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La conception industrielle de produits 1

© LAVOISIER, 2008
LAVOISIER
11, rue Lavoisier
75008 Paris

www.hermes-science.com
www.lavoisier.fr

ISBN volume 1 978-2-7462-1921-2


ISBN général 978-2-7462-1920-4

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Printed and bound in England by Antony Rowe Ltd, Chippenham, March 2008.
La conception industrielle
de produits
volume 1

management des hommes,


des projets et des informations

sous la direction de
Bernard Yannou
Michel Bigand
Thierry Gidel
Christophe Merlo
Jean-Pierre Vaudelin
DIRECTION ÉDITORIALE HISHAM ABOU-KHANDIL
Collection Productique
SOUS LA DIRECTION DE JEAN-PAUL BOURRIÈRES

Gestion et performance des systèmes hospitaliers, Eric Marcon, Alain


Guinet, Christian Tahon, 2007.
Liste des auteurs

Gwenola BERTOLUCI Franck MARLE


AgroParisTech Ecole Centrale Paris
Massy
Nada MATTA
Michel BIGAND Université de Technologie
Ecole Centrale de Lille Troyes

Djémil CHAFAÏ Christophe MERLO


CETEGE ESTIA
Paris Bidart

Anthony DELAMARRE Stéphanie MINEL


ISTIA ESTIA
Université d'Angers Bidart

Olivier DEVISE Vincent ROBIN


IFMA Université Bordeaux I
Clermont-Ferrand
Michel SONNTAG
Thierry GIDEL INSA de Strasbourg
Université de Technologie
Compiègne Nadine STOELTZLEN
ENSGSI
Jean-Pierre GRANDHAYE Nancy
ENSGSI
Nancy Jean-pierre VAUDELIN
IFMA
Anne-Lise HUYET Clermont-Ferrand
IFMA
Clermont-Ferrand Bernard YANNOU
Ecole Centrale Paris
Muriel LOMBARD
UHP
Nancy
TABLE DES MATIÈRES

Introduction générale. La conception industrielle de produits . . . . 15


Bernard YANNOU

Introduction au volume 1. Management des hommes, des projets


et des informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Michel BIGAND et Thierry GIDEL

PREMIÈRE PARTIE. L’INDIVIDU ET LE GROUPE . . . . . . . . . . . . . . . 21

Chapitre 1. L’homme au cœur de l’entreprise . . . . . . . . . . . . . . . 23


Jean-Pierre VAUDELIN et Olivier DEVISE

Chapitre 2. Leadership et apprentissage organisationnel


pour un groupe performant et innovant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Jean-Pierre VAUDELIN, Michel SONNTAG et Olivier DEVISE
2.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
2.2. Le milieu de la conception : un milieu spécifique ? . . . . . . . . 29
2.2.1. Innover pour durer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2.2. L’acte excentrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
2.3. Choix d’un modèle de leadership pour mener l’innovation . . . . 32
2.3.1. Evolution des modèles du leadership : des traits
de personnalité à la prise en compte de la situation . . . . . . . . . 33
2.3.2. La prise en compte de la situation . . . . . . . . . . . . . . . . 35
2.4. Le stade de développement du groupe . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
2.4.1. L’équipe nominale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
8 La conception industrielle de produits 1

2.4.2. L’équipe fusionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38


2.4.3. L’équipe conflictuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
2.4.4. L’équipe unitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.5. Application à la prise de décision collective . . . . . . . . . . . . . 40
2.5.1. Le modèle de Tannenbaum et Schmidt . . . . . . . . . . . . . 41
2.5.2. De nouvelles forces à considérer . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.5.2.1. Les forces propres au leader . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
2.5.2.2. Les forces propres aux subordonnés . . . . . . . . . . . 45
2.5.2.3. Les forces propres à la situation . . . . . . . . . . . . . . 47
2.6. La conception : une culture spécifique ? . . . . . . . . . . . . . . . . 48
2.6.1. L’avantage créativité : l’organisation apprenante . . . . . . . 48
2.6.2. Faire les choses bien ou bien faire les choses ? . . . . . . . . 51
2.6.3. L’ère de la cognition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
2.6.3.1. Mettre ses émotions au service d’un objectif . . . . . . . 54
2.6.3.2. Parier sur les intelligences multiples de ses collaborateurs . . 56
2.6.3.3. Changer l’état d’esprit de groupes . . . . . . . . . . . . . . 58
2.7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Chapitre 3. Structure et instrumentation du processus de conception


versus rationalité de la décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
Gwenola BERTOLUCI, Anthony DELAMARRE, Stéphanie MINEL,
et Nadine STOELTZLEN
3.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
3.2. Organisations en conception et prises de décision . . . . . . . . . 67
3.2.1. Processus de conception : le mythe du modèle unique . . . 67
3.2.2. La conception de produit dans le contexte d’un marché
en demande de produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.2.3. Incidence de la saturation des marchés concurrentiels
sur la conception de produits complexes . . . . . . . . . . . . . . . . 73
3.2.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.3. Apports et limites des groupes pluriculturels à la rationalité
de la décision en conception de produits complexes . . . . . . . . . . . 81
3.3.1. Quelques définitions de termes afférents aux groupes
pluriculturels en conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
3.3.2. L’individu et le collectif dans la coopération entre métiers . 83
3.3.2.1. Coopérer et collaborer : quelques définitions . . . . . . 83
3.2.2.2. L’individu dans le collectif coopérant . . . . . . . . . . . 86
3.3.3. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Table des matières 9

3.4. Le rôle des représentations intermédiaires dans les prises


de décisions individuelles et collectives en conception . . . . . . . . . 88
3.4.1. Définition des représentations intermédiaires . . . . . . . . . 88
3.4.2. La représentation intermédiaire : un support à la création
de connaissances multidisciplinaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
3.4.3. Le rôle de la formalisation des objets intermédiaires
dans la prise de décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.4.4. Influence des choix de représentation dans la décision . . . 93
3.4.5. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
3.5. Faire prendre du recul aux acteurs multidisciplinaires par le jeu 95
3.5.1. Le rôle du jeu participatif dans l’apprentissage . . . . . . . . 96
3.5.2. Pourquoi utiliser la phase créative pour notre serious play ? 98
3.5.3. Les conditions de mises en œuvre et les objectifs
de manière générale du serious play utilisé . . . . . . . . . . . . . . . 98
3.5.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
3.6. Le serious play : le cas de la re-conception d’un siège de bureau . . 102
3.6.1. Objectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
3.6.2. Modalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102
3.6.3. La suite des travaux de recherche à conduire. . . . . . . . . . 106
3.7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

DEUXIÈME PARTIE. LE MANAGEMENT DE PROJET . . . . . . . . . . . . . 109

Chapitre 4. Le projet, mode de conception de produit. . . . . . . . . . 111


Michel BIGAND
4.1. Définir le mot « projet » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
4.2. Cycle de vie d’un projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113

Chapitre 5. Expression des besoins du client : étude de cas,


le projet masque sourire® . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
Jean-Pierre GRANDHAYE et Djémil CHAFAÏ
5.1. Les premières investigations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5.1.1. La démarche préliminaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
5.1.2. L’analyse marketing . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
5.2. Etablissement du plan d’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121
5.2.1. Les participants au projet et la méthode . . . . . . . . . . . . 121
5.2.2. Les principaux résultats de l’analyse préliminaire . . . . . . 122
5.3. La démarche fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
5.3.1. Identifier les fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
10 La conception industrielle de produits 1

5.3.2. Ordonner les fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125


5.3.3. Caractériser les fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
5.4. La recherche d’idées et l’évaluation de solutions nouvelles . . . 128
5.4.1. Envisager le cycle de vie et le coût global . . . . . . . . . . . 128
5.4.2. Le prototype pour la matérialisation d’une proposition . . . 129
5.4.3. L’évaluation des propositions de solution. . . . . . . . . . . . 129
5.5. Le projet avec ses impulsions et perturbations . . . . . . . . . . . . 131
5.5.1. La planification avec ses contraintes et opportunités . . . . 131
5.5.2. Les stratégies d’acteurs et les flux . . . . . . . . . . . . . . . . 132

Chapitre 6. Structuration des moyens du projet . . . . . . . . . . . . . 135


Christophe MERLO et Michel BIGAND
6.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
6.2. Les acteurs du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
6.3. Structurer les tâches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
6.4. Evaluer les tâches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
6.5. Ordonnancer les tâches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
6.6. Représenter graphiquement les tâches . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
6.7. Notion de délai optimal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144
6.8. Quelques erreurs classiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146
6.9. Cycle de vie et structuration du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
6.10. Une démarche pédagogique de structuration des moyens
du projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
6.11. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150

Chapitre 7. Pilotage de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153


Michel BIGAND et Thierry GIDEL
7.1. Importance du pilotage en phase de réalisation. . . . . . . . . . . . 153
7.2. Les deux niveaux de management de projet. . . . . . . . . . . . . . 155
7.3. Evolution des dépenses d’un projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
7.4. Gérer le recrutement de collaborateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
7.5. Gérer l’avancement des travaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
7.6. Gérer le turn-over . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
7.7. Gérer les incidents . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
7.8. Gérer les évolutions des besoins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
7.9. Gérer la sous-traitance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
7.10. Gérer les livraisons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
Table des matières 11

7.11. Gérer la communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168


7.12. Le pilotage agile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
7.13. Rôle du chef de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

Chapitre 8. Management d’un portefeuille de projets innovants . . 173


Thierry GIDEL et Franck MARLE
8.1. Le projet, l'entreprise et le multi-projets . . . . . . . . . . . . . . . . 173
8.1.1. L’entreprise doit innover . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
8.1.2. L’entreprise a de plus en plus de projets à gérer . . . . . . . 174
8.1.3. L’entreprise doit gérer les ressources investies dans les projets . . 174
8.1.4. L’entreprise gère l’innovation par processus . . . . . . . . . 174
8.2. Les différents modes de management multi-projets . . . . . . . . 175
8.2.1. L'approche portefeuille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176
8.2.2. L'approche plate-forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
8.2.3. L'approche des trajectoires d’innovations . . . . . . . . . . . . 177
8.2.4. L'approche programme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
8.2.5. Vers une combinaison de différentes approches . . . . . . . 178
8.3. Principes généraux du management multi-projets . . . . . . . . . 179
8.3.1. Le cycle prévoir-décider-contrôler . . . . . . . . . . . . . . . . 180
8.3.2. La gestion pilotée par le multi-projets . . . . . . . . . . . . . . 182
8.3.3. La gestion pilotée par le projet. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
8.3.4. La nécessité d'instrumenter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183
8.4. Les instruments du MMP . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 184
8.4.1. Prévoir : outils de réflexion stratégique . . . . . . . . . . . . . 184
8.4.2. Décider : outils de pilotage opérationnel . . . . . . . . . . . . 185
8.4.3. Contrôler : outils de communication . . . . . . . . . . . . . . . 186
8.5. Conclusions et perspectives de développement . . . . . . . . . . . 186
8.5.1. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
8.5.2. Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

Chapitre 9. Du management de projet au management de l’innovation . 189


Thierry GIDEL
9.1. Etude de cas 1 : remanier une planification de projet erronée. . . 191
9.1.1. Enoncé. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
9.1.2. Documents pour consultation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
9.1.3. Correction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
12 La conception industrielle de produits 1

9.2. Etude de cas 2 : multi-projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194


9.2.1. Enoncé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
9.2.2. Faire un classement des projets par ordre de préférence . . 194
9.2.3. Prendre en compte les interactions entre projets. . . . . . . . 195
9.2.4. Gérer des portefeuilles multiples . . . . . . . . . . . . . . . . . 196

TROISIÈME PARTIE. LES SYSTÈMES D’INFORMATION . . . . . . . . . . 199

Chapitre 10. Les systèmes d’information, supports de la conception


de produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
Christophe MERLO
10.1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
10.2. Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
10.3. Supporter la prise de décision. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204

Chapitre 11. Systèmes d’information pour la prise de décision . . . . 207


Christophe MERLO, Muriel LOMBARD et Vincent ROBIN
11.1. Les systèmes d’aide au travail collectif. . . . . . . . . . . . . . . . 207
11.1.1. Collecticiels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
11.1.2. Cas d’application : étude d’un collecticiel pour la prise
de décision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 210
11.1.2.1. Les cas d’utilisation du système. . . . . . . . . . . . . . 212
11.1.2.2. Des diagrammes de séquences à la définition
du système . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216
11.2. Les systèmes d’information pour la conception . . . . . . . . . . 223
11.2.1. Les systèmes de gestion de données techniques . . . . . . . 223
11.2.2. Cas d’application : un outil pour la conduite des projets
en conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
11.2.2.1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
11.2.2.2. Mise en œuvre de la conduite à l’aide de PEGASE . 226
11.2.2.3. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
11.3. Limites et évolutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230

Chapitre 12. Capitalisation des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . 233


Nada MATTA
12.1. Capitalisation des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234
12.1.1. La modélisation des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . 235
12.1.1.1. Les modèles génériques et la méthode CommonKADS 236
12.1.1.2. La méthode MASK. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
Table des matières 13

12.1.2. Exemples de systèmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241


12.2. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 243

Chapitre 13. Traçabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245


Anne-Lise HUYET et Nada MATTA
13.1. Traçabilité des connaissances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 245
13.1.1. Une méthode pour le retour d’expérience : REX . . . . . . 246
13.1.2. Mémoires de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 249
13.1.3. Illustration : traçabilité de la conception d’une éolienne . 252
13.1.4. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
13.2. Apprentissage automatique de connaissances . . . . . . . . . . . . 255
13.2.1. Contexte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
13.2.2. Objectifs des méthodes existantes et résultats prévisibles . 256
13.2.3. Les méthodes d’extraction automatique de connaissances 257
13.2.3.1. Principes généraux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
13.2.3.2. Les réseaux de neurones . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261
13.2.3.3. Les graphes d’induction et arbres de décision . . . . . 265
13.2.3.4. Les algorithmes génétiques et les treillis de Galois
en apprentissage automatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268
13.2.4. Méthodes hybrides . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 270
13.3. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Chapitre 14. Une démarche de mise en œuvre de systèmes


d’information pour la conception de produit . . . . . . . . . . . . . . . . 273
Muriel LOMBARD et Christophe MERLO
14.1. Modélisation par ajustements de points de vue : la méthode VIM 275
14.2. Application dans le cadre du projet USIQUIK . . . . . . . . . . 278
14.3. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303

Sommaire du volume 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 307

Sommaire du volume 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 311


INTRODUCTION GÉNÉRALE

La conception industrielle de produits

La conception industrielle de produits tente de concilier ce qui est a


priori difficilement conciliable : la création et l’innovation sur les produits et
les impératifs industriels de maîtrise de la qualité, des délais et des coûts.
Une mécanique industrielle de lancement de produit nouveau se met donc en
route par le truchement de projets plus ou moins innovants de conception-
industrialisation de produit. Ces projets sont organisés de telle manière qu’il
devient possible à des métiers et disciplines différents de co-concevoir un
produit en structurant et synchronisant leurs activités autour d’une gestion
des tâches et des rôles, d’outils, de documents et de procédures standards, de
moments organisés (jalons) de décisions collectives. Cette structuration en
projet est d’autant plus nécessaire que le produit est complexe, le nombre de
concepteurs important, et le secteur concurrentiel.

Nous avons voulu aborder les problématiques actuelles de la conception


industrielle de produits au travers du prisme de l’évaluation et de la décision
durant le processus de conception d’un produit. En effet, ces étapes
d’évaluation et de décision s’opèrent à tout niveau du produit, à tout moment
du projet, que ce soit à titre individuel - celui d’un acteur du projet - ou au
titre d’une équipe de conception. Elles représentent le « C » du modèle du
cycle d’amélioration continue PDCA (Plan-do-check-act), dit roue de
Deming, qui consiste en un cycle d’analyse, de proposition de solution(s)
conceptuelle(s), d’évaluation de cette(ces) solution(s), de choix d’une
solution et de développement de cette solution.
16 La conception industrielle de produits 1

Le propre de la conception de produits est d’avancer de la sorte par


propositions, évaluations et choix successifs.

Or, bien qu’unanimement reconnues comme étant primordiales pour


assurer la qualité des processus et des résultats de conception, ainsi que pour
garantir une certaine équité, transparence et efficacité de travail, ces tâches
d’évaluation et de décision s’avèrent souvent être les moins formalisées et
documentées. Quelles étaient les hypothèses sous-jacentes à cette évaluation
du produit alors qu’il était à l’état de concept ? Quels étaient les critères qui
ont présidé au choix de cette solution ou aux raisons de cette reconception ?
Sans outil pour évaluer, sans processus de décision explicité, sans une
capitalisation de la connaissance générée en cours de projet, une entreprise
ne saura plus revenir sur une hypothèse ou une décision pour reconcevoir ou
réactualiser son produit face à une concurrence qui évolue en permanence.

Le thème de l’évaluation et de la décision nous permet donc de parcourir


toute l’étendue du champ de l’ingénierie de la conception en se référant plus
largement au champ du génie industriel. Cette série de trois volumes est
conçue pour trois objectifs :
– avoir un descriptif des projets industriels de lancement de produits
nouveaux et des problématiques actuelles associées en abordant une grande
diversité de secteurs industriels pour souligner à la fois les points communs
et les différences d’approche ;
– isoler les concepts et théories structurantes qui font l’objet de recherches
actuelles dans le domaine de l’ingénierie de la conception au sens large ;
– être un ouvrage pédagogique de référence en proposant, dès que possible,
des énoncés de problèmes et exercices avec corrigés. Le lecteur désireux
d’approfondir l’énoncé d’un cas d’étude, les explications d’un corrigé, ou
désirant utiliser des données (fichiers Excel) ou des codes informatiques (Matlab
ou Scilab) utilisés par les auteurs, des images ou des articles scientifiques,
pourra télécharger les documents supports supplémentaires mis à disposition sur
le site Hermès : www.hermes - science. fr /yannou/cip.zip.

Le public visé est à la fois celui des acteurs industriels (techniciens et


ingénieurs), des étudiants de niveaux maîtrise, master professionnel, master
recherche et des doctorants en génie industriel, mais aussi des consultants,
enseignants et enseignants-chercheurs.
Introduction générale 17

Les trois volumes de la série ont été organisés autour des aspects humains
et d’organisation pour le volume 1, des aspects de gestion des paramètres du
produit durant le déroulement du projet pour le volume 2, et des méthodes
spécifiques d’évaluation et d’aide à la décision appliquées à la conception de
produits pour le volume 3. Leurs titres :
– volume 1 : Management des hommes, des projets et des informations ;
– volume 2 : Spécifications, déploiement et maîtrise des performances ;
– volume 3 : Ingénierie de l’évaluation et de la décision.

Cette série de trois volumes est le fruit du travail collaboratif de 49 co-auteurs


(dont 45 enseignants-chercheurs - professeurs des universités, maîtres de
conférences et post-doctorants) appartenant à 22 universités et écoles
d’ingénieurs (dont une université américaine), et 4 partenaires autres (grande
entreprise, agence de l’état et cabinets conseils).

Ce travail n’aurait jamais vu le jour sans l’impulsion décisive et le


support financier du groupement national d’enseignement et de recherche
AIP-PRIMECA1. Une étape décisive de ce projet a été l’Université d’été
organisée en septembre 2006 sur le campus de l’Ecole Centrale Paris, sur le
thème « Evaluation et décision dans le processus de conception ». Le groupe
de recherche (GDR) en automatique du CNRS intitulé MACS (modélisation,
analyse et conduite des systèmes dynamiques)2 a également été un lieu de
débats et d’échanges scientifiques à la base de la constitution de la
communauté des co-auteurs. Qu’ils en soient remerciés.

Bernard YANNOU

1. http://www.aip-primeca.net/
2. Il s’agit des groupes de travail IS3C (ingénierie des systèmes de conception et conduite du
cycle de vie produit) et C2EI (modélisation et pilotage des systèmes de connaissances et de
compétences dans les entreprises industrielles).
INTRODUCTION AU VOLUME 1

Management des hommes,


des projets et des informations

Dans le monde professionnel du XXIe siècle, les schémas d’organisation


sont amenés à évoluer, en substituant à la compétition individuelle un travail
collaboratif mieux à même de développer de nouvelles formes
d’intelligence, tant il est vrai que l’innovation n’est plus le fait d’un individu
isolé mais d’un travail pluridisciplinaire mené avec méthode.

Cet ouvrage replace l’homme au cœur du processus de conception de


produit, en s’intéressant successivement à la question de l’individu et du
groupe dans le processus décisionnel en conception, puis aux méthodes de
management des projets de conception, et, enfin, en étudiant l’apport des
systèmes d’information en tant qu’outils d’aide à la décision.

La première partie, l’individu et le groupe, rappelle tout d’abord


l’importance de la conception innovante pour l’entreprise dans un contexte
de mondialisation et de saturation des marchés. Les auteurs s’intéressent
ensuite au rôle du manager dans le développement de la capacité d’un
groupe de concepteurs à générer des innovations en phase avec le marché.
Différents stades de maturité d’un groupe sont présentés, en mettant l’accent
sur les relations entre acteurs ; la capacité de l’entreprise à innover découle
en définitive de la manière dont elle parvient à mobiliser ses collaboratrices
et collaborateurs dans une dynamique collective.
20 La conception industrielle de produits 1

Cette partie se prolonge par l’étude du processus de décision dans le


domaine des produits complexes. Les auteurs montrent l’impact de la
concurrence, du comportement des acteurs et du management sur les prises
de décision ; ils expliquent comment la formalisation d’objets intermédiaires
contribue à rendre le processus décisionnel plus performant.

La deuxième partie, le management de projet, s’intéresse au management


de projet de conception de produit. Après avoir dessiné les contours du terme
« projet » et de son cycle de vie, les auteurs développent, à partir d’une étude
de cas réel, la démarche basée sur l’analyse de la valeur permettant
d’identifier le périmètre du projet, les acteurs concernés, les besoins que le
produit et le projet ont à satisfaire. Ils expliquent comment le projet, soumis
à des perturbations et des opportunités a finalement convergé vers un produit
innovant. Cette partie se poursuit par la présentation de la structuration des
moyens permettant de mener à bien le projet : il s’agit de définir la
« référence » en termes de qualité-coût-délai, préalable indispensable à la
réalisation proprement dite. Vient ensuite précisément le pilotage de cette
réalisation ; les auteurs soulignent par de nombreux exemples quelques
erreurs classiques conduisant les projets à l’échec et tentent d’en tirer des
enseignements pour les esquiver. Prenant enfin un peu de recul sur
l’organisation en mode projets des entreprises, différentes approches de
management multi-projets sont développées amenant une réflexion
stratégique sur la gestion d’un portefeuille de projets, son pilotage et
l’instrumentation à mettre en place.

La troisième partie, les systèmes d’information, présente les différents


types de systèmes d’information qui viennent en soutien de la conception de
produits, en s’intéressant tout particulièrement à leur apport en tant que
support à la décision. Ces systèmes se sont enrichis ces dernières années en
intégrant des niveaux d’abstraction plus élevés.

Ainsi, certains systèmes d’information récents apportent une aide efficace


à la capitalisation et la traçabilité des connaissances en conception ; ils
peuvent même permettre de reconstituer la connaissance de manière
automatique. En conclusion, une démarche multi-points de vue des
connaissances en conception est présentée ; elle est appliquée sur un cas
d’étude.
Michel BIGAND et Thierry GIDEL
PREMIÈRE PARTIE

L’individu et le groupe

Partie coordonnée par Jean-Pierre VAUDELIN et Stéphanie MINEL.


CHAPITRE 1

L’homme au cœur de l’entreprise

De plus en plus, la valeur d’une entreprise ne se lit pas que dans ses
comptes. L’essentiel ne figure pas au bilan. C’est son portefeuille de
marques, c’est la qualité de ses salariés, leur connaissance, leur créativité,
leur intelligence émotionnelle, leur capacité à travailler ensemble qui vont
assurer sa pérennité et sa croissance.

Ces indicateurs, aux contours encore assez flous, plus difficiles à mesurer
que la valeur de l’équipement d’une usine ou des murs d’un immeuble, sont
les avantages compétitifs de demain. Passer d’une économie industrielle à
une économie dite immatérielle, c’est une autre manière de travailler, une
autre manière de mobiliser l’intelligence collective ; c’est aussi une autre
façon de compter.

Dès lors, on peut légitimement s’intéresser au capital immatériel des


entreprises et, en particulier, à la nature des liens qui se tissent entre
l’individu et le collectif. Pendant longtemps, l’économie a ignoré les
phénomènes collectifs en privilégiant une approche individuelle en termes
d’agent intervenant dans les relations marchandes.

Cette première partie aborde donc la question de l’individu et du groupe


dans le processus décisionnel en conception. Comment la compétence

Chapitre rédigé par Jean-Pierre VAUDELIN et Olivier DEVISE.


24 La conception industrielle de produits 1

collective est-elle prise en compte théoriquement et empiriquement ? Ne


peut-on pas en dégager quelques caractéristiques ?

L’enjeu est ici d’interroger la façon dont des équipes cohésives sont
capables d’innover sur de nouveaux produits, de nouveaux services ou de
nouveaux processus.

C’est le propos commun des deux contributions présentées dans cette


partie qui, après avoir situé l’enjeu de la conception innovante pour les
entreprises, explorent la relation entre dynamique créative et dynamique de
groupe.

Olivier Devise, Michel Sonntag et Jean-Pierre Vaudelin introduisent cette


discussion par une réflexion sur le milieu de la conception. La capacité d’une
entreprise à rendre son produit utile et à le maintenir utile dans le quotidien
des individus fait la différence. Pour eux, la question est de savoir comment
entraîner une entreprise dans cette aventure de l’innovation. Les auteurs se
centrent plus précisément sur la fonction managériale.

Que sait-on de la mobilisation des individus dans l’action collective ? Les


auteurs se centrent sur les stades de développement d’un groupe en insistant
sur les aspects de la structuration interne des relations entre les membres et
sur la notion de maturation. Ils précisent la place du leader dans le processus
de prise de décision collective et montrent qu’il est possible d’adopter une
approche plus globale et interactionniste qui mise à la fois sur le potentiel
humain et sur la nécessité des collaborations. Ils rappellent que l’innovation
se stimule plutôt qu’elle ne se gère et que, dans un monde de nouvelles
technologies en mal d’humain, le recours à l’irrationnel peut être un outil de
management.

Prolongeant cette réflexion, Gwenola Bertoluci, Anthony Delamarre,


Stéphanie Minel et Nadine Stœltzlen nous invitent à examiner la façon dont
le degré de concurrence du marché et le mode de management des
organisations industrielles influent sur les processus de conception de
produits et la rationalité des décisions. En particulier, la saturation des
marchés se traduit par une prise en compte croissante des attentes des clients
en conception de produits.

Les auteurs nous proposent un regard sur le processus de décision en


conception de produits complexes. Ils privilégient la voie de l’interdisciplinarité
L’homme au coeur de l’entreprise 25

et soulignent le rôle des représentations intermédiaires dans la décision. Pour


illustrer le comportement des acteurs dans le processus de décision, ils
proposent un jeu participatif de créativité dans lequel un certain nombre
d’outils sont proposés aux membres du groupe. Ils montrent en particulier
comment la formalisation des objets intermédiaires participe à la
convergence des échanges et mettent l’accent sur l’optimisation du processus
décisionnel.

La mise en place et l’animation d’une séance de créativité portant sur la


reconception de meubles de bureau permet d’entrevoir les stratégies des
acteurs.
CHAPITRE 2

Leadership et apprentissage organisationnel


pour un groupe performant et innovant

2.1. Introduction

Nous nous intéresserons au milieu de la conception en interrogeant les


dimensions d’une créativité en mouvement. Dès que l’on parle de créativité,
l’on songe à l’inventeur, à cet individu capable de trouver des solutions
inédites, de reformuler les problèmes de façon originale. Mais en entreprise,
cette fonction inventive s’inscrit dans une longue chaîne pour devenir
innovation, c’est-à-dire déboucher sur un produit ou un service pour le
marché. Cette longue chaîne est loin d’être un long chemin tranquille. Elle
relève d’un collectif de travail qui fait système et qui sait résister aux idées
qui lui semblent trop étrangères. En d’autres termes, il ne suffit pas d’avoir
une idée géniale en entreprise pour garantir l’innovation, il faut compter sur
le collectif de travail, le solliciter, l’animer. C’est pourquoi la conception en
entreprise est, en réalité, un acte collectif.

Même si certains individus sont plus inventifs que d’autres, le processus


qui fonde l’innovation concerne de nombreuses personnes et des services
complémentaires : l’innovation se joue dans la relation entre le concepteur et
le collectif. Cette dialectique entre l’individuel et le collectif se décline de
multiples façons que l’on retrouve aussi bien dans la relation entre

Chapitre rédigé par Jean-Pierre VAUDELIN, Michel SONNTAG et Olivier DEVISE.


28 La conception industrielle de produits 1

l’entrepreneur dynamique et son entreprise qu’entre le directeur du service


R&D et son équipe ou plus simplement entre le leader et son groupe. La
question pratique reste la même : comment favoriser l’esprit inventif et faire
passer une collection d’individus à un collectif innovant ?

Concrètement, peut-on parler des bonnes pratiques de l’innovation ?


Communément, l’on admet que les entrepreneurs innovants ont un projet
stratégique pour leur entreprise et le proclament haut et fort. Mais tout le
monde ne s’improvise pas visionnaire. Il n’est pas forcément nécessaire
d’avoir à la tête des entreprises des visionnaires même si ceux-ci ont la
capacité de susciter l’enthousiasme pour leurs idées parce qu’ils sont
passionnés. La culture et la structure d’entreprise peuvent favoriser
l’émergence d’idées nouvelles à la base aussi bien qu’au sommet. Mais pour
que l’innovation s’enracine de manière durable dans les pratiques, il importe
de la concentrer sur ce que produit l’entreprise, sur la manière dont elle le
produit et sur la manière dont ce qu’elle produit vit dans le quotidien des
gens. Il importe également d’envisager la création d’équipes cohésives,
capables d’imaginer des concepts différents et / ou des façons de faire des
affaires qui soient radicalement nouvelles [HAM 00].

Dans les discours scientifiques dominants sur la compétence collective, il


est question d’aspects conatifs et cognitifs de la compétence collective, c’est-
à-dire de sa dimension socio-cognitive [LEB 00 ; SON 06] : savoir et vouloir
collectivement. Comment réussir cette dynamique ? Il s’agit pour les
chercheurs d’interroger le « savoir comment s’y prendre pour travailler
ensemble » (facteurs cognitifs) et le « vouloir travailler ensemble » (facteurs
conatifs). Ces deux aspects sont interdépendants et reposent sur des facteurs
multiples comme la culture qui définit les comportements estimés légitimes,
la structure de l’organisation [MIN 82], l’environnement concurrentiel, les
conditions de travail, la fonction managériale. Dans la présente analyse, nous
avons décidé de nous centrer plus précisément sur la fonction managériale,
incarnée par le leadership créatif et innovant.

Il n’y a pas de règles prescriptive définissant un bon leader. En revanche,


des stratégies de leadership ont été définies en sciences de gestion. Et nous
savons qu’elles se cristallisent de façon générale autour de la confiance
qu’inspire le responsable ou du désir des individus d’être reconnus par celui
qui fait figure d’autorité.
Leadership et apprentissage organisationnel 29

Après avoir situé l’enjeu de la conception innovante pour les entreprises,


nous explorerons la relation entre la dynamique créative et le leadership dans
les groupes. Dans cette exploration du leadership, nous prenons le parti de
montrer, en adaptant un modèle de la contingence, que l’on peut faire
évoluer un groupe d’individus plus ou moins étrangers les uns aux autres
vers un groupe unitaire, en s’inspirant d’un large éventail de styles de
commandement.

Nous analyserons aussi les stades de développement d’une équipe en


soulignant l’importance de la construction identitaire dans la compétence
collective d’un groupe.

Nous nous intéresserons à un modèle de leadership qui interroge la prise


de décision individuelle et collective. Nous l’avons complété en intégrant
des théories récentes et les évolutions de la société. Nos interventions en
organisation nous ont également permis de recueillir un matériau important
sur les relations sociales dans l’entreprise.

Enfin, nous questionnerons la culture de l’entreprise en nous demandant


comment générer et entretenir en permanence une vitalité créative. Peut-on
galvaniser les imaginations en les provoquant à coups de défis ?

2.2. Le milieu de la conception : un milieu spécifique ?

Lorsque les individus ne sont plus aux aguets et à l’écoute de toutes les
interactions de l’entreprise avec son milieu, ses clients, ses fournisseurs,
leurs entreprises perdent un jour ce sens de l’écoute et de l’attention. Leur
compétitivité risque rapidement d’être affectée. Pour une entreprise, être aux
aguets, c’est développer et légitimer diverses veilles comme la veille
économique, technologique, sociale. C’est aussi savoir traduire ce qu’elle
entend à partir de cette écoute en termes de produit et de service. C’est
savoir concevoir et innover.

2.2.1. Innover pour durer

Les dirigeants peuvent se doter d’un avantage créativité en mobilisant les


ressources intellectuelles de leurs collaborateurs, en stimulant leur
imagination et en organisant des processus adaptés.
30 La conception industrielle de produits 1

De plus en plus, être créatif, aujourd’hui, c’est trouver un quoi inédit


[DEB 04a] alors que, pendant longtemps, être créatif, c’était trouver un
comment original. Des entreprises telles que Google, IKEA, Apple secrètent
un particularisme qui transpire par tous leurs actes et qui contribue à leur
différence et à leur succès alors qu’elles vivent dans le même environnement
incertain que leurs concurrents.

Nous définissons la créativité comme l’art de faire germer des idées


nouvelles. Elle devient innovation lorsque l’idée nouvelle est développée
jusqu’au stade de la valeur réalisée, mise sur le marché.

La créativité ne s’obtient pas en perfectionnant le connu, mais en


s’aventurant dans l’inconnu. En ce sens, on peut dire que l’amélioration, qui
porte sur le connu et à laquelle il manque l’acte créatif qui est excentrique
par essence, est l’ennemi de l’innovation [WIL 06].

Imiter et améliorer s’inscrivent dans une autre logique plus facile à


appréhender qui peut, certes, contribuer à la productivité en perfectionnant
l’existant, mais qui ne crée pas les ruptures qui fondent l’avantage
concurrentiel des entreprises novatrices.

L’innovation peut porter sur de nouveaux produits, de nouveaux services


ou de nouveaux processus. Elle redéfinit ce que l’entreprise produit et porte
sur le marché. De Bono [DEB 82] précise cette idée en insistant sur la
nécessité pour les entreprises de se placer au dessus de la mêlée, hors
concurrence en développant une façon de faire les affaires unique,
incomparable et difficile à imiter. Ce qu’il appelle la surpétition par rapport
à la compétition.

L’histoire le prouve : toute entreprise, en se développant, augmente sa


structure de coûts et élève le seuil de sa rentabilité. Pour maintenir ses
marges, elle aura souvent besoin de plus de produits de haut de gamme. En
escaladant la pente du haut de gamme, elle finit par se faire déstabiliser par
une offre bas de gamme. Ainsi, dans le secteur automobile, les voitures
américaines se sont fait détrôner par les japonaises, qui se laisseront
déstabiliser par les coréennes qui se verront, un jour, destituées par les
chinoises. Ce n’est pas dans le toujours plus que se situe l’innovation, mais
dans le penser autrement.
Leadership et apprentissage organisationnel 31

2.2.2. L’acte excentrique

Dans cette quête de l’innovation qui assure une prééminence


concurrentielle durable, les entreprises qui arrivent à se placer hors
concurrence sont celles qui, au-delà du produit qu’elles fabriquent ou des
services qu’elles offrent, adoptent une attitude de producteur de services qui
les place au-dessus de la mêlée. Dans un monde où le consommateur a de
plus en plus de pouvoir et de plus en plus l’envie de l’exercer, il est
important de satisfaire et de capter son attention dans la durée. Et la
satisfaction de ce besoin passe, sans doute, par un questionnement sur la
valeur d’usage de ce qu’une entreprise produit. Ce respect des utilisateurs est
une lame de fond qui bouleverse le monde des affaires.

En donnant dès sa conception la primauté de l’utilité à l’usage, Google


s’est concentré sur l’utilisateur. L’entreprise organise l’information du
monde en la rendant universellement accessible et utile. Ses dirigeants,
lorsqu’ils étaient chercheurs à l’université de Standford, ont inventé
l’algorithme qui donne un ordre de grandeur aux pages web en fonction de la
fréquence avec laquelle elles sont référencées ou liées à d’autres pages web.
Ce produit a modifié la donne. Google s’est concentré sur l’utilisateur et le
reste a suivi. Ce qui a de la valeur aujourd’hui, c’est ce que le client attend
d’un produit à l’usage, depuis son entrée au point de vente jusqu’à la
poubelle ou la revente. Comme Google a développé de nouvelles
applications qui ont rendu de plus en plus de données accessibles (Google
Earth, Google Video, Google Talk), son potentiel de croissance est devenu
gigantesque. Google est le site le plus visité de la planète et la première régie
publicitaire au monde. De ce fait, il offre aux annonceurs des publicités
toujours plus ciblées et ne tardera sans doute pas à dominer le marché
publicitaire mondial. Hyper-puissant, « l’ogre de Mountain View » rachète
les entreprises à tour de bras, multiplie les services et indexe toujours plus de
contenus [ICH 07]. Accusé d’hégémonie, le moteur de recherche croule sous
les critiques et les procès. Malgré cela, son image de marque reste excellente
auprès du grand public. Car la marque a bâti son succès en plaçant l’intérêt
du consommateur au-dessus de tout, en refusant, par exemple, d’avoir
recours aux bannières publicitaires, jugées trop intrusives.

Avec l’iPod, le leader des baladeurs, Apple considère aussi son client
comme son utilisateur. Il lui offre une valeur d’usage de l’achat à la revente
en passant par l’entretien, les accessoires, le système de téléchargement
musical iTunes, la revente, la possibilité de l’acheter avec une gravure au
32 La conception industrielle de produits 1

dos pour le personnaliser, la possibilité de créer des programmes musicaux.


L’iPod a fait plus pour attirer l’attention sur Apple que la firme n’en a fait
pour attirer l’attention sur l’iPod. Du coup, Apple s’ouvre aux amateurs de
PC avec l’intégration d’un processeur Intel.

A contrario, ignorer les goûts du public coûte cher quelle que soit la
qualité de la marque. Sony reste une belle marque, mais elle n’a pas inventé
l’iPod. Et même si le lien émotionnel d’une marque n’a pas disparu, la prime
que consent à payer le public pour se l’offrir est de plus en plus petite, n’en
déplaise aux gens de marketing !

Ce ne sont donc plus les campagnes publicitaires qui déterminent le


succès d’un produit ou d’une entreprise, mais bien la capacité d’une
entreprise à rendre son produit utile et à le maintenir utile dans le quotidien
des individus. IKEA vend partout les mêmes objets, mais en s’efforçant de
toujours répondre à la fonction d’utilité. L’idée stratégique de l’entreprise
fondée par Ingvar Kamprad est de rendre la beauté accessible et d’envisager
le design mobilier en tenant compte du prix et de la réduction des coûts. Le
fondateur de l’entreprise ne s’est pas contenté de regarder horizontalement
autour de lui : il a regardé ce qui doit être et qui n’existe pas encore. Et
lorsqu’un produit est bon, il creuse sa niche. IKEA parie, depuis plusieurs
années, sur du mobilier pratique, léger, simple et surtout mieux adapté aux
besoins contemporains. Un design assumé qui leur réussit plutôt bien et qui
malmène les enseignes comme Conforama et But qui proposent plusieurs
styles à la fois, du rustique à l’exotique, sous le même toit. Ce design
s’apparente plus à une collection de produits qu’à une attention portée à
l’utilité d’usage des objets.

La question est donc de savoir comment entraîner une entreprise dans


cette aventure de l’innovation. En nous demandant qui saurait entraîner le
collectif dans l’acceptation du risque que représente la démarche créative,
nous posons, d’une certaine façon, la question du leadership et de la
mobilisation des individus dans l’action collective.

2.3. Choix d’un modèle de leadership pour mener l’innovation

De nombreux auteurs se sont intéressés à la question du leadership et ont


proposé des définitions variées. Nous retiendrons l’idée basique que le
leadership peut être défini comme la capacité d’influencer d’autres
Leadership et apprentissage organisationnel 33

personnes en vue d’atteindre les objectifs. Et de façon plus précise nous


pouvons retenir trois grandes approches : l’approche axée sur les traits de
personnalité, l’approche axée sur les comportements et l’approche axée sur
la situation.

2.3.1. Evolution des modèles du leadership : des traits de personnalité à la


prise en compte de la situation

Pour étudier le leadership, les chercheurs en psychologie se sont d’abord


intéressés, dans la première moitié du XXe siècle aux traits de caractère des
dirigeants [BOR 60, MAN 59, STO 48]. Les deux grandes guerres
mondiales vont constituer une période privilégiée pour vérifier les méthodes
développées par les psychologues. Celles-ci vont être particulièrement
centrées sur l’identification des pilotes et des officiers [SCH 76]. Les
caractéristiques des leaders vont être testées et étudiées par l’observation
directe des comportements dans des situations de groupe.

Elles vont être réparties dans six grandes catégories [STO 74] :
– les caractéristiques physiques : les recherches empiriques n’établissant
pas un lien direct et causal entre celles-ci et le leadership ;
– l’environnement social dont on n’observait aucune relation significative
avec l’efficacité d’un style de leadership ;
– l’intelligence avec une corrélation faible entre le rôle du leader et la
capacité intellectuelle de ce dernier ;
– la personnalité qui devait être prise en considération dans toute
approche du phénomène de leadership ;
– les caractéristiques liées à la tâche qui démontraient clairement la
motivation, le besoin d’accomplissement et le sens de l’initiative et des
responsabilités du leader ;
– les habiletés sociales et interpersonnelles reconnues par le groupe car
elles tendent à établir un climat de confiance, d’harmonie et de cohésion.

Les chercheurs mettent donc l’accent sur les qualités personnelles des
leaders. Et ils attribuent leur réussite à leurs qualifications, à leurs talents et à
leurs caractéristiques personnelles. L’approche par les traits de caractère
postule, comme facteur déterminant, la personnalité du chef, son charisme.
En arrière pensée, nous retrouvons ici l’idéologie du don : on naît chef.
L’autorité serait naturelle et les leaders ne devraient qu’à eux-mêmes d’avoir
34 La conception industrielle de produits 1

tant d’influence sur les autres. Pour être chef d’un groupe, il faut posséder,
jusqu’à un certain degré du moins, les caractéristiques (traits de caractère,
connaissances, expériences) que ce groupe attend. Bien entendu, il est utile
d’être intelligent, confiant, équilibré, dynamique et sociable.

Cette approche ne tient pas compte de l’environnement dans lequel les


individus évoluent, ni des processus d’apprentissage et de développement
personnel. Ainsi, Potter et Fiedler [POT 81] ont démontré que si les relations
comportent beaucoup de stress, l’expérience acquise du leader devient un
meilleur baromètre du rendement que l’intelligence. Cette critique va
conduire les chercheurs à mettre l’accent sur les comportements des leaders.

Dans les années 1940, au lieu de chercher à définir les traits de caractère
des leaders, les chercheurs étudient leur comportement, c’est-à-dire ce que
les dirigeants font, en réalité, et comment ils le font [CAR 51; LIK 61;
STO 57]. L’aspect le plus important du leadership ne concerne plus les
caractéristiques du leader, mais bien son style et sa façon de réagir dans
différentes situations, c’est-à-dire des comportements susceptibles d’être
appris. Ils définissent deux manifestations du leadership : un leadership
orienté vers la tâche et un leadership orienté vers l’employé. Les
comportements liés à la dimension structurelle du leadership visent l’atteinte
exclusive des objectifs. Le leader met l’accent sur la définition et la
répartition des tâches à accomplir, sur l’établissement d’un réseau de
communication formel dans le groupe ainsi que sur l’organisation et la
direction des activités du groupe. Les comportements liés à la dimension de
la considération favorisent l’émergence de relations de travail saines,
fondées sur une confiance mutuelle, sur une bonne communication et sur un
respect des idées.

En croisant ces deux dimensions (capacité d’initiation et considération


pour autrui), ils précisent le meilleur style de leader, à travers un certain
nombre de typologies de leadership [BLA 64; MIS 89] qui sont autant de
comportements de référence. On parlera de gestion (ou style) autocratique,
de gestion paternaliste, de gestion anémique, de gestion démocratique ou de
gestion de type intermédiaire.

Mais ces deux dimensions du leadership ne permettent pas, à elles seules,


de préjuger de la satisfaction et de l’efficacité des membres d’un groupe car
d’autres éléments entrent en ligne de compte : les attitudes, les attentes des
participants, leurs normes et leurs valeurs, les caractéristiques particulières
Leadership et apprentissage organisationnel 35

d’une tâche ou d’une situation, les caractéristiques du groupe ou de


l’organisation et sa structure de pouvoir. Petit à petit, les chercheurs se
concentrent sur le rôle du contexte et prennent en considération des facteurs
qui, environnant et structurant la relation de leadership, ont des effets sur son
efficacité. Dans les années 1970, les théoriciens de la contingence en matière
de leadership cherchent à découvrir les variables qui permettent à certaines
caractéristiques et certains comportements de dirigeants de se révéler
efficaces dans une situation donnée [DUA 99, DUR 70, FIE 67, HER 77,
HOU 81, VRO 73].

2.3.2. La prise en compte de la situation

Intéressons-nous à présent au modèle de la contingence et aux principales


variables qui affectent le comportement d’un leader.

Figure 2.1. Principe des modèles de la contingence

Par contingence, l’on désigne :


– les caractéristiques personnelles du leader : sa personnalité, ses besoins
et ses motivations, ses expériences passées ;
– les caractéristiques personnelles des subordonnés : leur personnalité, leurs
besoins et leurs motivations, leurs expériences passées, leur degré d’expertise ;
– les caractéristiques du groupe : son stade de développement, sa structure, la
nature de la tâche à effectuer, les normes formelles et informelles données par le
groupe, ses critères de légitimité ;
– les caractéristiques de la structure organisationnelle : les sources de pouvoir
du leader, les règles et les procédures établies par l’organisation,
le niveau d’apprentissage organisationnel, le temps alloué pour effectuer une
tâche ou pour prendre une décision.
36 La conception industrielle de produits 1

2.4. Le stade de développement du groupe

Un groupe, rassemblement de personnes autour d’un projet, d’une raison


d’être, a une vie. C’est-à-dire qu’il naît, croît et peut mourir. Conduire un
groupe, c’est donc, d’une part rassembler les données multiples qui
déterminent sa dynamique pendant la durée de vie liée à sa raison d’être et,
d’autre part, tenir compte du déroulement probable des opérations.

Certains facteurs non négligeables influent sur l’évolution du groupe de


façon significative :
– les caractéristiques personnelles de chaque membre du groupe,
– l’existence d’intérêts et de buts communs,
– l’influence mutuelle des membres,
– la fréquence élevée d’occasions d’interagir.

Plusieurs études [OBE 83, TUC 65, TUC 77] ont démontré que la
majorité des groupes évoluent fréquemment selon quatre phases :
– l’orientation : les membres du groupe recherchent des affinités
possibles avec leurs collègues ;
– le conflit : les membres défendent et confrontent leurs idées et leurs
opinions avec celles des autres membres ;
– la cohésion : les membres comprennent et respectent davantage les
rôles et les responsabilités de chacun ;
– l’évaluation et le contrôle : un climat de confiance et d’acceptation
s’installe.

Le passage d’une phase à l’autre reflète le degré de maturité d’un groupe.


Il est à noter qu’il est possible que le groupe soit dissout à l’une ou l’autre
des étapes de développement. Même si ce parcours représente une évolution
du genre « idéal type », il ne demeure pas moins une référence intéressante
pour déterminer le type de leadership le plus efficace pour mener le groupe
vers l’accomplissement de ses objectifs.

Nous nous centrons donc sur les stades de développement d’un groupe
que nous désignerons aussi par le terme « équipe », parce qu’elle représente
l’une des modalités des groupes en entreprise que l’on retrouve sous des
expressions comme « équipe projet », ou « travail d’équipe » ou plus
prosaïquement dans « chef d’équipe ». Nous insisterons sur les aspects de la
Leadership et apprentissage organisationnel 37

structuration interne des relations entre les membres et sur la notion de


« maturation ». En référence aux précédents travaux, nous pouvons ainsi
distinguer quatre stades. Le passage d’un stade à l’autre correspond, dans
cette conception, à un progrès de la maturation du groupe.

Figure 2.2. Les stades de développement d’un groupe

2.4.1. L’équipe nominale

Ce qui caractérise le premier stade, c’est la collection d’individus. Les


individus se connaissent mal, leurs relations sont empreintes de la plus
grande prudence et ils ne s’engagent que sur la pointe des pieds dans
l’incertitude des réactions provoquées. Les membres sont dans une phase où
ils se constituent en se centrant sur leur identité et sur leurs fonctionnements
individuels. Ils sont centrés sur le maintien de leur territoire et sur la
valorisation de leur propre métier individuel à l’intérieur de l’équipe. On a
affaire à un agglomérat d’individus. Chacun est préoccupé par le fait de
trouver son identité, de garantir sa marge de manœuvre et de se protéger,
38 La conception industrielle de produits 1

plus qu’à communiquer et à échanger. A ce stade, le nouveau membre


ressent une certaine dépendance envers ses collègues ainsi qu’envers les
règlements appliqués dans le milieu du travail. Il tente d’éviter le conflit et
garde ses opinions et ses croyances pour lui-même.

La présence d’autrui, sous ses différentes formes, défavorise


l’apprentissage ou la performance à des tâches complexes : effet d’inhibition
sociale [ZAJ 66]. Les valeurs sont des valeurs techniques. Le développement
managérial est centré sur les compétences avec une insistance sur les
contenus. La collaboration qui fonde la compétence collective n’existe pas.
On a plutôt affaire à une juxtaposition de productions individuelles. Dans ce
temps où le groupe n’est pas encore constitué, on peut dire que règne
l’impuissance. Séparés des autres, condamnés à la solitude, les membres du
collectif sont impuissants à atteindre leur but.

Le danger de cette étape, c’est la fermeture de chacun par rapport aux


fonctions de l’autre. Bien que cette étape soit normale, il va falloir, pour en
sortir, créer les conditions minima d’une confiance entre le responsable
(leader, chef de groupe, entrepreneur, etc.) et ses collaborateurs et pour les
collaborateurs entre eux. Il va falloir construire une identité collective,
légitimer les interactions, instaurer une confiance suffisante pour dépasser
les méfiances individuelles, responsabiliser les acteurs en précisant les
objectifs et les valeurs.

2.4.2. L’équipe fusionnelle

Lorsque les identités et l’énergie de chacun des collaborateurs sont


modifiées, lorsque la frontière qui définit l’appartenance à l’équipe devient
claire, on passe à un deuxième stade. Le moral du groupe devient une
nécessité vitale ou, moins consciemment, les impératifs affectifs
apparaissent prioritaires. On fuit toutes les mesures qui risqueraient de
troubler l’harmonie du groupe et de rendre insatisfait un de ses membres. On
évite les ordres stricts, les contrôles tatillons, un pouvoir trop affirmé. On
évite également tout changement qui entraînerait de graves conséquences sur
la composition du groupe : apport de sang nouveau ou renvoi d’éléments
anciens.

L’énergie est beaucoup plus centrée sur l’écoute réciproque. Les aspects
positifs de cette étape résident dans le fait que les membres du groupe se
Leadership et apprentissage organisationnel 39

développent dans une relation de solidarité : les individus se sentent


responsables et porteurs des décisions prises par le groupe. Le groupe est en
fusion : il n’y a pas de problème de pouvoir entre les membres du groupe. Il
n’y a pas de chef car le chef est n’importe qui et personne [LAP 65]. Les
membres ont pris conscience que le groupe est le moyen commun de
réalisation, la possibilité de multiplier leurs forces et donc d’accéder à un
véritable pouvoir.

Les dangers de cette solidarité, c’est que, lorsque celle-ci devient


oppressive, les membres du groupe perdent leur parole individuelle [FES 50,
GER 53, HOF 65, JAN 72, MOS 92, PAR 92, WOL 79]. Un individu ou une
minorité peut être opprimé par le groupe. Le consensus apparent risque de ne
pas tenir compte de la spécificité réelle de chacun. Lorsque cette solidarité
devient excessive, le groupe peut se fermer sur lui-même. Il peut perdre tout
contact avec la réalité extérieure au nom même de cette solidarité. On devine
que dans ce cas, toute l’énergie consacrée à la cohésion est soustraite à la
progression. Pour avoir tout misé sur la cohésion et la dimension affective,
c’est la production qui peut être compromise. Et, faute de progression, les
buts spécifiques des individus ne sont pas atteints. La stagnation à laquelle
on se condamne compromet les satisfactions attendues. Le groupe est
sympathique, mais inefficace. Miné par cette tension, le groupe fusion
évolue souvent vers le conflit qui libère les énergies.

2.4.3. L’équipe conflictuelle

Les membres commencent à se constituer en corps collectif. Le conflit


éveille la conscience de la différence et permet de déboucher sur la
collaboration entre individus conscients de leurs complémentarités et de
leurs divergences. Les individus ont déjà intégré leur compétence technique
et leur capacité à s’écouter mutuellement. Ils sont centrés sur la recherche de
compromis. L’implication est croissante. Paradoxalement, dans un groupe
conflictuel, les membres peuvent éprouver de la satisfaction par rapport à
leur travail [EXL 57] et par rapport à l’ambiance de travail [ARG 57]. A ce
stade, les membres du groupe ne tiennent plus en réserve leurs opinions et
leurs idées. Ils les défendent et mesurent leur valeur respective. Une certaine
lutte pour le leadership peut s’engager. S’il n’y a pas de leader formel, la
lutte s’engagera entre ceux qui ont le potentiel de le devenir.
40 La conception industrielle de produits 1

Pour que le groupe puisse atteindre le niveau 4, il faut que chaque


membre du groupe puisse intégrer dans son identité la spécificité de l’autre.
Mais en plus, chacun doit être capable de situer sa propre fonction en
cohérence à une vision globale suffisamment partagée.

2.4.4. L’équipe unitaire

Dans le groupe unitaire, les valeurs de l’équipe se situent au-delà des


techniques et du sentiment fusionnel. Elles sont centrées sur la cohérence par
rapport au sens. Les membres du groupe sont centrés sur la tâche dans un
climat de coopération. Petit à petit, ils ont accepté les questions relatives aux
relations interpersonnelles, à la division des tâches et au partage des
responsabilités. Le groupe peut concentrer alors son énergie à effectuer les
tâches. A ce stade, le groupe a atteint une certaine forme de maturité.

Le groupe est devenu suffisamment adulte pour ne plus avoir besoin


d’être dirigé mais pour être capable de se conduire tout seul. Chacun est
capable d’affronter ses propres contradictions et de les réguler.
L’accomplissement de la gestion du groupe serait de pouvoir finalement
déboucher sur l’autogestion. Le chef doit gérer le paradoxe d’apprendre à ses
collaborateurs à se débrouiller tout seul. La compétence collective est réelle.

Dans un groupe unitaire, les membres ont plus d’estime d’eux-mêmes


[JUL 66] et ils cherchent à convaincre d’autres personnes de les rejoindre
[CAR 88]. On sait aussi que le haut niveau de communication et
d’homogénéité dans le groupe unitaire [LOT 61] facilite la participation et la
répartition des efforts. C’est pourquoi, la cohésion du groupe est considérée
comme l’un des stimulants qui permettent d’augmenter la performance
[SHE 93].

2.5. Application à la prise de décision collective

Aujourd’hui, on considère la prise de décision comme un processus


dynamique, par opposition à la vision statique traditionnelle. Dans la
première moitié du XXe siècle, le dirigeant charismatique éclaire son
leadership grâce à son jugement, à son expérience et à son intuition
[BER 89].
Leadership et apprentissage organisationnel 41

Avec la complexité, l’augmentation des interactions et des


interdépendances entre les membres des équipes projet et la conception
d’outils et de techniques qui facilitent le travail collaboratif et les échanges
d’informations, la prise de décisions devient plus collective.

Le leader doit adopter une approche plus globale et interactionniste qui


doit miser à la fois sur le potentiel humain et sur la nécessité des
collaborations. Précisons cette place du leader qui contribue à assurer la
performance d’un collectif de travail.

2.5.1. Le modèle de Tannenbaum et Schmidt

La référence qui nous sert de guide est le modèle de Tannenbaum et


Schmidt [TAN 73] qui suggère que l’efficacité d’un groupe de travailleurs
dépend de la situation et des caractéristiques du leader.

La figure 2.3 présente la gamme des styles de leadership. Pour chacun


d’eux, l’étendue de l’autorité du supérieur et la liberté d’action des
subordonnés sont indiquées. A gauche, le supérieur garde un contrôle total :
on a affaire à un style de management autocratique. A droite, le supérieur
délègue beaucoup : le style de gestion est démocratique.

Ce modèle essaye de représenter l’interaction entre la liberté d’action des


subordonnés et l’autorité du responsable en fonction du style de leadership.

De la décision solitaire à celle du groupe, sept styles de leadership


illustrent les différents degrés d’engagement des collaborateurs.

