’opportunitĂ©, de faisabilitĂ© Ă©conomique, de
cadrage, expression du besoin, études de faisabilité technique) fournissant
les donnĂ©es d’entrĂ©e (cahier des charges, dĂ©lais, budget), chapitre 5 ;
– la structuration du projet avec la mise en place des moyens, chapitre 6 ;
– le pilotage du projet pendant sa rĂ©alisation, chapitre 7 ;
– le management de l’innovation et la gestion d’un portefeuille de projets,
chapitre 8.
CHAPITRE 5

Expression des besoins du client :


étude de cas, le projet masque sourireŸ

L’idĂ©e est nĂ©e Ă  l’hĂŽpital du CHU de Nancy oĂč les enfants de certains


services sont isolés pour des raisons médicales. Un psychologue a relevé le
fait que ces enfants hospitalisés pouvaient présenter un retard
d’apprentissage du langage liĂ© Ă  l’impossibilitĂ© de voir les expressions du
visage du personnel hospitalier ou de leurs parents que leur dissimule le
masque opaque de rigueur.

On laisse aujourd’hui les parents approcher les enfants à l’hîpital, mais le


port du masque reste obligatoire pour les proches, les intervenants extérieurs
(clown, enseignant, etc.) [DEM 91]. Porter un masque opaque quand on
veut faire rire, parler, ne facilite pas le contact. En effet, comment l’enfant
peut-il distinguer un sourire, des expressions de tendresse ? Comment
apprendre Ă  parler ? Comment avoir un contact plus humain pour se sentir
moins isolĂ© ? Qu’il s’agisse d’une infirmiĂšre ou d’un parent, la communication
se fait difficilement.

Dans ce milieu, les conditions d’hygiùne et de protection imposent le port


d’un masque de catĂ©gorie 2, d’oĂč l’idĂ©e d’un masque qui laisserait
transparaĂźtre les expressions du visage des visiteurs.

Chapitre rĂ©digĂ© par Jean-Pierre GRANDHAYE et DjĂ©mil CHAFAÏ.


118 La conception industrielle de produits 1

En 2001, cette idĂ©e est prise en charge par un groupe projet et c’est un
« art thérapeute », travaillant au sein du secteur de transplantation médullaire
de l’hĂŽpital d’enfants du CHU de Nancy, qui a proposĂ© l’idĂ©e de ce masque
sourireŸ pour améliorer la communication dans le cadre de son activité.

Le but initial du projet masque sourireŸ était de concevoir, industrialiser


et mettre sur le marché un masque ergonomique, permettant de voir les
expressions du visage tout en répondant aux différentes normes
hospitaliĂšres.

C’est ce projet masque sourireÂź qui va nous servir de dĂ©monstrateur pour


prĂ©senter la dĂ©marche du management par la valeur. Il ne s’agit pas pour
nous de proposer un nouveau cours d’analyse de la valeur [GRA 02] mais
bien, aprÚs avoir réalisé le cadrage du projet, de mettre en relief le caractÚre
systémique de la démarche pluridisciplinaire fonctionnelle [GEN 98] de
souligner l’importance des notions de cycle de vie et de coĂ»t global et
d’aborder la question des arbitrages au cours des diffĂ©rentes recherches
technico-Ă©conomiques relatives Ă  un produit innovant qui doit s’adapter Ă  un
contexte complexe [LEM 90] qui évolue.

5.1. Les premiĂšres investigations

5.1.1. La démarche préliminaire

Une fois identifiĂ©e l’opĂ©ration, il s’agit d’abord d’en dĂ©terminer les


enjeux et d’en examiner la rentabilitĂ© et les faisabilitĂ©s, avant de pouvoir
statuer sur son opportunitĂ©. Il s’agit aussi de choisir les acteurs du projet et
de montrer pourquoi la dĂ©marche MV (management par la valeur) doit ĂȘtre
retenue.

En introduction, nous avons identifiĂ© tout l’intĂ©rĂȘt pour l’enfant d’un


masque permettant de visualiser les expressions du visage tout en protégeant
les personnes.

En prenant en compte le développement des activités de ludothérapie


mais aussi l’ensemble des Ă©changes, plus nombreux avec le personnel, nous
observons d’autres attentes chez les adultes à l’hîpital, de la part des
professionnels et des proches.
Expression des besoins du client, étude de cas 119

Port du masque
 Service pédiatrique Service adulte


 permanent Cancérologie, hématologie, Hématologie, oncologie, réanimation


oncologie, transplantation médicale, réanimation chirurgicale.
médullaire.


 occasionnel Médecine interne, urgences, Médecine interne, urgences, maladies


néonatalité. respiratoires et pneumologie,
maladies infectieuses et tropicales,
gynécologie obstétrique,
grands brûlés.

