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Ingénierie de l’innovation

© LAVOISIER, 2004
LAVOISIER
11, rue Lavoisier
75008 Paris
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ISBN 2-7462-0894-6

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Ingénierie
de l’innovation
organisation et méthodologies
des entreprises innovantes

Vincent Boly
Table des matières

Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Chapitre 1. Mieux piloter l’innovation : une réponse à de nouveaux


phénomènes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.1. La réduction du cycle de vie des produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
1.2. La réduction du délai de maturité des technologies . . . . . . . . . . . . 19
1.3. La rentabilité d’une activité dépend sensiblement de ses conditions
de conception et lancement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.4. Et si tout (ou presque) se jouait dans les premiers mois ! . . . . . . . . . 23
1.5. La nature des tâches de développement évolue . . . . . . . . . . . . . . . 25
1.6. Une opportunité : accéder à un marché de spécialités grâce
à l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.7. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Chapitre 2. Mais au fait, de quoi parle-t-on ? Définitions de l’innovation


technologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.1. Définition du concept d’innovation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.1.1. La vision de l’économiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2.1.2. La vision opératoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
2.1.3. La vision du cogniticien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.1.4. La vision systémique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
2.1.5. La vision du sociologue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.1.6. La vision du biologiste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
2.2. Typologie de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
2.3. La technologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
6 Ingénierie de l’innovation

2.3.1. Technique et technologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48


2.3.2. Technologie : un système de connaissances . . . . . . . . . . . . . 49
2.3.3. La technologie caractérise une entreprise . . . . . . . . . . . . . . . 50
2.3.4. Courbe en S : courant évolutionniste de la technologie. . . . . . . 52
2.3.5. Et s’il existait des lois d’évolution de la technologie ? . . . . . . . 54
2.3.6. Technologie et société . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
2.3.7. Technologie et réseaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
2.3.8. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
2.4. Pour une vision renouvelée de l’innovation technologique . . . . . . . . 58
2.4.1. L’innovation est un processus (ou des processus) . . . . . . . . . . 59
2.4.2. L’innovation est un processus de création de valeur nouvelle . . . 61
2.4.3. Pas de doute, l’innovation est un processus complexe . . . . . . . 63
2.4.4. Et en plus, l’innovation est un processus incertain !. . . . . . . . . 69
2.4.5. L’innovation : un changement de paradigme . . . . . . . . . . . . . 75
2.4.6. Autant de variabilité : c’est à n’y plus rien comprendre…
et pourtant ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
2.4.7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
2.4.8. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

Chapitre 3. Les grands principes à respecter pour réussir


son ingénierie de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
3.1. Priorité à deux modes d’action : l’organisation et les méthodes
de travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
3.2. Les quatre niveaux d’intervention de l’ingénierie de l’innovation
technologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
3.3. Trois facteurs clés de succès en ingénierie de l’innovation
technologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.3.1. Premier facteur clé. Faire partager un sens général
de l’évolution de l’entreprise (technologie, organisation et
méthodes de travail) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
3.3.2. Deuxième facteur clé. Structurer les actions individuelles
et collectives pour accroître les chances de succès
et superviser l’acquisition de valeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
3.3.3. Troisième facteur clé. Développer une culture de la prise
d’initiative et de l’ouverture sur l’extérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
3.3.4. En synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

6
Table des matières 7

Chapitre 4. L’ingénierie de l’innovation : que font concrètement


les entreprises les plus innovantes ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
4.1. Première pratique d’ingénierie de l’innovation : les acteurs
de l’innovation œuvrent à l’évolution de projets
et donc de la technologie par des travaux de conception . . . . . . . . . . . . 102
4.1.1. Les objectifs des tâches de conception . . . . . . . . . . . . . . . . 102
4.1.2. Les tâches de conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
4.1.3. les outils de conception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
4.2. Deuxième pratique d’ingénierie de l’innovation : un suivi
de chaque projet innovant est fondamental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
4.2.1. Les objectifs de la gestion de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
4.2.2. les tâches de la gestion de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
4.2.3. les outils de la gestion de projet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
4.3. Troisième pratique d’ingénierie de l’innovation : une supervision
globale des projets innovants (budget, délai...) doit être menée
en intégrant la dimension stratégique impulsée par la direction . . . . . . . . 110
4.3.1. Les objectifs de la supervision stratégique dans les projets
innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
4.3.2. Les tâches de la supervision stratégique dans les projets
innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
4.3.3. Les outils de la supervision stratégique dans les projets
innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
4.4. Quatrième pratique d’ingénierie de l’innovation : au sein
du portefeuille de projets, la Direction assure la gestion
de la cohérence entre les différentes initiatives . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
4.4.1. Les objectifs de la gestion de portefeuille de projets innovants . . 115
4.4.2. Les tâches de la gestion de portefeuille de projets innovants . . . 116
4.4.3. Les outils de la gestion de portefeuille de projets innovants . . . . 118
4.5. Cinquième pratique d’ingénierie de l’innovation : un contrôle
et une rétroaction de la Direction et des responsables de projet
sur le processus d’innovation est indispensable pour faire évoluer
les pratiques des acteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
4.5.1. Les objectifs d’un contrôle et d’une rétroaction
sur les processus innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
4.5.2. Les tâches de contrôle et de rétroaction sur les processus
innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
4.5.3. Les outils de contrôle et de rétroaction sur les processus
innovants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
4.6. Sixième pratique d’ingénierie de l’innovation : un contexte,
une organisation de travail favorable est à mettre en place
pour stimuler l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123
4.6.1. Les objectifs d’une organisation adaptée à l’innovation . . . . . . 123

7
8 Ingénierie de l’innovation

4.6.2. Les tâches de création d’une organisation adaptée


à l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
4.6.3. Les outils de création d’une organisation adaptée
à l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
4.7. Septième pratique d’ingénierie de l’innovation : des démarches claires
visent à assurer l’allocation des compétences nécessaires au processus
d’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
4.7.1. Les objectifs d’une gestion des compétences adaptées
à l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
4.7.2. Les tâches de gestion des compétences adaptées
à l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 126
4.7.3. Les outils de gestion des compétences adaptées
à l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
4.8. Huitième pratique d’ingénierie de l’innovation : un soutien moral
aux participants doit être apporté par la Direction et les responsables
de projets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 128
4.8.1. Les objectifs d’un soutien moral aux acteurs de l’innovation . . . 128
4.8.2. Les tâches de soutien moral aux acteurs de l’innovation . . . . . . 128
4.9. Neuvième pratique d’ingénierie de l’innovation : un apprentissage
collectif des acteurs au fur et à mesure de l’évolution des projets
doit exister . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
4.9.1. Les objectifs de l’apprentissage collectif . . . . . . . . . . . . . . . 132
4.9.2. les tâches d’apprentissage collectif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
4.10. Dixième pratique d’ingénierie de l’innovation : un effort
de mémorisation des savoir-faire et de l’expérience acquise est à assumer
au cours des projets passés au profit des projets en cours et futurs . . . . . . 134
4.10.1. Les objectifs de la mémorisation des compétences . . . . . . . . 134
4.10.2. Les tâches de mémorisation des compétences . . . . . . . . . . . 135
4.10.3. Les outils de mémorisation des compétences . . . . . . . . . . . . 137
4.11. Onzième pratique d’ingénierie de l’innovation : les tâches de veille
(veille technologique, veille méthodologique et managériale, intelligence
économique) sont à organiser afin d’ouvrir l’entreprise sur l’extérieur . . . 137
4.11.1. Les objectifs de la veille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
4.11.2. Les tâches de veille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139
4.11.3. Les outils de veille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
4.12. Douzième pratique de l’ingénierie de l’innovation : la Direction
doit gérer les réseaux dans lesquels est intégrée l’entreprise. . . . . . . . . . 142
4.12.1. Les objectifs de la gestion des réseaux. . . . . . . . . . . . . . . . 142
4.12.2. Les tâches de gestion des réseaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
4.12.3. Les outils de gestion des réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

8
Table des matières 9

4.13. Treizième pratique d’ingénierie de l’innovation : une collecte


permanente des idées nouvelles issues de la recherche, du marketing
ou de propositions du personnel est nécessaire pour faire émerger
de futurs projets. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
4.13.1. Les objectifs de la production d’idées . . . . . . . . . . . . . . . . 147
4.13.2. Les tâches de production d’idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 147
4.13.3. Les outils de production d’idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 150
4.14. Synthèse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151
4.15. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Chapitre 5. Quelles organisations pour l’ingénierie de l’innovation ?. . . . 153


5.1. Les acteurs individuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
5.2. Les acteurs collectifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
5.3. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

Chapitre 6. Innover, mais avec quelles compétences ? . . . . . . . . . . . . . 157


6.1. La créativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
6.2. L’autonomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
6.3. L’esprit expérimental . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
6.4. Savoir repérer des opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
6.5. Les compétences intégratrices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
6.6. La capacité à traiter des données relevant de disciplines variées . . . . 160
6.7. Savoir adopter différents points de vue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
6.8. Esprit critique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161
6.9. La capacité à formaliser les problèmes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
6.10. Le goût de la concrétisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
6.11. La logique client . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
6.12. Un attrait pour le futur et pour le changement. . . . . . . . . . . . . . . 163
6.13. Savoir établir des liens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
6.14. Savoir créer un sens du développement partagé. . . . . . . . . . . . . . 165

Chapitre 7. Les outils de l’innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167


7.1. Intérêts et limites de ces outils et démarches . . . . . . . . . . . . . . . . 167
7.1.1. Faciliter le fonctionnement de l’entreprise sous forme d’équipe
interservice. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
7.1.2. Développer de nouveaux modes de raisonnement . . . . . . . . . . 168
7.1.3. Croiser des données qualitatives et quantitatives . . . . . . . . . . 169
7.1.4. Fixer des étapes au processus d’innovation. . . . . . . . . . . . . . 169
7.1.5. Faciliter l’identification de « l’information utile ». . . . . . . . . . 170
7.1.6. Passer de la conception de produit à l’innovation d’activité . . . . 170

9
10 Ingénierie de l’innovation

7.1.7. Faciliter la conception de gammes de produits. . . . . . . . . . . . 171


7.1.8. Stimuler la créativité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
7.1.9. Permettre une meilleure communication . . . . . . . . . . . . . . . 172
7.1.10. Permettre une véritable traçabilité des premières étapes
du cycle de vie du produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
7.1.11. Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
7.2. Présentation de quelques outils et démarches d’aide à l’innovation. . . 173
7.2.1. Quality Function Deployment (QFD) . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
7.2.2. TRIZ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
7.2.3. L’analyse fonctionnelle et la conception à coût objectif (CCO). . 179
7.3. Choisir une démarche et des outils d’aide à l’innovation . . . . . . . . . 182
7.4. Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

10
Préambule

De nombreux dirigeants et cadres d’entreprises sont aujourd’hui confrontés à la


nécessité de développer de nouvelles technologies, de nouveaux produits ou de
nouvelles organisations. Notre but consiste à les accompagner dans la mise en œuvre
d’un processus d’innovation continu. Il s’agit d’aider à faire de l’innovation le
moteur du développement de l’entreprise, à créer une dynamique permanente basée
sur la nouveauté (ceci va au-delà des conditions de réussite d’un projet donné).

Dans ce livre nous avons voulu présenter les éléments importants lorsque l’on a à
prendre des décisions et agir pour :
– rendre l’entreprise plus innovante,
– gagner en efficacité au niveau de chaque projet,
– stimuler le goût pour la nouveauté au niveau des individus.

Deux domaines du pilotage de l’innovation sont essentiellement développés : les


organisations et les méthodes de travail. Nous les décrivons et explicitons les
conditions de mise en œuvre concrètes. De plus, nous avons replacé toutes ces
préconisations dans un ensemble logique. Nous établissons par exemple des liens
entre la veille technologique et le management de la valeur, le management des
connaissances et les méthodologies liées à la créativité, la gestion de projet et la
stratégie… Cet ouvrage constitue donc une référence pour les praticiens : cadres,
dirigeants, consultants et acteurs du développement économique.

Il s’adresse également aux étudiants poursuivant des études dans l’enseignement


supérieur et ayant besoin de bases dans le domaine de l’innovation. Ils disposent ici
d’éléments leur permettant de mieux valoriser leurs compétences scientifiques et
techniques. Ce livre se veut également outil pédagogique pour les futurs
responsables de projets et cadres d’entreprises.
12 L’ingénierie de l’innovation

Enfin, la recherche se développe (tant bien que mal !) dans le domaine des
processus d’innovation. Des équipes analysent la transformation des savoirs
technologiques dans les entreprises et les modes de pilotage de ceux-ci. Elles
proposent des approches descriptives originales des phénomènes qui révolutionnent
les entreprises et les marchés, et, élaborent des outils de management. Ce document
représente une contribution à ces recherches : synthèse de diverses productions et
apports nouveaux.

Des choix ont dû être opérés lors des travaux de rédaction. Ainsi, nous n’avons
pas traité des aspects macroéconomiques de l’innovation : son poids économique,
son impact sur l’emploi… Nous avons privilégié une vision de l’innovation « de
l’intérieur » de l’entreprise.

Notons enfin que le lecteur trouvera des bibliographies complémentaires à


chaque fin de chapitre pour enrichir ses connaissances.

Finalement, l’auteur exprime ses vifs remerciements à ses collègues du


laboratoire ERPI pour leur soutien. Smaïl Ait El Hadj de l’Ecole Centrale de Lyon a
été un critique constructif. Colette Mathern a joué un rôle de collaboratrice
rigoureuse et enthousiaste.
Introduction

Chapitre un : mieux piloter l’innovation : une réponse à de nouveaux


phénomènes

Ce chapitre aborde les phénomènes qui expliquent la place prépondérante prise


par l’innovation dans la politique industrielle de nombreuses entreprises. Il s’agit
moins de décrire les grandes tendances économiques, que de mettre l’accent sur ce
qui touche directement le métier de chef de projet et de dirigeant d’entreprise. Sont
ainsi présentés : la réduction du cycle de vie des produits, la réduction du délai
d’émergence des technologies, la sensibilité de la rentabilité d’une activité à ses
conditions de conception et de lancement, l’importance des phases initiales pour les
projets, l’évolution des tâches de conception et de développement, l’attrait que
constituent certains marchés de spécialité.

Chapitre deux : mais au fait de quoi parle-t-on ?

Pour relever les enjeux précédents l’une des voies de développement possible
réside dans l’innovation technologique. Ce second chapitre est donc un état de l’art
sur les concepts d’innovation d’une part et de technologie d’autre part. Il précise le
vocabulaire relatif à l’innovation. Mais au-delà des définitions, une vision originale
de l’innovation technologique est proposée, qui met en avant des notions de
complexité, de loi d’évolution technologique, de principe d’émergence… Le but est
de montrer que l’innovation est un domaine à multiples facettes. De ce fait son
analyse et son pilotage requièrent des approches diversifiées.
14 L’ingénierie de l’innovation

Chapitre trois : Les grands principes à respecter pour réussir son ingénierie de
l’innovation

L’entreprise va chercher à piloter et si possible optimiser son processus de


transformation de la technologie (l’innovation). Nous présentons ici les grandes
orientations à donner à cet ingénierie de l’innovation : les niveaux d’intervention, les
modes d’actions et les facteurs clé de succès.

Chapitre quatre : L’ingénierie de l’innovation : que font concrètement les


entreprises les plus innovantes ?

Dans ce chapitre, le plus long du document, nous décrivons les aspects pratiques
et opérationnels : comment sont gérées les entreprises innovantes et comment sont
managés les projets attestant d’un caractère nouveau. Treize pratiques de pilotage
sont ainsi décrites et explicitées. Le manager trouvera ainsi les moyens d’auto-
diagnostiquer les modes de pilotage de l’innovation de sa structure ainsi que des
voies d’amélioration. Le chercheur pourra s’appuyer sur cette classification pour
organiser des campagnes d’observation en entreprises.

Chapitre cinq : Quelles organisations pour l’ingénierie de l’innovation ?

Ce chapitre est consacré aux organisations permettant de mettre en œuvre les


pratiques de pilotage de l’innovation :
– quels acteurs individuels interviennent en innovation,
– quelles organisations les structurent ?

Chapitre six : Innover : mais avec quelles compétences ?

Nous avons rassemblé treize compétences et comportements clés qui sont autant
d’atouts individuels et collectifs pour piloter des projets innovants et rendre
globalement l’entreprise plus innovante. On citera entre autres :
– créativité,
– autonomie,
– savoir développer différents points de vue,
– être apte à l’expérimentation,
– capacité à formuler un problème.
Introduction 15

Chapitre sept : Les outils de l’innovation

Dans ce chapitre, nous abordons le domaine des méthodes de travail et les outils
de collecte et de traitement de données adaptés au contexte de l’innovation. Il ne
s’agit pas d’un catalogue complet et exhaustif mais plutôt d’une analyse des apports
et de l’intérêt de ces outils. Quelques d’éléments d’aide au choix sont présentés.
Chapitre 1

Mieux piloter l’innovation : une réponse


à de nouveaux phénomènes

En guise de préambule, il nous est apparu fondamental de situer l’innovation


dans son contexte socio-économique. Notre but n’est pas de décrire tous les
phénomènes mondiaux conduisant les entreprises à investir davantage dans le
domaine de l’innovation. Toutefois, il nous semble fondamental de préciser
certaines des tendances lourdes qui marquent ce début de millénaire et qui nous
imposent d’enrichir ou de remettre en cause notre vision de l’évolution de la
technologie.

Nous avons retenu six phénomènes majeurs plaidant en faveur d’un


accroissement des connaissances en matière de pilotage de l’innovation.

1.1. La réduction du cycle de vie des produits

L’environnement économique est marqué par un phénomène de réduction de la


durée de vie des produits. Que ce soit pour le grand public ou dans le domaine
industriel, un même produit est proposé au client sur une durée de plus en plus
courte.

De nombreux secteurs sont touchés par ce phénomène : l’électronique,


l’aéronautique ou l’automobile. De nouveaux matériaux sont élaborés
qui remplacent ceux qui traditionnellement servaient de matière
première. La durée de vie de certains semi-conducteurs est de 6 mois.
18 L’ingénierie de l’innovation

On considère aujourd’hui que plus du tiers des articles vendus dans les
linéaires alimentaires en GMS n’existaient pas il y a 5 ans. Enfin,
selon une récente étude sur l’ensemble des ventes aux Etats Unis, la
part des produits lancés il y a moins de 5 ans, serait passée de 30 % en
1990 à 38 % en 1995 et pour près de 44 % en 2000.

La notion de cycle de vie elle consiste à considérer le remplacement quasi


irrémédiable qui marque chaque produit. Si l’on schématise, le volume de
consommation d’un bien ou d’un service en fonction du temps on obtient une courbe
en « cloche ». Quatre phases peuvent être observées : le lancement (démarrage des
ventes), la croissance (accélération de la consommation), la maturité (stagnation du
marché) et l’obsolescence.

Volume

Temps
Cycle de vie traditionnel Cycles raccourcis

Figure 1.1. Le cycle de vie des produits se raccourcit

On constate donc que la longueur de cette courbe tend à décroître pour la plupart
des produits. Si l’on se réfère aux théories schumpéteriennes, cette innovation dans
les produits viserait à pallier les récessions économiques telles qu’il en existe de
manière cyclique (cycle de 50 ans de Kondratiev). L’entreprise se trouve donc
devant une situation telle que son maintien sur le marché dépend en partie de sa
capacité à proposer de nouveaux produits. L’innovation est devenue un critère de
compétitivité et même une condition d’accès au marché dans certains cas
(informatique, électronique…).

Les réponses sont alors essentiellement de deux ordres :


– améliorer la gestion de chaque projet (voir la deuxième pratique de l’ingénierie
de l’innovation du chapitre quatre). Une situation paradoxale résulte de cette
Mieux piloter l’innovation 19

réduction des cycles de vie. L’entreprise doit être plus créative et donc accorder du
temps à son personnel qui le consacrera à rechercher de l’information, à réfléchir et
à laisser libre cours à sa curiosité et son imagination. Mais simultanément, elle devra
réussir à limiter ses temps de développement et de lancement sur les marchés.
Comment accordez plus de temps aux acteurs de l’innovation tout en réduisant la
durée des projets dans lesquels ils sont impliqués ! On retrouve là un des enjeux de
l’ingénierie simultanée : accélérer la phase de lancement des produits par
parallélisation des tâches ;
– élaborer de nouvelles stratégies (voir la troisième pratique de l’ingénierie de
l’innovation du chapitre quatre).

L’entreprise doit disposer en interne d’une véritable fonction de développement


d’activités nouvelles qui se traduit par des innovations en continu et/ou une politique
judicieuse de lancement d’options pour ses produits.

Un nouveau défi industriel émerge : initier une gestion active du cycle de vie
pour ne plus le constater et le subir. Certaines sociétés mettent donc un terme aux
ventes d’un modèle dont la distribution reste pourtant conséquente, pour le
remplacer sur le marché par un produit de nouvelle génération (ce fut le cas de la
Renault 19 par exemple). Elles espèrent que les concurrents seront peu réactifs et
perdront ainsi en compétitivité. Par ailleurs, les entreprises japonaises ont longtemps
mis en pratique le principe « d’innovation pas à pas ». Cela consiste à élaborer un
unique produit innovant mais à organiser son lancement par phases successives :
d’abord avec une version juste acceptable (mais nouvelle !), puis par périodes
régulières, lancement d’une option. Faire plusieurs courbes de vie courtes à partir
d’un unique travail de conception en quelque sorte. Constatons immédiatement que
cette pratique touche l’ingénieur, le commercial, le financier voir tous les métiers de
l’entreprise et qu’elle influence les choix techniques eux-mêmes.

1.2. La réduction du délai de maturité des technologies

Pour BIENAYME, il n’est pas sûr que l’hypothèse selon laquelle notre époque
serait marquée par un rythme important de découvertes scientifiques soit exacte. Par
contre la durée nécessaire à la valorisation d’une découverte sous forme d’activité
industrielle s’est énormément raccourcie. Ce temps que nous qualifiions de maturité
d’une technologie, serait passé durant la dernière moitié du siècle de 50 à 25 ans en
moyenne. La conséquence est claire : le temps de développement d’une technologie
devient un critère de choix au même titre que les coûts, les fonctionnalités.
20 L’ingénierie de l’innovation

Si l’on considère les principes mathématiques de la logique floue qui


ont fait l’objet de premières publications au milieu des années
quarante, plus de 40 ans ont été nécessaires à leur mise en œuvre sous
forme de régulateurs de chauffage ou de stabilisateurs d’images pour
nos caméscopes. Moins de vingt ans, par contre, séparent les
découvertes du Prix Nobel, Pierre-Gilles DE GENNES, de la vente de
colles directement élaborées à partir de ses travaux.

Années 50 Délai
découverte-
application

Années Délai
2000 découverte-application

Durée moyenne actuelle


d’une carrière professionnelle

0 25 ans 50 ans

Figure 1.2. Le délai invention-application industrielle se raccourcit

Rappelons que le rythme de l’évolution technique a été un sujet d’investigation


pour de nombreux économistes. Certaines études mettent l’accent sur l’accélération
du progrès technique au cours des dernières années d’autres sur son ralentissement.
Tout dépend des indicateurs retenus. Si l’on considère par exemple la tendance du
progrès technique à baisser l’énergie consommée pour un volume de production
stable, on peut considérer une accélération (selon les sources du Centre d’Etudes
Prospectives et d’Informations Internationales entre autres). Si l’on s’intéresse à
l’accroissement de la productivité du travail, on peut conclure au ralentissement
(selon les sources de l’INSEE par exemple). En conséquence, s’il est difficile de
dégager une tendance macro-économique, par contre on constate que, technologie
par technologie, le passage à l’application pour les découvertes est plus rapide.
Chaque innovation est plus vite industrialisable. De plus, si nous nous intéressons à
la durée du travail des ingénieurs et des cadres des structures industrielles, un
événement tout à fait original vient de se produire : la durée moyenne d’une carrière
Mieux piloter l’innovation 21

professionnelle est désormais plus longue que le délai d’émergence des


technologies.

Les réponses industrielles sont alors essentiellement de deux ordres :


– les entreprises veillent à disposer en interne des ressources intellectuelles
nécessaires (voir la septième pratique de l’ingénierie de l’innovation du chapitre
quatre). Le nombre de personnes ayant à faire face à une reconversion technique
devrait augmenter très rapidement. Et par voie de conséquence, davantage de
sociétés doivent amorcer une mutation dans leurs savoir-faire de bases en
production. Chaque dirigeant doit veiller au niveau d’aptitude technologique de son
personnel : pour le maintenir et l’enrichir. C’est le Knowledge Management anglo-
saxon. La façon d’aborder une carrière professionnelle se trouve également remise
en cause au niveau individuel. Chacun doit gérer son potentiel de connaissances face
au risque d’obsolescence (nécessité d’une véritable formation en continu durant
toute la vie professionnelle…). Lire, se former, deviennent des pratiques quasi-
quotidiennes ;
– les entreprises surveillent l’évolution technologique dans leur
environnement (voir la onzième pratique de l’ingénierie de l’innovation du chapitre
quatre). Il devient important pour une entreprise de se doter d’une fonction de
surveillance de l’évolution technologique. Certains grands groupes disposent de
services spécialisés. La société 3M accorde un pourcentage de temps important à
certains de ses cadres pour qu’ils se consacrent à la recherche documentaire. Il y a là
mutualisation de la veille technologique. On constate également ce genre d’initiative
dans des PME.

1.3. La rentabilité d’une activité dépend sensiblement de ses conditions de


conception et lancement

Produire et vendre un produit de qualité bien positionné sur son marché tout en
maîtrisant ses coûts ne suffit plus. Il faut savoir piloter la « naissance » du produit.
L’innovation gérée de manière satisfaisante donne l’opportunité à l’entreprise
d’accéder à un potentiel de marge supérieur à tout concurrent mal organisé dans ce
domaine. La qualité et le prix ne sont plus les seuls éléments majeurs influençant la
rentabilité d’une initiative.

Dans le secteur automobile, on se souviendra de la Safrane de Renault


dont le lancement fut repoussé, privant ainsi la firme au losange de la
formidable vitrine des jeux olympiques d’Albertville. Par contre le
projet Twingo fut exemplaire dans son mode de pilotage rendant
possible le lancement d’un véhicule de début de gamme rentable. Par
22 L’ingénierie de l’innovation

ailleurs des choix peu pertinents entre essais et simulation peuvent


expliquer les problèmes initiaux de la Mercedes Classe A.

Le mode de création et de lancement d’une nouvelle activité a des conséquences


à long terme sur sa rentabilité. Selon des études menées par le cabinet Mc KINSEY
and Company :
– un budget de développement dépassé de 50 % peut entraîner des pertes de
bénéfices de 5 %,
– un coût de production réel supérieur de 10 % au coût ciblé peut entraîner des
pertes de bénéfices de 20 %,
– un lancement retardé de 6 mois peut entraîner des pertes de bénéfices de 30 %.

Notons que généralement ces véritables manques à gagner financiers


n’apparaissent dans aucun bilan ou compte de résultats.

L’entreprise peut donc bénéficier de marges sensiblement supérieures si (de


manière nécessaire mais non suffisante) le résultat de son processus de
développement de produits est fiable. Un bon pilotage de l’innovation est donc
fondamental en terme financier.

Modes de conception

Finance
SUCCÈS Coûts, prix de vente
Qualité
Positionnement
Des produits, services, Marketing
de la production, …

Figure 1.3. Les quatre pôles de la rentabilité d’une activité innovante

Les réponses industrielles sont alors essentiellement de deux ordres :


– améliorer la gestion de chaque projet (voir la deuxième pratique de l’ingénierie
de l’innovation du chapitre quatre). Tous les acteurs de l’innovation sont impliqués
au niveau de cet enjeu, ils doivent gagner en professionnalisme pour parfaitement
organiser la période de construction de la future activité. On est tenté de parler de
Mieux piloter l’innovation 23

maîtrise des conditions d’élaboration de la nouvelle activité. Mais quand il y a


nouveauté, le degré de maîtrise diminue. Encore un paradoxe : l’innovation rime
avec nouveauté et risque, mais aussi avec marge financière et contrôle du processus
de conception ;
– organiser en cours de projet une réflexion sur les méthodes de travail utilisées
(voir la cinquième pratique de l’ingénierie de l’innovation du chapitre quatre). Les
entreprises innovantes confient au chef de projet le soin de trouver les méthodes de
travail les plus adaptées et l’ordre optimal de réalisation de celles-ci. Cette mission
nécessite des ajustements réguliers en cours de projet.

Ces phénomènes font-ils émerger un nouveau métier ? Nous pensons en tout cas
que de nouvelles connaissances sont à développer auprès des ingénieurs et de tous
ceux qui s’impliquent dans l’innovation : des savoirs en Ingénierie de l’innovation.
Comme nous venons de le voir, cette acquisition de connaissances peut s’avérer
hautement rentable.

1.4. Et si tout (ou presque) se jouait dans les premiers mois !

L’étude des tâches de conception, et plus précisément de l’accumulation des


décisions au cours du temps, fait apparaître un phénomène intéressant qui respecte la
règle des 80/20. Les décisions prises durant la période précédent le lancement ont en
moyenne un impact sur 80 % du coût du produit. Durant la période suivante, celle
qui concerne l’optimisation ultérieure du système de production, la part des coûts
pouvant être influencée est de 20 %. Et si tout se jouait dans les premiers mois !

Prenons l’exemple d’une grande entreprise pharmaceutique française


démarrant un projet de nouveau futur médicament. Dès les premières
phases du projet il apparaît que la formulation du produit repose alors
sur l’utilisation d’éléments de base très purs extraits par
chromatographie. Au moment du lancement sur le marché, la société
doit alors faire appel à une société experte en extraction de composés.
Cette sous-traitance ne pose pas de problème d’organisation, par
contre la marge de négociation tarifaire est très faible car la
chromatographie est une technique hautement complexe, de plus il
existe très peu de prestataires dans ce domaine. Les décisions initiales
dans le domaine chimique ont finalement un impact fort en termes
de coût.

On peut considérer en première approche qu’un produit est la somme d’un


ensemble de décisions : techniques, stratégiques, marketing… Le produit évolue
24 L’ingénierie de l’innovation

donc au gré des choix retenus par les concepteurs puis par les responsables de
production (œuvrant pour l’optimisation de leur unité). Du point de vue financier,
chaque décision constitutive du produit influence le coût total de celui-ci. De ce fait,
les approches visant à améliorer les pratiques et les organisations concernées par les
phases amont du cycle de vie du produit deviennent fondamentales. Investir sur le
pilotage du processus d’innovation c’est cibler les tâches les plus porteuses de valeur
Ajoutée. L’entreprise gagnerait-elle plus lors des tâches de conception qu’en phase
de production ? Ou peut-être faut-il parler de pertes ?

Nombre de décisions prises ayant un


impact sur les coûts

80%

Lancement

Temps
Conception Optimisation

Figure 1.4. Les décisions initiales de conception ont beaucoup


d’importance sur les coûts futurs du produit innovant

Les réponses industrielles sont alors essentiellement de trois ordres :


– professionnaliser les tâches de conception ou formulation (voir la première
pratique de l’ingénierie de l’innovation du chapitre quatre). L’entreprise innovante
se dote donc des moyens (humains, matériels et immatériels) facilitant les tâches en
amont du lancement du produit : experts, logiciels, méthodes de travail, base de
données, etc.,
– modifier l’organisation interne en tenant compte davantage des problèmes liés
à l’innovation (voir la sixième pratique de l’ingénierie de l’innovation du chapitre
quatre). On observe ainsi le développement de la concertation entre services dès les
phases de conception, pariant que les décisions collégiales entre spécialistes internes
Mieux piloter l’innovation 25

seront les plus pertinentes. Plus généralement, la manière d’organiser la prise de


décision de conception est devenue un critère clé de succès de la future activité,
– faire appel à des partenaires au stade de la conception (voir la douzième
pratique de l’ingénierie de l’innovation du chapitre quatre). Il s’agit de trouver à
l’extérieur les connaissances et l’expérience qui font défaut en interne pour disposer
d’un pool d’experts complet tout au long du projet.

1.5. La nature des tâches de développement évolue

La nature et la durée des tâches assurées par les entreprises avant le lancement
effectif de leur produit évoluent très sensiblement.

Dans le cas du secteur de l’électronique, on estime que les délais


d’études ont été réduits d’au moins 25 % au cours de la dernière
décennie. Les tâches dites de développement représentent désormais
près de 30 % du projet contre 10 % précédemment.

Au-delà de l’exemple du secteur de l’électronique, on constate une réduction des


délais globaux d’études des activités innovantes : il s’agit d’un effet de type
« ingénierie simultanée ». Mais on remarquera encore que le temps imparti à chaque
catégorie de tâches évolue. Les travaux dits de conception et planification
représentent une part croissante, ceux de développement et les essais sont à peu près
stables tandis que le lancement est beaucoup plus rapide.

De plus, si le temps imparti pour les opérations unitaires à assurer pour innover
change, on peut faire l’hypothèse que la nature de ces opérations évolue également.
Citons deux exemples : les techniques de simulation gagnent en importance et les
prototypes sont élaborés dans les conditions réelles de fabrication. Les dirigeants
doivent donc choisir le produit à développer mais aussi la technique de
développement. Peut-on parler d’optimisation de l’innovation ?

On peut également s’interroger quant à la pertinence de normes ou de procédures


dans le domaine de la gestion de projets innovants. Nombreuses sont les entreprises
qui suivent une séquence stricte au cours de leurs projets de développement de
nouveaux produits (secteur automobile, nucléaire par exemple) : étude de marché,
puis rédaction du cahier des charges, puis rédaction de plans… Le risque est grand
de figer les pratiques alors que celles-ci sont en pleine évolution, tous secteurs
industriels confondus.
26 L’ingénierie de l’innovation

Projet dans les années 70 d’une durée de 1000 heures

Conception et Développement Tâches de


planification : et tests: Lancement::
100 heures 600 heures 300 heures

Conception et Développement Tâches de


planification : et tests: lancement:
200 heures 500 heures 50 heures

Durée totale d’un projet similaire dans


les années 2000: 750 heures Gain de temps

Figure 1.5. Réduction des délais et nouvelle répartition des tâches pour des projets
de conception de systèmes électroniques innovants (d’après FABRICINO)

Les réponses industrielles sont alors essentiellement :


– du domaine de la réflexion et de l’amélioration des processus de conception ou
de formulation (voir la cinquième pratique de l’ingénierie de l’innovation du
chapitre quatre) ;
– un défi de plus à relever : trouver la bonne façon pour, à un moment donné, sur
un projet donné, dans un contexte donné, organiser la mobilisation des
connaissances et faire émerger les solutions les meilleures. Alors : étude de marché
avant réalisation du prototype, consultation de fournisseurs avant rédaction
définitive du cahier des charges, travail d’équipe interne, sous-traitance à des
experts, sollicitations de fournisseurs ? Le responsable du projet devra établir
son choix.
Mieux piloter l’innovation 27

1.6. Une opportunité : accéder à un marché de spécialités grâce à l’innovation

Il est possible pour une entreprise de se positionner de manière à moins subir les
contraintes de la baisse concurrentielle des coûts. Sur des marchés de spécialités, les
sociétés peuvent faire valoir leurs compétences de haut niveau et la rareté de celles-
ci. Elles peuvent alors justifier des prix de vente élevés.

C’est en se positionnant sur des machines très innovantes et


spécialisées que quelques industriels français de la filière machine-
outils ont réussi à survivre face aux concurrents internationaux. On
citera le cas de la société Macsoft en Lorraine qui produit des outils de
découpe et formage de fils métalliques. Le secteur de la chimie fine
est représenté par de nombreuses PME ayant développé des savoir-
faire technologiques de pointe les dédouanant de la pression
concurrentielle de leurs puissants collègues multinationaux.

Cette position stratégique est confirmée par les recommandations découlant des
tableaux d’analyse McKINSEY ou BOSTON CONSULTING GROUP/MARAKON.
Par des activités valorisant un atout concurrentiel fort, en particulier la maîtrise d’un
savoir-faire innovant et par des investissements continus en recherche, une société
de petite taille peut accéder à des marchés de niche. Ceux-ci se caractérisent parfois
par de hauts niveaux de rentabilité. L’innovation est donc une voie de
développement particulièrement adaptée à une PME choisissant de cibler des
marchés de spécialité.

Nombre de critères de
distinction du produit

FRAGMENTE SPECIALITE

IMPASSE VOLUME

Avantage concurrentiel acquis


par la maîtrise d’un critère

Figure 1.6. Typologie des marchés (d’après les travaux du Boston Consulting Group)

Les réponses industrielles sont alors essentiellement du domaine stratégique :


– une réflexion stratégique est menée et les décisions politiques sont intégrées
dans les choix faits au niveau des projets (voir la troisième pratique de l’ingénierie
28 L’ingénierie de l’innovation

de l’innovation du chapitre quatre). Les entreprises innovantes ont en général un


programme de développement clair que ce soit dans leur positionnement
concurrentiel ou dans leur investissement technologique. De plus, elles parviennent
à utiliser ces décisions dans les phases de sélection du processus d’innovation.
Citons entre autres les étapes de choix :
– des thèmes étudiés par la veille technologique,
– des axes de recherche,
– des priorités d’investissements entre projets,
– des principales spécifications du futur produit.