Figure 2.3. Le modèle de Tannenbaum et Schmidt


42 La conception industrielle de produits 1

Voyons maintenant ces styles en détail :


1) le manager prend les décisions et les annonce à ses subordonnés ; le
manager est autocratique. Dans ce cas, le dirigeant identifie le problème et
les différentes possibilités. Il en choisit une et l’indique à ses subordonnés
pour qu’ils l’exécutent. La lecture de la situation est limitée à la perception
et à l’interprétation d’un seul individu et soumise à ses biais. Mais la
décision individuelle se prend rapidement. Elle est moins coûteuse ;
2) le manager vend ses décisions. Le manager prend la responsabilité
d’identifier le problème et de le trancher. Cependant, au lieu d’annoncer sa
décision, il essaie de convaincre ses subordonnés de l’accepter ;
3) le manager présente ses idées et demande l’avis de ses subordonnés.
Le manager a déjà pris sa décision, mais il expose plus en détail ses raisons
et ses intentions. Il laisse ses subordonnés poser des questions qui leur
permettront de mieux comprendre ce que leur chef essaie de faire ;
4) il permet aux subordonnés d’exercer une certaine influence dans la
prise de décision : le manager présente une décision conditionnelle qu’il se
déclare prêt à changer. Le chef garde l’initiative de l’identification du
problème et de son diagnostic. Il a déjà analysé le problème et pris une décision.
Toutefois, avant de la rendre définitive, il la présente à ceux qu’elle affecte ;
5) le manager présente le problème à résoudre et consulte les
subordonnés avant de prendre une décision. Ici, les subordonnés ont
l’occasion d’explorer les possibilités offertes et les diverses solutions. Le
rôle du manager est d’identifier le problème ; celui du groupe est d’élargir
l’ensemble des possibilités offertes au chef pour résoudre le problème ;
6) le manager définit le problème à résoudre, délimite les contraintes à
respecter et laisse le groupe prendre une décision en tenant compte des
contraintes imposées. Le chef donne au groupe le droit de prendre des
décisions. Il peut se considérer, lui-même, simplement comme un membre
du groupe. Le manager a, toutefois, défini le problème au préalable et fixé
un certain nombre de contraintes à respecter ;
7) le manager laisse le groupe libre de choisir pourvu que certaines
contraintes soient respectées : il applique un leadership démocratique-
participatif. Une telle liberté d’action pour un groupe est très rare dans une
organisation. Les exemples les plus fréquents proviennent des organisations
de recherche. Dans ce cas, une équipe d’ingénieurs identifie le problème et
les diverses possibilités de le résoudre. L’équipe choisit ensuite une de ces
possibilités comme solution. La seule servitude est le respect des contraintes
établies à un niveau supérieur. Puisque les personnes sont engagées dans la
Leadership et apprentissage organisationnel 43

prise de décisions, l’adhésion sera plus facile lors de l’application des


décisions. La décision de groupe provoque un effet de synergie et permet
d’engendrer des solutions plus créatives.

2.5.2. De nouvelles forces à considérer

Théoriquement le manager devrait considérer un certain nombre de


facteurs avant de fixer son choix sur un style de leadership. Tannenbaum et
Schmidt ont relevé trois groupes de facteurs (forces propres au leader, forces
propres aux subordonnés, forces propres à la situation) que nous nous
proposons de compléter à la lumière de théories récentes et de l’évolution de
la société.

2.5.2.1. Les forces propres au leader


Tannenbaum et Schmidt soulignent l’importance, pour le leader, de
prendre en compte ses connaissances, son expérience, le degré de confiance
qu’il accorde à ses subordonnés, sa préférence pour un style donné, son
système de valeurs.

La personnalité du leader, son expérience de même que sa philosophie


de gestion ne peuvent qu’influencer le mode de prise de décisions. Selon
que le leader est autocrate ou démocrate, son approche sera différente.
L’expérience acquise intervient aussi de façon importante. Un gestionnaire,
ayant accumulé plusieurs succès sera plus confiant, plus ouvert et plus apte à
prendre des risques que s’il est inexpérimenté ou qu’il vient d’essuyer un
échec cuisant. Le tempérament et les ambitions pèseront également dans la
balance.

En fait, les managers coordonnent aujourd’hui plus qu’ils ne dirigent. Ils


doivent chercher un nouveau ton, de nouvelles formules, de nouvelles
pratiques de management pour trouver un équilibre entre les objectifs
économiques et le seuil d’acceptabilité de chacun. S’ils veulent éviter d’être
taxés d’autoritarisme ou d’être accusés de harcèlement, ils doivent modifier
leurs pratiques. Mais si les salariés refusent l’autorité tyrannique, ils ont
cependant besoin de hiérarchiques, capables de proposer une vision
[PAU 96].

Dans cette perspective, les chercheurs se sont intéressés à la personnalité


du leader. Ils décortiquent les fondements de base de la personnalité du
44 La conception industrielle de produits 1

leader et cherchent à comprendre l’influence que celle-ci peut avoir sur la


vie organisationnelle. Ils montrent, en particulier, que l’on a tendance à
accorder trop d’importance aux éléments rationnels qui influencent l’action.
Le meilleur des leaders est influencé par des motifs peu logiques et peu
rationnels.

Les leaders narcissiques, par exemple, éprouvent la nécessité


d’impressionner les autres et d’attirer leur attention. A cette fin, ils exagèrent
souvent leurs exploits et leurs talents et affichent des émotions excessives.
Dans une culture d’entreprise narcissique, tout le monde se repose sur le
jugement inspiré du patron. Il existe très peu d’analyse de la part des
employés ou chez les cadres moyens. La communication interne, elle aussi,
se trouve souvent réduite, parce que la domination exercée par le leader ne
permet pas à l’information de circuler de bas en haut.

Les leaders méfiants et qui se sentent persécutés peuvent adopter une


attitude d’hostilité envers leurs subordonnés par réaction de défense. Ils
créent une culture d’entreprise qui reflète leurs propres sentiments de
défiance et de suspicion. La culture paranoïaque devient contagieuse et
influence les prises de décision. L’institutionnalisation de la méfiance
conduit à penser par stéréotypes. Les leaders ne sont donc plus capables de
percevoir les nuances et les subtilités. Harold Geneen, lorsqu’il dirigeait jadis
ITT, en était un exemple. Ses salariés avaient coutume de dire : « travaillez
chez ITT, c’est comme être bouclé à double tour dans une pièce avec une
télévision en circuit fermé et un clou enfoncé dans le postérieur ».

Les leaders compulsifs s’attachent à des détails mineurs, aux règles et aux
règlements. Leur perfectionnisme les empêche d’avoir une vue d’ensemble.
Ils créent une culture bureaucratique dans laquelle chaque décision va être
prise dans un climat de suspicion et de manipulations voilées. L’attitude
anxieuse et menaçante du dirigeant freine chez ses collaborateurs
l’enthousiasme, l’initiative et le désir de s’impliquer. Kenneth Olson le
patron de DEC a conduit son entreprise à la ruine en s’accrochant à une
conception dépassée de l’utilité de l’ordinateur personnel.

On comprend mieux que, dans cette optique, c’est une erreur de chercher
les causes des conflits exclusivement dans les pressions extérieures au
groupe ou à l’entreprise. La principale source de dilemmes auxquels le
leader doit faire face se situe en lui, dans ses propres conflits intérieurs.
Leadership et apprentissage organisationnel 45

Les cadres, incapables de maîtriser leurs conflits intérieurs de telle façon


que leurs actions soient ancrées dans la réalité et non pas assujetties à des
sentiments confus, ne peuvent pas s’occuper intelligemment de décisions
épineuses et des inévitables conflits d’intérêts qu’on trouve dans les
entreprises.

Dans un monde du travail qui est essentiellement un monde de


compétition, un leader, qui a de la difficulté à s’adapter à un milieu
compétitif, sera relativement inefficace. On notera aussi que deux types de
peurs peuvent affecter les leaders : la peur de l’échec et la peur du succès.
Au lieu de risquer d’échouer, la personne va se réfugier dans la résignation
et la fatigue qu’elle finira par communiquer à ses proches. A l’inverse, le
succès peut apporter avec lui des sentiments de culpabilité et des désirs
brûlants de défaire ou d’inverser le comportement qui a conduit au succès.
Une forme importante de cette façon de défaire consiste à lutter avec
acharnement pour atteindre un but, mais juste au moment où on pourrait
l’atteindre, on se détruit soi-même.

2.5.2.2. Les forces propres aux subordonnés


Tannenbaum et Schmidt montrent que dans un groupe qui a atteint son
degré de maturité, les individus affichent leur désir d’indépendance, leur
volonté d’assumer des responsabilités et de participer au processus de
décision, leur degré de tolérance face à l’ambiguïté, leur niveau de
compréhension des objectifs organisationnels et leurs attentes face à la
participation.

Un leader ne devrait jamais tenter de déléguer une partie de son pouvoir à


des collaborateurs qui ne possèdent pas les compétences requises ou qui ont
peur de la décision. La délégation du pouvoir ne fonctionne que lorsque les
collaborateurs connaissent à la fois le cadre global dans lequel les décisions
sont prises et les détails de chaque question en particulier. Ce qui suppose
une réelle transparence de la part de l’entreprise qui doit bannir tout secret et
permettre que l’information circule librement jusqu’à ceux qui sont chargés
de prendre les décisions.

Au cours de ces dernières années, l’image des entreprises (et plus


particulièrement les grandes) s’est considérablement dégradée. Les
dirigeants et les dirigés ne parlent plus le même langage et ils ont cessé de
partager les mêmes valeurs [ALB 06]. Pour les salariés, l’entreprise n’est
46 La conception industrielle de produits 1

plus sacrée comme elle l’était pour leurs parents. L’entreprise est confrontée
à des collaborateurs plus autonomes, plus individualistes, plus distants et
investis sous certaines conditions [LAN 06]. Les salariés veulent être
considérés dans leur individualité, comme des professionnels et non plus
comme des contributeurs anonymes. Ils s’inscrivent de moins en moins dans
une relation de travail collective. Ils attendent une gestion individualisée de
qui ils sont et non seulement de ce qu’ils font. Les liens traditionnels qui
donnaient sens à l’action menée en commun ont laissé place à une sorte de
sauve-qui-peut général. Difficile, alors que le tissu social est aujourd’hui
déchiré, de ranimer la conversation générale et de faire en sorte que les
différents acteurs tiennent compte de ce qu’ils sont les uns et les autres afin
d’inventer ensemble un avenir qui leur soit commun.

On peut considérer que la structure même des organisations a évolué. Les


organisations sont plus hybrides que jamais parce qu’elles ont développé de
nouvelles formes de partenariat qui rendent plus confus et plus diffus le
sentiment d’appartenance des salariés aux entreprises. L’entreprise
aujourd’hui est trop changeante pour offrir ce sentiment d’appartenance et de
lisibilité du lien entre le salarié et l’entreprise qui était une des clés du succès
[PFE 98].

C’est dans ce contexte où la notion de collectif régresse au profit de


revendication individuelle, que l’on parle le plus de l’importance du
collectif : compétence collective, représentation partagée, interactions… Il
est de plus en plus demandé aux cadres de faire appel à leurs capacités
émotionnelles pour remplir leur mission : savoir communiquer, savoir gérer
les tensions et les conflits, s’opposer, être capable d’empathie… A défaut
d’être une dimension qui va sans dire, le collectif est postulé. On veut
« gérer » l’émotionnel, « construire » les interactions rationnellement en
pensant pouvoir maîtriser conceptuellement et pratiquement les affects qui
traversent les jeux de collaboration entre les salariés. En d’autres termes, les
salariés sont désormais plus exposés à un nombre de plus en plus important
de contacts et on exige de l’intelligence émotionnelle [DAM 03, GOL 99,
LED 05]. Elle est reconnue comme une compétence indispensable en
matière de management.
Leadership et apprentissage organisationnel 47

2.5.2.3. Les forces propres à la situation


Tannenbaum et Schmidt font référence au type d’organisation dans lequel
les individus évoluent, à l’efficacité du groupe, à la nature des problèmes et
au temps alloué à la prise de décision.

Il va de soi que l’âge et la taille de l’organisation jouent un rôle important


dans le choix du mode de décision. Le patron d’une PME est souvent seul à
décider dans l’entreprise. Les décisions de groupe y sont extrêmement
limitées à part quelques situations extrêmes où l’entrepreneur consulte les
experts et les conseillers pour prendre certaines orientations. A l’inverse,
dans les grandes entreprises, bon nombre de décisions se prennent en groupe.
Les groupes de travail, munis de méthodes décisionnelles et de techniques
disposent de champs d’intervention clairement définis. Leurs membres ont
acquis des habiletés à travailler ensemble. Le savoir être est devenu un
savoir faire comportemental.

C’est dans ce cadre que l’on peut se demander, par exemple, à quoi
l’animateur d’un groupe de travail doit porter attention. Quels sont les
facteurs qui influencent la décision de groupe et le comportement des
membres :
– la taille du groupe : la taille restreinte d’un groupe favorise les prises de
décision rapides ;
– la distance physique qui sépare les membres du groupe : la proximité
des personnes favorise l’augmentation des interactions ;
– la complexité de la tâche : plus une tâche est complexe, plus les
probabilités d’en arriver à un consensus sont faibles ;
– la composition du groupe : l’homogénéité d’un groupe n’est pas
nécessairement synonyme d’efficacité ; par contre, l’hétérogénéité peut
engendrer des situations conflictuelles qui nuiront à l’épanouissement du
groupe.

La décision de groupe requiert du temps. Décider, c’est éviter de prendre


une décision trop rapide, mais être en mesure aussi de couper court lorsque
les circonstances le justifient. C’est aussi s’inspirer du passé pour ne pas
« réinventer la roue ». C’est ne pas escamoter la définition du problème et la
fixation des objectifs. Il arrive qu’en groupe, on sacrifie la qualité à la
quantité. Parfois, le choix s’effectue en fonction du nombre de participants
qui y adhèrent, et non en regard de la qualité de la décision elle-même.
48 La conception industrielle de produits 1

Certains ont parfois tendance à se rallier au conformisme plutôt que par


conviction. Ils privent alors le groupe de l’une de ses forces, soit la multitude
d’opinions et une plus grande quantité d’informations. Il peut arriver que la
décision soit prise à l’intérieur d’un groupe contrôlé par un seul individu,
peu importe qu’il s’agisse d’un contrôle lié à la menace, à l’autorité, à
l’expérience ou au charisme exercé par la personne influente.

La capacité à travailler en groupe, à animer le travail de groupe,


l’importance accordée au leadership s’imposent de fait pour les cadres. Et
pourtant la grande entreprise apparaît comme un monstre lointain et
anonyme, où les décisions se prennent en fonction d’intérêts étrangers à ceux
des salariés qu’elle emploie [ALB 91]. L’organisation s’est complexifiée. Le
poids des contraintes donne parfois le sentiment aux managers d’avoir perdu
toute marge de manœuvre alors qu’on leur demande de tout « gérer » dans
une logique officielle de collaboration assumée.

En fait, dans une société où la culture dominante est informationnelle et


communicationnelle, la qualité de la décision est souvent fonction de la
qualité de l’information dont on dispose. Il y a un juste équilibre à atteindre.
Vaut-il réellement la peine d’avoir une information parfaite avant de faire un
choix sachant que cette information ne peut être obtenue qu’à très haut prix ?
Ou vaut-il mieux parfois se contenter d’une décision satisfaisante [SIM 60] ?

2.6. La conception : une culture spécifique ?

2.6.1. L’avantage créativité : l’organisation apprenante

Le succès de leurs produits ou de leurs services, quels qu’ils soient,


dépend de la créativité que les dirigeants savent y intégrer, ou de son
absence. Ce qui distingue une organisation d’une autre, c’est ce qu’il y a
dans le cerveau des plus doués de ses collaborateurs [KAO 98]. Ce qui
implique de savoir recruter des collaborateurs pour entretenir un
environnement qui pétille de créativité et de richesse intellectuelle. Soit les
entreprises apprennent à acquérir et à cultiver des collaborateurs créatifs, soit
elles risquent de disparaître. C’est une opinion aujourd’hui partagée.

Les dirigeants d’Apple ont su se doter d’un avantage vital, l’avantage


« créativité », en mobilisant les ressources intellectuelles de leurs
collaborateurs, en stimulant leur imagination et en organisant des processus
Leadership et apprentissage organisationnel 49

adaptés. Ces processus sont spécifiquement conçus pour traduire des idées
nouvelles en produits et services de valeur. Sachant qu’un manager ne peut
exiger la créativité, il lui faut contrôler sans contrôler, diriger sans diriger,
doser les ingrédients du cocktail dont il devra combiner les mentalités et les
perspectives au sein des équipes. En somme, il doit savoir créer les
conditions propices à la créativité, donc développer ses propres capacités
créatives et comprendre autant que faire se peut le processus même de la
créativité personnelle et collective.

Faire de la créativité une priorité absolue fait partie de la vision d’un


dirigeant innovateur et d’une nouvelle approche de la gestion des relations
au sein de l’entreprise.

Quand on analyse la façon dont les meilleures entreprises ont modelé leur
environnement de façon à ce que la créativité puisse s’épanouir, on
s’aperçoit qu’elles ont transformé la mentalité traditionnelle de la direction
et qu’elles ont créé un nouvel état d’esprit propice à faire germer des idées
nouvelles. Dans ce processus, la technologie d’information prend une place
importante. Elle a accru considérablement l’espace de la pensée en facilitant
le flux de l’interaction créative. Elle permet de représenter, d’organiser et de
déployer le savoir. L’entreprise est plus à même de mieux connaître son
environnement et de se positionner. Tout le monde dans l’entreprise jouit
d’un accès sans précédent à l’information et aux idées. A mesure
qu’augmente le nombre des utilisateurs d’un réseau, la puissance de la
créativité s’accroît exponentiellement. Les technologies d’information, en
plus de déplacer les frontières, ont également enrichi les processus
d’interaction. Elles permettent ce brassage des cultures, la meilleure source
d’idées contradictoires, duquel peut jaillir l’idée nouvelle et la créativité.
Elles ont également augmenté considérablement la mémoire institutionnelle,
et par là permis aux entreprises de mieux s’appuyer sur le passé pour en tirer
des leçons et pour mieux saisir les opportunités. Elles favorisent, de ce fait,
l’apprentissage organisationnel.

Bien entendu, au-delà des ressources physiques et financières, ce sont les


ressources purement humaines qui sont au cœur de cette créativité :
l’imagination, l’inspiration, l’ingéniosité et l’initiative. L’individu créatif,
c’est celui qui est capable de saisir les écarts qu’on veut combler ou de
comprendre ce qui se passe dans une situation donnée, ce qui crée de la
valeur. Certaines entreprises l’ont fort bien compris en investissant
essentiellement en capacités de connaissances. Des séminaires internes sont
50 La conception industrielle de produits 1

organisés afin de pratiquer l’art et la discipline de la curiosité intellectuelle et


de fournir aux directions des informations et des idées nouvelles. Et, de plus,
cette ouverture correspond bien aux attentes de bien des salariés qui ont un
appétit insatiable de réalisation personnelle, qui veulent échapper aux
contraintes et à l’ennui d’un environnement bureaucratique et qui exigent,
aujourd’hui, de pouvoir exprimer leur créativité au travail.

On sait que c’est dans le design que les entreprises offrent le plus de
liberté créative. Et le design est un élément déterminant dans la performance
des entreprises parce qu’un bon design assure de bonnes ventes. Le design,
c’est le marketing des sens. Mais les entreprises les plus remarquables ne le
cantonnent pas aux produits et services, mais l’appliquent également à leurs
processus et à leur structure. Le client, aujourd’hui, veut tout de suite des
produits et des services innovants. Ce qui nécessite de réinventer sans cesse.
Pour mobiliser les idées et les talents, les « managers innovateurs » doivent
entretenir la flamme de la créativité. Cela suppose de trouver le point
d’équilibre, toujours mobile, quelque part entre les systèmes et l’analyse
d’un côté et la créativité individuelle ouverte et transgressive de l’autre. Il
s’agit de créer un climat favorable à l’inspiration, d’apprendre à discerner les
trouvailles et d’assurer leur transfert dans le système productif.

Stimuler la créativité, à défaut de savoir la « gérer », suppose de savoir


faire travailler ensemble des personnes préparées à la pensée inventive ou,
mieux, créative. Mais de qui parle-t-on ? On peut dire qu’il s’agit de
personnes qui ont commencé par évacuer la représentation du monde figé et
répétitif pour atteindre cette disponibilité mentale qui sait accepter la
légitimité du nouveau et de l’altérité, propice à la créativité. On pourrait
ajouter que ces personnes ont appris à faire le vide intellectuellement afin de
chercher des apports nouveaux ; ces personnes sont ouvertes au monde
extérieur pour sentir ce qui est authentiquement nouveau et pour briser la
tendance au nombrilisme, figure inconsciente et violente de la répétition du
même [BAR 99, MAC 98a]. Cet état d’esprit s’épanouit plus
particulièrement dans les entreprises qualifiées d’apprenantes.

On a beaucoup écrit à propos de l’organisation apprenante [DUA 99,


HOL 95, JAS 99, KAT 93, MAC 98b, SAP 02]. Les organisations n’apprennent
pas. Ce sont les individus qui les composent qui le font. Une entreprise ne
deviendra apprenante que si ses membres améliorent leur capacité à prendre des
décisions et à agir efficacement [ARG 78] et peuvent transférer leurs propres
apprentissages dans le fonctionnement organisationnel.
Leadership et apprentissage organisationnel 51

C’est en aidant les membres des organisations à changer la manière dont


ils raisonnent, en leur facilitant l’apprentissage d’un raisonnement
constructif et non défensif que l’on peut rendre une organisation apprenante.
Ses membres doivent être à même non seulement de résoudre des problèmes
(apprentissage en simple boucle) en ajoutant des savoir-faire à leur
portefeuille de savoir faire, mais aussi de remettre en cause leurs approches
même des problèmes. Il s’agit, dans ce cas, d’apprendre à agir efficacement
lorsqu’ils sont confrontés à des situations embarrassantes, voire menaçantes.
Au lieu de se laisser enfermer dans un raisonnement défensif, ils doivent
accepter de remettre en cause les valeurs directrices qui sont au fondement
de leurs stratégies d’action. Pour reprendre les concepts utilisés par Argyris
et Schön, l’apprentissage en double boucle renvoie à cette capacité de
questionner et, si besoin, de modifier les principes d’action et les valeurs
directrices.

Toute organisation voit apparaître des routines défensives qui font


obstacle au changement et à l’apprentissage [ARG 95]. Un certain nombre
de stratégies, de démarches et d’outils sont particulièrement utiles pour
mobiliser un apprentissage individuel ou collectif : la formation et
l’émulation du personnel, la documentation, l’expérimentation, la mise au
défi de pratiques courantes, l’utilisation de différentes perspectives, la
réflexion sur le passé, l’analyse des pratiques, l’émergence de communauté
de pratiques, etc. Mais une entreprise ne peut devenir apprenante que si ses
membres acquièrent une vision claire de leur rôle et de leur responsabilité
causale dans le fonctionnement de l’organisation.

2.6.2. Faire les choses bien ou bien faire les choses ?

Le management a souvent pris l’avantage sur le leadership au nom de la


rentabilité financière souvent à court terme. Or, l’innovation se stimule
plutôt qu’elle ne se gère. Si beaucoup d’entreprises et d’industries s’enlisent,
c’est parce qu’elles mènent un combat permanent et coûteux sur le front de
la productivité et de l’amélioration. Elles perfectionnent sans relâche leurs
offres, leurs prix, leur distribution, leurs achats ou leurs processus internes.
Mais elles sont confrontées, un jour ou l’autre, à des concurrents habiles à
améliorer ou copier leurs produits ou services à un prix moindre. Tout le
monde finit donc par améliorer son produit.
52 La conception industrielle de produits 1

Mais rares sont ceux qui remettent en question sa production, les


motivations initiales de sa création ainsi que le cadrage initial de ses clients.
Beaucoup d’entreprises renoncent donc à chercher ce qui est et devrait rester
inaltérable et vivace chez elles.

On retrouve cette distinction entre amélioration et innovation sous celle


de management et leadership. Plusieurs articles ont été publiés sur ce sujet
[BAS 03, BEN 97, KOT 90]. Les leaders sont considérés comme des
visionnaires qui pensent « créativement » alors que les managers ne seraient
que des abeilles laborieuses qui ne s’occupent que de faire mieux. Cette
distinction a progressivement entraîné une dévaluation généralisée de la
fonction de management [ISA 06].

En fait, management et leadership devraient se conjuguer. Ce qui


différencie fondamentalement les leaders des managers, c’est la capacité des
premiers à faire avancer les choses et créer la différence dans l’entreprise,
voire dans le monde [ZAL 66; ZAL 89]. Les managers se contentent, eux de
mettre en application la vision du leader. Cette fonction est d’importance,
certes, mais « faire bien les choses » n’a pas la même portée que « faire les
choses bien » [BEN 85]. Lorsqu’il s’agit d’innover et de transformer,
l’organisation a besoin de ces deux ensembles de compétences.

Les leaders efficaces jouent à la fois un rôle charismatique et un rôle


architectural. D’un côté, ils s’interrogent sur l’idéologie fondamentale de
l’entreprise, sur sa croyance essentielle qui la distingue des autres entreprises
et qui conditionne sa réussite. Ils donnent des perspectives pour l’avenir, ils
délèguent leur pouvoir, ils mobilisent leurs collaborateurs. De l’autre, ils
mettent en place des structures et des stratégies qui leur permettent de
s’acquitter d’inscrire cette vision dans la réalité. Ils privilégient les questions
liées au projet de l’entreprise et aux systèmes de récompense et de contrôle.

Les chefs charismatiques développent une vision dynamique de l’avenir


de l’entreprise qui perpétue sa raison d’être. Ils indiquent la direction à
prendre, ils mobilisent autour de l’objectif, ils instituent l’ordre dans le
chaos, ils suscitent la confiance et la foi en leurs compétences de chef. On
sait que pour libérer l’imagination collective qui fédère les individus et leur
permet de rêver, le leader doit donner un sens, avoir la vision d’un avenir
meilleur, forger un lien entre lui et ses collaborateurs, bâtir l’identité du
groupe.
Leadership et apprentissage organisationnel 53

Dans les entreprises innovantes, on entend souvent des déclarations


visionnaires. Ingmar Kamprad d’IKEA, par exemple, s’était fixé pour
objectif « de fabriquer des meubles abordables pour tous ». Steve Jobs, le
patron d’Apple se proposait « d’accroître la productivité du client ».

Ces visions deviennent un leitmotiv général qui guide l’entreprise. Ces


cris prophétiques et fédérateurs annoncent une idée stratégique qui va
ensuite être développée en charte, en code, en boussole qui vont être autant
de reflets de leur culture d’entreprise.

Le rayonnement de ces chefs charismatiques efficaces va bien au-delà de


rassembler autour d’eux la majorité de l’entreprise. En appelant à
l’imagination, leur vision, chargée d’inspiration, engendre un sentiment de
fierté parmi les membres de l’entreprise qui les pousse à se dépasser pour
réussir. La délégation de pouvoir ne se résume pas simplement à inviter les
collaborateurs à exprimer leur opinion, mais à les habiliter à prendre les
décisions qui s’imposent. A tous les niveaux de la hiérarchie, les salariés ont
besoin de participer et de savoir quel rôle ils jouent. Leurs performances
dépendent des exigences formulées au départ [ROS 68].

Concrètement, la motivation des collaborateurs pour obtenir des


réalisations de qualité passe à la fois par un management par l’affectivité et
par l’exemple. Apple est incontestablement l’une des entreprises les plus
créatives et les plus florissantes du paysage économique actuel. Steve Jobs y
stimule sans relâche la créativité en proposant de nouveaux défis, dont il est
lui-même le principal avatar. Apple repose, bien entendu, sur le génie de
Jobs et de ses concepteurs, mais les managers y jouent eux aussi un rôle clé.
Ils sont les vecteurs du dynamisme et insufflent l’esprit de défi qu’ils
reformulent et renouvellent sans cesse.

2.6.3. L’ère de la cognition

L’approche cognitive se fonde sur une compréhension scientifique


naissante de la manière dont fonctionne l’esprit grâce à la psychologie, aux
neurosciences, à la linguistique et aux autres disciplines voisines. Si nous
utilisons cette approche c’est que, même si nous savons qu’il existe des
limites à l’adaptabilité humaine, que l’émotion ne se ramène pas au cognitif
et que la répétition et l’inconscient font partie intégrante de la dimension
humaine, le travail sur les connaissances permet de donner corps à nos rêves
54 La conception industrielle de produits 1

et l’ignorance et la méconnaissance fondent bien des tragédies. En somme,


nous prenons le pari de Pascal d’une rationalité raisonnable.

Dans un monde de nouvelles technologies en mal d’humain, les leaders des


entreprises, pour encourager le développement de communautés de pratiques
[PRA 02, WEN 02], doivent trouver le juste équilibre entre le technologique et
le social [ROC 01]. Ils possèdent un certain nombre d’outils.

L’intelligence émotionnelle est un premier pas vers la reconnaissance des


sentiments, l’acceptation de leurs expressions et la maîtrise de leurs effets.
Les leaders qui influencent les esprits par le biais de leurs efforts créatifs
peuvent fédérer la collaboration et stimuler toute la gamme des intelligences.
Ils peuvent produire du changement dans les relations personnelles et le
comportement de leurs collaborateurs. On notera que les histoires et les
légendes qui parlent des grands entrepreneurs fondateurs sont des outils
puissants pour construire une culture, donner de la cohésion et développer un
comportement positif chez les salariés.

2.6.3.1. Mettre ses émotions au service d’un objectif


Daniel Goleman, chercheur en sciences sociales a donné ses lettres de
noblesse à l’intelligence émotionnelle en la faisant entrer dans l’entreprise.
Les dirigeants d’entreprise s’intéressent à l’émotion depuis qu’ils savent
qu’elle fait « bouger » les individus.

Mais la pratique quotidienne est souvent d’une autre allure. Il n’est pas
rare d’entendre parler de managers qui menacent leurs collaborateurs de
licenciement s’ils s’écartent du droit chemin ou d’employés qui sont l’objet
de harcèlement moral. Et même si les subordonnés ont la loi pour eux, ils ont
souvent peu de possibilité d’action en dehors de la soumission. Des
hiérarchies se créent et avec elles, leurs lots d’insultes, de secrets, de
ragots, de mensonges et d’humour blessant. La plupart des gens se rendent
compte de ce qui se passe [DEG 05, DEJ 98, ENR 92]. En conséquence, le
lieu de travail est souvent un champ où il peut y avoir beaucoup
d’analphabétisation émotionnelle [STE 97]. L’enjeu est simple : renverser
une culture émotionnellement analphabétisée pour en établir une
dépourvue de jeux de pouvoir et qui admette une attention aux émotions.

La connaissance de soi représente la première étape vers l’acquisition de


l’intelligence émotionnelle. A force de passer de nombreuses années à se
conformer à l’image que l’entreprise attend d’eux, les cadres ont fini par
Leadership et apprentissage organisationnel 55

brouiller la distinction entre leurs propres sentiments et ceux qu’ils sont


censés exprimer [KET 02]. Avec cette distorsion entre le cognitif et
l’émotionnel, le « faux moi » prend le pas, offrant une caricature du cadre
idéal. Les cadres, qui ne se connaissent pas, s’enferment involontairement
dans des schémas de comportement dysfonctionnels qui les empêchent
d’interpréter le monde dans sa réalité, de reconnaître leurs sentiments et de
les utiliser à bon escient.

La deuxième étape du développement de l’intelligence émotionnelle


consiste à apprendre à vivre ses émotions. A partir du moment où les cadres
sont capables d’identifier et de traiter toute la gamme des sentiments qu’ils
éprouvent, ils peuvent apprendre à mettre leurs émotions au service d’un
objectif. Ils ont besoin de les métaboliser de manière constructive au lieu
d’agir selon leurs impulsions. Nous savons que l’humain a besoin
d’exprimer les émotions pour maintenir sa santé psychique. Certaines
personnes savent exprimer ce qu’elles pensent mais pas ce qu’elles
ressentent ; d’autres n’expriment aucune émotion et donnent l’image de
personnes « froides » ; d’autres encore expriment leurs émotions en différé ;
certaines personnes enfin, ont un doute sur ce qu’elles ressentent : les
rapports aux émotions sont multiples.

La phase suivante du développement de l’intelligence émotionnelle


consiste à savoir reconnaître les émotions des autres et savoir se situer par
rapport à elles. Avec la faculté d’empathie, les responsables peuvent
accompagner les émotions des autres et exercer une influence sur leurs
collaborateurs. Cette compréhension des sentiments d’autrui s’enseigne et
s’acquiert tout à la fois et exige un travail sur soi. C’est à ce niveau que
formation et développement de soi se rejoignent.

Comme dans toute relation interpersonnelle, le rapport du leader à ses


collaborateurs (et inversement) est marqué par le jeu des transferts et contre-
transferts c’est-à-dire des projections inconscientes sur autrui de sentiments
dont le fondement se trouve ailleurs dans l’histoire du sujet. Comprendre
cette situation et cette complémentarité des attitudes, permet parfois de
dépasser des blocages. Donc s’il a la liberté personnelle de dire certaines
choses dans le respect des autres, s’il sait dire les choses avec les « mots
justes », il libérera la parole pour ses collègues et ses collaborateurs. Le tout,
c’est qu’il l’exprime sans extorquer quoi que ce soit pour lui-même et qu’il
soit loyal et franc. L’affaire est loin d’être simple. Il ne faut pas qu’il soit en
attente de quelque chose pour lui de la part de ses collaborateurs. Il ne faut
56 La conception industrielle de produits 1

pas qu’il attende de la réassurance ou autre chose. Il faut qu’il puisse


signaler lui-même, avec toute la pudeur eu égard à son rôle et à la culture de
l’entreprise, que par rapport à telle et telle chose, il éprouve telle ou telle
émotion. Le rôle du manager est de donner un espace pour l’expression des
émotions. Nous vivons dans un environnement où la violence et l’agressivité
circulent. Les salariés des entreprises peuvent souffrir lorsque celles-ci se
dirigent contre eux ou leur entourage. Ils peuvent se sentir sans « arme » et
sans réponse.

2.6.3.2. Parier sur les intelligences multiples de ses collaborateurs


Les travaux du psychologue américain Howard Gardner [GAR 97,
GAR 99, GAR 07] ont révolutionné la vision de l’intelligence et de la
créativité. Il est arrivé à une définition de l’intelligence et à une liste
provisoire d’intelligences. L’intelligence étant définie comme le potentiel
biopsychologique de traiter des formes d’informations précises de diverses
manières. Les intelligences permettent donc aux êtres humains de résoudre
des problèmes ou de fabriquer des produits. En développant le concept des
intelligences multiples, il avance que l’intelligence est plurifonctionnelle ;
elle fabrique des produits autant qu’elle résout des problèmes. Il avance
également l’idée selon laquelle l’intelligence ne se définit pas sur la base d’a
priori ni par des réussites à des tests, mais plutôt en fonction de ce qui est
apprécié à une époque historique donnée dans un contexte culturel donné.

Quand il énumère les intelligences, il distingue les intelligences de


l’analyse des symboles, les intelligences « non canoniques », les
intelligences personnelles et l’intelligence existentielle.

Les intelligences de l’analyse des symboles (intelligence linguistique et


intelligence logico-mathématique) jouent un rôle particulièrement important
dans l’apprentissage au sein des écoles. Dans le monde des affaires, les
managers dotés d’intelligence linguistique sont capables d’obtenir des
informations utiles par le biais d’un questionnement habile et de discussions
avec autrui. Ils sont capables de convaincre autrui du bien fondé d’un parti
par le recours à des histoires, des discours ou des exhortations. Quant aux
managers dotés d’intelligence logico-mathématique, ils excellent à
déterminer ce qui s’est produit et ce qui risque de se produire, selon divers
scénarios. Ils ont une parfaite aisance dans le monde des chiffres.
L’intelligence logico-mathématique d’Alfred Sloan lui a permis de faire de
General Motors, dans les années 1920, l’organisation la plus prospère du
Leadership et apprentissage organisationnel 57

monde en la dotant de hiérarchies claires dans ses nombreuses unités de


production. Dans les années 1950, le génie logico-mathématique de
McNamara a permis à Ford de récupérer une grande part du marché
américain de l’automobile en rationalisant et en réglementant une
organisation massive. Cela dit, comme secrétaire à la défense des présidents
Kennedy et Johnson, McNamara a eu du mal à s’adapter aux problèmes
culturels, historiques et stratégiques très différents qui étaient posés par la
guerre naissante en Indochine.

Les intelligences non canoniques sont les intelligences musicale, spatiale,


kinesthésique3, naturaliste. L’intelligence musicale joue un rôle de premier
plan dans pratiquement tous les aspects de la communication, qu’il s’agisse
de publicités à la télévision, de films, de conférences. Les managers dotés
d’intelligence musicale ont beaucoup d’oreille. Les personnes dotées
d’intelligence spatiale sont capables de reconnaître rapidement des schémas
et des formes et pensent en images et en représentation. Dans l’entreprise, on
peut identifier les individus dont le métier entretient un rapport direct avec le
monde spatial : les infographistes, les architectes, les designers. Les
personnes dotées d’intelligence kinesthésique savent utiliser leur corps avec
précision. L’imagerie corporelle se retrouve dans la comparaison des
entreprises à des équipes sportives. Souvent, les entreprises conceptualisent
leurs rapports internes ou avec leurs rivaux en termes empruntés au rugby ou
à d’autres sports collectifs. L’intelligence naturaliste englobe les capacités de
procéder à des distinctions importantes dans le monde naturel. Nos capacités
de discrimination sont essentielles si on ne veut pas mettre dans le même
panier toutes les automobiles, ou a fortiori tous les véhicules.

Dans le monde de l’entreprise, l’intelligence émotionnelle associe les


intelligences personnelles (interpersonnelle, intrapersonnelle). L’intelligence
personnelle est utilisée pour faire des distinctions entre des individus,
comprendre leurs motivations, travailler efficacement avec eux. Les
personnes dotées d’intelligence personnelle savent diriger et travailler en
équipe. Toute entreprise implique de travailler avec d’autres et ceux qui ont
une connaissance des gens ont un avantage particulier. L’intelligence
intrapersonnelle est dirigée vers l’intérieur. Les personnes qui en sont dotées

3. En physiologie, la kinesthésie est l'ensemble des sensations, c'est-à-dire la tension des


muscles, leur relâchement, le mouvement des articulations, les positions des différentes
parties du corps, la direction, la dynamique, le ralenti, l'arrêt, l'équilibre, etc. (définition
wikipedia).
58 La conception industrielle de produits 1

connaissent parfaitement leurs propres sentiments. Elles déchiffrent très bien


leurs motivations et leurs propres comportements. Ceux qui possèdent une
bonne compréhension de leurs forces et de leurs besoins peuvent plus
facilement créer des environnements de travail qui soient compatibles pour
eux-mêmes et pour les autres.

Howard Gardner croit en l’existence d’une intelligence existentielle. Pour


lui, celle-ci entraîne la capacité humaine à poser et à examiner les questions
importantes sur l’origine et le sens de la vie. Bien qu’il prenne beaucoup de
précautions sur cette question, il estime que cette intelligence existentielle a
toute sa place dans le monde des affaires. La créativité du comment et du
quoi doit s’accompagner d’une philosophie du pourquoi de façon à ce que
l’excellence et l’éthique soient plus étroitement liées. Il existe une véritable
différence entre ceux qui font tout leur possible pour respecter une éthique et
ceux pour qui seuls l’argent, la notoriété ou le pouvoir ont de l’importance.

2.6.3.3. Changer l’état d’esprit de groupes


S’il n’est jamais facile de susciter un changement d’état d’esprit, les
chances de réussir sont plus grandes quand l’entité est de taille limitée. A de
rares exceptions près, les entreprises sont relativement petites. Leur public se
compose de dizaines ou de centaines d’éléments, voire de dizaine de
milliers. La participation des individus est en partie volontaire, mais aussi
temporaire.

Pour susciter un changement d’esprit chez des collaborateurs, un leader


peut faire appel à toute une gamme de leviers d’action [GAR 07]. De toute
façon, il lui faut communiquer sur sa vision et sa stratégie. Il peut créer un
récit qui raconte une histoire fascinante à propos d’une nouvelle vision du
changement. Il peut les présenter dans ses discours et ses communiqués. Il
peut également proposer un argument logique - un dossier raisonné dans
lequel il présente les conditions d’avant, démontre en quoi chacune a été
sabotée par des développements récents et offre des solutions de rechange. Il
n’est pas toujours nécessaire de présenter verbalement une telle approche qui
fait appel à l’intelligence logique. Pour certains, les chiffres sont parlants ;
pour d’autres ce qui les impressionne, ce sont les graphiques, les équations
ou les tableaux.

Les histoires que racontent les leaders et la vie qu’ils mènent peuvent être
déterminantes dans leur réussite ou leur échec à modifier l’état d’esprit de
Leadership et apprentissage organisationnel 59

leurs collaborateurs [TIC 97]. Les humains aiment qu’on leur raconte des
récits. Les histoires sont des récits qui décrivent des événements qui se
déroulent dans le temps. Les leaders n’émettent pas seulement un message,
un slogan, une image ou une vision, bien que chacun de ces éléments puisse
être glané dans leur discours. Leurs messages contiennent les éléments
essentiels pour faire une bonne histoire : un protagoniste principal, des
activités visant un objectif, une crise et une résolution. Steve Jobs, le
charismatique PDG d’Apple, au-delà des actions classiques de management,
a fort bien compris le parti qu’il pouvait tirer d’histoires où le bien et le mal
s’affrontent et où l’ogre IBM se voit fustigé [LEV 94]. Tandis que ses
développeurs travaillent jour et nuit, il leur donne de l’énergie en leur
racontant des histoires dans lesquelles les messages délivrés sont clairs : la
lutte contre les graves difficultés de la vie est inévitable mais, si au lieu de se
dérober, on affronte fermement les épreuves inattendues et souvent, injustes,
on vient à bout de tous les obstacles et on finit par remporter la victoire.

Rappelons quelques principes qui gouvernent ces discours qui


enthousiasment souvent l’auditoire. Certains leaders sont capables de
charmer des individus en tête à tête et de s’adresser de manière tout aussi
convaincante à des publics nombreux et hétérogènes. On remarquera que
leurs apparitions publiques ont souvent une qualité physique, presque
charnelle. Ils enlacent leurs publics qui les stimulent. Ils sentent ce que le
public attend et le leur donnent, en corrigeant le tir ou en soulignant
différentes priorités mais en ayant toujours l’objectif de plaire. Mais, pour
qu’une histoire retienne l’attention d’un auditoire et qu’elle prenne le pas sur
les critiques, encore faut-il qu’elle possède certaines caractéristiques. Quand
on s’adresse à un public varié, il faut que l’histoire soit simple, qu’il soit
facile de s’y identifier, qu’elle ait une résonance émotionnelle et qu’elle
évoque des expériences positives. Les histoires complexes ont toujours du
mal à être entendues et peinent à emporter l’adhésion. En revanche, une
l’histoire simple mais à laquelle on ne peut pas s’identifier tombe
complètement à plat.

Outre sa séduction consciente, une histoire doit également captiver un


public à un niveau plus viscéral. Les leaders qui s’efforcent de tout dire ne
laissent aucune place à la puissance d’imagination de leurs collaborateurs.
Pour convaincre d’autres de les suivre, les leaders encouragent leurs
collaborateurs à participer et à projeter sur eux les qualités pour lesquelles ils
les regardent.
60 La conception industrielle de produits 1

La rhétorique est un véhicule important du changement d’état d’esprit.


Elle fonctionne au mieux lorsqu’elle englobe une logique sans faille, repose
sur une recherche pertinente et a une résonance auprès d’un public. Se faire
entendre n’a rien de facile pour une histoire. Il faut savoir faire appel à la
raison. Les leaders brillent à savoir analyser les problèmes, énoncer les
arguments d’un côté ou d’un autre, mettre au point les meilleurs défenses
pour leurs partis pris. Ils savent tirer les leçons d’autrui en exposant les
faiblesses d’un concurrent et démontrer en quoi leur ligne de pensée va les
résoudre et les mener au succès.

Nonaka et Kenney [NON 91] nous montrent en comparant les méthodes


d’innovation de produits utilisés par Apple et Canon qu’une des exigences
concerne notamment la volonté à apprendre en s’inspirant de projets
achevés. Si les projets sont souvent examinés et évalués, les évaluations
revêtent la plupart du temps la forme d’un examen critique et sont destinées
à couvrir des erreurs et des difficultés. Mais le véritable besoin réside dans le
regroupement de toutes les leçons durement apprises à la lumière des succès
et des échecs et la possibilité de les transmettre à la génération suivante.
C’est ainsi que Jobs, après être devenu un formidable raconteur d’histoires,
n’a pas hésité à utiliser l’ensemble des médias pour donner encore plus de
relief à son histoire [LIN 00]. En sortant de l’entreprise, celle-ci est venue
renforcer l’identité du groupe en construisant la légende d’Apple.

En même temps, les leaders doivent stimuler les consciences de leurs


collaborateurs et utiliser le pouvoir de résonance. Un point de vue ou une
idée a une résonance dans la mesure où elle paraît convenir à un individu,
semble s’adapter à la situation et convainc l’intéressé qu’il est superflu de
s’interroger plus avant. Pour ne pas être instantanément rejetée, une nouvelle
histoire doit renfermer suffisamment d’éléments familiers, tout en étant
assez originale pour retenir l’attention. Il faut à la fois que le public soit
préparé et surpris. Dans la Silicon Valley, la plupart des cadres ont une
image romantique de la technologie et sont très excités de participer à des
projets à la pointe du progrès. En même temps, les leaders doivent aussi
incarner l’histoire qu’ils racontent sur leur propre vie. Leurs actions doivent
refléter leurs convictions. Leur discours doit être en accord avec le genre de
vie qu’ils mènent. Est-ce à dire que l’entreprise attend de ces cadres qu’ils se
comportent comme Richard Branson, déguisé en robe de mariée lors du
lancement de sa compagnie aérienne Branson Airlines [BRA 05] ?
Leadership et apprentissage organisationnel 61

Les leaders savent exploiter les événements du monde réel : tout leader
œuvre dans le cadre de son époque. Le leader se distingue par sa manière de
réagir et de prendre en compte les événements difficiles à prévoir ou à
contrôler. Quand Ingvar Kamprad se retrouve coincé dans son propre pays
pour ses approvisionnements, il part à l’Est et trouve son bonheur en
Pologne. Lorsque les Polonais augmentent leurs prix, il se tourne vers
d’autres pays de l’Est. L’impossible n’existe pas chez IKEA. S’il ne trouve
pas un fabricant de poubelles à même de fabriquer de belles poubelles en
métal à bas prix, Ingvar Kamprad se tourne vers des fabricants de boîtes de
conserves.

Steve Jobs lui, a su anticiper l’évolution de l’opinion publique et le


basculement de son comportement vers un nouveau modèle. Alors que
l’industrie traditionnelle de la musique n’a pas su réagir à temps ou donnait
des explications alternatives continuellement [PRA 04], le patron d’Apple a
vu que l’industrie de la musique était en pleine révolution (due à la
technologie) en ce qui concerne les réseaux de distribution de disques,
enregistrements et CD avec un téléchargement direct des pistes sur des MP3
et des formats connexes. En parallèle avec le lancement de son lecteur
individuel iPod-MP3, la firme a inauguré un site appelé iTunes qui offre aux
utilisateurs un choix de plusieurs milliers de pistes permettant chacune un
téléchargement. Ce site est devenu le leader mondial d’un domaine de plus
en plus fréquenté.

Les leaders s’efforcent aussi d’apaiser les résistances qu’ils rencontrent,


autrement dit briller lorsqu’il s’agit de persuader ceux qui ne sont pas
d’accord avec eux. Ils évitent de stimuler l’opposition en soulignant leurs
différences. Ils évitent de s’aliéner ceux qu’ils peuvent convertir à leurs
causes en passant sur les divergences d’opinions. Ils savent aussi qu’ils ont
besoin d’un cercle de proches solides et sûrs qui soutiendront leur position et
leur légitimité. Ils en choisissent les membres avec soin, leur confèrent le
pouvoir et le prestige voulus. Mais le leader peut aussi construire des
expériences qui vont contribuer à amener, chez ses collaborateurs, la
découverte d’un concept plus puissant, d’une histoire plus fascinante, d’une
théorie plus solide, d’une pratique plus efficace. Il construira, dans ce cas,
l’apprentissage plutôt que de professer la leçon.
62 La conception industrielle de produits 1

2.7. Conclusion

Dans le milieu de la conception, être capable de réaliser ce que personne


d’autre n’a encore conçu ou ne peut faire, ou le faire mieux que n’importe
qui, est une source majeure d’avantages. De même, être capable d’offrir de
meilleurs services, plus rapides, moins onéreux, de meilleure qualité est une
source d’avantages concurrentiels. Mais les avantages qui résultent de ces
mesures innovantes peuvent être progressivement concurrencés, voire
éliminés, lorsque d’autres acteurs entreprennent de les imiter. Se pose alors
la question de savoir comment maintenir permanent l’esprit d’innovation.

Pour garantir l’innovation, qu’en est-il du rôle et de la figure du leader ?


Nous avons complété un modèle contingent de leadership en nous appuyant
sur des évolutions socioculturelles et sur des développements théoriques
récents en psychologie. Il est évident que la manière dont est dirigé un
groupe engendre plus ou moins de satisfaction et affecte le degré
d’attractivité et, par voie de conséquence, la cohésion du groupe et la
motivation de ses membres. La décision collective intervient avec un groupe
qui partage des schémas d’action, des valeurs, des façons de travailler. Dans
ce cas, il est possible de concevoir un groupe cohésif où le débat, les luttes
de tendances et l’acceptation des différences soient possibles. Cela dit, nous
ne voulons pas induire l’idée d’un enchaînement causal simple et linéaire.
Les liens entre les différents phénomènes évoqués et la cohésion peuvent se
développer dans une relation de causalité circulaire.

Le management hiérarchique traditionnel, qui était ancré exclusivement


sur la notion juridique de subordination, reste fonctionnel dans bien des
entreprises. Mais une nouvelle configuration managériale s’impose et pousse
les responsables à placer leurs collaborateurs dans une posture plus
égalitaire. Elle légitimise de nouveaux comportements qui prennent en
compte les attentes implicites des uns et des autres pour accéder à un
collectif de travail, une communauté de pratiques qui réponde suffisamment
aux objectifs de l’entreprise, aux attentes des managers et des salariés. Pour
nous, la question centrale du leadership consiste à savoir réaliser au mieux
les exigences souvent contradictoires de la satisfaction et de la productivité.

Nous vivons à l’ère de la créativité parce que les entreprises sont de plus
en plus obligées de se réinventer pour assurer leur croissance. La
concurrence mondiale porte chaque jour davantage sur la capacité à
mobiliser des idées, des talents et des organisations créatives. Pour entretenir
Leadership et apprentissage organisationnel 63

la flamme de la créativité, le rôle du management n’est plus de contrôler


l’entreprise, mais de libérer sa créativité. La mise en réseau est une solution
particulièrement efficace en ce qui concerne les ressources.

Mais les avantages d’une mise en réseau ne sont pas automatiques ; ils
nécessitent des efforts de coordination considérables. La construction et
l’exploitation de ces réseaux peuvent être facilitées par l’utilisation des nouvelles
technologies d’information et de communication qui influencent considérablement
l’efficacité du traitement de l’information. Mais l’instrumentation ne suffit pas à
donner sens.

Pour faciliter la création et le maintien de réseaux efficaces, les dirigeants


doivent indiquer des directions. Ils doivent inspirer, écouter, faciliter et
fournir les ressources nécessaires. Parce qu’ils ne peuvent plus se reposer sur
le système managérial pour encadrer les comportements collectifs, on peut
dire que les dirigeants doivent adopter une posture de leader qui « éponge
l’angoisse » et restitue une autonomie suffisante aux acteurs, afin que ceux-
ci puissent faire face à l’incertitude et prendre des initiatives dans le sens de
l’intérêt général. Pour pouvoir affronter le changement de contexte, le leader
ne peut le faire qu’en établissant un contact direct, personnalisé avec ses
collaborateurs et en outrepassant de facto les règles édictées par la structure
en place.

Le contexte est un facteur important au-delà des considérations relatives


aux tâches et aux individus. Un des rôles les plus importants que les leaders
doivent assumer est la création d’un climat propice à l’innovation. Les
récents travaux sur l’intelligence émotionnelle ont mis en lumière
l’importance de l’émotion dans la construction des identités collectives et la
nécessité pour le leader d’être attentif aux ressorts émotionnels et la diversité
des intelligences de ses collaborateurs.

Les histoires et les légendes participent à construire de l’humain dans un


monde de technologies en mal d’humain et à instaurer un climat créatif et de
collaboration. Pour cette raison, lorsqu’il s’agit de changer d’état d’esprit de
groupes, certains dirigeants élaborent des récits qui mettent en mots et en
image leur vision pour mieux la partager. Ils deviennent créateurs de mythes
qui soutiennent la mobilisation des énergies et font rêver à des lendemains
promis.
CHAPITRE 3

Structure et instrumentation du processus


de conception versus rationalité de la décision

3.1. Introduction

L’évolution des connaissances et de leurs représentations a conduit


certains chercheurs de Génie industriel à construire et proposer des modèles
d’organisations des processus de conception de produits. En sciences de
gestion, la création et la validation des modèles sont, le plus souvent, établies
selon des modèles déductifs. En Génie industriel, au contraire la démarche
est le plus souvent inductive : à partir de cas particuliers observés sur le
terrain les chercheurs structurent et testent des modèles. La structure et la
dynamique d’un processus de conception industriel sont dépendantes du
contexte dans lequel il opère. En fonction des relations qui lient le produit
(sa complexité, les technologies en cause, les volumes à produire et
l’importance des installations requises, etc.), son marché (besoin client,
concurrence, etc.), le mode de management et de culture de l’entreprise,
chaque solution est, en fait, unique. Les modèles proposés en Génie
industriel ne sont donc pas prescriptifs mais plutôt illustratifs de
fonctionnalités types que doivent ou devraient permettre ces processus dans
des configurations particulières de natures et diversités des technologies
mises en œuvre dans la fabrication des produits, de la nature de l’innovation

Chapitre rédigé par Gwenola BERTOLUCI, Anthony DELAMARRE, Stéphanie MINEL et Nadine
STOELTZLEN.
66 La conception industrielle de produits 1

(rupture, incrémentale ou inexistante), de la complexité du produit et de


l’exigence client en terme de Time to Market (temps de mise sur le marché).

Dans ce texte, nous nous intéressons au champ particulier de la


conception de produits impliquant le recours à des compétences multiples,
au sein ou non de l’entreprise et destinés à une commercialisation de grande
série ou de masse. Dans le cadre du processus de décision en conception, on
peut extrapoler de ces caractéristiques particulières des processus de
conception deux aspects importants :
– différents « macro » modèles, formant une typologie, existent
impliquant chacun des besoins et des modes de diffusion des informations,
des données, des modes de gestions… différents et donc des processus de
décisions afférents aussi divers. S’intéresser à ces macro-modèles malgré
leur « généricité » permet de mettre en relief les enjeux, avantages et
difficultés de chacun. C’est cet aspect que nous présentons dans la première
partie de ce chapitre ;
– quel que soit le modèle de référence que traduit la formalisation des
processus d’une entreprise et malgré la volonté de maîtrise stratégique des
ces processus par la direction, plus le produit à concevoir est en rupture avec
ce qui l’a précédé, plus les acteurs de ces projets disposent d’une certaine
autonomie décisionnelle. Dans ce cadre se pose alors la question du
traitement de la concordance des intérêts de chaque métier représenté dans
l’équipe projet : comment rapprocher le résultat final (le produit
commercialisé avec succès) d’une configuration qui soit le meilleur
compromis pour toutes les parties prenantes : acteurs du projet, actionnaires,
clients… C’est dans ce cadre que se pose notamment la question de la
construction d’un paradigme commun de vision du produit pour les
différents acteurs impliqués dans le projet. Différentes voies concourants à
ce résultat sont traitées dans ce chapitre en deuxième partie. Après avoir
redéfini l’enjeu de l’interdisciplinarité des équipes de conception nous
explorons deux sujets qui concourent à créer ce paradigme dans les équipes
de conception : les représentations intermédiaires et l’usage des serious
plays au sein de groupes d’élèves concepteurs en formation. Dans le premier
cas nous montrons comment le choix de la représentation intermédiaire
influe sur les décisions des membres de groupes et donc combien ces choix
de support doivent être soigneusement choisis. Dans le second cas nous
avançons l’idée que ces serious plays permettent de sensibiliser et d’alerter
de futurs acteurs de projets interdisciplinaires sur l’incidence de leur savoir
être sur l’évolution d’un projet de conception de produit.
Structure et instrumentation du processus de conception 67

3.2. Organisations en conception et prises de décision

Dans cette première partie, nous exposons non exhaustivement la


diversité des organisations qui donnent lieu à des processus de conception.
Nous montrons que cette diversité est notamment liée à l’état des marchés
(offre/demande, intensité de la concurrence) et à la complexité des produits
qui induit une complexité de la conception et une interdisciplinarité des
acteurs qui s’y associent.

Au travers de cette analyse nous dégageons l’incidence de ces formes


d’organisations sur la rationalité des décisions - chère à Simon - des acteurs
en conception. Ce sont, en effet, ces organisations et leurs modes de
management qui, pour partie, établissent la nature, la forme et la qualité des
données circulant entre les acteurs. Elles influent donc de façon importante
sur la possibilité pour ces acteurs de transformer ces données en
informations puis en connaissances requises pour prendre la « bonne »
décision au sens de celle la plus conforme à satisfaire la stratégie de
l’entreprise proposant un produit au marché.

3.2.1. Processus de conception : le mythe du modèle unique

Dans le contexte du développement de la production des pays à bas coûts,


l’entreprise innovante est plébiscitée dans les pays « avancés » comme le
facteur déterminant de la guerre économique engagée.

Dans les médias comme dans les entreprises, l’usage du vocable


innovation semble flécher la terre promise qui permettra la sauvegarde des
meilleurs élèves.

Mais la capacité à innover d’une entreprise ne se décrète pas : elle se


construit autour de modes de management, de moyens d’échanges et de
systèmes de l’information, de mises à disposition et d’usage d’outils d’aide à
la recherche d’idées, de constructions détaillées des solutions, de
simulations, d’évaluations, etc.