Tableau 5.1. Les services hospitaliers potentiellement concernés

La mise sur le marchĂ© d’un produit masque sourireÂź prĂ©sente Ă©galement


un intĂ©rĂȘt pour d’autres activitĂ©s nĂ©cessitant le port de masque comme, par
exemple, les activités en salles blanches industrielles. Les premiÚres
recherches qui ont eu lieu sur ce sujet, Ă  caractĂšre technique avant tout, se
sont orientĂ©es vers l’utilisation de films minces transparents et filtrants. Les
premiers résultats ont fait apparaßtre :
– une difficultĂ© technique Ă  rĂ©aliser de petits trous permettant d’assurer
une filtration conforme aux exigences et normes ;
– un problùme de confort et d’ergonomie lors du port d’un tel masque,
avec en particulier un risque de formation de buée ;
– un coĂ»t de revient estimĂ© trĂšs Ă©levĂ©, avec un matĂ©riau actuellement
expĂ©rimental et une mise en Ɠuvre Ă  dĂ©finir.

Devant le peu d’issues techniques et la complexitĂ© inattendue du


contexte, il a Ă©tĂ© jugĂ© souhaitable d’engager une dĂ©marche de management
par la valeur (MV) dont l’approche systĂ©mique semblait mieux adaptĂ©e au
dĂ©veloppement d’un produit, le masque sourireÂź, en complĂšte interaction
avec son environnement technique mais aussi économique et social. Pour
cela, et conformément à la démarche, les différentes parties prenantes du
projet ont tout d’abord Ă©tĂ© identifiĂ©es :
– le milieu hospitalier avec les patients, leur famille et leur entourage, le
ludothérapeute, le personnel de soins, les services économiques des
hÎpitaux, les pharmaciens, les médecins hygiénistes, les chefs de service
médecine, etc. ;
120 La conception industrielle de produits 1

– le milieu de l’innovation avec les porteurs du projet, les services de


valorisation et laboratoire l’ERPI-INPL, l’ANVAR, la Fondation des
hĂŽpitaux de Paris, Sparadrap, 100 pour sang la vie, la Ligue contre le cancer,
etc. ;
– les partenaires du milieu industriel, avec le laboratoire Appolor,
l’entreprise Kolmi SA, Paul Hartmann AG, Kimberly Clark, 3M.

5.1.2. L’analyse marketing

Nous nous sommes posé des questions relativement à ces acteurs :


Comment faire jouer Ă  chacun un rĂŽle pertinent ? Comment les faire
interagir efficacement dans et pour le projet masque sourireÂź? Comment
prendre en compte des demandes qui peuvent ĂȘtre contradictoires ?

En relation avec les données préliminaires du problÚme, les besoins à


satisfaire, les contraintes importantes, nous avons recherché les éléments
d’information concernant le marchĂ©, la concurrence, les lois et rĂšglements.
La recherche d’une cohĂ©rence avec la stratĂ©gie des organisations concernĂ©es
et les nombreux partenaires et parties prenantes nous a conduit Ă  aborder la
dimension marketing de ce projet.

La dĂ©finition d’objectifs marketings a imposĂ© un positionnement par


rapport Ă  la concurrence en termes de prix, de performances Ă  atteindre et
d’avantages concurrentiel. Le marchĂ© potentiel total a, alors, Ă©tĂ© Ă©valuĂ©. Il se
monterait à 2 620 000 masques sourire¼ par an, si l’on additionne ses
utilisations dans tous les services d'oncologie, hématologie et transplantation
mĂ©dullaires pĂ©diatriques des CHU de France. Ce pĂ©rimĂštre national n’est pas
illusoire, car l’organisation d’achat actuelle des masques est effectivement
centralisée à ce niveau. Nous avons complété cette étude par des objectifs
relatifs à la réduction des coûts, au développement, à la production et à la
sûreté de fonctionnement. L'accÚs au marché nécessite par ailleurs le
dĂ©ploiement d’un rĂ©seau de distribution national.

Ces informations préliminaires ont permis une premiÚre analyse des


risques et opportunités associés au projet et au produit masque sourireŸ.
Elles ont aussi fourni une premiÚre définition du champ et des limites de
l’étude indispensables pour l’élaboration d’un plan d’action s’appuyant
réellement sur la démarche de management par la valeur (figure 5.1).
Expression des besoins du client, étude de cas 121

Figure 5.1. Matrice risques profits

5.2. Etablissement du plan d’action

La démarche de MV (management par la valeur) étant retenue, nous


avons constitué un groupe de travail, nécessaire pour cette démarche
pluridisciplinaire et proposé un planning des réunions de travail avec des
objectifs clairs. De nouveaux questionnements sont apparus :
– qui intĂ©grer dans ce groupe de travail et avec quelle expertise ?
– quelles grandes Ă©tapes le groupe doit-il aborder ?
– comment rĂ©partir les efforts entre travaux de groupe (lourds et coĂ»teux)
et les contributions individuelles (souples mais limitées et spécialisées) ?