Ceci suppose une diffusion des orientations politiques et une bonne


communication entre la direction et les autres acteurs de l’innovation.

En conclusion, on note que l’environnement est favorable à un développement


par l’innovation pour les grands groupes industriels comme pour les PME.
L’innovation peut conduire à une plus grande compétitivité, à un renouvellement qui
évite l’obsolescence et à un maintien de la valeur du patrimoine des actionnaires.
Elle peut garantir une baisse de la pression concurrentielle par différenciation.
Bien évidemment de nombreuses conditions sont requises : investissement,
professionnalisme, changement de regard des ingénieurs sur leur métier.

1.7. Bibliographie

BIENAYME M, L’économie des innovations technologiques, Paris, Que sais-je, 1994.


COMMISSARIAT AU PLAN, Recherche et innovation, la France dans la compétition
mondiale, La documentation Française, 1999.
DUSSAUGE P., RAMANANTSEA T., Technologie et Stratégies d’entreprises, Paris, Mac
Graw-Hill, 1987.
GAUDIN M., L’innovation, éditions de l’Aube, 1998
GUELLEC D., Economie de l’innovation, Editions la découverte, 1999
MIDLER C., La voiture qui n’existait pas, Paris, Edition d’organisation 1992.
PORTER M., L’avantage concurrentiel, Paris, interéditions, 1986.
ROBINSON J., L’économie rebelle, Paris, l’Harmattan, 2001
SCHUMPETER P., Business Cycles, New York, Mac Graw-Hill, 1939.
TARONDEAU JC.., Stratégies Industrielles, Paris, Vuibert Gestion, 1993.

On s’intéressera aussi aux études générales de la DIGITIP (Ministère de


l’Industrie) et de la Communauté européenne (documents Cordis).
Chapitre 2

Mais au fait, de quoi parle-t-on ?


Définitions de l’innovation technologique

Nous venons d’exposer quelques phénomènes de l’environnement socio-


économique qui expliquent le développement de l’innovation technologique. Il nous
apparaît nécessaire d’expliciter maintenant ce concept. Quel est l’objet exact de
l’attention des dirigeants et des cadres qui veulent opter pour la nouveauté ? Et
puisque l’on utilise deux concepts, l’innovation et la technologie, nous les
détaillerons séparément avant d’en présenter la conjonction.

2.1. Définition du concept d’innovation

Il est difficile de présenter l’innovation tant ce terme est très largement diffusé
voir banalisé. Nous en reviendrons donc aux définitions rencontrées dans la
bibliographie scientifique. Ces définitions se distinguent souvent du sens commun.
De plus, il nous est apparu nécessaire de définir plusieurs représentations du concept
d’innovation. Selon leur discipline d’origine, selon leur expérience, selon leurs
intérêts, les auteurs abordent en effet cette notion de manière excessivement variée.
De plus, comment imaginer qu’un processus aussi complexe ne nécessite pas
plusieurs modes d’appréhension ?

Car notre objectif est bien là : montrer que le pilotage de l’innovation réclame
des approches multiples, des compétences spécialisées comme des approches
interdisciplinaires. Le management de l’innovation ne se réduit pas à des décisions
stratégiques, à des tâches de conception technique et à des pratiques de gestion de
projet.
30 L’ingénierie de l’innovation

Nous complèterons cet état de l’art par notre propre représentation du concept
d’innovation technologique.

En préalable, on note que sous le terme de produit, que nous utiliserons à


maintes reprises, on considère tout type de résultats industriels (objet matériel,
procédé, service ou encore modèle organisationnel).

Enfin, nous ferons régulièrement référence au monde de l’entreprise industrielle,


mais nous avons l’intime conviction que beaucoup des phénomènes que nous
présentons sont généralisables à toutes initiatives de groupe (service public,
structures associatives…) et que de nombreux concepts ont un spectre d’application
qui ne se restreint pas à l’industrie.

L’INNOVATION EN TANT QUE PROCESSUS

Vision économique

Vision
biologique Vision
Processus opératoire
d’innovation
Vision Vision
sociologique cognitive
Vision systémique

Figure 2.1. Différents regards sur le concept d’innovation

2.1.1. La vision de l’économiste

SCHUMPETER est un des tous premiers auteurs à avoir travaillé sur


l’innovation. Selon lui, elle représente le véritable moteur de l’économie de type
capitaliste. Il distinguait l’invention de l’innovation. L’invention est une découverte
technique, l’innovation concerne l’industrialisation d’un nouvel objet. On peut donc
considérer que l’invention est une nouvelle ressource pour l’entreprise tandis que
l’innovation consiste à intégrer cette invention dans un bien mis sur le marché.

En première approche l’innovation peut être considérée comme la mise en


marché réussie d’un produit, procédé ou service nouveau. On retiendra de cette
formulation (que l’on trouve sous différentes rédactions chez de nombreux auteurs)
le fait qu’il y ait :
Définitions de l’innovation 31

– succès : c’est-à-dire pérennité économique. L’activité économique résultant


des initiatives de l’entreprise permet de générer des emplois, des retours
d’investissements sont assurés, des marges financières sont réalisées.
– utilisation par des clients : le produit est lancé sur un marché pour être acheté
puis intégré dans d’autres produits industriels ou pour être consommé.
– création de valeur. Nous reviendrons plus loin dans cet ouvrage sur la notion
de valeur. Notons que l’innovation peut permettre des gains financiers mais aussi
conduire à des atouts stratégiques complémentaires, offrir aux clients de nouvelles
fonctionnalités et ouvrir de nouvelles voies de développement.
– différence totale ou partielle par rapport à des produits préalablement
existants : le produit issu de l’innovation doit être en rupture plus ou moins
accentuée par rapport aux objets préexistants. Ceci se traduit en termes de coûts, de
fonctionnalités, d’usage, de sécurité, d’ergonomie, d’image... Cette différence peut
être perçue par le client qui motivera son achat en partie par l’existence de cet écart
entre deux produits. L’innovation peut être connue mais non perceptible (cas d’un
nouveau composant dans un équipement par exemple). Enfin, l’innovation peut être
méconnue de l’utilisateur : c’est parfois le cas pour des innovations de procédé
aboutissant à l’élaboration d’un produit final identique en termes d’usage et d’achat.

Ainsi il apparaît que l’innovation ne peut pas être que purement technique ou
scientifique et que les concepts d’innovation et de conception doivent être
distingués. Lorsque, par exemple, on passe du pare-chocs en métal à un article en
composite, toute la chaîne logistique pour aboutir au montage de la pièce sur le
véhicule évolue. Concevoir, c’est prendre un ensemble de décisions et créer des
objets répondant aux besoins des clients. Innover consiste plus généralement à
étudier et agir pour qu’une nouvelle activité trouve sa place dans l’environnement
technique, économique et social.

Notons que selon cette approche dite économiste, le pilotage de l’innovation


relève majoritairement de problématiques liées à la maîtrise des coûts et à la
stratégie. On citera à titre d’exemple le positionnement vis-à-vis de la concurrence
cher à PORTER ou les travaux sur les partenariats technologiques de BOUAYAD.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


En pratique, cette définition montre l’importance du marketing : quel
marché ciblé pour accroître les chances de succès ? Quelle gamme
proposée ? Par voie de conséquence, une parfaite compréhension des
besoins des clients est requise. Evident ? Pas du tout si l’on considère
certaines transactions technologiques. Combien d’ingénieurs de
Bureau d’études connaissent parfaitement le process complet de
32 L’ingénierie de l’innovation

production de leur client ? Pas si simple, car il faut souvent aborder


des domaines techniques différents : le sous traitant/équipementier en
mécanique devra comprendre les modes de fabrication de son client
chimiste par exemple. Nous verrons que des démarches existent pour
lever cet obstacle. De plus, l’intérêt de la collaboration entre
techniciens, commerciaux et spécialistes du marketing est ici
confirmée.
Autre conséquence : en cours de développement, il convient de
disposer de critères d’évaluation de la qualité des décisions prises. Ces
critères découlent souvent des objectifs de l’entreprise. Prenons le cas
d’une entreprise optant pour une politique de maîtrise des coûts. Les
acteurs de l’innovation devront utiliser des indicateurs et un système
de mesure permettant à tout moment de positionner l’activité en cours
d’étude dans une grille de rentabilité future : c’est le principe de la
Conception à Coût Objectif. Remarquons que ces critères sont parfois
d’ordre qualitatif : image du produit par exemple.

2.1.2. La vision opératoire

De nombreux auteurs (Groupe de Recherche PRIMECA par exemple) étudient


l’innovation sous la forme d’un processus de transformation d’une idée en objet
nouveau. Ce cheminement est constitué d’étapes successives, chacune conduisant à
l’élaboration d’un élément indispensable à la réalisation de l’objet final. On citera à
titre d’illustration les phases intermédiaires suivantes : l’établissement de plans, la
formulation d’un mélange, la fabrication d’un prototype et la rédaction d’un cahier
de spécifications-clients. Il s’agit donc d’un processus de type opérationnel. Il peut
être linéaire ou être représenté sous forme d’arborescence dans le cas de projets
gérés selon les principes de l’ingénierie simultanée (dans ce cas certaines tâches sont
parallélisées).

Des efforts de normalisation de ce processus sont engagés par de grands


donneurs d’ordre, soit par le biais des normes ISO, soit par des textes plus
spécifiques (le référentiel d’Evaluation d’Aptitude Qualité des Fournisseurs
commun à Renault et PSA par exemple fut un des premiers). Il semble en effet que
dans un certain nombre de cas la variabilité dans la transformation d’une idée sous
forme de produit soit faible et qu’il est alors possible de définir des règles
génériques de travail ayant une durée de vie suffisante pour justifier leur
formalisation. Les projets de nouveaux sous-ensembles (remplaçant des composants
obsolètes) par des sous-traitants sur la base d’un cahier des charges précis de grands
donneurs d’ordre semble être un des cas où la normalisation trouve sa place.
Définitions de l’innovation 33

Les recherches dans ce domaine portent sur l’optimisation de certaines étapes


unitaires (par exemple : la rédaction d’un cahier des charges) ou l’intégration de
certaines séquences composées de plusieurs étapes unitaires (par exemple la
conception assistée par ordinateur). De nombreuses études portent sur la mise au
point de systèmes d’information adaptés à la conception.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Insistons sur deux conséquences de ce qui précède.
Premièrement, le responsable du projet d’innovation doit établir son
processus de travail de manière formalisée: liste des tâches à
entreprendre. De plus, il convient aussi d’avoir une démarche de
programmation des tâches à venir. Puisque nous sommes dans le
domaine de l’innovation, notons que dans la majorité des cas, la
démarche suivie devra être modifiée au gré des avancées, de la
découverte de nouvelles variables, des obstacles, des résultats des
essais… Attention, la modification d’une phase donnée du projet (ou
simplement son déplacement dans le temps) influence généralement le
contenu des autres phases. Par exemple, si l’on modifie la phase de
prototypage, les étapes de validation de ces prototypes risquent
d’évoluer et peut être même globalement le mode de
contractualisation avec les fournisseurs de pièces. Il ne s’agit donc pas
d’un unique problème de planification de tâches figées. Le problème
ne se résout pas par la recherche d’un chemin critique.
Notons que dans certains grands groupes industriels (3M par
exemple), la décision de lancer un projet est concomitante avec
l’élaboration d’un processus de travail résumé. L’idée est ici de faire
du « sur mesure » : la séquence des tâches dépend du produit à
élaborer, de la technologie, du contexte… Nous avons nous-mêmes
développé ce genre de pratique dans des PME.
Deuxièmement, une voie de progrès résidera dans l’analyse à
posteriori des pratiques. Des réunions de retour d’expérience doivent
clore les projets.

2.1.3. La vision du cogniticien

ALTER propose une interprétation originale de l’innovation : il la considère


comme une capacité à transgresser des règles établies. Au-delà de la notion de
nouveauté (introduire quelque chose de neuf ou inconnu dans un ensemble établi) il
34 L’ingénierie de l’innovation

s’agit d’une rupture avec des méthodes de production, des modes de raisonnement,
des organisations, et, l’adoption (ou l’expérimentation) d’une nouvelle pratique.
BIENAYME confirme que les entreprises qui innovent, modifient leur manière de
concevoir et de fabriquer leurs produits. Le Président Directeur Général de la société
3M (cité par BUCKLER) n’affirme t il pas : « les gens de 3M ont la possibilité (et le
savent) de briser les règles de fonctionnement, de lancer des défis aux procédures et
de se confronter à leurs dirigeants. Tout cela pour innover et rester proche du
client ». Nous avons nous-mêmes constaté dans certaines entreprises, telles que
Allied Signal Turbo SA, que le changement de règles fait partie de la culture interne.
Les séances de travail en groupe pour réfléchir à une nouvelle organisation du flux
de production font partie de la vie des techniciens. On peut alors déduire qu’innover
c’est chercher à augmenter l’entropie du système industriel et créer du chaos.

MARCH et SIMON déclaraient également dès 1958 en abordant des


perspectives cognitives : « l’innovation se présente quand la modification exige
l’étude et l’évaluation de nouveaux programmes d’activités qui n’ont pas été inclus
dans le répertoire habituel de l’organisation, et, ne peuvent être introduits par une
simple application des règles de changement de programmes ».

L’innovation réside dans le out of the box thinking. Innover c’est penser
différemment, soit en développant un mode de représentation des objets différents
ou en se basant sur de nouveaux modes de raisonnement. Considérons en effet la
séquence suivante : représentation/ mode de raisonnement/ action et idée. La
représentation est l’image mentale que chaque individu à de l’objet (plus ou moins
consciemment). Le mode de raisonnement est la construction logique que l’individu
va développer à partir des informations, de ses connaissances et de ses
représentations. La nouveauté au stade de l’action ou de l’idée peut alors résulter de
la mise en œuvre d’un mode de raisonnement novateur et/ou d’une représentation
non traditionnelle de l’objet étudié.

L’entreprise innovante va donc chercher à enrichir les modes de représentation


des acteurs de l’innovation. En termes de conception de produits, l’analyse
fonctionnelle est un exemple très intéressant. Elle induit une représentation des
objets, non plus sous la forme d’une somme de sous-ensembles (de pièces) mais en
tant que système fédérant des services rendus à un utilisateur. Lors d’une
expérimentation dans une usine de confiserie, nous avons observé l’impact pour les
cadres d’un changement dans leur représentation du produit. Le fait de ne plus
considérer l’objet comme une amande dragéifiée, mais comme un noyau recouvert
de plusieurs barrières hydrophiles/hydrophobes a généré l’expression de pistes
d’évolution du produit et la recherche de nouvelles matières premières. Enfin pour
Définitions de l’innovation 35

DI CAMILLO de la société Polaroïd : l’aventure de l’innovation consiste à viser de


nouveaux espaces mais aussi à acquérir un œil neuf.

Il apparaît alors que l’innovation se caractérise par son indétermination. Quoi de


plus imprévisible que de faire ou de penser selon une démarche inconnue, que
d’emprunter des chemins où l’on ne peut être guidé par l’expérience ? La
connaissance étant réduite lors de la mise en œuvre d’une nouvelle règle (par
exemple les conséquences de la mise en place d’un système innovant et centralisé en
matière de livraison de clients pour une société de production multi-sites), il apparaît
que l’innovation conduit à un résultat non programmable et donc incertain.
Innovation et incertitude sont deux concepts très proches. Cet étudiant qui
réfléchissait à un nouveau système de désinfection des canalisations d’immeubles ne
pensait pas être, trois ans après, à la tête d’une entreprise de 90 personnes.

L’innovation se définit également par son aspect organique et constructiviste : ce


sont des initiatives pour s’ajuster à des contraintes ou pour adopter de nouvelles
pratiques qui créent l’innovation. Ce sont les apports multiples de chaque tentative
qui construisent l’objet final. Pour IANSITI, les acteurs œuvrent sur tous les aspects
du projet du début à la fin. Il y a constamment aller et retour entre le concept et
l’application, entre le produit complet et ses éléments constitutifs... C’est cette
somme d’activités faites d’études et d’expérimentations qui façonne l’objet
innovant. Selon DEBRUCKER et pour certaines technologies, il n’y a que le
passage par une phase d’usage pour détecter de nouvelles solutions ou adjoindre de
nouvelles fonctionnalités.

L’innovation se présente donc selon un processus cognitif induisant des ruptures


de paradigmes. L’innovateur va se singulariser par rapport aux visions passées ou
présentes des sujets qu’il aborde. Il pense différemment. Une colle ne sera plus une
substance capable de durcir définitivement, mais un mélange parfois adhésif parfois
non adhérent : c’est le Post-it. Le beurre ne contiendra plus de graisse : c’est le Saint
Hubert 41. Au-delà de la production d’informations et des phases de prise de
décisions se posent des questionnements relatifs au mode de gestion de ce type de
processus. L’étude des éléments déclencheurs et des processus intellectuels
conduisant à ces ruptures représente donc deux éléments fondamentaux de la
recherche dans notre domaine.

Enfin, les responsables d’entreprise doivent s’interroger sur les techniques de


management facilitant ces comportements. Bien sûr les pédagogues doivent chercher
à développer des pédagogies permettant de développer ces processus intellectuels
chez les futurs cadres de l’industrie.
36 L’ingénierie de l’innovation

Un autre aspect est souligné par BOUCHER : il note qu’en interne de


l’entreprise comme dans l’environnement externe, l’innovation se traduit par des
alternances de phases de création-diffusion. En externe, la diffusion de l’innovation
peut conduire à la banalisation. En interne, elle prend la forme d’une standardisation
de l’objet ou de l’organisation correspondante. On démontre alors que la capacité à
obtenir très vite un standard interne à partir d’une idée nouvelle est une
caractéristique des entreprises très innovantes. La création-diffusion revêt un
caractère technique mais aussi humain : il y a passages fréquents de logiques de
maîtrise à des logiques d’innovation risquée. Les cadres se voient confier des tâches
d’optimisation de l’existant, puis de développement de nouveautés. Tout ceci se
succédant dans le temps. Les exemples sont nombreux de périodes de crises dues à
la difficulté pour certains dirigeants à gérer ces alternances sur le long terme : Club
Méditerranée, Apple... Enfin, n’omettons pas de mettre en avant les difficultés
rencontrées par celui qui pense différemment pour faire accepter ses idées et plus
tard pour être reconnu en interne comme un acteur clé.

Pour reprendre des éléments présentés dans le résumé introductif nous pouvons
présenter l’innovation comme un cycle étude-essai-mémorisation-création-diffusion
(l’ordre dans le cycle étant variable).

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Les dirigeants doivent faire face à un défi qui consiste à créer de la
science.
Mais oui, les dirigeants et leur personnel doivent accroître leur
capacité à aborder différemment les objets et les problèmes. Ils
doivent aussi apprendre à raisonner différemment. Tout cela pour
créer de la connaissance.
Certaines méthodologies telle que l’analyse fonctionnelle participent à
cet objectif. Elles doivent donc faire partie des techniques de
l’entreprise.
Lors de réunions de conception en entreprise, nous demandons
systématiquement aux participants de rédiger trois descriptifs
différents d’un même problème à résoudre. On peut aussi associer des
personnes extérieures qui poseront un regard nouveau sur l’objet : le
chercheur par exemple vis-à-vis du technicien de production. Nous
avons maintes fois orchestré le « choc » entre académiciens et
industriels : dans la majorité des cas, la relation se pérennise.
Le mode de management a également une influence. Nous le verrons
plus avant dans l’ouvrage, mais la question à se poser est la suivante :
Définitions de l’innovation 37

quelle part d’instabilité dans le système stimule l’innovation ?


L’absence de confrontation à l’évolution externe (par exemple la
méconnaissance des besoins directs du client) nuit à l’innovation, et à
l’opposé, une totale incertitude entraîne souvent une crainte bloquant
toute initiative.
Les responsables doivent de plus, réfléchir à deux niveaux
d’intervention : individuel et collectif. On peut innover
individuellement ou en groupe. Mais selon les cas les approches
stimulatrices ne seront pas les mêmes.
Ainsi il faut concrètement se poser la question de ce qui fait germer de
nouvelles idées dans sa propre entreprise.
Notons enfin que l’impact de toute approche managériale sur la
capacité à innover de l’entreprise s’émousse avec le temps. Il faut
innover dans la façon d’innover !

2.1.4. La vision systémique

L’innovation, par son caractère indéterminé n’accepte pas d’organisations


idéales pouvant la rationaliser et la maîtriser. L’entreprise doit trouver sur une
période donnée une structuration pertinente et adaptée, en sachant que celle-ci sera
temporaire. L’innovation naît en particulier du changement d’organisation.

Il existe alors des marges de manœuvre, des espaces libres que l’on peut investir
par modification des règles de fonctionnement (voir les travaux de SIMON).
L’innovation se définit comme un espace à conquérir par des ajustements et des
adaptations d’outils et de modes opératoires d’une part et d’organisation d’autre part
(modification des mandats confiés au personnel, du système de contrôle…).
L’entreprise se déplace alors vers des domaines favorables et nouveaux.

L’innovation se caractérise alors par sa dimension spatiale pluridimensionnelle :


elle ne se réduit pas à la dimension technique, à un savoir-faire nouveau découvert et
valorisé. Elle peut, par exemple, avoir une dimension stratégique. Elle peut
également avoir une dimension politique : du fait de son coût essentiellement une
nouvelle technologie nécessite parfois un soutien politique pour émerger et être acceptée
(traitement des déchets par exemple). Une PME qui avait innové en fabriquant de
nouveaux produits acoustiques a vu son marché réellement s’ouvrir quand elle a
adhéré à la fédération professionnelle correspondante : elle est rentrée en contact
avec les acteurs les mieux positionnés. Il y a donc dans l’innovation une dimension
spatiale stratégique et politique que tout acteur concerné sera amené à gérer.
38 L’ingénierie de l’innovation

L’innovation apparaît alors comme un espace d’opportunités que l’on peut


investir de différentes manières et avec des atouts très divers. L’intérêt du
partenariat en innovation se déduit immédiatement de cette vision : il s’agit d’un
mode d’accès collectif à un espace d’opportunité. La différence entre un système
industriel innovant et un système plus traditionnel relèverait donc en particulier dans
l’aptitude à lire les opportunités de l’environnement. L’art de distinguer des
opportunités dans les situations de crise fait alors partie des compétences du
« parfait innovateur ». Ce patron de PME informatique qui investit dans un réseau
national de maintenance informatique au plus fort de la crise de la vente de matériel
informatique neuf (baisse des prix et intervention de la grande distribution) en est
un exemple.

L’innovation se caractérise également par sa complexité Se référant aux théories


systémiques (VON BERTALANFFY, WALLISER, LEMOIGNE entre autres) on
peut définir une structure complexe de la manière suivante :
– comme composée de nombreux éléments appartenant à de multiples
catégories,
– ces éléments sont regroupés en sous-ensembles organisés en niveaux
hiérarchiques successifs,
– ces éléments et sous-ensembles sont reliés par des interactions nombreuses et
de types multiples.

L’innovation apparaît donc complexe par l’existence de ses variables multiples


(techniques, commerciales, stratégiques...) et inter corrélées. On distingue des
relations dynamiques de différents types :
– rétroaction (cause et effet sont corrélés) : par exemple le niveau scientifique
des membres d’une équipe chargée d’une innovation est influencée et influence le
caractère high tech des produits élaborés,
– interaction (un effet résulte de plusieurs causes) : la créativité par exemple
dépend des expériences multiples des cadres, de l’accès à différentes sources
d’informations, du niveau d’écoute entre les personnels de l’entreprise…
– régulation (relation positive ou négative entre variables) : plus les cadres sont
disponibles « hors gestion du quotidien » plus le nombre de projets portés par
l’entreprise augmente.

On retrouve d’ailleurs certaines de ces relations dynamiques dans le modèle


proposé par Kline et Rosenberg (figure 2.2).
Définitions de l’innovation 39

Figure 2.2. Modèle de la chaîne interconnectée (Kline et Rosenberg)

Selon ces auteurs, plusieurs chemins mènent à un nouveau produit : à partir


d’une chaîne centrale (étapes de conception qui se succèdent par des évolutions c) et
par des rétroactions courtes (feed back f) ou longues (feed back F) les innovateurs
vont construire un processus de travail adapté au contexte. Ils collaboreront avec les
chercheurs (liens D et K) tout au long du projet (même après lancement : lien I).

La définition de SCHUMPETER s’avère donc quelque peu réductrice quand on


étudie les conditions de réussite d’une innovation. Un bon projet industriel n’est pas
simplement un succès technique, commercial et financier mais aussi une activité qui
s’insère parfaitement dans un nouvel espace. La notion d’ancrage est essentielle :
une activité innovante peut être alors définie comme une activité issue d’un objet
nouveau, durablement intégrée à son environnement.

Cette vision s’applique parfaitement aux travaux de SHERVANI : celui-ci étudie


les problèmes rencontrés par les entreprises considérant avoir fait un progrès majeur
quand elles disposent d’un nouveau produit, et qui, de ce fait, éludent les tâches
d’ancrage.

Cette vision systémique de l’innovation met en lumière sa dimension stratégique


mais aussi informelle et humaine. Des mots-clefs tels que dynamisme, clairvoyance,
visionnaire, risque, opportunisme, jalonnent les analyses de contenu réalisées auprès
de dirigeants et cadres d’entreprises innovantes. L’innovation a, de toute évidence,
des liens avec le concept d’intuition.
40 L’ingénierie de l’innovation

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Première conséquence : tout ce qui stimule l’esprit d’entreprise facilite
l’instauration d’une culture de l’innovation. La responsabilisation est
un point clé du management de l’innovation. Mais plus encore, il faut
savoir instaurer dans chaque situation de crise une réflexion où l’on
recherche l’opportunité qui « se cache ». Quelle opportunité émerge
suite à la diminution rapide du marché des confiseries traditionnelles
pour un fabricant de dragées ? Regardez le produit chocolaté offert
avec votre café ! En même temps que disparaît un marché de base on
constate l’accroissement de la consommation de café à l’extérieur du
domicile et donc de la confiserie associée.
Une deuxième conséquence : il faut créer les conditions de cette
analyse. Dialogue, analyses stratégiques en groupe : les solutions sont
multiples.
Troisièmement, la curiosité n’est plus un vilain défaut : s’informer,
rechercher, rencontrer sont autant de missions à développer pour lire
les possibles évolutions favorables dans l’environnement.
Quatrième conséquence : de manière plus technique, toute décision de
conception sur un futur produit doit amener les concepteurs à se poser
la question de l’influence de leur choix sur le lien environnement-
entreprise ou environnement-produit. Si l’on retient un nouveau
matériau par exemple : face à quels fournisseurs se trouve-t-on,
devient-on plus dépendant de l’évolution du coût de la matière
première, quelle relation contractuelle sera nécessaire ? quelles
normes doit-on respecter ? Quelle influence sur le poids du produit et
donc le coût de transport ? Nos grossistes sauront-ils expliquer
l’intérêt de ce matériau à leurs clients ?

2.1.5. La vision du sociologue

ALTER a étudié l’innovation en considérant les jeux de pouvoir des acteurs


concernés. Selon cet auteur, on peut identifier trois phases d’évolution d’une
innovation :
– l’incitation : les Directions sont seules porteuses de l’innovation ; les
innovateurs ne voient encore pas comment tirer parti de ce changement ; des
légalistes résistent car il y a bouleversement de l’ordre établi,
– l’appropriation : les innovateurs deviennent les pilotes du projet, la Direction
les laisse faire et les légalistes renforcent leur résistance,
Définitions de l’innovation 41

– l’institutionnalisation : les Directions reprennent en main la gestion de


l’innovation à l’issue du projet, avec l’appui des légalistes qui vont redéfinir de
nouvelles règles d’organisation sur la base des avancées obtenues. Les innovateurs,
quant à eux supportent mal leur perte de responsabilité.

Innover c’est donc générer au sein du système concerné des interrelations


nouvelles plus ou moins conflictuelles entre les personnes concernées . L’innovation
consiste également en un processus social transformant la « mini-société » que
représente l’entreprise.

Il apparaît alors qu’à l’innovation est associée une évolution continuelle des
modes d’organisation formels des entreprises (mise en place d’équipes interservices
chargées de projets par exemple), des mandats attribués aux différents responsables
(un chef de service devient chef de projet par exemple), mais aussi des jeux de
pouvoir internes et donc des interrelations informelles.

La prise en compte de la dimension sociologique dans les modèles à développer


est incontournable que ce soit dans les aspects individuels, interpersonnels ou
collectifs. Piloter un processus innovant revient à maîtriser des successions de
phases où l’information présente un statut différent : idée individuelle, étude portée
par une équipe, donnée technique partagée par le personnel de l’entreprise.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Insistons sur deux conséquences directes de cette approche
sociologique.
Premièrement et de toute évidence, les responsables d’entreprises ne
peuvent nier l’importance du management en cours de projet. La
nouveauté effraie parfois, perturbe souvent, interroge toujours. Les
personnels impliqués dans les initiatives comme ceux qui auront à
reprendre les résultats futurs doivent être pilotés : on pense en
particulier à l’information.
Deuxièmement, il convient de savoir anticiper sur les changements
organisationnels futurs. Même si la tâche est difficile, il est nécessaire
d’envisager de manière prévisionnelle les conséquences d’un futur
produit sur la production, le contrôle qualité, la vente… On peut
organiser des séances de travail de groupe sur ces thèmes. On fera
apparaître de nouvelles tâches, de nouveaux contrôles, de nouveaux
liens entre services, de nouvelles responsabilités. Ceux-ci se traduiront
par la conception d’une future organisation caractérisée par de
nouveaux postes, de nouvelles frontières entre services, d’autres liens
42 L’ingénierie de l’innovation

hiérarchiques, et de nouveaux canaux de communication inter-service


ou interpersonnel. Notre expérience dans le domaine automobile
semble montrer l’intérêt purement économique de ces démarches qui
évitent de nombreux dysfonctionnements en phase de lancement et
accélèrent sensiblement l’apprentissage du nouveau produit à tous
échelons.

2.1.6. La vision du biologiste

L’analogie entre les principes d’évolution des systèmes vivants et des systèmes
industriels est intéressante. Il est clair qu’il ne s’agit là que de propositions à valider.

En biologie, trois états fondamentaux sont définis :


– la survie : qui est un maintien de l’organisme vivant dans une forme donnée se
traduisant souvent par un état végétatif,
– la croissance : qui est une progression des dimensions de toutes ou partie des
éléments constitutifs de l’organisme,
– le développement : qui correspond à l’acquisition d’une ou plusieurs fonctions
pour l’organisme.

On émettra l’hypothèse selon laquelle l’innovation est une forme de


développement des systèmes industriels. En référence aux théories darwiniennes du
développement, l’innovation réside en une activité économique nouvelle mieux
adaptée à son contexte que ce qui précédait (et ceci vis-à-vis de la majorité des
variables environnementales).

De plus, considérons qu’une innovation naît d’une initiative interne à l’entreprise


(l’idée d’un employé) ou d’une évolution de son environnement (évolution des
besoins des clients par exemple) ou d’une série d’événements conjoints à la fois
internes et externes (ce qui semble le plus souvent le cas). On peut alors comparer
l’innovation et les phénomènes régissant l’équilibre entre un organisme vivant et son
environnement.

Toute rupture d’un équilibre préexistant va se traduire par :


– une évolution du métabolisme interne de l’organisme : changement dans le
fonctionnement interne de l’entreprise. Le lancement d’un nouveau produit peut par
exemple impliquer une refonte du système qualité comme c’est le cas pour un sous-
traitant se lançant dans la production et la vente d’un équipement pour
l’aéronautique,
Définitions de l’innovation 43

– un changement dans les échanges entre les cellules et l’environnement


externe : c’est-à-dire une nouvelle répartition des tâches entre l’entreprise et son
environnement. Ainsi, certains donneurs d’ordre, du fait de la complexité de
certaines technologies, cessent de passer uniquement des commandes de produits
finis à des sous-traitants. Ils leurs confient des activités de conception de sous-
ensembles sur la base de cahiers des charges pré-établis,
– un déplacement spatial de l’organisme : il y a changement de métiers du fait de
l’innovation. Ceci se traduit par une réorientation des produits et même de
l’ensemble des activités. IBM intègre par exemple des activités de services. Les
manufacturiers du secteur du pneumatique s’adressent désormais directement aux
consommateurs en s’impliquant dans des systèmes de grande distribution. Texas
Instruments est présent dans le domaine de l’appareillage médical après celui du
grand public,
– l’apparition d’une nouvelle fonction : l’entreprise est alors capable de fournir
une nouvelle prestation. Les entreprises spécialisées en maintenance peuvent grâce à
la vidéo et Internet garantir une surveillance des installations de leurs clients en
continu,
– une réaction composite des précédentes.

Par analogie avec les sciences du vivant, l’innovation se définit comme la


réponse à une rupture d’équilibre provoquée le plus souvent par une action conjointe
d’un système industriel sur son environnement et un signal particulier de ce dernier.
Elle se traduit par des modifications internes du système industriel, de ses interfaces
avec l’extérieur et de sa position dans l’environnement.

Les modifications subies par les systèmes vivants prennent une forme résultant
des lois de la matière et du hasard comme le « chante » Bertrand JORDAN (« Le
chant d’amour des concombres de mer » au Seuil). Doit-on y ajouter, pour ce qui
concerne les systèmes technologiques, les lois de la socio-économie et la conscience
limitée de l’Homme ?
– Si l’on reprend les évolutions actuelles de l’école de pensée nord-américaine
en matière de systémique industrielle, quelques conjonctures peuvent être formulées.
En particulier, l’innovation peut être considérée comme le processus d’évolution,
dans son environnement, de l’entreprise vue comme un système complexe adaptatif.
On rappellera les caractéristiques de ces systèmes adaptatifs :
– plusieurs personnes travaillant en parallèle et pas systématiquement de manière
hiérarchique,
– une structure en constante évolution, générant des niveaux multiples de
décision,
44 L’ingénierie de l’innovation

– le respect du deuxième principe de la thermodynamique (augmentation de


l’entropie),
– une capacité à anticiper et à reconnaître des phases cycliques dans
l’environnement.

PASCALE rappelle que les systèmes complexes adaptatifs connaissent un risque


de disparition élevé dans les situations de stabilité prolongées. La survie passant
alors par la remise en cause des pratiques préexistantes. Sans être obligé d’aller
jusqu’au crime ! Comme l’aurait fait notre lointain ancêtre Homo Sapiens, héros du
roman de LEWIS, pour garantir l’avenir de sa génération ! (« Pourquoi j’ai mangé
mon père », éditions Acte Sud )

GUIDAT suit une autre démarche analogique en définissant le caractère


homéostatique de l’innovation. En biologie, on montre que plus la nature d’un corps
introduit dans un système est atypique, plus il y a d’intensité dans les forces de rejet.
De même, plus l’intensité novatrice d’un objet est forte plus il y a de risques de
rejet : en interne, par les concurrents, les institutions, les bailleurs de fonds...

Il en résulte, comme nous l’avons vu ci-dessus, que l’innovation intègre l’aspect


« ancrage » de l’activité nouvelle dans son environnement. Le nouveau projet doit
trouver sa place face à un contexte actif et réactif : sur le marché, dans la filière,
dans le système financier, au sein de la réglementation... On rappellera à ce propos
l’exemple de 3M. Cette société a eu l’idée de créer le premier projecteur à
diapositives. Considérant que cette technologie modifiait les approches pédagogiques
et que par ailleurs le système éducatif manquait de ressources tout en se montrant
conservateur, 3M a réussi son lancement dès que les principaux centres de formation
se sont vu offrir un appareil de démonstration.

Ces analogies mettent en avant le caractère complexe de l’innovation en faisant


intervenir des notions d’équilibre instable et de systémique. L’innovation apparaît
alors comme un processus d’évolution d’une activité industrielle en construction.

Une autre question étant celle du hasard. La hasard de la mutation du


chromosome en cours de reproduction ou en phase de multiplication. Lorsqu’un
chercheur échouant dans une expérience, termine sa journée de travail en aidant un
collègue œuvrant sur un autre projet, puis « s’amuse » ensuite à reproduire pour ses
propres préoccupations le protocole de ce collègue. Lorsque cette manipulation
ludique permet de découvrir un principe d’accroissement de la résistance d’un
matériau aussitôt valorisé par l’entreprise, peut-on parler de hasard ?
Définitions de l’innovation 45

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Cette vision des choses nous éloigne de la simple prise en compte par
l’entreprise d’un projet de conception de produit. Innover c’est bien
sûr organiser les tâches de création du nouvel objet, procédé ou
service. Mais c’est aussi avoir l’ambition de changer l’entreprise et de
peser sur son environnement. Cette vision biologique rappelle que des
investissements sont indispensables pour accroître les chances de
succès. Investissements financiers et matériels, mais également en
temps : pour convaincre son entourage par exemple.