La recherche en ingénierie de la conception a permis de faire émerger des


points déterminants pour l’efficience d’un processus de conception :
– savoir établir un cahier des charges hiérarchisant les fonctionnalités et
les caractéristiques produit attendues ;
68 La conception industrielle de produits 1

– être capable de mobiliser des compétences internes et externes ;


– faire preuve de créativité ;
– savoir identifier les coûts et les bénéfices réels du projet ;
– savoir construire un système décisionnel qui aboutisse aux décisions
porteuses de la plus forte valeur ajoutée pour l’entreprise, etc.

Mais les moyens, les processus, les outils à mettre en œuvre pour
atteindre ces objectifs prennent, dans chaque situation entrepreneuriale
particulière, des aspects différents.

Les facteurs qui établissent ce contexte sont multiples, intra et extra


entreprises, et tous les lister est impossible.

Cependant, par souci d’illustration, nous nommerons :


– la concurrence effective du marché sur ce secteur ;
– la nature de valeur différenciante appréciée dans le produit : savoir-
faire, délais, services après-vente, etc. ;
– la valeur effective et non rationnelle accordée par le client au produit ;
– les moyens de distribution dont elle dispose… ;

Mais également dans une vision intra entreprise :


– la complexité du produit qu’elle propose ;
– les compétences dont elle dispose en interne et qu’elle sait mobiliser en
externe ;
– la culture de son organisation et de ses pratiques managériales ;
– son aptitude à utiliser ses expériences passées, à mettre en œuvre une
réelle synergie dans les équipes impliquées dans le projet…

On voit ainsi que les facteurs qui influencent les méthodes et les pratiques
de conception (et donc d’innovation) sont multiples.

De ce fait, bien que l’on puisse définir à une échelle macrographique


(figure 3.1) des « moments » majeurs de décisions, la position, la
formalisation et la rationalité de multiples moments de décisions touchant
notamment à l’évaluation précise des caractéristiques quantitatives et
qualitatives d’un produit innovant, varient d’un processus à un autre et d’une
étape à une autre.
Structure et instrumentation du processus de conception 69

Les travaux de recherches menés en génie industriel sur le thème de la


conception de produit ont conduit à établir des classes de modèles de
processus qui permettent de définir les grandes catégories de situations de
décisions rencontrées en conception.

Ces modèles ont comme principal intérêt de proposer des modes


macrographiques d’organisation des flux d’informations et d’objets dans la
conception. En ce sens ils établissent les grandes étapes décisionnelles :
choix de poursuivre ou non le projet au terme de l’étape de faisabilité, au
terme de la recherche de concept de solutions, au terme du Business Plan…

Ils permettent également de percevoir et de mettre en évidence la


variabilité de l’interdisciplinarité des acteurs de la conception, sa non
linéarité au long du processus, une plus ou moins grande nécessité de fluidité
de l’information. De ces différences il résulte une variabilité tant de la
formalisation du processus décisionnel que de la rationalité des décisions
prises.

3.2.2. La conception de produit dans le contexte d’un marché en demande


de produits

En premier lieu il convient de revenir sur les activités que recouvre le


processus de conception puisque c’est à la décision en conception que nous
nous intéressons ici.

Pour [PER 01] la conception est un sous processus de l’innovation, cette


dernière englobant le déploiement d’une invention sous formes de solutions
industriellement réalisables et en vue de répondre à un besoin authentifié du
marché.

Cette approche est compatible avec celle de l’AFNOR [AFN 90] dans
laquelle la conception est une « activité créatrice qui, partant des besoins
exprimés et des connaissances existantes, aboutit à la définition d’un produit
satisfaisant ces besoins et industriellement réalisable ».
70 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.1. Processus de décision en conception [CHA 05]

On observe ici que la définition de l’AFNOR recouvre une phase de


travail conceptuel comme dans la définition donnée par Pahl et Beitz, pour
lesquels la conception de produit est « une tentative intellectuelle pour
répondre à une certaine demande, de la meilleure façon qui soit. C’est une
activité de l’ingénieur qui touche presque tous les secteurs de la vie
humaine, qui est liée à la découverte et aux lois des sciences et qui crée les
conditions pour appliquer ces lois dans l’industrie et les produits »
[PAH 96a].
Structure et instrumentation du processus de conception 71

L’ingénierie de la conception s’intéresse donc à la mise en œuvre des


conditions adéquates à l’efficience des processus de conception au regard
des variables produit/entreprise/marché. Les variables considérées imposent
la prise en compte d’éléments informationnels, de savoirs et de moyens
internes à l’entreprise mais également à l’interface entreprise/monde
extérieur et propres au monde extérieur (par exemple pour prendre en
compte les contraintes liées à la distribution).

Nous montrons ci-après comment ont évolué, dans le temps, les moyens
déployés pour cette prise en compte.

L’histoire de l’innovation industrielle est telle que le besoin d’une science


de l’ingénierie de la conception est récent. En effet, malgré le
développement de l’enseignement de la mécanique et du dessin industriel
aux XVIIIe et XIXe siècles, jusqu’au XIXe siècle la conception demeure le plus
souvent l’acte de l’ingénieur-savant dont Léonard de Vinci est le
représentant le plus prestigieux. L’idée du produit est alors transmise par des
schémas, des plans, des maquettes (figure 3.2) et des échanges directs entre
l’ingénieur/savant et l’artisan/constructeur permettent la réalisation de
l’objet.

Si l’on peut évoquer ici une forme « d’organisation » entre ces deux
acteurs c’est celle que Mintzberg [MIN 99] référencie comme de
l’ajustement mutuel : « … réalise la coordination du travail par le simple
processus de la communication informelle… ». La rationalité de la décision
prise est alors celle du compromis qui s’instaure entre ces deux acteurs.

Figure 3.2. Les ponts de Léonard de Vinci [STA 05]


72 La conception industrielle de produits 1

La révolution industrielle du XIXe siècle s’est construite grâce à l’usage et


la maîtrise de capacités énergétiques remplaçant l’activité humaine, à la
croissance démographique et à l’augmentation du pouvoir d’achat de ces
populations.

Pour répondre à ces marchés émergents, les sciences de l’organisation se


sont créées au XXe siècle avec notamment les travaux de Taylor, Fayol,
Weber qui ont conduit à structurer l’entreprise autour d’un nouvel objectif :
produire en volume, à bas coût avec une marge financière prédéfinie qui
établit le prix de vente.

Cette approche rationaliste et déterministe (figure 3.3) a impacté la


conception en segmentant les activités de la conception de produit dans les
manufactures en deux fonctions : l’ingénieur du bureau d’études (conception
du produit), l’ingénieur méthodes (conception des outillages et machines
requis à sa fabrication).

Le mode d’organisation des entreprises qui a découlé de ces évolutions a


été nommé « modèle de standardisation » [COH 99; PAI 99] en référence
aux modèles de standardisation des procédés de travail, des résultats et des
qualifications référencés dans les travaux de Mintzberg.

Dans ces modèles d’organisations, tout choix décisionnel a été envisagé


ce qui ne peut être le cas en conception. Dans ces entreprises, les frontières
entre les métiers de l’entreprise sont généralement marquées et étanches.

De ce fait le développement d’un nouveau produit est officiellement un


processus séquentiel, ponctué de prises de décisions managées en
supervision directe par la direction [MIN 99]. La limite de la rationalité
décisionnelle est alors celle du dirigeant en partie définie selon son
information sur le sujet.

C’est justement cette information bottom up que Mintzberg estime plus


ou moins dénaturée par le middle management (d’où un facteur de rationalité
limitée) pour des raisons de compétition inter métiers dans les entreprises.
Structure et instrumentation du processus de conception 73

Figure 3.3. Différents regards (non exhaustif) portés sur les organisations industrielles
par les sciences de l’organisation [BER 01]

Le mode séquentiel de travail ne favorise pas le développement d’un


sentiment de communauté d’intérêts entre les représentants de métiers
différents mais bien plutôt de concurrence.

3.2.3. Incidence de la saturation des marchés concurrentiels sur la conception


de produits complexes

C’est à partir des années 1960 qu’émergent les fondements du marketing


que formalise Alderson [KOT 03].

Cette fonction prend rapidement place dans la structure des entreprises


qui produisent les biens de consommation : un nouvel acteur s’interpose
entre la direction, le marché et le concepteur de produit.
74 La conception industrielle de produits 1

Le processus de conception s’intègre alors dans un processus plus vaste :


celui de l’innovation, dans lequel l’analyse et la maîtrise financière du projet
jouent des rôles croissants (l’entreprise doit s’ajuster aux réductions des
marges et de durées de vies des produits sur les marchés).

Les variétés de flux d’informations, de critères de décisions, s’accroissent


avec cependant des marchés stables et rentables autorisant financièrement
des développements de produits par des essais/erreurs successifs. La
saturation des marchés se traduit par une prise en compte croissante des
attentes clients en conception de produits.

Pour cela le marketing fournit dans ces « briefs » le cadre des projets
pour les ingénieurs et crée les conditions de lancement des produits
(publicité et promotion). L’organisation de ces entreprises au sens de la
circulation des informations, du fonctionnement séquentiel de la conception
et de la centralisation de la prise de décision demeure cependant dans un
management de type « supervision directe ».

La concurrence continuant de croître pour certaines entreprises, ces


dernières se dotent de ressources et de compétences supplémentaires,
porteuses de nouvelles fonctions et valeurs pour leurs produits.

Des outils tels que l’analyse fonctionnelle, l’analyse de la valeur, puis le


Quality Function Deployment sont développés. Ces méthodes et ces outils
permettent de jeter des ponts entre les représentants des clients (services
marketing, qualité, commercial), l’entreprise technique (bureau d’etudes,
bureau des méthodes, production, logistique, maintenance, etc.), et
l’entreprise stratégique (direction, actionnaires, banques, etc.), cherchant à
rendre cohérents les attentes clients satisfaites ainsi que les intérêts de
l’entreprise et de ses membres.

C’est dans ce contexte économique qui a été nommé « modèle de


variété » [GOD 83] qu’apparaissent les premières propositions de modèles
de processus de conception dont celles de Kline [KLI 86] (figure 3.4) et de
Pahl and Beitz (figure 3.5).
Structure et instrumentation du processus de conception 75

Figure 3.4. Modèle de « liaison en chaîne » [KLI 86]

« Par rapport aux autres modèles d’innovation, le modèle de la chaîne


interconnectée présente une caractéristiques importante : il n’y a pas un mais
plusieurs processus d’innovation » [PER 01] :
– le processus principal d’innovation est indiqué par la lettre C et décrit
une suite chronologique d’activités : étude de marché, invention, etc. ;
– le deuxième type de processus comprend les feed-backs entre les
activités connexes (représentés par la lettre f) et ceux entre des activités non
connexes (représentés par la lettre F) ;
– les relations 1, 2 et 3 figurant entre les activités d’invention, de
conception et de reconception sont employées pour modéliser les appels
imposés aux sphères de connaissance et de recherche par acteurs du
processus pour résoudre les problèmes aux solutions méconnues ou
inconnues ;
– la lettre D figure les relations directes avec la recherche dans le cadre
d’une innovation radicale : situation considérée comme rare par les auteurs ;
– les lettres I et S modélisent les retours vers la science expérimentale
des apports d’innovations technologiques (décryptage du génome,
développement de la micro informatique, etc.).
76 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.5. Modèle de conception de produits proposés par [PAH 96b]


Structure et instrumentation du processus de conception 77

Le modèle Pahl and Beitz, issu du monde de la mécanique, est plus


structuré et directif que celui de Kline, économiste, qui met surtout en
évidence la nécessité d’interactions entre les métiers et de boucles de
rétroactions.

Les rétroactions présentées sur les figures 3.4 et 3.5 illustrent qu’en
développement de produit innovant le problème et sa solution se construisent
simultanément par récursivité grâce aux apports successifs de chaque métier,
de ses contraintes et de ses perceptions du sujet : en conséquence bon
nombre de décisions se construisent suivant la même graduation.

Cette approche du processus de conception comme une succession de


phases de résolution de problèmes sera reprise par différents auteurs
[DAR 97, ROO 95, SIM 95].

Darse proposant de considérer la démarche de conception comme une


réduction progressive d’un espace de recherche, démarche qui induit une
recherche de rationalisation réduisant le risque d’erreur décisionnelle.

Ce point de vue est rejeté par Le Masson [LEM 06] qui avance que
l’innovation est une source non seulement de mobilisation mais également
de création de connaissances (ce qu’Hatchuel nomme l’« expansion ») et
que, de fait, elle ne peut pas être réduite à une démarche de résolutions de
problèmes, se repose alors la question de la décision dans un tel contexte :
suivant quels critères prendre des décisions lorsque les concepts produits
développés relèvent de la terra incognita en termes d’expérience ?

Cette question se pose avec toujours plus d’acuité dans des marchés
hyperconcurrentiels dans lesquels il faut oser se différencier et donc
accroître les risques d’erreur : seuls les avis, savoirs, expériences combinées
d’un groupe d’individus confrontant leurs connaissances permettent de
diminuer ce risque.

L’augmentation de la concurrence a accru le besoin pour de nombreuses


entreprises de se différencier sur les performances, les prix, les délais et la
qualité au cours des dix dernières années. Cette évolution se traduit suivant
deux axes.
78 La conception industrielle de produits 1

D'une part, la demande d'une plus grande variété des produits, dans des
conditions de délais, et de qualité perçue par les clients correspondants au
sacrifice financier qu'ils sont prêt à consentir [PAI 99].

D'autre part, une demande croissante de services associés à ces produits


(après vente, formation, mise en œuvre, etc.). L'intégration des fonctions
nécessaires à la fourniture de ces services conduit à augmenter la complexité
des organisations industrielles. Elles doivent alors développer de nouveaux
savoir-faire, intégrer de nouvelles pratiques devant coexister et s'harmoniser
au sein d'une même entité. Mais l'élément clé auquel doivent se soumettre
ces entreprises est celui de la réactivité. Pour cela elles doivent instaurer des
canaux interactionnels forts et nombreux avec leurs environnements. Ces
canaux supportent l'entrée et la diffusion des informations permettant de
détecter les évolutions du marché et de les intégrer dans le mode de
fonctionnement de l'organisation. Le nouveau paradigme de l'entreprise est
celui du « modèle de réactivité » l’obtention et la gestion des informations y
jouent un rôle capital.

Figure 3.6. Représentation du cycle en « V » développé chez Renault [YAN 06]


Structure et instrumentation du processus de conception 79

Mais cette information ne vaut que si elle est captée, assimilée et


exploitée. Ainsi, il faut informatiser les échanges, changer les lieux d’une
partie des décisions en les décentralisant en des lieux opérationnels. Pour
maîtriser les impacts de ces décisions il s’agit d’inscrire les personnes et les
groupes qui les prennent non plus dans un objectif de moyens mais de
résultats. C’est tout le jeu du management par les processus et de la gestion
des unités autonomes. En termes de modèles de conception propres à ces
formes d’organisations, le cycle en « V » (figure 3.6) est une excellente
illustration de notre propos.

Le modèle de conception du type de celui que propose Aoussat [AOU 90]


(figure 3.7) est une autre illustration de processus de conception qui peut être
adopté dans ces formes d’organisations. Ces organisations impliquent
d’éclater les tâches de conception au sein de groupes aux contraintes, aux
cultures très différentes et parfois géographiquement éloignés. Elles
nécessitent des moyens de communications très importantes et efficaces, et
une forte implication des personnels sur les projets.

L’augmentation du nombre de publications scientifiques sur les


problèmes de communication dans ces projets montre la réalité de la
difficulté de concevoir au sein de groupes pluriculturels et donc de prendre
des décisions rationnelles au regard du bénéfice final pour l’entreprise.

Accroître la communication des membres de ces équipes ne passe pas que


par le développement de plates formes d’échanges de données et de fichiers.
Une réelle communication doit s’établir pour permettre aux membres des
différents groupes de se construire des représentations communes d’une
réalité qui est leur projet, leur produit et son cahier des charges.

Cette communication est indispensable pour créer des organisations


intelligentes, capables d’identifier, d’analyser et de résoudre un problème
avec les meilleurs compromis possibles pour chacun des stakeholders4
intéressés par le résultat. Il est alors possible de restreindre une irrationalité
décisionnelle qui ne peut être totalement réduite par une organisation
procédurale.

4. Stakeholder : partie prenante.


80 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.7. Modèle processus de conception créative


Structure et instrumentation du processus de conception 81

3.2.4. Synthèse

Nous nous sommes appuyés sur l’évolution chronologique des marchés


occidentaux dans le cas de produits complexes et destinés à des marchés de
masse (type automobiles et certains produits électroménagers) pour montrer
comment la concurrence et le mode de management des organisations
industrielles influent sur les processus de conception de produit et la
rationalité des décisions qui y sont prises. Ce parti pris chronologique ne doit
pas masquer le fait que, bien évidement, tous les cas de figures (diversités
organisationnelles, complexité des produits, niveaux de concurrence, etc.)
sont simultanément présents aujourd’hui dans le tissu industriel des pays
industrialisés. Nous avons également souligné que plus le produit est
innovant plus il est difficile de préétablir les critères techniques précis qui
permettront de l’évaluer : dans ce cadre la coopération active des différents
acteurs des projets est indispensable pour établir graduellement ce cadre de
mesure. La définition de cette coopération est l’objet du texte qui suit.

3.3. Apports et limites des groupes pluriculturels à la rationalité de la décision


en conception de produits complexes

Dans un premier temps nous rappellerons les différentes formes


d’interactions qui peuvent être recherchées dans des groupes pluriculturels
de conception et retiendrons celle de l’interdisciplinarité dans notre cas. Sur
cette base, nous nous intéresserons aux facteurs qui favorisent ou gênent
l’émergence de pratiques coopératives entre les membres de ces équipes
dans le cadre de l’exercice de cette interdisciplinarité. Enfin, nous
exposerons les limites de la rationalité des acteurs projets dans leurs
collectifs.

3.3.1. Quelques définitions de termes afférents aux groupes pluriculturels


en conception

Interdisciplinarité, multidisciplinarité, pluridisciplinarité et transdisciplinarité


sont différents qualificatifs que l’on peut donner aux membres d’une équipe
appelés à travailler ensemble et de façon complémentaire. Ainsi, Jantsch
dans [VIN 00] propose des définitions hiérarchisées des termes Multi, Pluri,
Poly, Inter et transdisciplinaire (figure 3.8).
82 La conception industrielle de produits 1

Cette classification exprime de manière croissante le degré de


coopération et de coordination attendu entre les disciplines.

Figure 3.8. Classification Croissante du degré de coopération et de coordination


entre les disciplines selon Jantsch

De même Larivière définit la multidisciplinarité comme « …la mise en


relation d’échanges et de travail des personnes dont la formation
professionnelle est différente en vue d’offrir une complémentarité »
[LAR 98]. Elle se caractérise donc par la juxtaposition de plusieurs
disciplines, sans rapports apparents, tandis que la pluridisciplinarité
s’exprime avec un répertoire parfois plus restreint de disciplines mais avec
un nombre d’interactions plus important.

Denis précise : « La pluridisciplinarité est une approche qui guide des


projets sans présupposer quant à la forme de l’implication des disciplines
associées, ni quant au degré de réciprocité dans le partenariat, ni enfin quant
au fait que cette implication conjointe serve un objectif authentiquement
commun aux différents partenaires, (…) l’interdisciplinarité est une forme de
coopération plus intégrée mise en œuvre en vue de résoudre un problème
commun. La transdisciplinarité peut caractériser une démarche encore plus
intégrée, avec franchissement des limites des champs disciplinaires et
définition d’un champ de recherche nouveau dans lequel les disciplines
partenaires se fondent dans une démarche conceptuelle et méthodologique
unique » [DEN 03].

En conséquence, l’interdisciplinarité nous apparaît comme la voie à


privilégier dans le cadre de la conception de produits complexes. En effet, la
confluence des disciplines, et par voie de conséquence des compétences, ne
suffit pas à garantir l’efficience de la conduite de projet.
Structure et instrumentation du processus de conception 83

La mise en œuvre de l’interdisciplinarité permet de garder les spécificités


de chaque discipline et donc que chaque acteur exprime son regard sur le
problème tout en comprenant le point de vue l’autre.

En effet, c’est la complémentarité des expertises qui permet l’émergence


des compromis les plus rationnels d’un point de vue global. Il n’est pas
question de rechercher dans cette pratique une convergence forcée des
savoirs, mais de favoriser l’apprentissage d’un collectif.

De par l’interaction entre les acteurs qu’elle sous-tend, l’efficience de


l’interdisciplinarité implique le développement d’attitudes de coopération
entre les acteurs des groupes où elle s’exerce. Nous allons donc dans la
partie qui suit explorer le sens et les implications de la coopération dans un
collectif qui doit prendre des décisions collégiales pour un projet commun.

3.3.2. L’individu et le collectif dans la coopération entre métiers

3.3.2.1. Coopérer et collaborer : quelques définitions


La coopération s’exerce dans le cadre de l’action, elle n’est pas une
caractéristique de travail d’un groupe mais un état qui se construit en
permanence.

Nous définirons la collaboration comme un pendant requis à la


coopération mais qui implique lui un état plus permanent, indispensable pour
la coopération, et qui génère et s’alimente d’un paradigme commun aux
acteurs impliqués construit grâce à la coopération.

Pour définir cette notion, Boujut sépare le but, c'est-à-dire le fonctionnement


coopératif, et les moyens (organisationnels, instrumentaux, etc.). Ainsi, le
fonctionnement coopératif dépend :
– des relations entre les acteurs : mise en commun des buts, confiance,
entraide ;
– de la constitution d'un collectif de travail qui suppose l'existence d'une
tâche commune globale affectée au groupe avec mise en commun des
ressources ainsi que des prises de décisions communes par négociations et
compromis [BOU 00].
84 La conception industrielle de produits 1

La coopération n’implique pas obligatoirement la présence simultanée


des participants. Il y a plusieurs modes de travail coopératif :
– le mode synchrone (même moment, même endroit),
– le mode synchrone distribué (même moment, endroits différents),
– le mode asynchrone (moments différents)
– le mode asynchrone distribué (moments différents, endroits différents)
[DEF 02].

Tarpin-Bernard et David propose le schéma suivant (figure 3.9) pour


définir les différents modes de coopération.

Figure 3.9. Illustration des communications dans chaque mode de coopération [TAR 96]

Pour Sardas, développer une activité de coopération est la réponse au


besoin d’améliorer les performances de la conception : «Toutes choses
égales par ailleurs, le fait de vouloir développer de la coopération est une
réponse au besoin d’améliorer la performance des activités de conception
caractérisées par :
Structure et instrumentation du processus de conception 85

– un haut niveau d’incertitude ;


– le besoin de combiner une expertise inventive et de créer une nouvelle expertise ;
– la nécessité d’induire et accroître des échanges entre individus aux
intérêts contradictoires au sein des projets ».

« La complexité de cette activité, combinée avec des besoins d’une


performance élevée, expliquent les différentes voies envisagées pour
développer la coopération ».

Cet auteur propose la définition suivante : « Nous utilisons le terme


coopération pour qualifier les interactions entre acteurs dans un processus
collectif de fonctionnement. Nous essayons de distinguer clairement le
but, c’est-à-dire un mode de fonctionnement coopératif (même si cet
objectif n’est qu’une étape intermédiaire destinée à atteindre l’excellence), des
moyens (organisationnels, instrumentaux, contractuels, etc.) qui
favorisent ce mode de fonctionnement. Nous nous intéressons donc à des
modes de travail plus ou moins coopératifs aussi bien qu’à l’étude des
formes et des conditions d’efficience des moyens développés pour créer
cette coopération. » [SAR 01].

Pour notre part nous retiendrons qu’il y a travail collaboratif lorsque les
acteurs échangent des points de vue sur des informations existantes,
partagent de l’expérience, définissent des objectifs communs et construisent
des informations et des compétences ensemble. Cette définition n'oblige pas
à une harmonie virtuelle. Nous partageons le point de vue de Reynaud sur
cette question. Cet auteur énonce que « les compétences individuelles se
combattent autant qu'elles s'ajoutent ». Ainsi, la collaboration peut devenir «
une bataille incessante de chacun pour faire valoir son point de vue et
imposer les exigences de son métier. (…) une espèce de rapport de force
cognitif qui ne va pas sans blocages et sans affrontements » [REY 01].

La coopération entre individus est un enjeu majeur pour les organisations.


Le déploiement de technologies de communication nouvelles oriente la
communication entre les individus vers une communication homme-
machine-homme. Le CSCW (Computer supported cooperative work)
rassemble depuis les années 1980 des chercheurs de disciplines diverses :
ingénieurs, informaticiens, ergonomes, psychologues, sociologues (surtout
ethno-méthodologues). Pour notre part nos travaux de recherche [MIN 03,
STO 04] nous poussent à croire qu’il faut sensibiliser et amener les élèves
(futurs concepteurs) à la question du savoir-être dans la coopération.
86 La conception industrielle de produits 1

Nous proposerons par la suite une réflexion sur le travail mené dans cette
optique. Néanmoins, la question de l’individu, de son savoir-être dans le
groupe et de l’influence de celui-ci dans la construction de la prise de
décision est une clé d’entrée. De ce point de vue, les choix de participants au
groupe et le leadership de l’animateur responsable (voir chapitre 2) sont des
éléments déterminants de l’émergence de pratiques collaboratives.

3.3.2.2. L’individu dans le collectif coopérant


Pour comprendre le fonctionnement, et les dysfonctionnements, d’un
groupe dans une activité coopérative, deux axes sont à privilégier. D’une
part, les paramètres qui permettent d’établir sa structure : sa taille, son mode
d’organisation et la nature du projet porté. D’autre part, l’identification des
mécanismes à l’œuvre dans les comportements individuels et collectifs au
cours de la prise de décision. Cependant, comprendre l’existant ne garantit
pas de savoir y remédier : comment spécifier les conditions d’une action
avec d’autres dans une société où les acteurs sont à la fois de plus en plus
autonomes et outillés ? Nous ne tenterons pas de répondre à cette question
dans ce chapitre, mais nous allons exposer notre positionnement sur l’aide à
apporter à la coopération métier dans le groupe au sein du processus de
conception. Ceci nous permettra d’éclairer les choix effectués par la suite
pour l’apprentissage de la coopération et l’optimisation de la prise de
décision dans le processus de conception de produits et de services.

Toute activité coopérative suppose une interaction entre des partenaires


aux savoirs et aux compétences hétérogènes. Cette réalité induit
fréquemment pour ces membres la perception d’une prise de risques. La
perception du risque est éminemment subjective selon l'époque, les
particularités culturelles et le système de valeurs des individus concernés
ainsi que les enjeux envisagés, qu’ils soient connus ou non avoués. Il peut
être difficile au sein d’une organisation de communiquer sur le risque, pas
seulement l'organisation dans ses rapports avec l'extérieur, mais aussi et
surtout dans son fonctionnement propre.

En effet, l'incertitude est omniprésente dans l'entreprise et sa gestion


implique de multiples échanges entre les acteurs concernés. Or, toute
décision est une prise de risque. Le collectif peut être une aide à ce choix ou
à l’inverse une contrainte. Ainsi, l’individu plongé dans un groupe doit
s’appuyer sur les forces vives et résistantes de ce groupe en termes de
moyens humains et technologiques pour expliquer, convaincre les autres
Structure et instrumentation du processus de conception 87

membres du groupe d’adhérer à son choix. Pour cela il doit non seulement
amener les autres à partager ses contraintes mais être également en mesure
d’appréhender les leurs.

Pour ce faire, le respect de l’autre et la propension de chacun à


développer des relations empathiques avec les autres membres du groupe
sont essentiels. Il est aussi nécessaire que le dirigeant évite que le groupe
adopte un fonctionnement qui soit trop fortement basé sur les émotions.

Le respect de l’expression de chacun, le rappel des objectifs de


l’entreprise dans le projet comme la pierre angulaire de sa construction et
l’utilisation de représentations graphiques sont autant de moyens de créer
des éléments communs d’un projet dépassionné.

3.3.3. Synthèse

L’appréhension du processus de prise de décision en conception passe par


la prise en compte de l’interdisciplinarité. En effet, la complexification de la
conception de produits nécessite l’implication de multiples acteurs révélant
divers points de vue parfois contradictoires, voire des intérêts divergents
devant aboutir à une décision respectée par tous (à défaut d’être approuvée !).

Cette interdisciplinarité devient un véritable avantage managérial si elle


est cultivée, gérée et favorisée pour maîtriser l’efficience de la prise de
décision en au cours du développement du produit innovant.

Les représentations intermédiaires sont justement un des leviers sur


lesquels peut agir un responsable de projet pour aboutir à un tel résultat (voir
section 3.4). Ces représentations sont des supports de mémoire ou d'action
qui matérialisent les idées/concepts/solutions imaginées tout au long d’un
projet de développement de produit.

Elles sont des médiateurs qui donnent à tous les acteurs une même
représentation commune et éphémère du projet nécessaire à son activité
propre.
88 La conception industrielle de produits 1

3.4. Le rôle des représentations intermédiaires dans les prises de décisions


individuelles et collectives en conception

Nous avons montré en section 3.3 en quoi la collaboration est


déterminante dans une équipe pluridisciplinaire pour permettre une réelle
efficience des décisions prises en collectif. Les critères contextuels
(personnalités du groupe, du leader, etc.) qui s’appliquent à tout type de
travail collectif ont été traités au chapitre 2. Dans ce qui suit nous explorons
un support particulier du travail collaboratif en conception de produit : les
représentations intermédiaires.

3.4.1. Définition des représentations intermédiaires

Dans le processus de conception, les représentations intermédiaires (RI)


sont indispensables pour le fonctionnement de l’équipe interdisciplinaire.
Selon Jeantet [JEA 95] à elles sont « des outils d’interaction entre
l’ensemble des acteurs de la vie du produit, afin de permettre des échanges
et des compréhensions mutuelles plus efficaces ».

Les formes qu’elles prennent sont définies par Donald A. Schön


[SCH 96], comme des représentations graphiques ou autre (sémantique,
iconique, etc.) du concept avant que le résultat final de la conception globale
ou du projet de développement soit réalisé.

La même idée est avancée par Yannou [YAN 01], « la notion de concept
dont nous parlons est également un objet intermédiaire dans la
représentation de ce que sera le produit solution final ».

Grâce à ces artefacts, chaque acteur de la conception peut donc interagir


sur la représentation intermédiaire commune, du point de vue de son métier,
et en interaction avec les autres métiers.

Il est alors intéressant d’étudier l’incidence des modes de représentations


employés sur les décisions effectivement prises par le groupe, la figure 3.10
est une illustration de cette notion.
Structure et instrumentation du processus de conception 89

Figure 3.10. Evolution des représentations intermédiaires [DEL 06]

Les supports et les formes employés pour réaliser ces représentations


intermédiaires sont très divers d’un processus à un autre et au cours du
déroulement d’un même processus. Nous pouvons citer les fiches idées
(description sémantique d’une idée), les brouillons de recherche d’idées, les
roughs 5, etc.

Les représentations intermédiaires classiques sont des plans, maquettes et


prototypes physiques elles font aussi de plus en plus appel aux outils
informatiques, à la modélisation 3D interactive et à la réalité virtuelle. Les
maquettes physiques et les prototypes physiques restent nécessaires, mais
leur nombre diminue fortement avec les représentations intermédiaires
virtuelles [CHE 98].

La RI est donc la projection d’un état de la conception du produit qui


permet de matérialiser la solution élaborée, plus ou moins conceptuelle, plus
ou moins réaliste, plus ou moins fiable mais elle est toujours l’expression
d’une réflexion à un instant t du déroulement du projet.

5. Rough : terme provenant des arts graphiques désignant un dessin d’ébauche ou de projet
90 La conception industrielle de produits 1

Les décisions du groupe de conception découlent de la formalisation et de


l’interprétation de ces représentations intermédiaires car c’est notamment sur
cette base que se créent de nouvelles compétences permettant de réduire le
risque d’erreur décisionnelle (c’est-à-dire d’une décision qui ne conduise pas
au meilleur compromis possible pour les différents stakeholders intéressés).
La création de ces compétences est bien sûr indispensable pour accroître
l’efficience des prises de décisions communes.

Nous allons montrer dans le paragraphe suivant de quelle façon ces


représentations intermédiaires favorisent l’émergence de ces nouvelles
compétences individuelles.

3.4.2. La représentation intermédiaire : un support à la création de connaissances


multidisciplinaires

Nonaka [NON 97] définit la compétence comme la connaissance en


action ou encore, la faculté de pouvoir mettre en œuvre de la connaissance.

La compétence est donc une aptitude à adapter de la connaissance à un


contexte particulier. Cette capacité d’adaptation est pour partie une faculté
propre à chaque individu (ce qui renvoie au chapitre 2 et à la structuration
des équipes) mais elle peut être favorisée, biaisée ou gênée en fonction des
données transmises au groupe.

En effet, pour Nonaka la création de connaissances est une assimilation et


un construit cognitif de l’individu en fonction des informations qu’il reçoit
(voir le modèle du tableau 3.1).

Ces informations peuvent lui être transmises en l’état ou sous formes de


données qu’il devra lui-même convertir en informations. à partir de données
élémentaires. L’information est appropriée par son récepteur qui l’interprète
selon son propre paradigme mais qui également l’utilise pour faire évoluer
son propre paradigme. C’est notamment cette évolution de son paradigme
personnel qui lui permet d’acquérir de nouvelles connaissances et à terme de
nouvelles compétences.
Structure et instrumentation du processus de conception 91

Terme Exemple Définition


Données Résultat Fait élémentaire, discret et objectif résultat
chiffré de d’une acquisition d’une mesure effectuée
calcul par un instrument naturel ou construit
par l’homme.
Information SOS Ensemble de données sémantiquement
cohérentes pouvant être interprété pour lui
donner un sens, dans une intention
particulière.
Connaissance Alerte : lancer Ensemble d’informations construites
(synonyme. savoir) les opérations permettant de comprendre et d’agir.
de secours La connaissance implique l’Homme porteur :
elle est interprétée, appropriée, activable dans
un but, contribue à une recherche de vérité.
Compétence Capacité à Ensemble de connaissances, de capacités
(synpnyme savoir-faire) porter secours d’action et de comportements structurés en
fonction d’un but et dans un type de situation
donnée.

Tableau 3.1. Illustration des notions de données, informations, connaissances, compétences

En conséquence le fond et la forme des données et informations


transmises jouent un rôle prépondérant sur la façon dont les individus
modifient leur paradigme et avec celui-ci les critères des décisions qu’ils ont
à prendre.

3.4.3. Le rôle de la formalisation des objets intermédiaires dans la prise de décision

Selon la définition des représentations intermédiaires donnée en


section 3.4.1, le processus de conception produit une formalisation de la
vision du concepteur.

La décision en conception apparaît par la nécessaire sélection entre


plusieurs alternatives de solutions. Ces alternatives ne sont pas toujours
formalisées sous forme de représentations intermédiaires, mais lorsqu’il
devient nécessaire de légitimer un choix, les représentations intermédiaires
deviennent indispensables.
92 La conception industrielle de produits 1

La formalisation des représentations n’est donc pas anodine pour la prise


de décision : la formalisation des représentations et les paramètres du
système mis en avant dans la représentation influent sur la décision puisque
comme nous venons de l’expliquer ils sont également des facteurs de
création de connaissances pour les individus chargés de l’évaluation.

Le processus qui conduit à l’établissement des critères d’évaluation et à la


décision est représenté par le tableau 3.2.

Tableau 3.2. Processus de mise en œuvre d’un système d’évaluation de la performance

Le tableau 3.2 décrit la mise en œuvre d’un système d’évaluation de la


performance. Elle permet donc de décrire la construction d’un système
d’évaluation qui nous mène à la décision. Trois niveaux de sous-processus y
sont montrés :
– un niveau téléologique auquel est définie la problématique donnant lieu
à une évaluation de solution, ses finalités et le modèle cible auquel
l’évaluateur va se référer ;
– un niveau stratégique auquel sont établis les objectifs dont l’atteinte est
à évaluer et les indicateurs que l’évaluateur peut mesurer pour vérifier
l’atteinte de ses objectifs ;
– un niveau pilotage qui permet de confronter une mesure de la réalité à
laquelle on peut associer un risque aux modèles construits au niveau
téléologique afin de prendre la décision.

Ce processus tel qu’il est formalisé dans le tableau 3.2 ne fait pas
apparaître les représentations intermédiaires : elles interviennent pourtant à
deux phases de ce processus : la phase de construction de modèle à partir des
problématiques et la phase d’état étudié du système.

Les représentations intermédiaires en conception sont souvent l’état


étudié du système. C’est donc sur la base de ces représentations que nous
allons utiliser un système d’évaluation de la performance.
Structure et instrumentation du processus de conception 93

Un système d’évaluation peut être très précis si la représentation sur laquelle


nos critères d’évaluation s’appliquent n’est pas maîtrisée : le risque lié à la
décision est alors très fort. C’est pourquoi la formalisation de représentations
intermédiaires support à la décision est importante pour la prise de décision.

3.4.4. Influence des choix de représentation dans la décision

Afin de démontrer l’importance des représentations intermédiaires dans


le processus de décision en conception, nous allons illustrer nos propos par
une étude menée dans le cadre de décision de conception en entreprise
étendue [CHE 98]. Les auteurs ont testé la validation de l’impact d’outils de
représentation pour la conception d’emballages innovants.

L’impact sur les décisions de conception de quatre représentations a été


testé au sein d’une PME, Elyce innovation.

Chaque représentation avait pour base la même solution, seule la


technologie employée pour créer la RI a changé et différentes solutions ont
ainsi été proposées sous des représentations différentes. L’évaluation des
solutions a été conduite par le PDG de l’entreprise et le client final
commanditaire de l’emballage [CHE 98]. Chaque technologie employée
permettait l’accès à des natures d’informations différentes, propres à la
technologie de représentation employée pour l’exercice.

Les conséquences de cette variabilité d’apport informationnel se


traduisent, de la part des acteurs de l’évaluation, par des approches
cognitives des solutions dépendantes des modes de représentations proposés.
Par exemple, l’animation permet d’appréhender l’ouverture facile de
l’emballage qui est difficilement évaluable avec d’autres modes de
représentation.

Cette expérimentation a mis en relief l’intérêt de combiner différents


modes de représentations. Elle aussi permit de montrer que les décisions de
préférence d’une solution variaient selon les modes de représentations
proposés : la hiérarchie des solutions proposées n’était pas la même selon le
mode de représentations proposées.
94 La conception industrielle de produits 1

Figure 3.11. Description des représentations intermédiaire virtuelles [CHE 98]

Figure 3.12. Les quatre représentations virtuelles testées

Cet exemple nous montre l’importance des représentations intermédiaires


dans les processus de conception et de prises de décision. En effet, les
décisions doivent se fonder sur des supports de contenus qui respectent
formellement le concept de solution imaginé et qui permettent aux décideurs
d’accéder à la compréhension de cette solution.
Structure et instrumentation du processus de conception 95

Il faut donc, avant même d’implémenter un système d’évaluation de


performance du système, réfléchir aux données nécessaires à la décision. Ces
données doivent alors être formalisées sous formes de représentations
intermédiaires qui supporteront la prise de décision.

3.4.5. Synthèse

Les représentations et objets intermédiaires sont une projection d’un état


de conception intervenant dans processus de décision. La formalisation de
ces objets participe à la convergence des échanges, et de fait devient une
aide aux choix à effectuer. Les représentations intermédiaires peuvent
devenir un tableau de bord pour les décisions collectives, via les paramètres
fixés et acceptés par tous. En intégrant ces objets dans la gestion de projet,
l’organisation laisse une place au partage et participe à la capitalisation des
connaissances pour une meilleure aide à la décision.

Un autre levier qui peut être employé pour influer sur la capacité des
acteurs multidisciplinaires à travailler en « bonne intelligence » est de les
aider au travers de d’expériences participatives à prendre conscience des
conséquences d’un comportement purement défensif de leurs intérêts
sectoriels. C’est cet aspect qui est traité dans la partie qui suit.

3.5. Faire prendre du recul aux acteurs multidisciplinaires par le jeu

Nous avons montré de quelles manières différentes caractéristiques -


propres au management industriel, au produit conçu, aux natures de
coopérations construites dans les équipes de conception et aux
représentations dont elles se dotent - influent sur les processus de décision.
Dans ce qui suit nous nous intéressons à une autre dimension : celle du
comportement des acteurs. Notre objet n’est pas d’expliquer ces
comportements (enjeu du chapitre 2) mais d’aborder la question de la
sensibilisation des concepteurs (ou des futurs concepteurs) à l’incidence de
leurs propres comportements en groupe sur la rationalité des décisions qui y
sont prises.

On mesure combien ces axes de réflexion s’éloignent des paradigmes des


acteurs dont la culture est à dominante technique et/ou scientifique.
96 La conception industrielle de produits 1

Cependant l’importance que les personnels opératifs et d’encadrement


saisissent le rôle du savoir être est déterminant pour l’efficience
décisionnelle des équipes de conception multidisciplinaires. « Aujourd’hui,
la formation des individus orientée vers le développement de savoir-être et
d’aptitudes de collaboration demeure problématique.

En effet, de par la multitude des « paramètres » (développement


personnel, psychologie de l’individu, du groupe, culture d’entreprise, jeux de
pouvoir, habitude de travail, etc.) qui la conditionnent, il faut reconnaître le
caractère fortement contextuel de la collaboration. » [LEG 06 ; RIE 98].

Pour proposer une réponse à ce constat nous inscrivons notre démarche


dans les courants de Giordan [GIO 98] et de Charpak [CHA 96]. L’objectif,
ici, est de proposer un type de pédagogie basé sur l’expérience. Nous
illustrerons notre propos par une expérimentation de type serious play6 qui
sera présentée en section 3.6.

L’apprentissage est un vaste débat, et une discipline à part entière. Nous


exposerons ici uniquement les choix réalisés pour construire notre serious
play et leurs motivations.

3.5.1. Le rôle du jeu participatif dans l’apprentissage

Pour Karl Popper [POP 34] : « les démonstrations les plus convaincantes
sont celles qui établissent qu’une idée est fausse ». Cependant, l’objet de nos
mises en situations n’est pas de démontrer que l’apprenant se trompe mais de
l’amener à déconstruire son raisonnement par des preuves (visuelles,
expérimentales, etc.) afin de l’aider à en reconstruire un plus proche de la
réalité.

En fait, le modèle déductif anglo-saxon qui se base sur l’expérimentation


tend à se développer en Europe également dans toutes les natures de
formations au travers des serious play.

6. Technique d’apprentissage développée tant pour les enfants que les adultes et s’appuyant
sur la mise en situation de jeux qui mettent en évidence l’importance des interactions entre les
individus et/ou les événements.
Structure et instrumentation du processus de conception 97

D’après Rieber [RIE 98], c'est en rendant le processus d'apprentissage


intéressant en lui-même - et non son seul résultat - que l'on peut obtenir le
plus de motivation chez l'apprenant. Rieber appelle serious play (parfois
aussi appelé hard fun) le type d'expérience d'apprentissage intense dans
lequel les enfants, autant que les adultes, s'engagent et consacrent
volontairement des quantités énormes d'énergie et de temps et dont ils
retirent en même temps un grand plaisir [RIE 01].

Ces jeux sont un moyen de développer ce que Giordan [GIO 98] nomme
l’attitude expérimentale, en décentrant la focalisation de l’apprenant afin de
l’amener non pas sur le sujet étudié mais sur les relations, les conséquences
que sa participation au traitement du sujet crée dans son comportement. Il est
nécessaire que l’apprenant déconstruise au fil de la démarche, ses schémas
théoriques ou préétablis pour construire un savoir opérant rapidement en
industrie.

Le coaching est basé, entre autre, sur de la mise en situation observée par
un « expert » qui aide à analyser le vécu au profit de l’optimisation des
savoirs-être faces à la situation. Nous reprenons ce principe pour guider la
réflexion de l’apprenant sur son propre comportement plutôt que de lui
dresser une liste de savoirs-être à développer, sans forcément lui expliquer
les moyens qu’il faudrait y associer.

Nous inscrivons également la démarche présentée ici dans une fusion


entre l’apprentissage par projet [HUB 99] et l’apprentissage par erreur. Notre
travail est basé sur un groupe (en milieu industriel la prise de décision est
rarement individuelle de sa genèse à son application) qui va devoir mettre en
jeu ses différents savoirs face à un contexte, pour proposer une solution à un
problème. Ce n’est pas la solution en elle-même qui est évaluée mais le
parcours pour y arriver qui doit faire l’objet d’un bilan avec le formateur.

C’est dans cette logique que nous avons développé le cas de travaux
dirigés présenté par la suite. Il est important de construire le chemin
parcouru avec l’apprenant car il n’y a pas une solution face à la question de
la coopération et de la prise de décision dans la conception de produits, mais
bien des chemins contextuels à bâtir avec le collectif à partir de savoir-être
et de savoir-faire.
98 La conception industrielle de produits 1

Dans ce qui suit nous présentons les raisons qui nous amené à positionner
notre serious play dans la phase de créativité amont d’un processus de
conception de produit.

3.5.2. Pourquoi utiliser la phase créative pour notre serious play ?

La créativité est un processus de recherche d’idées. Degrange [DEG 00]


la définit comme étant d’abord « … une question, une ouverture vers une
dimension inconnue, un indéterminé ; elle est ensuite la suspension des
certitudes, passage précaire mais nécessaire, enfin elle s’impose
éventuellement comme proposant une solution…».

La créativité ou plus précisément le fait de générer des idées nouvelles est


un acte depuis longtemps pratiqué chez les philosophes et plus récemment
chez les scientifiques. De nombreux chercheurs ont contribué au
développement de la créativité notamment L.D. Miles, E. De Bono (pensée
latérale), P. Alto, F. Zwicky, W. Gordon, G. Prince, Osborn (association
libre ou encore brainstorming) [BOU 01, DEG 00]. De ces différents
courants de pensée, nous distinguons cependant deux types de créativité,
complémentaires : la créativité individuelle et la créativité collective. De
plus comme présenté dans la section 2.6.1, la créativité nécessite d’amener le
groupe à travailler ensemble.

Dans les sections suivantes, nous allons la positionner à travers le


processus de créativité collective puis la présenter en mettant en avant ses
particularités et ses objectifs, et enfin, nous allons développer en quoi elle
nous permet d’observer le phénomène d’apprentissage de différents acteurs
dans le cadre d’une construction commune de projet.

3.5.3. Les conditions de mises en œuvre et les objectifs de manière générale


du serious play utilisé

Le processus créatif intervient bien sûr dans la phase créative du projet


mais il peut aussi arriver qu’il intervienne pour traiter ponctuellement un
problème dans les autres phases du processus de conception. Nous traiterons
ici de la créativité collective utilisée comme recherche de concepts dans les
phases amont du processus de conception.
Structure et instrumentation du processus de conception 99

Le processus de créativité est ainsi appliqué dans le cadre de sessions ou


de séances de créativité (une session comprend plusieurs séances).

Un des principes fondateurs de la créativité collective est d’utiliser la


synergie inventive d’un groupe de personnes multidisciplinaires
(personnellement et professionnellement) dans l’objectif de trouver
ensemble, grâce à des outils spécifiques dédiés, un maximum d’idées
nouvelles à un problème donné [DEB 04b, ISA 03].

Figure 3.13. Positionnement du processus de créativité appliqué


dans le processus de conception d’après [STO 04]

Afin de mener à bon terme une session de créativité collective, un


animateur est indispensable. Il a le rôle à la fois de garant des moyens et
outils utilisés, de leur orchestration et de la production créative du groupe. Il
a pour fonctions de préparer, animer les sessions et de gérer l’analyse et la
synthèse des résultats.

Il est important que l’animateur soit externe au groupe pour être


hiérarchiquement et culturellement indépendant des membres du groupe et
de leurs thématiques de travail.
100 La conception industrielle de produits 1

Dans notre cas, le cas d’une activité de créativité collective est


particulièrement intéressant car c’est une activité qui requière l’émergence
d’un apprentissage collectif indispensable à la construction de solutions
innovantes à un problème donné.

Nous allons maintenant détailler la manière dont se décompose le


processus de créativité collective.

Figure 3.14. Processus de créativité appliqué d’après [STO 04]

Chaque étape du processus de créativité peut être soutenue par


l’utilisation d’outils spécifiques de natures variées mais complémentaires.
Vadcard [VAD 96] a proposé au cours de ses travaux de classer ces outils
par familles. La liste des outils présentés est loin d’être exhaustive mais
permet d’illustrer les différentes familles répertoriées.

Famille Outils (exemples)


Combiner Matrice de découvertes
Associer Carte mentale, brainstorming
Analyser Purge, avocat de l’ange, fiche idée
Analogique Analogie, inversion, scénario
Onirique Rêve éveillé

Tableau 3.3. Les principaux outils utilisés en créativité collective


Structure et instrumentation du processus de conception 101

La matrice de découverte due à A. Moles est basée sur une exploitation


de la logique combinatoire et plus précisément sur une analyse systématique
des combinaisons possibles.

Le brainstorming libre inventé en 1953 par Osborn [DEG 00] signifie


littéralement tempête de cerveau . Aussi appelé remue-méninges, cet outil de
créativité collective est basé sur la logique associative des idées soumises par
les différents participants. Il demande l’émission d’une grande quantité
d’idées, sans censure. « Cet outil a pour objectif de mettre à jour des
solutions à un problème donné, de quelque nature qu’il soit. Il peut être
utilisé comme outil préliminaire à un autre outil de créativité » [VAD 96].
La purge se pratique généralement en début de séance de créativité et de
manière individuelle. Elle permet aux participants d’exprimer toutes les
premières idées sur un sujet donné et ainsi d’ouvrir leurs esprits à d’autres
possibilités.

L’analyse fonctionnelle externe (AFE) s'intéresse, comme son nom


l'indique, aux relations externes entre le produit et son environnement. « Elle
permet de dématérialiser le produit en identifiant les fonctions qui le
caractérisent. L’objectif de cette étape n’est pas de trouver une solution mais
de bien poser le problème afin d’ouvrir le champ de recherche à des
solutions innovantes, pertinentes par rapport au besoin et adaptées aux
contraintes du projet » [PLO 00]. L’analogie a été mise en évidence par
Gordon dans le but de « rendre l’insolite familier, c’est-à-dire d’aller
chercher des idées dans des domaines déjà explorés pour résoudre des
problèmes » [VAD 96].

Enfin, la fiche idée est un outil d’analyse utilisé en phase de convergence.


Elle est indispensable pour présenter tous les concepts et idées qui auront
émergés lors d’une session de créativité collective. Elle permet ensuite une
analyse, une évaluation et une sélection des idées.

3.5.4. Synthèse

La phase de créativité est une phase délicate, qui demande aux différents
acteurs de diverger vers d’autres solutions que leurs préjugés et de converger
vers un compromis pour tous, un panel de possibles partagés.
102 La conception industrielle de produits 1

Cette phase met en exergue la question des représentations


intermédiaires, et de leur rôle dans l’optimisation du processus décisionnel.
Il est question d’amener les acteurs à percevoir l’incidence de leurs
comportements dans la prise de décision.

3.6. Le serious play : le cas de la re-conception d’un siège de bureau

Dans ce qui suit nous présentons un scénario et un exemple de


déploiement et d’exploitation d’un serious play . L’objectif d’un tel exercice
proposé à des étudiants en école d’ingénieurs est de leur faire prendre
conscience du rôle des comportements individuels sur les résultats finaux du
groupe de travail. Cela impose de les faire entrer en action, de susciter des
émotions puis de leur permettre de prendre du recul par rapport événements
vécus par le groupe. Nous détaillons tout d’abord les objectifs et modalités
de mise en œuvre pour exposer ensuite les résultats obtenus et ceux qu’il
serait souhaitable d’améliorer.

3.6.1. Objectifs

L’objectif de cette étude de cas (EC) est d’illustrer l’influence du


comportement des acteurs sur les prises de décisions. Cette illustration se fait
plus précisément au cours des phases de divergence (phase créative du
groupe) et de convergence (phase de négociation du groupe : conception de
concepts). La réalisation de l’EC amène les utilisateurs à vivre une situation
de prises de décisions :
– individuelles, ils sont amenés à choisir entre la satisfaction de leurs
contraintes personnelles et celles des autres membres du groupe ;
– collectives, car le groupe doit proposer des solutions à la fin du temps
imparti pour rivaliser avec les autres groupes en concurrence.

3.6.2. Modalités

L’EC a été menée avec plusieurs groupes de 6 personnes. Ces groupes


ont utilisé des outils de créativité au cours d’une session de 2 heures, puis
ont effectué un débriefing de 30 minutes. L’animateur du groupe a le choix
des outils de créativité qu’il utilise pour la phase d’émergence de concepts
(divergence) et de négociation (convergence).
Structure et instrumentation du processus de conception 103

Le sujet d’application de la session de créativité portait sur « le


reconception d’un siège de bureau ». Le sujet ainsi que les différents groupes
ont été définis par les créateurs de l’EC. Afin de « recréer » artificiellement
les contraintes qui s’appliquent aux acteurs des groupes projets réels
interdisciplinaire, chacun a reçu une liste de critères (cahier des charges
métier : C.d.C. métier dans le texte) qu’il devait faire accepter comme
critères du C.d.C commun par les autres membres du groupe. Deux sources
de conflits ont ainsi été suscitées :
– certains paramètres métiers étaient antagonistes entre métiers ;
– chaque acteur défendait trois critères à faire inscrire au cahier des
charges global du produit (3 critères par 5 acteurs métiers, soit 15 critères)
alors que le nombre de critères du C.d.C commun est limité à 5 ; 10 critères
doivent donc être éliminés.

Une opportunité de construction commune a été offerte :


– des esquisses de solutions répondant aux cinq critères retenus doivent
être proposées par le groupe ;
– l’objectif de débriefing final sera de mettre en relation la façon dont se
sont déroulés ces moments clés du point de vue des comportements des
acteurs et les résultats finalement obtenus.

1) Constitution des équipes

Pour la force de la démonstration il est souhaitable lors de cette phase de


constituer des équipes avec des membres présentant des personnalités très
différentes (caractéristiques personnelles, expertises professionnelles). Cette
condition est importante pour ne pas former des équipes majoritairement
constituées de personnes à tempérament de « leader » ou de « suiveur » par
exemple, et ainsi se trouver dans une configuration qui aurait peu de chance
d’être concluante. Si possible, les C.d.C métiers sont attribués de façon à ce
que leurs défenseurs aient suffisamment de connaissances pour les
comprendre et les défendre. Cependant, il faut évidemment éviter d’attribuer
un rôle métier exactement dans le champ professionnel de la personne. Pour
aider cette phase de constitution des groupes il est possible de réaliser des jeux
utilisés en développement personnel ou en ressources humaines avant la session
de créativité. On utilise alors des exercices de coopération, de challenge collectif
et/ou de mise en concurrence. Ces jeux sont habituellement proposés en tout
début de sessions ou après des pauses. Ils peuvent également aider à initier une
cohésion de groupe qui favorise ensuite la production créative.
104 La conception industrielle de produits 1

2) Présentation du sujet et de l’objectif de l’EC par les animateurs

Dans notre cas quatre groupes ont été placés dans deux salles différentes.
Dans chaque salle, un animateur a expliqué le travail à effectuer et les
objectifs attendus. Cette phase est importante et doit être très claire pour que
les participants n’aient pas, ou très peu, de questions à poser par la suite ce
qui risquerait de stopper la dynamique créative et mettrait en péril l’enjeu de
l’EC : créer une situation chargée d’ « émotions » pour les acteurs.

3) Présentation des paramètres métiers à chaque acteur

Chaque groupe se compose d’un responsable de l’éco-conception, un


ingénieur calcul, un responsable matériaux, un responsable des achats, un
designer produit et un animateur de la séance de créativité. Avant de commencer
l’EC, chacun prend connaissance de son C.d.C personnel (figure 3.15) qui
comprend systématiquement une description du rôle à jouer, c’est-à-dire les
caractéristiques de « l’acteur à jouer » et la liste de 4 ou 5 contraintes métier
qu’il va tenter de faire admettre comme nécessaires au C.d.C commun et qui
servent ensuite à évaluer les concepts de solutions imaginées.

Cahier des charges


L’animateur
r Contexte
Vous avez les compétences méthodologiques et
la personnalité requise (dynamisme) pour assurer
l’organisation, le déroulement et l’animation d’une
séance de créativité. Vous devez mettre le groupe
dans une atmosphère propice à une production
créative et en êtes le garant.

Objectif : amener 3 de ces contraintes dans les


fiches idées

• Respecter le timing et les règles du jeu


• Amener le groupe à produire le plus d’idées
possibles (en brainstorming et inversion)

•conviction)
Relancer le groupe si blocage (dynamisme,

•explicatifs
Il ne faut pas plus de 5 critères métiers
par fiche idée.

Stéphanie
- Minel, ESTIA Nadine Stoeltzlen,
- ENSGSI
Anthony Delamarre, ISTIA Gwenola Bertoluci, ENSIA

Figure 3.15. Cahier des charges de l’animateur


Structure et instrumentation du processus de conception 105

4) Recherche créative et synthèse

La séance débute sur une phase divergente, d’ouverture (le groupe


s’éloigne du sujet initial) où chacun donne ses idées, rebondit sur ce que
disent les autres participants sans censurer les idées émises.

L’objectif est d’avoir un maximum de matière à traiter pour la conception


de fiches idées (ou sont formalisées les idées et les concepts). Puis c’est la
phase de convergence qui aboutit à la rédaction de fiches idées. C’est durant
cette séance que sont recueillis sur lesquels est conduit ensuite le debriefing :
les photos, films, renseignement d’une grille d’observation (tableau 3.4).