5.2.1. Les participants au projet et la méthode

Plusieurs experts ont été impliqués dans le groupe de travail MV : Un


médecin hospitalier, le ludothérapeute, un cadre infirmier, un médecin
hygiéniste, le porteur du projet, un animateur MV. Des réunions ont été
programmées, 2 à 3 par mois, pour assurer la continuité des actions et des
missions de chacun dans le projet. Pour choisir les membres du groupe de
travail, nous nous sommes appuyĂ©s sur une dĂ©finition de l’expert : c’est celui
qui sait, mais aussi celui qui sait lorsqu’il ne sait plus et qui sait trouver celui
qui sait lorsqu’il ne sait plus. Dans le domaine de la santĂ©, cette dĂ©finition est
assez facile Ă  mettre en Ɠuvre [GEO 02], en effet il s’agit d’un domaine oĂč
le professionnalisme est grand et oĂč les expertises sont claires.
122 La conception industrielle de produits 1

Figure 5.2. La démarche proposée et les acteurs

Pour ce qui est des étapes, nous nous sommes conformés à la démarche
de MV : l’analyse fonctionnelle et l’analyse Ă©conomique ont, par exemple,
Ă©tĂ© prĂ©parĂ©es par une recherche extensive d’informations, internes et
externes, techniques et économiques, concernant les partenaires, les besoins
du client, le marché, le positionnement du produit et la concurrence. Nous
avons aussi constituĂ© un Ă©tat de l’art en utilisant toutes les sources
d’informations documentaires : bibliographies, propriĂ©tĂ© industrielle, lois et
rĂšglements, rĂšgles de fonctionnement des organisations, notices, normes.

5.2.2. Les principaux rĂ©sultats de l’analyse prĂ©liminaire

L’analyse prĂ©liminaire a permis d’expliciter les caractĂ©ristiques suivantes :


– la durĂ©e de vie d’un masque est de 3 heures maximum pour un masque
jetable. En cas de réutilisation, une stérilisation à 130°C est de rigueur ;
– l’interdiction ou l’imposition d’un principe de solution : le verre est à
proscrire, car l’usage frĂ©quent et les nombreuses manipulations imposent un
matĂ©riau souple et qui ne s’ébrĂšche pas ;
Expression des besoins du client, étude de cas 123

– des informations sur le marchĂ© avec identification des clients directs :


centres hospitaliers (médecins, visiteurs, secteur enfants
), des prévisions
de ventes (de 980 000 unités par an en 2001 pour un seul CHU), des
distributeurs (distributeurs actuels avec des acheteurs) et sur le code des
marchés publics ;
– des standards, normes, brevets, rùglements : les masques actuels sont
issus d’un brevet dĂ©posĂ© aux Etats-Unis pour la sociĂ©tĂ© KC, ils respectent
toutes les normes en vigueur dans le milieu hospitalier français : normes
AFNOR NF S70-001 et NF S70-002 EN 149 (Europe), AORN, MIL
M36954B ;
– des prĂ©cisions sur l’opĂ©ration : une validation technologique et
bactériologique sera nécessaire avant toute proposition de date de lancement.
L’espĂ©rance de vie devra ĂȘtre au moins Ă©gale Ă  celle des masques
traditionnels. Le prix du marché se situe entre 0,07 à 0,64 euros/piÚce, les
masques les plus utilisés ayant un prix moyen unitaire de 0,08 euros. Le
conditionnement du produit, qui doit ĂȘtre rĂ©alisĂ© par paquets de 50 masques
au minimum, dĂ©pendra du type de masque choisi et devra ĂȘtre travaillĂ© en
fonction de la cible client.

5.3. La démarche fonctionnelle

L’objectif est de dĂ©finir le service que devra rendre le masque en


parcourant les diffĂ©rentes Ă©tapes permettant d’identifier et de caractĂ©riser les
fonctions. C'est une phase importante et qui interpelle sur le rĂŽle et la
pertinence des experts du groupe de travail que nous aborderons en trois
étapes.

5.3.1. Identifier les fonctions

Nous avons recensé les fonctions avec une démarche systémique qui
consiste, dans un premier temps, à définir le contexte de fonctionnement du
produit masque sourireŸ pour la partie du cycle de vie envisagé.

Neuf éléments extérieurs ont été identifiés, en relation avec le masque


sourireŸ qui concernent ses utilisateurs, son utilisation, mais également les
partenaires du projet.
124 La conception industrielle de produits 1

Une fonction est toute action de l'objet d'étude ou de l'un de ses


constituants, exprimée en termes de finalité, qui contribue au but du produit.
Elle s'exprime par un verbe d’action Ă  l'infinitif et des complĂ©ments, le sujet
du verbe est toujours l’objet d’étude.

Dans l’approche systĂ©mique, les complĂ©ments correspondent aux


éléments extérieurs du systÚme mis en interaction.

Cette démarche a conduit à identifier 12 fonctions qui concernent le


produit et le projet masque sourireÂź (voir figure 5.3).

Chaque association de l'objet d'étude, avec un ou deux des éléments


extérieurs peut évoquer une ou plusieurs fonctions potentielles que le groupe
retiendra si elle contribue effectivement au but. Il s’agit de crĂ©er de la valeur
en rendant un service à l’une des parties prenantes pendant l’une des phases
de la vie du produit.