2.2. Typologie de l’innovation

La bibliographie est abondante dans ce domaine sans apporter de distinction


nette dans les approches des différents auteurs. Pourtant de toute évidence, les
innovations ne sont pas toutes identiques. On conseillera au lecteur intéressé par ce
thème la synthèse de GARCIA et CANTALONE parue dans le Journal Of Product
Innovation Management.

On retiendra les catégories suivantes relatives à l’objet de l’innovation :


– de produit : elle concerne un produit ou un service innovant,
– de procédé : elle touche un nouveau mode de fabrication,
– la mise en œuvre d’une nouvelle ressource (un nouveau matériau par
exemple),
– commerciale : il s’agit de l’investissement dans un nouveau marché ou dans
une nouvelle formule de vente (elle aide à toucher plus efficacement le client ou de
nouveaux clients),
– organisationnelle : elle s’applique à un nouveau mode de pilotage du système
industriel (meilleure valorisation des ressources humaines et matérielles),
– financières : nouvelles dispositions dans la gestion des capitaux pour accroître
l’attrait des actions,
– d’usage : il s’agit du développement d’une nouvelle pratique (exemple : une
nouvelle activité sportive).

On peut aussi établir des distinctions selon l’intensité de l’innovation, que l’on
qualifiera alors de :
– radicale ou de rupture : un écart important sépare le nouvel objet de ce qui
préexistait,
46 L’ingénierie de l’innovation

– relative : il s’agit d’une variation d’un produit ou d’un procédé existant,


– de première initiation : elle marque la primauté dans le lancement.

Ceci se traduirait par l’écart entre les compétences du personnel, les choix de
conception, les techniques de production, le niveau d’investissement, le type de
machines nécessaires… avant et après l’innovation.

On peut naturellement croiser ces deux typologies pour, par exemple, observer
des innovations relatives de procédé.

BOOZ et ALLEN proposent une classification par rapport à deux critères : le


degré de nouveauté pour l’entreprise (en lignes) et pour le marché (en colonnes). Ils
obtiennent la matrice ci-dessous. Un gradient croissant de nouveauté existe lorsque
l’on se déplace en diagonale sur cette matrice (du bas à gauche vers le haut à droite).

Basse Moyenne Haute


Nouveau pour la Nouveau dans le
Haute
société monde
Amélioration de Gamme de produits
Moyenne
produit existante étendue
Basse Réduction des coûts Repositionnement

Figure 2.3. Matrice de Booz et Allen (BOOZ, 1982)

GARCIA et CANTALONE proposent in fine de retenir les éléments suivants. Ils


considèrent que l’innovation a un impact :
– au niveau macro (filière, marché, monde) : dans le domaine du commercial et
de la technique,
– au niveau micro (l’entreprise, les individus) : dans le domaine du commercial
et de la technique.

Une innovation « radicale » sera une innovation apportant de la nouveauté aux


deux niveaux micro et macro et dans les deux domaines (commercial et technique).
Une innovation « réellement nouvelle » touchera un des niveaux (macro ou micro)
mais dans les deux domaines. Une innovation « incrémentale » a un impact
uniquement au niveau micro.

On notera que le principal intérêt de ces typologies est de fournir des critères
d’audit pour des décideurs et des consultants. Elles permettent également la création
Définitions de l’innovation 47

d’un référentiel commun pour les chercheurs. On peut en effet réaliser une carte des
innovations passées et en cours dans l’entreprise. On peut ainsi mettre en avant
certains phénomènes. Par exemple, si l’on constate qu’une société génère
exclusivement des innovations de ruptures on est en droit de s’interroger sur la
valorisation de ces initiatives. N’est-il pas possible sur la base des innovations
principales de créer des innovations secondaires et ceci à moindre investissement ?

Toutefois, on restera prudent dans ce domaine car l’aspect qualitatif des


indicateurs retenus amènent souvent à un classement d’une innovation donnée dans
plusieurs catégories. Toutes les innovations ne sont pas aussi simples à classifier que
le World Wide Web !

Enfin, on notera qu’il n’y a pas toujours de corrélation entre l’intensité novatrice
d’une innovation donnée et la capacité à innover de l’entreprise correspondante. La
capacité à innover d’une entreprise réside dans ses aptitudes à générer des projets, à
développer de nouveaux produits et à intégrer des innovations (voir chapitre quatre
de ce document). De toute évidence ces trois aptitudes ne sont pas évaluables par le
degré de nouveauté d’un produit lancé récemment.

2.2.1. Bibliographie

ALTER N., Sociologie de l’entreprise et de l’innovation, Presses Universitaires de France,


1996.
BOLY V., RENAUD J ., MOREL L, GUIDAT C., Innovation in low tech SMB’s : evidence
of a necessary constructivist approach, Technovation, 20-3, avril 2000.
BOOZ, ALLEN et HAMILTON, New Product Management for the 1980, New-York: BAH
inc, 1982.
BOUAYAD A., Les alliances stratégiques : maîtriser les facteurs clés de succès, Paris,
Dunod, 1996.
BRONNER G., L’incertitude, Paris, Que sais je, 1997.
BUCKLER S., ZIEN K., From Experience, the Spirituality of Innovation : learning from
stories, Journal of Product Innovation Management, 13-5, p. 391/405, 1996.
DEBAIG M., HUETE L.M., Le paradoxe de la grenouille, Dunod, 1999.
DESCHARREAUX J.L., SUZET-CHARBONNEL P., Le modèle Client-Savoirs, Dunod,
2002.
FORAY D., MAIRESSE J., Innovation et performances, Editions de l’Ecole des Hautes
Etudes en Sciences Sociales, 1999.
48 L’ingénierie de l’innovation

GARCIA R., CALANTONE R., A critical look at technological innovation typology and
innovativeness terminology : a literature review, Journal of Product Innovation
Management, 19, p 110/132, 2002.
GAVIDARAYAN V., GUPTA. A., Strategic innovation : a conceptual road map, Business
Horizons, august, p3/12, 2001.
HETZEL P., Pour renouveler les processus de l’Innovation en entreprise, Revue Française de
Gestion, 103, p. 87-98, mars/mai 1995.
IANSITI M., WEST J., Technology and integration: turning great research into great
products, Harvard Business Review, 75, 69/79, 1997.
LEMOIGNE J.L., La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1990.
MARCH J., SIMON H., Les organisations, Paris, Dunod, 1974.
MILLER D., Stratégie et Marketing de l’Innovation Technologique, Paris, Edition Dunod,
1997.
O’CONNEL F., How to run successful projects, Pearson edition, 1999.
NONAKA P., Toward Middle Up-down Management : Accelerating Information Creation,
Sloan Management Review, MIT Press, Spring 1998
PASCALE R.T., Surfing the edge of chaos, Sloan management review, MIT press, 40-3,
p83/94, 1999.
SERRES M., Le tiers instruit, Paris, Edition Bourin, 1991.
SHERVANI T., ZERILLO P., The albatros of product innovation, Business Horizons, p.
57/62, janv/fev 1997.
The MINNESOTA STUDIES, Research on the management of innovation, edited by AH Van
de Ven and HL Angle, Oxford University Press, 2000

2.3 La technologie

Nous nous bornerons ici à une définition succincte de la notion de technologie.


De nombreux auteurs ont abordé ce sujet et des synthèses pertinentes existent dans
la littérature. On recommandera la lecture des ouvrages d’Aït El Hadj.

Nous nous positionnons globalement dans le cadre des approches de l’ « école de


recherche » nord américaine représentée par l’International Association on
Management of Technology.

2.3.1. Technique et technologie

Définir la notion de technologie conduit à se heurter à un problème de


traduction. Il n’est pas aisé de distinguer les sens sous-jacents aux mots
Définitions de l’innovation 49

« technique », « technologie », « technology », « technical »... De plus, il n’est plus


possible de se référer à l’étymologie de ces termes. Considérer en effet que la
technologie se résume à l’analyse des techniques et consiste en un discours sur
l’étude des techniques, ne facilite pas l’interprétation de la littérature et des
évolutions industrielles.

Pour MORIN, le fondateur en France du Management des Ressources


Technologiques, la technique consigne des connaissances, des procédés, des
méthodes appartenant à la communauté internationale. Mise au point
scientifiquement, banalisée, la technique est universelle. Elle appartient au domaine
public, ce qui la rend facilement accessible. L’entraînement par la vapeur est
l’exemple de référence dans la bibliographie pour illustrer la notion de technique.

La technologie fait partie de l’activité humaine. Elle consiste en l’asservissement


de moyens physiques (une matière première par exemple) et de forces naturelles
(des réactions chimiques par exemple) en vue d’un objectif précis (exemple : obtenir
de l’énergie de chauffage). Il s’agit donc d’obtenir des produits et services qui
n’existent pas directement dans l’environnement. Ceci suggère que la technologie
relève du domaine des machines et des connaissances permettant de créer des
produits pour un usage particulier. Rappelons la formule de Karl Marx dans le livre
un de Le Capital : « La technologie met à nu le mode d’action de l’homme vis-à-vis
de la nature, le procès de production de sa vie matérielle et par conséquent, l’origine
des rapports sociaux et des idées ou conceptions intellectuelles qui en découlent ».

2.3.2. Technologie : un système de connaissances

CASTAGNE, précise que la technologie recouvre un ensemble de connaissances


scientifiques et techniques, ainsi que des connaissances connexes liées à
l’industrialisation des premières.

Par connexes, on entend : stratégiques, commerciales, financières,


organisationnelles, administratives... Une part accrue d’immatériel distinguerait
donc la technologie de la technique. Savoir fabriquer des outils de jardinage grâce à
des matériaux et de techniques de production modernes (emboutissage, traitement de
surface entre autres), ne peut être dissocié des savoirs relatifs à la gestion des stocks,
à l’évolution du marché en fonction des saisons et du climat, à la gestion de la
relation avec la grande distribution…

Toute technologie se fonde donc sur des outils et des objets techniques, mais
aussi sur un ensemble de connaissances que les hommes de l’entreprise ont
accumulé et partagé. L’entreprise dispose de connaissances individuelles et
50 L’ingénierie de l’innovation

collectives dont elle a la mémoire (en général !) et qui constitue sa technologie.


Faire évoluer une technologie c’est en particulier gérer un processus
d’apprentissage.

Figure 2.4. La technologie selon CASTAGNE

De plus, on constate que tout changement sur l’une des composantes de la


technologie peut entraîner une modification d’une autre ou la relation qui existe
entre deux éléments. Un nouveau savoir en traitement de surface et notre fabricant
d’outils de jardinage devra adopter une nouvelle procédure de contrôle qualité.

Gérer les ressources technologiques, c’est alors veiller à disposer (en interne ou
en externe) des équipements et des connaissances mises à jour dans chaque
domaine. Mais c’est aussi trouver à un moment donné l’optimum pour chacune
interrelation. Pour notre fabricant d’outillage, il faut mettre en œuvre le meilleur
système pour fixer les manches et les fers des outils (au niveau coût, flexibilité…) et
réfléchir à l’optimisation entre le système de gestion des stocks et cette technique
d’emmanchement. On constate bien sûr que prit individuellement, le meilleur
système d’emmanchement peut ne pas convenir si l’on considère le système
technologique dans son ensemble.

2.3.3. La technologie caractérise une entreprise

Une technologie ne peut alors, selon la définition précédente, s’expliciter sans


connaître l’objectif industriel correspondant. L’industrialisation sous-tend une
stratégie personnalisée, un produit avec des caractéristiques qui peuvent lui être
propres, et une organisation particulière. La technologie est souvent caractéristique
du système qui la développe. Dès 1967, BARASON considérait d’ailleurs que la
technologie consignait toutes les données concernant la conception d’un produit, les
Définitions de l’innovation 51

techniques de production et les systèmes de gestion afin d’organiser et d’assurer des


plans de production de celui-ci.

On peut spécifier que la technologie est liée à un métier donné. Une personne ou
des groupes d’individus s’accaparent une technique pour en tirer un ou des savoir-
faire industriels particuliers. La technologie apparaît à cette condition. Elle a donc
un caractère beaucoup plus local que la technique.

On aborde alors le champ d’investigation appelé par les chercheurs américains :


Management of Technology. Et la position de KHALIL devient claire quand il
affirme : « la technique et les connaissances scientifiques ne créent pas de valeur,
c’est la technologie et plus précisément le management de la technologie qui génère
la valeur ».

On peut grossièrement déterminer ce qui relève de la technologie dans les


attributions des services traditionnels d’une entreprise :
– recherche : les connaissances scientifiques nouvelles, les idées et les moyens
de la recherche,
– développement : les plans et dessins industriels, les connaissances pour
l’application des idées en vue de leur utilisation pratique,
– production : les techniques, les équipements et les contrôles de production,
– achats : les spécifications, les systèmes d’assurance qualité,
– commerciale : les techniques de vente et de commercialisation, les modes de
gestion et de contrôle des marchés,
– services généraux : les connaissances des affaires et des techniques de gestion,
– finance : les techniques d’accès aux moyens de financement,
– ressources humaines : la gestion des savoir-faire et des connaissances, on
pourrait parler de gestion des compétences.

Nous ajouterons que la technologie relève essentiellement du savoir-faire lié à la


mise en cohérence de ces éléments. La technologie, du fait de la spécificité de son
objet d’application, se caractérise par une forte interdépendance des connaissances
de base. L’étude d’une technologie c’est surtout l’étude des liens qui existent entre
des connaissances de nature diverse. La technologie, par exemple, intègre la mise en
cohérence entre les caractéristiques d’un produit, les compétences des employés de
production et des commerciaux et les modes de rémunération de l’entreprise.
52 L’ingénierie de l’innovation

C’est parce qu’elle est complexe que la technologie est difficile à acquérir.
L’obtention d’une technologie exige de l’acquéreur comme d’un éventuel
transmetteur, des efforts, des investissements, une mobilisation matérielle et
humaine. Durant l’étape de transfert, des méthodes de travail collectives originales
doivent même être trouvées. La notion généralement retenue de transfert de
technologie est un non-sens. On nomme souvent ainsi une collaboration entre un
centre de recherche et une entreprise. Or l’échange ne porte que sur la dimension
technique. Reste, et c’est bien entendu le plus difficile, à intégrer les nouvelles
données techniques dans un ensemble de savoirs connexes (certains de ceux-ci étant
à créer). Ce processus d’intégration requière des conditions particulières très
éloignées des pratiques actuelles dites de transfert : collaborations la plus amont
possible, apprentissage simultané des deux protagonistes, confiance réciproque,
connaissance des contraintes réciproques, liens directs par échange de personnel …

A ce stade on constate donc que le concept de technologie se distingue de la


technique par :
– des connaissances connexes,
– les liens interreliant ces connaissances,
– une spécificité liée au couple produit/process (qui nous rapproche de la notion
de métier).

2.3.4. Courbe en S : courant évolutionniste de la technologie

Se plaçant dans une vision évolutionniste de la technologie, on peut considérer


que celle-ci n’est jamais stable, mais au contraire soumise à une continuelle
transformation (des philosophes tel que HEGEL décrivent des processus
ininterrompus de savoirs et situations en devenir et dépérissement). De par son
environnement et sa stratégie, l’entreprise va chercher en permanence à enrichir son
patrimoine technologique, son potentiel de connaissances, grâce à un flux de
nouveaux savoirs et savoir-faire.

On schématise traditionnellement ce phénomène à l’aide d’une « courbe en S »


(cf. FORSTER). Celle-ci traduit différentes phases de la performance d’une
technologie au cours du temps (figure 2.5). Dans un premier temps on constate
parfois un premier pallier de type apprentissage puis la performance technologique
s’accroît, mais selon un taux qui va décroissant avant de s’annuler. On peut
expliquer cette tendance de différentes manières et en particulier par l’existence de
phénomènes limitatifs.
Définitions de l’innovation 53

Tout d’abord il se peut que l’on soit limité par les connaissances scientifiques à
la base de la technologie (exemple : la purification de certains principes actifs en
pharmacie est limitée par les connaissances scientifiques dans le domaine de la
chromatographie). De plus, un pallier peut se présenter entre les atouts d’une
technologie et des conséquences secondaires (exemple : la quantité de déchets à
retraiter).

Performances

Temps

Figure 2.5. L’évolution des performances technologiques (d’après FORSTER)

Plus précisément, on distingue parfois, pour une technologie donnée, un


enchaînement de « courbes en S » (figure 2.6).

Figure 2.6. Evolution des performances technologiques par améliorations


successives puis par un phénomène de substitution

Par des nouveautés, les acteurs économiques apportent des améliorations à la


technologie existante (innovations incrémentales), ce qui a un impact sur les
54 L’ingénierie de l’innovation

performances. Il peut s’agir d’évolution sur le procédé ou l’organisation du travail


par exemple. Une nouvelle technologie de rupture peut également venir reprendre le
processus d’amélioration de la performance. On constate dans ce cas des
changements organiques plus importants pour les entreprises concernées.

Cette modélisation présente toutefois des limites. En effet, elle masque les
phénomènes d’influence entre technologies. La filière agroalimentaire, par exemple,
a fait évoluer ses technologies en matière de conservation de produits laitiers du fait
de l’apparition d’une nouvelle technologie de filtration (ultrafiltration du lait).

2.3.5. Et s’il existait des lois d’évolution de la technologie ?

L’équipe du Professeur ALTSCHULLER a travaillé sur les savoirs techniques et


scientifiques de la technologie en analysant les processus d’émergence de nouveaux
concepts. Il s’agissait en quelque sorte d’établir des lois générales d’évolution
technique quel que soit l’objet étudié. Des milliers de brevets ont alors été étudiés.

Selon cet auteur, l’innovation technique suit la loi dites d’Idéalité : tout système
technique tend vers plus de fiabilité, simplicité et efficacité :

De plus, huit tendances fortes semblent marquer l’évolution technique :


– l’existence d’un cycle de vie (émergence, croissance, maturité, obsolescence),
– la dynamisation de l’objet (d’une structure rigide à flexible),
– la multiplication (passage du système unitaire aux poly-systèmes),
– la transition (évolution au niveau micro ou macroscopique),
– la synchronisation (disparition des perturbations au niveau des flux),
– l’accroissement de taille ou au contraire la miniaturisation,
– un développement non homogène des sous-ensembles constitutifs,
– l’automatisation.

Il serait donc possible de positionner un objet ou une technique selon des


échelles d’évolution basées sur ce principe d’Idéalité ou ces huit tendances. Traitons
rapidement des systèmes de traitement des eaux usées par exemple. Nos stations
d’épuration sont en cours d’extension sur le territoire national et en phase de
modernisation. Elles sont très rigides avec une lente augmentation du nombre de
sous systèmes (décantation, fermentation...) et des efforts en matière
d’automatisation. Si l’on envisage de rechercher des pistes d’innovation en se
référant à une des huit tendances : on peut se demander ce qui découlerait de la
miniaturisation des techniques de retraitement des eaux usées par exemple ?
Définitions de l’innovation 55

Reprenons à nouveau notre définition de la technologie et formulons l’hypothèse


selon laquelle la variable technique suit des lois. Considérons alors au sein d’une
technologie l’un des innombrables couples (savoir technique, savoir connexe). Si la
première variable respecte une loi d’évolution, peut-on identifier des lois au niveau
du couple étudié. Autrement dit, l’évolution de la technique implique-t-elle un mode
de transformation de la donnée connexe associée ? Et inversement.

Prenons le cas du couple (savoir technique, savoir logistique). Peut-on extraire


de l’étude de nombreux projets d’innovation un principe selon lequel la
miniaturisation induit un ou quelques modes d’évolution des modèles logistiques
associés (la miniaturisation pourrait s’accompagner d’un mode de distribution à
distance par catalogue ou en grande distribution par exemple) ?

Plus généralement, les systèmes technologiques pourraient suivre des tendances


génériques (fiables à un degré qui serait à préciser).

Vaste domaine d’investigation ou simple conjecture !

Figure 2.7. Selon l’hypothèse de l’existence de lois d’évolution technique,


peut-on envisager des lois d’évolution technologique ?
56 L’ingénierie de l’innovation

Ce type d’approches pourrait à terme avoir un impact majeur sur le travail des
concepteurs et des personnes impliquées dans des choix d’ordre stratégique. Il est
possible d’accélérer les phases de recherche de solutions si l’on a à sa disposition
des connaissances relatives aux grandes tendances de l’évolution. L’impact de
logiciels basés sur la méthode Triz par exemple n’est plus à démontrer pour certaines
phases précises du processus d’innovation (recherche de concepts techniques
essentiellement). Le concepteur va systématiquement tester si son problème trouve
un principe de résolution dans l’application de ces tendances majeures.

Reste à enrichir notre connaissances sur ces éventuels principes d’évolution et


sur les limites de leur application.

2.3.6. Technologie et société

Certains auteurs insistent sur la dimension sociale et culturelle de la technologie.


Cette dernière intègre l’usage social du produit ou du procédé. L’émergence d’une
technologie répond à des problèmes de l’époque. Donc la technologie subit des
influences sociales dès sa conception. Les progrès de la médecine répondent par
exemple à un vœu d’accroissement de la durée de vie . De plus, entre une invention
et son portefeuille d’applications possibles, et, l’innovation réellement mise en
place, tout une série de filtres sociaux existent : les logiques de l’organisation, de la
société, les demandes... Ainsi, les innovations dans la biogénétique sont-elles
soumises aux ambitions des différents acteurs : états, groupements associatifs…

Une technique peut générer des technologies différentes suivant l’entreprise et sa


culture. Enfin, on constate que c’est par un changement culturel qu’une technologie
peut être acquise. ERALY cite l’exemple de l’automatisation qui n’est possible
qu’après une modification et/ou une standardisation des activités routinières.

La technologie est donc un concept qui intègre des variables descriptives sociales
et culturelles de la société ou de l’entreprise qui la valorise.

2.3.7. Technologie et réseaux

Enfin d’autres auteurs insistent sur la dimension « réseau » de la technologie. Ils


définissent pour chaque technologie un système technologique correspondant.
Chaque entreprise mobilisant une technologie se trouve placée de fait dans un
système que l’on peut définir comme un réseau d’acteurs interagissant dans un
domaine technique spécifique et dans un cadre institutionnel particulier. Le système
technologique se caractérise plus par des savoir-faire et des flux de connaissances
Définitions de l’innovation 57

que par des échanges de biens et de services. Suivant le système technologique


considéré, la taille, le développement géographique, les règles propres varient
énormément. Pour une entreprise d’électronique, se lancer dans le secteur de
l’instrumentation médicale va consister entre autres à s’intégrer au domaine de la
Santé et ses règles particulières : fiabilité impérative des produits, circuits
d’agrément complexes, liens avec la recherche clinique pour les phases de
validation...

Investir dans une technologie, c’est s’adapter aux normes en vigueur, adopter les
pratiques de la profession, tisser des partenariats avec des fournisseurs ou des
clients, ou encore des prescripteurs, communiquer avec des cibles prioritaires...
Cette PME fabriquant du matériel de bureau à innové pour se lancer dans les
produits acoustiques, mais son développement a nécessité des accords particuliers
avec des bureaux d’études et des contacts avec les fédérations professionnelles
correspondantes.

En conclusion, une technologie peut être présentée comme :


– des connaissances techniques,
– des savoirs connexes liés à l’industrialisation,
– un ensemble spécifique du couple produit/process,
– un système en évolution,
– un ensemble personnalisé à l’entreprise support,
– un univers complexe où les interrelations entre variables sont à gérer,
– des données sociales et culturelles caractéristiques de l’entreprise, de la société
et du pays,
– un réseau, associant l’entreprise considérée à des acteurs externes, et,
fonctionnant selon des règles spécifiques.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


La connaissance de ces différents aspects de la technologie nous
semble importante à divers titres. Citons en deux.
Premièrement, ces définitions montrent que le métier de
l’ingénieur/du cadre évolue. Pour développer des technologies celui-ci
ne doit pas être uniquement un concepteur garant du savoir
scientifique et technique. Il doit être pédagogue pour diffuser la
connaissance, il doit avoir une vision prospective pour identifier les
savoirs à acquérir dans l’entreprise et ainsi faciliter la mise en œuvre
58 L’ingénierie de l’innovation

de ses propositions. Clairement la responsabilité des cadres de


l’entreprise est de gérer un ensemble technologique complexe.
Deuxièmement notre définition de la technologie atteste de l’intérêt
des méthodes de résolution de problèmes. Si pour trouver la « bonne
solution », de très nombreux liens inter variables sont à investiguer,
l’analyse intuitive et l’expérience risquent de ne plus suffire. Les
outils tels que l’analyse fonctionnelle, le quality function deployment
et autres amdec trouvent ici tout leur sens.

2.3.8. Bibliographie

ABERNATHY W., UTTERBACK J., pattern of industrial innovation, technology review,


n°50, juin/juillet.
AIT EL HADJ S., Systèmes Technologiques et innovation : itinéraire théorique, Paris,
l’Harmattan-innoval, 2002.
FORAY F., FREEMAN C., technologie et richesse des nations, Economica, 1992.
FOSTER R., Innovation, avantage à l’attaquant, Interéditions, 1996.
GILLE B., Histoires des techniques, Gallimard, Paris, 1978.
MORIN J., Des technologies, des marchés et des hommes, Paris, Edition d’organisation 1992.
On s’intéressera également aux actes publiés dans le cadre de l’International
Association on Management of Technology (web site <http://www.iamot.org>).

2.4. Pour une vision renouvelée de l’innovation technologique

Dans les trois paragraphes précédents nous avons présenté les concepts
d’innovation puis de technologie. L’innovation technologique se définit en effet à la
confluence de ces deux domaines.

Très clairement, l’innovation technologique n’est pas un « événement naturel »,


pour reprendre une approche positiviste. Il concerne une activité humaine.

Nous venons de décrire les principaux courants de pensée en matière


d’innovation. Il en ressort une grande diversité de points de vue. Au titre des
concepts partagés par les auteurs, selon la littérature internationale, il semble
toutefois que l’on puisse proposer les éléments suivants :
– l’innovation technologique se présente sous forme de processus,
Définitions de l’innovation 59

– il existe un lien étroit entre les notions d’innovation technologique, d’une part,
et de valeur, d’autre part.

Avant de développer ces deux points nous tirerons des conclusions quant à notre
définition de la technologie.

Si la technologie consiste en un ensemble de savoirs techniques/scientifiques et


connexes (figure 2.4) alors on peut proposer que l’innovation consiste en
l’introduction de nouveauté à trois niveaux possibles : au sein des savoirs techniques
et scientifiques et/ou connexes d’une entreprise et au niveau des liens qui les
associent (figure 2.8).

Figure 2.8. Les trois niveaux d’innovation possibles dans un système technologique

2.4.1. L’innovation est un processus (ou des processus)

L’innovation est considérée par de nombreux auteurs sous forme de processus


c’est-à-dire un ensemble de phénomènes actifs et plus ou moins organisés qui
s’échelonnent dans le temps. L’innovation est une série (non linéaire) d’étapes
cohérentes entre elles et tendant vers un résultat donné identifiable, représenté par
une activité industrielle nouvelle et ancrée dans son environnement. Cette définition
est proche de celle de LORINO : un ensemble d’activités reliées entre elles par des
flux d’informations ou de matière, et qui se combinent pour fournir un produit
matériel ou (nous ajouterons : et) immatériel, un apport de valeur, et une
contribution spécifique aux objectifs stratégiques. Notons la proximité de ces
intitulés avec les préconisations de l’AFNOR (ISO-DIS 9000) : on trouve
simplement dans ces dernières la notion de ressources transformées au lieu du
concept de flux.
60 L’ingénierie de l’innovation

Nous pouvons même revenir à l’étymologie du terme processus (progrès) et le


considérer comme un mécanisme d’évolution. L’innovation c’est la progression
d’une activité industrielle au sein d’un système industriel, d’un marché, d’un secteur
économique. C’est le processus de développement d’une activité en devenir.

Il se définit comme la transformation en étapes successives des savoirs


techniques et connexes au sein de l’organisation : depuis l’intention jusqu’à
l’ensemble des acquis garantissant une activité parfaitement ancrée dans son
environnement. Le terme « processus » couvre ici l’ensemble des phénomènes
observables de transformation (de transition) technologique au cours du temps (voir
l’exemple de la figure 2.9).

Figure 2.9. L’évolution technologique pour une entreprise de confiserie innovante


Définitions de l’innovation 61

Considérant un état final différent d’un état initial : nous nous intéressons ici au
bilan relatif à la discontinuité technologique constatée.

Le spécialiste du génie des procédés chimiques étudie parfois les transitions,


c’est-à-dire l’évolution des formes chimiques et physiques à travers une réaction, de
la même façon nous nous intéressons aux transitions de phase au sein des
connaissances maîtrisées par l’entreprise et plus précisément à l’apparition de
nouvelles formes de savoirs technologiques.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Cette vision de l’innovation confère aux cadres des entreprises la
responsabilité d’un processus. Bien sûr le processus d’innovation est
plus difficile à « visualiser » qu’un processus de fabrication. Mais les
ingénieurs et dirigeants se doivent de réfléchir :
– à la nature et la qualité de chaque étape du processus d’innovation.
Par exemple : faut-il faire appel à la CAO pour concevoir nos produits
ou équipements, faut-il organiser un partenariat externe pour
concevoir puis mettre en place notre système de distribution ?
– à la logique d’enchaînement des phases et donc à la cohérence
globale du processus : faut-il faire l’étude de marché avant le cahier
des charges du futur produit ?
Rappelons que l’un des risques à éviter est de ne formaliser et faire
évoluer que les tâches dites de conception technique.

2.4.2. L’innovation est un processus de création de valeur nouvelle

Concernant la notion de valeur, on ne peut établir ici un état de l’art complet.


Nous ne citerons que quelques éléments fondamentaux. La valeur a été mesurée par
les économistes selon deux grandeurs : utilité et quantité physique. On considère
alors les coûts d’obtention des quantités nécessaires du produit et le prix que le
consommateur est prêt à concéder pour l’obtention de celui-ci.

Puis prenant en compte les goûts et les besoins des consommateurs, la notion de
valeur d’usage est apparue : la valeur est liée au rapport besoins/besoins satisfaits.
La valeur d’un produit est alors jugée contingente de la société, de son
environnement et du type d’usager : une machine à découpe au jet d’eau a moins de
valeur pour un scieur que pour un fabricant de pièces de micromécanique.
62 L’ingénierie de l’innovation

Elle est également personnalisée, caractéristique du système industriel au même


titre que la technologie. Elle est représentée par des variables de natures diverses :
des marges financières, des compétences, des objets techniques... Mais aussi des
aspirations individuelles : selon nous, le produit traduit également les motivations et
les valeurs morales des individus associés à sa production. Un produit high tec
fabriqué par une entreprise peut avoir plus de valeur aux yeux du personnel, motivé
par les tâches liées à cet objet, qu’un produit traditionnel générant davantage de
marges financières.

Nous proposons de résumer la valeur comme étant de nature :


– financière : une marge générée de manière à permettre la survie et/ou le
développement de l’entreprise (de ce point de vue et dans les années 1980, les
Mercédès avaient plus de valeur que la Renault 4 !),
– stratégique : un avantage vis-à-vis des concurrents existants ou face à
l’apparition d’éventuels nouveaux compétiteurs (c’est entre autre, la valeur défendue
par Microsoft),
– intellectuelle : une connaissance ou un savoir-faire nouveau qui représente une
potentialité de développement futur : autres applications, vente de licence, réduction
potentielle des coûts…(c’est la valeur que détenait dans les années 1990 Toyota en
gestion de la production et plus précisément en Juste à Temps),
– commerciale : mesurée en part de marché (c’est la valeur de certaines marques
de lessive),
– fonctionnelle : le produit considéré fournit un service supplémentaire
significatif aux utilisateurs (c’est la valeur qui a valu le succès du premier
monospace de Renault). On intègre ici les avantages techniques : le produit est plus
efficace et plus performant, il confère un confort de travail supplémentaire à
l’utilisateur,
– liée au degré de nouveauté : le produit apparaît comparativement innovant aux
yeux des clients (c’est la valeur développée par Apple face à IBM dans les années
1990),
– liée à la notoriété : la valeur est attachée dans ce cas à un différentiel d’image
(n’est-ce pas Coca Cola ou Nike !),
– hédoniste : c’est le plaisir et la motivation des individus impliqués dans
l’activité (regardez dans les fiches de motivation remplis par les jeunes bacheliers, la
place que tient l’aéronautique ! L’artisan voit la valeur des objets qu’il produit selon
son regard d’homme de l’art, sa fierté de créateur. Quel plaisir de travailler chez
Apple où l’on est créatif me disait un ingénieur dans les années 1990).
Définitions de l’innovation 63

La valeur d’une innovation est, in fine, la résultante de ces huit composantes. La


valeur peut donc être considérée comme une extension spatiale de la notion de
performance. La valeur donne à la performance un caractère pluri-dimensionnel.
Elle est objective et subjective, qualitative et quantitative, évolutive dans le temps.

Nous avons vu que des signaux, d’origine interne et externe, influençant le


système industriel, induise des évolutions de celui-ci. L’entreprise réagit aux
signaux perçus : des actions, des initiatives, ou la structuration forte de l’information
génèrent alors de nouvelles technologies (nouvelles connaissances au sens large). Et
c’est le management de ces connaissances qui va être créateur de valeur.

Au sens strict du terme, l’innovation est donc un processus de création de valeur


basé sur la nouveauté. Il s’agit de générer une nouvelle forme de valeur : nouvelle
fonction, nouvelle image, nouveau savoir…

Ce processus se caractérise par sa complexité comme nous allons le voir dans le


prochain paragraphe. Le polymorphisme de la notion de valeur explique en partie
cet état de fait.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Cette définition du concept de valeur est particulièrement utile pour le
praticien. Grâce aux huit sous-éléments de la valeur, il est possible
d’établir des grilles d’évaluation. Chacun des huit sous-éléments est
détaillé sous forme de quelques indicateurs. Par exemple : pour la
dimension financière le rapport marge nette / investissement. Il est
alors possible de comparer différents projets. De plus, et à moyen
terme, l’entreprise peut schématiser l’accroissement de la valeur
moyenne de son activité.
Notons toutefois que la notion de risque associée à l’innovation
interdit de se contenter d’une analyse succincte des évaluations
obtenues.

2.4.3. Pas de doute, l’innovation est un processus complexe

Aborder l’innovation revient à entrer dans le champ de l’étude des phénomènes


complexes. Domaine où la science ne fait que ses premiers pas. Nous montrerons
dans ce paragraphe les différents arguments plaidant pour cette hypothèse.
64 L’ingénierie de l’innovation

Si l’on reprend notre assertion selon laquelle l’innovation consiste en une activité
économique (ou une entreprise humaine) en devenir, alors nous pouvons affirmer
que l’innovation est un phénomène d’évolution d’un système anthroposocial.

MORIN affirme que « la vie n’est pas une substance mais un phénomène d’auto-
organisation très complexe qui produit de l’autonomie. Dès lors, il est évident que
les phénomènes anthroposociaux (dans notre cas l’innovation) ne sauraient obéir à
des principes d’intelligibilité moins complexes que ceux des phénomènes naturels ».

a) Le premier élément phénoménologique, la première constatation, de cette


complexité du processus d’innovation réside dans la multiplicité des liens entre
variables.
Si à la vision traditionnelle de l’entreprise constituée d’un système productif
transformant de la matière première et s’appuyant sur des services supports dédiés
aux tâches de maintien et d’optimisation, on substitue une approche par processus.
On rappellera qu’un processus est défini comme l’ensemble des activités reliées
entre elles par des flux d’informations ou de la matière qui se combinent pour un
produit matériel ou immatériel important et bien défini. L’entreprise est alors
considérée comme le lieu où interagissent une série plus ou moins complète de
processus. On peut noter par exemple :
– le processus de fabrication (de la matière première au produit fini),
– le processus de conception (de l’idée au produit vendu),
– le processus de livraison (de la réception des commandes au produit présent
chez le client),
– le processus de maintenance (de l’information descriptive de l’état du parc-
machine à l’intervention sur site).

Des interactions très fortes et d’autres négligeables existent entre ces différents
processus qui justifient : un pilotage par processus et une supervision globale du
système. Plus précisément on peut déterminer des liens entre processus en tant que :
– résultats pouvant être le fruit de plusieurs processus : ainsi un bon prototype
résulte des processus de conception et de maîtrise de la qualité,
– activités dites « horizontales » participant à plusieurs processus : pour être
référencées dans le domaine automobile, les pièces de série et les prototypes doivent
être fabriqués sur les mêmes machines. On est à l’intersection des processus de
conception et de fabrication (prototypes fabriqués sur la chaîne de production de
série),
– ressources mobilisables dans divers processus : on peut citer le cas des
répartitions de budgets d’investissements,
Définitions de l’innovation 65

– impacts croisés entre processus : la maîtrise des performances d’un magasin a


un impact direct sur la production par exemple (niveau de stocks de pièces de
rechange en magasin).