Lors de la rédaction des fiches idées des négociations entre acteurs


s’engagent. Chacun doit soumettre et argumenter ses préférences de critères
à prendre en compte pour évaluer les solutions. C’est à ce moment
qu’apparaissent divers éléments :
– personnels : certains tempéraments ou profils d’acteurs sont plus à
l’aise que d’autres, gèrent plus aisément cette phase de négociation et de
décision ;
– l’émergence d’objets intermédiaires, sortes d’objets de négociation qui
facilitent les discussions, les explications de données métiers, les compromis
pour construire en groupe une fiche idée.

Statut (suiveur, Prise de parole / Conflit / blocage : Forme de décision Facteur de


opposant, temps de parole, quand, sujet, (collective,autoritaire, déblocage
leader…) sur quel sujet durée compromis…) amorcé
refusée / négociée par qui ?
par qui ?
Animateur
Designer
Responsable
Eco-conception
Matériaux
Calcul

Tableau 3.4. Exemple de grille d’observation


106 La conception industrielle de produits 1

5) Debriefing

Cette phase est alimentée par les notes rédigées dans la grille
d’observation et la diffusion de vidéo/photos qui illustrent les postures
physiques des participants. L’objectif est ici d’analyser le comportement du
groupe et les « rôles » de chacun dans les phases de coopération et de prises
de décision. Il est important de travailler sur les « rôles » afin d’éviter tout
jugement personnel parfois d’éviter l’entrée dans un comportement affectif.
De plus, toutes les argumentations doivent être factuelles et illustrées par des
photos ou des prises de notes.

Cette phase est la base même de l’apprentissage. Dans certains cas


[LEG 06], cette phase fait même l’objet d’une séance ultérieure afin d’aider
à la construction des représentations, nous demandons aux participants
d’exposer, selon leurs points de vues, ce qui s’est passé, la manière dont ils
l’ont vécu et comment ils se sont organisés. Ceci afin de leur démontrer que
certaines phases (de prises de recul ou au contraire d’entraînement) et
certains leviers peuvent être mis en place pour aider à une prise de décision
commune et concertée, comme par exemple l’utilisation d’objets
intermédiaires.

En effet, la coopération métier ne peut pas se faire sans le choix d’une


méthodologie de travail, d’une organisation admise par tous, sans le partage
de contraintes personnelles, leur pondération au mieux de l’objectif
commun, et l’utilisation d’objets communs de négociation (ici confondus
avec les représentations intermédiaires) favorise cette dynamique. La prise
de décision est alors plus facile, factuelle et argumentée. Elle devient
partagée lorsque chaque acteur, parvient à exprimer et faire entendre son
expertise.

3.6.3. La suite des travaux de recherche à conduire

Nous avons mis en œuvre cette dynamique d’apprentissage avec différents


publics et ainsi acquis des éléments de démonstration de son efficacité. Nous
poursuivons actuellement nos recherches sur la question de la « mesure » de
l’effectivité de cet apprentissage. Des questions restent en suspens : est ce que
tous les projets offrent une même facilité d’apprentissage ? Y a-t-il des profils
d’acteurs qui rendent l’apprentissage plus difficile que d’autres ? Quels facteurs
influent sur le temps d’apprentissage ?
Structure et instrumentation du processus de conception 107

3.7. Conclusion

Le besoin de réduire le time to market a considérablement joué au cours


des trente dernières années sur les pratiques et outils de conception de
produits complexes destinés à des marchés de grand public. L’évolution des
pratiques de management des personnels, de travail en groupe de projets, le
développement des TIC (technologies de l’information et de la
communication) ont permis de réduire les temps de développement, de
réduire les erreurs de conception, de diminuer les coûts de conception, etc., il
reste au milieu de ce formidable effort de rationalisation, une ressource qui
ne peut et ne doit être totalement maîtrisé et contrôlé : l’homme.

Nous devons accepter que notre volonté d’efficience des processus se


heurte à des comportements non prévisibles, non souhaités pas
nécessairement toujours non souhaitables.

C’est aux responsables de groupe projets, au dirigeant d’entreprise


d’admettre que la créativité, l’intelligence inattendue vient du vivant : la
contrepartie est cette non maîtrise partielle des comportements. Il est alors
important pour chacun de ces managers d’admettre que c’est dans le partage
des intérêts que se construit une vision commune. Les représentations
intermédiaires et les serious plays que nous avons présentés ici concourent à
la création de cette vision commune. C’est pourquoi nous avons choisi de
présenter un exercice réalisable tant dans le monde pédagogique
qu’industriel et s’adaptant parfaitement au contexte et aux individus réunis.
Si tout est lié (prise en compte du leadership, stimulation de la créativité
comme argument concurrentiel, optimisation du processus décisionnel en
vue de la capitalisation des connaissances liées à la question des départs et
turn-over, etc.), ce n’est que parce qu’au cœur de ces focalisations il y a les
acteurs différents. Ces individus sont dotés de motivations et de stratagèmes
individuels propres mais aussi prêts à les pondérer par l’impact, le poids ou
l’intérêt du collectif, réseau dans lequel ils se trouvent plongés de par leurs
activités. Nous avons extrait des phases et des thématiques qui doivent être
replacées et liées avec la question même de la gestion de projet évoquée dans
la section suivante.
DEUXIÈME PARTIE

Le management de projet

Partie coordonnée par Michel BIGAND.


CHAPITRE 4

Le projet, mode de conception de produit

4.1. Définir le mot « projet »

L’utilisation du terme « projet7 » est courante ; pour clarifier nos propos il


est utile de le définir et d’en cerner progressivement les différentes facettes.

En guise de préambule nous pouvons nous livrer à un petit remue-


méninge (brainstorming) qui, en partant d’un projet réel (la conception-
réalisation d’un prototype de produit, la préparation d’un voyage,
l’organisation d’une manifestation, etc.), consiste à lister tous les termes
caractéristiques, tous les éléments relatifs à ce projet.

Nous pouvons écrire chaque idée sur un petit papier, puis les regrouper
par rubriques. La tableau 4.1 donne un exemple du résultat que nous
pouvons obtenir. Nous pouvons également chercher dans quel cas on parle
de projet, et faire ainsi émerger les spécificités d’un projet : celui-ci est
unique, vise un objectif concret, nouveau, innovant, il est risqué car il
comporte une large part d’incertitudes, des modifications en cours de route, a
une durée limitée, mélange des éléments éprouvés et d’autres nouveaux, il
est complexe du fait d’une forte interdépendance des tâches, mais surtout à
cause des (grâce aux) facteurs humains laissant une place significative aux
aspects non rationnels, aux divergences d’intérêts…

Chapitre rédigé par Michel BIGAND.


7. Le projet désigne ici le programme de réalisation de l’objet final, et non l’objet lui-même.
112 La conception industrielle de produits 1

Une idée est-elle un projet ? Non, mais elle en constitue le point de départ
incontournable ; rechercher et trouver des idées est une activité humaine qui
peut concerner tout le monde, à tout âge, et qui repose sur une vision
idéaliste (optimiste ou non) du futur. Dire « un jour, je ferai le tour du
monde » ne constitue pas un projet ; s’organiser pour le faire et commencer à
réaliser son rêve devient un projet à part entière. Toute entreprise peut
s’organiser pour favoriser l’émergence d’idées.

Une étude prospective est-elle un projet ? Non plus. Mais comme un


projet se projette vers l’avenir, il est indispensable de réduire dès que
possible les incertitudes, en s’appuyant notamment sur ce type d’études.

Une recherche est-elle un projet ? Pas s’il s’agit de recherche


fondamentale qui ne vise pas une finalité précise ; toutefois, chaque projet
possède sa part d’innovation et s’appuie sur les résultats de recherches
théoriques ou appliquées.

Qu’est-ce qu’un projet ?

Rubriques Idées

Travail Analyse des besoins, étude, conception, prototype, réalisation,


production, développement, livrable, produit, système, etc.

Coûts Coût prévu, coût réel, design to cost, budget prévisionnel, budget réalisé, devis,
analyse des coûts, comptabilité analytique, finance, etc.

Temps Date de début, de fin, délai, charge de travail, durée, planning,


planification, jalons, gestion du temps, chemin critique, etc.

Management Organisation, équipe, motivation, conflits, communication, arbitrage,


compromis, responsabilité, tableau de bord, communication, suivi, etc.

Ressources Hommes (femmes et hommes), personnel, moyens matériels, ressources


financières, machines, informations, locaux, etc.

Tableau 4.1. Résultat d’un brainstorming sur la définition d’un projet

Enfin, il faut bien distinguer « projet » et « opération » [DEC 97] ; une


opération, comme par exemple la production de boissons gazeuses, est une
activité répétitive et sans fin, ce qui la distingue du projet dont la durée est
limitée.
Le projet, mode de conception de produit 113

Toutefois, les entreprises qui s’organisent en mode projet auront à cœur


de définir des méthodes, de capitaliser sur les projets passés, et finalement
d’opérationnaliser tant que faire se peut l’activité de projet.

Nous proposons en définitive de retenir la définition suivante du mot


« projet » (AFNOR norme X50-105) [GID 06] : « Un projet est une action
spécifique, nouvelle, qui structure méthodiquement et progressivement une
réalité à venir, pour laquelle on n’a pas encore d’équivalent ». Pour
compléter cette définition, ajoutons que le projet se caractérise par [AFI 98]
[WES 91] :
– un objectif qu’il s’agit de concrétiser ; cet objectif, souvent flou au
départ, va progressivement se construire lors de la structuration initiale
(phase de cadrage) et devra être spécifié clairement, puis sera parfois amené
à évoluer du fait des événements qui se produiront ;
– une date de début et une date de fin ; en cela un projet se distingue
d’une activité de type « opération » sans fin ;
– un coût prévisionnel et des gains espérés ; dès les premières études, le
projet représente un coût pour l’entreprise (en mobilisant des ressources
humaines notamment) ; quel que soit le projet, la dimension économique est
à prendre en compte (en particulier, une entreprise ne peut investir dans tous
les projets qui lui sont soumis, et elle doit nécessairement arbitrer en faveur
des projets les plus en phase avec sa stratégie de développement, comme
nous le verrons plus loin) ;
– une organisation spécifique et temporaire ; les ressources mobilisées
sont libérées en fin de projet, et concernant les ressources humaines,
l’éclatement du groupe n’est pas sans conséquence sur les acteurs ; cette
dimension doit être anticipée par les managers.

Trois indicateurs clés du projet sont étroitement liés : les coûts, les délais
et la qualité (et les fonctionnalités) du livrable. Ces trois indicateurs devront
être définis lors des études prévisionnelles, puis respectés lors de la
réalisation du projet.

4.2. Cycle de vie d’un projet

Nous avons souvent tendance initialement à spécifier non pas un besoin


mais une solution à un besoin, ce dernier étant souvent mal cerné. Ainsi, un
groupe projet formule son objectif de conception d’un détecteur de hors-jeu
114 La conception industrielle de produits 1

au football comme suit : « équiper le ballon et chaque joueur d’un capteur


électronique qui permette de connaître les positions et changements de
trajectoire ». Bien que cela ne soit pas formalisé, on peut deviner qu’il s’agit
d’automatiser la détection des situations de hors-jeu au football.
Naturellement, la solution proposée n’est pas unique (elle est d’ailleurs peu
réaliste) et ne suffit pas à atteindre l’objectif ; mais le projet lui-même
répond-il à un véritable besoin ? Les arbitres ne font-ils pas partie du jeu,
avec leurs erreurs d’appréciation, leurs faiblesses ? N’allons pas plus loin
dans ce vaste débat.

Il est possible, au tout début du projet, de procéder en trois étapes : rêver


au produit8 idéal (cette étape génèrera immanquablement des idées
d’innovations), détruire les idées (sur ce point, l’homme est très fort), puis ne
conserver que les idées d’innovations les plus réalistes dans le contexte du
projet.

Il est ainsi possible de spécifier le besoin en termes de fonctions à


réaliser, indépendamment de toute solution. P. Boulanger l’avait compris
lorsqu’il demanda à ses services de créer ce qui allait devenir la 2 CV
Citroën : « Faites étudier une voiture pouvant transporter deux cultivateurs
en sabots, 50 kg de pommes de terre ou un tonnelet à une vitesse maxi de
60 kms/h pour une consommation de 3 litres aux 100 kms. La voiture devra
pouvoir passer dans les plus mauvais chemins, être conduite par une
conductrice débutante et avoir un confort irréprochable. Le point de vue
esthétique n'a aucune importance. Le prix devra être inférieur au tiers de
celui de la Traction-avant 11 CV. ». Il est remarquable de constater que les
critères et leurs niveaux d’acceptabilité étaient cadrés avant le premier coup
de crayon (les mauvaises langues prétendent que le critère sur l’esthétique
fut le premier à être pris en compte).

L’analyse de la valeur nous sera très utile dans cette phase de cadrage :
elle contribue à construire une intelligence collective de la problématique,
permet de mettre en œuvre une approche systémique et d’aborder le coût
global. Elle permet en outre d’exprimer les besoins, de manière objective, en
termes de résultats à atteindre, et encourage la recherche créative de
solutions.

8. Il s’agit du produit du projet, au sens résultat ; le terme « produit » recouvre aussi bien un
produit qu’un service ou un produit et les services qui lui sont associés.
Le projet, mode de conception de produit 115

Le cycle de vie du projet peut être représenté par les étapes du tableau 4.2 ;
une littérature abondante propose d’autres découpages qui se rejoignent.

Tableau 4.2. Cycle de vie d’un projet de conception de produit

Les étapes fondamentales de la réalisation de projet sont, par la suite,


abordées et développées par des études de cas :
– l’avant-projet (études d’opportunité, de faisabilité économique, de
cadrage, expression du besoin, études de faisabilité technique) fournissant
les données d’entrée (cahier des charges, délais, budget), chapitre 5 ;
– la structuration du projet avec la mise en place des moyens, chapitre 6 ;
– le pilotage du projet pendant sa réalisation, chapitre 7 ;
– le management de l’innovation et la gestion d’un portefeuille de projets,
chapitre 8.
CHAPITRE 5

Expression des besoins du client :


étude de cas, le projet masque sourire®

L’idée est née à l’hôpital du CHU de Nancy où les enfants de certains


services sont isolés pour des raisons médicales. Un psychologue a relevé le
fait que ces enfants hospitalisés pouvaient présenter un retard
d’apprentissage du langage lié à l’impossibilité de voir les expressions du
visage du personnel hospitalier ou de leurs parents que leur dissimule le
masque opaque de rigueur.

On laisse aujourd’hui les parents approcher les enfants à l’hôpital, mais le


port du masque reste obligatoire pour les proches, les intervenants extérieurs
(clown, enseignant, etc.) [DEM 91]. Porter un masque opaque quand on
veut faire rire, parler, ne facilite pas le contact. En effet, comment l’enfant
peut-il distinguer un sourire, des expressions de tendresse ? Comment
apprendre à parler ? Comment avoir un contact plus humain pour se sentir
moins isolé ? Qu’il s’agisse d’une infirmière ou d’un parent, la communication
se fait difficilement.

Dans ce milieu, les conditions d’hygiène et de protection imposent le port


d’un masque de catégorie 2, d’où l’idée d’un masque qui laisserait
transparaître les expressions du visage des visiteurs.

Chapitre rédigé par Jean-Pierre GRANDHAYE et Djémil CHAFAÏ.


118 La conception industrielle de produits 1

En 2001, cette idée est prise en charge par un groupe projet et c’est un
« art thérapeute », travaillant au sein du secteur de transplantation médullaire
de l’hôpital d’enfants du CHU de Nancy, qui a proposé l’idée de ce masque
sourire® pour améliorer la communication dans le cadre de son activité.

Le but initial du projet masque sourire® était de concevoir, industrialiser


et mettre sur le marché un masque ergonomique, permettant de voir les
expressions du visage tout en répondant aux différentes normes
hospitalières.

C’est ce projet masque sourire® qui va nous servir de démonstrateur pour


présenter la démarche du management par la valeur. Il ne s’agit pas pour
nous de proposer un nouveau cours d’analyse de la valeur [GRA 02] mais
bien, après avoir réalisé le cadrage du projet, de mettre en relief le caractère
systémique de la démarche pluridisciplinaire fonctionnelle [GEN 98] de
souligner l’importance des notions de cycle de vie et de coût global et
d’aborder la question des arbitrages au cours des différentes recherches
technico-économiques relatives à un produit innovant qui doit s’adapter à un
contexte complexe [LEM 90] qui évolue.

5.1. Les premières investigations

5.1.1. La démarche préliminaire

Une fois identifiée l’opération, il s’agit d’abord d’en déterminer les


enjeux et d’en examiner la rentabilité et les faisabilités, avant de pouvoir
statuer sur son opportunité. Il s’agit aussi de choisir les acteurs du projet et
de montrer pourquoi la démarche MV (management par la valeur) doit être
retenue.

En introduction, nous avons identifié tout l’intérêt pour l’enfant d’un


masque permettant de visualiser les expressions du visage tout en protégeant
les personnes.

En prenant en compte le développement des activités de ludothérapie


mais aussi l’ensemble des échanges, plus nombreux avec le personnel, nous
observons d’autres attentes chez les adultes à l’hôpital, de la part des
professionnels et des proches.
Expression des besoins du client, étude de cas 119

Port du masque… Service pédiatrique Service adulte

… permanent Cancérologie, hématologie, Hématologie, oncologie, réanimation


oncologie, transplantation médicale, réanimation chirurgicale.
médullaire.

… occasionnel Médecine interne, urgences, Médecine interne, urgences, maladies


néonatalité. respiratoires et pneumologie,
maladies infectieuses et tropicales,
gynécologie obstétrique,
grands brûlés.

Tableau 5.1. Les services hospitaliers potentiellement concernés

La mise sur le marché d’un produit masque sourire® présente également


un intérêt pour d’autres activités nécessitant le port de masque comme, par
exemple, les activités en salles blanches industrielles. Les premières
recherches qui ont eu lieu sur ce sujet, à caractère technique avant tout, se
sont orientées vers l’utilisation de films minces transparents et filtrants. Les
premiers résultats ont fait apparaître :
– une difficulté technique à réaliser de petits trous permettant d’assurer
une filtration conforme aux exigences et normes ;
– un problème de confort et d’ergonomie lors du port d’un tel masque,
avec en particulier un risque de formation de buée ;
– un coût de revient estimé très élevé, avec un matériau actuellement
expérimental et une mise en œuvre à définir.

Devant le peu d’issues techniques et la complexité inattendue du


contexte, il a été jugé souhaitable d’engager une démarche de management
par la valeur (MV) dont l’approche systémique semblait mieux adaptée au
développement d’un produit, le masque sourire®, en complète interaction
avec son environnement technique mais aussi économique et social. Pour
cela, et conformément à la démarche, les différentes parties prenantes du
projet ont tout d’abord été identifiées :
– le milieu hospitalier avec les patients, leur famille et leur entourage, le
ludothérapeute, le personnel de soins, les services économiques des
hôpitaux, les pharmaciens, les médecins hygiénistes, les chefs de service
médecine, etc. ;
120 La conception industrielle de produits 1

– le milieu de l’innovation avec les porteurs du projet, les services de


valorisation et laboratoire l’ERPI-INPL, l’ANVAR, la Fondation des
hôpitaux de Paris, Sparadrap, 100 pour sang la vie, la Ligue contre le cancer,
etc. ;
– les partenaires du milieu industriel, avec le laboratoire Appolor,
l’entreprise Kolmi SA, Paul Hartmann AG, Kimberly Clark, 3M.

5.1.2. L’analyse marketing

Nous nous sommes posé des questions relativement à ces acteurs :


Comment faire jouer à chacun un rôle pertinent ? Comment les faire
interagir efficacement dans et pour le projet masque sourire®? Comment
prendre en compte des demandes qui peuvent être contradictoires ?

En relation avec les données préliminaires du problème, les besoins à


satisfaire, les contraintes importantes, nous avons recherché les éléments
d’information concernant le marché, la concurrence, les lois et règlements.
La recherche d’une cohérence avec la stratégie des organisations concernées
et les nombreux partenaires et parties prenantes nous a conduit à aborder la
dimension marketing de ce projet.

La définition d’objectifs marketings a imposé un positionnement par


rapport à la concurrence en termes de prix, de performances à atteindre et
d’avantages concurrentiel. Le marché potentiel total a, alors, été évalué. Il se
monterait à 2 620 000 masques sourire® par an, si l’on additionne ses
utilisations dans tous les services d'oncologie, hématologie et transplantation
médullaires pédiatriques des CHU de France. Ce périmètre national n’est pas
illusoire, car l’organisation d’achat actuelle des masques est effectivement
centralisée à ce niveau. Nous avons complété cette étude par des objectifs
relatifs à la réduction des coûts, au développement, à la production et à la
sûreté de fonctionnement. L'accès au marché nécessite par ailleurs le
déploiement d’un réseau de distribution national.

Ces informations préliminaires ont permis une première analyse des


risques et opportunités associés au projet et au produit masque sourire®.
Elles ont aussi fourni une première définition du champ et des limites de
l’étude indispensables pour l’élaboration d’un plan d’action s’appuyant
réellement sur la démarche de management par la valeur (figure 5.1).
Expression des besoins du client, étude de cas 121

Figure 5.1. Matrice risques profits

5.2. Etablissement du plan d’action

La démarche de MV (management par la valeur) étant retenue, nous


avons constitué un groupe de travail, nécessaire pour cette démarche
pluridisciplinaire et proposé un planning des réunions de travail avec des
objectifs clairs. De nouveaux questionnements sont apparus :
– qui intégrer dans ce groupe de travail et avec quelle expertise ?
– quelles grandes étapes le groupe doit-il aborder ?
– comment répartir les efforts entre travaux de groupe (lourds et coûteux)
et les contributions individuelles (souples mais limitées et spécialisées) ?

5.2.1. Les participants au projet et la méthode

Plusieurs experts ont été impliqués dans le groupe de travail MV : Un


médecin hospitalier, le ludothérapeute, un cadre infirmier, un médecin
hygiéniste, le porteur du projet, un animateur MV. Des réunions ont été
programmées, 2 à 3 par mois, pour assurer la continuité des actions et des
missions de chacun dans le projet. Pour choisir les membres du groupe de
travail, nous nous sommes appuyés sur une définition de l’expert : c’est celui
qui sait, mais aussi celui qui sait lorsqu’il ne sait plus et qui sait trouver celui
qui sait lorsqu’il ne sait plus. Dans le domaine de la santé, cette définition est
assez facile à mettre en œuvre [GEO 02], en effet il s’agit d’un domaine où
le professionnalisme est grand et où les expertises sont claires.
122 La conception industrielle de produits 1

Figure 5.2. La démarche proposée et les acteurs

Pour ce qui est des étapes, nous nous sommes conformés à la démarche
de MV : l’analyse fonctionnelle et l’analyse économique ont, par exemple,
été préparées par une recherche extensive d’informations, internes et
externes, techniques et économiques, concernant les partenaires, les besoins
du client, le marché, le positionnement du produit et la concurrence. Nous
avons aussi constitué un état de l’art en utilisant toutes les sources
d’informations documentaires : bibliographies, propriété industrielle, lois et
règlements, règles de fonctionnement des organisations, notices, normes.

5.2.2. Les principaux résultats de l’analyse préliminaire

L’analyse préliminaire a permis d’expliciter les caractéristiques suivantes :


– la durée de vie d’un masque est de 3 heures maximum pour un masque
jetable. En cas de réutilisation, une stérilisation à 130°C est de rigueur ;
– l’interdiction ou l’imposition d’un principe de solution : le verre est à
proscrire, car l’usage fréquent et les nombreuses manipulations imposent un
matériau souple et qui ne s’ébrèche pas ;
Expression des besoins du client, étude de cas 123

– des informations sur le marché avec identification des clients directs :


centres hospitaliers (médecins, visiteurs, secteur enfants…), des prévisions
de ventes (de 980 000 unités par an en 2001 pour un seul CHU), des
distributeurs (distributeurs actuels avec des acheteurs) et sur le code des
marchés publics ;
– des standards, normes, brevets, règlements : les masques actuels sont
issus d’un brevet déposé aux Etats-Unis pour la société KC, ils respectent
toutes les normes en vigueur dans le milieu hospitalier français : normes
AFNOR NF S70-001 et NF S70-002 EN 149 (Europe), AORN, MIL
M36954B ;
– des précisions sur l’opération : une validation technologique et
bactériologique sera nécessaire avant toute proposition de date de lancement.
L’espérance de vie devra être au moins égale à celle des masques
traditionnels. Le prix du marché se situe entre 0,07 à 0,64 euros/pièce, les
masques les plus utilisés ayant un prix moyen unitaire de 0,08 euros. Le
conditionnement du produit, qui doit être réalisé par paquets de 50 masques
au minimum, dépendra du type de masque choisi et devra être travaillé en
fonction de la cible client.

5.3. La démarche fonctionnelle

L’objectif est de définir le service que devra rendre le masque en


parcourant les différentes étapes permettant d’identifier et de caractériser les
fonctions. C'est une phase importante et qui interpelle sur le rôle et la
pertinence des experts du groupe de travail que nous aborderons en trois
étapes.

5.3.1. Identifier les fonctions

Nous avons recensé les fonctions avec une démarche systémique qui
consiste, dans un premier temps, à définir le contexte de fonctionnement du
produit masque sourire® pour la partie du cycle de vie envisagé.

Neuf éléments extérieurs ont été identifiés, en relation avec le masque


sourire® qui concernent ses utilisateurs, son utilisation, mais également les
partenaires du projet.
124 La conception industrielle de produits 1

Une fonction est toute action de l'objet d'étude ou de l'un de ses


constituants, exprimée en termes de finalité, qui contribue au but du produit.
Elle s'exprime par un verbe d’action à l'infinitif et des compléments, le sujet
du verbe est toujours l’objet d’étude.

Dans l’approche systémique, les compléments correspondent aux


éléments extérieurs du système mis en interaction.

Cette démarche a conduit à identifier 12 fonctions qui concernent le


produit et le projet masque sourire® (voir figure 5.3).

Chaque association de l'objet d'étude, avec un ou deux des éléments


extérieurs peut évoquer une ou plusieurs fonctions potentielles que le groupe
retiendra si elle contribue effectivement au but. Il s’agit de créer de la valeur
en rendant un service à l’une des parties prenantes pendant l’une des phases
de la vie du produit.

Une fonction retenue implique que l'on s'engage à rechercher des


solutions afférentes, donc à y mettre les moyens financiers nécessaires :

F1 - respecter les normes et satisfaire aux tests,


F2 - éviter, minimiser les réactions à l’environnement,
F3 - s’adapter à la morphologie du visage du porteur,
F4 - prendre en compte la morphologie du visage du porteur,
F5 - respecter le fonctionnement (administratif, économique, etc.) du
milieu hospitalier,
F6 - être accessible par les utilisateurs dans le contexte hospitalier,
F7 - intéresser et séduire les partenaires extérieurs,
F8 - prendre en compte, adapter et faire évoluer les techniques de l’entreprise,
F9 - respecter et valoriser les expressions du visage,
F10 - transmettre les expressions du visage du porteur aux autres,
F11 - être stockable et accessible,
F12 - protéger l’utilisateur et s’adapter à son fonctionnement dans le contexte.
Expression des besoins du client, étude de cas 125

Figure 5.3. Les milieux extérieurs du masque sourire®

5.3.2. Ordonner les fonctions

Avec le groupe de travail, nous structurons les fonctions recensées pour


identifier le sens du produit masque sourire®, sa valeur d’estime. Nous
utilisons un arbre fonctionnel de type FAST (Functional analysis system
technique), organisé selon une logique axiale pourquoi/comment. Les
fonctions du côté « pourquoi » sont considérées comme les plus porteuses de
sens (le besoin), celles du côté « comment » sont plus opérationnelles et liées
à l’action (les solutions). Cette étape peut conduire à concevoir plusieurs
arbres fonctionnels, chaque arbre correspondant à un profil de produit qui
peut être présenté à des acteurs différents.

La construction d'arbres fonctionnels permet de définir et d'affirmer


la représentation consensuelle du groupe sur le sens de l'objet d'étude
[SCH 92]. Elle permet également à l'animateur de s'assurer que le projet
masque sourire® est toujours cohérent avec l'orientation de l'action proposée
par le porteur du projet (continuité entre le pourquoi et le comment).
126 La conception industrielle de produits 1

F 3: S’adapter à
la morphologie
du visage
F10: Transmettre F9: Respecter et
les expressions du valoriser les
F4: Prendre en
visage des expressions du
compte la
utilisateurs visage
morphologie du
visage des
utilisateurs

F12: Protéger F5: Respecter le


l’utilisateur et fonctionnement
s’adapter à son F6 : Être (administratives …) du
F2: Eviter,
fonctionnement accessible par les milieu hospitalier
minimiser les
dans le contexte utilisateurs dans le
réactions à
contexte F11: Être
l’environnement
hospitalier stockable et
accessible

F1: Respecter les


normes et tests
F7: Intéresser et séduire les
partenaires extérieurs F8: Prendre en compte, adapter et
faire évoluer les techniques de
l’entreprise

Figure 5.4. Un arbre fonctionnel du masque sourire®

Pour faciliter la manipulation et l’appropriation des 12 fonctions par les


acteurs du projet, nous avons proposé de travailler avec 4 grands groupes
correspondant à l’arbre fonctionnel :
– G1 (la racine avec la fonction F12) : protection et adaptation à
l’utilisateur,
– G2 (branche 1, fonctions F10, etc.) : transmission des expressions du
visage du porteur,
– G3 (branche 2, fonctions F6, etc.) : disponibilité et conditionnement,
– G4 (branche 3, fonctions F7, etc.) : financement et dynamique du
projet.

5.3.3. Caractériser les fonctions

La caractérisation des fonctions a constitué le cœur du cahier des charges


fonctionnel du masque sourire®. Elle a demandé un travail important
d’expertise de la part des membres du groupe et de l'animateur. Il s’agissait
de définir la valeur d’usage. Concrètement, il faut renseigner le verbe de
chaque fonction avec trois classes d’attributs :
– les critères d’appréciation, qui identifient un paramètre de mesure ou un
indicateur associé au verbe de la fonction ;
Expression des besoins du client, étude de cas 127

– pour chaque critère, un ou plusieurs niveaux de performance qui


correspondent de préférence à des grandeurs mesurables ;
– la flexibilité notée de 0 à 3 indique le caractère impératif (pour 0) ou
négociable (1 à 3), du niveau de performance associé. La flexibilité 1 est
associée à une attente forte pour le projet, celle de 2 à une attente moins
forte, celle de 3 étant une simple indication, le niveau de performance
correspondant ayant généralement été constaté pour une solution existante.

Critère de la fonction Niveau Flexibilité

Directive 93.42/CEE Application à 100% 0

Marquage CE Application à 100% 0

3 heures 0
Efficacité dans le temps
> 3 heures 2

Respect avant-projet pr NF EN 14683 Application à 100% 1

Efficacité de la filtration > 99,5% des particules de 3 à microns 1

Résistance au passage de l’air Delta moyen < 2,2mm H20 0

< 22% 0
Fuites au visage
< 15% 1

< 1,5 ml/min 0


Transpiration
< 0,5 ml/min 2

Tableau 5.2. Eléments de caractérisation de la fonction F1

L’étude de la caractérisation nous a conduits à définir plus de 50 critères


et 150 niveaux associés, ces informations constituent une base de
connaissance relative aux caractéristiques attendues du produit et à son
fonctionnement. Au cœur du cahier des charges fonctionnel, elles vont
guider les concepteurs dans leur recherche d’idées et de voies de solution
pour une réalisation concrète du masque sourire®.
128 La conception industrielle de produits 1

5.4. La recherche d’idées et l’évaluation de solutions nouvelles

5.4.1. Envisager le cycle de vie et le coût global

Le produit masque sourire® est conçu en vue de son utilisation, bien


entendu, mais sa qualification par des tests, son conditionnement, son
stockage, son transport, sa destruction en fin de vie génèrent des besoins
spécifiques qui doivent être pris en compte dès la conception. Pour le
« masque sourire », les tests cliniques, la mise à disposition des masques, la
collecte des masques usagés (avec deux matériaux différents) et leur
recyclage ont été envisagés.

Appel d’offre Pharmacie

Transport Stockage à
Approvisionnement
l ’hôpital

Tests Distribution dans


Vente / les services
Distribution
Conditionnement Stockage sur lieux
d ’utilisation
Transport
Stockage sur lieux
de pro duction
Utilisation

Collecte

Traitement
Recyclage Destruction

Figure 5.5. Cycle de vie du masque sourire®

Ainsi, au-delà du coût de production, de nombreuses dépenses sont apparues


tout au long du cycle de vie du produit, qu’il a fallu étudier, et maîtriser.

En particulier, l’étude de l’intégration de la fabrication du masque sourire®


sur une ligne de production réalisant des masques classiques a fait l’objet d’un
cahier des charges spécifique. Effectué par un constructeur, le chiffrage de son
intégration à la ligne de production a été envisagé avec les risques afférents,
comme ceux pouvant conduire à des perturbations de la production principale.
Expression des besoins du client, étude de cas 129

5.4.2. Le prototype pour la matérialisation d’une proposition

Il s'agit d'une étape parfois assez longue qui monopolise d'autres


expertises avec d’autres compétences que celles des membres du groupe de
travail. Nous avons fait appel à un ergonome, un designer mais également
aux experts du groupe de travail pour étudier la faisabilité des éléments de
solution imaginés. L'arbre fonctionnel et la caractérisation des fonctions ont
constitué les principaux supports de travail et la caractérisation avec ses
flexibilités a permis d’identifier le niveau de performance juste nécessaire. Il
s’agissait d’arriver à un niveau de définition des solutions qui permette une
évaluation des coûts relativement précise. Il était également important d’être
capable de définir un prototype esthétique et fonctionnel, voire de réaliser
une déclinaison sur un prototype industrialisable.

Figure 5.6. Prototype esthétique et fonctionnel du masque sourire®

5.4.3. L’évaluation des propositions de solution

Cette phase concerne les études, les essais et le développement industriel


avec le suivi des actions. Elle doit produire une évaluation des performances
et des coûts des solutions ou éléments de solution retenus, et de situer le
niveau des risques.
130 La conception industrielle de produits 1

Avec le partenaire industriel, nous avons étudié et réalisé les tests


permettant la validation de la faisabilité industrielle du masque sourire®.
Après validation des tests biologiques [GEO 02], cette approche a permis de
cerner un coût de production, élément indispensable pour la détermination
du coût global.

Ensuite, sur la base du cahier des charges fonctionnel, nous avons élaboré
une grille d’évaluation afin de conduire des tests cliniques, impératifs pour
une utilisation en milieu hospitalier. Ceci a concerné l’utilisation et
l’acceptabilité du masque sourire® par les utilisateurs (personnel, parents et
proches) dans les services. Un protocole d’enquête a permis d’effectuer des
tests en utilisant les 1000 masque sourire® fournis par l’industriel partenaire.

Fonction Poids Critères Référentiel Barème de Note à Poids Note


principale d’appréciation notation donner pondérée

Efficacité de la
filtration EN149:2001 :
20 100
bactérienne EFB>99%
(EFB) in vitro

Efficacité Elimination
de la filtration EN149:2001 : en deçà
Assurer 20 100
particulaire EFP>99% de la norme,
l’efficacité
(EFP) in vitro sinon
du masque
échelle
de
Pénétration de notation
protection EN149:2001 : pour
respiratoire 20 à l’huile 100
<20% appréciation
FFP1 et au NaCl
de la
EN149:2001 : performance
20 Fuites faciales 100
<22%

Perméabilité EN149:2001 :
20 à l’air <2,1 mBars 100
et respirabilité H20/cm2

Tableau 5.3. Elément de la grille de tests du masque sourire®


Expression des besoins du client, étude de cas 131

5.5. Le projet avec ses impulsions et perturbations

5.5.1. La planification avec ses contraintes et opportunités

Le projet masque sourire® dans sa conception et son pilotage a vu surgir


de nombreuses contraintes nouvelles, mais il a également vu apparaître des
opportunités intéressantes [GRA 00]. La première qualité d’un cahier des
charges fonctionnel est bien de s’adapter de façon pertinente aux événements
[EZZ 03] qui jalonnent le cours des projets. Cette agilité s’impose dans les
environnements perturbés de projets où l’innovation est synonyme de
risques.

Dans le projet masque sourire®, ces événements perturbateurs ont été


l’apparition de nouveaux soutiens associatifs, la détection de nouvelles
attentes des services hospitaliers, mais aussi l’irruption de la crise du SRAS
et de la grippe aviaire (qui a ouvert de nouvelles perspectives d’utilisation) et
enfin le regroupement des appels d'offre pour les CHU.

Ces différentes contraintes ont été abordées avec un cahier des charges
qui intègre les différentes modifications de l’environnement et qui permet
également de faire évoluer les fonctions et leurs critères.

De nouveaux soutiens
associatifs Des appels d'offre
Taches Octobre Novembre

Analyse acteurs
1 2 3 4 1 groupés
2 pour
3 les CHU
4

Prise en main projet


Lecture biblio docs
Analyse du besoin
Déplacement à Epinal
RDV Baratte
Stand by Appel d'offre
Appel Kolmi
De nouvelles propositions
Rencontre Dietchy
Chgt appel d'offre
Recencement acteurs
industrielles
Preparation lettres pub
Traduction des lettres
Info Madagascar
Etudes partielles
Vacances
Préparation & Réalisation des tests Le SRAS
Analyse des tests
Préparation & Campagne de communication
Appel d'offre Masque Sourire la grippe aviaire
Dépôt du nom
Visite Kolmi
De nouvelles attentes
des services hospitaliers

Figure 5.7. La planification avec ses contraintes et opportunités


132 La conception industrielle de produits 1

Ainsi, l’existence d’un cahier des charges clair et évolutif, d’un sens pour
le projet défini et accepté par tous, d’un arbre fonctionnel offrant la
possibilité de positionner judicieusement les interventions au bon niveau ont
permis de mener à bien ce projet techniquement simple mais
particulièrement complexe dans sa mise en œuvre.

5.5.2. Les stratégies d’acteurs et les flux

Au-delà des problèmes techniques, l’identification des différentes


stratégies d’acteurs a constitué un objectif déterminant pour la réussite d’un
tel projet [GOD 97]. L’analyse stratégique des acteurs permet de déterminer
le niveau de motricité et de dépendance des acteurs sur les décisions
concernant le projet.

Cette analyse donne une cartographie des influences des acteurs, elle
permet d’analyser et de comprendre les flux d’informations, de décisions et
la valeur ajoutée sur le produit aux différentes phases du projet masque
sourire®. Cette analyse a été réalisée par les porteurs de projet, elle nous a
servi pour la préparation de la diffusion des appels d’offres et pour les
campagnes de communication au niveau de la presse grand public et
professionnelle.

7 Associations

Producteurs 8
Praticiens,
visiteurs
12 11
9 10
1 2
5 6
Médias

CHU / CHR / 13
3 Cliniques
Distributeurs
4
Prescripteurs

Figure 5.8. Les flux dans les stratégies d’acteurs


Expression des besoins du client, étude de cas 133

Le pilotage de ce projet analyse du besoin masque sourire® avec le


management par la valeur montre la nécessité d’utiliser une démarche qui
prenne en compte, d’une part la complexité de l’environnement du produit et
d’autre part les évolutions et la dynamique de cet environnement. Nous
avons montré l’importance de la prise en compte des attentes des nombreux
acteurs du projet relativement à un produit techniquement simple.

En conclusion : l’analyse fonctionnelle, outil de base du management par


la valeur permet d’identifier le fonctionnement du masque sourire® dans un
environnement évolutif en définissant clairement les performances attendues
par les différents partenaires et parties prenantes. L’analyse des coûts n’a pas
été développée dans cette étude. Nous l’avons abordée car elle constitue un
élément incontournable d’un produit de très grande diffusion comme le
masque sourire®. La notion de coût global, incluant tout le cycle de vie du
produit, doit être associée au coût objectif qui détermine la barre à ne pas
franchir pour être présent lors des réponses à appel d’offres.
CHAPITRE 6

Structuration des moyens du projet

6.1. Introduction

Le chapitre précédent a permis de montrer comment expliciter en termes


d’objectifs quantifiés les besoins du client à qui le projet est destiné. Une
autre dimension du projet importe, qui concerne l’organisation des activités
et des ressources nécessaires pour atteindre les objectifs du produit. Aussi,
dans ce chapitre, nous allons établir le plus finement possible les prévisions
du projet en définissant le « pavé » qualité-coûts-délais que nous prévoyons
de respecter (figure 6.1). Le chapitre 7, consacré au pilotage de projet,
montrera comment éviter une mauvaise réalisation caractérisée par une
dérive des délais et des coûts et un non respect des objectifs fixés
initialement (qualité).

qualité

Prévision
Mauvaise
réalisation

coûts délais

Figure 6.1. Périmètre prévisionnel du projet et exemple de mauvaise réalisation

Chapitre rédigé par Christophe MERLO et Michel BIGAND.


136 La conception industrielle de produits 1

6.2. Les acteurs du projet

Tout projet est réalisé pour un client final qui exploitera le produit du
projet ; on l’appelle « maître d’ouvrage » (figure 6.2). Le responsable du
projet est le « maître d’œuvre » (on l’appelle aussi « directeur de projet » ou
« chef de projet »). Une relation client-fournisseur s’instaure entre ces deux
acteurs. Le maître d’œuvre coordonne, éventuellement avec l’aide d’un
bureau conseil, les activités des différents responsables de lot. On trouvera
par exemple dans un projet de construction de maison les lots gros œuvre,
charpente, couverture…

maître d'ouvrage

maître d'œuvre

bureau domaine
conseil du projet

responsable responsable responsable …


lot lot lot

Figure 6.2. Acteurs directs d’un projet

Il ne faut pas oublier les acteurs indirects qui peuvent contribuer au


succès du projet ou conduire à son échec. « Tout entrepreneur doit faire face
à ceux qui veulent faire comme lui, à ceux qui veulent faire exactement le
contraire, et l’immense majorité de ceux qui ne veulent rien faire » disait en
substance Pierre Dac.

Il est indispensable, dès le démarrage du projet, d’identifier les risques


liés aux acteurs :
– qui sont-ils ?
– quelle est leur opinion (leurs ambitions) sur le projet ?
– quelle influence peuvent-ils avoir ?
– comment désamorcer les éventuels blocages ?
Structuration des moyens du projet 137

6.3. Structurer les tâches

Le chef de projet doit établir la liste des tâches à réaliser pour atteindre le
résultat escompté. C’est un travail difficile, et rares sont les projets dont les
tâches sont définies exhaustivement au départ ; le chef de projet devra donc
veiller à actualiser cette liste en permanence.

Il est conseillé de procéder en définissant préalablement les « livrables »


(les éléments concrets à produire pour mener à bien le projet). Ainsi, un
projet de banc d’essais de freins à disque comporte comme livrables le banc
d’essais lui-même, mais aussi le guide de maintenance, les supports de
formation des utilisateurs et des livrables intermédiaires tels que le plan
d’ensemble, les plans de détail, les notes de calcul, etc.

Les tâches se regroupent en lots pouvant être eux-mêmes regroupés ;


nous obtenons la décomposition arborescente des tâches ou WBS (work
breakdown structure) du projet. Chaque nœud du WBS est numéroté (voir
figure 6.3). Si plusieurs projets analogues sont développés par l’entreprise,
cette arborescence peut être capitalisée en vue d’une réutilisation ultérieure ;
c’est un moyen de ne rien oublier d’essentiel.

Cette représentation permet une lecture avec différents niveaux de détails.


Au niveau le plus bas on trouve des tâches comme la réception d’un livrable
par le client, la réalisation d’un programme informatique, etc. On trouvera
dans la WBS à la fois les composants physiques du projet, mais également
les activités liées aux assemblages, aux tests, à la mise en place de moyens
spécifiques au projet (débarras d’une surface pour accueillir le prototype) et
les activités support (plan assurance qualité, gestion des ressources, etc.).

Projet

Lot 1 Lot 2

Lot 1.1 Lot 1.2

Tâche 1.2.1 Tâche 1.2.2

Figure 6.3. Décomposition arborescente des tâches d’un projet ; les nœuds sont numérotés
138 La conception industrielle de produits 1

6.4. Evaluer les tâches

Il est nécessaire de quantifier les ressources à fournir pour réaliser


chacune des tâches. Cela passe par la caractérisation du profil requis (niveau
de qualification) et de la quantité de temps (charge) à passer : le nombre de
jour-homme (jh). Un jour-homme est la quantité de travail fournie par une
personne dans des conditions normales pendant un jour ouvré ; en première
approximation, 1 mois-homme (mh) = 20 jh et 1 année-homme (ah) = 10 mh
= 200 jh. Notons qu’il y a une corrélation entre la charge d’une tâche et son
coût.

La façon d’évaluer la charge de travail dépend du domaine d’activité


(informatique, mécanique, marketing, etc.), chaque profession s’est dotée de
méthodes d’estimation qui lui sont spécifiques. Généralement, ces méthodes
dépendent de la phase dans laquelle l’on se trouve. Lors des études
préliminaires, on connaît la structure hiérarchisée des fonctions et une
méthode analogique permet d’obtenir un ordre de grandeur des coûts. Dans
la phase de conception-développement, on connaît la structure du produit, et
l’estimation peut s’effectuer par une méthode paramétrique. Enfin, dans la
phase de production, on connaît précisément les postes de travail et une
méthode analytique permet de connaître les coûts de manière détaillée.

Quelques conseils peuvent être donnés à ce stade. Tout d’abord, les


estimations doivent intervenir dès les toutes premières étapes du projet ;
même si la précision en est faible, l’estimation est nécessaire9, et il est
conseillé de bien formaliser les hypothèses (celles-ci s’avèreront souvent
imparfaites et conduiront à réévaluer la charge). Ensuite, il faut se souvenir
que la qualité de l’estimation s’améliore au cours du projet car l’incertitude
se réduit, et que la réévaluation des charges en cours de projet est souvent
nécessaire. Les entreprises ont tout intérêt à mettre en place un système de
capitalisation des estimations leur permettant d’en améliorer la précision au
fil de l’expérience acquise sur les projets. L’enjeu est de taille : une
surestimation conduit soit au gaspillage (projet interne) soit à la perte du
projet au profit d’un concurrent (cas de la réponse à un appel d’offres) ; la
sous-estimation a, quant à elle, des conséquences catastrophiques que nous
évoquerons plus loin.

9. Les premières estimations contribuent largement au cadrage initial du projet ; elles


permettent notamment d’évaluer le retour sur investissement (temps nécessaire pour que les
rentrées d’argent dues au projet compensent l’investissement pour réaliser le projet).
Structuration des moyens du projet 139

Il y a lieu de prendre en compte, dans un tel système, la tendance


naturelle à la sous-estimation systématique. L’évaluation des charges est
souvent confiée à un collaborateur expérimenté. S’il estime qu’il lui faudra
70 jh pour réaliser un ensemble de tâches, il lui en faudra souvent 80 en
réalité ; mais les personnes qui auront à effectuer ces tâches en mettront 100,
car elles sont moins expérimentées. Pour peu qu’un commercial ait négocié
le contrat sur la base de 50 jh pour gagner le marché, nous pouvons mesurer
la catastrophe qui s’annonce. Pour éviter ce genre d’erreur (très fréquente), il
y lieu de formaliser les critères et bases d’estimations partagés dans
l’entreprise, de recourir à la double estimation sans concertation avec une
méthode de Delphes pour la recherche d’un consensus.

Dernier conseil : confiez à vos collaborateurs des tâches d’au plus 5 jh,
ou définissez des jalons intermédiaires, cela vous évitera bien des
désillusions (à la fin de la semaine, la tâche sera finie ou non ; si vous
donnez une tâche de 40 jh, vous pouvez découvrir deux mois plus tard que
seulement 30 % du travail est réalisé, et il sera un peu tard pour réagir !).

6.5. Ordonnancer les tâches

Naturellement, toutes les tâches ne vont pas s’effectuer séquentiellement


les unes après les autres : la plupart du temps il est possible d’effectuer des
tâches simultanément. Cela suppose de disposer au bon moment des
ressources utiles.

Pour recenser les ressources, on peut retenir l’expression 4M+I, pour :


– moyens humains (men),
– moyens financiers (money),
– moyens de production (machines),
– matériels (material),
– information (information).

Certaines contraintes seront à prendre en compte : contraintes


cumulatives (pour des ressources non stockables) ou disjonctives (pour des
tâches ne pouvant se dérouler simultanément) ou encore des contraintes
temporelles d’antériorité (fin / début (une tâche ne peut commencer que
lorsqu’une autre est finie), début / début, fin / fin ou début / fin) ou de
localisation temporelle (début ou fin dépendant d’une date imposée).
140 La conception industrielle de produits 1

Nous nous limitons ici à des contraintes temporelles de type fin / début, et
considérons, a priori, que nous disposons des ressources nécessaires.

Les questions auxquelles nous cherchons à répondre sont les suivantes :


– quelle est la durée minimale du projet ? Cette information est pertinente, ne
serait-ce que pour vérifier si le délai fixé initialement est réaliste. De plus, il
est souvent préférable de réduire le plus possible la durée du projet,
notamment pour ne pas mobiliser les ressources plus que nécessaire (utiliser
un échafaudage deux semaines de plus, par exemple, génère un coût
supplémentaire, imputé au projet) ;
– quand les tâches doivent-elles démarrer au plus tôt et au plus tard ?
Connaître la date de démarrage au plus tôt nous évitera de mobiliser (et donc
payer) une ressource avant de pouvoir l’utiliser ; la date au plus tard est celle
au delà de laquelle la date de fin du projet serait retardée.

La première étape consiste à reporter dans un tableau la liste des tâches,


leur durée, et les éventuelles contraintes d’antériorité entre tâches ; dans
l’exemple (tableau 6.4), la tâche C ne peut commencer que lorsque les tâches
A et B sont finies, alors que la tâche A peut commencer n’importe quand.

Tâche Durée Antériorités

A 4 /

B 8 /

C 3 A, B

D 5 A

E 2 A

F 1 C, D

Tableau 6.1. Exemple de liste de tâches avec leur durée et les contraintes de précédence

A partir de ce tableau, il est possible de construire le réseau Pert (plus


précisément, le graphe potentiel/tâche, voir figure 6.4) dans lequel les nœuds
représentent les tâches et les arcs les contraintes de précédence sur lesquels
la durée des tâches a été reportée.
Structuration des moyens du projet 141

Deux tâches fictives de durée nulle ont été ajoutées en figure 6.4 pour
représenter le top départ α et le point d’arrivée β.

Figure 6.4. Réseau Pert réalisé à partir du tableau précédent

Nous pouvons calculer pour chaque tâche la date de démarrage au plus


tôt, c'est-à-dire la date avant laquelle la tâche ne peut pas démarrer (voir
figure 6.5) ; cette date est obtenue en parcourant le Pert d’amont en aval par
l’équation [6.1] :

tj = MAX (ti + dij) quel que soit i avant j. . . [6.1]

Nous obtenons ainsi la date de fin au plus tôt du projet.

Nous pouvons maintenant calculer la date de démarrage au plus tard de


chaque tâche, c'est-à-dire la date avant laquelle la tâche doit démarrer pour
ne pas retarder le projet ; cette date est obtenue en parcourant le Pert d’aval
en amont par l’équation [6.2] :

Ti = min (Tj - dij) quel que soit j après i [6.2]


142 La conception industrielle de produits 1

Figure 6.5. Calcul des dates de démarrage au plus tôt et au plus tard

Dans notre exemple, nous obtenons les dates mentionnées figure 6.6.

Figure 6.6. Réseau Pert avec dates de démarrage au plus tôt et au plus tard

Nous pouvons constater, sur cet exemple, que certaines tâches disposent
d’une marge ; ainsi, la tâche E peut démarrer indifféremment entre les dates
4 et 10 ; nous verrons que cette marge de manœuvre pourra être utilisée pour
optimiser un second critère (le premier étant la recherche d’une durée
minimale pour le projet).

D’autres tâches ne disposent pas de marge : c’est le cas des tâches B, C et F ;


on les appelle « tâches critiques », et elles sont reliées par le chemin critique.
Tout retard sur l’une de ces tâches provoque un retard du projet.
Structuration des moyens du projet 143

Pour résumer, le réseau Pert nous fournit les dates de démarrage au plus
tôt, la durée du projet, les dates de démarrage au plus tard, les marges, le
chemin critique.

D’autres réseaux Pert peuvent être établis en tenant compte des


incertitudes sur les durées des tâches, ou pour ne pas dépasser un coût fixé,
ou encore pour établir un planning en tenant compte des disponibilités des
ressources.

6.6. Représenter graphiquement les tâches

En partant du Pert, il est possible de représenter graphiquement les tâches


sur un axe du temps horizontal orienté de gauche à droite (figure 6.7) ; on
obtient un diagramme de Gantt.

A
B
C
D
E
F

0 5 10 12

Figure 6.7. Première version du diagramme de Gant

Il est à noter toutefois que nous avons fait ici le choix de démarrer les
tâches dès que possible, ce qui ne correspond pas forcément à la solution
optimale. Nous aurions pu procéder autrement (figure 6.8) et utiliser les
marges (en pointillés) pour décaler certaines tâches.

Les tâches B, C et F étant critiques, elles ne peuvent pas être décalées. A


peut être décalée, mais entraîne du fait des contraintes de précédence les
tâches D et E vers la droite ; la tâche D devient critique si A est décalée de 2
unités de temps.
144 La conception industrielle de produits 1

Figure 6.8. Diagramme de Gantt avec les marges disponibles

L’intérêt de jouer sur les marges et de décaler les tâches est d’éviter une
forte mobilisation des ressources, notamment humaines, en début de projet
qu’il faudrait libérer ensuite. Nous verrons à la section 7.4 que l’idéal est de
constituer une équipe stable pour toute la durée du projet.

Même s’il est rarement possible d’avoir une charge constante tout le long
du projet, nous pouvons nous en rapprocher en « lissant » les charges ;
différents algorithmes permettent de réaliser ce lissage de charges et sont
proposés dans la plupart des logiciels de planification.

6.7. Notion de délai optimal

Il est fréquent de penser que l’on peut gagner du temps en affectant


davantage de ressources sur une tâche.

Nous verrons au paragraphe 7.4 le danger d’un tel raisonnement, mais


nous pouvons déjà souligner que le temps de réalisation est la somme du
temps de production (qui varie en 1/N, N étant le nombre de ressources
affectées) et du temps de communication (Tc varie en N). La courbe
résultante (temps de réalisation Tr) présente un minimum qui correspond à
l’effectif optimal (figure 6.9).
Structuration des moyens du projet 145

Tr
( te mps de
r ÿ alisat ion) Tc (te mps de
commun icat ion)

Tr min
Tp ( te mps de p rod uctio n)

N (ef fe ct if)
N opti mal

Tr = Tp + Tc
Figure 6.9. Temps de réalisation d’une tâche en fonction du nombre de ressources affectées

Il n’y a pas de règle générale pour déterminer l’effectif optimal : tout


dépend de la nature des tâches. Toutefois, il est clair que pour diviser le
travail, encore faut-il que la tâche s’y prête. On ne peut pas demander, par
exemple, à 500 analyste-programmeurs d’écrire chacun une instruction d’un
programme de 500 lignes ; dans ce cas, l’écriture du programme n’est pas
divisible et une seule personne doit s’en charger.

Par ailleurs, les tâches sont toujours plus ou moins interdépendantes, et le


temps de communication pourra vite devenir considérable si elles sont très
liées.

Enfin, soulignons que tout ce qui a été présenté ici ne concerne que
l’aspect prévisionnel ; quelle que soit la qualité de l’estimation, d’autres
facteurs seront à prendre en compte lors de la réalisation effective.

Pour n’en retenir qu’un, mentionnons l’inexpérience des réalisateurs qui


mettront davantage de temps que prévu pour effectuer une tâche. Quel sens a
alors un planning qui n’en tient pas compte ? Il est préférable dans ce cas de
faire un planning en phase avec la réalité, afin d’une part de ne pas donner
au collaborateur des objectifs irréalistes qui le placeraient d’emblée en
situation d’échec, et d’autre part de ne pas annoncer au client des délais
fantaisistes. Le surcoût dû au manque d’expérience pourra de plus être
évalué.
146 La conception industrielle de produits 1

6.8. Quelques erreurs classiques

En gestion de projet, l’expérience est un facteur essentiel qui permet de


maîtriser les différents concepts qui entrent en interaction. De ce fait la
formation et l’apprentissage sont des phases importantes pour un jeune
« chef de projet » ou « responsable de tâches ou de sous-projet ». Ainsi
plusieurs erreurs fréquentes sont identifiables lors de projets confiés à des
chefs de projets peu expérimentés.

La confusion entre certains concepts est une réalité récurrente à plusieurs


niveaux. Par exemple la distinction entre le rôle tenu par un acteur du projet
et les responsabilités qui lui sont confiées ne sont pas toujours perçues, ce
qui peut amener soit à se focaliser sur des tâches techniques et ignorer
certains choix ou décisions, soit à oublier le travail technique au profit des
prises de décision. Ces dérives amènent en général à perdre du temps dans le
projet, respectivement, soit par excès de détails techniques qui génèrent du
retard, soit par manque d’éléments techniques qui ne permettent pas de
finaliser la phase de conception et donc les phases suivantes du projet. Autre
confusion courante, les acteurs confondent le concept de tâches et de
livrables : combien de tâches sont identifiées comme « rédaction du cahier
des charges » ou de tout autre document ! Il est certain que rédiger un cahier
des charges prend un temps non négligeable lors de la planification et de la
mise en œuvre de cette planification. Toutefois entre la réunion de travail
avec le client pour valider ses besoins et la rédaction proprement dite du
cahier des charges, il existe d’autres tâches techniques d’analyse, de
réflexion, d’application de méthodes spécifiques à certains métiers, etc.,
tâches individuelles ou collectives, qui participent à la génération des
informations qui seront ensuite formalisées dans un cahier des charges. Et
bien souvent ces tâches ne sont pas identifiées lors de la planification. Si
elles sont identifiées, le cahier des charges est alors intégré comme un jalon
qui vient achever et valider une séquence de tâches, et le temps de rédaction
est absorbé dans la charge estimée de ces tâches en vue de préparer ce jalon.
Au-delà des confusions, les chefs de projet peu expérimentés ont également
des difficultés à déterminer jusqu’où décomposer les projets en sous-projets,
puis tâches et sous-tâches. Malheureusement la réponse n’est pas triviale.