Une fonction retenue implique que l'on s'engage Ă  rechercher des


solutions afférentes, donc à y mettre les moyens financiers nécessaires :

F1 - respecter les normes et satisfaire aux tests,


F2 - Ă©viter, minimiser les rĂ©actions Ă  l’environnement,
F3 - s’adapter à la morphologie du visage du porteur,
F4 - prendre en compte la morphologie du visage du porteur,
F5 - respecter le fonctionnement (administratif, économique, etc.) du
milieu hospitalier,
F6 - ĂȘtre accessible par les utilisateurs dans le contexte hospitalier,
F7 - intéresser et séduire les partenaires extérieurs,
F8 - prendre en compte, adapter et faire Ă©voluer les techniques de l’entreprise,
F9 - respecter et valoriser les expressions du visage,
F10 - transmettre les expressions du visage du porteur aux autres,
F11 - ĂȘtre stockable et accessible,
F12 - protĂ©ger l’utilisateur et s’adapter Ă  son fonctionnement dans le contexte.
Expression des besoins du client, étude de cas 125

Figure 5.3. Les milieux extérieurs du masque sourireŸ

5.3.2. Ordonner les fonctions

Avec le groupe de travail, nous structurons les fonctions recensées pour


identifier le sens du produit masque sourire¼, sa valeur d’estime. Nous
utilisons un arbre fonctionnel de type FAST (Functional analysis system
technique), organisé selon une logique axiale pourquoi/comment. Les
fonctions du cÎté « pourquoi » sont considérées comme les plus porteuses de
sens (le besoin), celles du cÎté « comment » sont plus opérationnelles et liées
Ă  l’action (les solutions). Cette Ă©tape peut conduire Ă  concevoir plusieurs
arbres fonctionnels, chaque arbre correspondant Ă  un profil de produit qui
peut ĂȘtre prĂ©sentĂ© Ă  des acteurs diffĂ©rents.

La construction d'arbres fonctionnels permet de définir et d'affirmer


la représentation consensuelle du groupe sur le sens de l'objet d'étude
[SCH 92]. Elle permet également à l'animateur de s'assurer que le projet
masque sourireŸ est toujours cohérent avec l'orientation de l'action proposée
par le porteur du projet (continuité entre le pourquoi et le comment).
126 La conception industrielle de produits 1

F 3: S’adapter à
la morphologie
du visage
F10: Transmettre F9: Respecter et
les expressions du valoriser les
F4: Prendre en
visage des expressions du
compte la
utilisateurs visage
morphologie du
visage des
utilisateurs

F12: Protéger F5: Respecter le


l’utilisateur et fonctionnement
s’adapter à son F6 : Être (administratives 
) du
F2: Eviter,
fonctionnement accessible par les milieu hospitalier
minimiser les
dans le contexte utilisateurs dans le
réactions à
contexte F11: Être
l’environnement
hospitalier stockable et
accessible

F1: Respecter les


normes et tests
F7: Intéresser et séduire les
partenaires extérieurs F8: Prendre en compte, adapter et
faire évoluer les techniques de
l’entreprise

Figure 5.4. Un arbre fonctionnel du masque sourireÂź

Pour faciliter la manipulation et l’appropriation des 12 fonctions par les


acteurs du projet, nous avons proposé de travailler avec 4 grands groupes
correspondant à l’arbre fonctionnel :
– G1 (la racine avec la fonction F12) : protection et adaptation à
l’utilisateur,
– G2 (branche 1, fonctions F10, etc.) : transmission des expressions du
visage du porteur,
– G3 (branche 2, fonctions F6, etc.) : disponibilitĂ© et conditionnement,
– G4 (branche 3, fonctions F7, etc.) : financement et dynamique du
projet.

5.3.3. Caractériser les fonctions

La caractĂ©risation des fonctions a constituĂ© le cƓur du cahier des charges


fonctionnel du masque sourireŸ. Elle a demandé un travail important
d’expertise de la part des membres du groupe et de l'animateur. Il s’agissait
de dĂ©finir la valeur d’usage. ConcrĂštement, il faut renseigner le verbe de
chaque fonction avec trois classes d’attributs :
– les critĂšres d’apprĂ©ciation, qui identifient un paramĂštre de mesure ou un
indicateur associé au verbe de la fonction ;
Expression des besoins du client, étude de cas 127

– pour chaque critùre, un ou plusieurs niveaux de performance qui


correspondent de préférence à des grandeurs mesurables ;
– la flexibilitĂ© notĂ©e de 0 Ă  3 indique le caractĂšre impĂ©ratif (pour 0) ou
négociable (1 à 3), du niveau de performance associé. La flexibilité 1 est
associée à une attente forte pour le projet, celle de 2 à une attente moins
forte, celle de 3 étant une simple indication, le niveau de performance
correspondant ayant généralement été constaté pour une solution existante.

CritÚre de la fonction Niveau Flexibilité

Directive 93.42/CEE Application Ă  100% 0

Marquage CE Application Ă  100% 0

3 heures 0
Efficacité dans le temps
> 3 heures 2

Respect avant-projet pr NF EN 14683 Application Ă  100% 1

Efficacité de la filtration > 99,5% des particules de 3 à microns 1

RĂ©sistance au passage de l’air Delta moyen < 2,2mm H20 0

< 22% 0
Fuites au visage
< 15% 1

< 1,5 ml/min 0


Transpiration
< 0,5 ml/min 2

Tableau 5.2. Eléments de caractérisation de la fonction F1

L’étude de la caractĂ©risation nous a conduits Ă  dĂ©finir plus de 50 critĂšres


et 150 niveaux associés, ces informations constituent une base de
connaissance relative aux caractéristiques attendues du produit et à son
fonctionnement. Au cƓur du cahier des charges fonctionnel, elles vont
guider les concepteurs dans leur recherche d’idĂ©es et de voies de solution
pour une réalisation concrÚte du masque sourireŸ.
128 La conception industrielle de produits 1