Il apparaît alors clairement que l’introduction d’une nouvelle activité (nouveau


produit, procédé ou activité support) comme toute modification de l’environnement
implique en théorie une refonte complète du fonctionnement interne du système
industriel. En effet, chaque évolution d’un processus donné a des conséquences sur
les autres processus. Un nouveau produit nécessite de nouveaux investissements et
donc un réajustement des affectations budgétaires préalablement programmées, il
peut encore imposer une modification du système qualité et des modes de
planification des tâches, des changements dans la gestion des stocks…

Nous venons de montrer, combien étaient nombreuses les interactions entre


processus industriels. Et cette multiplicité de liens existe naturellement dans le
processus de transformation technologique lui-même. Toute décision sur le produit,
sa géométrie par exemple, va influencer la technique de fabrication et par voie de
conséquence la planification de cette production. Mais le niveau de technicité des
concepteurs va aussi jouer sur les choix de même que la composition de l’équipe-
projet (si ce mode d’organisation est retenue). On pourrait continuer longtemps ce
catalogue des liens interdécisionnels ! La complexité résulte aussi du fait (cf. le
paragraphe précédent) que selon leur domaine de spécialité, des experts ne vont pas
considérer de la même manière une innovation donnée. Chacun traite l’information
par le filtre de ces connaissances et expériences.

b) Le second élément générant la complexité, réside dans l’aspect hautement


contradictoire de certains enjeux industriels.
Innover correspond à un souhait des dirigeants d’accroître la valeur de leurs
unités. Or si l’on cherche à préciser cette orientation par des objectifs locaux, on se
trouve généralement face à des contradictions. Quelques exemples : sécurité et
productivité, environnement et productivité, qualité et performance financière…

La cohérence se situe alors souvent à un niveau différent de celui que constitue


l’aire d’intervention des acteurs pris individuellement. Aux contradictions locales,
correspond une nouvelle voie de développement dont l’intérêt n’est apparent qu’au
niveau global. Un nouveau produit peut induire des perturbations profondes pour
chacun des services d’une entreprise (remise en cause du système de maîtrise de la
qualité, complexification de la logistique, perte de contrôle de la part de la fonction
achat, concession d’une partie de l’expertise technique par le Bureau d’études à un
sous-traitant…) et pourtant représenter la piste de développement la plus opportune
66 L’ingénierie de l’innovation

pour la société. Cette contradiction entre le local et le global atteste du caractère


complexe de l’innovation.

c) Le troisième élément à considérer est la notion de rupture (ou d’équilibre).


L’innovation résulte d’une modification des caractéristiques internes ou externes
de l’entreprise. Le produit doit par exemple évoluer car la réglementation change ou
un concurrent apparaît. Les exigences d’un client peuvent nécessiter en réaction, une
nouvelle gestion des stocks et une évolution dans la relation entre les expéditions et
la production. Tous ces exemples montrent qu’il y a création d’un déséquilibre au
sein des flux internes et/ou dans les échanges entre le système industriel et son
environnement.

Cette rupture d’équilibre peut exacerber la sensibilité de l’entreprise à des


événements mineurs. L’impact d’un phénomène traditionnel de l’environnement
peut alors s’avérer très important.

Prenons l’exemple de cette entreprise fabriquant des machines à bois. Elle doit
régulièrement faire face à des problèmes d’approvisionnement de la part de certains
fournisseurs (pièces mécaniques notamment) et ceci malgré sa propre certification
Iso 9001 et ses efforts de concertation et de sélection auprès de ses partenaires
économiques. Des retards en résultent pour quelques livraisons dans l’année mais la
société les gèrent sans trop de difficultés grâce au savoir-faire de ses commerciaux.
Sous la pression d’un concurrent, elle doit s’engager dans un processus d’innovation
sur ces machines : étude des nouveaux besoins de ses clients, développement de
nouvelles machines, recherche de partenaires commerciaux pour l’exportation… Un
retard (encore un) d’un fournisseur induit un décalage qui touche cette fois la date de
montage d’un prototype prévu pour… le salon professionnel bisannuel le plus
important ! L’entreprise ne pourra pas exposer son nouveau produit et en assurer la
promotion. En conséquence les prévisions de vente de première année sont revues à
la baisse, les coûts de publicité accrus... La société est devenue hautement sensible
aux retards de ses fournisseurs.

Les conséquences de cette position de déséquilibre inhérente à l’innovation


rendent le processus complexe. Ainsi, la notion de risque devient-elle fondamentale.
Fondamentale mais paradoxale puisque comme nous l’avons vu la logique de
réduction des risques ne s’avère pas toujours pertinente.

Si l’on reprend l’exemple de notre société de machinisme, on peut considérer


également que désormais apparaît un nouveau métier qui consiste à maîtriser la
réalisation de prototype. Ce qui a peut-être été vécu, en interne de l’entreprise et par
les acteurs impliqués temporairement (ou à temps partiel) comme un événement
Définitions de l’innovation 67

exceptionnel, un incident ponctuel (non-présentation de la nouvelle machine au


salon), est en fait la première expérience riche d’enseignement pour l’équipe qui
devra à terme prendre en charge le développement des nouveaux produits. Peut-on
alors parler de l’émergence d’un nouvel ordre suite à l’apparition d’un désordre ?
Du déséquilibre créé par l’innovation constate-t-on parfois l’émergence d’une
nouvelle structuration, de nouvelles compétences ?

d) Et si l’innovation était une propriété émergente de certains systèmes industriels.


On parle de propriété émergente lorsqu’un système atteste d’une propriété que
l’on ne peut pas expliquer par l’étude des parties du système et qui ne découle pas
directement de l’une de ces parties. C’est de l’agencement complexe des sous-
éléments, des interactions entre ceux-ci que la propriété tire son origine. La vie est
une propriété émergente de nos molécules constitutives. La pensée une propriété
émergente de notre cerveau. La créativité émerge de la synthèse de nos
connaissances et de nos pratiques, et, l’intuition de nos observations reliées.

L’innovation serait la propriété émergente de systèmes technologiques. Les


savoirs, une expérience ou expérimentation, une organisation, un niveau
d’instabilité… induirait la génération de projets. La nouveauté technologique se
construirait dans des conditions particulières internes et externes planifiées ou
subies. On ne peut totalement justifier le caractère innovant d’une entreprise par
quelques techniques (même individuellement pertinentes) : réalisation d’études
prospectives, utilisation d’outils logiciels spécifiques, pratique de la veille
technologique... Il y a pour chacune de ces pratiques nombre de contre-exemples,
nombre d’entreprises peu innovantes attestant de ces caractéristiques ou très
innovantes sans ces caractéristiques.

Piloter l’innovation revient alors à ajuster les variables influentes internes et


externes pour garantir des conditions d’apparition et de pérennisation de
l’innovation. A noter que bien évidemment les conditions de pérennisation de
l’innovation ne sont pas elles-mêmes pérennes !

Un large champ de recherche s’ouvre à ceux qui formuleraient l’hypothèse de


l’émergence : sachant telle ou telle caractéristique interne ou externe de l’entreprise
quelles sont les conditions de milieu et les actions favorables à l’innovation ?

Nous proposerons des conseils (niveau d’action, type d’intervention et critères


de succès) dans le chapitre suivant pour aider les décideurs à créer ces conditions
d’émergence. Il peut également aider le chercheur dans ces activités de
représentation des phénomènes in situ. Complexité, émergence : ces deux aspects
nous conduirons à proposer une ingénierie de l’innovation essentiellement basée sur
68 L’ingénierie de l’innovation

le choix d’une (des) organisation(s) et de méthodologies de pilotage pour


l’entreprise. Ces deux éléments nous semblent être les principaux leviers d’action à
la disposition des responsables.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


L’aspect complexe de l’innovation a de nombreuses conséquences sur
la pratique quotidienne.
Tout d’abord, la complexité amène à s’interroger sur la nature de
l’organisation à mettre en place. Créer un nouveau service ayant la
charge de l’innovation au sein de l’entreprise est rarement pertinent.
D’où les tentatives pour trouver des systèmes « horizontaux » et ce,
malgré la difficulté de les manager.
On constate aussi que cette complexité rend temporaire la qualité du
système organisationnel mis en place. La structure des entreprises
innovantes est donc évolutive.
Deuxième conséquence : penser la complexité n’est pas chose aisée.
Sans doute nos systèmes éducatifs sont-ils peu à même de stimuler ce
genre de capacité. Disposer au sein de l’entreprise de techniques
d’animation de groupe de travail et de méthodes de résolution de
problèmes peut s’avérer alors très productif. A différents stades
(créativité, formalisation du problème, mise en forme des solutions,
communication…) des outils méthodologiques et logiciels peuvent
être utilisés. Nous en présenterons succinctement certains dans notre
dernier chapitre. Notons qu’il convient de trouver le bon outil en
fonction de l’utilisation attendue.
Enfin, la complexité plaide en faveur d’une ouverture de l’entreprise
vers l’extérieur car il est illusoire de penser disposer en interne de
toutes les compétences, expertises et expériences nécessaires.
Partenariats, veille technologique (encore appelée intelligence
économique), participation à des groupes d’experts, sont autant de
pratiques qui répondent aux défis de la complexité.
Le praticien doit se persuader que cette dimension complexe de
l’innovation lui impose un travail de conception et de mise en place
très rigoureux dans les domaines de l’organisation et des
méthodologies de travail. C’est par cette activité qu’il transformera
des initiatives isolées en un processus d’innovation continu.
Définitions de l’innovation 69

2.4.4. Et en plus, l’innovation est un processus incertain !

L’aspect incertain de l’innovation est aisément identifiable à partir de


l’évaluation de l’efficacité de certains outils de gestion de projets (quand la
nouveauté est au cœur des initiatives).

De nombreux outils existent en effet dans le domaine de l’analyse de projet. Ils


permettent entre autres, de mesurer la rentabilité prévisionnelle, d’évaluer les
marchés potentiels, de comparer différents investissements, de mesurer les risques
financiers encourus. La littérature est abondante dans ce domaine.

Toutefois, on observe que de nombreux succès industriels résultent de décisions


antinomiques avec les préconisations de ce type d’outils. L’entrepreneur en
remettant en cause les résultats issus des analyses objectives se dote parfois des
véritables chances de réussite. Les outils de gestion de projet montrent donc des
limites importantes dans le cadre de l’innovation. La difficulté éprouvée par de
nombreux innovateurs pour trouver des ressources financières, dans les phases de
lancement de leurs projets, en est un autre indicateur. En effet, les bailleurs de fonds
s’en tiennent très souvent à leurs analyses normatives pour décider d’un appui
financier.

L’histoire du lancement du Polaroïd est riche d’expérience : Edwin LANG, le


directeur, fit clore la construction de la nouvelle usine de production avant que le
produit ne soit au point (la stabilisation des couleurs posait des problèmes). Renault
et Matra ont lancé le monospace malgré toutes les évaluations marketing négatives.
A Nancy, la société Médicorp n’a pas trouvé en Europe les fonds nécessaires au
démarrage de son activité innovante de production de cathéters. Or, à des niveaux
différents, ces innovations sont des succès impressionnants.

Les outils de gestion de projet cherchent, dans le cas de l’innovation, à traiter de


l’information qui n’est pas sûre puisque l’on se situe au stade de l’étude. Et à ce titre
leurs résultats sont sujets à caution. Toutefois il apparaît nettement que le manque de
précision des outils n’explique pas tous les cas divergents. Les outils de gestion de
projet décrivent des situations à un moment donné : ce sont des modèles statiques.
Or, nous avons vu que tout projet influence son environnement. Pour une analyse
fiable, il conviendrait de disposer (si cela est possible) d’outils dynamiques
prédictifs des impacts d’un produit innovant sur son environnement. Cette fiabilité
étant illusoire, l’innovation s’inscrit donc clairement et en partie dans le domaine de
l’Incertain. Les dirigeants de Médicorp, par exemple, étaient persuadés que
l’utilisation de cathéters se développerait dans le milieu médical grâce aux nouvelles
spécifications de leur produit. La rentabilité de leur projet supposait d’intégrer une
incertaine augmentation du marché induite par l’apparition de leur innovation. Ces
70 L’ingénierie de l’innovation

dirigeants se plaçaient dans une logique d’évolution, de développement qui rompt


avec la logique de maîtrise de la gestion de projet. Ils acceptaient et intégraient dans
leurs analyses des éléments non VERIFIABLES, mais PERTINENTS de
changements des pratiques médicales grâce à la mise à disposition de leurs produits
aux chirurgiens.

Considérons également le cas particulier de l’analyse de risques. Elle repose sur


le postulat que les solutions les plus intéressantes sont celles qui, statistiquement, ont
un taux de risque le plus faible (méthode Monte Carlo par exemple). Cette logique
de maîtrise, voire de réduction des risques, est mise en défaut dans certains cas (et
non des moindres!) comme en attestent les exemples cités ci-dessus.

On l’affirme, l’innovation est un processus incertain.

Mais revenons plus précisément sur ce point à la lumière de quelques définitions.

Le Petit Larousse propose la définition suivante de l’incertitude : « caractère de


ce qui ne peut être déterminé ou connu à l’avance. Ce qui ne peut être établi avec
exactitude et laisse place au doute ».

Deux dimensions importantes peuvent être relevées dans le cadre de notre


thématique. D’une part, l’incertitude concerne l’impossibilité de décrire avec
précision des événements qui ne se sont pas encore produits. C’est la dimension non
programmable de l’innovation puisque le but est de développer une activité qui
n’existe pas encore. D’autre part, l’incertitude touche l’imprécision inhérente à notre
maîtrise des faits et à notre compréhension des phénomènes puisque l’on cherche à
générer de nouveaux savoirs à propos desquels nous n’avons aucune expérience de
référence et que, de plus, nous sommes au cœur de la complexité.

Enfin on note que l’incertitude et donc l’innovation, peut conduire aux doutes et
au manque de confiance. La dimension humaine est donc essentielle en innovation
et ceci est d’autant plus vrai que se développe la gestion des projets par équipe.

Selon BRONNER on peut distinguer sociologiquement trois types d’incertitude :


– classe I : ce sont les situations que l’on n’a pas intérêt ou le pouvoir d’arrêter
(un changement de réglementation par exemple),
– classe II : une situation que l’on peut éviter en acceptant les coûts
correspondants (achat d’un équipement très fiable mais très coûteux par exemple),
– classe III : une situation qui peut être évitée et qui ne dépend que de l’individu
(tentative de rupture d’un contrat avec un partenaire par exemple).
Définitions de l’innovation 71

De plus, il est possible de distinguer encore :


– des incertitudes factuelles : qui sont le résultat de la confrontation d’un désir
au champ ouvert des possibles (catégorie qui rassemble les trois classes ci-dessus),
– des incertitudes de sens : qui représentent l’état d’un individu quand une partie
de ses représentations (politiques, religieuses...) est altérée.

On peut en effet identifier en innovation des incertitudes factuelles : vais-je


atteindre un taux d’acceptabilité de mon produit satisfaisant, vais-je obtenir une
bonne fiabilité, mon partenaire sera-t-il fiable ?

Des incertitudes de sens existent également : ma politique de gestion par projet


est-elle adaptée pour le développement futur de mon entreprise, mes valeurs de
manager sont-elles porteuses d’avenir ?

Nous proposons en résumé de distinguer trois formes d’incertitude :


– des risques : c’est-à-dire des écarts possibles et perçus entre une situation
souhaitée et programmée dans le cadre d’un projet, et la forme possible des résultats
finalement obtenus (par exemple le niveau d’acceptabilité d’un produit sur son
marché),
– des aléas : des événements perçus et connus dont on n’est pas en mesure de
prévoir la forme définitive (par exemple les résultats d’un appel d’offre),
– des imprévus : des événements que l’on n’avait pas envisagés lors de l’étude
d’un projet (par exemple l’apparition d’un produit concurrent avant le lancement de
notre supposée innovation).

On peut alors recenser les liens entre incertitude et innovation comme suit :
– en considérant l’innovation en tant que processus décisionnel (entre autres), il
apparaît alors que l’incertitude est due, en partie, à la qualité variable de
l’information mobilisée lors de la prise de décision. Ce niveau de qualité dépend de
la précision de l’information brute et de notre capacité à l’interpréter. On peut citer
l’exemple de la différence entre la demande formulée par des clients potentiels et le
besoin réel à identifier (dans le cas du Polaroïd, revenons à la période précédent le
lancement : entre le rêve de disposer immédiatement de ses clichés et l’acte d’achat
d’un appareil à développement instantané : quelle adéquation ?). De plus, la variable
temps joue un rôle important : le délai que s’accorde un décideur pour arrêter un
choix influence la précision et le volume de ses informations ressources. Avec le
raccourcissement des délais de développement des produits, l’incertitude augmente,
– l’incertitude est associée à la notion de complexité des phénomènes liés à
l’innovation. Nous avons vu que toute innovation a un impact sur le système
industriel qui la supporte. Or, un système industriel est constitué de plusieurs sous-
72 L’ingénierie de l’innovation

systèmes internes interdépendants. L’innovation va donc modifier un ensemble


complexe et en équilibre plus ou moins stable. Notre compréhension des
phénomènes nous interdit une parfaite prévision des conséquences internes de
l’innovation. Que va changer le passage en juste-à-temps dans le mode de
collaboration entre un atelier de fabrication et un atelier de montage ? L’impact de
l’innovation sur l’organisation est de ce fait source d’incertitude. La même analyse
peut être menée en considérant la relation entre le système industriel support de
l’innovation et son environnement. Il est difficile de prévoir les futures
modifications dans les équilibres extérieurs résultant du lancement de l’innovation.
Anticiper les effets homéostasiques est peu aisé. Le lancement de mon innovation
va-t-elle entraîner une politique tarifaire très agressive de mes concurrents ?
L’interdépendance entre l’entreprise et son environnement est source d’incertitude.
Notons enfin que les acteurs de l’entreprise vont figer des choix à certains moments
alors que l’environnement continue à évoluer (en particulier la concurrence). Ce
différentiel d’évolution est lui aussi cause d’incertitude,
– incertitude et stratégie sont également liées. En effet suivant les options
stratégiques de base retenues, le degré d’incertitude varie. Etre le premier sur un
marché représente, en cours de développement, davantage d’incertitude que de
suivre une initiative d’un concurrent (c’est le cas de Philips qui a connu de grosses
inquiétudes lors des premiers mois –avant de rencontrer le succès- en lançant avant
ses concurrents la lampe Halogena, source de lumière à culot standard et intégrant la
technologie halogène). De plus, il y a interdépendance entre les options stratégiques
relatives aux activités traditionnelles de l’entreprise et les objectifs (évolutifs le plus
souvent) que l’on assigne à un projet innovant particulier. Le développement d’un
projet innovant impose des modifications dans les plans stratégiques initiaux d’une
entreprise et à ce titre génère de l’incertitude,
– incertitude et développement constructiviste de l’innovation sont deux notions
imbriquées. Le produit nouveau se construit petit à petit au gré des décisions des
concepteurs et des événements. Il y a « modelage » du produit innovant : on le
découvre au fur et à mesure. De ce fait beaucoup d’éléments ne peuvent être
anticipés. Il y a, non programmabilité, incertitude quant à l’avenir du futur produit
(acceptabilité à long terme par les clients par exemple). Mais l’incertitude réside
aussi dans le cycle de vie du projet lui-même : changement d’équipe, départ de
responsable du projet, projet moins prioritaire pour l’entreprise...
– la nouveauté ne peut pas intrinsèquement apparaître hors contexte incertain. Ce
qui est nouveau ne bénéficie pas de la ressource de l’expérience (celle-ci n’éclaire
que les chemins déjà empruntés !). BEAUDOIN montre que l’incertitude est
positivement corrélée au degré de nouveauté d’une innovation,
Définitions de l’innovation 73

– l’innovation considérée comme une forme d’infraction aux règles est, bien sûr,
associée au concept d’incertitude car la confiance vient souvent de la connaissance
et du respect d’un référentiel,
– l’incertitude est liée à la capacité de l’entreprise à déterminer des opportunités
dans les signaux qui lui parviennent de l’environnement. On peut, en effet
considérer que dans de nombreuses situations, menaces et opportunités apparaissent
conjointement. Le succès d’un projet innovant dépend en partie des initiatives prises
pour saisir une opportunité. Un projet est donc incertain car il dépend de la capacité
des acteurs à « lire « les opportunités et à s’engager à un moment donné (au temps t,
l’acteur est-il en enclin à se mobiliser pour percevoir l’opportunité ?). Pas facile
pour les acteurs du secteur agroalimentaire pour lire des opportunités dans les
nombreuses crises du à des problèmes de sécurité alimentaire : ESB ou fièvre
aphteuse,
– l’incertitude est également liée à la taille de l’entreprise. On peut considérer en
effet que, de part leurs ressources intellectuelles et financières réduites, les PME
sont face à un contexte plus incertain. Les moyens disponibles pour assurer le succès
de l’innovation sont inférieurs à ceux des grands groupes et l’impact d’un échec
possible crée davantage de doute,
– l’incertitude est associée à la spécificité de la technologie vis-à-vis du système
industriel support. Le succès d’un projet est dépendant de la qualité de l’ajustement
entre le système productif et les caractéristiques de la nouvelle technologie.
L’entreprise traditionnelle saura-t-elle s’organiser par exemple pour intégrer de
l’électronique dans ses produits ? La capacité des acteurs à faire évoluer leurs
pratiques génère de l’incertitude,
– la dimension sociale de l’innovation crée l’incertitude. Un renversement de
pouvoir, l’émergence d’un individu très entreprenant au sein de l’entreprise (voir la
notion de « champion » au chapitre traitant de l’organisation) ou du groupe-projet
peut induire une inflexion dans les orientations des travaux. Le jeu des acteurs est
incertain et instable et, par voie de conséquences, la transformation de la technologie
l’est aussi,
– enfin, peut-on repérer des phénomènes chaotiques en gestion de projet ? Il
s’agit là d’une interrogation. La mise en œuvre répétitive des mêmes méthodes
(exemple : systématiser les analyses fonctionnelles), des même techniques de
gestion, peut-elle conduire à des situations chaotiques, des résultats très différents
des attentes initiales ? L’incertitude naîtrait alors de la répétitivité des approches.

Ainsi toutes ces analyses conduisent à conclure que l’innovation technologique


est un processus de création de valeur nouvelle caractérisé par son aspect incertain et
complexe. Bien évidemment, le pilotage de ce processus en sera affecté comme nous
le verrons dans les chapitres consacrés au management de l’innovation.
74 L’ingénierie de l’innovation

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


On recensera quatre conséquences directes à la notion d’incertitude.
Premièrement, l’incertitude implique l’erreur voir l’échec. Investir
dans l’innovation c’est accepter qu’un certain nombre de projets
échouent ou n’aboutissent pas (abandon).
Toutefois, n’oublions pas que l’on doit toujours raisonner les résultats
obtenus en termes de valeur. Bien évidemment le développement
industriel passe par des marges financières les plus élevés possibles.
Mais un projet peut apporter divers atouts à l’entreprise : une position
sur le marché moins exposée à la concurrence, une évolution de la
culture interne (enthousiasme du personnel pour le changement par
exemple), une compétence technique accrue, de meilleurs contacts
avec les fournisseurs. Des avantages indéniables qui ne se traduisent
ni dans le Compte de Résultats ni dans le Bilan.
Plus généralement, le problème de l’évaluation est posé ici. On peut
s’interroger par exemple sur les chiffres publiés par certaines
structures associées à la création d’activités (bailleurs de fond,
conseils en création). Lorsque les taux de succès sont très importants,
cela ne signifie-t-il pas que le degré de nouveauté des activités initiées
est faible ?
Deuxièmement, l’incertitude impose que la Direction de l’entreprise
s’engage résolument. Il y a souvent un véritable plaisir ressenti par les
dirigeants des entreprises en cours de projet. Le goût pour la
nouveauté, l’esprit d’initiative doivent prévaloir. Et tous ces
sentiments ne sont pas incompatibles avec le pragmatisme.
Troisième conséquence, le caractère incertain de l’innovation impose
de réfléchir à la structuration juridique des activités nouvelles. Intégrer
les projets à la structure de base ou externaliser à court ou moyen
terme les nouvelles activités, est une question fondamentale à traiter
très tôt dans le processus de développement.
Enfin, notons qu’au niveau des tâches de conception technique le
passage à l’expérimentation reste fondamental. Il faut souvent se
confronter à la réalité pour accéder à la connaissance : que ce soit au
niveau technique ou marketing.
Définitions de l’innovation 75

2.4.5. L’innovation : un changement de paradigme

Dans de nombreux cas (et pourquoi ne pas écrire dans tous les cas ?),
l’émergence d’une nouvelle technologie est liée à celle d’un nouveau mode de
pensée. D’ailleurs, on est parfois surpris par la simplicité et l’étonnante pertinence
du changement d’analyse d’un problème ou d’une situation. Une colle qui colle sans
toujours coller : et voilà le Post-It. On peut découper un matériau dur avec un
élément qui lui ne l’est pas : et voici la découpe au jet d’eau. A travers l’image du
paradoxe de la grenouille, DEBAIG décrit de nombreux cas où cette rupture dans les
schémas de pensée, cette remise en cause de certains savoirs conduit à l’innovation.

L’innovation ne serait-elle pas alors un processus cognitif, au cours duquel des


individus ou des groupes se montrent créatifs et aptes à développer plusieurs
approches d’une même situation (problème, objet…) ?

L’innovation est premièrement un mécanisme par lequel un ou des concepteurs


se créent de nouvelles représentations d’un objet. L’image de l’objet se transforme
dans l’esprit des acteurs : le porte-monnaie se transforme en carte avec un support
d’informations électroniques, la bouteille de verre se change en boite cartonnée…

Deuxièmement, l’innovation consiste en un processus de multiplication des


modes de raisonnement des acteurs face à l’ensemble des données et des
représentations mentales dont ils disposent. La confrontation de raisonnements
déductifs, analogiques, génère de nouvelles hypothèses, elles-mêmes à l’origine de
connaissances. Certains dirigeants citent des anecdotes selon lesquelles ils auraient
demandé à leurs concepteurs de raisonner à l’inverse de ce que l’expérience
préconise : testons des acides là où les bases sont en principe requises aurait ainsi
suggéré Edwin LANG dans le cas du Polaroïd, cherchons à gagner en volume de
produit en réduisant la matière première conseillait cet autre patron d’une unité
agroalimentaire avant d’investir dans l’extrusion…

Troisièmement, l’innovation est un processus de création de connaissances par


l’action. Dans certains cas, on montre que seul un passage à l’usage permet de
découvrir de nouveaux concepts. C’est en faisant que l’on découvre ! La petite
histoire du Post-It suggère que c’est en élaborant de nouvelles colles que 3M a
trouvé la substance et le concept de cette superbe innovation.

Action et réflexion semblent, dans le cas de l’innovation, conduire à des


paradoxes. L’innovateur base ses raisonnements et ses initiatives sur des notions qui
rompent avec le sens commun. Alors qu’un hôtel était un lieu où l’on veille à
l’accueil, sont apparues des résidences avec accès par cartes constituées de modules
préfabriqués et prêts à assembler. Quand, dans un souci écologique, l’on cherche à
76 L’ingénierie de l’innovation

capter des matières polluantes dans des résidus de combustion en sortie de process
industriel, émerge des procédés non polluants. Ainsi, une différence notoire peut-
elle être souvent constaté entre des démarches d’innovation et d’optimisation. Dans
ce dernier cas, les acteurs ne s’autorisent pas à remettre en cause les principes
fondateurs de l’objet à améliorer et ne se donnent pas accès au champ des situations
paradoxales.

On notera à ce niveau une correspondance avec les travaux de ALTHSHULLER


et sa démarche TRIZ. Ce chercheur a restreint son analyse au seul domaine des
données techniques (on ne peut donc pas vraiment parler d’innovation technologique
dans ce cas). Il montre toutefois, après étude de milliers de brevets, que les
nouveautés techniques découlent de la résolution de contradictions techniques sans
recherche d’une solution de compromis. Exemple de contradiction technique :
réduire la masse d’un corps en augmentant ses caractéristiques de résistance. Par
extension, l’innovation résiderait dans la résolution de « contradictions technico-
connexes » !

Toutes ces analyses conduisent à considérer l’innovation technologique comme


un processus de transformation de savoirs par le biais d’activités intellectuelles et
par l’action. Ce processus complexe et incertain se traduit par des propositions
paradoxales. Ceci explique la très grande variabilité des phénomènes observés in
situ, dans les entreprises. Dans le paragraphe suivant nous décrirons cette diversité
des observations.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Voilà un domaine difficile à appréhender au niveau concret !
Comment aider le personnel à rompre avec les schémas de pensée
courants, comment stimuler la pluralité des représentations d’un
problème ou des modes de raisonnement en phase de résolution ?
Citons quelques approches. Tout d’abord, la confrontation à des
experts extérieurs ayant des critères d’évaluation différents de ceux
des industriels (exemple : non prise en compte des aspects financiers)
permet de découvrir d’autres démarches intellectuelles, d’autres
connaissances. Les contacts avec les clients (ou les fournisseurs)
jouent parfois le même rôle à condition que les discussions soient
approfondies techniquement.
Le travail en équipe peut également stimuler les ruptures de
paradigmes.
Définitions de l’innovation 77

Enfin citons encore l’utilisation de certaines techniques déjà évoquées


(analyse fonctionnelle, analyse de la valeur, Triz…). Celles-ci se
fondent généralement sur des modes de représentations et des
raisonnements particuliers. Notons que le renouvellement de la boîte à
outils méthodologiques de l’entreprise est nécessaire.
In fine, l’entreprise doit s’interroger sur ces modes de recrutement.
Les profils recherchés à certains postes intègrent-ils cette capacité à
remettre en cause les approches traditionnelles ?

2.4.6. Autant de variabilité : c’est à n’y plus rien comprendre… et pourtant !

En première analyse, les processus d’innovation semblent bien disparates. En


fait, lorsque l’on intègre les notions de complexité et d’incertitude, il devient
possible d’interpréter les observations faites en entreprises.

Nous avons effectué une campagne de collecte de données dans des PME
innovantes françaises. Nous avons opté pour un mode de description des processus
d’innovation, basé sur la dimension opérationnelle. Plus précisément, nous
décrivions les projets en formalisant la transformation des données. La figure ci-
après illustre une séquence obtenue dans une entreprise.

Commande Contrôle
de pièces pièces de pièces
Spécifications

Bureau Service Fournisseurs Réception Atelier


d’études achats prototype
Service
qualité
Bureau Equipe Service Bureau Equipe
d’études projet achats d’études projet

Dossier
Liste des Liste Proposition Dossier industriel
besoins en validée de prix industriel validé
équipements

Figure 2.10. Un processus d’innovation sous forme de « flowsheet » opérationnel


78 L’ingénierie de l’innovation

On note que chaque acteur du projet transforme l’information. A chaque étape,


les données acquises et les prises de décision font évoluer l’information qui se
transmet de service en service. Cette transformation de l’information formelle est
présentée dans le tableau ci-après pour 10 PME (figure 2.11.).

Entre-
Idée Projet papier Activité ancrée
prise
Fabrication et distribution Activité d’ingénierie et de
Fabrication d’un
A d’un isolant et d’un gestion de portefeuille de
isolant.
support de culture. licence.
Fabrication et Pilotage d’un pool
exploitation d’un Fabrication et exploitation industriel cotraitant et
B
nouveau distributeur d’un nouveau distributeur. exploitation d’un nouveau
de boisson. distributeur de boisson.
Conception et Conception et montage Conception, montage d’un
C fabrication d’un turbo d’un turbo compresseur turbo compresseur (pièces
compresseur. (pièces sous-traitées). sous-traitées).

Fabrication de certains Fabrication de certains


Fabrication et
modules modules. Pilotage d’un
D distribution d’une
pôle de cotraitants.
nouvelle remorque. Montage et distribution. Montage et distribution.
Montage, distribution et
Fabrication et
Montage et distribution maintenance de la gamme
E distribution d’une
d’une nouvelle porte complète (dont porte
nouvelle porte
innovante).
Fabrication et
Fabrication et distribution
distribution jeux Entreprise centrée sur la
F d’une partie de la gamme
d’enfants pour conception de jeux.
conçue.
collectivités.
Valoriser les savoir-
Fabrication et distribution Activité d’ingénierie et
G faire actuels pour une
de produits acoustiques. expertise acoustique.
nouvelle activité.
Fabrication d’un mur Fabrication d’un mur
H Vente de licence.
d’escalade. d’escalade.
Conception d’une
Nouveau système
nouvelle potence de Fabrication d’une nouvelle
I d’empaquetage de
vernissage de pièces potence.
pièces métalliques.
métalliques.
Fabrication et Cession de savoir-faire.
Fabrication et distribution
J distribution d’une Distribution d’une nouvelle
d’une nouvelle cabine.
nouvelle cabine. cabine.

Figure 2.11. Evolution de l’information formalisée au cours du projet


Définitions de l’innovation 79

Cette grille résume l’état du projet à 3 stades donnés : l’idée initiale, le concept
présenté dans un dossier intermédiaire et l’activité finalement lancée.

a) L’idée initiale évolue fortement


On constate que dans la totalité de ces cas, le projet final ne correspond pas à
l’idée de départ. Entre le stade d’initiation du projet, la phase projet-papier, ou
encore ultérieurement pour l’ancrage stratégique, l’activité industrielle décidée se
démarque sensiblement de l’activité initialement prévue. Dans trois cas, on constate
même deux changements : idée différente du projet-papier, lui-même différent du
résultat final (A, D, F). Sept entreprises ont changé de stratégie entre le stade de
l’idée et celui du rapport industriel (C, H, I) ou entre le rapport industriel et l’activité
lancée (B, E, G, C). Dans certains cas (entreprise B, C, I, K) on peut même parler de
remise en cause des objectifs initiaux élaborés par la Direction.

Cette évolution touche les caractéristiques du produit, ce qui est évident, du fait
de l’activité d’étude technique et d’analyse de la faisabilité, mais aussi la définition
même de l’activité industrielle correspondante.

Plus précisément nous avons relevé quatre situations au niveau de notre panel
expérimental (ce qui ne représente en aucun cas une tentative de généralisation).

La nécessité d’innover dans le domaine des services


Pour les entreprises E et G, l’objectif initial résidait dans la mise sur le marché
d’un nouveau produit en bénéficiant du potentiel productif et commercial présent
dans la structure. Toutefois les études techniques mais surtout les tentatives
d’ancrage de l’activité dans l’environnement ont fait apparaître la nécessité de créer
une nouvelle fonction de service dans l’entreprise. La conception de cette prestation
et celle du produit matériel sont généralement intimement interdépendantes.

Pour l’entreprise E, la production et la distribution du nouveau modèle de porte


impose la mise en place d’un service de maintenance chez le client. De plus la
présence de cette nouvelle équipe spécialisée dans l’entreprise amène le bureau
d’étude à réviser certaines options techniques telles que l’accessibilité ou la durée de
vie (choix des matériaux) de certains composants.

L’orientation du projet vers une politique de vente du nouveau savoir-faire acquis


Dans 3 cas (entreprises A, F, H), l’idée initiale (fabriquer un nouveau produit) a
fortement évolué vers un projet de valorisation du savoir-faire technologique. Les
études ont conduit à un produit et une activité qui s’avèrent inadaptés aux moyens de
l’entreprise, très éloignés du métier de base, ou encore peu rentables. Dans ce cas, la
société n’abandonne pas mais s’oriente vers une stratégie de vente. Elle cède des
80 L’ingénierie de l’innovation

licences et vend des études de transfert technologique. Le projet se déplace du


champ industriel de la production vers le secteur du commerce et de la gestion de
l’immatériel. L’entreprise A a ainsi choisi de lancer une petite unité de fabrication
de produits isolants (servant en fait de plate-forme de démonstration) et de se
développer dans la cession de licence d’exploitation dans le monde entier. L’activité
d’étude des implantations et de gestion de portefeuille a supplanté l’activité de
fabrication.

La mise en œuvre de démarches de partenariat


Dans 5 cas (entreprises A, B, C, D et J), la mise en forme des solutions
techniques et les études de rentabilité ont montré les limites des aptitudes de
l’entreprise dans certains domaines : l’électronique pour l’entreprise B, la fonderie
par la société C. Des fournisseurs ont alors été contactés. Leur collaboration
influence les choix techniques et l’entreprise revoit sa position dans le projet. Le
fournisseur peut prendre alors une place de sous-traitant occasionnel, sous-traitant
exclusif ou partenaire du projet. Dans le cas de l’entreprise B, l’étude du nouveau
distributeur de boissons a conduit à l’abandon de toutes les activités de fabrication
par la société pour se centrer sur le montage et l’exploitation des machines chez les
clients. La conception technique a été juridiquement protégée avec les fournisseurs
devenus collaborateurs de la société.