Il est conseillé de s’appuyer sur la notion de « périodicité » du suivi et du


contrôle qu’il a convenu d’appliquer au projet, ainsi que sur la « quantité de
ressources » d’une tâche. S’il prévoit de contrôler l’avancement de son
planning toutes les semaines, il est raisonnable alors d’avoir défini des
Structuration des moyens du projet 147

tâches d’une échelle de temps équivalente, à savoir d’une journée à quelques


semaines. De la même façon, il est préconisé à un chef de projet débutant
d’essayer de définir des tâches qui puissent être attribuées à une seule
personne pour mieux en contrôler l’avancement et le résultat. A l’inverse
une tâche affectée à plusieurs acteurs représente une difficulté plus
importante pour analyser l’origine des dérives éventuelles (effets de report
des responsabilités, effets induits par les échanges d’informations non
formalisés, interprétations divergentes, jeux de pouvoir, etc.). Toutefois
certaines tâches ne peuvent être effectuées que collectivement (une séance
de créativité par exemple) ; il est alors possible de prévoir des garde-fous tels
que l’application de méthodes de travail spécifiques, des comptes-rendus
intermédiaires… Dans cette logique, il faut alors essayer de décomposer les
tâches jusqu’à ce que l’on puisse les affecter à une personne, sauf à vouloir
créer une situation collective voulue et maîtrisée.

Enfin, un aspect essentiel pour les chefs de projets débutants concerne la


mise en relation de la logique « qualité » et de la démarche de gestion de
projet. La qualité est souvent vue au départ comme un travail de type
« administratif » qui vient ajouter du travail et rigidifier certains processus
élémentaires, au lieu de s’intégrer de façon souple dans les actions que doit
mener un chef de projet. Le plan d’assurance qualité rédigé au démarrage du
projet doit être un véritable outil dans le pilotage du projet.

6.9. Cycle de vie et structuration du projet

Les interactions entre les différents aspects de la qualité et la gestion de


projet sont pourtant nombreuses. Il est intéressant de les étudier pour rendre
plus dynamiques et plus efficaces les actions de gestion de projet.
Généralement, trois aspects sont plus particulièrement étudiés : la maîtrise
du processus projet, la qualité du produit et la normalisation partagée. Nous
abordons tout d’abord la maîtrise du processus projet ; les deux derniers
aspects seront vus à la section 6.9.

En ce qui concerne la maîtrise du processus projet, le concept de « cycle


de vie » est fondamental ; il s’agit non pas du cycle de vie du produit, mais
du cycle de vie du projet de développement d’un produit. L’utilisation de ce
concept va permettre à un chef de projet peu expérimenté de mieux
appréhender et maîtriser son processus projet, au moins à un niveau macro.
148 La conception industrielle de produits 1

Figure 6.10. Relations entre cycle de vie projet et structuration du projet

En effet, tout cycle de vie (cycle en V, en W, en Y, en spirale, pour


prototypage, pour la gestion des modifications, etc.) propose de décomposer
le développement d’un produit en phases successives, chacune ayant un
objectif, des jalons et des livrables prédéfinis. Le problème du chef de projet
n’est plus alors de savoir décomposer son projet en sous-projet ou phases
mais d’identifier le cycle de vie le plus pertinent pour en récupérer les
différentes phases, jalons et livrables. Pour cela il a besoin de comparer les
caractéristiques de son projet avec les modalités d’application des différents
cycles de vie connus. Par caractéristiques d’un projet nous pouvons citer par
exemple : la nature du projet , par exemple la conception d’un nouveau
produit (cycle en V) ou re-conception d’un produit existant (cycle de
modification) ; la finalité du produit, par exemple prototype unique (cycle
prototypage) ou production en série (cycle en V) ; délais courts (cycle sans
itérations) ou longs (cycles avec itérations), etc.

Dans un second temps, le chef de projet va donc revenir à une démarche


de décomposition qui consistera à valider et/ou adapter les éléments utiles du
cycle de vie puis à décomposer chaque phase en sous-phases et en tâches.
C’est là qu’il lui est proposé aussi de s’appuyer sur la décomposition
« organique » du produit ou sur l’architecture prévue du logiciel, pour définir
des sous-phases tenant compte de cette décomposition. Par exemple, la
phase conception d’un produit mécatronique peut se décomposer en une
sous-phase de conception de la partie mécanique, une sous-phase pour la
partie électronique en parallèle et une sous-phase d’intégration en partie
postérieure.
Structuration des moyens du projet 149

6.10. Une démarche pédagogique de structuration des moyens du projet

Après plusieurs années de projets de conception menés par différents


groupes d’étudiants, l’expérience nous a amené à formaliser une démarche
pédagogique destinée à les aider à catégoriser et ordonner les différents
points évoqués dans ce chapitre pour structurer les moyens du projet. De
cette intégration entre une approche qualité et une approche de gestion de
projet traditionnelle nous avons retenu les notions de cycle de vie du projet
vus précédemment et dans l’introduction de ce chapitre. Puis nous intégrons
les aspects liés aux facteurs qualité du produit et à la normalisation partagée
afin d’identifier progressivement les différents moyens évoqués dans ce
chapitre : les tâches, les ressources, les délais, etc. A titre pédagogique, une
démarche en quatre étapes est proposée aux chefs de projet peu expérimentés
(figure 6.11). Bien entendu, avec l’expérience, il paraît naturel qu’ils
acquièrent leurs propres réflexes et référentiels.

La première étape concerne la structuration du projet et reprend cette


identification d’un cycle de vie ad hoc et son adaptation au contexte
particulier du projet considéré. Les résultats de cette phase sont donc
l’identification des macro-phases du projet, des jalons de contrôle internes et
externes associés à ces macro-phases, et enfin aux livrables qui seront
associés.

La seconde étape porte sur l’identification des facteurs de qualité du


produit. L’objectif est ici de prendre en compte les spécificités du produit à
développer pour ensuite en évaluer l’impact sur l’identification de problèmes
techniques à résoudre puis des tâches à effectuer. Un parallèle est effectué
avec la caractérisation des fonctions que doit remplir le produit, et qui est
souvent réalisé dans les premières phases d’analyse d’un projet.

Ce travail de caractérisation permet souvent d’identifier les facteurs


importants sur lesquels le produit sera évalué par le client, et donc de
spécifier les critères de mesure de ces facteurs. Ces éléments permettront de
déterminer à quel moment du projet les critères pourront être mesurés, avec
quels moyens, et donc par quelles tâches, et cela pas toujours dans la phase
de tests / expérimentation. Par ailleurs, ce travail peut servir de base pour
constituer les éléments pertinents de la recette finale.
150 La conception industrielle de produits 1

Phases,
Cycle jalons ,
de vie Structurer le livrables Facteurs de qualité ,
projet critères de mesure ,
C aractériser programme de tests Problèmes logistiques ou
l'évaluation du formation , disponibilités ,
projet organisation , modalités
Déterminer les de suivi et de contrôle
C aractéristiques
ressources Plan
du produit
critiques d’action
Ressources du détaillé
Planifier
projet

Figure 6.11. Démarche de planification détaillée à partir d’un cycle de vie projet

La troisième étape cherche à identifier les éléments critiques relatifs aux


moyens du projet. Cette étape a également un impact sur l’identification des
tâches à mener car se poseront ainsi les problèmes de logistique (acquisition
de certaines ressources matérielles nécessaires au projet ou au produit), de
formation (savoirs et savoir-faire des acteurs pour répondre aux problèmes
techniques pressentis), de disponibilité des ressources, d’organisation des
équipes, des modalités de suivi et de contrôle du projet, etc.

Enfin la quatrième et dernière étape aboutit à la formalisation de la


planification détaillée du projet, qui intègre les différents aspects précédents.
Au sein de chaque macro-phase du projet sont introduits les éléments
techniques issus du produit et de ses facteurs de qualité, les éléments
critiques liés aux problèmes techniques ou aux ressources considérées, ce qui
permet d’aboutir à la définition des sous-phases du projet et des tâches
qu’elles contiennent, des jalons et des livrables associés. Ces livrables
prennent bien entendu en compte les contraintes dues à la normalisation
qualité partagée par l’équipe projet. Cette étape s’achève par l’estimation des
charges et de la prise en compte du calendrier pour aboutir au planning
complet.

6.11. Conclusion

L’identification des ressources du projet et leur mise en œuvre est une


étape essentielle pour le chef de projet. Souvent, il n’existe pas de méthode
générique et définitive qui permette de déterminer, à coup sûr, quelles sont
les ressources physiques, humaines et informationnelles qui permettront au
chef de projet de garantir, dans le budget et les délais requis, la satisfaction
des besoins du client.
Structuration des moyens du projet 151

Des éléments théoriques, principes, méthodes, préconisations, existent


pourtant et le chef de projet doit faire appel à de multiples disciplines pour
tenir compte des aspects techniques, métiers, organisationnels, humains,
psychologiques, sociologiques, méthodologiques, informatiques, etc.

Au final c’est surtout l’expérience qu’il va capitaliser au long des projets


qui lui permettra de « ressentir » les caractéristiques d’un projet ou
l’orientation impulsée par une situation. En termes d’enseignement, il est
aussi important de donner de bonnes bases méthodologiques que de
transmettre des « recettes de grand-mère » via des approches par la pratique.
CHAPITRE 7

Pilotage de projet

7.1. Importance du pilotage en phase de réalisation

La phase de réalisation concentre une part importante des risques du


projet. En effet, c’est là qu’est mobilisé l’essentiel des ressources et une
mauvaise décision, ou simplement l’absence de décision, peut avoir des
conséquences importantes.

Avant tout, il est nécessaire d’avoir effectué avec soin le montage du


projet, c'est-à-dire d’avoir établi des prévisions en termes de planning et
budget prévisionnels, et d’avoir défini les objectifs en spécifiant le niveau de
performance requis pour les livrables. Ceci a été abordé dans le chapitre
précédent, mais il est utile de rappeler que l’on ne peut piloter
convenablement un projet sans prévisions correctement établies.

Toutefois, malgré tout le soin que l’on apporte au montage du projet, ce


dernier est dynamique par nature et des événements imprévus vont
fatalement apparaître. Un projet étant orienté vers le futur, il est impossible
d’en maîtriser au départ tous les éléments, et nous devrons adapter en
permanence la trajectoire du projet pour tenir compte de l’évolution de son
environnement.

Chapitre rédigé par Michel BIGAND et Thierry GIDEL.


154 La conception industrielle de produits 1

Quelques exemples d’événements contrariant le déroulement d’un projet


peuvent être donnés à titre d’illustration. Lors d’un projet de construction
d’une usine de retraitement des déchets d’aluminium dans les années 1990,
le cours mondial de ce métal chute brutalement, compromettant la rentabilité
du projet. Dans un projet de développement d’une nouvelle application
informatique après une fusion-acquisition, les représentants des deux
sociétés qui fusionnent ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les
spécifications ; au bout de six mois (durée initialement prévue pour le
projet), celles-ci ne sont pas encore validées. Alors que la marque X finalise
la sortie d’un nouveau véhicule de type fourgonnette avec une porte latérale
coulissante, la marque Y sort un véhicule analogue avec deux portes
latérales coulissantes, donnant ainsi au produit un avantage concurrentiel
important…

Comme on le voit, les facteurs qui peuvent influencer le cours d’un projet
sont très variés : économiques, humains, techniques, etc. Mais certains
événements peuvent aussi être considérés comme des opportunités pour le
projet. Ainsi, la sortie d’un nouveau composant peut permettre de disposer
d’un avantage technologique sur les concurrents, une crise peut conduire à
faire s’exprimer les protagonistes et permettre une réorganisation des
responsabilités dans un projet, l’évolution d’un marché peut conduire à
proposer une offre mieux adaptée…

On peut retenir qu’il est indispensable de veiller, tout au long du projet, à


ce que l’objectif soit cohérent avec le besoin, et à ce que les actions
entreprises concourent effectivement à l’objectif. Par ailleurs, il est
quelquefois préférable de réduire l’ambition d’un projet, voire de le stopper
s’il s’avère mal adapté. Il est alors souvent possible de rebondir vers un
projet mieux adapté en utilisant les connaissances capitalisées. Un projet
comporte une part importante de non rationnel, et il n’est pas facile
lorsqu’on s’y est investi de devoir y mettre fin avant d’avoir atteint
l’objectif ; il est pourtant indispensable de faire preuve de pragmatisme pour
prendre les bonnes décisions.

Nous appelons « pilotage de projet » l’ensemble des actions destinées à


conduire un projet au succès ; ceci repose sur des principes et quelques outils
qui ne sont pas nécessairement très sophistiqués, mais qui doivent être mis
en œuvre même sur les projets de faible ampleur.
Pilotage de projet 155

Il n’existe pas de recette miracle pour réussir un projet ; nous avons


choisi ici d’insister sur les différents aspects que le chef de projet doit gérer
en permanence pour éviter (ou minimiser) les dérives.

7.2. Les deux niveaux de management de projet

Piloter nécessite de prendre du recul par rapport aux aspects


opérationnels du projet. Deux niveaux de management de projet peuvent être
mis en perspective (figure 7.1) : le niveau opérationnel que nous appelons
gestion de projet, très proche du déroulement au jour le jour, et le niveau
direction de projet.

La gestion de projet couvre le management des collaboratrices et


collaborateurs, source de complexité et également aspect le plus passionnant
du métier de chef de projet, la gestion technique et la gestion des moyens.
Périodiquement, il faut analyser le déroulement du projet et en faire un
rapport au directeur de projet. Ce dernier, moins impliqué dans le quotidien,
peut effectuer une synthèse assez objective de la situation et prendre les
décisions qui s’imposent.

Figure 7.1. Deux niveaux de management de projet

Même sur des projets de très faible ampleur, ces deux niveaux de
management doivent exister, une seule personne pouvant alors assurer
l’analyse et la synthèse. Toutefois, l’expérience nous a montré qu’il n’est pas
aisé de passer d’un rôle à l’autre.
156 La conception industrielle de produits 1

Le pilotage d’un projet est une démarche d’amélioration continue


comparable à la roue de Deming des démarches qualité, comme le montre la
figure 7.2.

Figure 7.2. Principe du pilotage de projet

La mesure régulière de l’avancement permet de mettre en évidence les


écarts (de coûts, de délais, de qualité, etc.) en regard de la référence établie
lors du montage de projet. L’analyse des causes de ces écarts permet de
prendre les mesures correctives appropriées.

7.3. Evolution des dépenses d’un projet

Les dépenses prévisionnelles cumulées d’un projet en fonction du temps


peuvent être établies à partir du diagramme de Gantt (figure 7.3) en
additionnant les dépenses afférentes à chacune des tâches ; on obtient ainsi la
courbe du coût budgété du travail prévu (CBTP).

Celle-ci a couramment un profil en S qui s’explique par le fait qu’en


début de projet peu de ressources sont engagées (il s’agit le plus souvent des
phases d’études) et qu’à la fin les ressources sont déjà consommées
(matériaux, etc.) ou libérées (hommes, matériels, etc.) pour les ultimes mises
au point.
Pilotage de projet 157

Gantt

€ CBTP

Figure 7.3. Coût budgeté du travail prévu (CBTP) et Gantt correspondant

Naturellement, il ne s’agit à ce stade que de prévisions. Le projet se


déroule ensuite à son rythme, et un point d’avancement doit être effectué
régulièrement. La bonne fréquence est hebdomadaire avec un point
approfondi environ une fois par mois. Le point d’avancement peut prendre la
forme d’une réunion de chantier10 réunissant le maître d’œuvre, le maître
d’ouvrage, les principaux sous-traitants, voire des bureaux spécialisés
apportant une compétence particulière (et surtout, en principe, un bon niveau
d’intégrité.

L’objectif est double, il s’agit de connaître :


– l’avancement des consommations,
– l’avancement des travaux.

Pour ce qui concerne l’avancement des consommations, il est


relativement aisé de recueillir les factures, fiches de paie (ou coûts
analytiques) et autres sources de dépenses affectées au projet. Nous pouvons
ainsi établir au jour j présent le cumul du coût réel du travail effectué
(CRTE) figure 7.4.

Dans cet exemple, l’on a dépensé plus que prévu ; y a-t-il lieu de
s’alarmer ? En réalité, cela peut correspondre au fait que l’on est en avance
sur le planning (dans ce cas, le Gantt se déforme vers la gauche).

10. Terme employé en génie civil qui peut être repris dans d’autres domaines.
158 La conception industrielle de produits 1

Pour pouvoir conclure, il est nécessaire de savoir ce qui a réellement été


effectué à l’aide de la courbe de coût budgété du travail effectué (CBTE)
figure 7.4. Cette courbe indique ce que nous aurions dû dépenser compte
tenu du travail réalisé.

Dans cet exemple, le projet a pris du retard et nous aurions dû au jour j


avoir dépensé moins que prévu. Les écarts de coût et de planning sont
représentés figure 7.4, ainsi que la projection ces écarts sur la fin du projet
afin d’estimer le surcoût et le retard finals. Nous verrons plus loin comment
procéder à cette projection.

Figure 7.4. Ecarts de coût et de planning et projection sur la fin du projet

7.4. Gérer le recrutement de collaborateurs

Les ressources humaines évoluent au cours du projet, et, comme nous


l’avons vu en première partie, une équipe doit passer par plusieurs stades
avant de constituer un « groupe unitaire », pleinement efficace.

Toute arrivée d’une nouvelle collaboratrice ou d’un nouveau


collaborateur produit une sorte de perturbation d’un équilibre établi entre les
individus constituant jusqu’alors le groupe : relations, rapports de force, etc.
Ajoutons que l’accueil réservé à une nouvelle recrue pèse fortement et pour
longtemps sur son état d’esprit, positif ou négatif, vis-à-vis du projet et de
ses acteurs.
Pilotage de projet 159

Le chef de projet portera donc un soin particulier à la réussite de l’arrivée


d’un nouveau membre ; lorsque plusieurs arrivées étalées sont prévues, il est
souhaitable de préparer un document d’accueil contenant les informations
pratiques (plan d’accès, horaires, etc.) qui sera remis au collaborateur avant
son arrivée. Passer un peu de temps pour l’installer correctement, le
présenter aux autres membres, semble également le minimum que le chef de
projet doit à son nouveau collaborateur.

Sur un autre plan, nous avons souvent noté que les collaborateurs sont
souvent considérés comme des machines que l’on déplace au gré des
besoins, en croyant naïvement au mythe du mois-homme : « plus je mets de
ressources, plus le délai de réalisation sera raccourci ». Nous avons déjà mis
en garde le lecteur sur un tel raisonnement ; mais cette idée est tellement
répandue qu’il nous semble utile d’aller plus loin à l’aide d’un exemple.

Vous avez estimé un projet à 12 mh de travail ; il comporte 4 lots A, B,


C, D et 3 personnes y sont affectées (figure 7.5).

Figure 7.5. Planification initiale du projet (à gauche) ;


le lot A est livré avec un mois de retard (à droite)

A la fin du mois 2, soit avec un mois de retard, le lot A est livré (figure 7.5).
Que faîtes-vous ?

Une seule réponse nous semble être correcte. Il est surprenant que la
première réponse qui soit formulée soit souvent « on ajoute des
collaborateurs » ; pourquoi le faire ? Qui a dit qu’il fallait impérativement
finir le projet à la fin du mois 4 ?

La bonne réponse est donc : « je tente de comprendre pourquoi nous


avons perdu un mois ». En effet, comment prendre une décision convenable
si on n’a pas analysé les causes de ce retard ?
160 La conception industrielle de produits 1

S’il s’agit d’une erreur d’estimation, il est probable que tous les lots ont
été sous-évalués et que la charge globale du projet n’est pas de 12, mais de
24 mh, doublant les coûts liés aux ressources humaines ! La bonne décision
est peut-être l’arrêt pur et simple du projet pour éviter une perte abyssale.

Si les causes sont conjoncturelles (retard dû à l’arrivée tardive du


matériel, formation initiale des collaborateurs, maladie contagieuse, etc.) il
est possible que le retard final ne soit que d’un mois et que la charge passe
ainsi de 12 à 15 mh.

Plaçons-nous dans cette seconde hypothèse, et supposons que vous


souhaitiez tenir à tout prix le délai de 4 mois ; il reste 9 mh à faire en 2 mois
de délai, soit 4,5 personnes nécessaires. Vous avez trouvé la solution
miracle : en ajoutant 2 personnes, vous finirez sans doute avant la fin du
mois 4 (1,5 personne supplémentaire suffisait).

Or, dans la réalité, il convient de tenir compte :


– du délai d’arrivée des deux collaborateurs, ceux-ci étant déjà engagés
dans d’autres actions ;
– du temps de formation de ces deux nouvelles ressources par une
troisième (qui, pendant ce temps, est moins productive), phénomène aggravé
si les deux personnes arrivent de manière décalée ;
– de l’augmentation du temps passé à la communication et à la
synchronisation de tâches ;
– de la perturbation du groupe mentionnée précédemment.

Une simulation montrerait que le retard est loin d’être résorbé, puisqu’il
peut passer de 4 semaines à 3 semaines environ. Mais on peut montrer
également que le fait d’ajouter davantage de ressources pourrait conduire à
allonger le délai (ajouter 9 personnes provoquerait un retard de 6 semaines !).

Ceci s’explique, comme nous l’avons montré précédemment, par le fait


que les tâches sont interdépendantes et que le temps de communication croît
avec l’effectif. Un adage prétend que « ajouter du monde dans un projet en
retard risque de retarder un peu plus le projet ». Naturellement, tout dépend
de la nature du projet, mais il faut retenir qu’avant de se précipiter sur la
solution qui consiste à recruter de nouvelles ressources, il convient d’en
évaluer la nécessité et les conséquences ; souvent, la meilleure solution
consistera à ne pas modifier l’équipe en place.
Pilotage de projet 161

Pour conclure, n’oublions pas que le chef de projet doit, avant de


procéder à un recrutement de collaborateur, définir le profil « idéal » des
compétences requises (juste nécessaires). Lors du recrutement effectif d’une
personne, il devra estimer l’écart entre ce profil requis et celui de la personne
et prendre en compte l’impact des éventuels compléments de formation
nécessaires et/ou une productivité moindre.

7.5. Gérer l’avancement des travaux

Recueillir une information fiable sur l’avancement réel des travaux est
parfois plus difficile qu’il n’y paraît. En effet, la nature humaine est très
optimiste, et une personne qui est en retard sur son travail est souvent
intimement persuadée qu’elle rattrapera ce retard11. Il s’ensuit qu’elle vous
affirmera droit dans les yeux que « tout va bien » ; cela ne signifie pas
qu’elle est malhonnête, mais souvent qu’elle manque de recul pour apprécier
l’avancement réel de son travail.

Il est donc conseillé de recouper l’information donnée par un


collaborateur pour en contrôler la fiabilité, ou mieux encore, de passer un
peu de temps en fin de semaine pour évaluer avec lui, le plus objectivement
possible, le travail effectivement réalisé et le temps qu’il reste à passer pour
achever la tâche en cours.

La question du recueil des informations se pose. Le plus simple est de


faire remplir en fin de semaine un rapport d’activité par chaque intervenant
faisant apparaître pour chacune des tâches accomplies dans la semaine :
– le code de la tâche,
– le temps passé dans la semaine sur cette tâche,
– le reste à passer (temps à passer pour finir la tâche).

Chacune des tâches est codée ; par exemple VAG-IP-PGM07 représente


le code d’une tâche de programmation dans le cadre du projet « inventaire
permanent » (IP) du client « VAG ». Il est de la responsabilité du chef de
projet d’établir la liste des tâches en début de projet, de manière la plus
exhaustive possible, en utilisant le cas échéant l’expérience acquise sur des
projets antérieurs ; cette liste risque d’évoluer au cours du projet si certaines
tâches apparaissent ou disparaissent.

11. Le lecteur se remémorera aisément des exemples récents qui le concernent directement.
162 La conception industrielle de produits 1

Le temps consacré à une tâche doit être arrondi à l’heure, faute de quoi on
risque de faire des comptes d’apothicaire (et de passer trop de temps à…
gérer le temps).

Comme nous l’avons dit plus haut, l’évaluation du reste à passer peut se
faire lors d’un point entre le collaborateur et le chef de projet ; en effet, cette
durée n’est pas nécessairement la simple différence entre la durée prévue par
le chef de projet et la charge déjà consommée sur cette tâche. Ainsi, dans
l’exemple du tableau 7.1, la tâche VAG-IP-PGM066 fait apparaître un écart
de 1,5 jh.

Le chef de projet reporte dans un tableau (un tableau par projet, tableau 7.1)
les chiffres fournis par les rapports d’activité12 ; ce tableau est présenté le
lundi matin suivant lors d’une réunion entre les chefs de projets et leur
direction.

reste
code t‰che prÿ vu passÿ ÿ cart tauxÿ cart intervenant
passer

VAG-IP-PGM047 2jh 1,5jh 0,5jh 0jh 0% NA

VAG-IP-PGM066 5jh 3jh 3,5jh 1,5jh 30% NA

CONSOLIDATION

Tableau 7.1. Exemple de tableau de synthèse des rapports d’activité d’un projet

Lors de cette réunion13, on cherche les écarts pouvant apparaître ; dans


notre exemple la tâche VAG-IP-PGM066 présente un taux d’écart de 30 %.
Il s’agit maintenant de comprendre pourquoi un tel écart apparaît : mauvaise
estimation, problème ponctuel particulier, problème pouvant se reproduire.
L’objectif n’est pas de chercher le coupable, mais la cause de l’écart.

12. La colonne « passé » cumule le temps consommé dans la semaine et celui consommé les
semaines précédentes.
13. Réunir les chefs de projets chaque semaine (même très peu de temps) permet de trouver
ensemble les solutions aux difficultés rencontrées, de partager l’expérience acquise, de
synchroniser les actions (passage d’un collaborateur d’un projet à un autre par exemple), et
rompt l’isolement du chef de projet en lui donnant un sentiment d’appartenance à une
communauté.
Pilotage de projet 163

Dans cet exemple, l’écart est dû à une évolution de la demande du client


qui n’a pas été gérée. Le client demande davantage de fonctionnalités que ce
qui est prévu au contrat ; de plus, il n’y a pas un mais 10 programmes analogues
à réaliser. Ne rien faire revient à faire cadeau au client de 15 jh (3 semaines à
temps plein) de travail pour une raison qui lui est entièrement imputable ; on
risque de plus de stresser inutilement les collaborateurs qui réalisent ces
programmes en leur reprochant de ne pas tenir les délais.

Le fait d’avoir détecté cette demande supplémentaire nous permet de la


gérer correctement en mentionnant de manière formelle l’écart entre les
exigences du contrat et son nouveau besoin. La question sera réglée en
gérant un avenant au contrat et en actualisant les charges consacrées
aux 10 tâches concernées. De cette manière, nous effectuons un « suivi
prévisionnel » du projet car nous sommes capables d’évaluer l’impact de
cette nouvelle demande sur le coût et le délai de réalisation du projet.

Il est à noter que nous sommes en position de force vis-à-vis du client,


car le travail n’a pas été livré (voire n’a pas encore été réalisé).

Lors de la mise en place d’un tel système de rapport d’activité, les


collaborateurs peuvent s’inquiéter de l’usage qui peut être fait d’un tel
tableau pour mesurer leur productivité ou leur fiabilité quant à la tenue des
délais (en général, le chef de projet connaît suffisamment ses collaborateurs
pour ne pas avoir besoin d’un tel tableau pour évaluer leurs performances) ;
mais lorsqu’ils perçoivent l’intérêt pour l’entreprise de remonter dès que
possible tout dysfonctionnement dans la relation client/fournisseur, ils
collaborent volontiers.

Notons enfin qu’un simple tableur suffit à ce stade, même si nous


préconisons l’utilisation d’un logiciel spécialisé de planification et suivi de
projet.

7.6. Gérer le turn-over

Votre petite équipe de projet tourne tant bien que mal depuis 5 mois, mais
vous avez déjà 10 jours ouvrés de retard, malgré un travail acharné. Votre
patron vous demande de libérer 2 de vos 5 collaborateurs qui doivent
intégrer un nouveau projet. Voici une situation assez classique à laquelle il
vous faut réagir sans retard.
164 La conception industrielle de produits 1

Imaginons que vous vous contentiez d’acquiescer en mentionnant au


patron que votre projet prendra encore un peu plus de retard. Quel sera l’état
d’esprit de vos collaborateurs lorsque vous leur annoncerez le départ de deux
d’entre eux ? Pour les deux personnes quittant le projet (souvent d’ailleurs
les meilleurs, car ils n’ont pas été choisis par le patron par hasard), ils
vivront une énorme frustration de ne pas pouvoir finir un travail engagé
depuis plusieurs mois ; vous les lésez de la concrétisation finale. Quant aux
autres, ils auront vite compris qu’ils sont susceptibles à leur tour de quitter le
projet à tout moment, et ne se sentiront pas très motivés pour travailler avec
vous.

Pour couronner le tout, on peut imaginer remplacer les deux personnes


qui quittent le projet par deux autres personnes, ce qui aura pour effet
d’embourber le projet durablement.

Mais alors, quelle réponse apporter au patron ? Tout simplement, refuser


ces départs anticipés. Il est temps de faire une petite mise au point : le seul
avocat de votre projet, c’est vous ! Votre patron vous a embauché (très cher
payé) pour pouvoir vous confier des responsabilités et ne plus avoir à s’en
soucier ensuite. Quelle sera l’attitude de vos collaborateurs dans cette
nouvelle configuration ? Sachant l’énergie que vous avez dépensée pour
maintenir votre équipe, ils auront à cœur de terminer le projet dans les
meilleures conditions car ils vous seront reconnaissants de les avoir
défendus.

Naturellement, il se peut que l’intérêt supérieur de l’entreprise soit quand


même de retirer les deux collaborateurs de ce projet ; dans ce cas, vous aurez
à gérer cet événement comme un incident, et le patron aura tout intérêt à
donner lui-même des explications sur son choix auprès des membres de
votre équipe.

7.7. Gérer les incidents

Tout événement qui contrarie le déroulement normal du projet peut être


considéré comme un incident. Toutefois, le métier de chef de projet consiste
à résoudre des problèmes et non à en créer, et il est préférable d’éviter une
relation client/fournisseur qui serait trop procédurière. Ainsi, nous ne
gèrerons de façon formelle que les événements qui ont un impact significatif
sur le projet : remise en cause des délais, des coûts, de la qualité du livrable.
Pilotage de projet 165

Les incidents sont fréquents dans un projet, mais il ne faut pas oublier que
bon nombre de problèmes peuvent se résoudre autour de la machine à café.

La procédure à suivre au cas où un incident survient doit être établie dès


la signature du contrat : souvent, une fiche sera renseignée par le chef de
projet et cosignée par le client. Elle mentionne : son numéro, la date, le nom
de celui qui constate l’incident, s’il s’agit d’un incident bloquant ou non, son
type, sa description, la responsabilité, l’impact (délai, temps perdu en jh) ;
toutes les preuves y seront jointes en annexe.

Lors de la signature du contrat avec le client, le commercial négocie un


tarif journalier pour les incidents (tarif minoré prenant en charge les coûts
salariaux du fournisseur, par exemple). A la fin du projet, le nombre de jh
perdus à cause des incidents est transmis par le chef de projet au commercial
qui dispose ainsi de faits concrets pour une négociation. Il ne faut pas oublier
qu’un projet ne se limite pas à une belle réalisation technique ; il n’est
pleinement réussi que s’il satisfait les objectifs économiques.

Chacune des fiches d’incident spécifie le type d’incident, permettant


d’établir périodiquement une synthèse en les classant par type. C’est
l’amorce d’une démarche qualité : en observant ce qui ne fonctionne pas ou
fonctionne mal, on peut éviter la réapparition de problèmes récurrents. Ceci
constitue une plus-value apportée par le fournisseur au client.

7.8. Gérer les évolutions des besoins

Il est fréquent que les besoins du client évoluent au cours du projet. Par
exemple, chez tel constructeur d’avions, le client peut apporter des
modifications à l’aménagement intérieur de l’appareil alors que celui-ci est
en cours d’assemblage. De même, dans les projets informatiques, lorsque le
client découvre progressivement sa nouvelle application, il imagine déjà de
nombreuses améliorations à y apporter. Cela signifie-t-il qu’il ne sait pas ce
qu’il veut ? Ce peut être le cas, et il faudra alors adopter un cycle de
développement approprié.

Mais le plus souvent, il s’agit d’une évolution logique des besoins : sur
les 6 mois que dure le projet, par exemple, l’entreprise évolue en termes
d’organisation voire de stratégie, et il est tout à fait normal que le produit en
cours de réalisation ne soit plus parfaitement adapté à ses besoins.
166 La conception industrielle de produits 1

La stratégie qui consisterait à refuser toute évolution du contrat ne serait


donc pas saine ; elle priverait d’ailleurs le commercial de possibilités
d’effectuer un chiffre d’affaires supplémentaire.

Faut-il pour autant accepter toutes les modifications en cours de projet ?


Certainement pas, car dans ce cas on risquerait à l’extrême de ne jamais
conclure le projet. En réalité, à modifier trop fréquemment les objectifs on
risque de déstabiliser les acteurs du projet. Le chef de projet cherchera donc
à minimiser les évolutions en cours de projet ; à l’image de la figure 7.6, il
absorbera les aléas à la surface de l’océan en laissant dans les fonds marins
l’équipe de réalisation effectuer son travail avec une certaine stabilité.

Figure 7.6. Le chef de projet amortit les aléas du projet


pour laisser son équipe travailler de manière stable

Comme pour les incidents, la gestion des évolutions des besoins doit être
définie avant le démarrage du projet. Ces évolutions seront traitées en tant
qu’avenant au contrat qui mentionnera un tarif à appliquer par jour de travail
supplémentaire. On convient également avec le client des personnes
habilitées à demander une évolution.

Chaque demande est enregistrée sur une fiche qui mentionne notamment
l’impact sur le projet en termes de charge de travail (en jh) et de délai
supplémentaires ; une liste récapitulative des avenants est également établie.

A chaque fois que cela est possible, l’avenant est différé : il sera traité à
la fin du projet ; pour les autres demandes, un accord formel (écrit) du client
doit être obtenu.
Pilotage de projet 167

Il se peut en effet que vous changiez d’interlocuteur en cours de projet


(votre contact client changeant d’affectation, par exemple), et seule la trace
écrite vous protège de contestations ultérieures.

En fin de projet, le chef de projet accompagné du commercial rencontre


le décideur chez le client pour lui faire part des avenants non traités ; souvent
ces derniers représentent un montant important, et le client établit ses
priorités parmi les demandes.

Grâce à cette organisation, on parvient à minimiser les perturbations en


cours de projet ; il faut également savoir qu’il est plus aisé de négocier une
seule fois un montant important pour les avenants plutôt que de nombreux
petits avenants. Chacun des acteurs remplit ses responsabilités : le chef de
projet estime la charge des avenants (en jh) et s’interdit de parler d’argent, et
le commercial n’interfère pas dans l’évaluation technique des demandes, et
se cantonne à négocier le prix de vente.

Un indicateur intéressant est le ratio entre le nombre de jour-homme lié aux


avenants et le nombre de jh initiaux ; il traduit la stabilité des spécifications.

7.9. Gérer la sous-traitance

Il est parfois nécessaire de confier la responsabilité d’une partie du projet


à un fournisseur. Il faut se souvenir que sous-traiter n’est pas démissionner
de sa responsabilité.

La première question à se poser est de savoir s’il est ou non opportun de


sous-traiter, en tenant compte du temps supplémentaire à consacrer à la
négociation (trouver le bon fournisseur au bon moment au bon prix, etc.), à
la spécification des besoins, au contrôle de la réalisation.

L’entreprise a intérêt à se constituer un panel de fournisseurs potentiels avec


qui elle établit une relation de confiance, comme le préconisent les normes
qualité.

Les critères d’acceptation des livrables doivent être clairs, et c’est au chef de
projet d’imposer les méthodes et standards que le sous-traitant devra suivre ; un
rapport d’avancement doit être fourni chaque semaine par le sous-traitant.
168 La conception industrielle de produits 1

7.10. Gérer les livraisons

Ceci doit se faire dans les deux sens : on doit s’assurer de la conformité
de ce que l’on reçoit, et obtenir une validation formelle du client pour ce
qu’on lui livre.

Notons que dans ce dernier cas on ne peut se satisfaire d’un accord


verbal. Dans une entreprise cliente, la personne qui réceptionnait les
programmes informatiques d’un sous-traitant acceptait tout de manière très
laxiste. A la fin du projet, cette personne quitta son poste ; son successeur
constata alors de nombreux dysfonctionnements qui n’avaient pas été
détectés. Un temps considérable fut ainsi perdu par le client et le fournisseur
du fait d’une mauvaise réception des livrables.

Une livraison donne lieu à une fiche de réception mentionnant l’objet de


la livraison, un délai de réponse pour le client, la réponse (livraison acceptée
ou refusée, réserves éventuelles) et la signature du client. Ce document type
est annexé au contrat.

7.11. Gérer la communication

Il s’agit là d’une responsabilité essentielle du chef de projet qui est


malheureusement souvent mal assumée faute d’y consacrer le temps
nécessaire, avec des conséquences parfois désastreuses pour le projet.

Le chef de projet est à l’articulation de trois types d’acteurs :


– les acteurs du groupe projet,
– la direction de son entreprise,
– le client.

Chacun de ces acteurs fournit des informations au chef de projet, et ce


dernier se doit de leur en donner en retour. Les informations ne sont pas les
mêmes selon les acteurs.

Le groupe projet doit remonter toutes les informations au chef de projet,


y compris celles qui concernent les erreurs commises car rien de plus
désagréable que d’apprendre par un chemin détourné qu’un problème est
survenu.
Pilotage de projet 169

Pour cela, le chef de projet doit établir une relation de confiance avec ses
collaborateurs, les valoriser pour leurs efforts, chercher en cas d’erreur le
moyen d’éviter la réapparition de cette erreur plutôt que d’accabler le fautif.
Il obtiendra en retour la franchise et la transparence.

Lui-même doit fournir une information régulière à son équipe projet : est-
on dans les délais, en retard, le client est-il satisfait ou non, quel regard porte
la direction sur le déroulement du projet, etc. Il gardera pour lui ses états
d’âme qui seraient déstabilisants pour l’équipe et le discréditeraient, et
cherchera au contraire à fédérer l’équipe de manière positive.

Il n’y a pas de règle pour la diffusion de ce type d’information ; par


expérience, un point informel de toute l’équipe en fin de semaine où chacun
échange les informations dont il dispose, s’avère assez efficace et permet de
cadrer les objectifs pour la semaine à venir.

Vis-à-vis du client, des informations sur l’avancement du projet doivent


être communiquées chaque semaine de manière formelle, et toute réunion
doit donner lieu à un compte rendu. Il est rare qu’un client vous reproche,
par exemple, 15 jours de retard dans la livraison si vous le lui annoncez
suffisamment tôt ; en revanche, si vous lui masquez cette information
jusqu’à la veille de la date prévue de livraison, vous vous exposez à de
sérieuses critiques.

Votre direction n’a pas à connaître le menu détail de votre projet ; elle se
doit néanmoins de vous consacrer un peu de temps régulièrement pour faire
le point et trancher sur les décisions stratégiques.

Nous avons pu constater que l’absence d’information crée de véritables


tensions dans un projet, même lorsque celui-ci se déroule bien. Nous
préconisons a minima de transmettre chaque semaine un « rapport éclair »
d’une page à tous les acteurs, notamment toute la hiérarchie chez le client.
Ce rapport-éclair mentionne :
– les principales actions réalisées dans la semaine,
– un point sur le planning,
– les incidents constatés,
– les décisions à prendre,
– les problèmes non résolus,
– les actions à mener.
170 La conception industrielle de produits 1

Cette information est très synthétique, et toute personne intéressée peut


demander au chef de projet davantage de détails si nécessaire.

Nous avons pu constater que ce document est particulièrement efficace


pour faire avancer les trois derniers points (décisions à prendre, problèmes à
résoudre et actions à mener) ; en effet, le fait qu’il soit diffusé largement
(surtout à la hiérarchie) pousse les personnes concernées à faire le nécessaire
pour éviter la réapparition plusieurs semaines de suite du même item.

Enfin, il est important de veiller à l’efficacité des réunions : elles servent


à échanger pour enrichir, et il est clair que le chef de projet doit faire preuve
de charisme, conduire les participants à oublier leurs divergences d’intérêts
pour rechercher celui de l’entreprise.

7.12. Le pilotage agile

Des méthodes dites de « pilotage agile » sont apparues récemment ; elles


privilégient la réactivité, la souplesse et l’obtention de résultats tangibles
rapidement.

Elles tendent à réduire la part de travail dédiée à la formalisation des


spécifications au profit d’une réalisation menée si possible par itérations
successives.

Ces méthodes peuvent être utilisées notamment en informatique dans des


environnements très évolutifs pour lesquels on a du mal à formaliser des
spécifications stables. Toutefois, le risque de « bricolage » est réel et la
maintenabilité des applications développées souvent très médiocre.

Le pilotage agile peut être pratiqué avec succès, mais souvent en s’appuyant
sur une bonne expérience des méthodes plus classiques de pilotage.

7.13. Rôle du chef de projet

Le rôle de chef de projet est à la fois difficile et passionnant. Difficile, parce


que le nombre de dimensions à gérer en permanence est important, parce que les
facteurs humains sont primordiaux. Passionnant pour les mêmes raisons, mais
aussi parce que le résultat est tangible et permet aux participants de s’accomplir.
Pilotage de projet 171

Une loi de Murphy dit « si tout semble se dérouler correctement, quelque


chose vous a certainement échappé » ; elle est particulièrement pertinente
dans le cadre d’un projet, et le chef de projet doit à la fois s’impliquer dans
les aspects opérationnels et garder une hauteur de vue pour ne rien oublier.

Nous conclurons en rappelant, en complément des modèles de leadership


présentés en première partie, les qualités du chef de projet idéal : animateur
d’équipe, motivé et dynamique, pro-actif (tourné vers l’action), excellent
communicateur, sachant conjuguer analyse et synthèse, excellent pédagogue,
compétent techniquement, capable de déléguer, organisé et méthodique,
équilibré, solide, réfléchi, fiable, résistant au stress et en bonne santé. Le
lecteur se sera sans doute reconnu dans ce profil.
CHAPITRE 8

Management d’un portefeuille


de projets innovants

8.1. Le projet, l'entreprise et le multi-projets

8.1.1. L’entreprise doit innover

Beaucoup d’entreprises ont basé leur stratégie sur l’innovation et


investissent par conséquent dans les projets innovants. Elles recherchent
alors les moyens de maîtriser les processus d’innovation et les risques
associés à ces investissements. Selon l’OCDE, Manuel de Frascati :
« l'innovation est le processus qui permet de transformer une idée en un
produit ou un service vendable nouveau ou amélioré, ou en une nouvelle
façon de faire.

Le processus d’innovation couvre toutes les activités scientifiques,


techniques, commerciales et financières nécessaires pour aller jusqu’au
succès de la commercialisation du produit ou du service nouveau ou jusqu’à
la mise en place effective de la nouvelle façon de faire ».

Nous adhérons à cette définition et pensons que l’innovation peut se gérer


par processus ; le premier de ces processus étant celui qui permet de passer
de l’idée au produit : le projet de conception de produit / processus nouveau.

Chapitre rédigé par Thierry GIDEL et Franck MARLE.


174 La conception industrielle de produits 1

8.1.2. L’entreprise a de plus en plus de projets à gérer

Les projets de nouveaux produits / processus sont la matérialisation de la


stratégie de l’entreprise. La réussite de ces projets devient essentielle pour le
succès de l’entreprise [GID 06]. Comme le mode de gestion par projets
s’avère souvent efficace, il est tentant de multiplier le nombre de projets
lancés. La nature de ces projets peut être très variée. Avec la multiplication
de ces projets, dans l’entreprise, tout devient prioritaire et plus le nombre de
projets s’accroît, plus il devient difficile de les coordonner entre eux, moins
les priorités sont respectées.

8.1.3. L’entreprise doit gérer les ressources investies dans les projets

Gérer de façon globale un ou plusieurs ensembles de projets en tenant


compte de l’interdépendance entre les projets nécessite la mise en place
d’une organisation et d’une instrumentation spécifique. La gestion multi-
projets est un objet de gestion au même titre que la gestion d’un projet
[FER 06]. Elle permet d’ajuster les moyens et les ressources investies dans
les différents projets en cours de réalisation en cohérence avec la stratégie de
l’entreprise. Cela peut conduire à l’arrêt ou la mise en veille d’un projet,
l’accélération d’un autre, le regroupement de plusieurs petits projets, etc.

8.1.4. L’entreprise gère l’innovation par processus

La capacité à innover de l’entreprise repose sur sa capacité à mettre en


œuvre deux processus clés [GID 03] :
– le processus de management d’un projet, pour passer de l’idée au
produit ;
– le processus de management multi-projets qui permet de générer de
nouvelles idées, décider des nouveaux projets à lancer, valider leur
cohérence avec la stratégie, suivre, soutenir, abandonner les projets,
identifier les synergies entre projets, répartir les ressources humaines,
matérielles et financières entre les projets, mesurer l’efficacité des projets.

Comme ces deux processus vont générer et utiliser des informations et


des connaissances, un troisième processus de management des ressources
technologiques de l’entreprise doit aussi être mis en œuvre (figure 8.1).
Management d’un portefeuille de projets innovants 175

Management multi-projets
Maîtrise d’Ouvrage de l’Innovation
Processus décisionnels

Managements des ressources technologiques


Structures supportant les projets
Processus informationnels

Management des projets


Emergence

Définition
Avant-
projet

Pilotage
Processus opérationnels

Figure 8.1. Processus de management de l’innovation, d’après [GID 03]

Ce dernier processus permet d’intégrer en permanence de nouvelles façons


de faire et de capitaliser les connaissances générées par les projets, de les
protéger, de les sauvegarder et de les mettre à disposition des nouveaux projets.

8.2. Les différents modes de management multi-projets

Les relations entre les différents projets d’une entreprise ainsi que les
rapports entre les projets et l’entreprise (sa stratégie notamment) influencent
le mode de management de ces projets. Nous proposons ci-après en figure
8.2 une typologie inspirée du rapport projet/entreprise proposé par V. Giard
& C. Midler [ECO 93], dont nous détaillons les quatre éléments par la suite.

Figure 8.2. Typologie des modes de management multi-projets


176 La conception industrielle de produits 1

8.2.1. L'approche portefeuille

Pour gérer un nombre important de projets (de façon empirique, au


minimum une vingtaine), l’entreprise peut choisir de les regrouper en
portefeuilles. Le terme « portefeuille » vient de la finance, il fait référence au
portefeuille boursier.

Ces portefeuilles ou ensembles de projets, pris dans leur globalité sont


alors reconnus comme objet de gestion par l’entreprise [FER 04]. Celle-ci
regarde ses projets comme des boîtes noires avec pour objectif l’optimisation
de la rentabilité et des risques, sous contrainte de ressources. Le management
des portefeuilles implique leur structuration, la définition de leurs objectifs,
de leurs moyens avec un arbitrage entre les différents portefeuilles. Au sein
de chaque portefeuille, un arbitrage sur le partage des ressources humaines,
matérielles et financières est réalisé entre les projets : au moment de leur
entrée dans le portefeuille et au fur et à mesure de leur avancement. Le
responsable du portefeuille, la plupart du temps en concertation avec un
comité de pilotage, va aussi décider des (ré)orientations des projets ou faire
évoluer leurs objectifs en fonction des changements de stratégie de
l’entreprise et du portefeuille.

Ce mode de management nécessite la mise en place d’une culture projet


importante dans l’entreprise car chaque projet doit posséder des attributs
(indicateurs de performance) permettant de les gérer. Des procédures de
gestion des projets sont établies et diffusées par le bureau des projets
(project office) en s’appuyant sur des systèmes d’information. Le phasage
des projets est standardisé et les décisions de passage des jalons surveillées.
Les problématiques principales de ce mode de management concernent la
segmentation des portefeuilles et la définition des critères de management de
ces portefeuilles.

En effet, les projets retenus dans un portefeuille seront différents s’ils


sont, par exemple, étudiés du point de vue du marché (segmentation par
business unit) ou s’ils sont étudiés du point de vue de la nature des projets ou
des technologies (segmentation par type de projet de recherche/
développement/assistance technique ou par thème de recherche/technologie).
Management d’un portefeuille de projets innovants 177

8.2.2. L'approche plate-forme

Dans l’approche plate-forme, le processus de conception de nouveaux


produits repose sur des composants, des sous-systèmes ou des plates-formes
communs aux produits développés (par exemple, dans l’automobile, il s’agit de
la base roulante : châssis, train, et groupe motopropulseur). A partir de ces
éléments communs, un ensemble de nouveaux produits, des familles, sont
conçus. La mise en commun et le partage de certaines tâches de conception
(dossiers de qualification, etc.) permet de faire des économies d’échelle.

Ce principe de réutilisation d’une partie du travail déjà réalisé, bien que connu
depuis de nombreuses années, a été développé jusqu’à devenir une pratique
systématique dans certains secteurs au début des années 1990 [FER 04].

Ce type d’approche induit des contraintes importantes au niveau du


management multi-projets : les éléments communs doivent être réalisés
préalablement aux éléments spécifiques, mais souvent la réalisation de ces
éléments spécifiques entraîne des demandes de modification de la plate-forme.
Cela a bien évidemment des conséquences sur tous les projets en cours.

8.2.3. L'approche des trajectoires d’innovations

A partir de l’évolution des technologies et de l'évolution des marchés


ciblés, l'entreprise lance un certain nombre de projets en relation les uns avec
les autres, par le partage ou la réutilisation de composants et/ou de
connaissances issus des projets précédents. Il peut même exister un lien entre
technologie et marché puisqu’une nouvelle technologie peut ouvrir
l'opportunité de développer un produit destiné à un nouveau marché.

C'est pour cela que l'on parle de trajectoire d'innovations ou de lignée


([HAT 01], [CHAP 97]), puisque les projets se succèdent les uns les autres
avec une certaine logique et une certaine continuité.

D’autres travaux existent sur des notions similaires, comme l’arbre


technologique de S. Aït El Hadj [AIT 01], les grappes technologiques [GES
86] ou encore les trajectoires technologiques de T. Durand et T. Gonard
[DUR 86].
178 La conception industrielle de produits 1

Cette approche nécessite un système de capitalisation des connaissances des


marchés, technologies et savoir-faire communs à ces projets. Cela induit un
mode d’organisation et de management spécifique des projets d’innovation avec
une influence forte sur les structures et la stratégie de l’entreprise.

Le rôle des processus informationnels devient prépondérant, à la fois


pour capitaliser les connaissances générées par les projets et pour mettre ces
connaissances rapidement, parfois simultanément, à disposition des projets
en cours ou à venir. Les travaux de recherche développés sur le sujet ont mis
l’accent sur l’éclatement des frontières entre recherche et développement
[HAT 01] et S. Ben Mahmoud-Jouini a insisté sur les mécanismes de création et
de capitalisation des connaissances [BEN 98].

8.2.4. L'approche programme

L’approche programme repose sur une décomposition du programme en


sous-projets, dont les contributions respectives sont associées pour former un
tout. Par conséquent, dans cette approche il n’est, a priori, pas possible
d’arrêter un des sous-projets, sauf si cela était prévu initialement, par
exemple en développant deux sous-projets concurrents ou en ayant des sous-
projets optionnels. C’est pour cela que certains auteurs considèrent qu’il ne
s’agit pas de management multi-projets.

Pour autant, de nombreuses problématiques émanant des approches plate-


forme, portefeuille ou trajectoire peuvent aussi être observées dans le
management de l’ensemble des sous-projets d’un programme : la
compétition pour des ressources humaines, matérielles et financières
partagées, la séquentialité et la simultanéité entre certains sous-projets, le
partage des connaissances entre les acteurs d’un programme, etc.

8.2.5. Vers une combinaison de différentes approches

Toutes les entreprises ayant à gérer simultanément plusieurs projets en


compétition pour des ressources communes sont donc concernées par le
management multi-projets. En fonction de la stratégie d’entreprise, des
interactions entre les projets et des situations de gestion rencontrées,
plusieurs modes de management peuvent être mobilisés.
Management d’un portefeuille de projets innovants 179

Aujourd’hui ces approches sont souvent combinées, par exemple dans


l’automobile, l’approche plate-forme est utilisée pour les grands projets et
l’approche management de portefeuilles pour les projets de recherche,
d’infrastructure et pour les projets d’amélioration (projets dans les usines,
projets qualité, processus, etc.). De même pour les sociétés industrielles qui
ont à gérer des gros et des petits projets, souvent répartis dans plusieurs
business units ou pour les entreprises de biens de consommation
(électroménager) ou de matériel informatique (imprimantes), qui s’appuient
sur des plates-formes et des portefeuilles de projets pour renouveler leur
gamme.

8.3. Principes généraux du management multi-projets

Après avoir présenté les différentes approches de management multi-


projets développées en réponse aux différentes situations de gestion, nous
allons nous intéresser aux finalités du management multi-projets puis aux
modes opérationnels de ce management. Deux aspects essentiels
différencient le mono-projet du multi-projet :
– le succès d'un ensemble de projets n'est pas forcément lié au succès d'un
projet de façon bijective ;
– il peut être préférable de sacrifier un projet défaillant ou qui
nécessiterait un apport massif de ressources complémentaires pour arriver à
terme, afin de permettre de délivrer plus de projets ou des projets à plus forte
valeur ajoutée. A l'inverse, il peut y avoir un déséquilibre ou un déficit au
niveau de la composition de l’ensemble de projets, ce qui veut dire que des
projets réussis individuellement n’entraîneront pas forcément la réussite
espérée au niveau de l’ensemble.

Un projet est, par définition, un processus temporaire. En revanche, le


management multi-projets est un processus pérenne. En effet, nous pouvons
modéliser le processus multi-projets comme un flux continu avec des
entrants et des sortants qui sont des projets temporaires. Ce processus
possède une certaine stabilité, dans la mesure où des projets se chevauchent
avec en permanence des projets en cours, des projets qui démarrent, et des
projets qui se terminent. A l’image d’une flamme de bougie, dont
l'observation de loin peut être permanente, alors que ses composants
évoluent à chaque instant avec la combustion et l'apport constant d'oxygène.
180 La conception industrielle de produits 1

Ces deux aspects impliquent que les finalités et a fortiori les modes
opérationnels du management multi-projets se différencient de ce qui existe
pour le mono-projet et s’appuie sur des structures pérennes.

Dans la section suivante nous identifions et catégorisons les finalités, le


« pourquoi ». Ensuite nous traiterons des modes opérationnels, du
« comment ».

8.3.1. Le cycle prévoir-décider-contrôler

Une étude réalisée en 2003 par Fernez-Walch, Gidel et Romon et portant


sur cinq entreprises françaises a abouti à l’identification de cinq finalités
génériques pour le management multi-projets [FER 04].

Nous situons ces cinq finalités dans les trois horizons temporels
classiques de la gestion [MOI 97] :
– l'anticipation à moyen-long terme, prévoir ;
– l'animation court-terme des décisions opérationnelles, décider ;
– l'information en temps réel, qui permet la réalisation des points
précédents, contrôler.

Nous présentons dans le tableau ci-dessous (tableau 8.1) les cinq finalités
principales selon les trois horizons temporels (prévoir-décider-contrôler) en
y ajoutant des finalités complémentaires et des contraintes à respecter.

En effet, les instruments de management multi-projets doivent permettre


d’atteindre ces finalités tout en s’accommodant d’un certain nombre de
contraintes inhérentes aux processus de management multi-projets et aux
structures en place.

Contrairement aux finalités qui sont porteuses de valeur ajoutée pour


l’entreprise, les contraintes sont le plus souvent subies car imposées par
l’environnement et leur prise en compte coûteuse pour l’entreprise [GID 04].
Management d’un portefeuille de projets innovants 181

Prévoir

Finalités principales Complémentaires Contraintes

Lier, mettre en cohérence projets Respecter un délai Évaluer et prendre en compte le risque
et stratégie. de mise sur le marché acceptable pour un portefeuille.
Planifier les ressources au niveau de (time to market). Être réellement discriminant car après
l’entreprise et à un niveau inférieur Rechercher la avoir éliminé les mauvais projets, il reste
(business unit, service de R&D) satisfaction clients souvent beaucoup de bons, voire de très
en fonction des projets en cours (réponse à leurs bons projets,
ou à mener. attentes). Être en phase avec le style de management
et les processus de décision de l’entreprise,
avec son histoire et les structures en place,
Rendre compatibles les différents niveaux
et processus de décision.

Décider

Alimenter les portefeuilles Rechercher Ne pas confondre la sélection des projets


en recherchant un équilibre entre des synergies entre et les revues d’avancement spécifiques
les projets de différents types (court les projets, à chaque projet.
terme / long terme, type de marché, Maximiser la valeur Permettre de gérer les différents types
risques, offensif/ défensif, etc.)
des retours sur les de projets, en intégrant notamment
et gérer les effets de saturation
investissements le phasage des projets et en s’assurant
de ressources, d'horizon et de (identifier et favoriser que les processus puissent être appliqués
quantité de valeur ajoutée délivrée.
les projets à forte systématiquement et équitablement.
Optimiser le déroulement de chaque valeur ajoutée). Intégrer les changements d’objectifs des
projet notamment l’allocation
managers, des caractéristiques des projets,
de ses ressources, sous contrainte de l’environnement au cours du temps.
d'un ensemble plus grand de projets
et de ressources.