5.4. La recherche d’idĂ©es et l’évaluation de solutions nouvelles

5.4.1. Envisager le cycle de vie et le coût global

Le produit masque sourireŸ est conçu en vue de son utilisation, bien


entendu, mais sa qualification par des tests, son conditionnement, son
stockage, son transport, sa destruction en fin de vie génÚrent des besoins
spĂ©cifiques qui doivent ĂȘtre pris en compte dĂšs la conception. Pour le
« masque sourire », les tests cliniques, la mise à disposition des masques, la
collecte des masques usagés (avec deux matériaux différents) et leur
recyclage ont été envisagés.

Appel d’offre Pharmacie

Transport Stockage Ă 
Approvisionnement
l ’hîpital

Tests Distribution dans


Vente / les services
Distribution
Conditionnement Stockage sur lieux
d ’utilisation
Transport
Stockage sur lieux
de pro duction
Utilisation

Collecte

Traitement
Recyclage Destruction

Figure 5.5. Cycle de vie du masque sourireÂź

Ainsi, au-delà du coût de production, de nombreuses dépenses sont apparues


tout au long du cycle de vie du produit, qu’il a fallu Ă©tudier, et maĂźtriser.

En particulier, l’étude de l’intĂ©gration de la fabrication du masque sourireÂź


sur une ligne de production rĂ©alisant des masques classiques a fait l’objet d’un
cahier des charges spécifique. Effectué par un constructeur, le chiffrage de son
intégration à la ligne de production a été envisagé avec les risques afférents,
comme ceux pouvant conduire Ă  des perturbations de la production principale.
Expression des besoins du client, étude de cas 129

5.4.2. Le prototype pour la matĂ©rialisation d’une proposition

Il s'agit d'une étape parfois assez longue qui monopolise d'autres


expertises avec d’autres compĂ©tences que celles des membres du groupe de
travail. Nous avons fait appel à un ergonome, un designer mais également
aux experts du groupe de travail pour étudier la faisabilité des éléments de
solution imaginés. L'arbre fonctionnel et la caractérisation des fonctions ont
constitué les principaux supports de travail et la caractérisation avec ses
flexibilitĂ©s a permis d’identifier le niveau de performance juste nĂ©cessaire. Il
s’agissait d’arriver Ă  un niveau de dĂ©finition des solutions qui permette une
Ă©valuation des coĂ»ts relativement prĂ©cise. Il Ă©tait Ă©galement important d’ĂȘtre
capable de définir un prototype esthétique et fonctionnel, voire de réaliser
une déclinaison sur un prototype industrialisable.

Figure 5.6. Prototype esthétique et fonctionnel du masque sourireŸ

5.4.3. L’évaluation des propositions de solution

Cette phase concerne les études, les essais et le développement industriel


avec le suivi des actions. Elle doit produire une évaluation des performances
et des coûts des solutions ou éléments de solution retenus, et de situer le
niveau des risques.
130 La conception industrielle de produits 1

Avec le partenaire industriel, nous avons étudié et réalisé les tests


permettant la validation de la faisabilité industrielle du masque sourireŸ.
AprĂšs validation des tests biologiques [GEO 02], cette approche a permis de
cerner un coût de production, élément indispensable pour la détermination
du coût global.

Ensuite, sur la base du cahier des charges fonctionnel, nous avons élaboré
une grille d’évaluation afin de conduire des tests cliniques, impĂ©ratifs pour
une utilisation en milieu hospitalier. Ceci a concernĂ© l’utilisation et
l’acceptabilitĂ© du masque sourireÂź par les utilisateurs (personnel, parents et
proches) dans les services. Un protocole d’enquĂȘte a permis d’effectuer des
tests en utilisant les 1000 masque sourire¼ fournis par l’industriel partenaire.

Fonction Poids CritÚres Référentiel BarÚme de Note à Poids Note


principale d’apprĂ©ciation notation donner pondĂ©rĂ©e

Efficacité de la
filtration EN149:2001 :
20 100
bactérienne EFB>99%
(EFB) in vitro

Efficacité Elimination
de la filtration EN149:2001 : en deçà
Assurer 20 100
particulaire EFP>99% de la norme,
l’efficacitĂ©
(EFP) in vitro sinon
du masque
échelle
de
Pénétration de notation
protection EN149:2001 : pour
respiratoire 20 à l’huile 100
<20% appréciation
FFP1 et au NaCl
de la
EN149:2001 : performance
20 Fuites faciales 100
<22%

Perméabilité EN149:2001 :
20 à l’air <2,1 mBars 100
et respirabilité H20/cm2

Tableau 5.3. Elément de la grille de tests du masque sourireŸ


Expression des besoins du client, étude de cas 131

5.5. Le projet avec ses impulsions et perturbations

5.5.1. La planification avec ses contraintes et opportunités

Le projet masque sourireÂź dans sa conception et son pilotage a vu surgir


de nombreuses contraintes nouvelles, mais il a également vu apparaßtre des
opportunitĂ©s intĂ©ressantes [GRA 00]. La premiĂšre qualitĂ© d’un cahier des
charges fonctionnel est bien de s’adapter de façon pertinente aux Ă©vĂ©nements
[EZZ 03] qui jalonnent le cours des projets. Cette agilitĂ© s’impose dans les
environnements perturbĂ©s de projets oĂč l’innovation est synonyme de
risques.