L’investissement vers une autre idée


Dans le projet I, un dysfonctionnement concernant un produit industriel existant
a suscité l’idée d’une innovation ne présentant pas les défauts de la concurrence.
Après étude de besoin et élaboration d’un cahier des charges une seconde idée
beaucoup plus judicieuse est apparue (potentiel de vente nettement plus important).
Le projet a donc radicalement changé après 6 semaines d’étude : passage de la
distribution de systèmes de conditionnement de pièces métalliques, à celui de
support pour chaîne de vernissage. Le produit et le marché visés diffèrent
totalement.

En synthèse, on constate donc que le projet innovant se caractérise par son


caractère évolutif. De ce fait le pilotage de l’innovation doit reposer sur des logiques
d’adaptation, de créativité et de prise en compte de l’incertitude. Ces observations
valident le principe de développement constructiviste de l’innovation.

b) Il existe des phases de travail toujours menées de la même façon quel que soit le
projet…
A partir des diagrammes consignant les observations nous avons toutefois
cherché à identifier des invariants, c’est-à-dire :
Définitions de l’innovation 81

– des activités systématiquement réalisées par les acteurs dans chaque projet,
– des résultats systématiquement échangés par les acteurs dans chaque projet,
– des séries de résultats ou activités communes à tous les projets,
– des séquences qui n’existent pas dans tous les projets, mais qui s’avèrent
stables lorsque les acteurs les mobilisent.

Figure 2.12. Evolution d’une innovation


dans sa dimension opérationnelle

L’analyse révèle trois types d’invariants :


– dans le domaine technique, il existe des successions de documents et objets
techniques respectant un ordre figé. Des plans sont toujours élaborés avant la
réalisation de prototypes (toutes les firmes), les éventuelles maquettes précédent les
prototypes (entreprises F, H, I, J) tandis que les croquis servent de base à
l’élaboration des plans (entreprises B, C, D, E, F, H, I, J). On constate toutefois que
ce processus technique est entrecoupé par d’autres résultats qui ne permettent pas
toujours de décrire une séquence type. Par exemple dans le cas du projet C, la
décision « make or buy » (réalisation de la tâche en interne ou sous-traitance :
82 L’ingénierie de l’innovation

résultat du service financier et du bureau d’étude) intervient avant le prototype ;


pour l’entreprise B un accord de partenariat est formalisé avant l’établissement des
plans définitifs,
– des invariants existent encore pour le domaine commercial (conduite identique
de l’étude de marché pour les projets A, B, E, G, H, J), et financier (faisabilité
financière menée de manière similaire pour les projets B, C, D, I, K, L),
– au niveau administratif : quelques séquences communes apparaissent dans le
processus de transformation des résultats. Ces étapes s’enchaînant de manière
similaire relèvent de fonctions routinières. Ainsi la mise en fabrication d’un
prototype est toujours marquée par les tâches successives suivantes : commande de
pièces, réception, contrôle, fabrication du prototype, essai (entreprise A, B, C, H, J).

On constate donc, dans notre panel, la présence d’invariants : non pas des
activités ou des résultats prenant la même forme dans chaque projet, mais des
séquences de travail qui, lorsqu’on les assume, le sont toujours de la même manière.
On retrouve là les tentatives de normalisation conduites en interne de certaines
sociétés (entreprise C) ou encore au niveau international (exemple : norme
fournisseur dans le secteur automobile).

Ces invariants se positionnent de manière très variable dans le processus complet


d’innovation. De plus, les résultats issus de ces séquences de travail invariantes se
trouvent valorisés de façon très disparate en fonction des projets : la tâche qui suit
les dites séquences est des plus diverses. Enfin, des activités complémentaires
viennent parfois s’intercaler au sein de ces séries invariantes. La notion
d’ » opérations unitaires » c’est-à-dire d’activité-type, s’avère donc réduite à une
description de tâches très limitée.

c) …mais le processus d’innovation idéal n’existe pas !


De ce travail d’observation, il apparaît qu’il est impossible de proposer un
processus idéal de développement d’une activité innovante. Il n’existe pas de
process type conduisant d’une idée à une activité ancrée dans son environnement.

D’ailleurs on ne peut assembler nos 10 « flux de résultats » (flowsheet) au sein


d’une unique représentation. De nombreuses différences apparaissent en effet, quelle
que soit la nature des informations traitées (commerciale, technique, financière...).

Au sein du processus de conception technique du produit, on ne peut pas


identifier de séquence type. Dans ce domaine technique on observe même une
remise en cause plus ou moins maîtrisée du processus classique séquentiel de
conception. Ainsi dans 3 cas (B, C, D), on constate que des gammes que l’on
Définitions de l’innovation 83

qualifiera de prévisionnelles sont élaborées avant la remise des plans du produit


correspondant. Dans les autres projets, les gammes sont établies traditionnellement
après les études.

En matière d’étude des débouchés, on remarque que certaines entreprises


étudient leur marché après élaboration d’un premier prototype (cas D, G, I), parfois
ce travail est un préalable à la technique (B, E, F, H). Des entreprises optent même
pour la confrontation directe du produit à ses clients potentiels sans mesure à priori
de l’acceptabilité de l’innovation pour le marché.

Dans le domaine stratégique, toutes les entreprises n’entrent pas en relation avec
des partenaires potentiels (ex : projets E, G), et lorsqu’elle existe, cette politique
partenariale est initiée à des stades très différents (avant la réalisation des plans dans
le cas B, après les essais techniques dans le cas H). De plus ces collaborations ne
sont pas toujours décidées, elles peuvent s’imposer aux acteurs après certains
contacts (projet J).

Quelques particularités des projets


A Pas de contrats avec les sous-traitants. Plusieurs études de marché
B Participation des partenaires dès la conception technique
C Pas d’étude de marché.
D Etude de marché après réalisation du prototype
E Pas de contacts avec des fournisseurs
F Etude de marché après la validation des prototypes
G Pas de contacts avec des fournisseurs
H Analyse du mode de distribution du produit avant le stade de maquette
I Etude de marché après la validation des prototypes
J Pas d’étude de marché

Figure 2.13. Quelques particularités des projets observés

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur


Cette grande variabilité dans les projets nous semble avoir deux
conséquences pratiques directes.
La première réside dans la nécessité de parfaitement organiser le
retour d’expérience à l’issue des projets. Il s’agit de faire le bilan de la
manière dont ils ont été pilotés et de diffuser les acquis auprès des
84 L’ingénierie de l’innovation

personnes qui pourront intervenir dans le futur sur les projets. Les
points à aborder durant ces phases de bilan correspondent à notre
chapitre relatif aux 13 pratiques des entreprises les plus innovantes.
Seconde conséquence : il fait partie de la mission du responsable de
projet de réfléchir au processus de travail des personnes associées. Il
convient d’avoir un processus prévisionnel, de chercher à l’optimiser
(en termes de coût, de délais, de fiabilité), de le faire évoluer en
fonction des événements et de le faire adopter par les participants. Ce
travail s’ajoute à la supervision de l’avancement des actions et des
études liées au projet.

2.4.7. Conclusion

Que sont divers les regards portés par les spécialistes sur l’innovation ! Mais
n’est-ce pas la conséquence logique de la nature même de ce processus. Bien sûr on
peut arguer du caractère relativement récent des investigations dans ce domaine.
Toutefois l’innovation que nous avons analysée sous l’angle des technologies,
apparaît :
– complexe,
– incertaine,
– sous forme de processus de transformation technique, de processus cognitif,
d’évolution sociale…
– formelle et informelle.

Elle peut être abordée selon diverses échelles de référence : les structures (les
entreprises et toutes les organisations de production de biens et services), les équipes
ou les individus. On peut considérer encore l’ensemble des initiatives de l’entreprise
ou uniquement ses projets innovants parfaitement structurés (individuellement ou
sous forme de portefeuille).

De plus, il nous semble important d’établir un lien avec les sciences de l’action.
L’information ne nous apparaît pas recouvrir l’ensemble des éléments à intégrer à
notre vision de l’innovation, nous retiendrons le terme d’événement. C’est parfois en
faisant, en agissant qu’émerge un nouveau concept.

Enfin, il n’existe pas de processus d’innovation-type idéal. Chaque


transformation technologique est caractéristique du projet, des finalités de
l’entreprise, de son environnement, de l’époque considérée...
Définitions de l’innovation 85

Plus généralement, il vient alors que le pilotage de l’innovation relève d’une


ingénierie, c’est-à-dire d’une pratique visant à adapter des connaissances de base
pour conduire des travaux (ici représentés par le développement d’un projet
innovant et/ou d’une activité industrielle innovante).

La prochaine question à résoudre est alors la suivante : « en quoi consiste


l’ingénierie de l’innovation ? ».

Dans cette partie, nous avons cherché à mieux décrire la diversité des processus
d’innovation et à faire émerger des phénomènes sous-jacents à cette apparente
hétérogénéité.

Dans un second temps, notre préoccupation résidera dans le pilotage de ces


phénomènes complexes. Nous chercherons à mettre en évidence certaines
caractéristiques de la conduite de cette transformation technologique. Là encore des
choix ont été nécessaires et des aspects ne seront pas abordés. On citera entre autres,
ce qui relève de la conception technique (CAO, DAO par exemple), de la gestion
documentaire électronique, de la stratégie financière…

Notons toutefois, quelques limites évidentes à nos présentations. Nous avons peu
abordé certains aspects sociaux individuels du processus d’innovation. Pourtant, au
centre de ces processus on observe des comportements particuliers tant individuels
que collectifs. Au niveau individuel, par exemple, les décisions arrêtées au cours des
travaux d’étude dépendent de la place que chacun s’autorise au sein du système
industriel. Un acteur de l’innovation énoncera ou mettra en œuvre des idées selon sa
propre vision de sa marge de liberté et de son aire de responsabilité. Au niveau
collectif, les choix fixés sont influencés par le partage du sens de développement par
le groupe considéré ou encore par des référentiels normatifs collectifs (ce que
l’entreprise nous autorise, ou la vision collective du métier de base de celle-ci).

En conclusion, nous retiendrons trois finalités majeures à ce travail de définition


du concept d’innovation technologique : Comprendre, Former, Créer des méthodes
d’intervention.

L’intitulé « Sciences de l’Innovation » est parfois utilisé. Nous ne saurions dire


s’il s’agit là d’une nouvelle discipline en émergence ou d’un domaine d’une autre
discipline. Il est difficile de positionner cette activité dans l’Encyclopédie des
Sciences. Mais comme le souligne SERRES, le mot « encyclopédie » fait
étymologiquement référence au cercle. Et il est bien illusoire de croire que l’on peut
diviser les connaissances en sous-ensembles au sein desquels il est possible de dire :
« le champ des connaissances tourne autour de ceci ». On peut même considérer que
la connaissance fondamentalement s’excentre. La terre elle-même ne décrit pas un
86 L’ingénierie de l’innovation

cercle mais une ellipse avec ses deux foyers. Définir un domaine de connaissances
est donc un exercice complexe qui nécessite une analyse complète dont nous
n’avons pas le loisir ici.

Peut-on identifier des foyers, les « centres multiples » pour les « sciences de
l’innovation » ? Le schéma ci-après en donne une représentation succincte et sans
doute simplificatrice.

Figure 2.14. L’ellipse de l’innovation technologique et ses deux foyers

2.4.8. Bibliographie

BENGHOZI R., CHARUE-DUBOC L., Innovation based competition and design system
dynamics, Paris, Harmattan edition, 2000.
BOLY V., MOREL L., RENAUD J., Towards a constructivist approach to technological
innovation management, An overview of the phenomena in French SME’s, in
International Handbook on Innovation, Toronto, elsevier edition, 2003.
GIARD V., MIDLER C., Pilotage de projet et entreprise; diversités et convergences,
Economica, 1993.
GODET M., Manuel de prospective stratégique, Dunod, 1997.
HAMEL G., Leading the revolution, Boston, Harvard Business School Press, 2000.
LORINO P., Le déploiement de la valeur par les processus, Revue Française de Gestion, juin,
juillet, août 1995
Chapitre 3

Les grands principes à respecter pour réussir


son ingénierie de l’innovation

Dans la partie précédente nous avons défini le concept d’innovation


technologique. Nous avons vu ses particularités, sa variabilité, et les limites des
connaissances actuelles. Abordons maintenant le management de ce processus. Car
le but est bien de manager l’innovation technologique : de voir évoluer les activités
de l’entreprise et d’asseoir son développement sur la nouveauté. Dans ce chapitre,
nous décrirons successivement : les modes d’actions (que faire ?), les niveaux
d’intervention (où agir ?) et les principaux facteurs clés de succès pour les pilotes de
l’innovation technologique (en veillant à…). Constatant l’aspect complexe et
polymorphique de l’innovation technologique, nous cherchons à préciser les grandes
caractéristiques du management requis. Quelles spécificités cultivées dans la
conduite de l’innovation par rapport à celle des autres processus de l’entreprise : la
production, la maîtrise de la Qualité... Trois buts principaux sont à poursuivre :
– comment initier un ou des processus d’innovation dans un système industriel ?
Il s’agit d’analyser le démarrage des actions,
– comment piloter les processus innovants ? Ceci concerne le suivi des actions
engagées,
– comment pérenniser et faire évoluer les processus innovants ? Il s’agit enfin
d’aborder le long terme.

L’objet de cette partie n’est pas le pilotage des projets en tant que tel, mais les
facteurs clés de succès d’une ingénierie plus globale ayant pour objet le management
du processus d’innovation.
88 L’ingénierie de l’innovation

3.1. Priorité à deux modes d’action : l’organisation et les méthodes de travail

La première question du praticien souhaitant réussir son processus d’innovation


est la suivante : sur quoi dois-je agir ? Autrement dit : quel type d’actions engager ?

Nous proposons clairement de particulariser deux types d’action en management


de l’innovation : la mise en place de méthodes de travail et d’une organisation.

Développer l’innovation c’est créer, mettre en place des méthodes de travail


collectives et individuelles. Ces méthodes portent sur la collecte de l’information, le
traitement des données, la formalisation des problèmes, les échanges de données, la
mémorisation des connaissances, la diffusion du savoir (passer des aptitudes
individuelles à des savoirs collectifs). Notons que les mettre en place c’est aussi
prévoir des « by-pass ».

Développer l’innovation dans l’entreprise c’est aussi créer et faire évoluer


l’organisation. C’est donc une certaine façon de répartir les responsabilités, de
prévoir les interrelations formelles et les contrôles internes.

Les dirigeants de l’entreprise, les cadres et tous les responsables associés à


l’innovation vont donc devoir initier, piloter et faire évoluer des méthodes de travail
et des organisations.

Nous avons vu qu’il existe une grande diversité dans l’évolution des projets
innovants et une non moins grande diversité dans leur management, on peut donc
supposer qu’il n’y a pas de méthode unique ou d’organisation idéale pour rendre
continuel le lancement de projets d’innovation. C’est notre première hypothèse.
Nous considérons donc qu’il existe une nécessaire amélioration et adaptation
continuelle des pratiques liées à la conduite de l’innovation et que ceci constitue en
soi un véritable processus. Chaque projet, chaque entreprise, chaque technologie
doit trouver le processus d’innovation le plus adapté à un moment donné. Eh oui ! le
processus d’innovation est managé par un ensemble d’étapes qui forment elles-
mêmes un processus : complexe non ?

Notre seconde hypothèse consistera à privilégier une vision de l’innovation en


tant que processus complexe et incertain. Notons que dans certains cas des
démarches normatives s’avèrent temporairement efficaces (par exemple dans des
secteurs extrêmement codifiés comme l’automobile et pour des entreprises placées
en position de sous-traitant). Mais nous choisissons de détailler des démarches plus
proches d’une logique de développement que de maîtrise. Sachant qu’il y a
complémentarité entre les deux logiques à certaines phases.
Les grands principes 89

Dans ce chapitre, nous décrirons successivement : les niveaux d’intervention et


les objectifs principaux à poursuivre pour les pilotes de l’innovation technologique.

Des méthodes
Des organisations

temps
Technologie Technologie Technologie
1 2 3

Figure 3.1. L’ingénierie des processus d’innovation : des méthodes


et des organisations pour conduire l’évolution technologique

3.2. Les quatre niveaux d’intervention de l’ingénierie de l’innovation


technologique

Autre question de base : à quel niveau intervenir pour accroître les chances de
réussite ? Il existe quatre niveaux d’intervention en ingénierie de l’innovation
technologique :
– l’objet : c’est l’élément innovant qui est créé par l’entreprise. Il s’agit d’une
activité industrielle valorisant un produit, un procédé ou tout autre forme. Son étude
peut entrer dans le champ de la conception d’activité (ce niveau n’est pas étudié
dans cet ouvrage mais nous n’en mésestimons pas l’importance),
– l’individu ou le groupe d’individus : à certaines périodes chaque personne au
sein de l’entreprise peut devenir un acteur du processus d’innovation. Il jouera un
rôle personnel ou participera à un phénomène collectif,
– le projet : c’est le niveau organisationnel support des activités de conception de
l’objet. Selon l’AFITEP, le projet est un système complexe d’intervenants, de
moyens et d’actions, constitué pour apporter une réponse à une demande élaborée
pour satisfaire au besoin d’un maître d’ouvrage. Sa caractéristique principale réside
dans sa durée limitée dans le temps. L’étude du projet relève naturellement du
domaine de la gestion de projets, tout en précisant qu’il existe des différences
notoires entre des initiatives classiques et celles qui intègrent la nouveauté,
90 L’ingénierie de l’innovation

– l’entreprise et son management de l’innovation : il s’agit du niveau global de


gestion du potentiel innovatif de l’entreprise (savoir-faire, méthodes, expériences,
processus de développement...). Ce niveau concerne la culture relative aux projets
innovants ainsi que la pérennisation de la dynamique d’innovation.

Figure 3.2. Les trois niveaux de l’ingénierie de l’innovation technologique


que nous développerons: individus, gestion des projets et management global

Nous appellerons « ingénierie de l’innovation technologique » l’ensemble des


activités ayant pour objet, le management individuel des femmes et des hommes, le
pilotage des projets et le management global de la fonction innovation de
l’entreprise (dont la supervision du portefeuille de projets).

A ces niveaux correspondent des enjeux temporellement différents. Pour les


aborder nous ne pouvons pas uniquement parler de Gestion de Projets car on
éluderait alors la pérennisation du processus d’innovation dans l’entreprise.

Ces trois niveaux doivent être abordés de manière cohérente pour réussir
l’innovation. Concrètement, tout responsable prenant une décision doit alors se
poser systématiquement les questions suivantes : quel est l’impact de la nouveauté
sur :
– les individus qui travaillent avec moi,
– le projet auquel je participe,
– l’ensemble de l’organisation et de la stratégie de l’entreprise ?

L’ingénierie de l’innovation technologique se manifeste alors comme une


activité d’ajustement de l’interface projet-environnement mais aussi entreprise-
environnement.
Les grands principes 91

Enfin rappelons que les idées, les savoirs sont souvent individualisés. Or
l’émergence de projets est généralement collective et d’autre part l’évolution
technologique de l’entreprise s’appuie aussi sur des savoirs collectifs. Il convient
donc de créer les conditions de l’émergence, de la diffusion et du partage des savoirs
et de l’action.

3.3. Trois facteurs clés de succès en ingénierie de l’innovation technologique

A quoi doit veiller le praticien qui veut développer l’innovation dans sa


structure ? Notre but ici est de présenter les facteurs fondamentaux influant le succès
des initiatives d’ingénierie de l’innovation technologique. Notons naturellement que
ces éléments sont utiles également aux chercheurs qui observent les pratiques
industrielles et qui trouvent ainsi un référentiel d’étude.

Trois éléments vont conditionner l’impact des actions assurées par les pilotes de
l’innovation technologique (figure 3.3.) :

Un partage du sens
général de l’évolution

NOUVEAUTE
Une culture Une architecture
de la prise d’initiative pour l’action individuelle
et de l’ouverture et collective

Figure 3.3. trois facteurs clés de succès en ingénierie de l’innovation

3.3.1. Premier facteur clé. Faire partager un sens général de l’évolution de


l’entreprise (technologie, organisation, méthodes de travail)

L’une des clés du succès réside dans la capacité des dirigeants à définir un sens
général aux actions, à formaliser le futur à atteindre par les acteurs de l’innovation
technologique. Il s’agit de préciser des tendances d’évolution et d’aider le personnel
à les adopter.

Nous avons vu que le résultat de l’ingénierie de l’innovation technologique était


une activité industrielle ancrée dans son environnement et ayant un caractère
92 L’ingénierie de l’innovation

nouveau. Il s’agit d’assurer la transformation d’une idée, d’une demande, ou de tout


autre élément initiateur, en une activité qui deviendra routinière. En ce sens, le
processus d’innovation va tendre à concrétiser les options stratégiques de
l’entreprise et les souhaits de ses dirigeants (et de leurs collaborateurs).

Innover c’est donc définir un sens général pour l’entreprise et chercher à


concrétiser ses options politiques par la nouveauté. Le sens, la direction à suivre, est
souvent décrit par des objectifs : commerciaux, financier (haut de bilan en
particulier), d’alliance et de partenariat... Nous insisterons sur une dimension : le
management des ressources technologiques au sens de Jacques MORIN.

Le management des ressources technologiques considère que l’entreprise dispose


d’un patrimoine à valoriser au maximum : les savoirs, les équipements et les
propriétés intellectuelles (brevets essentiellement). Elle doit prendre les décisions
qui permettront de générer des activités performantes à partir de son patrimoine.
Cela passe par une valorisation en interne ou par la cession à d’autres des savoirs
acquis. Pour chacun des éléments du patrimoine, les dirigeants doivent définir des
principes d’évolution que sont l’abandon, la protection (sauvegarder les acquis par
exemple par la propriété intellectuelle), l’optimisation (par exemple : céder des
licences sur des domaines non prioritaires pour notre entreprise), l’enrichissement
(par la recherche ou des « transferts de technologie » par exemple). Les personnes
impliquées dans des projets innovants doivent connaître ces grandes orientations
pour prendre des décisions conformes.

Prenons l’exemple d’une entreprise de mécanique qui décide d’opter pour la


plasturgie en lieu et plus de l’usinage des métaux. Cette évolution souhaitée va
devoir être diffusée et comprise par les personnes impliquées dans l’innovation. Les
nouveaux produits devront être conçus avec des sous-ensembles non métalliques et
les équipes veilleront à faire appel à des spécialistes des plastiques ou autres
composites. La nouvelle cible stratégique induit sur la forme et sur le fond une
rupture dans la façon de travailler sur le thème de l’innovation. Les grandes options
retenues serviront de filtre, de référentiel pour chaque décision.

Précisons qu’en innovation la stratégie relève le plus souvent de la définition


d’une « direction » à caractère général plutôt que d’objectifs stricts et quantifiés. Il
s’agit de travailler à une description globale du futur souhaité, une liste des principes
fondamentaux. Dans l’exemple précédent, le sens de l’évolution consiste à vouloir
passer d’une activité de sous-traitant dans le domaine mécanique à fabricant de sous-
ensembles en matériaux composites. En effet, l’aspect incertain et non-
programmable de l’innovation technologique rend souvent aléatoire les efforts pour
respecter des objectifs quantitatifs stricts. Ces derniers sont utiles le plus souvent en
Les grands principes 93

phase de lancement (pour quantifier en particulier le montant des investissements à


consentir). Mais la précision des objectifs est souvent peu opérante dans le processus
complet d’innovation. On constate d’ailleurs qu’au gré des progrès des équipes
chargées de l’innovation, en fonction des événements, par acquisition d’une maîtrise
croissante de la technologie en cours d’élaboration, le sens général de l’évolution se
modifie de manière moins drastique que les objectifs ponctuels.

Parmi les variables du futur à expliciter, citons entre autres : les savoir-faire de
base, les valeurs éthiques, les atouts à pérenniser, les particularité vis-à-vis de la
concurrence. L’équipe innovante se pose alors la question suivante : comment
concrétiser cette vision de l’avenir ? Quel nouveau produit, quelle nouvelle activité,
quelle nouvelle méthode de travail, quelle organisation permettra sa mise en place ?

On rappellera un des paradoxes de l’innovation selon LESOURNE : « Plus on


roule vite, plus il faut voir loin », plus l’environnement est incertain, plus il faut
avoir une vision prospective.

3.3.2. Deuxième facteur clé. Structurer les actions individuelles et collectives pour
accroître les chances de succès et superviser l’acquisition de valeur

Il s’agit ici des mécanismes de l’évolution. Dans le cas de l’ingénierie de


l’innovation, un ensemble d’opérations de cadrage et de contrôle doivent être mises
en œuvre par les acteurs afin que prenne forme l’activité nouvelle. Ceci comprend
des actions pour conduire le niveau local (projet) ou global (portefeuille de projets,
entreprise dans son ensemble). Ce domaine est également en rapport avec la notion
d’indicateurs c’est-à-dire de variables descriptives de l’état d’évolution de l’activité
en cours d’élaboration.

On considère alors que les responsables de l’innovation devront :


– définir l’organisation et le fonctionnement des participants au processus
d’innovation,
– créer les outils de gestion des ressources (certains relevant de la gestion de
projet),
– sélectionner des outils de traitement de données,
– établir un système de suivi et d’évaluation des phases du processus
d’innovation (en particulier la mesure de l’accroissement de la valeur).

C’est la partie « hard » de l’ingénierie : méthodes, démarches, organisation.


94 L’ingénierie de l’innovation

Dans le cas de l’innovation, il convient que ce cadrage ne fasse pas obstacle à la


prise d’initiative (éviter les trop nombreux contrôles a priori) et qu’il favorise la
créativité et la nouveauté. Il doit fondamentalement se baser sur une logique de
développement plutôt que sur des principes hiérarchiques.

Ces opérations sont essentielles pour lever des obstacles classiques liés à
l’innovation : projets ayant une durée extrêmement longue, dérive des coûts ou
multiplicité des coûts cachés, projets ne donnant pas de bons résultats mais
perdurant quand même.

3.3.3. Troisième facteur clé. Développer une culture de la prise d’initiative et de


l’ouverture sur l’extérieur

Fondamentalement conduire l’innovation technologique, c’est étudier ou agir.

Le processus d’innovation technologique correspond à l’évolution de savoirs


scientifiques et de savoirs connexes (cf. le paragraphe précédent). Il consiste en des
études menées pour transformer des données, des informations ou des intuitions sous
une forme plus précise. Il est par nature intellectuel : on peut le spécifier selon des
dimensions cognitives (réfléchir, calculer, raisonner...).

L’innovation couvre également le champ de l’action. Des ruptures de paradigmes


génératrices de nouveauté peuvent émerger à travers un acte : rencontrer un
interlocuteur, constater un besoin de visu... Le processus repose en particulier sur
une forte dimension expérimentale. On va tester le projet auprès de bailleurs de
fonds, on mène des essais techniques.
C’est donc par des études et des actions que se constitue la future activité
nouvelle et que se transforme la technologie.

Les responsables de l’innovation doivent alors créer les conditions pour un


démarrage et un renouvellement satisfaisant de ces études et de ces actions.

Il existe de multiples façons de développer une culture de la prise d’initiative. On


citera :
– l’organisation de rencontres entre le personnel et des experts extérieurs,
– la diffusion d’informations,
– des séances de confrontation d’idées entre personnes de différents services,
– l’analyse de la concurrence et plus généralement la veille technologique.
Les grands principes 95

Les dirigeants ont de nombreuses occasions de stimuler cette culture. L’analyse


d’un problème ou une réflexion lors d’une situation de crise sont autant d’occasion
de construire une culture de l’innovation. Un client important se désengage : les
responsables doivent réagir et agir de manière à ce que des réflexes conservateurs ne
découlent pas de ce contexte perturbé, mais qu’une remise en cause axée sur la
recherche de nouveaux développements soit engagée. Exemple de question possible
pour générer les propositions du personnel : quelle activité nouvelle nous
dédouanerait d’une trop forte dépendance vis-à-vis d’un donneur d’ordre unique ?

Toute opération qui va dans le sens d’une ouverture vers l’extérieur


(participation à des clubs d’experts pour les cadres par exemple) et qui donne le goût
du changement (retour positif du client en direct après une première innovation)
permet d’initier le changement (étude ou action).

Chaque membre du personnel doit savoir que proposer des modifications (sur le
produit, le procédé, l’organisation, la stratégie), participer à la mise en œuvre des
évolutions fait partie intégrante du poste occupé. Chez un sous-traitant automobile,
les cadres participent pendant les arrêts de production à des opérations de génie civil
pour déplacer des machines pendant que les opérateurs se réunissent pour envisager
l’organisation du travail après réimplantation de l’atelier !

Il convient naturellement de veiller que le management traditionnel dans


l’entreprise n’aille pas à l’encontre de ces actions de stimulation.

3.3.4. En synthèse

Une stratégie claire et partagée, une architecture précise pour les actions
individuelles et collectives, de même qu’une culture spécifique constituent trois
éléments basiques pour l’ingénierie de l’innovation. Ces trois éléments sont
importants pour le praticien mais aussi le chercheur qui peut les utiliser pour
observer et analyser les situations en entreprise.

Conséquences pratiques pour le dirigeant et l’ingénieur ?


Notre approche selon trois facteurs clés de succès est particulièrement
utile en pratique. En effet, le praticien va pouvoir faire l’autobilan de
sa manière de gérer l’innovation et/ou organiser le démarrage d’une
véritable ingénierie dans son entreprise, dans son service ou pour ses
projets.
96 L’ingénierie de l’innovation

Les responsables peuvent décrire leur mode de management de


l’innovation en remplissant le tableau ci-après. Puis ils y adjoindront
régulièrement de nouvelles actions en comparant leur efficacité, en
veillant à la complémentarité avec les précédentes.
Ce type de tableau présente l’avantage d’une extrême simplicité.

Facteur clé influencé


Sens Architecture Culture de
Actions
évolution des actions l’initiative
Veille
X X X
technologique
Mise en place
de l’analyse X
fonctionnelle
Autre action

Figure 3.4. Tableau de visualisation des actions


d’ingénierie de l’innovation

Dans l’exemple ci-dessus, les responsables organisent la veille


technologique : ceci permet de trouver des idées nouvelles et de
définir plus rigoureusement de nouveaux axes stratégiques en matière
de technologies à acquérir (clarification du sens de l’évolution
technologique). Ces responsables distribuent le travail de collecte de
l’information et les synthèses de données collectées (architecture des
actions individuelles et collectives). Enfin, les acteurs prennent goût à
la recherche d’information nouvelle (création d’une culture).
Un chef de projet lance l’analyse fonctionnelle en se formant et
en l’appliquant avec son équipe. Ceci initie une nouvelle façon
d’organiser les activités du groupe, de collaborer entre participants
(architecture des actions individuelles et collectives).
Toute opération en matière d’innovation doit être replacée dans ce
tableau pour en affiner les conditions de mise en œuvre. Par exemple :
une société invite un sous-traitant pour participer aux travaux de
conception d’un nouveau produit. En termes de stratégie, pour donner
un sens à la participation de cette entreprise extérieure, il convient de
veiller à ce que la personne qui représentera le fournisseur sollicité est
Les grands principes 97

prête à « diffuser » son savoir-faire, à jouer un rôle de formateur. De


ce fait, l’apport de ce nouvel expert attestera de la pertinence de la
politique d’ouverture de l’entreprise vers l’extérieur. Il y a aide à la
conception de la part du fournisseur mais aussi un regain d’intérêt
pour les membres du groupe de travail qui se forment au contact de
leur partenaire.
Chapitre 4

L’ingénierie de l’innovation :
que font concrètement les entreprises
les plus innovantes ?

Dans ce chapitre, nous souhaitons recenser les principales actions concrètes


menées par les entreprises innovantes pour : définir une stratégie, piloter et impulser.

Concrètement : comment fait-on ? ou plus précisément comment font ceux qui


réussissent leur innovation technologique ?

Concrètement : comment font-ils évoluer les méthodes de travail et les


organisations en vue de plus de nouveauté ?

A ce stade, nous nous sommes basés sur notre propre expérience du management
de l’innovation technologique en entreprise et en particulier en PME, mais aussi sur
un travail de recensement bibliographique effectué dans la littérature scientifique
internationale. Nous avons cherché à diversifier les sources en fonction des
communautés d’origine des auteurs. Nous avons veillé en particulier à couvrir le
champ des travaux développés en Amérique du Nord que l’on pourrait qualifier
d’école des « Best Practices ». Nous avons également entrepris des enquêtes auprès
d’experts industriels et académiques : rencontres directes ou questionnaires.
100 L’ingénierie de l’innovation

Expérience
Bibliographie Avis d’experts industrielle

Recensement
des phénomènes
observables en entreprises

Classement des phénomènes


observés
Synthèse : 13
pratiques de base

Figure 4.1. Notre démarche de collecte d’informations et d’analyse

Nous avons recensé et rassemblé les pratiques observées en entreprises


innovantes en treize catégories. Les treize phénomènes (magiques ?) observables du
management de l’innovation technologique.

Douze, quinze... bien évidemment le nombre de catégories n’a lui-même aucune


importance. L’intérêt se situe dans l’exhaustivité de la classification proposée par
rapport à la réalité :
– P1 les acteurs de l’innovation œuvrent à l’évolution de projets et donc de la
technologie par des travaux de conception,
– P2 un suivi de chaque projet innovant est fondamental,
– P3 une supervision globale des projets innovants (budget, délai...) doit être
menée en intégrant la dimension stratégique impulsée par la Direction,
– P4 au sein du portefeuille de projets, la Direction assure la gestion de la
cohérence entre les différentes initiatives
– P5 un contrôle et une rétroaction de la Direction et des responsables de projet
sur le processus d’innovation est nécessaire pour faire évoluer les pratiques des
acteurs,
– P6 un contexte, une organisation de travail favorable est à mettre en place
pour stimuler l’innovation,
– P7 des démarches claires visent à assurer l’allocation des compétences
nécessaires au processus d’innovation,
Que font concrètement les entreprises ? 101

– P8 un soutien moral aux participants de l’innovation doit être apporté par la


direction et les responsables de projets,
– P9 un apprentissage collectif des acteurs au fur et à mesure de l’évolution des
projets doit exister,
– P10 un effort de mémorisation des savoir-faire et de l’expérience acquise est à
assumer au cours des projets passés au profit des projets en cours et futurs,
– P11 les tâches de veille (veille technologique, veille méthodologique et
managériale, intelligence économique) sont à organiser afin d’ouvrir l’entreprise sur
l’extérieur.
– P12 la Direction doit gérer les (éventuels) réseaux dans lesquels est intégrée
l’entreprise,
– P13 une collecte permanente des idées nouvelles issues de la recherche, du
marketing ou de propositions du personnel est nécessaire pour faire émerger de
futurs projets.

Figure 4.2. Les treize familles de pratiques industrielles


en matière de pilotage de l’innovation

Les entreprises innovantes développent ces treize approches en matière


d’innovation :
102 L’ingénierie de l’innovation

– pour tout ou partie,


– avec plus ou moins de pertinence,
– de manière formelle ou non organisée.

Cette liste dont on peut assurer qu’elle évoluera à terme car le pilotage de
l’innovation ne peut être stable, est en soit une source d’information intéressante
pour le praticien. Elle lui fournit un « benchmarking » des pratiques actuelles. Grâce
à cette classification, un auto-bilan de l’entreprise peut être mené avant de réfléchir à
l’adaptation au contexte unique de l’entreprise considérée. Notre objectif est
également pédagogique, notre liste servant de référentiel d’action et d’apprentissage
pour des cadres et des étudiants.

De plus, nous espérons proposer de cette manière un cadre d’observation des


méthodes de management dans les entreprises que divers chercheurs pourraient
adopter. Il serait alors possible de confronter les résultats obtenus dans différents
contextes.

Nous allons détailler ces 13 pratiques fondamentales du pilotage de l’innovation


en entreprise. Nous ferons régulièrement référence aux trois facteurs clés de succès.

4.1. Première pratique d’ingénierie de l’innovation : les acteurs de l’innovation


œuvrent à l’évolution de projets et donc de la technologie par des travaux de
conception

Nous avons retenu un ensemble de pratiques liées à la conception. Toutefois de


nombreux experts expriment des réserves concernant l’association conception/
innovation. « On peut concevoir sans innover ». D’autres précisent que c’est
l’activité industrielle complète qui doit être conçue et non le produit seul. Plus
précisément, on peut estimer qu’innover revient à approfondir les liens entre
variables de conception (la technique, la logistique, le marketing...). Enfin, innover
c’est concevoir « en avance sur d’autres » et en faisant parfois fi de la technique et
de l’organisation préexistantes.