Contrôler

Construire des indicateurs adaptés Permettre le recueil de l’information dans


pour évaluer la performance de des conditions satisfaisantes (rapport
l'ensemble des projets. qualité et fiabilité des données sur temps
et énergie dépensés pour les recueillir),
Éviter la surcharge informationnelle
(information overload).

Tableau 8.1. Finalités du management multi-projets et contraintes associées


182 La conception industrielle de produits 1

Certaines contraintes sont globales, c’est-à-dire applicables aux trois


horizons :
– impliquer les acteurs clés dans le processus et communiquer les
résultats pour que non seulement les meilleurs projets soient choisis mais
aussi que tous les acteurs soient motivés et s’impliquent dans la réalisation
des projets ;
– déployer l’instrumentation du management multi-projets avec le
maximum d’efficience, notamment en minimisant le coût de mise en œuvre
des processus ;
– s’intégrer dans les cycles de l’entreprise (cycle budgétaire, cycle de vie
des produits, etc.) ;
– donner plus de transparence aux processus de décisions, baser le plus
possible ces décisions sur des faits objectifs et sur des informations fiables et
pertinentes.

Comment mettre en œuvre ces finalités tout en respectant les


contraintes ? Où et comment prendre les décisions ? Y a-t-il prédominance
du multi-projet ou du projet ? Dans les deux paragraphes suivants nous
traitons de ces questions, sachant que les réponses apportées doivent être
adaptées à chaque situation et que, dans les entreprises, elles sont parfois
combinées pour plus d’efficacité.

8.3.2. La gestion pilotée par le multi-projets

Dans la gestion pilotée par le MMP, le rythme est donné par l’ensemble,
et par des revues fixées au niveau des portefeuilles de projets (PP).

Au cours de ces revues, souvent mensuelles ou trimestrielles, les chefs de


projet présentent l’avancement de leur projet devant le responsable du PP ou
devant un comité de pilotage. N projets sont revus en même temps. Les
décisions prises au niveau du PP se répercutent ensuite sur les projets
(réaffectation de ressources, de priorités, démarrage/arrêt de projets, etc.).

Ce mode de management est utilisé pour les approches portefeuille et


trajectoires d’innovation.
Management d’un portefeuille de projets innovants 183

8.3.3. La gestion pilotée par le projet

Dans ce mode de management le rythme est donné par le projet, et le lien


est ensuite fait avec l’ensemble plus grand dont il dépend. Les projets sont
souvent revus à l’occasion du passage de leurs propres jalons : N projets sont
revus à N occasions indépendantes. Lors de ces revues, le chef de projet fait
face avec son équipe à un comité de pilotage composé à la fois de
responsables techniques qui valident l’avancement du projet et de
représentants de la direction qui valident la cohérence entre les orientations
prises par le projet et celles de l’entreprise. Les décisions sont
essentiellement prises au niveau du projet, avec éventuellement des
négociations au niveau supérieur s’il faut des ressources ou des délais
supplémentaires.

8.3.4. La nécessité d'instrumenter

Comme l’atteste l’importance du tableau des finalités et contraintes


présenté précédemment, les causes d’échec des processus de MMP sont
nombreuses.

Devant les problèmes d’implantation de ces processus et les enjeux qu’ils


adressent aujourd’hui, il apparaît nécessaire de s’appuyer sur un certain
nombre d’instruments concrets et opérationnels. En effet, deux facteurs
principaux font qu’il n’est plus possible de prendre de telles décisions sans
un minimum de formalisation et de rigueur :
– les enjeux, liés au lancement d’un projet de plusieurs dizaines de
millions d’euros ou de plusieurs projets qui vont engager des ressources
importantes de l’entreprise ;
– les risques, liés au caractère incertain et non répétable des projets, au
risque d’hétérogénéité des méthodes, pratiques et outils, à la subjectivité, aux
phénomènes de prise de décision en groupe, etc.

Le choix et l’adaptation des instruments permettant une prise de décision


robuste deviennent donc une des clés de la réussite du MMP.

Nous présentons ci-après différents instruments actuellement utilisés en


MMP.
184 La conception industrielle de produits 1

8.4. Les instruments du MMP

Nous avons démontré que les instruments du MMP sont nécessaires du


fait des enjeux stratégiques et des ressources mobilisées par les projets. Nous
classons ces instruments selon la catégorisation donnée en 8.3.1, rappelée en
figure 8.3 ci-dessous.

Outils de réflexion Stratégiques : Outils opérationnels de pilotage :


• Définir les axes • Évaluer les projets
d’innovation de l’entreprise • Décider des projets à lancer
• Faire émerger les projets innovants • Superviser la réalisation des
•Définir leurs critères de management projets innovants

Outils de reporting et de communication :


• Externe (actionnaires, partenaires, etc.)
• Interne (manager, équipes projet, etc.)
Structures organisationnelles supportant les outils :
• Permanents : Centres de R&D, plateaux innovation, comités stratégiques, réseaux, thématiques,
bases de connaissances, comités scientifiques
•Évolutives : Équipes projets, comité de pilotage

Figure 8.3. Catégorisation et interactions entre les différents instruments du MMP

8.4.1. Prévoir : outils de réflexion stratégique

Ces outils permettent de répondre aux questions : les périmètres des


portefeuilles ou plates-formes de projets sont-ils cohérents avec les axes
stratégiques ? Les critères d’évaluation des projets au sein d’un portefeuille
sont-ils pertinents et en accord avec la stratégie ? Comment la stratégie doit-
elle évoluer ? Quelles sont les plates-formes de développement à initier ?
Les portefeuilles sont-ils correctement remplis, sans doublons ni trous ?
Quels sont les projets qui ont des interactions ou des ressemblances au sein
d’un même portefeuille ? Ce sont essentiellement des outils de visualisation,
pour identifier un équilibre ou déséquilibre du portefeuille par rapport au
point de vue choisi.

L’outil principal est une matrice de type graphique à bulles qui permet de
représenter jusqu’à 6 critères simultanément : par exemple, risques/bénéfices
sur X-Y et la taille de la bulle proportionnelle aux ressources requises pour
le projet. Il est possible de jouer également sur la couleur de la bulle, ou en
utilisant une flèche partant du centre de la bulle, ou encore un descriptif
accolé. Ces diagrammes, par leur nature visuelle, sont susceptibles
d’encourager les analyses et débats.
Management d’un portefeuille de projets innovants 185

Basés sur les diagrammes bulles, les entonnoirs (funnels en anglais,


figure 8.4) permettent de visualiser l’ensemble des projets en cours en
fonction de leur phase ou de leur avancement. Les projets y sont représentés
par les mêmes types de critères que vu précédemment. Ces entonnoirs sont
parfois qualifiés de « poreux » pour signifier que des projets peuvent en
sortir ou y entrer à tout moment, y compris dans des phases intermédiaires.
Ces particulièrement le cas dans la pharmacie avec le rachat de start-up ou la
vente de brevets.

Phase 0 Phase 1 Phase 2 Phase 3 Phase 4 Phase 5


Exploration Évaluation de Acquisition des Simulation de Industrialisation Commercialisation
go/no go la faisabilité données de base procédé go/no go
go/no go

Figure 8.4. Illustration d’un entonnoir, ensemble de projets positionnés dans le temps

8.4.2. Décider : outils de pilotage opérationnel

Il s’agit des outils destinés à piloter le portefeuille au quotidien, qui donc


facilitent les prises de décisions relatives à l’avancement des projets dans le
portefeuille (stop/go) et à l’affectation des ressources. Nous décrivons ci-
après les outils rencontrés classés en 3 catégories :
– outils financiers,
– outils multicritères ou de scoring,
– tableaux de description de projets et plannings de synthèse.

En fonction des structures et de l’organisation retenue, ces instruments de


MMP vont devoir s’adapter à deux types de décisions (voir sections 8.3.2 et
8.3.3), concernant un seul projet ou l’ensemble du portefeuille.
186 La conception industrielle de produits 1

Il est à noter que les mêmes outils peuvent être utilisés à des instants
différents, pour choisir un projet, par rapport à son potentiel, ou pour le
piloter, par rapport aux résultats réels. Ainsi, un projet peut être retenu parce
qu’il a un retour sur investissement potentiel satisfaisant, avec une date de
fin espérée inférieure à 18 mois et un risque technologique faible. Lors du
pilotage, la valeur du retour sur investissement, la durée du projet, et le
niveau de risque seront précisés au fur et à mesure de la résolution des
problèmes technologiques rencontrés. Il est donc possible de comparer les
projets en relatif ou de les analyser dans l’absolu, afin de décider des arrêts,
des changements de ressources, des changements d’objectifs.

8.4.3. Contrôler : outils de communication

Les outils de reporting remplissent souvent un rôle de vérification a


posteriori, de comparaison ou d’analyse. Ces outils opèrent une synthèse des
éléments communiqués par les chefs de projets concernant l’avancement du
projet, les dépenses engagées, les ressources mobilisées, les résultats
obtenus, etc. L’objectif de ce type de bilan est de répondre par exemple aux
questions :
– fait-on suffisamment de projets ?
– quelle cohérence des indicateurs globaux de nos projets avec la
stratégie ?
– les programmes sont-ils correctement exécutés ?
– quelle est l’efficacité de la recherche, du développement et de
l’innovation ?
Ce sont généralement les premiers outils de MMP mis en place à la
demande des actionnaires ou des directions générales ou de R&D.

8.5. Conclusions et perspectives de développement

8.5.1. Conclusions

Nous avons distingué trois principales fonctions attribuées aux outils de MMP :
– la réflexion stratégique sur les ensembles de projets. L’interaction entre les
projets et le lien entre les portefeuilles et la stratégie de l’entreprise sont l’affaire des
responsables d’un ensemble de portefeuilles (par exemple, le directeur R&D).
Management d’un portefeuille de projets innovants 187

Les outils stratégiques ont été développés pour faciliter cette construction basée sur
des allers-retours entre le terrain et les fonctions stratégiques ;
– le pilotage d’un ensemble de projets au quotidien. Cela signifie la prise
de décisions relatives à l’avancement des projets dans le portefeuille, à
l’alimentation du portefeuille, à l’affectation des ressources dans le
portefeuille, et enfin à la capitalisation des ressources et connaissances
nouvellement créées d’un projet à l’autre. Les outils financiers, multicritères
et de scoring sont conçus pour faciliter et justifier ces choix ;
– le reporting, c’est-à-dire la vérification a posteriori des éléments
communiqués par les chefs de projets, qui est confié aux responsables des
laboratoires de recherche et/ou aux responsables d’un seul portefeuille qui
doivent connaître l’état de leur portefeuille et pouvoir justifier des
performances par rapport aux délais et aux ressources engagées.

L’ensemble des instruments permettant de répondre à ces fonctions doit


bien sûr être compatible avec les structures, l’organisation et les hommes qui
les supportent, les mettent en œuvre et les améliorent. Cooper, Edget et al.
ont démontré, par leurs études, que les entreprises performantes utilisaient
une combinaison d’outils de MMP [COO 99].

Nous avons présenté l’instrumentation relativement simple mise en


œuvre aujourd’hui dans les entreprises. Nous constatons que, moyennant
quelques précautions, ces instruments permettaient de satisfaire les finalités
du MMP et surtout qu’ils permettaient de faire prendre conscience des
besoins en matière de MPP et d’engager un dialogue entre les différents
acteurs du MMP.

8.5.2. Perspectives

De nouvelles relations sont mises en exergue par le MMP. Ces nouvelles


interactions sont liées au partage de composants, de risques, de
connaissances, de compétences, de savoir-faire, d’information et de
technologies entre les différents projets.

Dans certains cas, il s’agit aussi de recherche de synergies par la mise en


commun de données sur les marchés, la réglementation, les fournisseurs ou
de méthodologies spécifiques aux clients.
188 La conception industrielle de produits 1

Ces relations ne sont pas aujourd’hui toujours explicitées ni quantifiées.


Certaines solutions organisationnelles permettent de palier à ces problèmes,
comme la gestion des ressources clés ou l’institutionnalisation des comités
de pilotage mensuels, mais elles sont incomplètes et très consommatrices de
ressources.

Les recherches dans ce domaine doivent donc permettre d’expliciter le


contenu des liens entre les projets d’un portefeuille et entre les différents
portefeuilles de l’entreprise. Elles doivent permettre d’identifier et de
quantifier les critères et facteurs d’interdépendance des projets et faciliter
leur prise en compte par les logiciels de gestion de projet. Ces recherches
doivent engager des réflexions sur les trajectoires des différents projets d’un
portefeuille, des percussions possibles entre ces projets et des scénarios
alternatifs pour les éviter.

Le travail réalisé par F. Marle [MAR 02] illustre bien les apports de ces
recherches qui consistent à formaliser l’ensemble des interactions inter- et
intra-projets, par l’identification des types d’objets et des types
d’interactions susceptibles de les relier.

Ce travail a été appliqué industriellement dans une perspective de


rééquilibrage d’un ensemble de projets, et il a effectivement servi à montrer
certains dysfonctionnements :
– projets redondants ;
– projets qui contribuent à des objectifs non stratégiques ;
– absence de projets pour certains objectifs stratégiques ;
– de façon globale, des déséquilibres volumiques entre projets contributeurs
et objectifs stratégiques ;
– une absence de gestion globalisée des projets et des ressources qu’ils
mobilisent.

Ces perspectives nous laissent penser que ce champ de recherche en


émergence doit se structurer et, à l’image de ce qui a été fait pour le
management de projet ou précédemment pour le management de la qualité,
le management multi-projets développera alors un corpus de connaissances
et d’instrumentations spécifiques.
CHAPITRE 9

Du management de projet
au management de l’innovation

Le management de projet est un outil au service de l’entreprise pour


concevoir plus vite, mieux et moins cher.

Ce mode de management apparu initialement dans des secteurs où le


produit du projet était unique (comme le bâtiment) est maintenant appliqué à
toutes les activités non récurrentes des entreprises. Le contexte d’innovation
intensive renforce cette problématique et impose de revoir le mode de
management de ces multiples projets pris globalement et individuellement.

Les notions présentées dans cette partie permettent d’appréhender les


bases du management d’un projet et de prendre conscience de la nécessité de
gérer les ensembles de projets. Nous avons en particulier étudié la phase
critique de la définition des besoins. Nous avons montré, à partir d’un cas,
comment le management par la valeur était particulièrement efficace pour
mener cette phase délicate.

Une fois cette phase de formalisation réalisée, les objectifs de


performance, de délai et de coût sont précisés. Nous avons montré comment
définir le projet en structurant les moyens du projet.

Chapitre rédigé par Thierry GIDEL.


190 La conception industrielle de produits 1

Cette étape d’anticipation de l’avenir est nécessaire avant de passer à la


phase suivante : la phase de réalisation.

Dans le chapitre 7 (Pilotage de projet) nous avons proposé plusieurs


outils et méthodes pour gérer cette phase de réalisation, pendant laquelle
tous les risques se concrétisent.

Enfin, nous avons montré dans le chapitre sur le management d’un


portefeuille de projets comment l’entreprise peut définir et piloter des
ensembles de projets à l’aide d’une instrumentation spécifique.

Création de valeur Management


Maturité de l’innovation
(définition des processus
Management décisionnel, informationnel
multi-projets et opérationnel)
(définition et supervision
Management
d’ensembles de projets)
par projet
(approche systématique
Management capitalisation)
d’un projet
Gestion (planning et suivi)
Ad-hoc
Temps

Figure 9.1. Maturité : du management d’un projet au mangement de l’innovation

L’ensemble de ces notions, bien qu’indispensable pour progresser dans le


management d’un projet puis de plusieurs projets simultanés, doit être adapté
aux contextes rencontrés et à la maturité des entreprises sur ces sujets.

Cette maturation progressive doit permettre d’accéder au management


d’un flux continu de nouveaux produits sur le marché : le management de
l’innovation (figure 9.1).

Comme le management de la qualité, le management de l’innovation se


pense, s’organise et se gère [GID, 05]. Pour cela, des modèles, des outils et
une instrumentation de gestion continuent d’être développés à partir des
bases présentées précédemment.
Du management de projet au management de l’innovation 191

9.1. Etude de cas 1 : remanier une planification de projet erronée

9.1.1. Enoncé

Durant cette étude, des extraits de documents issus d’un projet


d’étudiants effectué les années passées permettra aux étudiants actuels
d’analyser les erreurs effectuées et de proposer leurs propres solutions.
Question 1 : après avoir consulté les extraits du « cahier des charges » et
du « plan qualité » suivants, expliquez pourquoi le cycle de vie choisi par
vos prédécesseurs n’est pas le plus adapté. Quel cycle de vie choisiriez-vous
et pourquoi ?
Question 2 : analysez le planning proposé dans le « plan de développement »
et listez les incohérences que vous relevez.
Question 3 : à partir du cycle de vie que vous avez retenu, proposez une
nouvelle structuration du projet et justifiez-là.
REMARQUE 9.1. La question 3 peut être vue de façon progressive en
commençant par la proposition des phases et sous-phases principales, puis
par la définition des jalons et livrables cohérents, puis par la proposition de
sous-phases techniques issues des caractéristiques du produit, et enfin par la
caractérisation des tâches portant sur l’ensemble du planning.

9.1.2. Documents pour consultation

Définition du besoin Re-conception d’un kart plus léger et


aérodynamique, puis réalisation du prototype.
Clauses liées au planning du programme Le prototype doit être fabriqué courant janvier.
Clauses techniques :
- environnement d’utilisation Le prototype est destiné à une utilisation sur
circuit.
- contraintes du système
- caractéristiques de fiabilité La durée de vie nécessaire est d’une année…
et durée de vie attendue …
- exigences de conception et de réalisation La solution devra respecter les normes de la
Fédération de karting.

Tableau 9.1. Extrait du cahier des charges


192 La conception industrielle de produits 1

1.3.1. Référentiels
Cycle de vie : cycle de développement en V
Cahier des Charges

1.3.2. Facteurs qualité du produit retenus par le client
Modularité
Facilité de fabrication
Respect des normes FIA

1.3.3. Critères retenus pour l’évaluation

Modularité : possibilité de plusieurs réglages de positions du pilote…

Figure 9.2. Extrait du plan qualité

Figure 9.3. Extrait du plan de développement


Du management de projet au management de l’innovation 193

9.1.3. Correction

Question 1 : le cycle « en V » est adapté à un développement complet de


nouveau produit, ce qui n’est pas le cas ici : il s’agit de reconcevoir un
produit existant et seulement de réaliser un prototype. Un cycle de vie de
type « prototypage » est donc plus pertinent.
Question 2 : les concepts de phases, de tâches, de jalons et de livrables
sont mélangés. Il existe ainsi une phase dénommée « documents »
(livrables), une autre « audits » (jalons) et une autre « réunion » (jalons). En
outre, aucune tâche n’est désignée par un « verbe + complément ».
Question 3 : une proposition de nouvelle structuration du projet est faite
en figure 9.5. Soulignons la structuration en phases et sous-phases (avec la
décomposition châssis (désigné par « structure ») et carrosserie (« forme »),
la définition des tâches techniques mais aussi celles qui relèvent de la
gestion du projet, et enfin la proposition de livrables au long du planning.

Figure 9.5. Nouvelle structuration du projet


194 La conception industrielle de produits 1

9.2. Etude de cas 2 : multi-projets

9.2.1. Enoncé

L’entreprise Biolessives dispose de plusieurs idées de projets, décrits ci-dessous :


– multicolore : lessive permettant de mélanger des textiles de couleurs
différentes sans qu’elles s’abîment ;
– enzyme dégraissant : lessive traitant plus efficacement certaines tâches ;
– bio détergent : lessive à base d’éléments bio et dont le procédé de
fabrication est également bio ;
– diminution de rejets : lessive qui permet de moins polluer l’eau rejetée
à la sortie de la machine à laver.

Tous ces projets semblent intéressants, mais ne peuvent être tous menés de
front faute de moyens. Il faut donc faire un choix entre ces différents projets.

9.2.2. Classement des projets par ordre de préférence

Les critères possibles sont les suivants :


– distance à la solution technique, rapidité de mise sur le marché,
probabilité d’aboutir ;
– adéquation aux ressources de l’entreprise, à l’organisation, au développement
des compétences, aux partenaires ;
– adéquation à la stratégie marketing, pérennité du marché, barrière
d’entrée, position compétitive, priorité ;
– adéquation à la stratégie de l’entreprise ;
– adéquation au cœur de compétences et de technologies de l’entreprise ;
– business plan, retour sur investissement, MCV moy/an, investissement
industriel mini et maxi, NPV, IRR, DCF, PBP, ROP, MCV, SHV, ARR, etc. ;
– budget prévisionnel et réel, tendance, avancement du projet en % ;
– valeur d’usage, innovation, benchmark, etc. ;
– phase où se trouve le projet, jalons prévus/retardés/passés ;
– disponibilité des acteurs, du chef de projet ;
– nature du projet (recherche, développement, assistance technique,
veille, etc.).
Du management de projet au management de l’innovation 195

Les critères doivent découler de la stratégie d’entreprise. Dans notre cas,


l’entreprise cherche à favoriser les innovations significatives et à rentabiliser
au plus vite ses investissements.

Question 1 : quels critères choisissez-vous et avec quelle pondération ?


Solution 1 : les critères retenus, avec une pondération égale, sont : ROI simple,
budget, type de projet. Le budget global du service R&D est de 300 k€.

ROI Budget k€ Type Classement


A. Multicolore 2 ans 60 Amélioration 3
B. Enzyme dégraissant 1 an 70 Amélioration 2
C. Bio détergent 5 ans 170 Rupture 1
D. Diminution de rejets 2 ans 80 Amélioration 4

Tableau 9.2. Evaluation brute des 4 projets par rapport aux trois critères

Question 2 : proposer un classement des projets.


Solution 2 : le classement proposé est le suivant :
– 1) projet C, car il présente une rupture d’innovation ;
– 2) projet B, car à budget équivalent, il se rentabilise plus rapidement ;
– 3) projet A, car à rapidité égale, il coûte moins cher.
REMARQUE 9.2. L’écart entre A et D pourrait parfois être jugé insuffisant
pour prendre, de façon tranchée, la décision de supprimer D.

9.2.3. Prendre en compte les interactions entre projets

Le directeur R&D remarque qu’il y a de fortes interactions entre ces


projets. Il veut prendre en compte ces possibilités de synergies. Si les projets
C (bio détergent) et D (diminution de rejets) sont réalisés, il est possible
d’économiser 10 kilo-euros en partageant un banc d’essai et 10 kilo-euros en
faisant une veille techno commune.
Question 3 : refaire le classement en prenant en compte les interactions.
Solution 3 : les 3 projets retenus ne sont plus les mêmes.
196 La conception industrielle de produits 1

ROI Budget k € Type Classement


A. Multicolore 2 ans 60 Amélioration (3) 4
B. Enzyme dégraissant 1 an 70 Amélioration 2
C. Bio détergent (5) 4,5 ans (170) 160 Rupture 1
D. Diminution de rejets (2) 1,5 ans (80) 70 Amélioration (4) 3

Tableau 9.3. Evaluation affinée des 4 projets par rapport aux trois critères
(les valeurs entre parenthèses sont celles du tableau précédent)

9.2.4. Gérer des portefeuilles multiples

En fait l’entreprise n’a pas 4, mais 8 projets regroupés dans deux


portefeuilles gérés par la R&D par technologie / pôle de compétence :
portefeuille détergents et portefeuille fibres textiles.

Projets du portefeuille détergents Projets du portefeuille fibres textiles


1A. Multicolore 2A. Fibres lavables par ultrason
1B. Enzyme dégraissant 2B. Amélioration résistance à l’abrasion
1C. Bio détergent 2C. Fibres absorbantes
1D. Diminution de rejets 2D. Fibres bio-actives

Tableau 9.4. Les 8 projets classés par portefeuille

Selon cette répartition, en prenant en compte les interactions, 6 projets


seraient retenus (2x3). Le nouveau patron, issu du marketing, propose de
réorganiser les portefeuilles en fonction des marchés de l’entreprise : soin de
la maison et lavage professionnel. Il propose de nouveaux critères de gestion
de ces portefeuilles : VAN (valeur actualisée nette), risque technologique,
réglementation.
Question 4 : refaire le classement des projets et identifier ceux qu’il faut lancer.
Solution 4 : classement du nouveau portefeuille « soin de la maison » :
– 1) bio détergent ;
– 2) fibres lavables par ultrason ;
– 3) enzyme dégraissant ;
– 4) multicolore.
Du management de projet au management de l’innovation 197

REMARQUE 9.3. Les projets 1 et 2 sont, en fait, en compétition sur un


même marché et risquent de se cannibaliser. Il faudra faire une analyse
stratégique pour mieux positionner la stratégie d’entreprise : ultrason ou
conventionnel… On retiendra de ce cas l’importance de la prise en compte
des interactions (qui peut modifier sensiblement la rentabilité des projets),
l’importance de la définition du périmètre des portefeuilles et des critères de
pilotage qui leur sont associés, le besoin d’une recherche pour développer
l’instrumentation et la modélisation permettant le management multi-projets.

La réalité est souvent plus complexe, car elle introduit les notions de
cycle (de vie des produits, budgétaire, stratégique, etc.), les contraintes liées
aux engagements (avec des partenaires, filiales, etc.), les décalages entre les
projets (certains sont déjà bien avancés lorsque la décision doit être prise),
les risques, etc.
TROISIEME PARTIE

Les systèmes d’information

Partie coordonnée par Christophe MERLO.


CHAPITRE 10

Les systèmes d’information,


supports de la conception de produit

10.1. Introduction

Les systèmes d’informations font aujourd’hui partie de notre


environnement quotidien et nous en voyons les signes à travers les
innombrables moyens de communication et les services auxquels nous
accédons. Au sein de l’entreprise ils ont investi l’ensemble des fonctions et
des départements sous de multiples formes tant au niveau de leurs buts,
fonctionnalités, interfaces, architectures, niveau d’expertise ou contraintes de
mise en œuvre. Cela est également vrai dans le domaine de la conception
pour lequel la prise de décision a un impact important, voire stratégique, non
seulement sur les produits à développer mais aussi et surtout sur le
développement de l’entreprise elle-même.

Nous étudions dans cette partie différents types de systèmes


d’information qui interviennent en conception de produit et nous tentons
d’évaluer dans quelle mesure ils peuvent constituer un support pour la prise
de décision. En conception, qu’elle soit routinière ou innovante, les
informations générées durant le développement d’un produit sont toujours la
résultante d’une forte implication des acteurs à travers leurs connaissances
métiers. Les premières générations d’outils étaient davantage focalisées sur

Chapitre rédigé par Christophe MERLO.


202 La conception industrielle de produits 1

le résultat de l’exploitation de ces connaissances comme le dimensionnement


géométrique pour la CAO, le calcul de trajectoire pour la FAO ou la
résolution d’un calcul pour la simulation par éléments finis. Il n’est plus
envisageable de concevoir un système d’information sans étudier les besoins
métiers et le processus mis en jeu. C’est pourquoi les problématiques de
modélisation et de gestion des connaissances sont présentes tout au long de
cette partie.

Le chapitre 11 introduit les différents types de systèmes d’informations


présents en entreprise, tant au niveau des applications du marché que des
applications encore en recherche-développement. Notre choix rédactionnel a
volontairement limité la présentation de ces systèmes et reporte le lecteur
vers une bibliographie fournie, nous avons privilégié à travers deux
exemples la construction de systèmes d’information via la prise en compte
des connaissances.

Les chapitres 12 et 13 développent la dimension des « connaissances »


avec deux points de vue complémentaires : la capitalisation et la traçabilité
des connaissances (au sens de l’ingénierie des connaissances), puis la
génération ou « apprentissage » de connaissances de façon automatisée via
des mécanismes de data mining (exploration de données).

Le chapitre 14 synthétise l’ensemble de cette partie en l’illustrant par une


approche basée sur la modélisation multi-points de vue des connaissances et
son application pour la conception et la mise en œuvre d’un système
d’information intégrant conception et fabrication.

10.2. Définitions

Afin de lever toute ambiguïté quant à la bonne compréhension de cette


partie, le premier concept à définir est celui de système d’information, en
précisant notamment son lien avec les outils informatiques. Nous adopterons
la vision systémique pour caractériser ce concept : un système est un
ensemble d’éléments en interaction dynamique et organisés en fonction d’un
but selon Joël de Rosnay [ROS 75]. Pour Le Moigne [LEM 77], un système
peut donc être défini comme quelque chose d’identifiable qui fait quelque
chose (une activité ou une fonction), tout en étant structuré, évolutif au sein
d’un environnement et avec une finalité propre.
Les SI, supports de la conception de produit 203

Un système est généralement structuré en trois sous-systèmes :


– un système de pilotage, qui décide et contrôle ;
– un système opérant qui assure la transformation des flux entrant et sortant ;
– le système d’information qui archive, traite, partage et capitalise les
informations circulant au sein du système entre le système de pilotage
(décisions émises sous forme de consignes à destination du système opérant)
et le système opérant (informations de suivi émises pour le contrôle).

Le système d’information est donc composé de l’ensemble des éléments


supportant les flux internes d’information : cela peut aller du support papier
aux outils informatiques en passant par d’autres modes de communication ou
de stockage comme la voix, les supports vidéo, etc. Il englobe l’ensemble
des systèmes informatiques de l’entreprise, des outils logiciels spécialisés
aux systèmes distribués dotés d’architecture n-tiers, pouvant dissocier les
interfaces utilisateurs des traitements et des gestionnaires de base de
données. Par extension les systèmes informatiques destinés à la gestion de
connaissances participent également au système d’information en
contribuant à supporter les activités des acteurs impliqués du système et la
génération d’informations de leur part.

Avant de procéder à l’étude de ces systèmes, il faut préciser les


définitions désormais classiques de trois concepts complémentaires : donnée,
information et connaissance. Une donnée est un fait élémentaire permettant
de formaliser une information sur un support en vue de traitements. Elle est
généralement comprise dans son sens informatique. Pour Link-Pezet
[LIN 89], le terme information désigne ce que devient cette donnée pour un
individu lorsqu’elle est mise en relation avec d’autres données et intégrée à
un ensemble de relations. La connaissance représente davantage qu’une
information en ce sens qu’elle a une finalité spécifique propre à chaque
individu. Information comme connaissance sont reliées à un contexte dont
elles dépendent. La connaissance est elle-même objectivée pour permettre à
l’homme d’agir en fonction de ses intentions particulières ; l’information est
un support à sa transmission, constitué d’un ensemble de données. Par
conséquent, une connaissance ne peut être exprimée au sein d’un système
informatique, mais elle peut être représentée indirectement par un ensemble
d’informations la décrivant (avec son contexte et sa finalité) en vue de la
transmettre de la meilleure manière possible à d’autres individus.
204 La conception industrielle de produits 1

Dans le cadre de cet ouvrage, le système considéré est nécessairement le


système de conception et il est intéressant d’analyser en quoi le système
d’information et par conséquent les systèmes informatiques utilisés aident à
la prise de décision.

10.3. Supporter la prise de décision

Compte tenu de la structure du système de conception, nous pouvons


distinguer deux types de décision : les décisions issues du système de
pilotage et les décisions prises au sein du système opérant. Selon [GIR 99],
les premières font référence à la structuration des projets de conception, à
l’organisation des hommes et des ressources, à la coordination des équipes
parfois éloignées, à la planification des tâches de conception et aux
modalités de suivi de l’avancement des projets, et à la gestion des
connaissances sur le long terme. Les secondes correspondent à décisions
techniques liées aux choix de conception tout au long du projet : par exemple
la reformulation des besoins du client, l’identification des concepts de
solutions, les choix fonctionnels et structurels du futur produit, la
caractérisation de géométrie et de matériaux ou des technologies de
fabrication.

Les projets de conception couvrent une grande partie du cycle de vie d’un
produit (figure 10.1), de l’identification du besoin jusqu’à la définition
complète du produit et de ses procédés d’industrialisation.
Flux d'informations

Méthodes
LE SYSTEME DE Planification
CONCEPTION le produit défini
le produit industrialisé Achats
Etudes
Fabrication
le produit spécifié
Assemblage
Recherche marketing le produit réalisé

le besoin Vente
SYSTEME DE
Maintenance PRODUCTION
le produit livré
Flux de matières
Le marché - L‘utilisation
Le recyclage

Figure 10.1. Cycle de vie du produit


Les SI, supports de la conception de produit 205

De nombreux systèmes informatiques coexistent pour supporter les


activités de conception :
– les logiciels spécialisés, ou applications expertes, qui correspondent aux
différents besoins métiers des acteurs et qui encore aujourd’hui n’aident qu’à
la prise de décision technique : l’ensemble des outils de la conception
intégrée [TIC 94] comme la CAO (conception assistée par ordinateur), la
FAO (fabrication assistée par ordinateur) ou les outils de simulation ;
– les systèmes PLM qui assurent la gestion des données techniques et du
cycle de vie du produit, la gestion de la configuration produit et de la
documentation ;
– les outils de la gestion de projet et de gestion des portefeuilles de projets ;
– les outils d’aide au travail collectif : collecticiels et GED (gestion
électronique de documents), parfois supports de l’application des référentiels
qualité de l’entreprise.

Les systèmes de gestion des connaissances pour la conception sont


nombreux :
– les systèmes experts de type KBE (knowledge based engineering)
génie cognitif ;
– les systèmes de traçabilité, de retour d’expérience et les mémoires projets.

Ces systèmes sont développés dans les chapitres suivants afin de


démontrer en quoi ils supportent la prise de décision.
CHAPITRE 11

Systèmes d’information
pour la prise de décision

L’objectif n’est pas de dresser un état de l’art exhaustif de l’ensemble des


systèmes informatiques existants. Nous souhaitons plutôt nous focaliser sur
les principaux environnements présents en entreprise et sujets à des travaux
de recherche que nous illustrerons à travers quelques exemples significatifs
mais néanmoins ne pouvant pas refléter l’ensemble des travaux
d’investigation actuels. Les prochaines sections abordent ainsi les systèmes
d’aide au travail collectif puis les systèmes pour la conception de type PLM.

11.1. Les systèmes d’aide au travail collectif

11.1.1. Collecticiels

Le terme « collecticiel » (groupware) désigne l'ensemble des technologies


matérielles et logicielles et des méthodes de travail associées qui, par
l'intermédiaire de la communication électronique, permettent le partage de
l'information sur un support numérique à un groupe engagé dans un travail
collaboratif et/ou coopératif [COU 97] à travers un environnement interactif
[CIS 00].

Chapitre rédigé par Christophe MERLO, Muriel LOMBARD et Vincent ROBIN.


208 La conception industrielle de produits 1

Cette définition ouverte permet de désigner sous le terme de collecticiels


aussi bien des systèmes informatiques fédérés autour d’une architecture
client-serveur centralisée et unique que des systèmes distribués hétérogènes,
construits par assemblages de composants autonomes ou de systèmes
interconnectés.

Néanmoins, l’ensemble de ces solutions répond à une même


problématique de travail collectif et propose des fonctionnalités
fondamentales de même nature :
– la communication interpersonnelle, correspondant à des outils tels que
par exemple une messagerie électronique, un annuaire des utilisateurs du
système ;
– la coordination du travail entre les individus au sens de l’organisation
préventive du travail collectif : avec des outils comme les agendas partagés
(gestion prévisionnelle des tâches individuelles et collectives), des systèmes
de réservation de ressources, des outils de suivi d’affaires (gestion des temps
passés, gestion d’indicateurs de résultats, techniques ou financiers, etc.) ou
de gestion de projet (planification, gestion des charges, affectations des
ressources) ;
– la collaboration et la coopération dans l’action : discussions via des
forums ou des systèmes de conférence à distance (téléconférence, visio ou
vidéoconférence), génération de documents via des outils d’édition
conjointe, ou applications collaboratives pour la prise de décision collective
(système de vote) ;
– la mémoire de groupe à travers la mise à disposition d’informations ou
documents via des bases de données partagées et les outils de GED (gestion
électronique de documents) ;
– l’automatisation des processus via l’utilisation des technologies de
workflows (gestion électronique des processus) associés à des formulaires ou
documents standards, représentatifs de processus internes à l’entreprise.

Le choix des outils pour constituer un collecticiel adapté aux besoins de


l’entreprise peut reposer sur plusieurs points de vue, ainsi par exemple :
– confronter les critères temporels et spatiaux : la collaboration sera-t-elle
menée de façon synchrone (vidéoconférence ou traçabilité de réunions par
exemple) ou non (bases documentaires ou messageries) ? Les collaborateurs
sont-ils dans un même lieu (traçabilité de réunion ou bases documentaires)
ou non (vidéoconférence ou messageries) ?
Systèmes d’information pour la prise de décision 209

– analyser le rapport entre le type d’utilisation des informations et l’usage


qui en est fait. D’une part, cela revient à caractériser pour chaque outil si les
informations qu’il manipule sont plutôt à usage statique, c’est-à-dire
destinées au stockage à long terme (comme des bases documentaires), ou
plutôt à usage dynamique (formulaires de réservation), c'est-à-dire que leur
durée de vie sera courte pour celui qui l’exploite . D’autre part, cela implique
de considérer si cet usage sera plutôt personnel (messagerie de nouveau), ou
davantage collectif (un forum de discussion).

A travers les différents outils qui les composent, les collecticiels stockent
un grand nombre d’informations de nature très diversifiée et sous de
nombreux formats. Plusieurs natures d’information coexistent :
– informelles et semi-structurées, à travers des outils comme messagerie,
forums, conférences et autres applications collaborative ;
– formelles mais semi-structurées : agendas, bases de données documentaires ;
– formelles et fortement structurées : annuaires, formulaires, workflows,
suivi d’affaires, etc.

Dans une certaine mesure ils permettent donc une gestion de l’informel et
en garantissent la traçabilité. Il s’agit d’une source pour la capitalisation peu
exploitée pour la prise de décision. Par exemple :
– l’analyse des échanges entre les utilisateurs d’un collecticiel permet de
caractériser les réseaux d’acteurs qui se constituent et s’organisent
spontanément et de découvrir leurs référentiels communs (langage, objectifs,
intérêts, rapport avec leur environnement, etc.) de façon à intégrer cette
dimension dans le management de l’entreprise ou des projets de
développement de produit ;
– l’exploitation des informations stockées à travers les discussions
techniques via des forums ou des applications collaboratives peut permettre
la capitalisation de savoirs et savoir-faire qu’il est utile de réutiliser ;
– les actions découlant des workflows, les tâches saisies dans les agendas,
les indicateurs remplis dans le suivi d’affaires, mais aussi les actions
mentionnées dans les messageries et forums sont autant d’éléments pouvant
enrichir une mémoire projet de façon semi automatisée puis servir de base
pour piloter de nouveaux projets.
210 La conception industrielle de produits 1

La communauté CSCW (computer supported collaborative work ou :


travail collaboratif assisté par ordinateur) est représentative des travaux de
recherche menés sur les collecticiels. Les environnements d’aide au travail
coopératif [LAB 05, GON 05] sont l’objet d’études telles que la
représentation (ou présentation) des données ou informations personnalisées,
contextualisées et organisées ; ou la mise au point de messageries
collectives ; ou encore la gestion des interférences entre acteurs en situation
de session partagée virtuelle.

Certaines études sont davantage focalisées sur les relations entre le


matériel, le logiciel et l’humain : l’utilisation de téléphones mobiles comme
un outil de connexion au collecticiel de l’entreprise ; la définition de
nouvelles interfaces utilisateurs flexibles et/ou tangibles [KIR 05] ; la
spécification de fonctions dédiées aux communautés d’apprentissage ou
l’étude du bureau du futur [PIN 05].

Les collecticiels peuvent être considérés comme des outils


complémentaires aux outils techniques de la conception, en proposant des
fonctionnalités pour la coordination et la collaboration que ne possèdent pas
ces outils techniques. Ce sont des outils exploitables pour la prise de
décision, à condition de mieux gérer cet informel dans un objectif de
conduite des projets de conception :
– pour les responsables de projet : traçabilité du processus, structuration
des projets et des hommes, maîtrise des flux informels ;
– pour les concepteurs : accès aux applications métiers en liaison avec la
pertinence et souplesse des outils collaboratifs.

11.1.2. Cas d’application : étude d’un collecticiel pour la prise de décision

CO_MED (collaborative conflict management in engineering design ou


gestion des conflits en conception) est un prototype logiciel développé
comme application experte dans le cadre du projet IPPOP14 destiné à la
résolution de conflits en conception provenant d’un désaccord entre acteurs
suite à des représentations incompatibles du produit. CO_MED a été testé
chez ALSTOM Moteur, sur le site de Champigneulles, dans le cadre de la
conception d’une carcasse pour moteur asynchrone.

14. IPPOP : intégration-produit-processus-organisation pour l’amélioration des performances


en ingénierie, projet RNTL 2002/2005, http://ippop.laps.u-bordeaux1.fr/
Systèmes d’information pour la prise de décision 211

Les fonctionnalités suivantes ont été validées et développées par rapport


aux besoins industriels mais cette étude n’a pas donné lieu à une phase
d’industrialisation du prototype :
– favoriser les communications lors de la résolution d’un conflit de
conception ;
– capitaliser les connaissances échangées de manière à disposer
d’informations à prendre en compte au plus tôt dans des projets de
conception similaires ;
– générer de nouvelles connaissances à destination des projets de
conception futurs.

Figure 11.1. Objectifs de la capitalisation au sein du référentiel de gestion de conflits

Plus particulièrement, les objectifs quant à la capitalisation au sein d’un


référentiel collaboratif sont présentés à la figure 11.1 :
– gérer les conflits en promouvant une utilisation des expériences passées
comme base de référence en suivant le protocole suivant : dès qu’un conflit
est détecté, observé manuellement ou automatiquement, il s’agit de mettre en
place un processus visant à décider, c’est-à-dire d’enchaîner une succession
d’activités aboutissant à une prise de décision pour résoudre le conflit
détecté [ROS 04], puis à informer, c’est-à-dire de transmettre la solution
retenue sur la ou les activités de conception concernées et mémoriser ces
actions ;
– fournir une aide à la conception en se remémorant ses expériences et
solutions passées ;
– générer de la connaissance en utilisant, combinant et modifiant dans un
nouveau contexte ces expériences mémorisées.
212 La conception industrielle de produits 1

L’activité de collaboration au cœur du référentiel de collaboration peut


être vue comme étant un sous-type d’activité15 du processus de conception.
Cette activité est nécessairement réalisée par au moins deux acteurs de la
conception, et peut rassembler des acteurs internes au projet et/ou à
l’entreprise comme des acteurs externes. Elle intervient dans différents cas
de collaboration mais est appliquée spécifiquement ici à la gestion des
situations de conflits.

11.1.2.1. Les cas d’utilisation du système


Cette section présente les trois phases qui composent la gestion de conflit
en conception au travers de cas d’utilisation.

11.1.2.1.1. Observer

Cas « Observation automatique » Cas « Observation humaine »

I:Interface
I:Interface
X
X
Saisie dans Observer modèle produit
modèle produit Détecter
conflit Détecter
conflit
Demander de Gérer le
Déclencher
conflit Déclencher
un processus
un processus
décisionnel
décisionnel

L’acteur X est celui qui a L’acteur X est celui qui a


été à l’origine du conflit découvert en premier le conflit

Figure 11.2. Diagramme de séquences du cas d’utilisation « observe r»

En fonction des informations saisies sur le produit, issues des activités de


conception, le conflit est détecté. Ce conflit peut être détecté
automatiquement par le système coopératif, suite à une saisie qui entraîne un

15. La notion d’activité est ici entendue au sens de la notion définie dans le formalisme
IDEF0 [IEEE, 1998].
Systèmes d’information pour la prise de décision 213

conflit sur le modèle produit, processus ou organisation (au sens de la


définition proposée par le projet IPPOP).

Il peut aussi être détecté par l’un des acteurs de la conception qui observe
le modèle produit, lorsqu’il s’agit d’un conflit sur le vocabulaire employé ou
sur les choix effectués par d’autres acteurs pour définir le produit par
exemple.

Dans chacun de ces scenarii (figure 11.2), le système déclenche un


processus décisionnel pour résoudre le conflit.

Les diagrammes de séquences qui suivent formalisent les deux scenarii


d’observation automatique et d’observation humaine d’un conflit.

11.1.2.1.2. Décider
Après avoir détecté un conflit, il faut lancer un processus décisionnel
pour le résoudre.

Cette phase est d’abord initialisée par le système en créant une activité de
collaboration pour référencer le problème à traiter et les différents éléments
le caractérisant, afin de garder trace de ce conflit par la suite.

Seules l’observation et la détection « manuelle » du conflit sont


envisagées ici. Ainsi, un message est envoyé à l’acteur ayant découvert le
conflit. Celui-ci doit s’identifier et saisir les éléments caractéristiques
permettant d’archiver le conflit ; à savoir la date, le type de conflit auquel se
rapporte le problème observé ainsi que l’élément du modèle produit sur
lequel le conflit est survenu.

Cette étape peut être guidée par l’utilisation de mots clés classifiés sous
forme d’arborescence de manière à typer les entrées du processus de
résolution. La figure 11.3 décrit cette étape d’initialisation.

Une fois que le processus de décision est initialisé, le problème est alors
traité par l’ensemble des acteurs concernés par le conflit pour trouver une
solution convenable.

Cette phase de traitement est menée en des itérations successives. Les


itérations de résolution sont chacune constituée d’une alternance d’actions
de vulgarisation et de médiation :
214 La conception industrielle de produits 1

– vulgarisation. L’acteur qui mène la vulgarisation explique d’abord le


problème qu’il rencontre avec les choix actuels sur le produit (en précisant
l’élément du produit concerné et les caractéristiques qui posent problème).
Ensuite, il justifie ou argumente sa motivation pour modifier la solution
actuelle en précisant les mauvaises conséquences des choix actuels sur le
produit (performances du produit, coût, faisabilité technique, cohérence avec
le cahier des charges de l’utilisateur, etc.). Cette action de vulgarisation du
problème doit se faire en des termes simples et connus de tous. L’acteur peut
faire part de son expertise en employant des paraboles, allégories, exemples
ou contre-exemples concrets afin de traduire de façon la plus universelle
possible le problème rencontré ;
– médiation. Cette action a pour objectif de préconiser la solution à
adopter pour palier au problème rencontré et éviter ainsi les mauvaises
conséquences de l’ancienne solution. Elle provient soit de l’acteur qui vient
de vulgariser son problème pour proposer sa solution, soit d’un autre acteur
concerné par le conflit et qui veut approuver la solution proposée.

Figure 11.3. Diagramme de séquences du cas d’utilisation « initialiser »

Ces actions de vulgarisation/médiation sont menées à tour de rôle par les


différents acteurs concernés par le conflit pour construire une solution
convenable. Elles peuvent en outre faire appel à des indicateurs de
performance ainsi qu’à la consultation des précédents conflits afin d’aider et
d’orienter les concepteurs dans leur réflexion.
Systèmes d’information pour la prise de décision 215

Un processus de fin de résolution, mené via l’instanciation des itérations


de demande de vote, demandant aux différents acteurs impliqués ou abonnés
de donner leur voix pour une des solutions précédemment proposée via des
itérations de vote, est également pris en compte dans ce processus de
« décision ».

La figure 11.4 formalise les interactions acteur/système qui se passent


lors de l’étape de traitement du conflit. Ce diagramme correspond à une
itération du processus de traitement, menée par l’un des acteurs concernés
par le conflit et qui souhaite interagir (l’abonné Ai en l’occurrence). A la fin
de l’itération, l’acteur Ai transmet ses propositions (rédigées dans les champs
« explication », « justification » ou « solution ») à l’ensemble des acteurs
abonnés au problème traité (les abonnés AxPb) et c’est à l’un de ces acteurs
d’interagir à son tour.

On peut noter qu’il n’est pas obligatoire de remplir les 3 champs


« explication », « justification » et « solution » ainsi que le lien vers le
fichier attaché. En effet, un acteur peut créer une itération pour contredire ou
au contraire abonder dans le sens d’une itération précédemment émise. Dans
ce cas particulier, il utilise uniquement l’attribut « justification ».

Figure 11.4. Diagramme de séquences correspondant au début du cas d’utilisation « décider »


216 La conception industrielle de produits 1

11.1.2.1.3. Informer
Cette phase (figure 11.5) vient pour clôturer le processus de gestion du
conflit.

Figure 11.5. Diagramme de séquences du cas d’utilisation « informer »

Une fois que les acteurs concernés par le conflit se sont mis d’accord sur
une solution construite à l’issue du processus de décision (suite au processus
de vote), elle est réalisée via l’instanciation d’une itération de clôture, qui
récapitule la solution retenue et les éléments de la décision (description de la
solution). Cela revient à transmettre la solution finale adoptée aux acteurs
concernés par la résolution. C’est également cette solution qui sera gardée
comme solution finale au problème dans la phase de capitalisation.

11.1.2.2. Des diagrammes de séquences à la définition du système


Les classes qui doivent exister dans le système sont issues de l’analyse
des digrammes de séquences présentés précédemment. Elles sont identifiées
mais aussi décrites grâce aux messages transmis aux objets dans les
diagrammes de séquences et qui ne sont autres que les opérations sur les
objets concernés. Les attributs d’une classe correspondent aux paramètres
Systèmes d’information pour la prise de décision 217

intrinsèques de la classe ainsi qu’aux paramètres qui sont passés dans les
messages transmis aux objets de cette classe. On peut alors déduire le
diagramme de classes spécifiant les objets du système coopératif proposé.
Les liens entre les classes se déterminent selon le type d’opérations entre les
objets qui leurs sont associés dans les diagrammes de séquences. On peut par
la suite affiner ce diagramme de classes en introduisant des super-classes
pour des classes qui s’avèrent généralisables.

11.1.2.2.1. Diagramme de classes du modèle de gestion de conflits et


concepts associés
La figure 11.6 présente une vue du diagramme de classes obtenu.
Error!

Figure 11.6. Gestion de conflit, issue de l’analyse des diagrammes de séquences

– Activité de collaboration. Cette activité particulière est un sous-type


d’activité tel que le concept peut exister dans le processus de conception
(une définition plus précise, donnée dans [NOW 04] dans le cadre de la
définition du modèle de processus IPPOP). Elle est instanciée suite à la
découverte d’un conflit. Elle comporte les différents attributs nécessaires à la
résolution de ce conflit (éléments caractéristiques du conflit, définissant le
contexte de l’occurrence de celui-ci) ainsi que le nom de l’acteur l’ayant
découvert, dans un souci de traçabilité de l’information.
218 La conception industrielle de produits 1

– utilisateur. Acteur participant au processus de conception qui est


abonné à l’activité de collaboration en fonction de ses compétences et de son
niveau d’expertise par rapport au domaine ;

– itération. Cette notion est un sous-type d’activité de collaboration.


C’est une classe abstraite qui se décompose en différents types d’itérations.
Un lien permet d’obtenir l’enchaînement logique de ces itérations. Une liste
d’utilisateurs abonnés ayant été recrutés pour participer au processus de
collaboration est rattachée à chaque itération. Les itérations sont une
caractéristique importante du processus de conception : la complexité et
l’aspect dynamique du processus de conception conduisent à l’apparition
d’un important nombre d’itérations au sein de ses activités [BOU 02]. Ces
itérations ont une influence directe et évidente sur les coûts et délais de
développement du projet. Il est communément admis que le processus de
conception est itératif par nature puisque la solution est approchée étape par
étape. Il s’agit de suivre un processus heuristique de raisonnement qui suit un
cycle de recherche d’informations, d’analyse de ces informations,
d’identification des possibles révisions dans la conception et l’implémentation
de ces révisions avec l’ambition d’atteindre un objectif précis :
– itération de résolution : itération utilisée lors de la négociation du
conflit via des phases de vulgarisation/médiation ;
– itération de demande de vote : itération faisant suite à la phase de
négociation, instanciée après une certaine durée afin de choisir une solution
via un vote. Cette itération est uniquement de type informationnel ;
– itération de vote : itération dans laquelle un des acteurs participant
au processus de résolution est invité à exprimer son choix via ce mode de
suffrage ;
– itération de clôture : itération visant à clore le processus de
résolution en proposant une solution au conflit posé. Elle comporte toutes les
informations nécessaires pour pouvoir réutiliser la solution et les
justifications évoquées, ainsi que tout l’historique de cette décision finale.

Ce diagramme de classes et les différentes classes et attributs le


composant forment un modèle statique d’un référentiel de gestion de
conflits. En vue de le mettre en pratique, un certain nombre de règles
d’utilisation doivent être spécifiées.
Systèmes d’information pour la prise de décision 219

11.1.2.2.2. Aspect dynamique du système (figure 11.7)


Avant de capitaliser les conflits identifiés, il convient de pouvoir les
indexer, de façon à créer une base de réflexion partagée et d’harmoniser les
compréhensions mutuelles du problème à traiter16.

Atteindre ce degré d’harmonisation requiert de maîtriser entièrement le


sens des informations échangées entre les différents domaines impliqués
[JAR 04], via l’utilisation d’un outil commun.

Figure 11.7. Processus de gestion de conflit

16. Par la notion de partage, nous entendons passer d’une intelligence individuelle à une
intelligence collective, comme défini dans [ERM 00].
220 La conception industrielle de produits 1

Dans ce contexte, une itération peut être de différentes natures mais


concourt à la résolution d’un problème. La gestion de ces itérations, à travers
les différentes instanciations des différents sous-types d’itération, se fait à
deux niveaux :
– au niveau temporel : il s’agit de pouvoir suivre et gérer l’historique des
échanges d’informations comme dans un logiciel de gestion de projet
classique ;
– au niveau logique : il s’agit aussi de pouvoir gérer les échanges par
rapport à un lien sémantique permettant de situer la place des itérations
proposées les unes par rapport aux autres. En effet, l’enchaînement des
collaborations et des itérations ne respecte pas forcément une relation
temporelle eut égard aux disponibilités des personnes impliquées dans le
processus.

a) Création d’une itération


Une itération au sens de celle présentée dans le diagramme UML n’a pas
d’existence légitime ni de visibilité du point de vue de l’utilisation du
modèle. Cette classe n’est qu’une classe abstraite permettant de passer toutes
les propriétés qu’elle possède aux sous-classes la décomposant :les itérations
de résolution, de demande de vote, de vote et de clôture.

b) Itération de résolution
Les instanciations successives de cette classe permettent de formaliser les
échanges menant à une résolution ou tout du moins à une avancée du conflit.
L’itération de résolution consiste ici à répondre au problème posé en
proposant une vulgarisation de ce problème pour permettre une phase de
médiation. La création de cette itération intervient via l’instanciation de
l’une des sous-classes de la classe itération, lorsqu’un acteur préalablement
abonné se manifeste pour participer au processus de résolution en
remplissant un ou plusieurs des attributs de cette classe :
– explication : chaîne de caractères. Texte libre permettant de qualifier le
problème ainsi que le contexte dans lequel il est apparu. Il s’agit ici de vulgariser
le propos par rapport aux éléments choisis quant à la codification sous forme
d’éléments d’ontologie mise en place au niveau de l’activité de collaboration ;
– justification : chaîne de caractères, permettant d’argumenter l’explication
émise précédemment en énonçant des règles, normes ou standards la justifiant ;
– solution : chaîne de caractères, préconisant une solution alternative à la
solution précédemment émise.
Systèmes d’information pour la prise de décision 221

Afin de créer une itération de résolution, un des attributs


explication, justification ou solution doit être rempli.

La représentation des itérations de résolution peut être représentée :


– de façon temporelle, permettant au niveau organisationnel de mesurer
l’avancement du processus,
– de façon logique, permettant de mettre en évidence la logique de
résolution de conflit, l’organisation des échanges par rapport à leur origine,
ce qui permet une traçabilité des connaissances échangées.

c) Passage d’une itération de résolution à une autre


Le passage d’une itération de résolution à une autre itération de résolution
intervient lorsqu’un acteur abonné à l’activité de collaboration veut rebondir
sur une intervention préalable d’un autre acteur, ou encore sur sa propre
intervention, afin d’expliquer, argumenter ou critiquer cette position ; ou
encore lorsqu’il veut proposer une nouvelle solution, en s’affranchissant ou
en prenant en compte les différents échanges ayant eu lieu au préalable. On
peut également noter que chaque itération de résolution est attribuée à un
acteur abonné unique.

d) Représentation temporelle des itérations de résolution


Cette représentation, sous forme de Gant par exemple, est présente dans
tous les logiciels de gestion de projets et permet de suivre au cours du temps
l’exécution des tâches incombant à chacun. Ici, elle permet de localiser quel
acteur a pris la parole, et situer ce moment par rapport au processus et au
temps global de résolution du conflit.
Cette vue présente l’avantage de pouvoir compléter des indicateurs de
performance, en mettant en évidence la charge de travail de chacun des
acteurs, (au regard de leurs interventions dans un conflit), l’efficacité (c’est-
à-dire les résultats obtenus en regard des efforts et des moyens, notamment
humains et temporels mis en œuvre) et l’efficience (la capacité à atteindre
les résultats envisagés) des acteurs abonnés en regard des objectifs,
notamment en terme de jalon temporel, du projet.
Cependant, cette observation prend en compte uniquement une évaluation
quantitative et non qualitative des interventions des acteurs et ne peut être
exploitée sans précautions pour évaluer l’évolution de la carrière d’un acteur.
222 La conception industrielle de produits 1

e) Représentation logique des itérations de résolution


Durant le processus de résolution, la négociation matérialisée par les
phases de vulgarisation/médiation peut se décliner en deux cas types :

– cas n°1 : à partir d’une itération proposant une solution sur laquelle il
convient de se mettre d’accord, les abonnés génèrent leurs propres itérations
en expliquant, argumentant, ou révoquant la solution proposée. Il s’agit ici
d’itération commentant les choix effectués sur la première. Les abonnés ont
également la possibilité d’annexer un document ou un fichier pour
corroborer leur argumentaire. La représentation graphique de ces itérations
se fait sous forme d’arbre (figure 11.8a). Sans apport de solution, cet arbre a
un développement horizontal ;

– cas n°2 : lors du processus collaboratif, une nouvelle solution peut être
proposée via une itération. Dans ce cas, l’arborescence (figure 11.8b) se
développe de façon verticale. Un abonné a en effet la possibilité de proposer
une nouvelle solution émergente d’itérations ayant eu pour but au préalable
de vulgariser les propos, les choix... Cette nouvelle solution pourra être
soumise au vote de manière à aboutir à un consensus général.

a) b)
IT 1 IT 1

IT 1.1 IT 1.1

IT 1.1.1 IT 2 IT 1.1.1

IT 1.2

IT 1.1.2 IT 3 IT 1.1.2

IT 1.1.2.1

Figure 11.8. Développement du processus de résolution de conflit en collaboration


a) sans proposition de nouvelle solution - b) avec proposition de nouvelle solution

Cette représentation a ainsi l’avantage de proposer une vue claire et


synthétique des différentes propositions de solutions soumises, et des
critiques éventuellement émises sur ces solutions. S’en suit une itération de
demande de vote où chaque abonné est invité selon des règles fixées à
manifester son approbation par rapport au consensus qui se dégage. Enfin,
l’itération de clôture intervient dans trois situations :
Systèmes d’information pour la prise de décision 223

– suite au consensus obtenu par adhésion explicite de tous les acteurs à une
solution donnée. Cela signifie que les acteurs abonnés ont à l’unanimité donné leur
avis favorable pour une solution donnée, via le remplissage de l’attribut
justification d’une itération, suite à la proposition de cette solution par l’un d’eux ;
– suite au consensus issu des différentes itérations de vote émises par
chaque abonné. Si les contraintes de participation sont respectées, le champ
solution de l’itération est alors rempli automatiquement par le système avec
la solution à utiliser ;
– dans le cas d’un échec du vote par manque de participants ou par non-
consensus, ou encore par absence totale de solutions proposées, le chef de
projet décide de la solution à utiliser et remplit manuellement l’attribut
solution de l’itération de clôture.