Dans le projet masque sourireŸ, ces événements perturbateurs ont été


l’apparition de nouveaux soutiens associatifs, la dĂ©tection de nouvelles
attentes des services hospitaliers, mais aussi l’irruption de la crise du SRAS
et de la grippe aviaire (qui a ouvert de nouvelles perspectives d’utilisation) et
enfin le regroupement des appels d'offre pour les CHU.

Ces différentes contraintes ont été abordées avec un cahier des charges
qui intĂšgre les diffĂ©rentes modifications de l’environnement et qui permet
également de faire évoluer les fonctions et leurs critÚres.

De nouveaux soutiens
associatifs Des appels d'offre
Taches Octobre Novembre

Analyse acteurs
1 2 3 4 1 groupés
2 pour
3 les CHU
4

Prise en main projet


Lecture biblio docs
Analyse du besoin
Déplacement à Epinal
RDV Baratte
Stand by Appel d'offre
Appel Kolmi
De nouvelles propositions
Rencontre Dietchy
Chgt appel d'offre
Recencement acteurs
industrielles
Preparation lettres pub
Traduction des lettres
Info Madagascar
Etudes partielles
Vacances
Préparation & Réalisation des tests Le SRAS
Analyse des tests
Préparation & Campagne de communication
Appel d'offre Masque Sourire la grippe aviaire
DépÎt du nom
Visite Kolmi
De nouvelles attentes
des services hospitaliers

Figure 5.7. La planification avec ses contraintes et opportunités


132 La conception industrielle de produits 1

Ainsi, l’existence d’un cahier des charges clair et Ă©volutif, d’un sens pour
le projet dĂ©fini et acceptĂ© par tous, d’un arbre fonctionnel offrant la
possibilité de positionner judicieusement les interventions au bon niveau ont
permis de mener Ă  bien ce projet techniquement simple mais
particuliùrement complexe dans sa mise en Ɠuvre.

5.5.2. Les stratĂ©gies d’acteurs et les flux

Au-delĂ  des problĂšmes techniques, l’identification des diffĂ©rentes


stratĂ©gies d’acteurs a constituĂ© un objectif dĂ©terminant pour la rĂ©ussite d’un
tel projet [GOD 97]. L’analyse stratĂ©gique des acteurs permet de dĂ©terminer
le niveau de motricité et de dépendance des acteurs sur les décisions
concernant le projet.

Cette analyse donne une cartographie des influences des acteurs, elle
permet d’analyser et de comprendre les flux d’informations, de dĂ©cisions et
la valeur ajoutée sur le produit aux différentes phases du projet masque
sourireŸ. Cette analyse a été réalisée par les porteurs de projet, elle nous a
servi pour la prĂ©paration de la diffusion des appels d’offres et pour les
campagnes de communication au niveau de la presse grand public et
professionnelle.

7 Associations

Producteurs 8
Praticiens,
visiteurs
12 11
9 10
1 2
5 6
Médias

CHU / CHR / 13
3 Cliniques
Distributeurs
4
Prescripteurs

Figure 5.8. Les flux dans les stratĂ©gies d’acteurs


Expression des besoins du client, étude de cas 133

Le pilotage de ce projet analyse du besoin masque sourireÂź avec le


management par la valeur montre la nĂ©cessitĂ© d’utiliser une dĂ©marche qui
prenne en compte, d’une part la complexitĂ© de l’environnement du produit et
d’autre part les Ă©volutions et la dynamique de cet environnement. Nous
avons montrĂ© l’importance de la prise en compte des attentes des nombreux
acteurs du projet relativement Ă  un produit techniquement simple.

En conclusion : l’analyse fonctionnelle, outil de base du management par


la valeur permet d’identifier le fonctionnement du masque sourire¼ dans un
environnement évolutif en définissant clairement les performances attendues
par les diffĂ©rents partenaires et parties prenantes. L’analyse des coĂ»ts n’a pas
Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e dans cette Ă©tude. Nous l’avons abordĂ©e car elle constitue un
Ă©lĂ©ment incontournable d’un produit de trĂšs grande diffusion comme le
masque sourireŸ. La notion de coût global, incluant tout le cycle de vie du
produit, doit ĂȘtre associĂ©e au coĂ»t objectif qui dĂ©termine la barre Ă  ne pas
franchir pour ĂȘtre prĂ©sent lors des rĂ©ponses Ă  appel d’offres.
CHAPITRE 6

Structuration des moyens du projet

6.1. Introduction

Le chapitre précédent a permis de montrer comment expliciter en termes


d’objectifs quantifiĂ©s les besoins du client Ă  qui le projet est destinĂ©. Une
autre dimension du projet importe, qui concerne l’organisation des activitĂ©s
et des ressources nécessaires pour atteindre les objectifs du produit. Aussi,
dans ce chapitre, nous allons établir le plus finement possible les prévisions
du projet en définissant le « pavé » qualité-coûts-délais que nous prévoyons
de respecter (figure 6.1). Le chapitre 7, consacré au pilotage de projet,
montrera comment éviter une mauvaise réalisation caractérisée par une
dérive des délais et des coûts et un non respect des objectifs fixés
initialement (qualité).

qualité

Prévision
Mauvaise
réalisation

coûts délais

Figure 6.1. PérimÚtre prévisionnel du projet et exemple de mauvaise réalisation

Chapitre rédigé par Christophe MERLO et Michel BIGAND.