4.1.1. Les objectifs des tâches de conception

Les entreprises innovantes ont une réflexion sur leurs tâches de conception :
comment travaillons-nous, que devons nous changer, quelles sont les méthodes
émergentes ? Le but est généralement de :
Que font concrètement les entreprises ? 103

– réduire les délais,


– garantir la qualité des produits conçus,
– maîtriser les coûts,
– bénéficier d’un grand degré de nouveauté.

4.1.2. Les tâches de conception

Pour faciliter la mise en place d’une conception plus efficace, il convient de bien
identifier les tâches élémentaires de conception. Nous reprendrons et généraliserons
pour cela un modèle développé par CHRISTOPHOL (du Laboratoire de Conception
de Produits Nouveaux de l’ENSAM Paris).

Les tâches de conception entreprises par les acteurs d’un projet peuvent être
classées en six catégories :
– l’initialisation : elle consiste à établir le cadre de travail, le sens du projet,
intégrer la stratégie de la direction, constituer une équipe et définir des objectifs si
cela est possible.
– la modélisation : c’est l’étape de formalisation des problèmes techniques,
commerciaux, économiques, et interdisciplinaires que l’on doit résoudre.
– la création : c’est l’étape de réalisation des études et de proposition des
solutions techniques.
– la mesure de la faisabilité : il s’agit des études et des tests permettant de
vérifier la validité des solutions proposées.
– la validation : elle consiste à vérifier la cohérence entre les solutions, ainsi que
l’adéquation entre celles-ci, les besoins du client et la stratégie de l’entreprise.
– la communication : ce sont les échanges de données entre personnes
impliquées dans le projet.

Selon cette représentation, participer à un projet revient à assumer à un moment


donné l’une des six opérations unitaires. L’ingénieur, le commercial, l’homme du
marketing, tous ceux qui consacrent du temps au projet assurent une ou plusieurs de
ces actions. L’ingénieur va corédiger un cahier des charges (formalisation), le
commercial va présenter le futur produit à un donneur d’ordre (validation), l’homme
du marketing va choisir un nom au produit (création)...

Les phases de modélisation, création et mesure de faisabilité participent tout à


fait à des tâches de conception, de construction d’un objet. L’initialisation, la
validation et la communication sont des tâches plus génériques. Cette présentation
104 L’ingénierie de l’innovation

des tâches de conception par CHRISTOFOL nous semble plus complète que les 4
phases amont que détermine EDELHEIT :
– la préparation : collecte et accumulation d’informations diverses,
– l’incubation : réflexion plus ou moins structurée avec des recoupements
conscients ou inconscients,
– l’inspiration : l’idée émerge,
– la vérification : l’idée est confrontée à tous les critères de faisabilité.

Initialiser

Communiquer Six activités Formaliser


de base

Valider Créer

Faisabilité

Figure 4.3. Les six tâches unitaires pour la conception


d’un produit innovant (d’après CHRISTOFOL)

Plusieurs personnes peuvent à un moment donné œuvrer à la même tâche.


L’ingénieur, l’homme du marketing, et le responsable du service après vente
peuvent choisir de concert le matériau le plus adapté en fonction de critères
physiques, d’acceptabilité par le client, de résistance... Ensemble, ils créent. La
tendance actuelle de la gestion par groupe de projet vise à stimuler ce travail
collectif (création d’une culture de l’innovation).

Des études ont été menées aux Etats-Unis sur ces phases de conception en
abordant à la fois la place de l’action et des modes de raisonnement. Ils montrent,
entre autres, que l’évidence apparente qui consisterait à dire que l’on formalise
toujours avant de créer puis de tester n’est pas de règle en innovation. Parfois
l’expérimentation peut être le préalable. E. LANG, le créateur de la société
POLAROID annonce à ce propos : « Il faut que mes employés développent leur
esprit expérimental. Quand quelque chose ne marche pas, qu’ils tentent strictement
l’inverse. Si cela ne conduit pas à la solution, cela permet d’élargir le champ de
réflexion ». Et de citer une anecdote personnelle très illustrative : « Ayant égaré mes
lunettes dans les bois, je décidai de retourner à mon domicile à la tombée du jour et
de revenir dès que le soleil se lèverait. J’appliquai alors à moi-même mes
Que font concrètement les entreprises ? 105

recommandations sur l’expérimentation. Je fis donc l’inverse : je revins sur le lieu


présumé de la perte en pleine nuit. Dans le faisceau de lumière de ma torche, je ne
tardai pas à voir étinceler le métal des montures de mes lunettes ». « Gérer les
modes de raisonnement » est donc un véritable enjeu dans certaines entreprises
réputées innovantes.

Concrètement les entreprises les plus innovantes veillent à :


– l’initialisation : elles nomment un responsable par projet, établissent de
manière rigoureuse la liste des personnes participantes directement (en étudiant les
compétences présentes et les affinités), fixent très clairement les disponibilités
accordées aux participants (temps complet ou partiel), coordonnent la dimension
hiérarchique (qui dirige un participant : le chef de projet et/ou son responsable de
service de rattachement), négocient les budgets d’étude prévisionnels, précisent le
rendu attendu du groupe de travail vers la Direction, informent de la stratégie
retenue et des éventuelles limites politiques, établissent des délais,
– la modélisation : ceci concerne les équipes-projet (et les individus). Ces
équipes formalisent à chaque étape les problèmes à résoudre et les besoins à
satisfaire. Au fur et à mesure du déroulement du projet, ces descriptifs sont de plus
en plus précis. Concrètement des tableaux, phrases, algorithmes, modèles sont
établis avant de se lancer dans la résolution. On veille même souvent à retarder la
phase de préconisation des solutions afin que le problème soit parfaitement compris
et cerné. L’une des originalités des entreprises innovantes est de disposer très
souvent de descriptions multiples d’un même problème. Par exemple pour
formaliser l’évolution souhaitée pour un siège innovant pour engin de chantier, le
problème sera analysé sous forme de services à rendre au conducteur, de
contradiction technique (avoir beaucoup de débattement pour amortir les chocs tout
en réduisant l’encombrement du siège), de lien entre le siège et les autres accessoires
du poste de conduite, d’enjeu comparatif vis-à-vis de la concurrence. L’animateur
du groupe de travail joue un rôle majeur par son exigence de précision et de
multiplicité des descriptifs des thèmes abordés avant travail de création. Les outils
méthodologiques sont très utilisés à ce stade dans les entreprises innovantes : Triz,
analyse fonctionnelle, QFD…
– la création : les entreprises innovantes s’attachent le service de personnel
interne et externe de haut niveau : experts, cadres d’expérience. C’est l’étape clé de
la mobilisation des compétences. De plus, elles étudient de manière approfondie les
investissements à consentir en termes d’équipements supports : CAO, DAO (et ceci
dans les PME comme les grands groupes). Ce travail peut être co-traiter par exemple
avec les sous-traitants,
– la mesure de la faisabilité : la conception repose bien sûr des étapes d’essais :
tests techniques, d’acceptabilité client... Mais les entreprises innovantes confient
106 L’ingénierie de l’innovation

également à leurs équipes un travail de réflexion sur l’importance et les coûts des
expérimentations. Les outils de simulation permettent parfois de limiter des
campagnes d’essais onéreuses. Les expérimentations sont menées en interne en
insistant sur l’implication du service qualité (homologation des sous-ensembles
testés, traçabilité des tests…) ou en externe. Notons que dans le domaine financier,
l’application de la méthode CCO (conception à coût objectif : voir chapitre sur les
outils) facilite les études de faisabilité. Elle repose en effet sur la fixation dès le
début du projet du coût limite du produit pour atteindre une activité rentable,
– la validation : les entreprises innovantes impliquent le client le plus tôt
possible dans le processus de conception. Cette customerization se traduit par la
présence de représentant du ou des clients dans les phases de création ou par des
échanges formels réguliers (les « top clients » de la gestion du projet) et par
l’utilisation de systèmes d’information communs. Pour des produits grand public, il
est parfois fait appel à la critique de panels (sur le principe des tests organoleptiques
de l’agroalimentaire) ou à des utilisateurs intensifs (exemple : des athlètes de haut
niveau pour des articles de sport). On constate une diminution sensible des tâches
(hélas souvent peu évidentes à repérer) de re-modification lorsque cette validation
est bien intégrée dans le projet,
– la communication : les solutions retenues sont diverses. Lettres éditées
régulièrement, intranet, compte rendu, réunion, vidéoconférences. Certains outils
tels que le QFD et son « toit de la qualité » (voir chapitre sur les outils) permettent
de pointer les choix techniques devant relever impérativement d’un travail collectif,
d’un échange entre des experts donnés. Dans les entreprises innovantes, c’est le
caractère systématique et très cadencé de la communication qui est à retenir. En
termes de contenu, il est difficile de généraliser. Précisons qu’en majorité,
l’information est pluridisciplinaire : données techniques et financières par exemple.
Il existe parfois des accès sélectifs à certaines bases de données selon les
participants à un même projet (exemple : informations confidentielles sur un client).

Dans les entreprises innovantes, une véritable veille des pratiques des
concurrents ou des entreprises d’autres secteurs est faite relativement à ces six
activités de base. Lors de la dernière décennie, la filière automobile a ainsi servi de
source d’inspiration pour l’ensemble de la mécanique et de la fabrication des
produits manufacturés.

4.1.3. Les outils de conception

Les activités de conception sont soutenues parfois par l’utilisation d’outils


méthodologiques : analyse de la valeur, QFD... Ces outils constituent un élément
important du cadrage du processus d’innovation (voir facteur clé du chapitre
Que font concrètement les entreprises ? 107

précédent). Ils doivent évoluer au même titre que les outils de marketing, de
changement organisationnel, d’analyse du fonctionnement de la production... et
traduire ainsi la culture de progrès continu de l’entreprise. Nous consacrerons plus
loin dans ce document un chapitre aux outils de pilotage de l’innovation. Notons que
nous avons délibérément éludé les outils de CAO, DAO et autres systèmes de
gestion de données informatiques

Ces méthodes posent par ailleurs le problème de la créativité. Lorsque l’on


impose un mode de structuration de la réflexion, ne court-on pas parfois le risque de
limiter l’originalité et de refreiner la prise d’initiative au nom du respect de la
méthode ? Toutefois de nombreux auteurs établissent un lien entre l’utilisation
d’outils et les capacités à innover des entreprises.

4.2. Deuxième pratique d’ingénierie de l’innovation : un suivi de chaque projet


innovant est fondamental

Nous utiliserons le terme de pilotage et serons amenés à reprendre encore les


mots : gestion, management, conduite... Chacun de ces termes recouvrent des
notions présentant des nuances tout en couvrant le champ de la planification, de
l’organisation, de la direction et du contrôle. Nous les utiliserons pourtant de
manière similaire : nous considérons que notre définition du processus d’innovation
technologique est suffisamment étayée pour ne pas troubler le lecteur.

4.2.1. Les objectifs de la gestion de projet

Les entreprises innovantes mettent en place un pilotage des projets pour s’assurer
que :
– le prix de vente du futur produit (résultant de toutes les étapes d’élaboration du
projet) garantisse un bon ancrage dans l’environnement et un fonctionnement
possible et rentable de l’entreprise,
– la qualité du produit sera maîtrisable en interne,
– les délais permettront une arrivée à temps sur le marché et une satisfaction des
clients,
– le degré de nouveauté sera compatible avec les savoir-faire de l’entreprise et
de ses partenaires (acceptabilité par les clients, atout vis-à-vis de la concurrence...).

On notera que ce dernier point constitue la différence entre un projet classique


tel que le présente la norme AFNOR NF X50-150, et un projet innovant. On ne peut,
par exemple, appliquer complètement en innovation les méthodes d’analyse des
108 L’ingénierie de l’innovation

risques basées sur une logique de réduction. La nouveauté naît de l’investissement


dans le non-connu et donc dans ce qui n’est pas parfaitement maîtrisé. Quelle
analyse du risque concluait à l’émergence fulgurante de l’industrie du logiciel au
début des années 1970 et à l’impérieuse nécessité d’y investir ?

Les dirigeants des entreprises notent que la maîtrise des ressources représente
l’enjeu majeur du pilotage de projets innovants. Plus précisément, il s’agit du suivi
de l’utilisation, de la qualité et de la disponibilité des compétences des individus
mobilisés par le projet, des équipements, des moyens financiers, des informations
disponibles et du matériel. Cette affectation des ressources vise à :
– se donner davantage de chance pour atteindre un bon niveau de rentabilité
puisque les frais de développement pèsent sur le coût de la future activité,
– inciter les participants à tendre vers des délais minimum.

4.2.2. Les tâches de la gestion de projet

Pour les responsables, ceci revient en particulier à :


– veiller à la parfaite clarté du contexte de travail des participants au projet :
responsabilités, délais, moyens, sens de développement... Le chef de projet peut
ainsi revoir ce contexte lors des revues de projet ou d’entretiens individuels. Le
contexte contractuel de la recherche en particulier en ce qui concerne la propriété
intellectuelle et industrielle des résultats fait partie de ce domaine,
– vérifier que les principaux risques et les obstacles techniques soient clairement
formalisés. Il s’agit également de vérifier qu’il existe une vision partagée des
problèmes à résoudre entre membres des équipes-projet et dirigeants,
– contrôler la qualité et l’exhaustivité des travaux de création. Les erreurs sont
souvent difficilement détectables à priori et les coûts induits par des modifications
pèsent lourdement. La logique de territoire est proscrite : chaque concepteur doit
accepter les critiques de ses collègues. Un mode d’analyse croisé des choix
techniques individuels est donc organisé. Lorsque ce travail est sous-traité, il l’est de
manière contractuelle et la supervision du fournisseur est bien évidemment
essentielle,
– superviser la qualité des études de faisabilité (techniques, économiques...) et
des phases d’essais (vérification du caractère pluridisciplinaire de la conception et
de la précision des protocoles expérimentaux, établissement de bilans de clôture des
projets...). Ces pratiques sont essentielles dans le succès des projets innovants selon
TISCHLER,
Que font concrètement les entreprises ? 109

– veiller à la régularité des phases de validation, ce qui conduit à des contacts


étroits avec la Direction de l’entreprise et les clients. Des procédures formelles et
écrites sont très souvent établies pour gérer ces interrelations,
– garantir une bonne communication, par le biais de systèmes d’information et
des échanges entre les membres du groupe de travail. Cette communication porte sur
les décisions importantes concernant le futur produit mais aussi sur l’utilisation des
ressources (budget consommé et prévisions).

Revenons sur quelques caractéristiques du pilotage du processus d’innovation.

Les dirigeants de Microsoft, affirment que « le succès de Microsoft réside dans


la priorité donnée à la créativité dans le discours des dirigeants tout en donnant des
limites très strictes en délais et moyens. Ceci pour construire des produits facilement
réalisables, créer un flot d’innovations sur le marché même si le produit n’est pas
parfait ». On pourrait conclure alors que le pilotage peut être assuré en créant des
contraintes aux acteurs pour les orienter vers le pragmatisme. Budgets non
pléthoriques, équipements limités font partie du panorama des équipes. Le risque de
pénurie étant à éviter : ce qui demande une certaine expérience.

Le management des entreprises innovantes donne également la priorité à la


créativité : mise à disposition de données de veille technologique, possibilité
d’assister à des salons professionnels, lecture, rencontres d’experts extérieurs,
stimulation des travaux collectifs...

Notons que l’on retrouve alors l’un des très beaux paradoxes de l’innovation. Il
faut stimuler la créativité pour accroître le rythme d’émergence des nouveaux
produits. Or la créativité nécessite du temps « non directement productif » :
s’informer, découvrir de nouveaux savoirs et de nouvelles techniques, s’adonner à sa
curiosité. De plus, puisque la durée de vie des produits est plus courte, il faut réduire
les délais de développement, diminuer la période consacrée au projet. Dit
simplement : comment faire plus vite en accordant plus de temps aux individus ?

Ce paradoxe est en partie résolu par la parallélisation des tâches (ingénierie


concourante). Chaque phase peut être plus longue à condition d’être partiellement
menée simultanément à une autre. Ce mode de gestion réclame une certaine
expérience et de la rigueur. Le chef de projet doit en effet savoir déterminer le
moment exact où l’information minimum existe pour démarrer une nouvelle phase
de travail.
110 L’ingénierie de l’innovation

Séquence linéaire de tâches

Réduction

des délais
Parallélisation des tâches

temps

Figure 4.4. Réduction des délais par parallélisation

4.2.3. Les outils de la gestion de projet

Les outils de pilotage de projet sont largement utilisés dans les entreprises
innovantes. Ils sont pour la plupart bien connus puisqu’ils font l’objet d’une norme
AFNOR (X50-150), et de nombreuses publications de l’AFITEP (Association pour
la Gestion de Projet) : pert, gantt, outils de coûtenance... Ils facilitent la maîtrise des
ressources : temps, personnel, finances.

On notera toutefois que ces outils de gestion ont été, pour la majorité, conçus et
utilisés pour piloter des projets ne se caractérisant pas par leur aspect innovant
(chantier de construction d’unités industrielles par exemple). Nous avons vu que
l’analyse du risque peut s’avérer critiquable dans notre cadre. D’autres méthodes
peuvent également mal s’accommoder des notions d’incertitude ou de nouveauté.
Nous avons par exemple constaté que parfois les diagrammes PERT complets sont
délaissés ou non mis à jour. Le chef de projet considérant que l’outil informatique
réclamait trop de temps pour une intégration précise des nombreuses évolutions du
projet. Des tableaux manuels sont alors utilisés.

4.3. Troisième pratique d’ingénierie de l’innovation : une supervision globale


des projets innovants (budget, délai...) doit être menée en intégrant la
dimension stratégique impulsée par la Direction

Cette pratique concerne la participation de la Direction au développement de


l’innovation. Les entreprises innovantes veillent à l’intégration du long terme dans
Que font concrètement les entreprises ? 111

les décisions prises sur chaque projet. Elles prennent en compte non seulement la
nécessité d’aboutir au niveau d’un projet donné mais elles vérifient aussi la
compatibilité avec les autres activités de l’entreprise. Il s’agit d’un élément
fondamental : la stratégie devant être intégrée à tout développement.

4.3.1. Les objectifs de la supervision stratégique dans les projets innovants

Le premier élément à définir est la place de l’innovation dans la stratégie globale


de l’entreprise. L’avenir passe-t-il prioritairement par l’innovation ? On rappellera à
ce propos la célèbre classification de MILES et SNOW :
– les prospecteurs : ils désirent être les premiers à développer une technologie.
Ils réagissent donc très vite à des opportunités de nouveaux espaces à conquérir
même quand la rentabilité n’est pas optimale,
– les analystes : rarement premiers en termes de lancement. Leur veille
concurrentielle, et leur capacité d’étude, les conduisent à réagir très vite et à
proposer des solutions très rentables,
– les défensifs : cherchent à se situer sur des niches par un bon niveau de qualité,
des prix intéressants et des services rendus aux clients. Les innovations ne les
interpellent que dans la mesure où elles concernent les activités de production
basique,
– les réactionnaires : ne réagissent qu’en cas de pression très forte de
l’environnement.

Les décisions stratégiques en matière d’innovation sont essentiellement les


suivantes :
– identification des projets d’innovation prioritaires,
– nature et montant des ressources affectées au projet (budget par exemple),
– actions à lancer vis-à-vis de l’environnement (partenariat par exemple),
– quelles sont les décisions stratégiques spécifiques au projet étudié ? (choix du
futur réseau de distribution par exemple) qui sont des déclinaison locales de la
politique de l’entreprise,
– décision de poursuivre le projet, ou de le stopper, ou encore de le faire évoluer
différemment ?

On notera que pour cette dernière décision les données objectives ne sont pas
toujours utilisées. Très peu de dirigeants savent arrêter un projet qui s’avère peu
rentable après de longs mois d’études et ceci malgré des prévisions négatives.
112 L’ingénierie de l’innovation

En synthèse, on peut considérer que la Direction va poser le problème en


reformulant les remarques des chefs de projet et en considérant les données de
l’environnement. Il s’agit d’identifier en particulier les domaines d’action
envisageables :
– la technique : quelles sont les grandes options retenues et leurs incidences sur
l’avenir de l’entreprise, son autonomie, les difficultés liées à la maîtrise technique,
les contraintes d’évolution, faut-il faire ou faire faire,
– la finance : enjeux financiers vis-à-vis de la capacité d’autofinancement de
l’entreprise, autonomie financière, capacité à organiser un tour de table financier,
intérêt des actionnaires…
– le commercial : aire géographique concernée, délai de réponse du marché,
adéquation entre les structures de vente en place et les celles requises pour la future
activité…
– le marketing : gammes de produits ciblées, compatibilité avec l’image de
l’entreprise…
– l’allocation des ressources : dispose t-on ou disposera-t-on des moyens
(finance, compétences) pour soutenir le développement ?
– le partenariat : faut-il faire seul, et de quel pouvoir de négociation dispose
l’entreprise…
– la communication : quels messages, quelle cohérence avec les cibles actuelles,
– la propriété industrielle : l’entreprise souhaite-t-elle protéger certains domaines,
est-elle prête à traiter d’éventuels contentieux, cherchera-t-elle à maximiser les
débouchés pour son patrimoine breveté.

Puis, la Direction décide d’une stratégie c’est-à-dire d’une cible à atteindre et du


plan d’action qui le permet. Elle met en forme une proposition spécifique intégrant
la situation à un moment donné (concernant le projet et l’entreprise) et à sa vision du
futur.

Faisons aussi référence aux études recensant les options politiques des
entreprises innovantes. On citera entre autres les célèbres travaux de BOOZ et
ALLEN décrivant des prospecteurs, des analystes/suiveurs, des défensifs et des
réactionnaires : faut-il être pionnier en matière de nouveauté ou suivre en faisant
mieux ?

4.3.2. Les tâches de la supervision stratégique dans les projets innovants

Les entreprises innovantes structurent leurs réflexions stratégiques. Certaines


directions étudient la faisabilité et l’efficacité de leurs options politiques en :
Que font concrètement les entreprises ? 113

– réunissant des équipes de direction,


– mesurant l’impact de la mise en oeuvre du plan d’action stratégique,
– testant celui-ci auprès d’experts internes ou d’instances externes (on citera à
titre d’exemples : le rôle joué parfois par le banquier ou l’expert comptable,
l’importance de certains clubs de dirigeants).

En termes de démarche, MORIN définit trois phases génériques lorsqu’il s’agit


de la définition de la stratégie technologique : la surveillance de l’environnement
technologique (intelligence économique), l’inventaire du potentiel de l’entreprise
(savoirs et équipements) et son évaluation (par rapport à l’évolution de la science, à
la concurrence…). Dans un second temps et à travers ses projets l’entreprise
concrétisera des stratégies : d’enrichissement de son patrimoine technologique
(acquisition de brevets par exemple, formation du personnel, partenariat avec les
Universités...), de sauvegarde (propriété industrielle entre autres), et, de
maximisation de la valeur générée (comment l’entreprise peut-elle, directement ou
par le biais de cession de savoirs, optimiser ses revenus de la technologie acquise ?).

4.3.3. Les outils de la supervision stratégique dans les projets innovants

Au niveau méthodologique, on recense dans la bibliographie peu de méthodes et


outils spécifiquement conçus dans un contexte d’innovation. On ne peut donc citer
que les méthodes traditionnelles d’aide à la décision stratégique :
– les chaînes de valeur de PORTER,
– les matrices TOWS (les matrices opportunités – menaces – points forts –
points faibles),
– les tableaux de Mc KINSEY (avec les fameuses vaches à lait ou la version plus
récente avec ses impasses et autres spécialités),
– les cycles de vie de produit,
– les analyses de filière,

On réservera toutefois une place particulière aux grilles de MEYER qui aident à
valoriser une innovation à travers une gamme étendue de produits et sur des niches
variées (haut et bas de gamme).

La stratégie S1 consiste à n’intégrer qu’une niche : on se spécialise sur un


segment et les technologies de base sont toutes mobilisées pour un seul type de
produits. Il s’agit de chercher à se spécialiser, si cela est possible. Ceci permet de
cibler tous les développements, tous les investissements sur un unique type de
114 L’ingénierie de l’innovation

produit et de là tirer un avantage concurrentiel. Cette stratégie présente le risque


d’absence d’économie d’échelle ( entre autres au niveau des achats).

Rapport
Prix/performance

HAUT S2

S3
MOYEN

S4
S1
BAS

Segment Segment Segment Segment Segment


A B C D E

Figure 4.5. Grille d’analyse stratégique de Meyer

La stratégie S2 « dite horizontale » consiste à utiliser une même plate-forme


technologique pour attaquer différents segments de marché. C’est le cas de Gilette
qui sur la base de son moteur et de moulages plastiques, distribue des rasoirs pour
hommes et femmes ainsi que des tondeuses à barbe. Avantage : des économies
d’échelle à condition d’investir au niveau de la promotion pour rendre les produits
attractifs dans chaque niche.

La stratégie S3 « dite verticale » consiste à utiliser une plate-forme


technologique de base pour ensuite développer des pièces ou des fonctions
périphériques jouant sur les performances du produit. On peut ainsi chercher à
améliorer un produit, on le banalise. Avantage : des économies d’échelle. Risque :
cannibalisation de gammes.

La stratégie S4 « dite croisée » consiste à associer les stratégies S2 et S3 C’est le


cas de Compaq avec l’énorme élargissement de ses gammes en informatique.
Avantages : offrir des gammes de produits pour tous clients, économie d’échelle.
Risque : mauvaise maîtrise des systèmes entourant la plate-forme du fait de leur
multiplicité (lourdeur logistique par exemple).
Que font concrètement les entreprises ? 115

Pour une maximisation de la valeur, il convient donc de se poser la question de


l’intérêt pour l’entreprise (directement ou par vente de savoir-faire) de lancer des
activités dans d’autres « cases stratégiques » à partir d’une innovation donnée.

Du fait de l’incertitude liée au contexte de l’innovation, tous ces outils d’analyse


stratégique apparaissent souvent complémentaires mais individuellement insuffisants.
L’information nécessaire pour alimenter ces méthodes de traitement est par essence
imprécise ou incomplète dans le cas de l’innovation. De ce fait, on ne peut obtenir
que des bases de réflexion pour une prise de décision. Il est alors intéressant de
disposer d’indications multiples et d’arrêter des choix grâce à l’emploi de plusieurs
outils.

Notons encore que les tâches stratégiques peuvent être assumées grâce à des
outils méthodologiques mais aussi de manière empirique ou encore intuitive. Nous
n’avons pas identifié d’étude quantitative de ce dernier phénomène : il s’agirait
d’évaluer la part des décisions prises sur la base d’outils d’aide à la décision ou sans
ces méthodes. Toutefois nous avons souvent observé le recours à des approches
intuitives. Nous serions même enclins à penser que l’incertitude et la difficulté de
programmer un projet innovant impliquent un développement de ce type d’attitude.

Notons encore que les Directions initialisent leur réflexion en se référant à des
données très diverses : de la veille technologique, à des valeurs de base et à des
aspirations fondamentales. Dans le cas des PME, par exemple, la notion de
transmissibilité de l’entreprise à un proche peut s’avérer importante (innover pour
accroître la valeur), au même titre que le respect d’un capital maîtrisé par une
famille.

4.4. Quatrième pratique d’ingénierie de l’innovation : au sein du portefeuille de


projets, la Direction assure la gestion de la cohérence entre les différentes
initiatives

Cette pratique porte sur tous les projets en cours ou en attente dans l’entreprise.
Son objet est la cohérence entre toutes les pistes de développement. Naturellement
cette fonction n’a de sens que pour les entreprises qui mènent conjointement
plusieurs initiatives nouvelles, ce qui n’est pas le cas de toutes les PME.

4.4.1. Les objectifs de la gestion de portefeuille de projets innovants

En fait, la cohérence interprojet se fait au niveau :


– des décisions politiques, des décisions stratégiques à partager entre tous les projets,
116 L’ingénierie de l’innovation

– des pratiques de pilotage, des pratiques à échanger entre acteurs de différents


projets innovants.

Cette cohérence va dans le sens des facteurs clés de succès vus dans le chapitre
précédent. Notons que certains experts avancent que la mise en cohérence interprojet
réduit le champ de l’innovation mais que ceci est rendu nécessaire par le fait que les
moyens à disposition ne sont pas illimités.

Deux variables sont principalement supervisées : les ressources affectées et la


cohérence entre les futures activités. Cela se traduit par une analyse nécessairement
continue du niveau de ressources affectées à chaque projet, et de la pertinence de
poursuivre ou non les investigations.

4.4.2. Les tâches de la gestion de portefeuille de projets innovants

La cohérence au sein d’un portefeuille porte sur les ressources affectées aux
différents projets. L’entreprise dédie des ressources financières, humaines,
matérielles... à l’ensemble des projets dont il convient de veiller à une juste
répartition. Concrètement, les ressources financières vont nécessiter des arbitrages
en termes de priorités d’investissements et de dépenses de développement. Les
ressources humaines induisent des décisions d’affectation de personnel. A la
ressource « temps » va correspondre une mise en cohérence des plannings. Le
matériel nécessite également des clefs de répartition et des plannings d’utilisation.

La Direction va donc prendre des décisions pour affecter les ressources


disponibles à un moment donné et elle va agir pour rechercher des ressources
supplémentaires. En fonction de l’évolution des projets, il y aura modification des
répartitions de moyens. Par exemple, la rédaction d’un business plan peut conduire à
la mobilisation d’une personne supplémentaire du service financier.

La relation inverse est également possible. Un état médiocre des ressources à un


instant donné peut déterminer un ensemble de décisions relativement au portefeuille
de projets. De nouvelles priorités entre les différents projets peuvent apparaître et
l’on peut aller jusqu’à l’abandon de certaines opérations.

La gestion de portefeuille de projets des entreprises innovantes vise également la


cohérence entre les futures activités résultant des projets. Il s’agit ici d’un aspect
essentiellement stratégique. L’entreprise ne doit développer que la gamme des
activités qu’elle sera en mesure de valoriser. Soit elle-même, soit par partenariat ou
vente de la technologie. Cette gamme d’activités doit être raisonnée en considérant
le long terme. Cette stratégie de portefeuille doit considérer :
Que font concrètement les entreprises ? 117

– la maximisation de la valeur du portefeuille,


– l’équilibre dans les opportunités à court et long terme (ce qui peut « marcher »
tout de suite et ce qui réclame une longue phase de lancement),
– les aires géographiques (marchés régionaux versus marchés européens),
– la cohérence avec la stratégie globale de l’entreprise.

Dans les entreprises innovantes, une coordination existe également au niveau des
décisions « locales » prises par les équipes- projets pour :
– les prix : ceux-ci ayant un impact fort au niveau marketing (image de marque
cohérente de l’entreprise, complémentarité de gammes...) et de la distribution (choix
des lieux de vente dépendant des tarifs),
– les marchés-cibles : il convient d’analyser les phénomènes de complémentarité
et d’effet de levier entre des activités visant des marchés identiques, proches, très
différents. A ce stade, les risques de cannibalisation entre gammes de produits sont
étudiés, ainsi que les risques d’éparpillement de la force de vente,
– les délais (rythme et époques de lancement des innovations) : la coordination
en ce domaine ayant des implications logistiques et financières, l’entreprise doit
disposer des moyens pour assurer l’ensemble des délais et peut avec une bonne
coordination bénéficier d’économies d’échelle,
– la qualité : une entreprise ne possède qu’un système de management de la
qualité pour l’ensemble de ses activités,
– la nouveauté : la coordination à ce niveau sous-entend essentiellement une
répartition des risques encourus par la société à un moment donné. Beaucoup
d’innovations de ruptures représentent un risque élevé ; peu d’innovation peut mener
à une obsolescence technologique générale. Il y a encore des impacts marketing.
Citons à titre d’illustration le slogan « PHILIPS innove ».

En pratique, la gestion de portefeuille est assurée par un cadre (ou le dirigeant)


en relation avec les différents chefs de projet. Au-delà des décisions sur les projets,
la gestion de portefeuille conduit parfois à :
– la communication entre groupes de travail : la direction préconise des
rencontres entre groupes de travail,
– des modifications dans la constitution et le fonctionnement des groupes,
– de nouvelles spécifications pour les projets,
– des actions en direction de l’extérieur (recherche de partenaires par exemple).

La cohérence au sein d’un portefeuille de projet se situe encore au niveau des


activités des acteurs des projets, de leur façon de procéder. On peut s’interroger sur
118 L’ingénierie de l’innovation

les possibles synergies entre projets pour une activité de base donnée. Par exemple,
peut-on coordonner les travaux de création entre différents projets ? Lors d’une
collaboration avec une entreprise de services, nous avons ainsi constaté que, parmi
la vingtaine d’équipes-projets développant des applications informatiques innovantes
pour des clients, il n’était pas rare de recenser des études redondantes.

Les entreprises se structurent actuellement par équipes de projet afin de


supprimer les barrières séparant les différents services internes. Ce faisant, ne
créent-elles pas des barrières entre équipes-projets ? Des contacts que nous avons
eux avec certaines grandes entreprises montrent que ce souci est d’actualité.

Ceci pose de nombreux problèmes, on citera entre autres :


– l’information interprojet,
– une culture d’entraide,
– la compétition dans l’obtention des budgets par projet,
– la codification et le classement de l’information,
– la cohérence entre les objectifs par projet et les objectifs à long terme.

L’une des pratiques les plus courantes consiste à organiser les retours
d’expérience à l’issue des projets et à diffuser les bilans établis à toutes les
personnes susceptibles de prendre en charge un projet. Dans les grandes entreprises,
on trouve encore des systèmes plus ou moins complets de gestion documentaire
automatique qui permettent en temps réel de prendre connaissance des plans
d’action en cours dans les équipes-projets.

Nous verrons dans le chapitre consacré aux organisations, des solutions adoptées
par certaines entreprises.

La gestion d’un portefeuille de projets repose donc sur la création de synergies,


la mémorisation des connaissances et, au-delà, sur l’apprentissage individuel et
collectif.

4.4.3. Les outils de la gestion de portefeuille de projets innovants

Nous avons recensé peu d’outils standards dans ce domaine. Nous avons
développé en partenariat avec le laboratoire de F. Romon de l’Université
Technologique de Compiègne un didacticiel servant de guide d’action pour un
responsable de portefeuille. Il permet de suivre des étapes précises et de confronter
les données saisies projet par projet.
Que font concrètement les entreprises ? 119

4.5. Cinquième pratique d’ingénierie de l’innovation : un contrôle et une


rétroaction de la Direction et des responsables de projet sur le processus
d’innovation est indispensable pour faire évoluer les pratiques des acteurs

« On ne peut pas construire un processus de développement de produits


nouveaux définitif. Il faut, pas à pas, trouver la démarche qui, à un moment donné,
et pour un projet donné, est la plus efficace » (SMITH, 1996).

4.5.1. Les objectifs d’un contrôle et d’une rétroaction sur les processus innovants

Cette cinquième pratique des entreprises innovantes se résume à cette contrainte


d’adaptation continue et de constructivisme. Elle vise à bien décrire les méthodes et
les séquences de travail, à les faire évoluer, à tester de nouvelles approches et à en
tirer des enseignements. Elle place fondamentalement le processus d’innovation
dans une logique de développement. Une démarche où très souvent on construit en
marchant.

Le processus de management de l’innovation, la façon dont l’idée se transforme


en produit, a donc un caractère hautement évolutif. L’entreprise a besoin d’une
spécialité qui consiste à savoir « innover à façon » et « générer de nouvelles
pratiques ». Des règles d’adaptation du processus d’innovation à l’activité à créer
sont à établir en sachant que leur remise en cause peut générer de l’innovation : la
complexité règne en maître !

Les actions résultantes visant l’évolution des démarches d’innovation ont


généralement l’un des objectifs suivants :
– la réduction des délais (voir ci-dessus la parallélisation des tâches vue avec la
deuxième pratique),
– la réduction des coûts,
– une meilleure prise en compte des impacts croisés : produit bien conçu et
fabricable, produit correspondant aux besoins du client et à la stratégie
technologique de l’entreprise, etc.,
– l’amélioration des conditions de travail des concepteurs puis des personnels
impliqués dans la production future,
– la capitalisation des connaissances : ne pas perdre des données non directement
utilisables sur le projet en cours qui les génère.
120 L’ingénierie de l’innovation

4.5.2. Les tâches de contrôle et de rétroaction sur les processus innovants

Trois axes majeurs émergent lorsque l’on veut remettre en cause le pilotage de
l’innovation dans l’entreprise ou celui des projets innovants :
– La modélisation des processus en cours. Il faut savoir collecter l’information
sur les pratiques des individus et des groupes participant à des projets puis décrire
ces contributions sous forme de phases de travail,
– l’évaluation des processus en cours. Il faut mesurer si le mode de pilotage de
l’innovation donne lieu à des performances satisfaisantes,
– la mise en œuvre de démarches de changement. Au vu de l’évaluation on
identifie des voies de changement (nouvelles méthodes de pilotage à initier par
exemple).