Dans tous les cas, ce sera la solution conciliée dans cette itération qui sera
alors diffusée à tous les acteurs (phase d’information) et enregistrée dans la
base en tant que solution retenue parmi les différentes proposées.

11.2. Les systèmes d’information pour la conception

11.2.1. Les systèmes de gestion de données techniques

A l’origine, destinés à résoudre les problèmes de gestion des fichiers


issus des outils CAO (unicité de l’information et versionnement par
exemple), les systèmes de gestion de données techniques (SGDT ; en anglais
PDM, product data management) fournissent à la bonne personne, la bonne
information au bon moment, et dans le bon format. CIMdata [CIM 01]
distingue cinq fonctions principales correspondant à :
– la gestion de documents (contenant) s’appuyant sur une gestion de base
de données, et destinée à structurer les informations produits, à assurer leur
unicité, leur accessibilité par les utilisateurs, leur sécurité et leur
versionnement ainsi que leur cycle de vie ; cette gestion s’accompagne
d’outils de visualisation adaptés ;
– la gestion de processus (ou workflow) qui permet d’automatiser et de
contrôler l’évolution des données de façon dynamique [LIU 01, EYN 02],
par le déclenchement de séquences d’actions prédéfinies ;
– la gestion de la structure produit, composant métier spécifique d’un
SGDT ;
224 La conception industrielle de produits 1

– la gestion de la classification, participant à la standardisation des


produits ;
– la gestion de projets, qui commence à être intégrée ou associée aux
SGDT [RIV 03].

Ces outils ont évolué vers le développement collaboratif de produits


(ou CPC, collaborative product commerce »[CAR 01]), renforçant ainsi leur
position de systèmes d’information transversal dans l’entreprise [LEG 04].
Ils gèrent désormais l’ensemble du cycle de vie du produit [RAN 95] et le
terme de product lifecycle management (PLM) est de plus en plus utilisé
pour désigner les principes directeurs des démarches de développement de
produit mises en œuvre et nécessitant des outils adaptés à différents métiers
mais toujours fédérés autour d’un SGDT.

Les outils PLM deviennent de véritables collecticiels [JOH 98, DAV 01]
dédiés au travail collaboratif. Ces plateformes PLM englobent la gestion de
toutes les étapes du développement d’un produit (expression du besoin,
conception assistée par ordinateur, simulation numérique, fabrication
assistée par ordinateur, etc.). Elles gèrent l’ensemble des composants de la
chaîne numérique permettant le suivi des informations lors de la conception,
la fabrication, la mise en vente et le retrait du produit [SAA 04].

Compte tenu de ces fonctionnalités il apparaît que les SGDT ne


supportent les décisions que de façon indirecte. Les décisions techniques
s’appuient sur un ensemble d’informations qui sont fédérées au sein de ces
systèmes, soit via la modélisation structurelle du produit, soit via les
documents stockés, et ces décisions se traduisent par exemple en validation
de documents ou articles.

Les décisions relatives à la gestion des projets se limitent à la


configuration préalable des équipes et des rôles, mais en cours de projet
seuls leurs effets sont constatés via l’avancement des tâches et jalons.

D’importants travaux restent donc à mener pour faire évoluer ces outils
dans plusieurs directions : prise en compte des connaissances métiers,
réflexion sur ce que doit être la gestion de l’organisation des projets et de
son suivi, etc.
Systèmes d’information pour la prise de décision 225

11.2.2. Cas d’application : un outil pour la conduite des projets en conception

11.2.2.1. Contexte
La conduite des projets en conception oblige à pouvoir comprendre et
évaluer le processus de conception et en particulier les activités qui le
composent, mais aussi et surtout l’organisation de la conception, au sein de
laquelle le processus se déroule.

Ainsi, l’évaluation de la conception doit proposer tout un ensemble


d’éléments de mesure, identifiés sur la base d’un modèle du système à
conduire, en vue de pouvoir fournir des informations pertinentes pour
assurer une prise de décision cohérente au regard de l’état réel du système.
Toute la difficulté va se situer dans la modélisation du système
organisationnel en vue de son évaluation.

Au niveau du processus de conception, il faut se concentrer sur la


définition du produit et de son évolution, sur les objectifs de conception
contraints par l'organisation de l’entreprise [MIN 89] mais également sur les
étapes de conception influencées par les technologies, les ressources
humaines et physiques mises en œuvre [WAN 02].

Partant de ce constat, Robin [ROB 05] a proposé un modèle d’évaluation


du système de conception, une méthodologie pour mettre en œuvre ce
modèle et un prototype logiciel d’aide aux acteurs (PEGASE) pour rendre
opérationnelle cette méthodologie. Ces travaux s’appuient également sur le
modèle défini dans le cadre du projet IPPOP17 [ROU 06], intégrant trois
dimensions complémentaires [ROB 06] : la modélisation du produit, la
modélisation du processus de conception et la modélisation de l’organisation
où se déroule ce processus. Ce modèle constitue le noyau d’un
environnement collaboratif devant permettre aux acteurs de conduire la
conception et de s’interconnecter avec les applications existantes (outils
XAO, systèmes PL, etc.) .

17. http://ippop.laps.u-bordeaux1.fr/ - projet RNTL (réseau national des technologies


logicielles) financé par le ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie entre
décembre 2001 et juin 2005 a regroupé 5 partenaires académiques (Univ. Bordeaux 1- LAPS,
Univ. Bordeaux 1- LMP, INP Grenoble - L3S, UT Troyes - LASMIS, Univ. Nancy 1 -
CRAN) et 3 partenaires industriels (EADS-CCR, ALSTOM Moteurs, Open CASCADE,
ESTIA-Innovation).
226 La conception industrielle de produits 1

11.2.2.2. Mise en œuvre de la conduite à l’aide de PEGASE


Dans ce contexte un logiciel support a été développé [ROB 05] :
PEGASE. Comme nous souhaitions que l’application soit basée sur les
principes open source et soit facilement et rapidement utilisable en réseau,
les IHM ont été développées en langage PHP sur un serveur http Apache
avec une base de données, MySQL©.

L’objectif initial auquel doit répondre PEGASE est d’assurer la liaison


entre la structuration de l’organisation de l’entreprise relative à la conception
et la conduite quotidienne d’un projet de conception, tel qu’il est envisagé
dans le projet IPPOP. A ce titre il ne remplace pas le prototype IPPOP mais
constitue une application experte dédiée pour l’instant aux dimensions
organisation et processus. Ces principales fonctionnalités permettent de
répondre aux besoins suivants :
– corréler l’organisation de l’entreprise et la structuration du projet ;
– structurer le projet et planifier le processus de conception en intégrant
des indicateurs de performance de type processus mais aussi organisation et
produit ;
– assurer le suivi du projet en s’appuyant sur cette intégration et ces
indicateurs.
Entreprise

stratégique
Centre de
Décision
Cadre de
conception

tactique
Données
Techniques
Projet
Projet Données
Techniques

CD CD

DT
opérationnel SP1 DT
SP2 DT

T
T
T

Figure 11.9. Démarche effective de conduite de la conception


Systèmes d’information pour la prise de décision 227

Pour permettre la conduite effective des projets de conception plusieurs


niveaux d’action sont nécessaires lors de la genèse puis du déroulement du
projet de développement d’un produit (figure 11.9). Ce scénario comporte 4
phases parfois simultanées faisant intervenir trois acteurs différents.

Figure 11.10. Organisation de l’entreprise et définition des liens entrant et sortant

1) Une phase de configuration dédiée à l’administrateur qui inclut :


– la définition de l’organisation de l’entreprise (figure 11.10) ;
– l’identification des différents centres de décision (personne ou groupe
de personnes en charge d’un type de décision) au sein de cette organisation,
ainsi que les liens informationnels entre ces différents centres ;
– la saisie de l’ensemble des ressources humaines (profils et
compétences), matérielles et logicielles ;
– enfin la spécification pour chaque élément de l’organisation du
processus de conception dont il est responsable (figure 11.11).

Figure 11.11. Spécification du processus de conception de la « direction recherche »


228 La conception industrielle de produits 1

2) Après que le projet ait été initialisé et les objectifs globaux de


l’entreprise spécifiés, une phase de structuration, d’affectation et de
planification par le coordonnateur (chef de projet ou responsable local) qui
peut de décomposer ainsi :
– le chef de projet structure son projet en vue d’atteindre ces objectifs ;
– il va donc définir plusieurs sous-projets pour lesquels il spécifiera à son
tour des paramètres de conception spécifiques, certains dédiés aux
responsables désignés de ces sous-projets, d’autres à l’ensemble des
concepteurs impliqués (figure 11.12) : les objectifs de conception, les
critères, contraintes et variables des décisions à prendre, les indicateurs de
performance qui seront évalués et les ressources affectées ;
– il associera des données techniques d’entrée nécessaires aux
concepteurs pour atteindre leurs objectifs, et des données techniques de
sortie souhaitées et correspondant à la réalisation de ces objectifs ;
– il définira enfin une planification des tâches à mener, en précisant là
encore leurs objectifs et leurs données techniques ;
– les responsables locaux pourront à leur tour mener la démarche de
structuration/affectation/planification et créer ainsi plusieurs niveaux de
projets.

Figure 11.12. Fixer les paramètres de conception d’un sous-projet


Systèmes d’information pour la prise de décision 229

3) Une phase de réalisation de la part des concepteurs qui vont accéder


aux sous-projets qui leur sont attribués (figure 11.13) pour consulter leurs
objectifs et remplir les indicateurs de performance une fois leur travail
achevé.

Pompe X345
Pompe X345 (P)

Les sous projets relatifs à Pompe X345 :

Figure 11.13. Consulter ses projets

4) Une phase de suivi du projet par le coordonnateur qui peut revenir sur
une phase de structuration ou de réalisation.

5) Afin de permettre le suivi du projet, les concepteurs génèrent les


données techniques attendues et évaluent les indicateurs de performance qui
leur sont demandés.

Cette démarche associée au modèle intégré assure de fait la prise en


compte de l’organisation de l’entreprise, la gestion multi niveaux des projets,
la différenciation entre les décisions et la transformation de la connaissance
produit/processus, la synchronisation des flux informationnels multi et inter
niveaux et enfin le suivi des projets.
230 La conception industrielle de produits 1

11.2.2.3. Synthèse
Ce premier prototype de PEGASE a permis de mettre en œuvre les
dimensions organisation et processus. Il permet de modéliser l’entreprise,
puisque nous identifions ses structures fonctionnelle et décisionnelle, avec
son environnement extérieur dès lors que l’on intègre ses sous-traitants, ses
concurrents, ses clients. Et il participe au pilotage d’un projet de sa création
jusqu’à sa clôture.

Tous les projets de l’entreprise sont susceptibles d’être gérés et pilotés au


travers de l’application qui fournit et capitalise des informations sur les
ressources de l’entreprise (compétences, avancement des projets en cours,
etc.) et permet ainsi de suivre son évolution.

Malgré tout, l’outil reste perfectible. Ainsi, la dimension produit reste à


mettre en œuvre afin de pouvoir définir des indicateurs de performance liés à
l’évolution des données techniques. Ces indicateurs sont actuellement définis
manuellement et il est prévu d’enrichir cette fonctionnalité par des
automatismes permettant de déduire des indicateurs directement à partir de
données du processus ou du produit, ou de l’organisation, via une intégration
vers les autres outils du concepteur (CAO, gestion de projet, etc.). De plus,
la prise en compte des ressources matérielles en vue de leur gestion n’est pas
encore effective et l’intégration de l’outil CO²MED [ROS 04] (outil gestion
des collaborations entre acteurs) est aussi à réaliser pour que PEGASE
puisse ainsi contribuer au pilotage d’activités de conception collaboratives
ou non.

11.3. Limites et évolutions

Même si cette courte présentation n’insiste que sur les systèmes


d’informations supports au travail collectif et les systèmes destinés à
accompagner le cycle de vie du produit, de nombreux outils plus spécialisés
existent et sont utilisés sur le marché. Mais que ce soient des outils CFAO,
des outils KBE, des outils experts adaptés pour un métier donné, tous
partagent des propriétés similaires :
– ils manipulent des informations techniques spécialisées ;
– ils participent donc à des prises de décision techniques partielles,
portant sur un sous-ensemble du produit ou sur un point de vue particulier ;
Systèmes d’information pour la prise de décision 231

– ils permettent parfois une capitalisation des connaissances (outils KBE


et outils CFAO intégrant depuis récemment des fonctionnalités de
modélisation des connaissances techniques venant contraindre les historiques
de construction) limitées généralement à un processus métier/technique
répétitif ;
– leur capacité à être inter opérables pour faciliter les échanges
d’informations est faible car s’appuyant au mieux sur des échanges de
fichiers via des formats pauvres du point de vue sémantique.

De ce point de vue les systèmes actuels répondent de manière incomplète


au besoin croissant d’intégration des connaissances qui permette une
véritable collaboration des différents métiers lors du développement d’un
produit entre plusieurs partenaires. Ils ne répondent pas non plus à la
nécessité de coordonner ces différentes équipes engagées dans la conception
du produit, avec comme corollaire de pouvoir tracer les activités essentielles
pour mieux suivre l’avancement des projets. Ces conditions impliquent
également de pouvoir mieux prendre en compte les activités collaboratives
et/ou informelles, riches d’échanges d’informations et de partage de
connaissances entre acteurs. Les deux cas d’application introduits
précédemment explorent certains aspects de ces pistes de recherche. Les
chapitres suivants vont approfondir la notion de connaissances et explorer la
frontière diffuse entre systèmes d’information et systèmes centrés sur les
connaissances.
CHAPITRE 12

Capitalisation des connaissances

La notion de gestion des connaissances a vu le jour avec la notion de


l’entreprise apprenante, développée dans les sciences de gestion. L’idée est
qu’une entreprise produit aussi bien des connaissances que du bien matériel
et qu’elle doit envisager des moyens pour exploiter ces connaissances
produites. Les connaissances sont bien sûres détenues par les acteurs de
l’entreprise. Nonaka et al [NON 97] ont mis en avant les différentes étapes
de transformation de la connaissance dans une entreprise pour faciliter son
exploitation : externalisation ou explicitation, combinaison ou partage,
internalisation ou appropriation et enfin socialisation qui peut englober les
trois premières étapes (figure 12.1). Ils distinguent la connaissance implicite
détenue par les acteurs de la connaissance explicite, décrite dans des
documents, graphes, modèles, etc.

Figure 12.1. La gestion des connaissances selon Nonaka et Takeushi

Chapitre rédigé par Nada MATTA.


234 La conception industrielle de produits 1

De même, Michel Grundstein et Jean Paul Barthès [GRU 00] ont mis
l’accent sur le repérage ou la localisation de la connaissance comme outil
important pour reconnaître qui détient la connaissance cruciale dans une
entreprise. Le cadre directeur Gameth défini par Michel Grundstein offre un
cadre qui permet pas à pas d’identifier les processus sensibles, ainsi que les
connaissances cruciales et leurs détenteurs dans une entreprise.

Depuis, la gestion des connaissances a connu un essor important dans les


entreprises, surtout avec la mobilité des acteurs et les départs des experts à la
retraite. Nous présentons dans ce chapitre des techniques permettant
l’externalisation des connaissances.

12.1. Capitalisation des connaissances

La capitalisation des connaissances est une notion qui a émergée de


l’exploitation des techniques d’ingénierie des connaissances dans la gestion
des connaissances. L’ingénierie des connaissances fournit essentiellement
une démarche d’analyse et de modélisation d’une résolution de problèmes
[CHA 03a]. Les travaux dans cette discipline représentent des guides
méthodologiques et de représentation de résolution de problèmes [AUS 96].
Certaines de ces démarches ont été utilisées pour rendre explicite par un
recueil et une modélisation, des expertises dans les entreprises. Le résultat
est défini sous forme de capital de connaissances appelée également
mémoire d’entreprise.

Une mémoire d’entreprise est définie comme une « représentation


explicite et pertinente des connaissances dans une organisation » [VAN 97],
[DIE 00]. Cette mémoire explicitant les connaissances dans une
organisation, est considérée comme une base de l’apprentissage dans cette
organisation. Plusieurs types de mémoires ont été définis, on peut parler des
mémoires métiers qui représentent les connaissances relatives à un métier
donné, une mémoire de projet qui permettent de décrire les connaissances
produites lors de la réalisation d’un projet, une mémoire managériale qui
représente les connaissances relatives à la gestion d’une organisation. Nous
présentons dans cette section la modélisation des connaissances ainsi que des
approches de capitalisation des connaissances qui l’utilisent.
Capitalisation des connaissances 235

12.1.1. La modélisation des connaissances

La modélisation des connaissances a marqué la nouvelle génération des


techniques d’Ingénierie des Connaissances (IC). En fait, la plupart des
approches d’IC se base sur une représentation par niveaux de connaissances
(knowledge level) [NEW 82], [VAN 93]. Ce type de représentation permet
par principe une flexibilité dans la représentation, en distinguant la tâche
prescrite du contrôle de l’activité réelle. C’est à travers cette modélisation de
l’activité au niveau rationnel que l’ingénierie des connaissances a fourni
essentiellement une flexibilité dans la représentation des connaissances.
Cette représentation des connaissances fournit un cadre permettant de se
focaliser essentiellement sur la description d’agents rationnels et de leur
conduite avant leur projection dans un format calculable, opérationnable
dans un automate. C’est dans ce sens, que l’ingénierie des connaissances a
permis non seulement de fournir des systèmes calculables (systèmes à base
de connaissances) mais également une représentation formelle de la
connaissance, exploitable sous plusieurs formes (comme par exemple, un
accès cognitif à l’information et au capital connaissance d’une entreprise,
une structuration conceptuelle de différentes facettes d’une donnée, etc.).

Différentes approches définies en ingénierie des connaissances


(CommonKADS [BRE 94], MACAO [AUS 89], KOD [VOG 90], MKSM
[ERM 02], MASK [ERM 02] etc.) offrent des guides permettant de fournir
une telle représentation dans ce qu’on appelle communément le modèle
conceptuel.

Les techniques avancées dans ces approches peuvent être vues comme :
– une grammaire de modélisation (appelée également langage de
modélisation). Dans ce type de langage, les connaissances sont représentées
de façon à mettre avant le « quoi » (concepts manipulés dans un domaine), le
« pourquoi » (processus et objectifs à atteindre) et le « comment » (activité
réelle et démarche de raisonnement permettant d’atteindre les objectifs).
Nous allons présenter des exemples de ces modèles dans la présentation de
la méthode MASK ;
– un vocabulaire (appelés généralement modèles génériques) dans lequel
des primitives spécifiques à certains types de domaines sont définies. Des
types de tâches ainsi que des types de domaines ont été étudiés. Des modèles
types ont été définis à ce propos. Nous présentons un exemple de ces
modèles dans l’approche CommonKADS ;
236 La conception industrielle de produits 1

– une démarche guidant l’ingénieur de connaissances à définir le


vocabulaire spécifique d’une application en utilisant la grammaire définie.
Nous présentons dans la méthode MASK un exemple de démarche de
modélisation des connaissances.

12.1.1.1. Les modèles génériques et la méthode CommonKADS


Définie dans le cadre d’un projet européen ESPRIT, la méthode
CommonKADS [BRE 94] est considérée actuellement comme un standard
européen en ingénierie des connaissances. Dans cette approche, des modèles
génériques de tâches ont été définis. Ils permettent de guider la modélisation
d’une expertise. En effet, un ingénieur de connaissances est guidé par ces
modèles pour identifier en premier lieu les types de tâches de l’expert. Il est
amené ensuite à adapter les modèles choisis pour représenter le modèle
conceptuel de l’expertise étudiée.

Nous présentons spécialement dans cette approche ces modèles puisqu’ils


peuvent être considérés comme guides de modélisation. Par exemple, dans
un diagnostic, l’ingénieur des connaissances peut inciter l’expert à rendre
explicite les symptômes qu’il cherche à détecter, l’association de ces
symptômes à des hypothèses de pannes ou de maladies, etc. De même, dans
une expertise de conception, l’accent est mis sur la spécification des
fonctionnalités et des exigences qui déterminent la conception d’un système
ou d’un produit, etc.

Voici une expérience de modélisation (même si elle était conduite avec la


méthode MASK) où les modèles génériques ont été utiles pour guider
l’explicitation des connaissances d’une expertise de conception de tricot en
3D. L’expert mettait l’accent sur la réalisation du produit avec la machine
puisque cette activité mérite beaucoup d’attention de sa part. L’ingénieur de
connaissances guidant par le modèle générique de conception de
CommonKADS, a poussé l’expert à parler des étapes amont de la réalisation,
comme la conception de la forme. Il est apparu que dans cette expertise, le
savoir-faire est en amont lors de la conception de la forme et surtout de la
programmation de la machine à tricoter, puisque c’est à ce moment, que
l’expert doit prendre en compte, d’une part, tous les paramètres mécaniques
et physique de tension sur les fils et les aiguilles et, d’autre part, la
transformation du schéma en 3D, affichée sur un écran 2D. La réalisation du
produit n’est qu’une vérification du déroulement du programme.
Capitalisation des connaissances 237

Les modèles génériques sont classés selon trois types de tâches (figure 12.2) :
analyse, modification et synthèse. Pour chaque feuille dans l’arbre, un
modèle générique est défini. Nous présentons (figure 12.3) un extrait de ces
modèles génériques. L’ensemble des modèles génériques est décrit dans
[BRE 84].

Figure 12.2. L’arbre de types de tâches

Pour réaliser un diagnostic, l’expert commence d’abord par détecter les


symptômes de la panne et cela, soit en faisant des mesures et des
observations, en posant des questions etc. Les résultats de cette détection
seront comparés à un modèle causal (ce qui est représenté par des
heuristiques) où des relations de causalités sont représentées entre des effets
(symptômes) et des dysfonctionnements (pannes, maladies, etc.). C’est à
travers cette comparaison que l’expert va générer un certain nombre
d’hypothèses de dysfonctionnements qu’il va discriminer par la suite, en
effectuant des tests et/ou des mesures et des observations.

Trois grandes étapes jalonnent la tâche de conception : la spécification


des exigences à partir des intentions et d’une idée d’un produit ; la
conception d’un artefact, d’une architecture, etc, ; l’évaluation permettant la
vérification si l’artefact conçu répond bien aux exigences, sinon des
modifications devraient être portées soit aux exigences soit à l’artefact ou
aux deux. La tâche de conception est itérative, puisque les trois étapes
définies sont réalisées à chaque phase de la conception (spécification des
fonctionnalités, définition du concept, de la géométrie, du prototype, etc.).
238 La conception industrielle de produits 1

Figure 12.3. Les modèles génériques dans CommonKADS

12.1.1.2. La méthode MASK


La méthode MASK [ERM 02] est une extension de la méthode MKSM
[ERM 96]. Elle aborde la gestion de connaissances comme un processus
entier en ne se limitant pas sur la capitalisation des connaissances.

De ce fait, les étapes de capitalisation préconisées par la méthode sont


étendues pour supporter l’appropriation et l’évolution du livre de
connaissances (figure 12.4).

Nous pouvons surtout distinguer :


– les étapes de co-construction où une interaction forte avec l’expert
permet de construire avec lui les modèles de connaissances ;
Capitalisation des connaissances 239

– les étapes de consensus où des réunions de consensus sont organisées


aussi bien avec des potentiels utilisateurs du livre qu’avec des représentants
de la hiérarchie. Ces réunions ont pour objectifs d’amorcer d’une part,
l’appropriation parmi l’équipe des experts auteurs du livre de connaissances
et, d’autre part, la reconnaissance du livre comme référence dans
l’entreprise ;
– la prise en compte de l’évolution du livre de connaissances, lors de sa
conception : mise en place d’un comité de pairs, désignation d’un pilote du
livre, etc. ;
– une conception soignée et adaptée du livre de connaissances, spécifiant
différentes logiques de navigation, plusieurs types d’index, etc., et
considérant différents supports (papiers, hypermédia), a été envisagée afin de
faciliter l’appropriation des connaissances, décrites dans le livre.

Consensus

Co-construction Livre de
connaissances Sensibilisation
Formation
Figure 12.4. Les étapes de capitalisation des connaissances avec MASK

La représentation des modèles dans MASK respecte le même principe


des langages de modélisation définis en ingénierie des connaissances, à
savoir :
– l’identification des concepts manipulés et les contraintes du domaine
(figure 12.5), ici appliqué à la modélisation d’expertise de tricotage en 3D
afin de transmettre plus facilement ce savoir-faire ;
– le processus présentant un ordonnancement des tâches à réaliser (figure 12.6) ;
– la démarche de l’expert pour réaliser les tâches du processus (figure 12.7) ;
240 La conception industrielle de produits 1

Figure 12.5. Représentation des concepts ainsi que les contraintes du domaine,
exemple extrait d’une modélisation d’expertise de tricotage en 3D

Figure 12.6. Représentation du processus.


Exemple extrait d’une modélisation d’expertise de tricotage en 3D

Figure 12.7. Représentation de la démarche de résolution de problèmes,


exemple extrait d’une modélisation d’expertise de tricotage en 3D
Capitalisation des connaissances 241

Dans MASK, des modèles sont prévus pour représenter l’évolution des
connaissances : l’historique des connaissances exprimées et les lignées
permettant de décrire l’évolution du sens des concepts-clés.

12.1.2. Exemples de systèmes

Nous présentons trois exemples de systèmes basés sur des connaissances.


Le système Tiger [MIL 00] est utilisé pour faire du diagnostic des turbines à
gaz. Il est utilisé spécialement chez General Electric.

Une base de règles est définie sur les contraintes temporelles des
évènements.

Un raisonnement basé sur la logique temporelle permet de définir des


séquences d’évènements détectés à partir des capteurs.

Les séquences sont ensuite classées avec un ordre de priorité, de façon à


guider le diagnostic des pannes éventuelles (figure 12.8).

Niveau 4 : Conclusions du diagnostic Trié par des priorit és

S
Niveau 3 : Séquencement d’événements Raisonnement temporel

Niveau 2 : Abstraction d ’événements Base de r ègles : contraintes


temporelles

Niveau 1 : D étection de d
défaut Détecteurs sp écifiques

Figure 12.8. Le principe de raisonnement dans le système Tiger

Le système P-Race [BAN 00] développé par Pirelli est basé sur un
système à raisonnement à base de cas. Il est destiné à aider la formulation du
caoutchouc pour les pneus de voitures de sports.
242 La conception industrielle de produits 1

Trois bases de cas sont définies (voir tableau 12.1).

Piste Course Formulation des pneus


- Position de voitures - Type de championnat - Quantité et type d’ingrédients
- Nature de la route - Voiture - Propriétés en termes de performance
- Profil géométrique - Equipe, conducteurs - Propriétés chimiques et physiques
- Sévérité du parcours - Temps de course, etc. - Changement de propriétés =>
- Condition - Structure de pneus changement de performances
atmosphérique - Composition - Règles ingrédients/propriétés
de matières - Ingrédients => variation de propriétés
- Formules : substitution d’augmentation...

Tableau 12.1. Les trois bases de cas dans le système Tiger

Les concepteurs sont guidés par ces bases de cas pour définir des formules
de caoutchouc correspondant à chaque nouvelle course (figure 12.9).

Figure 12.9. L’architecture du système P-Race

Nous pouvons également citer le système SDR [ANR 00] d’aide à la


conception. Dans ce système, une modélisation des pièces de véhicules chez
Daimler-Chrysler à Berlin a été définie.
Capitalisation des connaissances 243

Cette modélisation est réalisée de deux façons différentes, une décrivant


la composition des pièces et une autre représentant les interfaces entre ces
pièces.

De même, un ensemble de contraintes sur les paramètres et les interfaces


de dépendances est défini. Un concepteur est guidé pour définir une pièce
selon les paramètres et les contraintes d’un nouveau système, en choisissant
d’abord dans la composition de pièces celles qui sont proches de son
problème. Ensuite, il saisit les paramètres et les contraintes exigées pour son
système, un raisonnement par satisfaction des contraintes permet de
sélectionner les pièces qui sont les mieux adaptées à son système.

Le concepteur continue à éliminer au fur et à mesure les pièces non


correspondantes en suivant des itérations de sélections et de définition des
paramètres et des contraintes (figure 12.10).

Figure 12.10. Le système d’aide à la conception SDR

12.2. Synthèse

Les différentes approches citées ci-dessus, donnent un aperçu sur les


techniques utilisées pour la capitalisation des connaissances. Certaines
techniques sont des applications de l’ingénierie des connaissances comme
CommonKADS et MASK. L’ensemble de ces techniques n’offre des aides
que pour une étape dans la gestion des connaissances qui est l’explicitation.
244 La conception industrielle de produits 1

D’autres travaux comme le web sémantique [CHA 03], ou des


cartographies des connaissances [ERM 02] sont très utiles pour le partage
des connaissances. De même, des travaux actuels étudient des techniques
pour définir des formations [CAS 03] comme aide à l’appropriation.

Des recherches en gestion des connaissances sont également menées pour


aider au partage direct des connaissances (appelé également socialisation).
Ces recherches mettent en évidence la mise en place des communautés des
pratiques dans les organisations.
CHAPITRE 13

Traçabilité

13.1. Traçabilité des connaissances

La traçabilité vise essentiellement à extraire la connaissance produite au


cours de l’activité. Il s’agit alors d’extraire la connaissance directement des
réunions de décision, des annotations de documents, des bases de données et
des dessins ainsi que des outils et de leur utilisation pour une activité
donnée. On peut évoquer l’approche MOKA, mise en œuvre au sein
d’EADS pour formaliser certains processus de développement. La
modélisation des processus de conception de produits manufacturiers
s'effectue ici suivant deux points de vue : le point de vue « produit »
(descriptions systémiques, fonctionnelles, mécaniques, géométriques) et le
point de vue « processus ».

De nombreux travaux ont abordé cette notion de traçabilité par le biais du


retour d’expérience, avec la méthode REX par exemple, qui sera développée
dans ce chapitre, et ses méthodes dérivées. Quelle que soit la méthode,
l’objectif est de permettre la conservation des éléments ayant amené à la
prise de décision. Ceci autorise par la suite soit de revenir en arrière, soit de
mieux anticiper les futures prises de décision.

Chapitre rédigé par Anne-Lise HUYET et Nada MATTA.


246 La conception industrielle de produits 1

Les approches de mémoire de projets et surtout les approches issues du


design rationale (génie de la conception) ont particulièrement étudiées cette
question et seront présentées dans ce chapitre.

Enfin dans une seconde partie de ce chapitre seront étudiées les


approches d’extraction de connaissances semi-automatisées au sein de bases
de données. Ce domaine est particulièrement adapté pour faire émerger des
connaissances alors qu’il n’existe pas d’expertise susceptible de la formaliser
directement. Il s’agit alors d’un moyen efficace destiné à s’insérer dans une
démarche de capitalisation des connaissances.

13.1.1. Une méthode pour le retour d’expérience : REX

La méthode REX a été définie au départ dans le but de capitaliser les


expériences de conception de réacteurs nucléaires au sein du CEA. La
méthode a été ensuite utilisée dans divers types d'applications tels que la
spécification de systèmes de contrôle dans le domaine électrique, la
conception de générateurs électriques, la conception aéronautique, etc.

Le principe de base de la méthode consiste à constituer des « éléments


d'expériences », extraits d'une activité quelconque et à restituer ces éléments
pour qu'un utilisateur puisse les valoriser. Les éléments d'expérience ainsi
définis sont stockés dans une mémoire d'expérience appelée (CEMem) avant
d'être restitués.

Un élément d'expérience est typiquement défini par :


– un contexte,
– une description ou corps,
– une liste de références,

Le corps est décomposé lui même en trois parties :


– une description neutre d'un fait,
– une opinion propre et des commentaires,
– des recommandations.

Les éléments d'expérience sont définis principalement à l'issue des


entretiens auprès d'experts et à partir des documents relatant une activité
(documents de synthèses, bases de données).
Traçabilité 247

Un questionnaire doit être défini. Il forme une base pour le cogniticien


dans un entretien avec un expert. Il permet d'élucider les éléments
d'expériences et leur description. Trois entretiens d'une demi-journée chacun
sont recommandés à ce propos.

Le premier entretien est mené d'une manière libre et vise à identifier les
personnes concernées par un thème particulier et à collecter leur avis. Le
texte recueilli à l'issue de cet entretien sert à identifier plusieurs éléments
d'expérience correspondant aux différents faits cités.

Au cours du deuxième entretien, un ensemble provisionnel d'éléments


d'expérience est présenté à l'expert qui peut modifier leur contenu et les
enrichir.

L'objectif du troisième entretien est de vérifier si toutes les modifications


apportées aux éléments d'expérience ont été considérées. D'éventuelles
corrections sont alors introduites.

Les éléments d'expérience peuvent être également extraits des documents


techniques, des standards, des procédures, des codes de calcul, etc. Par
exemple, chaque paragraphe dans un document peut être considéré par un
élément d'expérience de la même façon qu'une partie d'un entretien. Les
éléments d'expérience ainsi constitués sont ensuite organisés de façon à ce
qu'ils soient facilement réutilisables. Cette organisation est spécifique à
chaque entreprise

Le modèle descriptif (figure 13.1) permet de représenter les différents


points de vue identifiés dans une entreprise. Généralement, une douzaine de
points de vue semble raisonnable, au delà le réseau défini par ces points de
vue sera inexploitable.

Comme exemple de points de vue, nous pouvons distinguer dans une


activité de conception les points de vue géographique, topologique, etc.
Chaque point de vue est représenté par un réseau d'objets définis sous forme
de concepts (le lexique), reliés entre eux suivant un réseau sémantique. Un
ensemble de catégories de liens est défini comme : « ensemble/élément »,
« général/spécifique », « proximité », self-évolution (auto-évolution). Le
modèle descriptif peut ne pas être défini de façon exhaustive et être
représenté comme ici par des éléments d’expérience en langage naturel. Il
sera enrichi au fur et à mesure.
248 La conception industrielle de produits 1

Traversée en deux coups personne


Arrêt au milieu Trafic faible
Traverser Stratégie Flux de gauche
Attentes Trafic Trafic dense
Lexique Choix de stratégie Flux de droite

Attente
Points de
vue/Modèle Stratégie de traversée
descriptif Trafic

Eléments
Ex: Traversée d’un carrefour
D'expérience

Rapport Drast n.
Entretien N.3
Rapport Méthode

Figure 13.1. Modèle d'une mémoire d'expérience. Ce modèle est constitué de quatre parties :
réseau terminologique ou lexique, modèle descriptif, éléments d'expérience et documents

Un réseau terminologique nommé aussi lexical items network est défini


pour permettre des requêtes proches du langage naturel. Ce réseau est
constitué d'objets qui peuvent être des mots ou des phrases nominales,
appartenant au vocabulaire du domaine considéré. Le réseau est structuré
avec des relations syntaxiques de type « sorte-de » et « concerne ».

Un élément d'expérience est considéré comme élémentaire dans la


mémoire. Il est rattaché à un ensemble d'objets définis dans les points de
vue. Cette opération peut être automatique. Elle est basée sur une
reconnaissance lexicale des termes identifiés dans le texte de l'élément
d'expérience mais le choix final du lien à établir revient au cogniticien. Ce
type d'association permet une vue descriptive du domaine. La représentation
textuelle d'un élément d'expérience peut automatiquement être indexée en
reliant les termes identifiés dans le texte au réseau terminologique défini.

Un système d’information peut être associé à la méthode REX. Il permet


d'une part de mémoriser les éléments d'expérience et fournit d'autre part, une
interface d'accès à ces éléments.
Traçabilité 249

L'interface du système est conçue de manière à permettre des requêtes en


langage naturel. La requête ainsi formulée, sera analysée par le système, qui
en réponse, propose à l'utilisateur un ensemble d'objets candidats
correspondant aux termes identifiés dans le réseau terminologique. La
description d'un objet choisi, correspondant à sa description dans le modèle
descriptif, ainsi que les éléments d'expérience qui y sont rattachés, sont alors
présentés.

13.1.2. Mémoires de projet

Durant des projets où plusieurs acteurs de diverses disciplines coopèrent


pour atteindre un objectif commun, une traçabilité des connaissances
produites peut être réalisée. Le résultat de cette traçabilité peut être exprimé
en mémoire de projets. Une mémoire de projets est généralement définie
comme la représentation des connaissances produites lors de la réalisation de
projets [MAT 00]. Elle peut être structurée ainsi :
– l’organisation du projet : les différents participants, leurs compétences,
leur organisation en sous-groupes, les tâches qui lui sont assignées, etc. ;
– les référentiels (règles, méthodes, lois, etc.) utilisés pour réaliser les
étapes du projet ;
– la réalisation du projet : la résolution des problèmes, l’évaluation des
solutions ainsi que la gestion des incidents rencontrés ;
– le principal objectif du projet : la stratégie globale qui guide la prise des
décisions ainsi que les résultats de la concrétisation des décisions.

Plusieurs structures ont été définies pour représenter la logique de


conception dans un projet. Nous pouvons distinguer un certain nombre de
primitives comme : question, proposition, arguments, critère, etc. Ces
représentations peuvent être classées en deux principales catégories : une
représentation dirigée par la prise de décision et une représentation de la
dynamique de résolution de problèmes.

1) Représentation dirigée par la prise de décision

Plusieurs méthodes ont été définies pour garder une trace de ces
connaissances. Citons IBIS, QOC, DRCS [MAT 00]. Nous présentons la
méthode QOC (questions, options and criteria) qui illustre l’ensemble de ces
approches.
250 La conception industrielle de produits 1

L’approche QOC a pour objectif de représenter la logique de


conception design rationale (nommée aussi l’analyse de l’espace de
conception). Cette approche recommande de représenter cette analyse
sous forme de (figure 13.2) :
– questions : les questions et problèmes posés dans une conception ;
– options : les différentes réponses données à ces questions ;
– critères : les critères qui permettent de discriminer telles ou telles options.

Figure 13.2. La représentation de la prise de décision selon QOC

L’approche QOC ne fournit pas une représentation du processus de


conception mais plutôt une analyse de la prise de décision dans la
conception. Les auteurs de l’approche considèrent que l’espace de
conception peut être représenté par des choix de conception. Ces choix sont
structurés comme réponse aux questions évoquées par les problèmes de
conception. Des critères sont utilisés dans le choix de certaines options
comme solution et réponse à une question. Des arguments peuvent justifier
les choix d’une option suivant un critère donné. Un critère permet aussi de
rendre explicite une ou plusieurs exigences dissimulées dans la question.
Une structuration de l’espace de conception peut être alors sous forme
d’association de questions, options et critères.

2) Représentation de la dynamique de résolution de problèmes

Certaines approches offrent une représentation plus globale de la logique


de conception. En effet, des éléments du contexte comme l’organisation de
l’activité, le rôle des acteurs ainsi que l’artefact sont représentés. Nous
pouvons distinguer spécialement le système DRCS [KLE 93] ainsi que le
formalisme DIPA [LEW 99].
Traçabilité 251

Le lecteur se reportera aux documents sur le CD pour de plus amples


descriptions. Nous détaillons ici la combinaison de ces deux approches :
la méthode DYPKM.

La méthode DYPKM [BEK 03], [DJA 06] permet de garder une trace des
projets de conception. Plusieurs étapes ont été définies dans cette méthode
de façon à permettre un recueil durant la réalisation des projets, de
caractériser les connaissances recueillies et de les associer, de les représenter
en plusieurs vues afin de montrer d’une part la dynamique de la résolution de
problèmes et de la prise de décision. Des regroupements peuvent également
être réalisés pour identifier des stratégies globales de résolution de
problèmes d’une organisation (figure 13.3).

Mémoire de Projet

Arbre de critères

Recueils structurés ent


rou pem
Reg
on
isati
a ra ctér ères
C c rit
n des
atio
t if ic s
Iden oncept Réutilisation
c
des
ueil
Rec actions
t er
in
des

Figure 13.3. Les étapes de traçabilité de DYPKM2

Un arbre de critères permet de guider la caractérisation des relations entre


les concepts. Ces critères caractérisent aussi bien les rôles et les compétences
des participants que les tâches et les problèmes de conception.

En analysant, les liens entre les points de vue sociologique, psycho-


cognitif et travail coopératif, des vues ont été identifiées en fonction des
types de liens entre les concepts.

Certaines de ces vues sont proches des cinq modèles de représentation de


la logique de conception présentés dans le langage DRCS :
– vue sur la réalisation de la tâche : mettant en relation les arguments, les
ressources, les compétences des acteurs ainsi que le produit ;
252 La conception industrielle de produits 1

– vue sur la négociation : regroupant les relations entre les participants,


leurs rôles dans la conception, les suggestions et les arguments avancés ;
– vue sur l’organisation du projet : présentant les liens entre les
suggestions, les tâches du projet et les rôles des participants ;
– vue sur l’analyse des contraintes du projet : mettant en relation les
contraintes du projet, les tâches, les ressources et le produit ;
– vue sur la prise de décision : présentant les relations entre la décision, le
problème, les arguments, les participants et les tâches (figure 13.4).

Figure 13.4. Vue sur la décision

13.1.3. Illustration : traçabilité de la conception d’une éolienne

Nous avons validé notre approche sur un exemple de conception d’une


éolienne. Il s’agit d’un projet mené entre les étudiants de l’université de
Technologies de Belfort Montbéliard et l’école Centrale de Lyon. Les
étudiants conçoivent ensemble et à distance des éoliennes qu’ils envoient
ensuite dans le continent africain. Ils utilisent un environnement support à la
conception coopérative ACSP.

Nous avons extrait les interactions entre les étudiants et nous les avons
analysées en suivant notre approche de traçabilité et de capitalisation des
connaissances. Nous présentons notre analyse de la phase de spécification de
l’éolienne.

Le résultat de l’identification des concepts ainsi que la caractérisation des


relations est présenté dans le tableau 13.1.
Traçabilité 253

Enoncés Participant Critère Liens


Projet conception éolienne : EOLE GSC
Pb1 : incidents techniques sur ancien projet
Sugg 1 : première analyse P: SG
Décision 1 : transférer dans le nouveau P: SG, chef autorité
projet de projet
Produit 1 : données transférées en partie P: SG décision 1
Tâche 1: copier-coller des fonctionnalités réalisation/ décision 1
exécution
Tâche 2 : gestion de projets préparatoire: décision 1
planification
Rôle 1 : chef de projet TM prendre projet
Participant 2 : remettre en place TM animateur rôle 1

Tableau 13.1. Résultat du recueil et de la caractérisation des connaissances du projet

Figure 13.5. Vue sur la réalisation des tâches de la spécification de l’éolienne


254 La conception industrielle de produits 1

Un exemple d’une vue sur la réalisation de la tâche (figure 13.5) et d’une


vue sur la prise de décision est représenté (figure 13.6).

Figure 13.6. Vue sur la prise de décision dans la phase de spécification de l’éolienne

Des regroupements basés sur la similarité des relations entre les concepts,
ont été faits sur deux projets de conception d’éolienne. Par exemple, dans la
phase de spécification d’éolienne, le regroupement des vues de réalisation de
la tâche a permis de mettre en avant un changement d’attribution de tâches
émanant d’un besoin en compétences. Ce constat peut amener à une
reconfiguration a priori dans l’avenir dans l’organisation des tâches pour
prendre en compte dès le début, le besoin de ces compétences.

13.1.4. Synthèse

Quelques approches ont été présentées pour la traçabilité des


connaissances. Certes ce bref aperçu n’est pas exhaustif. Des techniques
comme la méthode QOC sont étudiées en ingénierie des connaissances dans
l’argumentation et le travail coopératif assisté par ordinateur.

La prochaine section aborde la génération de connaissances par


apprentissage automatique.
Traçabilité 255

13.2 Apprentissage automatique de connaissances

13.2.1. Contexte

L’objectif de l’apprentissage automatique est d’acquérir ou d’extraire des


connaissances à partir de données. Aujourd’hui les sources de collecte de
données sont multiples. Parmi les principales, nous pouvons citer les études
de simulation qui fournissent un certain nombre d’évaluations de diverses
configurations ou options, les entreprises-ressources-planning qui ont
généré et maintiennent à jour des nombreuses bases de données
d’information relatives aux produits et aux processus des entreprises, les
systèmes de supervision (MES) qui permettent d’assurer un suivi et de
renseigner des bases de données en temps réel par rapport à de nombreuses
variables ou indicateurs du système, les experts des systèmes… Néanmoins,
ces données sont le plus souvent peu explicites car trop nombreuses et les
dépendances et interactions qui les régissent sont difficiles à établir. Or il est
inutile de collecter des informations si l’on n’est pas capable, ensuite, de les
organiser et de dégager celles qui sont pertinentes par rapport à l’objectif
poursuivi et cela, à chaque fois que nécessaire. Ainsi, pour l’apprentissage
automatique, il est important de s’assurer de l’acquisition des informations,
tout en gérant leur hétérogénéité, ainsi que leur traitement et leur
structuration en vue de leur exploitation.

Afin d’exploiter et d’apprendre de ces données, il existe de nombreuses


approches relatives à l’analyse de données pour l’aide à la décision sur ces
systèmes notamment en phase de conception. Le but est alors ici de tenter de
répondre aux questions du type :
– sur quelles variables de décision agir pour augmenter la performance du
système et dans quelle mesure ?
– quelles sont les relations entre les variables de décision et la
performance ?
– sur quelles variables de décision est-il judicieux d’agir pour une
amélioration à moindre coût ?
– a contrario, quelles sont celles qui ne sont pas décisives dans la
construction d’une solution performante ?
– quelles variables de décision ou quelles valeurs de quelles variables de
décision dégradent rapidement une solution en termes de performance ?
– etc.
256 La conception industrielle de produits 1

Finalement, le but principal est ici de passer de la donnée à la


connaissance, c’est-à-dire de transformer des données brutes en
connaissances afin de les exploiter au mieux lors de la prise de décision.

Parmi les différentes méthodes qui tendent à résoudre ces problèmes, on


distingue deux grandes familles : les méthodes statistiques telles que la
régression linéaire ou l’analyse de sensibilité par exemple et, les méthodes
issues de l’intelligence artificielle et plus particulièrement relatives à
l’apprentissage comme, par exemple, les réseaux de neurones ou les graphes
d’induction. Nous présenterons les principes généraux de ces méthodes ainsi
que quelques applications réalisées notamment dans les systèmes de
production.

13.2.2. Objectifs des méthodes existantes et résultats prévisibles

L’objectif commun à toutes les approches qui seront présentées par la


suite pourrait se résumer par cette question : que faut-il retenir et donc
qu’est-ce qui sera à nouveau utile pour concevoir un produit ou un système
performant ? Pour décliner cet objectif ambitieux, on peut citer d’autres
objectifs implicites qui caractérisent plus précisément certaines approches :
– exploiter les données collectées ;
– identifier les possibles interactions entre les différents paramètres des
données ;
– acquérir automatiquement des connaissances impartiales (non définies
par un expert a priori) ;
– modéliser les connaissances acquises pour en faciliter l’exploitation
(sous forme de règle, de graphes d’induction, etc.).

Afin de choisir la méthode la plus adaptée au contexte d’étude et aux


objectifs, nous proposons un état des lieux des principales approches et de
leurs résultats. Tout d’abord, dans les méthodes analytiques, l’analyse
statistique et la classification permettent de dégager des points communs en
solutions. L’analyse de sensibilité étudie l’influence des différents
paramètres des données sur le résultat et/ou la performance. Parmi les
méthodes issues de l’intelligence artificielle, les réseaux de neurones seront
capables de prédire une ou plusieurs variables de sortie à partir de valeurs
d’entrée. Les graphes d’induction et arbres de décision apportent des
connaissances basées sur des calculs d’entropie sous forme de règles
Traçabilité 257

d’induction. Les algorithmes évolutionnistes reprennent l’heuristique basée


sur la théorie de l’évolution afin d’optimiser la prédiction de valeur(s) de
sortie à partir de valeurs d’entrée.

13.2.3. Les méthodes d’extraction automatique de connaissances

Dans ce domaine, la terminologie porte parfois à confusion et on utilisera


le plus souvent indifféremment les termes d’extraction de connaissances,
d’apprentissage ou même de caractérisation.

13.2.3.1. Principes généraux


13.2.3.1.1. Apprentissage non supervisé
Dans la réalité, l’homme a souvent beaucoup de mal à mémoriser, de
façon individualisée, un ensemble d’objets, surtout lorsqu’ils sont en très
grand nombre. Il préfère généralement catégoriser ces objets en classes en
fonction de certaines propriétés communes ou en fonction d’un critère. Ce
qu’il retient alors sont les caractéristiques de chaque classe, non les individus
qui la composent. Par un tel procédé, nous passons d’une énumération
classiquement appelée « description en extension » vers une caractérisation
en termes de propriétés nommée « description en intention ». Ces classes
sont en fait des objets symboliques [KOD 91] appelés parfois « concepts ».

En apprentissage non supervisé, la structuration des objets en classes


homogènes est réalisée de façon automatique au moyen de méthodes
implémentées sur ordinateur. Le but est alors que celui-ci propose des
regroupements ayant un sens pratique. Nous parlons d’apprentissage non
supervisé parce que l’utilisateur ne sait pas, a priori, quelles classes, groupes
ou catégories il va obtenir.

Les techniques employées sont appelées « méthodes de classification


automatique » (cluster analysis) ou « classifications conceptuelles » ou
« méthodes de taxinomie »… et sont exposées dans de nombreux ouvrages
d’analyse de données [LEB 00, JAM 78], d’intelligence artificielle, de
reconnaissances de formes, etc.

Selon Zighed et Rakotomalala [ZIG 00], les différentes techniques


peuvent être réparties en trois groupes :
258 La conception industrielle de produits 1

– les méthodes monothétiques dont l’objet est la recherche de partitions, sur


l’ensemble des objets à classer, telles que sur chaque classe, l’un des attributs,
noté par la suite Xj , soit constant ou de très faible amplitude. Parmi les
méthodes entrant dans cette catégorie, on peut citer la segmentation [WIL 96] ;
– les méthodes polythétiques dont l’objet est la recherche de partitions
dans lesquelles les éléments d’une même classe ayant entre eux une certaine
ressemblance et des éléments appartenant à des classes différentes d’une
même partition soient les plus dissemblables au sens d’un certain critère
préétabli. Parmi les techniques fréquemment employées, on peut citer les
méthodes de classification hiérarchiques, les méthodes dites de ré-allocation
comme celles des nuées dynamiques, ces méthodes ne seront pas présentées
ici [VOL 85, NAK 05] ;
– les méthodes basées sur les réseaux de neurones.

13.2.3.1.2. Apprentissage supervisé


Dans cette catégorie d’apprentissage, nous avons une notion de valeur
cible, définie par les états d’une variable particulière, appelée « variable
endogène », fixée a priori. L’objectif est alors de mettre au point un
processus permettant de calculer les valeurs de la variable endogène de façon
automatique à partir d’autres informations. Quand la variable endogène est
discrète, on parle alors de classes. Celles-ci sont généralement identifiées par
des étiquettes que nous noterons ck, avec k=1,…, m.

Selon Zighed et Rakotomalala [ZIG 00], les méthodes d’apprentissage


supervisé peuvent être à leur tour réparties selon les catégories suivantes :
– les méthodes analytiques ;
– les méthodes basées sur les réseaux de neurones ;
– les méthodes à base de graphes d’induction ;
– les méthodes symboliques qui travaillent sur des ensembles hiérarchisés
ou non comme celles qui exploitent les algorithmes génétiques ou les treillis
de Galois.

Certains principes et méthodes de classification sont également utilisables


et utilisés en extraction de connaissances à partir de données. La différence
principale est qu’il n’y a pas eu de sélection a priori sur les variables à prendre
en compte, on souhaite que cela soit fait automatiquement par la méthode. On
cherche à construire un procédé qui extrait les propriétés communes d’un
ensemble de données classifiées ainsi que les propriétés qui distinguent une
Traçabilité 259

classe de données d’une autre. On qualifie généralement ce type de processus


d’inductif dans la mesure où il induit une valeur cible à partir d’autres
variables définissant les données. Ainsi, le but est, à partir de ce processus
inductif, de déterminer à quelle classe appartient une donnée non classifiée et
ce, à partir d’une observation partielle des variables qui la composent. Pour
construire un tel modèle, une base de données exemple, appelée ensemble
d’apprentissage, est traitée comme un ensemble d’entraînement dans lequel
chaque donnée consiste en un même jeu de variables multiples, aussi appelées
attributs, et est associée à une classe. La construction de ce processus inductif
est l’objectif de l’apprentissage automatique.

L’apprentissage automatique, dans une définition très générale, consiste en


l’élaboration de programmes qui s’améliorent avec l’expérience. Les
applications sont nombreuses et variées comme la reconnaissance de formes,
celle de la parole et du texte écrit, le contrôle de processus, le diagnostic de
pannes ou les programmes de jeu. Les méthodes d’apprentissage sont
également une des solutions pour faire du data-mining. Parmi leurs multiples
applications, on peut citer la prévision d’évolution de marchés en analyse
financière, l’attribution de prêts dans les banques, l’aide au diagnostic en
médecine, etc.

Le but de l’apprentissage est de rechercher une procédure d’induction


telle que, étant donné :
– un univers Ω,
– une partition C de l’univers en classes :

C : Ω → (c1 , c 2 , … , c k , … , c m ), soit : ω → C (ω ) [13.1]

– un ensemble X de variables définies sur Ω et prenant leurs valeurs dans


un certain espace de représentation ℜ de l’univers :

X :Ω →ℜ
ω → X (ω ) = (X 1 (ω ), X 2 (ω ), … , X j (ω ), … , X q (ω ))
[13.2]

On cherche une fonction ϕ (fonction de classement, ou procédure


d’induction, ou modèle de prédiction, ou fonction d’apprentissage) permettant
de prédire la classe C(ω) de tout individu ω ∈ Ω en fonction de ses valeurs sur
l’ensemble X des variables :
260 La conception industrielle de produits 1

ϕ : ℜ → (c1 , c 2 , … , c k , … , c m )
X (ω ) = (X 1 (ω ), X 2 (ω ), … , X j (ω ), … , X q (ω )) → ϕ ( X (ω ))
[13.3]

La classe ϕ (X(ω)) sera simplement notée ϕ (ω).

Au vu d’un échantillon (un ensemble de données), il s’agit donc de


développer une procédure pour laquelle l’erreur d’induction est minimale,
par exemple qui associe le plus souvent possible correctement la classe
correspondant à la donnée. La fonction C doit permettre une « bonne
prévision », c’est-à-dire que, le plus souvent possible pour des individus ω
de Ω , ϕ (ω) = C (ω) ou de manière plus réaliste que ϕ (ω) soit une bonne
approximation de C(ω).

Cette problématique est l’un des intérêts de la communauté de


l’intelligence artificielle, comme de celle de l’ECD ou fouilles de données
[CHA 03]. On s'intéresse à générer des procédures ayant un bon pouvoir
prédictif, soit encore, à des procédures capables de classer de nouveaux
exemples (nouveaux au sens de non présents dans l'échantillon). Cependant,
l'apprenant n'a pour donnée que l'échantillon et il est possible pour lui de
générer une procédure qui classifie bien tous les exemples de l'échantillon
mais qui ait un mauvais pouvoir de prédiction.

La principale difficulté est que cette procédure ait un bon pouvoir de


prédiction sur de nouvelles données. Par exemple, soit la procédure
d’induction suivante : on mémorise tous les exemples de l'échantillon
d'apprentissage dans une table, lorsqu'une nouvelle description est présentée
au système, on effectue une recherche dans la table, si la description
correspond à une description existante dans la table (description d'un
exemple de l'échantillon), on retourne la classe correspondante, sinon on
retourne une classe au hasard. Cette procédure ne fait aucune erreur sur les
exemples de l'échantillon, par contre, on se doute que son pouvoir prédictif
sera très mauvais.

Notons que, pour certains problèmes réels, il peut être intéressant de


déterminer une procédure dont le seul but est de bien classer l’échantillon.
En effet, il peut être utile d’avoir une procédure simple et efficace qui
calcule la classe associée à une description en évitant d’effectuer des
recherches coûteuses (pour chercher la classe) dans une grande base de
données.
Traçabilité 261

Pour notre propos, nous cherchons un système d’apprentissage capable de


construire une procédure de classification qui soit non seulement correcte sur
l’échantillon mais qui ait, en plus, un bon pouvoir de prédiction sur de
nouveaux exemples. Il est à noter que, dans la plupart des cas, chercher une
procédure d’erreur de classification minimale est un problème NP-complet.