136 La conception industrielle de produits 1

6.2. Les acteurs du projet

Tout projet est réalisé pour un client final qui exploitera le produit du
projet ; on l’appelle « maĂźtre d’ouvrage » (figure 6.2). Le responsable du
projet est le « maĂźtre d’Ɠuvre » (on l’appelle aussi « directeur de projet » ou
« chef de projet »). Une relation client-fournisseur s’instaure entre ces deux
acteurs. Le maĂźtre d’Ɠuvre coordonne, Ă©ventuellement avec l’aide d’un
bureau conseil, les activités des différents responsables de lot. On trouvera
par exemple dans un projet de construction de maison les lots gros Ɠuvre,
charpente, couverture


maĂźtre d'ouvrage

maütre d'Ɠuvre

bureau domaine
conseil du projet

responsable responsable responsable 



lot lot lot

Figure 6.2. Acteurs directs d’un projet

Il ne faut pas oublier les acteurs indirects qui peuvent contribuer au


succÚs du projet ou conduire à son échec. « Tout entrepreneur doit faire face
Ă  ceux qui veulent faire comme lui, Ă  ceux qui veulent faire exactement le
contraire, et l’immense majoritĂ© de ceux qui ne veulent rien faire » disait en
substance Pierre Dac.

Il est indispensable, dĂšs le dĂ©marrage du projet, d’identifier les risques


liés aux acteurs :
– qui sont-ils ?
– quelle est leur opinion (leurs ambitions) sur le projet ?
– quelle influence peuvent-ils avoir ?
– comment dĂ©samorcer les Ă©ventuels blocages ?
Structuration des moyens du projet 137

6.3. Structurer les tĂąches

Le chef de projet doit établir la liste des tùches à réaliser pour atteindre le
rĂ©sultat escomptĂ©. C’est un travail difficile, et rares sont les projets dont les
tùches sont définies exhaustivement au départ ; le chef de projet devra donc
veiller Ă  actualiser cette liste en permanence.

Il est conseillé de procéder en définissant préalablement les « livrables »


(les éléments concrets à produire pour mener à bien le projet). Ainsi, un
projet de banc d’essais de freins à disque comporte comme livrables le banc
d’essais lui-mĂȘme, mais aussi le guide de maintenance, les supports de
formation des utilisateurs et des livrables intermédiaires tels que le plan
d’ensemble, les plans de dĂ©tail, les notes de calcul, etc.

Les tĂąches se regroupent en lots pouvant ĂȘtre eux-mĂȘmes regroupĂ©s ;


nous obtenons la décomposition arborescente des tùches ou WBS (work
breakdown structure) du projet. Chaque nƓud du WBS est numĂ©rotĂ© (voir
figure 6.3). Si plusieurs projets analogues sont dĂ©veloppĂ©s par l’entreprise,
cette arborescence peut ĂȘtre capitalisĂ©e en vue d’une rĂ©utilisation ultĂ©rieure ;
c’est un moyen de ne rien oublier d’essentiel.

Cette représentation permet une lecture avec différents niveaux de détails.


Au niveau le plus bas on trouve des tĂąches comme la rĂ©ception d’un livrable
par le client, la rĂ©alisation d’un programme informatique, etc. On trouvera
dans la WBS à la fois les composants physiques du projet, mais également
les activités liées aux assemblages, aux tests, à la mise en place de moyens
spĂ©cifiques au projet (dĂ©barras d’une surface pour accueillir le prototype) et
les activités support (plan assurance qualité, gestion des ressources, etc.).

Projet

Lot 1 Lot 2

Lot 1.1 Lot 1.2

TĂąche 1.2.1 TĂąche 1.2.2

Figure 6.3. DĂ©composition arborescente des tĂąches d’un projet ; les nƓuds sont numĂ©rotĂ©s
138 La conception industrielle de produits 1

6.4. Evaluer les tĂąches

Il est nécessaire de quantifier les ressources à fournir pour réaliser


chacune des tùches. Cela passe par la caractérisation du profil requis (niveau
de qualification) et de la quantité de temps (charge) à passer : le nombre de
jour-homme (jh). Un jour-homme est la quantité de travail fournie par une
personne dans des conditions normales pendant un jour ouvré ; en premiÚre
approximation, 1 mois-homme (mh) = 20 jh et 1 année-homme (ah) = 10 mh
= 200 jh. Notons qu’il y a une corrĂ©lation entre la charge d’une tĂąche et son
coût.