Précisons ces trois aspects. Nous avons vu dans le paragraphe « Pour une autre
vision de l’innovation », section 2.4.6, deux modèles permettant de représenter le
processus d’innovation (Gantt des activités et flux de résultats). Il en existe de
nombreux autres. L’intérêt est d’obtenir un diagramme compréhensible par tous
les acteurs impliqués et pouvant faire l’objet d’une réflexion en termes
« d’optimisation ».

L’évaluation consiste à définir puis utiliser des critères de mesure. De nombreux


travaux sont réalisés en matière d’évaluation des pratiques de pilotage de
l’innovation (ceux-ci ne nous semblent pourtant pas tout à fait satisfaisants). Les
critères retenus portent sur les moyens mobilisés (le ratio des dépenses de R&D sur
le chiffre d’affaires de l’activité, l’âge moyen des équipements qui servent à la
production…) ou les résultats obtenus (parts de marché, retour sur investissements,
la proportion de produits ayant moins de 4 à 5 ans au sein du chiffre d’affaires
global…). Peu d’évaluations portent sur la manière de piloter elle-même, sur les
tâches (citons par exemple l’évaluation du travail en réseau par le nombre de
contrats avec des partenaires extérieurs).

De nombreux acteurs nord-américains ont établi un lien entre la stratégie et la


conduite de l’action. Ils définissent des critères d’évaluation du processus
d’innovation qui varient suivant les principales orientations stratégiques développées
par les entreprises étudiées. GRIFFIN (GRIFFIN, 1997) s’est ainsi basé sur les
tableaux de BOOZ et ALLEN pour établir une typologie de critères en fonction du
degré d’intensité de l’innovation.

L’évaluation des pratiques étant réalisée et analysée, les entreprises innovantes


interviennent concrètement sur les éléments suivants :
Que font concrètement les entreprises ? 121

– de nouvelles règles de travail individuelles et collectives (validation des plans


du bureau d’étude par le service qualité par exemple),
– des investissements matériels pour modifier les équipements utilisés en cours
de projet (CAO par exemple),
– un autre mode de répartition des mandats entre acteurs de l’innovation
(passage d’un statut d’animateur de groupe de travail à celui de chef de projet par
exemple),
– des actions envers des acteurs extérieurs (invitation des fournisseurs à des
réunions de conception par exemple),
– l’implantation de nouvelles méthodologies de travail (méthodes de
formalisation et résolution de problèmes, protocoles expérimentaux, mode de
validation en particulier avec les clients),
– des changements dans la forme et le contenu des échanges d’information entre
acteurs de l’innovation (création de systèmes d’informations, de base de données),
– des formations.

SMITH décrit une démarche qui peut permettre de satisfaire ce besoin d’ajuster
le processus au contexte et aux finalités. Ces préconisations sont les suivantes :
– trouver un nom correct (nous ajouterons porteur de sens) à la démarche,
– utiliser des modes d’analyse et des critères qui, pour certains, sont déjà mis en
œuvre dans l’entreprise,
– définir un mode d’analyse des projets: un mode de collecte de l’information
sur le pilotage de ceux-ci. Quatre formules sont proposées: une réunion de bilan à
l’issue de chaque projet, une réunion annuelle de tous les projets, des réunions plus
courtes à des moments-clés, la création d’un groupe permanent qui étudie toutes les
initiatives en continu,
– trouver un auditeur « neutre »,
– aborder les aspects positifs et négatifs, les opportunités et les menaces. Eviter
la recherche de coupables, et l’écueil de la revendication ou de l’autosatisfaction,
– chercher un mode d’évaluation centré sur la recherche d’information
pertinente, des améliorations et de meilleures méthodes de travail. Ne pas aborder
les performances individuelles ou de groupe,
– il faut en premier lieu analyser la position des clients du processus et les gens
en contact avec ce processus. Ensuite les personnes ayant une vision globale du
système-projet sont contactées,
– l’analyse doit se baser sur des données dont une partie crédibilise l’étude
auprès des acteurs de l’innovation. Le bilan doit être reconnu valide (utiliser en
particulier des mesures techniques: durée, coût...),
122 L’ingénierie de l’innovation

– les modifications doivent nécessairement être apportées dans l’action. Il faut


donc que le responsable du contrôle ait du leadership et des moyens de fonctionner,
– transformer cette activité de contrôle en tâches permanentes et se méfier d’un
caractère occasionnel de ce genre de pratiques,
– présenter les résultats en faisant toujours référence aux objectifs majeurs et aux
valeurs fondamentales de l’entreprise.

Cette démarche et ces préconisations cherchent à bien positionner le contrôle


dans une logique de l’action et de développement. Elle tend à éviter l’obstacle d’une
illusoire maîtrise de l’innovation.

La Direction analyse les activités de toutes les équipes-


projets,
impulse des modifications des pratiques,
recherche et réaffecte
de nouvelles ressources
DIRECTION

La Direction influence le
processus de travail de modification
l’équipe-projet de la
stratégie

Ressources du Processus Résultats


projet de travail Du
projet

L’équipe-projet auto diagnostique ses activités et modifie ses pratiques


Elle applique d'autres règles, teste d'autres modes de raisonnement,
essaye des démarches intuitives, s’ouvre vers l'extérieur
Propositions de
l’équipe projet à CHEF DE
à la Direction pour PROJET
de nouvelles et PARTICIPANTS
pratiques de
gestion de projet

Figure 4.6. Représentation de l’évaluation


et des rétroactions du pilotage des projets innovants
Que font concrètement les entreprises ? 123

Ces éléments nous semblent intéressants tout en considérant que l’on ne peut pas
en tirer une procédure à long terme pour l’entreprise.

Précisons enfin que la mise en œuvre de nouvelles manières d’innover résulte


généralement d’une ouverture sur l’extérieur. Le lancement de nouvelles pratiques
se développe sous l’impact de la Direction ayant collecté des informations
préalables à l’extérieur de l’entreprise, par le biais de sociétés de conseils, grâce à
des contacts académiques et en discutant avec d’autres dirigeants.

4.5.3. Les outils de contrôle et de rétroaction sur les processus innovants

Là encore nous avons recensé très peu d’outils standards. Notons que tous les
outils classiques de modélisation de processus sont utilisables (on se reportera à la
section g/ du chapitre pour une nouvelle vision de l’innovation). Citons entre autres
System Analysis and Design Technic (SADT) permettant de caractériser des phases
de travail ainsi que les données d’entrée et de sorties correspondantes. Il est
également possible d’utiliser des techniques proches de Métaplan : les acteurs du
processus représentent chaque phase de leur travail par un post-it. Toutes
modifications d’un post-it (par exemple son déplacement vers l’amont du projet),
s’accompagne de la rédaction d’une fiche « nouvelles règles » qui précise les
conditions à respecter par le groupe-projet s’il modifie la phase en question.

4.6. Sixième pratique d’ingénierie de l’innovation : un contexte, une organisation


de travail favorable est à mettre en place pour stimuler l’innovation

Cette pratique touche aux conditions de travail des acteurs et en particulier à


l’organisation dans laquelle ils œuvrent. Le mot « organisation » est utilisé ici pour
consigner : la répartition des mandats à responsabilité, les systèmes formalisés
d’échanges d’information (supports d’information, réunions, réseau interne...), les
règles du contrôle individuel, les règles de travail collectif.

4.6.1. Les objectifs d’une organisation adaptée à l’innovation

Il est évident que de manière indirecte, les conditions de travail ont une influence
sur l’objet du travail des acteurs : l’organisation influence le processus d’innovation.
GUPTA affirme, par exemple, que la mise en place du Total Quality Management
(TQM) et de ses règles de fonctionnement facilite l’innovation

Il revient souvent au service des ressources humaines de concevoir l’organisation


pour la rendre plus innovante et ceci en cherchant à anticiper sur les contraintes.
124 L’ingénierie de l’innovation

Enfin on précisera que par conditions de travail, il faut également entendre la


qualité des locaux, de l’espace de travail. Nous n’aborderons pas cet aspect en détail.
L’architecture des locaux industriels a une influence sur le nombre et la qualité des
échanges entre employés et sur la créativité, donc sur l’innovation.

Précisons que, de manière inverse, le processus d’innovation influence


l’organisation. Innover, c’est entre autre, se réorganiser. Les entreprises innovantes
gèrent donc des phénomènes d’ajustement continu de l’organisation aux activités
industrielles en développement. Toutefois une trop forte adaptabilité, ou flexibilité
peut mener à une fragilité générale.

4.6.2. Les tâches de création d’une organisation adaptée à l’innovation

Le lecteur trouvera un chapitre consacré à la description des organisations des


entreprises innovantes. On rappellera ici quelques principes relatifs au changement
organisationnel dans un contexte d’innovation.

Les organisations ont un impact sur les dimensions cognitives individuelles et


collectives, et sur les comportements des acteurs.

On constate actuellement un fort développement des organisations dites « par


projet » : dans les grands groupes et dans les PME. Celles-ci consistent à nommer un
responsable de projet soit à temps partie, soit à temps plein, ainsi qu’un groupe de
personnes également affectées à temps partiel ou à temps plein au projet. Elles sont
issues de différents services de l’entreprise : production bureau d’études,
maintenance, qualité, marketing, commercial... Les participants peuvent donc
dépendre de deux systèmes hiérarchiques.

Les services se voient confier la gestion quotidienne et l’optimisation du système


industriel ainsi que la sauvegarde et le développement de leurs savoir-faire et
connaissances spécifiques. Les groupes projet prennent en charge l’innovation.

Ces organisations s’accompagnent de nouvelles règles dans les affectations


budgétaires: les moyens financiers sont répartis entre les services et les projets. Des
systèmes d’information et des bases de données spécifiques aux projets apparaissent.

De plus, différentes structures support apparaissent pour superviser le travail de


ces équipes-projets. Le lecteur se reportera pour plus de détail au chapitre consacré
aux organisations pour le management de l’innovation.

Concrètement ces organisations modifient la façon de participer des individus.


Plus précisément :
Que font concrètement les entreprises ? 125

– les acteurs du projet se positionnent différemment vis-à-vis des autres


employés. La participation des individus à un projet innovant est dépendante de leur
propre vision de leur place actuelle et future dans l’organisation. Que devient le
responsable de l’atelier de fabrication de pièces mécaniques si le groupe de
conception auquel il participe envisage la sous-traitance de nouveaux sous-
ensembles auprès d’une société de plasturgie ? Que devient le chef de projet à
l’issue du projet ? L’action est influencée, entre autres, par la marge d’action et de
liberté que chacun s’accorde et par les ambitions qu’il va chercher à concrétiser au
cours du projet. L’un des buts des équipes-projets est de faciliter la construction de
représentations collectives (partager une même vision de la future activité), de
stimuler le dialogue dès les phases d’étude de la future activité et ainsi de rendre
plus objectives et plus fédératives les décisions prises,
– les individus répartissent leur temps de travail entre un projet et les autres
activités « quotidiennes ». Cette répartition tient compte des directives
hiérarchiques. L’organisation mise en place traduit donc le degré de priorité accordé
aux projets par la Direction et les services fonctionnels. De plus, l’organisation
facilite la clarification des priorités à respecter en présence d’aléas entre les projets
et le fonctionnement quotidien,
– les responsabilités sont assumées différemment par les acteurs des projets. Les
organisations actuelles cherchent à des degrés divers à accroître le niveau de
responsabilisation des participants du processus d’innovation. C’est en particulier le
cas pour les « venture groups » : les participants ont la mission de créer une
entreprise qui réintègre la maison-mère en cas de succès. Une partie des tâches de
direction sont dévolues à ces « venture groups » dont on cherche à développer le
goût du risque,
– les participants abordent les décisions de manière plus riche. Ainsi, la présence
de représentants de différents services dans les équipes développe la capacité à
intégrer des données de natures diverses (techniques, commerciales...). La créativité
naît de la richesse des profils au sein du groupe. De nouvelles règles de
fonctionnement ou de nouveaux modes de raisonnement peuvent plus facilement
être testées en dehors des services et des principes de l’optimisation à court terme,
– les projets sont étudiés de manière plus globale. Ainsi, il apparaît que les
erreurs de conception (produit difficilement fabricable, maintenable par exemple)
sont réduites dans le cas des équipes-projets. Ces atouts sont toutefois tempérés par
des problèmes de cohérence dus à la double logique de fonctionnement service
permanent-projet temporaire,
– les acteurs apprécient les collaborations interdisciplinaires (exemple entre
techniciens et financiers). Les départements et comités nouveaux produits sont
même chargés dans certaines entreprises de paralléliser les tâches de conception.
126 L’ingénierie de l’innovation

4.6.3. Les outils de création d’une organisation adaptée à l’innovation

Les pratiques sont majoritairement empiriques ou intuitives dans ce domaine :


l’organisation émerge du passé de l’entreprise, de réactions à des aléas, et parfois
de réflexions de type participatif entre les dirigeants et le personnel. On constate
aussi des cas où le dirigeant acquiert des connaissances en matière de modèles
organisationnels (formation par exemple) et cherche à les appliquer dans sa société.

Parmi les outils d’aide à la conception de l’organisation on citera entre


autres : l’analyse fonctionnelle (cet outil traditionnellement utilisé en conception
technique s’avère très utile pour des schémas organisationnels), les analyses des
dysfonctionnements (AMDEC par exemple), la méthode DESPA (mise au point par
nos collègues du LRGSI, elle permet de concevoir une cible organisationnelle idéale
et de définir les solutions les plus proches de ce modèle souhaité), la méthode ABM
(activity based management) que nous avons nous-mêmes expérimenté avec succès.
Cette dernière cherche à quantifier en termes d’heures de travail les activités (de
production, logistiques, administratives) futures pour un nouveau produit. Dans un
second temps les tâches sont regroupées sous forme de postes, puis de services.

4.7. Septième pratique d’ingénierie de l’innovation : des démarches claires visent


à assurer l’allocation des compétences nécessaires au processus d’innovation

L’innovation réclame des actions spécifiques en matière de Gestion des


Ressources Humaines et de management des compétences. Notons que nous
adoptons ce vocable largement utilisé, bien que nous ne puissions nous résoudre à
considérer l’Homme comme une ressource, un moyen.

4.7.1. Les objectifs d’une gestion des compétences adaptées à l’innovation

L’innovation se caractérise par l’incertitude, la non-programmabilité, des


changements et des remises en cause. Il ne s’agit pas d’un domaine facile à aborder.
La Direction des entreprises innovantes veille à créer un contexte favorable au
développement des aptitudes du personnel face à l’innovation, pour que celui-ci
puisse pleinement apporter sa contribution. L’objectif principal est donc de disposer
de personnels aptes à gérer la nouveauté.

4.7.2. Les tâches de gestion des compétences adaptées à l’innovation

Nous avons cherché à définir certaines des aptitudes caractéristiques des acteurs
ou des équipes impliquées dans le processus d’innovation. Elles sont recensées dans
Que font concrètement les entreprises ? 127

notre chapitre consacré aux aptitudes des acteurs de l’innovation. Puis, nous avons
retenu deux domaines visant spécifiquement le développement de ces aptitudes et
qui représentent les principaux leviers d’actions des entreprises innovantes :
– la formation et le recrutement,
– l’évolution des carrières.

Formation et recrutement
Ce sont les deux voies traditionnelles d’enrichissement du potentiel humain de
l’entreprise.

On constate deux grandes options en matière de formation. Certaines entreprises


innovantes forment leurs spécialistes à d’autres disciplines afin d’étendre leur champ
d’expertise et de les doter d’une capacité à intégrer des domaines différents. Les
ingénieurs se forment au marketing ou à la gestion, les commerciaux investissent en
logistique. D’autres entreprises choisissent de former le plus grand nombre (chef de
projet, chef de services, acteurs de la recherche…) aux techniques du pilotage de
l’innovation.

La majorité des entreprises innovantes proposent de développer l’utilisation de


méthodologies telles que l’analyse fonctionnelle ou le QFD par la formation. Pour
JULIEN, dans le cas des PME, c’est le niveau de formation du dirigeant lui-même
qui est un critère fondamental pour faciliter l’acquisition d’une technologie.

La qualité du recrutement est un facteur clé. Parmi les éléments spécifiques à


l’innovation dans les critères de recrutement citons la connaissance conjointe des
technologies et de leur contexte industriel, des expériences en tant que pilote de
projet ou la connaissance de certaines méthodologies.

Evolution des carrières


Certaines entreprises disposent d’un système précis de rotation du personnel au
niveau des différents services. Un cadre passe de la production à la qualité puis aux
achats par exemple. Il s’agit d’une façon de favoriser l’intégration de données de
natures diverses au stade de la conception. Une personne ayant eu les trois
expériences citées ci-dessus sera sans doute apte à établir des liens entre les
contraintes de ces trois services. Le changement de poste est un apprentissage du
changement technologique. Certaines entreprises organisent des transferts entre les
services techniques et le marketing. Des sociétés proposent une gestion plus fine
encore : faire évoluer les cadres et les techniciens entre des postes correspondant à
différentes étapes du processus d’innovation.
128 L’ingénierie de l’innovation

4.7.3. Les outils de gestion des compétences adaptées à l’innovation

Il n’existe pas de méthodes et d’outils spécifiques au management des


compétences liées à l’innovation. Les approches traditionnelles sont utilisées dans
les entreprises : plans de formation, référentiel de compétences, évaluation…

4.8. Huitième pratique d’ingénierie de l’innovation : un soutien moral aux


participants doit être apporté par la Direction et les responsables de projets,

La pratique précédente visait à gérer les compétences des acteurs. La huitième


porte davantage sur les comportements, les savoir-être.

4.8.1. Les objectifs d’un soutien moral aux acteurs de l’innovation

Nous avons vu qu’innovation et incertitude sont deux notions liées et que même
l’innovation peut naître de l’incertain. Or le besoin de sécurité est présent en tout
individu. Assumer l’innovation est donc parfois difficile à vivre, même si, durant
certaines périodes, participer à une innovation génère un enthousiasme et fédère les
équipes.

Dans les entreprises innovantes, les acteurs de l’innovation trouvent des appuis
au cours de leurs activités. Il s’agit d’éléments visant à créer un contexte favorable à
la nouveauté et la prise d’initiative tant au niveau individuel que collectif. On fait ici
référence au facteur clé de succès lié à la culture interne. Plus précisément, nous
avons relevé des pratiques relatives :
– au rôle du dirigeant,
– au management, à la qualité des relations hiérarchiques et aux relations
interpersonnelles de manière générale,
– aux valeurs,
– aux rémunérations.

4.8.2. Les tâches de soutien moral aux acteurs de l’innovation

Le rôle du dirigeant
Le dirigeant joue souvent un rôle moteur dans l’innovation. Sans prétendre à
l’exhaustivité remarquons les comportements suivants :
– faire preuve d’exemplarité pour rassurer et fédérer,
Que font concrètement les entreprises ? 129

– être ouvert aux propositions,


– être proche de ceux qui prennent des risques,
– écouter et aller au devant des personnes attestant d’un manque de confiance ou
de difficultés relationnelles,
– solutionner les problèmes relationnels ou plus précisément « enseigner » à son
personnel comment résoudre ces difficultés,
– faire la promotion des contacts interpersonnels, sources de créativité et de
sentiment d’appartenance,
– donner le goût de s’intéresser au futur.

Deux modes d’impulsion différents mais pouvant s’avérer complémentaires,


guident souvent le comportement des dirigeants : stimuler en réconfortant ceux qui
prennent des initiatives, ou, créer des ruptures dans l’environnement des acteurs
pour éviter des phases de stabilité peu compatibles avec l’innovation (sous la forme
d’une réorganisation structurelle ou d’un changement de bureaux !). Ce point divise
les experts en innovation . Certains estiment que les situations perturbatrices
favorisent l’innovation, d’autres montrent que cette règle a des limites : l’incertitude
peut réduire l’esprit d’initiative par crainte de ruptures violentes dans la vie
professionnelle des individus. Les experts indiquent également que l’on doit avoir
un esprit de progrès permanent et donc innover en cherchant à anticiper les crises.
Lorsque ces dernières se présentent, l’innovation naît alors de la capacité de la
structure à identifier des opportunités.

Le management
Les auteurs sont unanimes pour mettre en évidence l’importance du
management.

Pour McKNIGHT (PDG de 3M) : « L’innovation nécessite de déléguer des


responsabilités et de stimuler la prise d’initiatives. Ceci réclame de la tolérance. Si
vous déléguez à des gens compétents, ils vont faire les choses à leur façon. Ceci est
toujours possible si l’on respecte le sens général de développement de l’entreprise.
Les intéressés feront des erreurs, mais celles-ci seront beaucoup moins dramatiques
que les erreurs de management, notamment si les pratiques sont dictatoriales. Le
management peut être critique et destructeur, et par voie de conséquence stopper
toute initiative. Or l’innovation c’est l’initiative ».

Parmi les principaux éléments de management on citera :


– la stimulation de l’autonomie et de la responsabilisation par : la création
d’équipes autonomes et par le grand degré de liberté accordé aux équipes
pluridisciplinaires dans les choix techniques. Enfin SCHANE, affirme que, si
130 L’ingénierie de l’innovation

nécessaire, un employé doit pouvoir court-circuiter sa hiérarchie pour lever des


obstacles à une innovation,
– l’accroissement des relations interservices : c’est la principale solution en
termes de management pour assurer une synchronisation des travaux, une cohérence
dans les décisions, l’intégration produit/procédé, et, la parallélisation des tâches. Ces
relations sont à développer très tôt, en particulier entre la production, la recherche et
le marketing. Notons que plus les produits sont complexes (nombre de fonctions),
plus les équipes inter services réduisent les délais de développement,
– toutes actions visant le partage du sens de développement stimulent
l’innovation et renforcent l’esprit de groupe. Dans les entreprises innovantes, les
dirigeants veillent à démontrer que le développement est la clef du succès,
– la logique client est d’un élément clé de la conduite de l’innovation. Bien sûr,
sans cette culture il est difficile d’élaborer des activités répondant aux besoins du
client. Il est encore plus ardu de vouloir faire évoluer les activités en place au gré de
l’évolution de ces besoins. Nos observations en entreprise nous permettent encore de
préciser que la logique client lève un certain nombre de conflits internes. On innove
dans un secteur existant de l’entreprise, non pas pour pallier les carences de certains
(qui peuvent se sentir au ban des accusés) mais pour mieux servir le client.

La hiérarchie a une place importante dans le processus d’innovation. Elle peut


avoir un rôle négatif si elle fonctionne exclusivement sur le mode de la sanction.
Elle peut, au contraire, stimuler l’innovation si elle s’investit dans :
– « le coaching » (cet anglicisme est une preuve d’impuissance pour découvrir
un terme adéquat !) : l’écoute des collaborateurs, des bilans réciproques réguliers, un
dialogue approfondi, recherche de solutions aux difficultés personnelles,
– le développement personnel : mettre en œuvre des actions pour aider les
collaborateurs à gagner en compétences. C’est faire le choix de travailler avec des
gens de plus en plus qualifiés,
– la création d’un climat de confiance : en particulier en allant dans le sens d’une
réelle délégation.

Les relations entre personnes ont un impact très important puisque l’ingénierie
de l’innovation tend à supprimer et à modifier les barrières dans l’entreprise. Des
relations de qualité sont stimulantes : clarté dans les rapports, convivialité et respect.

Les valeurs
La culture et les valeurs collectives revêtent une importance notoire. Les
changements technologiques s’accompagnent toujours d’évolution culturelle
majeure. L’innovation est donc influencée par le passé collectif et agit sur la culture
résultante. CHATEAUBRIAND disait : « on ne dirige pas une nation avec des
Que font concrètement les entreprises ? 131

chiffres mais avec des songes ». La société 3M a engagé un consultant chargé de


collecter des informations et des anecdotes concernant le fameux projet Post-it. Il fut
chargé de mettre en forme l’histoire du projet et d’organiser sa diffusion à tous les
niveaux de l’entreprise. Pour stimuler l’innovation et pour créer une culture de
l’innovation les dirigeants de 3M appliquent les préceptes de CHINEN : « présenter
un fait ou une idée à quelqu’un: vous éclairerez son esprit. Racontez-lui une histoire
et vous toucherez son âme ». En racontant des histoires, en créant les bases
d’une culture interne, certains dirigeants parviennent à expliquer que l’innovation et
le changement sont les voies principales pour la survie et le développement des
entreprises.

Les rémunérations
Faut-il donner au personnel des entreprises des gratifications en fonction de
l’évolution des projets innovants ? La question ne trouve pas de réponse définitive.
La rémunération est en partie la traduction de la culture et des valeurs de l’entreprise
et de ses dirigeants.

Certains dirigeants suggèrent de ne pas distribuer de gratifications financières


individuelles sur la base des travaux réalisés dans un projet. Le caractère individuel
du salaire irait à l’encontre du développement de l’esprit d’équipe indispensable en
innovation.

De plus, des différences de rémunérations par équipes peuvent entraîner un esprit


de compétition peu compatible avec les efforts pour accroître les échanges inter
services. Notons que le contexte éminemment variable de l’innovation interdit toute
codification du système de rémunération.

Certains dirigeants affirment que les systèmes de rémunérations biaisent le


processus d’innovation en l’orientant exclusivement vers l’innovation de produits et
en excluant des initiatives risquées à forte valeur ajoutée (innovations commerciales,
organisationnelles entre autres). Pourtant certaines grandes entreprises européennes
(PSA, EDF) ont mis en place des systèmes qu’ils présentent comme des modes
d’incitation : à être créatif et à proposer des évolutions possibles.

4.9. Neuvième pratique d’ingénierie de l’innovation : un apprentissage collectif


des acteurs au fur et à mesure de l’évolution des projets doit exister

Les entreprises innovantes cherchent à donner une valeur intellectuelle collective


à toutes leurs initiatives. En d’autres termes, elles souhaitent que les projets, les
expérimentations, les investigations de toutes natures soient la source d’une
132 L’ingénierie de l’innovation

acquisition de compétences pour des groupes d’individus. Le but ultime est d’être à
l’origine de nouvelles représentations et de modes de raisonnement différents pour
les acteurs de l’innovation.

Ce domaine soulève encore de nombreuses interrogations en particulier au


niveau pratique.

L’impulsion de départ du processus d’innovation est généralement individuelle :


l’apprentissage s’inscrit donc souvent tardivement dans ce processus. Pourtant, il
s’agit d’un critère de succès fondamental, car l’appropriation d’une innovation
dépend de la compréhension et de la maîtrise par une équipe des nouvelles
connaissances correspondantes.

4.9.1. Les objectifs de l’apprentissage collectif

Une entreprise ne peut acquérir aisément une technologie qu’à condition de


disposer d’une solide culture en la matière. Les industries, qu’elles créent une
technologie ou qu’elles l’achètent, doivent produire de la connaissance au niveau
des individus et des groupes. Les entreprises innovantes cherchent à être « plus
intelligentes ». De PLATON on peut retenir entre autres, que faire des erreurs et y
réfléchir, c’est un pas vers l’intelligence. Les entreprises innovantes s’assurent donc
que leur personnel apprend à partir de ses propres initiatives, et cherche, dans ce qui
a été fait ou vécu, des éléments reproductibles, généralisables ou originaux.

« L’entreprise est une collectivité à l’intérieur de laquelle les compétences se


forgent, s’accumulent, s’affinent et se transforment. C’est un lieu où les connaissances
techniques certifiées par des diplômes, voire une expérience professionnelle
antérieure vont évoluer à la lumière de nouvelles expériences. »

On peut donc affirmer que la capacité à développer une nouvelle technologie est
directement influencée par la pertinence du processus d’apprentissage collectif dans
l’entreprise. La facilité avec laquelle un nombre important d’employés acquière un
nouveau savoir-faire suite à l’émergence d’une innovation est un critère clé de
succès. Certains experts parlent de la vitesse entre innovation et standardisation,
entre un nouveau savoir (original et discriminant sur le marché) détenu par quelques
individus et un savoir partagé.

L’apprentissage dans le domaine technologique est difficile car il est


multicompétence. Nous avons vu que l’innovation technologique reposait beaucoup
sur l’étude des liens entre différentes dimensions techniques, entre différents
acteurs... Il y a donc une dimension collective qui ne peut échapper à l’apprentissage
Que font concrètement les entreprises ? 133

associé à l’innovation. Bien connaître une technologie c’est fédérer les approches de
plusieurs experts et diffuser l’expérience ainsi acquise. Exemples : l’impact de
certaines options techniques sur le choix du réseau de distribution ou le mode de
maintenance chez le client, les conséquences d’un choix marketing sur
l’organisation du management de la qualité.

Concrètement un processus d’apprentissage collectif bien mené induit :


– des délais de développement et de lancement plus courts,
– l’atteinte d’un « rythme de croisière » en production quasi immédiate dès le
démarrage de l’activité,
– une conformité immédiate aux standards de la qualité,
– une réduction des coûts « cachés » (exemple : gestion des avoirs accordés à
des clients non satisfaits),
– une autonomie plus grande de tous les services chargés de gérer la future
activité,
– une plus grande capacité de générer de nouveaux développements à partir
d’une innovation donnée.

Précisons que dans le cas de l’innovation, les entreprises s’intéressent à


l’apprentissage de deux domaines :
– la technologie elle-même. Par exemple : une entreprise qui innove en
remplaçant des produits naturels par des produits de synthèse va axer l’apprentissage
collectif sur la synthèse chimique ou enzymatique,
– l’ingénierie de l’innovation et le pilotage de projets innovants. Une entreprise
qui a testé les approches fonctionnelles au cours d’un projet va chercher à diffuser
ces méthodes au niveau collectif.

Le but des pratiques dans ce domaine est d’aider chaque individu à comprendre
sa place dans le collectif de l’entreprise et de stimuler de manière accrue la réflexion
dans et sur l’action. Ceci permettant à chacun et au collectif d’identifier rapidement
ses erreurs, de les corriger et de mémoriser l’acquis correspondant.

4.9.2. Les tâches d’apprentissage collectif

Deux pratiques sont principalement développées dans les entreprises innovantes :


– des réunions en cours et en fin de projet (bilan de retour d’expérience). Durant
ces séances de travail, l’équipe n’aborde pas ses travaux actuels et les décisions
prises. Elle recense ce que chaque membre a appris dans le cadre de sa participation
d’une part, et ce que tous ont acquis en œuvrant pour le projet d’autre part. Une
134 L’ingénierie de l’innovation

réflexion est ensuite menée pour retenir les éléments qui ont un intérêt pour toute
l’entreprise à court et long terme. Par exemple : un nouvel algorithme d’optimisation
du procédé a été découvert, il peut concerner tous les personnels des services
méthodes et travaux neufs. Un nouveau type de contrat a été passé avec un
fournisseur, il concerne tous les futurs chefs de projets et les membres du service
achat. Ce travail de détection des acquis est suivi d’une phase de diffusion : par
formation, compagnonnage ou information (formalisée par écrit le plus souvent).
– l’existence d’un groupe de « sages » (parfois intitulé comité nouveaux
produits). Ce sont des personnes (ayant une expérience en innovation le plus
souvent) qui ont des contacts réguliers avec les chefs de projets. Ils recueillent les
retours d’expérience de ceux-ci et interviennent en conseils auprès des nouveaux
chefs de projets. Ce groupe joue donc le rôle de diffuseur des acquis de chaque
équipe-projet, c’est la mémoire active de l’entreprise en matière de gestion de projet.

4.10. Dixième pratique d’ingénierie de l’innovation : un effort de mémorisation


des savoir-faire et de l’expérience acquise est à assumer au cours des projets
passés au profit des projets en cours et futurs

« On ne peut créer sans se souvenir » écrit de très belle façon BIENAYME.


Notre neuvième pratique porte sur cet aspect.

L’entreprise en innovant, tente de nouvelles approches, teste de nouveaux


composants, rencontre de nouveaux interlocuteurs, trouve de nouvelles solutions
techniques ou organisationnelles... Elle accumule donc des ressources dont toutes ne
sont pas valorisables immédiatement. Certaines sont intégrées dans le projet en
cours et deviennent par exemple des savoir-faire de base pour la nouvelle activité
(exemple : l’usinage d’un nouveau matériau ou la manière d’optimiser un
composant). D’autres sont de l’ordre d’une expérience acquise et ne servent que
durant la phase de mise au point (exemple : une nouvelle façon de tester la fiabilité
d’un fournisseur ou la manière de faire une étude de marché dans le secteur du
médical) : elles ne sont plus mobilisées en phase d’exploitation. L’entreprise, sous la
contrainte du court terme, risque de perdre cet acquis qui a une valeur industrielle
indéniable et pour lequel elle a déjà investi.

4.10.1. Les objectifs de la mémorisation des compétences

Une source de performances consiste donc à disposer d’un mode de


capitalisation des expériences acquises. L’objectif premier est alors d’ajouter à la
valeur créée dans le cadre du projet une source de valeur supplémentaire (utiliser les
Que font concrètement les entreprises ? 135

acquis dans d’autres projets ou les vendre). Ceci fait partie des mécanismes
importants pour l’entreprise innovante.

Le second objectif est d’ordre cognitif. On va chercher à se servir du passé pour


stimuler la créativité future, à réutiliser des travaux et à éviter de réinventer ce qui
est acquis.

On peut distinguer quatre effets majeurs pour un système de capitalisation :


– pouvoir réutiliser des résultats déjà obtenus lors de précédents projets:
notamment des résultats d’essais, les coordonnées d’un expert dans un domaine, des
conseils prodigués par un spécialiste, des documents techniques tels que des plans...
– éviter des surcoûts dus à une redondance dans les travaux. Ainsi, il n’est pas
rare de constater que des plans de pièces sont établis pour un projet et totalement
repris quelques mois plus tard dans un autre contexte. On peut encore contacter un
fournisseur déjà éliminé lors d’une précédente consultation pour un critère qui le
rend rédhibitoire. Des calculs d’optimisation financière sont souvent établis en
plusieurs exemplaires,
– élargir les références des groupes de travail en particulier dans les phases de
recherche de solutions. Il s’agit là de stimuler la créativité par des analogies. Ne
peut-on pas reprendre le mode de raisonnement d’une équipe-projet qui, pour un tout
autre produit, a réussi à diminuer le nombre de sous-ensembles de son installation ;
– créer une fonction de vente de savoir-faire (par gestion d’un portefeuille de
propriété industrielle ou par des activités de conseils). L’entreprise qui sait, par
exemple, dimensionner certains sous-ensembles pour ces installations disposent
d’une base pour lancer des activités d’ingénierie de préférence dans des secteurs non
concurrents.

Bien sûr l’innovation réside dans la nouveauté, et le présent doit aussi se


construire à la lumière du futur. On peut donc s’interroger sur la limitation des
capacités créatrices d’une équipe qui ferait par trop référence aux expériences
passées. De plus, notons que certains experts considèrent qu’au sens strict du terme,
la mémorisation est « juste postérieure » à l’innovation.

4.10.2. Les tâches de mémorisation des compétences

La capitalisation porte sur différents éléments :


– des données techniques: on stocke des informations sur les caractéristiques des
produits, sur les matériaux, etc.,
– des méthodes de résolutions de problèmes : à savoir des algorithmes de calcul,
136 L’ingénierie de l’innovation

– des résultats d’essais,


– des informations sur des fournisseurs et des clients,
– des comparatifs vis-à-vis de la concurrence,
– des données sur les risques encourus sur des projets précédents,
– des données sur les liens entre une évolution technique du produit et le process
correspondant.

Les données ont un caractère « métier ». Ce sont moins des données scientifiques
et techniques de base que des informations spécifiques à l’entreprise et à sa
technologie. On retrouve là une partie des savoir-faire caractéristiques de la structure.
Exemple : les limites possibles pour certaines caractéristiques de production dans
une entreprise de traitement de surface (taille des pièces pouvant être traitées en
fonction de la régularité du traitement obtenu).

Cette liste non exhaustive montre l’étendue du champ d’application de cette


fonction mémoire et conduit à s’interroger sur l’ergonomie d’un tel système. On
trouve dans les entreprises diverses formes de capitalisation. Des supports papier
sont stockés et classés : comme des plans, des comptes rendus d’essais. Des bases de
données informatiques associées à des logiciels de gestion documentaire sont aussi
développées. On rencontre également des réseaux intranet ainsi que des systèmes
experts. On peut également placer dans cette liste la mémoire des individus ! Nous
ne pouvons détailler ici toutes les formes existantes.