13.2.3.2. Les réseaux de neurones


Un neurone est une fonction algébrique non linéaire et bornée, dont la
valeur dépend de paramètres appelés coefficients ou poids. Les variables de
cette fonction sont habituellement appelées entrées du neurone, et la valeur
de la fonction est appelée sa sortie. Un neurone est donc avant tout un
opérateur mathématique. On a l'habitude de représenter graphiquement un
neurone de la façon suivante (figure 13.7), avec :

y=f(x1, x2, …xn ; c1, c2, …cp)


[13.4]

Les {xi} sont les variables (ou entrées) du neurone, les {ci} sont des
paramètres ajustables.

x1 x2 xn

Figure 13.7. Un neurone réalise une fonction non linéaire bornée

Les neurones les plus fréquemment utilisés sont ceux pour lesquels la
fonction f est une fonction non linéaire (généralement une tangente
hyperbolique) d'une combinaison linéaire des entrées :

⎢n ⎥
y = tanh⎢∑ci*xi⎥ [13.5]
⎣ i =1 ⎦
262 La conception industrielle de produits 1

Un neurone formel ne réalise donc rien d'autre qu'une somme pondérée


suivie d’une non-linéarité. C'est l'association de tels éléments simples sous la
forme de réseaux qui permet de réaliser des fonctions utiles pour de
nombreuses applications.

On distingue deux grands types d'architectures de réseaux de neurones :


les réseaux de neurones non bouclés et les réseaux de neurones bouclés.

13.2.3.2.1. Les réseaux de neurones non bouclés


Un réseau de neurones non bouclé réalise une ou plusieurs fonctions
algébriques de ses entrées par composition des fonctions réalisées par
chacun de ses neurones [BIS 95].

Un réseau de neurones non bouclé est représenté graphiquement par un


ensemble de neurones « connectés » entre eux, l'information circulant des
entrées vers les sorties sans « retour en arrière » (backtracking).

La figure 13.8 représente un réseau de neurones non bouclé qui a une


structure particulière, très fréquemment utilisée : il comprend des entrées,
une couche de neurones « cachés » et des neurones de sortie. Les neurones
de la couche cachée ne sont pas connectés entre eux. Cette structure est
appelée perceptron multicouche.

Sorties du réseau

Nc+1 Nc+ No
Couche de neurones de sortie

1 Nc Couche de neurones cachés

1 NI

Entrées du réseau

Figure 13.8. Forme canonique d’un réseau de neurones non bouclé


Traçabilité 263

Les réseaux de neurones non bouclés sont des objets statiques : si les
entrées sont indépendantes du temps, les sorties le sont également. Ils sont
utilisés principalement pour effectuer des tâches d'approximation de fonction
non linéaire, de classification ou de modélisation de processus statiques non
linéaires.

13.2.3.2.2. Les réseaux de neurones bouclés


Contrairement aux réseaux de neurones non bouclés dont le graphe de
connexion est acyclique, les réseaux de neurones bouclés peuvent avoir une
topologie de connexion quelconque, comprenant notamment des boucles qui
ramènent aux entrées la valeur d'une ou plusieurs sorties. Pour qu'un tel
système soit causal, il faut évidemment qu’à toute boucle soit associé un
retard : un réseau de neurones bouclé est donc un système dynamique, régi
par des équations différentielles. Comme l'immense majorité des
applications est réalisée par des programmes d'ordinateurs, on se place dans
le cadre des systèmes à temps discret, où les équations différentielles sont
remplacées par des équations aux différences.

Un réseau de neurones bouclé à temps discret est donc régi par une ou
plusieurs équations aux différences non linéaires, résultant de la composition
des fonctions réalisées par chacun des neurones et des retards associés à
chacune des connexions.

La forme la plus générale des équations régissant un réseau de neurones


bouclé est appelée forme canonique :

x(k+l) = φ [x(k), u(k)] et y(k) = ψ [x(k), u (k)] [13.6]

Dans cette formule, φ et ψ sont des fonctions non linéaires réalisées par
un réseau de neurones non bouclé (par exemple, mais pas obligatoirement,
un perceptron multicouche), k désigne le temps (discret), x le vecteur
d’entrée et y la sortie (voir figure 13.7).. La forme canonique est représentée
sur la figure 13.9. Tout réseau de neurones, aussi compliqué soit-il, peut être
mis sous cette forme canonique, de manière complètement automatique
(figure 13.9).

Les réseaux de neurones bouclés sont souvent utilisés pour effectuer des
tâches de modélisation de systèmes dynamiques, de commande de processus,
ou de filtrage.
264 La conception industrielle de produits 1

Sorties Variables dÕÿtat


lÕinstant k lÕinstant k+1

y(k) x(k+1)

Rÿseau de neurones statique


Æ, Retards
q-1 q-1
unitaires

u(k) x(k)
Entrÿes externes Variables dÕÿtat
lÕinstant k lÕinstant k

Figure 13.9. Forme canonique d'un réseau de neurones bouclé

13.2.3.2.3. Bilan
En conclusion, il apparaît que les réseaux de neurones sont très
performants pour certaines classes de problèmes et tout spécialement dans la
reconnaissance de forme, d’état d’un système. On peut, par exemple, citer
les travaux de Mitchell (1997) pour la reconnaissance des visages, problème
pour lequel les autres méthodes de l’intelligence artificielle ont été peu
performantes. Il est donc relativement facile d’apprendre des données
complexes. Les entrées peuvent être représentées par attributs à valeur réelle
ou symbolique, ces attributs peuvent être dépendants ou non. La ou les
sorties peuvent être réelles ou discrètes. L'apprentissage à l'aide de réseaux
de neurones est tolérant au bruit et aux erreurs. Le temps d'apprentissage
peut être long, par contre, après apprentissage, le calcul des sorties à partir
d'un vecteur d'entrée est rapide.

Les critiques principales sont liées au réglage et au choix de la


topographie, souvent délicats, des paramètres du réseau et au fait que le
résultat de l'apprentissage, c'est-à-dire le réseau de neurones calculé par
l'algorithme d'apprentissage, n'est pas interprétable par l'utilisateur : on ne
peut pas donner d'explication au calcul d'une sortie sur un vecteur d'entrée.
Traçabilité 265

De telles approches semblent donc particulièrement intéressantes en


conception par leurs capacités à supporter la décision notamment en milieu
incertain ou peu précis.

13.2.3.3. Les graphes d’induction et arbres de décision


Pour certains domaines d'application, il est essentiel de produire des
procédures de classification compréhensibles par l'utilisateur. C'est, en
particulier, le cas pour l'aide au diagnostic médical où le médecin doit
pouvoir interpréter les raisons du diagnostic. Les graphes d’induction (GI)
répondent à cette contrainte car ils représentent graphiquement un ensemble
de règles et sont aisément interprétables. Pour les graphes de grande taille, la
procédure globale peut être difficile à appréhender, cependant, la
classification d'un élément particulier est toujours compréhensible. Les
algorithmes d'apprentissage par GI sont efficaces, largement utilisés dans les
environnements de fouille de données.

13.2.3.3.1. Principe
Les GI sont basés sur des méthodes qui conduisent à des structures de
graphe dont chaque nœud correspond à un sous-ensemble de données, et
dont chaque arc correspond à une valeur d’un attribut prédictif choisi parmi
tous les autres. Le choix de l’attribut prédictif repose sur un critère
mathématique. Ces critères de sélection sont issus soit de la théorie de
l’information comme les mesures d’entropie, soit de la statistique comme le ξ2.

L’origine des recherches sur les GI est souvent attribuée à Wald


[WAL 47]. L’introduction des critères issus de la théorie de l’information
pour sélectionner les attributs remonte aux travaux de Picard [PIC 65] et de
Terrenoire [TER 70].

Dans un GI, chaque chemin correspond à une règle exprimée sous la


forme « si condition alors conclusion » dans laquelle « condition » désigne
une ou plusieurs propositions logiques de type « attribut, valeur » [ZIG 00].
L’ensemble des règles constitue ainsi le modèle de prédiction.

La définition générale d’un graphe d’induction est la suivante [ZIG 00] :


un graphe d’induction est un graphe, sans circuit qui possède une racine
unique, Γ=(Σ, A), où Σ représente l’ensemble des sommets et où A
représente l’ensemble des arcs, dont les sommets permettent d’identifier des
mintermes et où chaque chemin correspond à un profil.
266 La conception industrielle de produits 1

On appelle profil, toute partie non vide de ℜ, l’espace de représentation


de l’univers. Ainsi, un profil est de la forme :

(
π = xt , … , xu , … , x v ∈ ℜ
1 j p
)
[13.7]
où xu ∈ ℜ j représente la u ème mod alité de X j
j

Les mintermes sont les ensembles des individus de la population qui


vérifient un profil π donné.

Par exemple, soit une population constituée d'un ensemble de patients.


Il y a deux classes : malade et bien portant. Les descriptions sont faites avec
les deux attributs : température qui est un attribut à valeurs décimales et
gorge irritée qui est un attribut logique.

On considère le graphe d’induction suivant :

Figure 13.10. Un exemple de graphe d’induction

Ainsi, par rapport à l’exemple présenté en figure 13.10, si on considère


que tous les individus de la population sont décrits par les deux attributs
température qui est un attribut à valeurs décimales et gorge irritée qui est un
attribut logique, π = { * , oui } est un profil, de même que π’ = { oui , non }
ou d’autres.

Le minterme du profil π’ = {T° < 37,5 ; gorge non irritée } sera


l’ensemble des patients vérifiant ces deux caractéristiques. Celui du profil
π = { * , gorge irritée } sera l’ensemble des patients ayant la gorge irritée.
Traçabilité 267

La traduction de l’arbre en règles de décision est :


SI température < 37,5 ET gorge irritée ALORS malade

SI température < 37,5 ET NON (gorge irritée) ALORS bien portant

SI NON (température < 37,5) ALORS malade [13.8]

L’idée centrale est de diviser récursivement et le plus efficacement


possible les données de l'ensemble d'apprentissage par des tests définis à
l'aide des attributs jusqu'à ce que l'on obtienne des sous-ensembles ne
contenant (presque) que des données appartenant toutes à une même classe.
Ainsi, des sous-ensembles de l’ensemble d’apprentissage seront associés à
chaque nœud et un nœud correspondra à un attribut (aussi appelé test) selon
la valeur duquel, on scindera le sous-ensemble associé au nœud précédent en
un ou plusieurs sous-ensemble et ainsi de suite.

Dans toutes les méthodes, on trouve les trois opérateurs suivants :


– décider si un nœud est terminal, c'est-à-dire décider si un nœud doit être
étiqueté comme une feuille. Par exemple : tous les exemples sont dans la
même classe, il y a moins d'un certain seuil d’hétérogénéité de classe parmi
les exemples associés au sous-ensemble concerné, etc. ;
– sélectionner un test à associer à un nœud, par exemple : aléatoirement,
utiliser des critères statistiques... afin de séparer le sous-ensemble courant
selon ce test (attribut) ;
– affecter une classe à une feuille : on attribue souvent la classe
majoritaire. Il existe d’autres cas où l’on utilise des fonctions non basées sur
l’effectif.

Les méthodes vont différer par les choix effectués pour ces différents
opérateurs, c'est-à-dire sur le choix d'un test (par exemple, utilisation du gain
et de la fonction entropie) et le critère d'arrêt (quand arrêter la croissance de
l'arbre, soit quand décider si un nœud est terminal).

13.2.3.3.2. Bilan
Les graphes d’induction fournissent des méthodes qui obtiennent de bons
résultats dans la pratique [OSE 04] mais, comme beaucoup de techniques
d’apprentissage, ils sont très sensibles à la qualité de l’ensemble de données
d’apprentissage.
268 La conception industrielle de produits 1

Les graphes d’induction ont l'avantage d'être compréhensibles par tout


utilisateur (si la taille du graphe produit est raisonnable) et d'avoir une
traduction immédiate en termes de règles de décision.

Pour les systèmes à base de règles induites, les règles sont mutuellement
exclusives et l'ordre dans lequel sont examinés les attributs est figé. Les
méthodes sont non optimales : un graphe d’induction à 10 feuilles produit
n'est pas le meilleur des graphes d’induction à 10 feuilles. En effet, les choix
dans la construction des graphes ne sont jamais remis en question (pas de
backtracking (retour arrière)). De plus, ces méthodes sont basées sur de
nombreuses heuristiques (décider si un nœud est terminal, choix du test,
choix de la classe par défaut). Cependant, elles contiennent peu de
paramètres à régler ce qui va faciliter leur mise en œuvre et surtout, elles
répondent parfaitement à notre attente d’explications par leur représentation
graphique et même si besoin, par leur traduction en règles de décision.

De plus, lorsque les attributs sont hétérogènes, certains quantitatifs et


d’autres qualitatifs, les graphes d’induction constituent un outil privilégié
[ZIG 00].

Les applications de ces approches en conception peuvent aller de la


modélisation automatisée de connaissances (par élicitation notamment) à
l’organisation pas à pas de la démarche de conception. Ces méthodes
peuvent également assez facilement être couplées ou insérées dans d’autres
approches afin d’apporter un support d’aide à la décision [HUY 04a].

13.2.3.4. Les algorithmes génétiques et les treillis de Galois en apprentissage


automatique
13.2.3.4.1. Principe des algorithmes génétiques
Les algorithmes génétiques fournissent une méthode d’apprentissage
induite par l’analogie avec l’évolution biologique [MIT 97]. L’utilisation des
algorithmes génétiques dans la recherche d’un jeu de règles optimal est
connue sous le nom de genetic based machine learning (GBML). L’une des
architectures les plus connues dans ce domaine est le learning classifier
system (LCS) développé par Holland [HOL 62] puis Goldberg [GOL 89]. Il
existe des architectures plus récentes telles que l’extended classifier system
(XCS) [WIL 96] ou l’evolutionary learning of fuzzy rules (ELFR) [BON 97].
Traçabilité 269

Même si les différentes implémentations des algorithmes génétiques


varient dans leurs détails, ils partagent la même structure : l’algorithme
effectue itérativement une mise à jour d’un jeu d’hypothèses, appelé
population. A chaque itération, tous les membres de la population sont
évalués afin de déterminer leur performance. Une nouvelle population est
alors générée par une sélection probabiliste des meilleurs individus de la
population courante. Certains de ces individus vont faire partie de la
population de la génération suivante sans avoir été modifiés alors que
d’autres seront utilisés comme base pour créer de nouveaux individus en leur
appliquant les opérations génétiques.

13.2.3.4.2. Principe des treillis de Galois


Les treillis de concepts [GAN 99] ou treillis de Galois sont une structure
mathématique permettant de représenter les classes non disjointes relatives à
un ensemble d’objets décrits à partir d’un ensemble d’attributs. Ces classes
non disjointes sont appelées concepts formels. C’est l’aspect non disjoint des
ces classes qui rend possible l’utilisation des treillis de Galois aussi bien en
apprentissage supervisé que non supervisé. La structure de treillis de
concepts est un outil intéressant pour la génération des itemsets fermés
fréquents qui est l’étape la plus importante dans la recherche de règles
d’association. Ses fondements théoriques reposent sur la théorie
mathématique des treillis [BIR 67]. Plusieurs algorithmes ont été proposés
pour générer les concepts formels et/ou le treillis de concepts formels. Parmi
ces algorithmes, nous pouvons citer GRAND, LEGAL, GALOIS,
Nextclosure, etc., [MEP 02]. Néanmoins, les temps de calcul restent très
élevés malgré les recherches faites concernant l’élagage des treillis [FU 04a]
ou le partitionnement des données [FU 04b].

13.2.3.4.3. Bilan
Ces deux méthodes semblent intéressantes mais, partagent un même
défaut : leur lenteur liée à leurs principes même de fonctionnement. Ainsi,
pour les algorithmes génétiques, si l’on veut obtenir une bonne solution, il va
falloir utiliser une assez grande population initiale ainsi que faire de
nombreuses générations. Il faut également prévoir le réglage des différents
paramètres comme la probabilité de mutation et le choix des opérateurs de
recombinaison. Cette méthode est donc coûteuse en temps de calcul et en
temps de réglage. De plus, elle ne répond toujours pas à notre attente de
compréhension du système puisque comme les réseaux de neurones, elle est
du type « boîte noire ».
270 La conception industrielle de produits 1

Il en va de même pour les treillis de Galois du point de vue temps de


calcul. De plus, le critère de construction des itemsets fermés est uniquement
basé sur la fréquence. Or, cet aspect de fréquence d’une solution n’est pas
représentatif dans notre contexte.

13.2.4. Méthodes hybrides

Au cours de l’étude du domaine de l’extraction de connaissances dans les


systèmes de production, nous avons constaté que certains travaux exploitent
des méthodes d’extraction de connaissances conjointement à d’autres
méthodes mais dans un objectif différent. Le but est généralement
d’améliorer un processus d’optimisation mais il peut également s’agir de
traiter des points particuliers de l’étude ou de régler des paramètres de la
méthode d’optimisation.

Parmi les approches ayant combiné de l’optimisation à de l’apprentissage


mais dans un objectif d’optimisation, nous pouvons citer le learnable
evolution model (LEM) de Michalski [MIC 00]. Le LEM tend à accélérer la
recherche d’une solution optimale par de l’apprentissage. Cependant, dans
ces travaux, les connaissances acquises ne sont exploitées que pour accélérer
l’optimisation d’une solution.

Nous pouvons également citer [KOS 98] qui, dans le domaine de la


génération et de la distribution de l’énergie électrique, proposent une
méthode combinant de l’optimisation et de l’apprentissage pour la mise en
place de scénarios de ré-alimentation du réseau électrique lors de pannes du
système générateur d’énergie. Cependant, l’exploitation de l’apprentissage
est faite, là aussi, dans une optique d’accélération du choix du meilleur
scénario.

Toujours dans une optique d’optimisation mais pour traiter au mieux


différents cas, nous pouvons citer les travaux de Kim et Lee [KIM 01] qui
optimisent par algorithmes génétiques pour la recherche globale et par règles
d’induction pour une recherche locale, une fois qu’une solution performante
a été identifiée. Dans le même esprit, Kim et al. [KIM 00] traitent les points
non linéaires de leur problème de contrôle d’un robot par réseaux de
neurones alors que les autres points sont traités par optimisation linéaire.
Traçabilité 271

Une autre combinaison d’optimisation et d’apprentissage peut être


trouvée dans les travaux de Dangprasert et Avatchanakorn [DAN 96] qui
exploitent une méthode d’apprentissage par algorithmes génétiques pour
effectuer un « contrôle intelligent » dans un système de production
d’énergie.

Enfin, les travaux de [HUY 04b, HUY 06] combinent l’optimisation et


l’apprentissage afin de constituer des bases d’apprentissage comportant les
données pertinentes pour concevoir des systèmes ayant un certain niveau de
performance.

13.3. Conclusion

Depuis quelques années, l’extraction de connaissances retrouve une place


importante dans les travaux de recherche sur les systèmes de production. En
effet, selon Stephanopoulos [STE 96], elles permettent à la fois l’intégration
de multiples représentations de connaissances, l’intégration des
méthodologies globales, la gestion de la taille sans cesse croissante des
problèmes liés à l’industrie. Ces techniques trouvent également leur intérêt
dans le besoin incessant en aide à la décision et en analyse des systèmes. Ces
problèmes et besoins sont présents en conception à différents niveaux et ces
approches peuvent donc permettre d’améliorer encore les stratégies, la prise
de décision et la capitalisation des connaissances dans la conception.

Nous avons présenté diverses méthodes qui pourraient nous permettre de


caractériser des données en fonction de leur niveau de performance. Chacune
d’entre elles présente des avantages et des particularités mais aussi des
limites. Toutes restent très sensibles à la qualité et à la pertinence de
l’ensemble d’apprentissage par rapport au contexte et aux objectifs fixés.

Il apparaît comme évident que, bien que le choix de la méthode


d’extraction de connaissances soit important, l’effort principal est à faire par
rapport à l’ensemble de données sur lequel on va apprendre. Ainsi,
Piatetsky-Shapiro et al. [PIA 96] relèvent l’intérêt d’utiliser les techniques
d’extraction de connaissances dans les systèmes de production mais
soulignent les problèmes liés aux données même servant à extraire ces
connaissances, problèmes difficiles à résoudre sans traiter un cas particulier.
Pour tenir compte d’intérêt particulier par rapport aux solutions et au
contexte qui ne nous permet généralement pas de disposer des toutes les
272 La conception industrielle de produits 1

données, il est possible de mettre en place différentes stratégies s’appuyant


sur plusieurs méthodes répondant à des parties du problème. Ces
hybridations sont très souvent riches et performantes mais doivent
néanmoins être soigneusement étudiées pour être généralisables à d’autres
problèmes que celui initialement traité.

En particulier nous avons vu que de nombreux travaux portaient sur la


capitalisation des connaissances pouvant aider à la prise de décision lors des
projets de conception, ces techniques d’apprentissage automatique
pourraient constituer un moyen d’extraire de ces connaissances des principes
généralisables ou ré-applicables dans des contextes clairement définis.

Afin d’illustrer comment certains principes issus de ces approches de


capitalisation et de traçabilité des connaissances pourraient être mises en
œuvre, le chapitre suivant propose de considérer la modélisation des
connaissances comme une étape essentielle qui s’intègre par la suite avec la
phase de spécification d’un système d’information. Cette façon de procéder
garantit la prise en compte de problématiques de haut niveau visant à
répondre à des besoins à la fois génériques et orientés métiers.
CHAPITRE 14

Une démarche de mise en œuvre de systèmes


d’information pour la conception de produit

En guise de conclusion à cette partie dédiée aux systèmes d’informations


et à la capitalisation des connaissances, il est apparu progressivement à
travers les exemples successifs que l’on ne peut plus aujourd’hui concevoir
un système d’information qui réponde exactement aux besoins des
utilisateurs sans se pencher sur les connaissances de ces utilisateurs dans
leurs métiers respectifs. Il faut déterminer quelles connaissances sont en jeu,
de quelles connaissances ont besoin les différents utilisateurs, comment faut-
il les formaliser ou les visualiser… L’exemple qui suit est une illustration de
ce propos qui apporte également une démarche de modélisation qui peut
aider à construire ces systèmes d’informations.

Tout processus impliquant l’action d’au moins deux acteurs implique des
problèmes d’échange de données. Dans le contexte de conception/réalisation
de produits manufacturiers, cette problématique a trouvé des réponses
partielles par la mise en place de standards d’échanges de données tels que
SET, IGES puis STEP. Ces standards ne proposent que des réponses
partielles. En effet, pour un même artefact, il peut exister plusieurs points de
vue. Par exemple, les standards existants permettent de modéliser cet artefact
selon les points de vue géométrique [ISO 94a] et fabrication [ISO 94b], mais
ne permettent pas d’échange entre ceux-ci. Il s’en suit donc :

Chapitre rédigé par Muriel LOMBARD et Christophe MERLO.


274 La conception industrielle de produits 1

– une problématique relative à la définition sémantique des données


techniques en regard du cycle de vie,
– une problématique relative à la couverture complète du cycle de
conception/réalisation de produit manufacturier par l’étude des points de vue
des acteurs impliqués.

Aussi, une solution réside dans la construction d’un modèle unique


porteur des points de vue obtenu par ajustements successifs à l’aide de la
méthodologie V.I.M (viewpoints information modelling ou méthode de
modélisation multi-points de vue) [MIL 98] qui propose l’étude conjointe
des données techniques et des points de vue des acteurs en vue de la
modélisation d’un référentiel informationnel supportant les échanges
nécessaires. En effet, la modélisation des points de vue permet, en se
greffant sur un modèle unique d'éviter l'élaboration de plusieurs modèles
indépendants et permet ainsi d’éviter les écueils rencontrés en fédération de
modèle. En effet, l’accent est mis sur la sémantique associée à celle de point
de vue qui est polarisée sur la représentation que se fait un homme d’un
objet réel voire de l’univers du discours. Appliqué à un contexte
manufacturier, le point de vue est donc lié au métier de l’acteur et
correspond au regard qu’il porte sur un produit, procédé ou processus. Les
différentes descriptions issues de ces points de vue conduisent à des
représentations différentes du produit, procédé ou processus qui sont
appelées vues. La vue est donc la représentation dans un langage métier d’un
point de vue.

Ainsi, les difficultés résident dans la prise en compte des points de vue
des acteurs lors de la conception du modèle global. Par exemple, la forme
géométrique trou alésé recèle des informations différentes pour plusieurs
acteurs [BRI 97] :
– le concepteur la voit « comme la surface complémentaire de la barre de
guidage ». Ce sont des informations sur ses qualités de guidage (précision et
glissement) qui l’intéressent ;
– le gammiste la voit « comme un alésage résultant du travail d’un foret
puis d’un alésoir». Ce sont des informations sur l’aspect qualité de
réalisation qui l’intéressent ;
– le spécialiste du montage d’usinage la voit « comme une cavité pour
centreur ». Ce sont des informations sur l’aspect dispersion sur la qualité de
toute la série et l’aspect résistance de cette surface qui l’intéressent.
Une démarche de mise en œuvre de SI 275

Tous les métiers, même s’ils sont dans un domaine proche, n’ont pas
besoin d’information sur cette forme géométrique à l’exemple du forgeron
qui ne voit pas un trou car son obtention est impossible par les techniques de
forge classique.

En synthèse, la notion de point de vue est associée à celle d’acteur. Celui-


ci possède un ou plusieurs points de vue sur un objet technique et,
inversement, cet objet peut être vu par un ou plusieurs acteurs. Un point de
vue correspond alors à un besoin d’information d’un acteur sur un objet
technique pour réaliser une de ses fonctions dans l’entreprise. Enfin, d’un
point de vue informationnel, l'approche multi-points de vue apporte les
intérêts principaux suivants :
– centralisation de la connaissance : la modélisation multi-points de vue
permet d'éviter une répétition des connaissances dans différents modèles
représentant les points de vue ;
– cohérence et non redondance :l'avantage majeur d'un modèle
partageable est que chaque utilisateur d'une partie de modèle bénéficie des
modifications apportées dans les autres parties. L'existence d'un modèle
unique, accessible selon plusieurs points de vue, permet de factoriser les
informations et d'éviter certaines redondances ;
– la définition des droits d'accès : la modélisation par point de vue permet
de définir les parties de modèle sur lesquelles seront construites les vues qui
sont sujettes à des conditions d'accès (non traité dans ce chapitre).

14.1. Modélisation par ajustements de points de vue : la méthode V.I.M

La modélisation multi-points de vue proposée par la méthode V.I.M.


[MIL 98] est basée sur une approche descendante et introduit
progressivement les données dans un modèle de base.

Cette démarche est constituée de phases successives dont le but est, à


partir d'un modèle de données initial simple du système à concevoir,
d'enrichir pas à pas ce modèle de départ tout en gardant une trace de
l'évolution par un schéma de sémantique. Elle est itérative, guidée par la
structuration sémantique de la connaissance à modéliser sous forme de
schéma sémantique [PIC 97]. Ce dernier permet de représenter, par une
structuration simple et progressive, la connaissance à modéliser en termes de
fragments de sémantique et de leurs dépendances.
276 La conception industrielle de produits 1

Ainsi, à partir d’une modélisation globale des données du domaine, le


schéma de sémantique est utilisé comme guide dans la démarche. A chaque
fragment de sémantique est associée une itération qui consiste à choisir un
sous-modèle du modèle global du domaine étudié, de le compléter par ajout
de connaissances concernant le fragment modélisé et de réinsérer le sous-
modèle ainsi ajusté dans le modèle global.

Pour éviter des conflits ou effets de bord qui pourraient avoir lieu lors de
l’intégration des sous-modèles transformés dans le modèle initial, la
démarche s’appuie sur le concept de « pont ».

1) Concept de « pont »

Afin de ne pas manipuler l'ensemble du modèle à chaque phase


d'enrichissement, un sous modèle est déterminé puis enrichi et enfin replacé
dans le modèle global. Cette étape d'extraction puis de réintégration de
modèle partiel est guidée par le concept de « pont » représentant un fragment
de sémantique (figure 14.1a).

En effet, à partir des nouvelles informations à inclure lors d’une itération,


il est nécessaire de distinguer dans le modèle de données courant, la partie à
modifier de celle qui ne l’est pas. La frontière entre ces deux parties doit être
stable dans la transformation. Elle est constituée d’éléments du modèle
(entités dans le cas du modèle entité-association, classe dans le cas du
diagramme de classes...) et est nommée « pont ». La stabilité de cette
frontière garantit que les transformations sont limitées au sous-modèle
sélectionné, ce qui permet de mettre en œuvre une démarche de type
modulaire hiérarchique. Le concept de « pont » et les mécanismes associés
sont une aide à la conception de modèle de données.

2) Relation entre « pont » et point de vue

De la démarche de modélisation progressive, nous adoptons le concept de


« pont » qui permet de définir une frontière entre un modèle et ses sous-
modèles. Son utilisation initiale reste au niveau du processus de
modélisation. En effet, le « pont » est stable uniquement lors d’une itération
c’est-à-dire lors de la modélisation d’un fragment sémantique. La notion de
« pont » peut être comparée aux connexions entre modules électriques d’un
objet complexe : on peut isoler chaque module en le déconnectant, et le
replacer ensuite en rétablissant les branchements [PIC 97].
Une démarche de mise en œuvre de SI 277

Nous préconisons dans la démarche V.I.M, une stabilité des « ponts »


tout au long du processus de modélisation permettant ainsi de retrouver dans
un modèle global, les parties de modèle représentant tel ou tel aspect. Nous
associons donc à chaque point de vue ou sous-point de vue sur un objet
technique une partie du modèle le représentant. Cette partie est délimitée par
une frontière appelée « pont ». La gestion de ces frontières dans le modèle
global permet ainsi de retrouver les points de vue des acteurs sur l’objet
technique.

Les questions posées par une telle approche résident dans la constitution
des « ponts », le choix du sous modèle, les concepts communs entre sous-
modèles.

Un des points clés de ce développement par sous-modèles est que ce


découpage repose sur les différents points de vue des utilisateurs sur l’objet
technique. Ce critère de décomposition logique permet au concepteur du
modèle de travailler dans un environnement cohérent et complet.

La conception d’un modèle de données centralisé représentant un objet


technique et les points de vue des acteurs sur cet objet est un processus
itératif en trois phases (figure 14.1b).

La première phase consiste à identifier les éléments qui vont servir de


base pour décrire l’univers du discours, à savoir les acteurs et les objets
techniques qui sont vus par ces différents acteurs. Cette identification doit
aboutir à la mise en relation des objets techniques de l’entreprise et des
acteurs qui expriment un besoin d’information sur ces objets.

L’élaboration d’un modèle pour chaque objet technique sera générée si


différents points de vue ou besoin en information sur cet objet sont exprimés
par les acteurs. Cette seconde phase conduit à la conception d’un modèle
initial de l’objet considéré qui sert de base à la modélisation des points de
vue des acteurs.

La troisième phase consiste à mettre en œuvre le processus de


modélisation progressive par ajustement dans le cas où plusieurs acteurs sont
identifiés comme potentiels utilisateurs d’information sur l’objet.
278 La conception industrielle de produits 1

Figure 14.1. a) Principe de la modélisation d’un fragment de sémantique dans une itération
b) Description du processus de conception d’un modèle de données d’un objet technique
dans un contexte multi-points de vue

14.2. Application dans le cadre du projet USIQUIK

Le projet USIQUIK (http://www.usiquick.com/) avait pour objectif de


définir une démarche permettant de générer automatiquement toutes les
informations nécessaires à la réalisation de pièces complexes par fraisage 3 à
5 axes. Il a permis de rétablir le lien sémantique entre les acteurs de la
conception et de la préparation à la fabrication dans le contexte particulier de
pièces aéronautiques. En effet, ces phases ayant été informatisées et
automatisées indépendamment, il s’est créé un vide entre ces deux étapes du
cycle de vie du produit.

La méthode V.I.M a été utilisée dans ce projet de manière à spécifier les


données produit nécessaires [DER 05]. Il s’agit de considérer les points de
vue de chaque acteur « logiciel » (au sens de son informatisation) de la
chaîne FAO, en insistant sur l’aspect transformateur. Nous définissons un
Une démarche de mise en œuvre de SI 279

acteur logiciel comme étant une application informatique pouvant


représenter trois acteurs : le transformateur, le préparateur et la génération
automatique des trajectoires. Derras [DER 05] propose d’utiliser le concept
d’entité élémentaire défini par Caponi [CAP 05] comme élément pivot entre
ces deux étapes. Ainsi, il est possible d’envisager le rétablissement du lien
sémantique par l’ajout d’un transformateur au sens USIQUICK ou interface
au sens génie informatique. Aussi est-il vu comme un savoir-faire permettant
de générer une description du produit, adaptée à la génération de gamme
automatique d’usinage, à partir de son modèle CAO.

La figure 14.2 présente les trois modules du projet USIQUICK. Au


contraire des modules de conception et du module de génération de gamme
d’usinage où les informations manipulées pré-existent, le transformateur est
au départ un cahier des charges à réaliser pour assurer la fonction souhaitée.
Aussi, cette démarche de modélisation des données supportant le
transformateur est considérée comme couplée à un processus itératif
permettant de développer des algorithmes en vue de la réalisation du
problème de transformation. Les données émergent donc des traitements mis
en place.

Figure 14.2. Déploiement de la méthodologie V.I.M.


sur l’architecture USIQUICK. Modèle initial

De plus, la figure 14.2 met en évidence le modèle initial commun au trois


points de vue. C’est à partir de ce modèle qu’il s’agit d’ajuster les points de
vue au travers de la méthodologie V.I.M. Le processus d’ajustement est
séquentiel : chaque acteur « logiciel » et son point de vue sont considérés
280 La conception industrielle de produits 1

l’un après l’autre. En résumé, il s’agit d’associer un processus d’usinage à


une entité élémentaire d’usinage. La définition de l’entité d’usinage, adaptée
des travaux du groupe GAMA [GAM 90], et adoptée par le consortium
USIQUICK, est la suivante : une entité élémentaire est composée d’une ou
plusieurs faces élémentaires dont les frontières sont figées. Elle est associée
à au moins un processus d’usinage de finition, identifié et validé, et quasi
indépendant des autres processus.

1) Point de vue du concepteur

Le point d’entrée du transformateur USIQUICK est une description de la


pièce en modélisation B-Rep [RIS 03], [SHA 95] proposée par un modeleur
CAO. Ce modèle est constitué de deux grandes classes d’éléments : les
éléments topologiques et les éléments géométriques. De manière simplifiée,
les éléments topologiques sont des restrictions d’éléments géométriques.
Ainsi, par exemple, l’élément topologique face est une restriction de
l’élément géométrique surface. Ces éléments topologiques peuvent être
assemblés pour former un solide. Traditionnellement, dans les modèles
CAO, les trois éléments topologiques (face, arête, et sommet) sont reliés aux
trois éléments géométriques (surface, courbe et point). La structure de
données qui mémorise l’objet est une structure hiérarchisée où l’objet est
décomposé en faces qui sont représentées par leurs arêtes frontières limitées
par leurs sommets extrémités.

A ces éléments de base et les relations qui les lient, d’autres informations
géométriques comme les équations des courbes et des surfaces, ainsi que les
coordonnées des sommets sont présentes dans le modèle. Chaque modeleur
CAO a sa propre structure de données. Aucune structure n’est identique à
une autre. Cependant, généralement on retrouve les concepts décrits comme
dans la figure 14.3.

Figure 14.3 Modèle ajusté au point de vue du concepteur


Une démarche de mise en œuvre de SI 281

Notons que seul le concept « entité géométrique » est pont dans cette
partie d’ajustement. Cette modélisation est à rapprocher de l’AP 203 de
STEP, part 42 [ISO 42]. Par contre, le modèle B-Rep ne contient pas toutes
les informations nécessaires à la construction des entités élémentaires. Des
informations géométriques (type de surface, rayon de courbure minimum,
etc.) ou technologiques (accès d’usinage) doivent venir enrichir cette
description, afin que chaque face du modèle B-Rep puisse être transformée
en une ou plusieurs entités élémentaires. Aussi, nous définissons le point de
vue du préparateur au préalable du point de vue du transformateur. En effet,
rappelons que le transformateur est à la jointure entre les points de vue du
concepteur et du générateur de gamme.

2) Point de vue du préparateur

Le rôle du préparateur de gamme d’usinage est à rapprocher des travaux


de Derras en ce sens qu’il s’agit d’une part d’associer des processus capables
à une entité élémentaire d’usinage et d’autre part de planifier ces processus
sous contraintes de manière à obtenir la gamme, résultat structuré autour des
concepts de « phase » réalisée dans une « cellule de fabrication », de « sous-
phase » réalisée sur un « montage d’usinage » et d’ « opération d’usinage »
réalisée par un « outil » définis dans [GAM 90]. En appliquant la
méthodologie V.I.M avec comme ponts les concepts d’« entité élémentaire »
et de « processus d’usinage », on obtient la figure 14.4 qui regroupe les
concepts nécessaires à cette modélisation.

Figure 14.4. Modèle ajusté au point de vue du préparateur

3) Point de vue du transformateur

De plus, le projet USIQUICK, développé dans le cadre de la génération


de gamme en CFAO (conception et fabrication assistée par ordinateur) pour
l’aéronautique, a basé tout sont apport sémantique autour du concept d’entité
282 La conception industrielle de produits 1

élémentaire d’usinage qui peut être définie comme étant (un plan en bout, en
flanc, ou libre, un profil, un alésage, un raccordement, un masque, un coin 5
axes, une extrémité d’élancement, etc.). La description des entités d’usinage
est faite au travers d’un certain nombre d’attributs portés par l’entité, qui
sont de deux natures : intrinsèques (paramètres géométriques, paramètres
qualitatifs, paramètres technologiques d’usinage, etc.) et extrinsèques
(position dans le repère du modèle, relations topologiques, etc.).

Figure 14.5. Modèle ajusté au point de vue du transformateur

De manière à donner les informations requises par la génération de


gamme d’usinage, le préparateur doit de plus fournir des données relatives
aux procédés et directions d’usinage potentiels pour une entité donnée en
tenant compte par exemple de son accessibilité. Ainsi, le transformateur agit
selon deux phases : une phase d’enrichissement du modèle CAO et une
phase d’analyse d’usinabilité. La phase d’enrichissement du modèle
détermine un certain nombre d’informations nécessaires à la phase
d’usinabilité. L’enrichissement aboutit à une structure de données type
entités élémentaires dont certains attributs sont encore indéterminés.

L’ajustement au point de vue fait apparaître de nouveaux concepts


enrichis nommés « U… ». La caractérisation du concept UEdge se fait au
travers d’attributs géométriques structurés dans le modèle (figure 14.5).
Une démarche de mise en œuvre de SI 283

Le modèle ajusté au point de vue du transformateur se fait donc à partir du


pont constitué par le concept entité élémentaire. Ce modèle ajusté fait
apparaître deux concepts apparus lors de l’ajustement du modèle initial au
point de vue du concepteur, à savoir les concepts de face et edge. Ces
concepts sont des concepts communs au sens de la méthodologie V.I.M. La
figure 14.6 présente le modèle global avec ses différents sous-modèles
ajustés à partir du modèle initial. On distingue également les ponts utilisés
ainsi que les concepts communs apparus en cours de modélisation. Ce
modèle a fait l’objet d’une proposition dans le cadre du groupe de travail sur
l’AP 238 de STEP.

Figure 14.6. Modèle final ajusté aux points de vue des acteurs
284 La conception industrielle de produits 1

14.3. Synthèse

La méthodologie V.I.M. (viewpoints information modelling ou méthode


de modélisation multi-points de vue) [MIL 98] montre comment la prise en
compte des connaissances est un formidable atout pour la conception de
systèmes d’information véritablement adaptés aux besoins des utilisateurs.
Les applications logicielles qui en ont découlé ont également montré que
l’implémentation de tels modèles ne générait pas nécessairement des
systèmes difficiles à maîtriser ou complexes au quotidien.

Le chapitre 11 a montré combien les systèmes actuels étaient peu conçus


pour la prise de décision mais surtout orientés vers la résolution de tâches
métiers comme les outils PLM et/ou de tâches quotidiennes comme les
collecticiels.

Dans les chapitres 12 et 13 plusieurs méthodes « historiques » pour la


modélisation, capitalisation ou traçabilité des connaissances ont été
évoquées. A chaque fois des exemples d’applications ont illustré le fait que
ces applications restent spécifiques à un problème préalablement spécifié et
n’appuient donc que des décisions partielles.

Enfin, dans le présent chapitre, nous avons pu évoquer la possibilité de


développer des systèmes d’informations qui adressent des problématiques
plus globales, supportant la collaboration comme la prise de décision. Cela
est possible par l’intégration de la dimension connaissances non comme une
finalité de la démarche mais comme un moyen exploitable durant les phases
préparatoires au développement. Ce n’est pas un système à base de
connaissances qui doit être développé mais un système d’informations
s’appuyant sur un modèle à base de connaissances.
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Collecticiel, 205, 207, 208, 209, 210, 224,
Algorithmes génétiques, 260, 270, 271,
286
272, 273
Collection d’individus, 28, 37
Analyse de la valeur, 114, 118
CommonKADS, 236, 237, 239, 244
Analyse fonctionnelle, 122
Compétence, 68, 90
Apprentissage, 35, 51, 56, 86, 96, 97, 99,
Collective, 23, 28, 29, 38, 40, 46
106, 202, 210, 235, 258, 260, 266, 270,
Compétition, 30, 45
272
Compétitivité, 29
Apprentissage
Comportement, 24, 28, 33, 34, 45, 47, 54,
automatique, 256, 257, 261, 274
55, 57, 61, 62, 63, 107
organisationnel, 49
Conception, 23, 27, 40, 61, 65, 66, 67, 68,
69, 72, 73, 77, 82, 86, 87, 88, 92, 96,
B
102, 105
Besoin, 115, 117, 120, 122, 165, 166 innovante, 24, 29
Brevet, 123 Concurrence, 24, 30, 31, 62
Conduite, 210, 224, 225, 226, 236, 237
C Conflit, 36
Cahier des charges fonctionnel, 126, 127, Connaissance, 49, 65, 67, 90, 92, 95, 103,
131 107, 201, 202, 204, 205, 211, 221, 224,
CAO, 202, 205, 223, 230, 281, 282, 284 229, 230, 234, 235, 236, 237, 239, 247,
Capitalisation, 202, 209, 211, 230, 235, 248, 257, 258, 272, 277, 286
239, 244, 248, 254, 273, 274, 275 Contingence, 29, 35
Charisme, 33, 48 Contrainte, 120, 139, 141, 143, 180, 182
Chef de projet, 136, 146, 159, 161, 164, Contrôle, 36
167, 183 Coopération, 83
Chemin critique, 142 Coût, 113, 114, 118, 119, 128, 130, 138,
CO²MED, 210, 230 140, 156, 157, 163
Cohésion, 36
304 La conception industrielle de produits 1

Créativité, 23, 24, 27, 30, 48, 49, 50, 53, Fonction, 114, 123, 126, 138, 149
56, 58, 62, 68, 97, 98, 99, 100, 101,
102, 103, 104, 107 G, H
Critère, 74, 114, 126, 139, 149, 167, 176,
GED, 205, 208
184, 188, 194
Groupe, 23, 24, 28, 29, 33, 34, 35, 36, 38,
CSCW, 209
39, 40, 41, 42, 44, 46, 47, 52, 60, 62,
Culture, 28, 29, 44, 48, 53, 54, 55
77, 83, 86, 88, 90, 95, 97, 98, 102, 103,
Cycle de vie, 114, 115, 118, 123, 128,
105, 106, 107
147, 148, 182, 191
unitaire, 29, 40
Cycle en V, 148
Groupware, 207
Histoire(s), 5456, 58, 59, 60, 63
D
Data Mining, 202 I
Décision, 201, 203, 204, 205, 208, 209,
IBIS, 251
210, 211, 213, 216, 218, 224, 225, 227,
Idée, 111, 112, 117, 173, 174
228, 229, 230, 247, 251, 252, 253,
Identité, 37, 38, 40, 52, 60, 63
254256, 257, 258, 267, 270, 273, 274,
Ingénierie, 235, 236, 237, 240, 244, 256
286
Innovation, 24, 27, 28, 30, 32, 51, 60, 61,
Délai, 140, 144, 159, 163, 166, 168
63, 65, 67, 68, 69, 71, 73, 77, 93, 112,
Démarche créative, 32
120, 131, 173, 174, 178, 182, 186
Dépenses, 156, 157, 186
Instrumentation, 174, 182, 187
Design, 32, 50
Intelligence, 23, 33, 46, 56, 58, 63
Design rationale, 248, 252
emotionnelle, 54
Diagramme de Gantt, 143, 156
Interaction, 178, 184, 187, 195
DIPA, 253
Interdisciplinarité, 81
DRCS, 251, 253, 254
IPPOP, 210, 212, 217, 225
DYPKM, 253

E
J, K, L
Ecart, 161, 162
Entrepreneur, 28, 47
Jour-homme, 138, 167
Equipe, 28, 29, 36, 37, 38, 40, 42, 57
KOD, 236, 259
cohésive, 28
Leader, 24, 28, 31, 33, 34, 35, 38, 39, 41,
conflictuelle, 39
43, 44, 45, 52, 55, 58, 60, 61, 63
fusionnelle, 38
Leadership, 28, 29, 32, 33, 34, 36, 39, 40,
nominale, 37
41, 42, 43, 48, 51, 52, 61, 62
unitaire, 40
Linguistique, 56
Equipe projet, 36
Logico-mathématique, 56
Ethique, 58
Evaluation, 36
M
F MACAO, 236
Maître d’œuvre, 136, 157
FAO, 202, 205, 280
Maître d’ouvrage, 136, 157
FAST, 125
Management, 24, 28, 41, 43, 46, 51, 52,
Flexibilité, 127
58, 62, 155, 174
Index 305

par la valeur, 118, 120, 121 Projet, 113, 114, 117, 135, 136, 147, 153
Manager, 42, 43, 48, 50, 52, 53, 54, 55,
56, 57 Q, R
Marché, 118, 120, 122, 139, 154, 176,
QOC, 251, 252, 256
177, 197
Qualité, 113, 135, 137, 147, 150, 156,
Marge, 142
167, 179, 192
MASK, 236, 237, 239, 240, 241, 244
Rentabilité, 30, 51
Mémoire projet, 205, 209
Représentations intermédiaires, 87, 88, 107
MKSM, 236, 239
Réseau de neurones, 258, 260, 263, 264,
Modèle, 65, 66, 69, 72, 74, 77, 79, 92
265, 266, 271, 272
Modélisation, 202, 224, 225, 230, 235,
REX, 247, 248, 250, 298
236, 237, 240, 244, 247, 265, 270, 274,
Rhétorique, 59
275, 276, 277, 278, 279, 281, 282, 283,
Risque, 183, 186
285, 286
MOKA, 247
S
Motivation, 33, 53, 62
Moyen, 124, 135, 137, 139, 149, 155, 174 Serious play, 66, 96, 97, 102, 107
Multidisciplinarité, 81 SGDT, 223, 224
Multi-points de vue, 202, 276, 277 Stratégie, 113, 120, 173, 175, 176, 178,
Multi-projets, 173, 175, 179, 182, 194 184, 186
Subordonné, 35, 41, 42, 43, 44, 54
N, O Système (s), 203, 204, 208, 212, 215,
216, 223, 224, 237, 242, 243, 244, 257,
Niveau de performance, 127
258, 263, 265, 271, 277
Opération, 113
d’information, 201, 202, 203, 204,
Organisation, 28, 29, 34, 35, 42, 46, 47,
224, 230, 231, 250, 274, 275, 286
48, 50, 51, 52, 56, 68, 69, 71, 72, 74, 78,
Systémique, 114, 118, 123
79, 86, 95, 106, 113, 150, 174, 178, 185
Orientation, 36
T
P Tâche, 138, 139, 140, 143, 161, 193
Traçabilité, 202, 205, 208, 209, 210, 217,
PDM, 223
221, 247, 251, 256, 274, 286
PEGASE, 225, 230
Traits de caractère, 33, 34
Personnalité, 33, 35, 43
Trajectoire, 153, 177, 178
Pert, 141, 142, 143
Transdisciplinarité, 81
Pilotage, 153, 154, 170, 176, 183, 185, 188
Planification, 131, 150, 163, 191
U, V, W
Planning, 121, 143, 147, 150, 157, 191
Plate-forme, 177, 178 Utilisateur, 31, 49, 61
PLM, 205, 207, 224, 286 V.I.M., 276, 277, 279, 280, 281, 283,
Pluridisciplinarité, 81 285, 286
Portefeuille, 176, 178, 182, 184, 185, Valeur, 34, 38, 40, 43, 45, 51, 62
187, 196 Valeur d’usage, 31
Prise de décision, 24, 29, 40, 42, 46 Veille, 29
Processus, 147, 174, 175, 177, 178, 179 Vision, 28, 52
d’apprentissage, 34 WBS, 137
Programme, 111, 178
SOMMAIRE DU VOLUME 2

Introduction générale

Introduction au volume 2

PREMIÈRE PARTIE. Etude et conduite de la conception : de la nécessité


d’évaluer pour décider

Chapitre 1. Etude et conduite de la conception : de la nécessité d’évaluer


pour décider
1.1. Introduction
1.2. Problématique de l’évaluation de la performance en conception
1.3. Modèle et méthodologie pour l’évaluation des performances
en conception
1.4. Exploitation du modèle d’évaluation
1.5. Conclusion

Chapitre 2. La simulation comme outil d’évaluation de scénarios


de développement en entreprise
2.1. Introduction
2.2. La simulation comme outil d’évaluation des performances en entreprise
2.3. Présentation de notre approche de simulation en entreprise
308 La conception industrielle de produits 1

2.4. Application à une modélisation de développement d’entreprise


2.5. Conclusion

DEUXIÈME PARTIE. Evaluation des performances du produit

Chapitre 3. Evaluation environnementale des produits


3.1. L’évaluation environnementale des produits
3.2. Une première approche de l’analyse du cycle de vie des produits
3.3. Conclusion

Chapitre 4. Décision technico-économique en conception de produit


4.1. Définitions préalables
4.2.-Place de l’estimation technico-économique dans la conception
de produit
4.3. Méthodes d’estimation du coût en conception de produit
4.4. L’estimation technico-économique pour le choix en conception

TROISIÈME PARTIE. Spécifications et déploiement

Chapitre 5. Diversité industrielle de déploiement des projets de conception


5.1. Introduction
5.2. Structuration du développement industriel chez L’Oréal
5.3. Le déploiement d’un projet de conception chez Bourjois
5.4. Principes du cycle en V
5.5. Le déploiement d’un projet de conception d’avion chez Airbus
5.6. Le déploiement d’un projet de conception moteur chez Snecma
5.7. Le déploiement d’un projet de conception de carte électronique chez
Johnson Controls
5.8. Le déploiement des prestations d’un véhicule automobile chez
PSA Peugot-Citroën
5.9. Conclusion

Chapitre 6. Modélisation des processus de conception


6.1. Introduction
6.2. Connaissances et objets intermédiaires en conception
6.3. Démarches de conception et modèles de processus
Sommaire du volume 2 309

Chapitre 7. Déploiement des spécifications pour la conception


de systèmes mécatroniques
7.1. Introduction : contexte industriel et identification de la problématique
actuelle
7.2. La modélisation de l’information en vue d’une capitalisation et d’une
réutilisation des solutions de conception
7.3. Un cadre pour le déploiement des spécifications basé sur une
modélisation multiple des informations : modèle de partage, modèles
métier, et modèles d’interface
7.4. Les outils numériques d’aide à la conception

Chapitre 8. Conception des systèmes de production automatisés dirigée


par les modèles
8.1. Introduction
8.2. L’approche MDA (Model Driven Architecture)
8.3. Le langage UML
8.4. Notion de composant dans les systèmes de production automatisés
8.5. Travaux dirigés. Etapes de spécification UML sur un système
automatisé
8.6. Correction

Bibliographie

Index
SOMMAIRE DU VOLUME 3

Introduction générale. La conception industrielle de produits

Introduction au volume 3. Ingénierie de l'évaluation et de la décision

PREMIÈRE PARTIE. Evaluation sensorielle et sémantique dans les


phases de conception préliminaire

Chapitre 1. Introduction aux méthodes d’évaluation sensorielle


et sémantique sensorielle et sémantique
1.1. Introduction
1.2. Les différentes approches de l’évaluation subjective

Chapitre 2. Analyse de l’usage


2.1. Introduction
2.2. L’usage, une thématique levier pour innover en intégrant les utilisateurs
et l’industriel dans l’acte de conception
2.3. L'ergonomie et ses notions essentielles
2.4..Etude de cas : conception d’une interface automobile à partir
des données d’usage
312 La conception industrielle de produits 1

2.5. L’usage : un terme global regroupant des visions locales sur l’usager
2.6. Coopérer pour intégrer et intégrer pour concevoir

Chapitre 3. Analyse sémantique en conception de produits


3.1. Introduction
3.2. De la sémiologie à la sémantique
3.3. L’analyse sémantique
3.4. Le rôle des représentations intermédiaires dans les prises de décisions
individuelles et collectives en conception
3.5. Conclusion
3.6. Enoncé des exercices d’application
3.7. Corrigés des exercices d’application
3.8. Cas d’application industrielle : articulation valeurs sémantiques
et caractéristiques sensorielles

Chapitre 4. Analyse sensorielle en conception de produits


4.1. Introduction et objectifs
4.2. Méthode « analyse sensorielle »
4.3. Conclusions
4.4. Exercice d’application

Chapitre 5. Analyse des phénomènes physiques


5.1. Objectif général
5.2. Moments significatifs et Situations de vie
5.3. Recherche des variables sensorielles VS
5.4. Identification des grandeurs physiques pertinentes
5.5..Réduction des grandeurs physiques pertinentes aux variables
de conception VCo et aux critères Cr
5.6. Quantification des variables pertinentes
5.7..Recherche des relations entre les VCo, Cr et les variables
sensorielles VS
5.8. Conclusion
5.9. Exercice d’application
5.10. Conclusion de l'exercice
Sommaire du volume 3 313

DEUXIÈME PARTIE. Exploration de l’espace de conception et conception


optimale

Chapitre 6. Exploration de l’espace de conception par construction


de modèles approximés
6.1. Introduction
6.2. Construction de méta-modèles de comportement
6.3. Exercices de travaux dirigés : construction de métamodèles

Chapitre 7. Conception sous incertitude : programmation par contraintes


et frontières de Pareto
7.1. Introduction au cas d’application du dimensionnement de treillis
7.2. Exploration de l’espace de conception
7.3. Exercices de travaux dirigés : exploration de l’espace de conception

Chapitre 8. Pré-dimensionnement d’un système de conditionnement d’air


d’avion civil
8.1. Introduction
8.2. Description du problème de conception
8.3. Résolution et aide à la décision
8.4. Discussion

Chapitre 9. Conception robuste


9.1. La démarche de conception robuste de Taguchi
9.2. La démarche appliquée sur un exemple
9.3..Exercices de travaux dirigés : analyse de la robustesse
des performances

Chapitre 10. Conception fiable


10.1. Analyse de la fiabilité
10.2. Comparaison des conceptions déterministe et fiabiliste
10.3. Formulation de l’optimisation fiabiliste
10.4.nConclusion et démarche pratique pour une maîtrise globale
des performances
10.5. Exercices de travaux dirigés : analyse de la fiabilité des performances
314 La conception industrielle de produits 1

TROISIÈME PARTIE. Ingénierie de la décision

Chapitre 11. Introduction1à l’ingénierie de la décision


11.1. Aide à la décision : quels outils, pour quoi faire ?
11.2. Les méthodes d’instruction de la décision
11.3. Les fondements théoriques du multicritère
11.4. Le cas d’un processus de décision multi-décideurs
11.5. Conclusion

Chapitre 12. L’agrégation complète – les OWA


12.1. MAUT (Multiattribute utility theory)
12.2. Somme pondérée
12.3. SMART
12.4. Méthode MACBETH
12.5. Les opérateurs d’agrégation
12.6. Opérateurs d’agrégations basés sur l’intégrale floue pour la prise
de décision en conception

Chapitre 13. Les méthodes de surclassement


13.1. La notion de surclassement
13.2. Les méthodes Electre
13.3. Les méthodes Prométhée

Chapitre 14. La méthode COMPARE pour l’aide à la spécification


et au choix de concepts par comparaisons par paires
14.1. Introduction
14.2. Synoptique de la méthode COMPARE et introduction à l’analyse
perceptuelle des planches de bord
14.3. La première étape d’évaluation perceptuelle par comparaisons par
paires
14.4. La deuxième étape de génération d’une spécification
14.5. La quatrième étape d’évaluation de nouveaux concepts de solution
14.6. Conclusion
Sommaire du volume 3 315

Chapitre 15. Les options réelles en ingénierie de la conception :


opportunités et défis sur le problème du mix des moteurs véhicules
15.1. Introduction
15.2. La théorie des options réelles relativement aux autres méthodes
d’aide à la décision
15.3 Les options réelles dans les systèmes de production
15.4 Contraintes et critères sur le mix de moteurs véhicules
15.5 Cadre et méthodes
15.6 Formulation d’une option d’expansion
15.7. Exemple numérique
15.8. Discussion et conclusion

Chapitre 16. Application des Rough Sets à la prise de décision


16.1. Introduction
16.2. Développement théorique
16.3 Table de décision et règles de préférence

Chapitre 17. L’analyse des mesures conjointes


17.1. Les racines et applications
17.2. Objectifs et contrainte d’application
17.3. Les étapes d’une analyse des mesures conjointes
17.4. Interprétation et évaluation de la qualité des résultats
17.5. Un exemple d’application
17.6. Mise en perspective de la méthode

Bibliographie

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