La façon d’évaluer la charge de travail dĂ©pend du domaine d’activitĂ©


(informatique, mĂ©canique, marketing, etc.), chaque profession s’est dotĂ©e de
mĂ©thodes d’estimation qui lui sont spĂ©cifiques. GĂ©nĂ©ralement, ces mĂ©thodes
dĂ©pendent de la phase dans laquelle l’on se trouve. Lors des Ă©tudes
préliminaires, on connaßt la structure hiérarchisée des fonctions et une
mĂ©thode analogique permet d’obtenir un ordre de grandeur des coĂ»ts. Dans
la phase de conception-développement, on connaßt la structure du produit, et
l’estimation peut s’effectuer par une mĂ©thode paramĂ©trique. Enfin, dans la
phase de production, on connaßt précisément les postes de travail et une
méthode analytique permet de connaßtre les coûts de maniÚre détaillée.

Quelques conseils peuvent ĂȘtre donnĂ©s Ă  ce stade. Tout d’abord, les


estimations doivent intervenir dÚs les toutes premiÚres étapes du projet ;
mĂȘme si la prĂ©cision en est faible, l’estimation est nĂ©cessaire9, et il est
conseillĂ© de bien formaliser les hypothĂšses (celles-ci s’avĂšreront souvent
imparfaites et conduiront à réévaluer la charge). Ensuite, il faut se souvenir
que la qualitĂ© de l’estimation s’amĂ©liore au cours du projet car l’incertitude
se réduit, et que la réévaluation des charges en cours de projet est souvent
nĂ©cessaire. Les entreprises ont tout intĂ©rĂȘt Ă  mettre en place un systĂšme de
capitalisation des estimations leur permettant d’en amĂ©liorer la prĂ©cision au
fil de l’expĂ©rience acquise sur les projets. L’enjeu est de taille : une
surestimation conduit soit au gaspillage (projet interne) soit Ă  la perte du
projet au profit d’un concurrent (cas de la rĂ©ponse Ă  un appel d’offres) ; la
sous-estimation a, quant à elle, des conséquences catastrophiques que nous
évoquerons plus loin.

9. Les premiĂšres estimations contribuent largement au cadrage initial du projet ; elles


permettent notamment d’évaluer le retour sur investissement (temps nĂ©cessaire pour que les
rentrĂ©es d’argent dues au projet compensent l’investissement pour rĂ©aliser le projet).
Structuration des moyens du projet 139

Il y a lieu de prendre en compte, dans un tel systĂšme, la tendance


naturelle Ă  la sous-estimation systĂ©matique. L’évaluation des charges est
souvent confiĂ©e Ă  un collaborateur expĂ©rimentĂ©. S’il estime qu’il lui faudra
70 jh pour réaliser un ensemble de tùches, il lui en faudra souvent 80 en
réalité ; mais les personnes qui auront à effectuer ces tùches en mettront 100,
car elles sont moins expĂ©rimentĂ©es. Pour peu qu’un commercial ait nĂ©gociĂ©
le contrat sur la base de 50 jh pour gagner le marché, nous pouvons mesurer
la catastrophe qui s’annonce. Pour Ă©viter ce genre d’erreur (trĂšs frĂ©quente), il
y lieu de formaliser les critĂšres et bases d’estimations partagĂ©s dans
l’entreprise, de recourir à la double estimation sans concertation avec une
mĂ©thode de Delphes pour la recherche d’un consensus.

Dernier conseil : confiez à vos collaborateurs des tñches d’au plus 5 jh,
ou définissez des jalons intermédiaires, cela vous évitera bien des
désillusions (à la fin de la semaine, la tùche sera finie ou non ; si vous
donnez une tùche de 40 jh, vous pouvez découvrir deux mois plus tard que
seulement 30 % du travail est réalisé, et il sera un peu tard pour réagir !).

6.5. Ordonnancer les tĂąches

Naturellement, toutes les tĂąches ne vont pas s’effectuer sĂ©quentiellement


les unes aprùs les autres : la plupart du temps il est possible d’effectuer des
tùches simultanément. Cela suppose de disposer au bon moment des
ressources utiles.

Pour recenser les ressources, on peut retenir l’expression 4M+I, pour :


– moyens humains (men),
– moyens financiers (money),
– moyens de production (machines),
– matĂ©riels (material),
– information (information).

Certaines contraintes seront Ă  prendre en compte : contraintes


cumulatives (pour des ressources non stockables) ou disjonctives (pour des
tùches ne pouvant se dérouler simultanément) ou encore des contraintes
temporelles d’antĂ©rioritĂ© (fin / dĂ©but (une tĂąche ne peut commencer que
lorsqu’une autre est finie), dĂ©but / dĂ©but, fin / fin ou dĂ©but / fin) ou de
localisation temporelle (dĂ©but ou fin dĂ©pendant d’une date imposĂ©e).
140 La conception industrielle de produits 1

Nous nous limitons ici à des contraintes temporelles de type fin / début, et
considérons, a priori, que nous disposons des ressources nécessaires.

Les questions auxquelles nous cherchons à répondre sont les suivantes :


– quelle est la durĂ©e minimale du projet ? Cette information est pertinente, ne
serait-ce que pour vérifier si le délai fixé initialement est réaliste. De plus, il
est souvent préférable de réduire le plus possible la durée du projet,
notamment p