En termes d’activités la mémorisation des expériences acquises implique :


– la collecte de l’information : celle-ci fait souvent l’objet de procédures
formelles dans les entreprises innovantes. En effet, l’intérêt à long terme de la
capitalisation (enjeu global de l’entreprise) s’oppose aux activités sous contraintes
des équipes projet. Ainsi, dans certaines entreprises innovantes, un prototype ne peut
être fabriqué ou une formulation testée qu’à condition que le service qualité valide
les documents correspondants présents dans la base collective (plan dans un cas,
gamme de production dans l’autre),
– la codification, la classification de l’information : diverses approches
mathématiques sont développées pour codifier et classer les données : technologie
de groupe, réseaux neuronaux... des logiciels de codification automatique sont
disponibles sur le marché. De manière plus simple mais aussi plus modeste, de
nombreuses sociétés adoptent des systèmes de classification basés sur
l’identification des clients des projets et des dates de réalisation. Ces approches
permettent difficilement l’utilisation ultérieure de moteurs de recherche puissants et
limitent donc les tâches de réutilisation,
Que font concrètement les entreprises ? 137

– la saisie : elle se fait par du personnel spécifique (cas de certains grands


groupes) mais le plus souvent c’est le chargé d’étude qui assure la saisie de ces
données,
– la mise à jour : là encore il est fait appel à des procédures formelles. Dans le
domaine des industries de procédés, toute modification de l’installation n’est
autorisée qu’après mise à jour de la base documentaire,
– la promotion de son utilisation : par des formations, des rappels, les chefs de
projets sont chargés de rappeler l’importance des recherches dans les bases de
données collectives en cours d’étude.

4.10.3. Les outils de mémorisation des compétences

Des nombreux outils logiciels spécifiques existent et une offre commerciale est
disponible dans ce domaine. Ces outils sont plus ou moins performants en fonction :
– du domaine technique : chimie, mécanique, agroalimentaire, etc.,
– du nombre de dossiers à capitaliser,
– du nombre d’utilisateurs,
– de la diversité des familles d’information à saisir (textes, documents
techniques, plans…),
– des fonctions attendues : moteur de recherche, codification automatique…

4.11. Onzième pratique d’ingénierie de l’innovation : les tâches de veille (veille


technologique, veille méthodologique et managériale, intelligence économique)
sont à organiser afin d’ouvrir l’entreprise sur l’extérieur

On considère souvent l’entreprise comme un système fortement influencé par les


signaux en provenance de son environnement. Sa survie, sa croissance, et son
développement sont facilités lorsqu’il existe une fonction de surveillance de cet
environnement. Précisons que de nombreux termes sont utilisés dans la littérature :
veille technologique, veille concurrentielle, intelligence économique... Nous
opterons pour ce premier terme du fait de son usage plus étendu (notre définition
très précise du terme technologie nous semble éliminer toute ambiguïté sur la notion
de veille).

4.11.1. Les objectifs de la veille

Connaître le plus tôt possible les évolutions du contexte technologique, social,


économique, permet de disposer de davantage de temps pour réagir et anticiper : en
138 L’ingénierie de l’innovation

ce sens, cette onzième pratique se rapporte au facteur clé de succès lié à une
stratégie claire. La veille apparaît donc clairement comme une opération structurante
de la réflexion stratégique.

Mais elle ne concerne pas uniquement cette activité de veille stratégique, elle
aborde également l’ouverture de l’entreprise sur l’extérieur. Les tâches de vigie
influencent les préoccupations individuelles et collectives et donc la culture interne.
Ces deux aspects de la veille technologique sont prioritaires.

De plus, parce qu’elle se caractérise par un flux important d’informations de


l’environnement vers l’entreprise, parce que la collecte se fait souvent par
confrontation à des événements ou des acteurs extérieurs, la veille technologique
devient une véritable ouverture de l’entreprise vers l’environnement. L’entreprise
innovante ne peut restreindre son champ d’action au seul périmètre de ses murs où
elle développe ses propres schémas d’analyse. Elle doit se soumettre à la critique et
à des comparaisons. Elle doit se préparer à d’autres contextes en observant d’autres
cultures, d’autres modes d’actions et de pensée. Il s’agit d’un changement profond
dans l’horizon des préoccupations individuelles. L’autocensure se trouve réduite, le
champ des possibles s’étend lors des phases de recherche de solutions. Celui-ci peut
constituer une véritable opportunité de développement des individus et de
l’entreprise. Mais ce phénomène n’est pas sans risques : augmentation des
revendications, crainte des légalistes, fuite de savoir-faire... Un lien étroit existe
entre veille technologique et gestion des compétences et des comportements.

La veille technologique conduit à :


– rendre les individus plus créatifs : par comparaison, analogie, copie... le
personnel va avoir des propositions d’évolution à formuler. Il va donc faire
l’apprentissage de l’innovation et de la créativité, aller au-delà de l’optimisation,
– faire évoluer la culture interne : un exemple classique est un changement de
mentalité dans les PME à savoir-faire traditionnel. La culture initiale, fédérant les
hommes est la fierté de maîtriser un processus et d’être très bon techniquement. La
veille technologique induit un souhait mobilisateur d’être les « artisans du futur »,
les spécialistes d’un domaine spécifique et « pointu » au service de produits
modernes. On constate donc que la veille technologique peut donner le goût du
futur, de l’avenir,
– savoir détecter les opportunités dans les situations de crise: l’étude de
l’environnement permet de découvrir de nombreux cas d’entreprises qui ont su saisir
une opportunité dans une situation difficile, leur permettant de se développer à
l’inverse de leurs concurrents. Le personnel peut découvrir ces exemples en réalisant
la veille. Il voit alors sa capacité d’analyse stimulée, et peut plus facilement être
Que font concrètement les entreprises ? 139

mobilisé par des approches cherchant à déterminer des éléments favorables dans des
situations menaçantes,
– faire comprendre que le changement est à la base du développement (et de la
survie) : là encore ce sont des exemples industriels extérieurs qui stimulent cette
culture du changement,
– développer de nouveaux raisonnements: le personnel de l’entreprise adopte, de
par sa formation et son expérience, des modes de raisonnement et des méthodes de
traitement des données. Or nous avons vu que l’innovation consiste en particulier à
changer de règles. La veille technologique peut stimuler l’innovation en faisant
découvrir de nouveaux modes de raisonnement au personnel. C’est une façon de
créer de nouveaux référentiels. Nous citerons à titre d’exemple, le cas de la
conception à coût objectif qui représente une forte évolution des pratiques pour les
ingénieurs des entreprises qui décident de son adoption : considérer le coût du futur
produit comme une donnée de départ et non plus comme la résultante économique
des choix techniques,
– suivre une logique client : La veille technologique est une voie de
renforcement de la culture orientée clients. En intégrant très tôt dans le processus
d’innovation, des informations concernant les utilisateurs (collecte de données,
visites, réunions de travail…), les acteurs de l’innovation seront davantage soucieux
de l’adéquation produit/besoin et conscients de l’impact possible de leur innovation
sur l’organisation interne de leurs acheteurs.

4.11.2. Les tâches de veille

La technologie étant constituée de connaissances scientifiques et techniques,


mais aussi connexes, la veille technologique couvre un large spectre d’informations
collectées et transmises en interne :
– information scientifique,
– évolution des marchés,
– évolution de l’économie,
– évolution culturelle,
– évolution des méthodologies de conduite de projet,
– évolution des méthodologies de pilotage et de gestion de la production,
– émergence de nouveaux modes d’organisation, de techniques de management.

La veille technologique se rapporte plus généralement aux informations de la


liste ci-dessus disponibles dans les domaines suivants :
– la clientèle,
140 L’ingénierie de l’innovation

– les fournisseurs,
– les concurrents directs (même produit et même marché),
– les intrants potentiels : entreprises ayant les mêmes savoir-faire mais
n’élaborant pas (encore ?) les mêmes produits ou ne se situant pas sur le même
marché,
– les industries de substitution : entreprises ayant des savoir-faire très différents
mais ayant la capacité de proposer un produit pouvant se substituer à celui de
l’entreprise (fonctions identiques),
– les experts internes et externes (centres de recherches, centres techniques).

Le domaine de surveillance couvert par la veille est donc très vaste. On


rappellera encore que l’innovation étant un domaine d’opportunités à conquérir, les
données d’ordre stratégique sont essentielles (Une PME pressant des CD audio s’est
lancée la première dans les CD Rom informatiques enregistrables en constatant
l’investissement des grandes multinationales dans les technologies de gravage et leur
souhait de renouveler en matière de supports informatiques).

Concrètement, les activités de la veille technologique sont nombreuses et leur


mise en place nécessite une décision stratégique claire car, même menées de
manière diffuse, elles représentent une charge pour l’entreprise.

La Direction doit tout d’abord cibler les thématiques étudiées : domaine


technologique, branche industrielle... La PME a rarement les moyens d’une veille
très étendue. Ces thèmes doivent évoluer dans le temps en évitant les études trop
superficielles. On notera que les personnes impliquées deviennent de plus en plus
sensibles aux informations externes et, de ce fait, étendent de manière autonome
leurs prérogatives de veille.

Dans les entreprises innovantes (à l’exception des multinationales), le travail de


collecte est souvent réparti entre plusieurs personnes car l’entreprise et surtout la
PME est rarement en mesure de supporter un service permanent et à temps plein.
Les mandats doivent être précis (domaine étudié), ce qui n’empêche pas les
échanges d’informations. Ceux-ci sont facilités si la Direction fait savoir en interne
les domaines de veille qu’elle a délégués. Ce mode de répartition permet des
économies d’échelle. Par exemple, un commercial assume ses tâches de vente et
conserve du temps pour questionner de manière précise le client sur les prestations
de la concurrence.

Les données doivent être collectées, voire centralisées. La collecte se fait grâce à
des moteurs de recherche sur Internet, par lecture de revues scientifiques et
techniques, de la presse (plus ou moins spécialisée), par une présence dans des
Que font concrètement les entreprises ? 141

colloques ou des salons professionnels, participation à des associations, par la


rencontre d’experts... La centralisation de l’information peut se faire par des moyens
sophistiqués (intranet par exemple) ou de simples réunions. En PME, la
centralisation est souvent assumée par le dirigeant.

Il convient de vérifier régulièrement la qualité de l’information afin de modifier


le mode de collecte, les sources, pour éviter les erreurs d’interprétation (et donc les
mauvaises stratégies), et identifier d’éventuelles incompétences du personnel dans
ses tâches de vigie. La qualité dans ce domaine est souvent assurée par le biais de
redondance : deux acteurs cherchent la même information.

L’information doit être classée et mémorisée. Ce qui est difficile et rarement


organisé en PME. Le système repose sur la mémoire des individus. Dans les grandes
entreprises de véritables bases de données adossées à de puissants moteurs de
recherche sont créées. Notons que certaines collectivités territoriales mettent à la
disposition des entreprises des outils performants en service partagé. La Région
Lorraine investit dans un système de vigie appelée Décilor par exemple.

La dernière étape concerne le traitement des données par le biais de méthodes


structurantes telles que les outils de la prospective ou par des débats au cours de
réunions. Dans une entreprise du secteur des cosmétiques, chaque cadre rédige
mensuellement un résumé de ses lectures, ces notes sont distribuées une semaine
avant une réunion de confrontation des informations issues de la veille. On constate
que la pratique des réunions inter services pour analyser les résultats de la collecte
est encore très peu répandue. Enfin précisons que le traitement fait appel à des
démarches cognitives diverses : l’analogie par exemple. Exemple : une autre société
investit dans la découpe au jet d’eau, quel atout concurrentiel, quel accroissement de
valeur pourrais-je attendre d’un investissement identique ?

On peut alors parler à ce stade d’idées en émergence à intégrer dans la stratégie


de l’entreprise, dans ses plans d’actions globaux et dans ses décisions propres à
chaque projet. Notons que le passage entre une opportunités issue de la veille à une
action stratégique formalisée est souvent difficile. Cette formalisation nécessite un
engagement fort de la Direction.

4.11.3. Les outils de veille

Nous ne ferons pas ici de longs développements sur les outils de la veille. Leur
nombre est particulièrement important.

On distinguera les outils de :


142 L’ingénierie de l’innovation

– collecte d’informations. Il peut s’agir de fiches papier consignant différentes


rubriques que la personne sera chargée de renseigner. Ce système est par exemple
utilisé par des entreprises envoyant des employés sur des salons professionnels. La
collecte peut également reposer sur des équipements informatiques et sur internet.
De très nombreux moteurs de recherche sont disponibles sur le marché. Notons que
certains logiciels permettent des recherches complexes par exemple en abordant la
recherche de couple problème-solution,
– traitement de données : là encore des solutions logiciels existent qui permettent
d’obtenir plus rapidement des résumés de textes, des regroupements d’information
selon des critères sémantiques, des statistiques de type bibliométriques. Des
démarches plus complexes sont aussi proposées dans le domaine de la prospective.
Il s’agit de valoriser les données issues de la veille pour décrire des scénarios
possibles sur l’évolution technologique.

4.12. Douzième pratique de l’ingénierie de l’innovation : la Direction doit gérer


les réseaux dans lesquels est intégrée l’entreprise

On constate un développement très important des actions de partenariat entre


entreprises innovantes. En effet, la technologie est trop complexe pour être conçue
par une seule entité, surtout quand celle-ci tend vers une spécialisation croissante.
Ce phénomène touche en particulier les PME qui trouvent là une solution à la
faiblesse de leurs ressources. Précisons que quelques opinions opposées s’expriment
parfois : une « vraie » innovation ne se partage pas !

Bien sûr, ce mode de fonctionnement n’est pas spécifique à notre domaine. Nous
nous intéressons ici aux réseaux concernés par l’innovation sachant qu’il en existe
une grande variété : réseau de production, logistique, commerciaux...

4.12.1. Les objectifs de la gestion des réseaux

Il existe un lien entre la nature des réseaux et les objectifs attendus par les
entreprises participantes.

Certains réseaux associent uniquement des entreprises. Pour d’autres, la nature


des partenaires est plus diversifiée (présence de centre de recherche par exemple).

Le partenariat purement industriel peut impliquer un nombre plus ou moins


important d’entreprises et l’intensité des relations est également variable. On
observe des relations de sous-traitance jusqu’à des interconnexions fortes amenant à
parler d’entreprise réseau. Ces réseaux sont constitués de PME, ou de PME
Que font concrètement les entreprises ? 143

associées à un ou plusieurs grands groupes ou de grands groupes. Ils sont plus ou


moins imbriqués les uns par rapport aux autres. BILLAUDOT décrit les réseaux
dans un tableau à deux axes (figure 4.7.).

Dans les années 1970, on a assisté à l’émergence de structures fordistes où des


donneurs d’ordre déléguaient la production à des sous-traitants dits de capacité. Puis
dans les années 1990, de nouvelles procédures sont apparues: partenariats plus
étroits, prise de risques partagée. L’avenir va-t-il vers des réseaux où l’on fait
davantage de co-conception, de cofinancement... dans le processus d’innovation ? ou
bien va-t-on vers une incorporation des sous-traitants par les grands groupes ? La
pérennité de cette situation est également incertaine : « le réseau est-il une solution
de crise ou à la crise ? ».

degré d'indépendance du client


au niveau de ses
achats
fort entreprise
réseau réseau à
d'entreprises intégration
complète
(logistique,
conception...)

faible fort
degré d'autorité
du donneur
d'ordre
réseau
structure dépendant
fordiste

faible

Figure 4.7. L’évolution des réseaux d’entreprise et le degré


d’indépendance vis-à-vis des donneurs (d’après BILLAUDOT)

On distingue encore des réseaux :


– à signaux forts : ce sont ceux qui se caractérisent par une forte proximité entre
les dirigeants et les autres membres du réseau. Les amis, quelques autres dirigeants,
des conseillers tels qu’un comptable appartiennent à ces réseaux. Une forte
dépendance existe entre les dirigeants et ces acteurs extérieurs, en particulier en
matière de décisions,
144 L’ingénierie de l’innovation

– à signaux faibles : ce sont ceux qui rassemblent davantage de personnes mais


se caractérisent par une fréquence de contacts plus faibles. Un chercheur, le
directeur du lycée technique adressant des stagiaires, les membres d’un club
appartiennent à ces réseaux.

Ce sont ces derniers qui ont le plus d’importance en termes d’innovation. Plus
précisément c’est là que le dirigeant (ou le cadre) sera le plus souvent confronté à
une situation ou à une information qui peut impulser le processus d’innovation. En
effet, de nombreuses informations circulent au sein de ces entités plus ou moins
formelles. De plus, les enjeux entre membres des réseaux à signaux faibles sont
moins prégnants (moins de rétention).

La création de réseaux répond à des objectifs divers. Les dirigeants de PME


innovantes s’impliquent dans des réseaux afin de combler une carence de
compétences ou parce qu’ils trouvent ainsi un produit (intermédiaire) ou une
prestation moins chère et de meilleure qualité. Certains réseaux permettent de
rapprocher toutes sortes de ressources (compétences, matières premières, finances,
équipement...), d’établir un climat de confiance chez les partenaires, de réduire les
coûts d’obtention de l’information, de diminuer l’incertitude.

En matière innovation, on peut distinguer suivant des critères stratégiques, les


réseaux qui portent sur :
– un projet donné : le réseau n’existe que parce qu’il y a un projet qui se
construit. C’est le futur résultat qui crée le réseau. Deux entreprises s’associent dès
les phases amont du lancement d’une activité innovante,
– la mise en commun de ressources : on citera les entreprises qui partagent des
cadres, qui s’échangent des informations, qui montent et suivent des programmes de
formation, co-investissent dans des logiciels de conception...
– la réalisation de tâches en commun : certaines sociétés innovantes s’associent à
des partenaires par exemple dans la distribution du futur produit. Elles assurent
elles-mêmes la vente sur leurs marchés traditionnels et s’appuient sur d’autres pour
étendre les débouchés,
– la formalisation de problèmes industriels : certains spécialistes insistent sur
l’importance des relations étroites entre l’entreprise et des experts extérieurs dans la
clarification des problèmes à résoudre, dans le ciblage des tâches de mise au point.
Un dirigeant de PME interrogé sur le point fort de sa société répondait récemment:
« un groupe d’universitaires répondant à mes questions bizarres » !
– la coconception : les sociétés unissent leurs forces d’études pour créer une
activité. On estime que sur les 30 dernières années aux Etats-Unis, le taux de survie
des activités co-conçues est de 57 % contre 39 % pour les projets sans partenariat.
Que font concrètement les entreprises ? 145

Notons encore que l’innovation en réseau façonne le réseau lui-même, et modifie


les relations entre les partenaires. L’innovation peut, entre autres, entraîner une
augmentation des commandes entre partenaires, augmenter les exigences du donneur
d’ordre (s’il existe), modifier la place ou imposer le départ d’un membre (entre
autres pour cause d’obsolescence technologique). Le changement technologique
s’accélérant, le réseau est soumis à de fortes variations. Des situations difficiles se
présentent alors: que faire d’une activité rentable initiée avec un réseau dont certains
partenaires sont devenus technologiquement obsolètes ?

Enfin, précisons qu’au même titre que la veille technologique, le travail en


réseau à un impact important sur les aptitudes et comportements du personnel.
Il s’agit là encore d’une forme d’ouverture du système industriel sur son
environnement.

4.12.2. Les tâches de gestion des réseaux

L’entreprise innovante dépend de plus en plus de réseaux pour son propre


développement. Ce double jeu de motricité/dépendance réclame une véritable
fonction de gestion des principaux réseaux. Les entreprises innovantes disposent
alors d’un véritable système permettant de :
– s’auto-évaluer : il s’agit de faire un audit faisant apparaître les atouts (que peut
apporter l’entreprise à un réseau, quelle est sa force de négociation ?) et les
faiblesses (que doit trouver l’entreprise dans l’environnement pour compléter ses
activités, comment se protéger ?). Ces tâches sont assumées par la Direction,
– explorer : chercher des entreprises et des structures qui pourraient répondre
aux besoins de collaboration. Ces tâches sont assumées par la Direction ou par
délégation à des cadres,
– faire la connaissance de partenaires préalablement sélectionnés : il s’agit d’un
travail de rencontre, participation à des club, ou à des manifestations, collecte
d’informations… Plusieurs personnes différentes (exemple : le dirigeant, le
responsable production et celui des achats) sont en général chargées de contacter les
partenaires potentiels importants afin d’obtenir une appréciation complète,
– élaborer un cadre contractuel de partenariat : en faisant appel à des experts
juridiques le plus souvent,
– faire le suivi des collaborations : un cadre (ou le dirigeant lui-même) est
missionné pour superviser les relations avec un partenaire donné. Il effectue un suivi
des échanges et vérifie régulièrement que ceux-ci sont conformes au cadre
contractuel,
146 L’ingénierie de l’innovation

– évaluer la création de valeur du partenariat : des indicateurs doivent permettre


de mesurer effectivement le gain induit par le réseau (voir la liste des critères de
mesure de la valeur),
– préparer d’éventuelles dissolutions de réseaux : cette tâche est dévolue
généralement à la Direction.

L’aspect contractuel de la gestion des réseaux apparaît fondamentale même si de


nombreuses PME préfèrent l’informel et reprochent aux grands groupes leur
bureaucratie et leur trop grande rigueur dans le domaine de la propriété industrielle.

Selon l’importance stratégique du partenariat la gestion du réseau relève de la


Direction ou de l’encadrement directement concerné. Le partage d’un nouveau
savoir-faire technique sera assuré par la Direction, tandis que le responsable de la
recherche ou du développement gérera un réseau de conseillers techniques.

4.12.3. Les outils de gestion des réseaux

On ne peut parler d’outils de gestion de réseaux en tant que tel. Notons toutefois
que l’on peut utiliser les outils de diagnostic stratégique pour s’auto-évaluer mais
aussi pour faire émerger des complémentarités utiles et donc identifier le profil idéal
du partenaire.

Citons le cas des chaînes de valeur de Porter. Elles permettent d’identifier les
caractéristiques de l’entreprise en matière de logistique amont, production,
logistique aval, commercialisation et services connexes. De la même manière elles
permettent de préciser les « maillons » à enrichir dans cette chaîne et donc d’en
déduire un cahier des charges du partenaire souhaité. Ce partenaire aura pour rôle de
s’insérer dans la chaîne de valeur de l’entreprise.

De même, il existe de nombreuses grilles d’audit technologique dans la


littérature : le test d’excellence technologique de Morin par exemple. On peut
« détourner » ces outils de leur rôle d’évaluation pour obtenir une trame descriptive
de la technologie attendue de la part d’un partenaire.

Le test d’excellence technologique sert alors de plan pour le cahier des charges
du partenaire idéal. Nous avons par exemple procéder de la sorte pour trouver un
partenaire fabricant pour un centre de recherche ayant mis au point la formulation
d’un nouveau produit laitier.
Que font concrètement les entreprises ? 147

4.13. Treizième pratique d’ingénierie de l’innovation : une collecte permanente


des idées nouvelles issues de la recherche, du marketing ou de propositions du
personnel est nécessaire pour faire émerger de futurs projets.

La matière première la plus recherchée en innovation est représentée par l’idée.


Mais stimuler sa production est éminemment aléatoire. Au départ de l’innovation, il
y a toujours une inspiration d’un membre de l’entreprise ou un signal extérieur :
demande originale d’un client, technique en émergence dans l’environnement. Cette
treizième pratique touche à la production en interne de ces idées, elle vient
compléter les tâches de vigie (pratique onze).

4.13.1. Les objectifs de la production d’idées

Il est souvent considéré qu’être innovant c’est être créatif. Toutefois certains
experts notent qu’il est parfois plus rentable d’être curieux et observateur que
créatif.

Généraliser la production d’idées peut créer un état d’esprit tourné vers le


progrès continu. L’objectif est de pérenniser le processus d’innovation, et d’éviter de
fonctionner par à coup, par une succession de projets disjoints dans le temps.

Notons toutefois que structurer le domaine de la production d’idées présente le


risque de renforcer des pouvoirs individuels et des référentiels par trop consensuels.

4.13.2. Les tâches de production d’idées

Dans les entreprises innovantes, on identifie généralement trois sources internes


d’idées :
– la recherche dont c’est une mission explicite,
– le service marketing, de par son accès privilégié aux besoins du client (quand il
existe la fonction marketing en PME est parfois répartie entre le commercial et la
direction),
– l’ensemble du personnel (la participation peut être stimulée à tout niveau).

Faire émerger des idées par la recherche


La recherche peut être purement interne ou menée avec des partenaires
industriels ou institutionnels. Elle porte en général sur de nouveaux produits et
processus, plus rarement sur les autres dimensions de la technologie. Elle rentre dans
148 L’ingénierie de l’innovation

un cadre contractuel (propriété intellectuelle) très strict lorsqu’elle sort des limites
de l’entreprise.

La recherche pose le problème de sa programmation, de sa rentabilité et de sa


productivité. On citera le slogan très provocateur de VON BRAUN : « 50 % de vos
dépenses de R&D sont utiles... mais je ne sais pas lesquelles ».

En termes de programmation de la recherche (choix des thèmes), de nombreux


cas de figures existent en fonction de la taille des entreprises. Les entreprises
tiennent compte de leur stratégie (exemple : si la stratégie porte sur les coûts,
elle recherchera des procédés de production moins chers), des résultats de la
veille technologique (exemple : l’émergence d’une technologie telle que la
stéréophotolithographie peut conduire à une réflexion dans les entreprises de
prototypage classiques), des sollicitations des clients et des partenaires et enfin des
propositions des chercheurs eux-mêmes. Les grandes orientations de la recherche
relèvent clairement des responsabilités de la Direction. VON BRAUN considère que
beaucoup de dirigeants font preuve d’énormément de désinvolture dans ce domaine.

Pour être un bon mode de production d’idées et de concepts industriels, la


recherche doit être :
– intégrée au fonctionnement global de l’entreprise (donner une place aux
chercheurs dans les équipes-projets par exemple),
– gérée en considérant les connaissances clés pour le personnel (gérer le lien
avec la gestion des compétences : l’émergence d’un nouveau concept de produit doit
déclencher un travail d’acquisition des compétences associées pour le personnel),
– orientée vers le long terme (préparation d’une mutation technique par
exemple),
– spécialisée.

Le pilotage de la recherche dans les entreprises innovantes pose le problème de


l’évaluation. Celle-ci s’avère souvent aléatoire. Les méthodes d’évaluation suivantes
sont parmi les plus usitées:
– quantitatives et objectives : elles permettent de mesurer la valeur des biens
issus des activités de recherche (nombre de brevets exploités, nombre de nouveaux
produits lancés, bénéfices tirés des innovations issues de la recherche/coûts de la
R&D, bénéfices tirés des innovations issues de la recherche/bénéfices totaux...). Il
est encore possible de mesurer les efforts de recherche (nombre de chercheurs,
budget recherche total...),
– quantitatives et subjectives : des personnes en interne et/ou des auditeurs
externes fixent des items (exemples : nombre de chercheurs par thématique, nombre
Que font concrètement les entreprises ? 149

de partenariats externes) et remplissent des fiches d’évaluation. On se base sur des


comparaisons avec d’autres structures, sur des analyses à posteriori. Elles sont
utilisées en recherche appliquée et en développement de produits,
– qualitatifs et subjectifs : il s’agit d’évaluation d’experts indépendants, d’auto
bilan ou de bilan de groupe. Elles sont utiles pour des recherches de base.
Exemples : qualité des équipements de mesure, pertinence des modèles utilisés,
expertise internationale.

Une bonne évaluation semble passer par leur utilisation conjointe.

Faire émerger des idées par le marketing


Une autre voie de production d’idées réside dans les analyses marketing. Il s’agit
d’un aspect connu: le marketing identifie les besoins des clients et en déduit
d’éventuelles nouvelles activités pour satisfaire un besoin qui ne l’est peu ou pas.
Généralement, le service marketing génère des idées et assure les pré-études.
Ensuite les idées validées font l’objet du lancement d’un projet après accord de la
Direction. Parfois, l’analyse des données brutes collectées par le service marketing
est immédiatement effectuée par des équipes interservices. Ce sont donc ces
dernières qui génèrent les idées.

Il s’agit là d’approches très développées dans les entreprises innovantes. Notons


toutefois que si le marketing est le seul producteur d’idées, l’entreprise peut être
confrontée à une obsolescence technique (arrivée d’un nouveau concurrent qui se
lance sur la base d’une nouveauté scientifique).

Impulser des idées grâce à l’ensemble du personnel


Une troisième voie réside dans la force de proposition de l’ensemble du
personnel. Les entreprises attestent de nombreuses formes de système de collecte
d’idées. On citera entre autres :
– les concours annuels d’idées avec remise de prix à l’équipe ou au service à
l’origine de la proposition,
– la collecte permanente de propositions (boîte à idées par exemple) et l’analyse
par un comité se réunissant à une fréquence fixe,
– les réunions de type Kaysen ou Démérites.
Les résultats sont souvent intéressants en termes d’optimisation du fonctionnement
interne mais modestes en termes de pistes de développement à fort potentiel
économique. Les limites sont :
– l’originalité de l’opération fait très vite place à un scepticisme et un désintérêt
du personnel,
150 L’ingénierie de l’innovation

– une grande frustration pour tous ceux dont les propositions ne sont pas
retenues (essentiellement pour une inadéquation avec les orientations stratégiques de
base),
– pas ou peu de pistes impliquant des technologies inconnues de la direction,
– beaucoup de propositions dont la généralisation à tous les sites de production
n’est pas possible.

Il apparaît que mettre en place un système de collecte d’idées nécessite une


conception minutieuse. Ce système doit être évolutif dans le temps : il peut ainsi
alterner les consultations générales et les questionnements sur des sujets ciblés. Le
mode de reconnaissance de l’auteur est également à intégrer à la démarche. Enfin la
sélection des idées doit être faite dans des délais très courts et une communication
régulière entre les proposants et les jurys de sélection est indispensable. Enfin, nous
avons rarement observé de cas où la Direction sollicite des idées sur un thème précis
porteur d’innovation (combien d’entreprises alimentaires ont mobilisé leur personnel
pour la recherche de nouvelle recette pour un type donné de client ?).

Organiser la confrontation des idées


Il est évidemment impossible de parler a priori d’une bonne idée. Celle-ci se
révélera porteuse de valeur après de nombreux développements et suite au
lancement de l’activité correspondante. Mais au stade de la production des idées les
entreprises innovantes ont le souci de disposer de concepts « prêt à passer en
projet ». Dit différemment : l’idée doit évoluer entre le moment où elle est exprimée
et le moment où l’on décide d’y consacrer des moyens de développement.

L’un des moyens de faire évoluer l’idée, de « l’améliorer », consiste à la


confronter à différents avis. Les opinions enrichissent les idées lorsqu’elles sont
basées sur des expériences diverses. Les entreprises innovantes soumettent donc
leurs idées récentes à des personnels de divers services internes et à des experts
extérieurs. Elles gèrent donc le processus de maturation.

Deux risques (à prendre ?) sont inhérents à ces pratiques : un problème de


confidentialité peut être à l’origine d’une diffusion extérieure prématurée. Les
personnes sollicitées peuvent adopter une attitude conservatrice et créaticide.

4.13.3. Les outils de production d’idées

Les outils de production d’idées peuvent être classés en première analyse en trois
catégories :
– les outils de créativité de groupes : on utilise des systèmes permettant de
stimuler l’expression de nouveaux concepts au sein d’un groupe de personnes. Le
Que font concrètement les entreprises ? 151

Brainstorming est le plus connu. Il en existe bien d’autres (matrice des découvertes,
méthode des scénarios…) qui chacun organise le travail selon des principes de
stimulation cognitive. On cherche en fait à modifier les représentations individuelles
des « objets » et à multiplier les modes de raisonnement. La matrice des découvertes
par exemple, repose sur une logique combinatoire (que peut-il se passer de nouveau
à l’intersection de la variable en ligne et de la variable en colonne de la matrice).
L’utilisation de ces outils réclame une organisation en groupes de réflexion,
– les outils de libre expression : ces outils sont disponibles à tout moment pour
des individus et des groupes. Ils permettent essentiellement de faciliter l’acte de
collecte et une éventuelle diffusion dans l’entreprise. On compte entre autres dans
cette catégorie la fameuse boîte à idées ainsi que des panneaux basés sur une
communication visuelle,
– les outils issus des théories sur l’invention. Les plus connus et utilisés par les
entreprises innovantes sont les outils liés à Triz. On se reportera au dernier chapitre
pour plus de détails. Mais précisons que ces outils servent essentiellement à faire
émerger de nouvelles idées dans le domaine technique après une aide à la
formulation des problèmes. Des logiciels sont disponibles sur le marché.

4.14. Synthèse

Treize pratiques de base, treize catégories de conseils pour mettre en place


l’innovation en continu : voilà la synthèse de ce chapitre.

On rappellera que l’ingénierie de l’innovation que nous proposons a


essentiellement des visées sur :
– les organisations,
– les méthodologies de travail individuelles ou collectives.

Son impact principal se situe au niveau des compétences et des comportements


des femmes, des hommes et des équipes sollicitées.

Mais elle ne se limite pas à un processus de transformation des compétences.


Cette ingénierie concerne aussi l’action et les actes générateurs de nouveauté.

4.15. Bibliographie

AMIDON D., Innovation et management des connaissances, Paris : Editions d’organisation,


2001
BLOCH A., De l’idée au marché, Paris : Vital Roux-Vuibert, 2000
152 L’ingénierie de l’innovation

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TIDD J. From knowledge management to strategic competence: measuring technological and
organisational innovation, Londres, Imperial College Press, 2000
VINCK D., Ingénieurs au quotidien, Paris, PUF, 1999
Chapitre 5

Quelles organisations
pour l’ingénierie de l’innovation ?

Nous avons vu qu’un lien étroit existait entre le schéma organisationnel d’une
entreprise et son processus d’innovation. Les pratiques d’innovation influencent
l’organisation et inversement. Dans ce chapitre nous présenterons les principales
organisations support de l’ingénierie de l’innovation. On constate une grande
évolutivité dans ce domaine. Cette tendance au changement dans la façon de
structurer les initiatives peut s’interpréter comme :
– une caractéristique des processus d’innovation. La nouveauté dans le contenu
des projets induit une accélération dans le renouvellement des structures,
– un manque d’expérience des entreprises : les connaissances dans ce domaine
ne sont pas encore largement diffusées,
– une preuve de la diversité des situations : il n’ y a pas d’organisation idéale,
– un apprentissage en cours de la part des dirigeants.

Dans certaines entreprises, en particulier des grands groupes internationaux tels


que 3M, plusieurs organisations se côtoient. L’une des étapes préalables au
lancement d’un projet consiste alors à choisir le schéma organisationnel le plus
pertinent possible.

5.1. Les acteurs individuels

Nous présenterons ici ceux à qui l’entreprise innovante fait appel. On distingue :
154 L’ingénierie de l’innovation

– la direction : il s’agit dans le cas des PME du dirigeant-propriétaire, du PDG,


ou plus rarement de l’équipe de direction,
– les participants au projet : Lorsqu’il n’y a pas d’équipe projet cette rubrique
concerne tous les concepteurs associés aux tâches de développement. Dans le cas de
l’existence d’une équipe-projet, on considère essentiellement ses membres. Ils sont
employés de l’entreprise ou extérieurs à celle-ci. D’autres personnes effectuent des
tâches ponctuelles à la demande des premiers,
– les chefs de projets/les leaders : ce sont les personnes qui pilotent les initiatives
de manière plus ou moins officielle,
– les actionnaires : leur importance est indéniable mais leur place est
éminemment dépendante du statut de l’entreprise et de leur relation avec la
Direction. Ils jouent un rôle dans la communication et la stratégie dans le cas de
l’innovation.

On recense quatre types de chefs de projet :


– l’animateur d’équipe : il doit rendre des comptes à son chef de service et à tous
les responsables de service dont dépendent les membres de l’équipe. Il veille au bon
déroulement des réunions et à la diffusion des informations.
– le responsable de projet : ayant des comptes à rendre à sa direction avec un
statut proche de celui de chef de service. Il s’engage sur l’ensemble du projet : son
déroulement mais aussi la qualité des décisions prises.
– le champion : personnage atypique, mobilisé par les projets à fort enjeu et à
durée limitée. C’est Monsieur DUBREUIL, le responsable du projet TWINGO chez
RENAULT. Il porte le projet mais induit aussi des transformations sur toute
l’entreprise : en imposant de nouvelles méthodes de travail ou en influençant la
culture interne.
– l’expert en méthodologie : il s’agit d’un spécialiste dans les méthodologies et
les organisations liées à l’innovation. Il apporte son savoir à tous les autres individus
ou groupes mobilisés. Exemples : spécialiste de la rédaction de cahier des charges,
spécialiste en créativité…

5.2. Les acteurs collectifs

On répertorie dans les entreprises innovantes, six schémas principaux de


structuration :
– le département nouveaux produits : cette structure permanente est composée de
cadres chargés de fixer les objectifs globaux, de planifier les projets, de faire faire
des études, de synthétiser les décisions prises, de diriger les équipes à chaque étape
et pour chaque projet,
Quelles organisations ? 155

– le comité des nouveaux produits : il s’agit d’un comité non permanent


réunissant des cadres se consacrant à temps partiel à l’innovation. Il coordonne les
projets. Les membres peuvent être les chefs de projets, des membres de la Direction.
Ils représentent également la mémoire des projets et assurent l’évolution des
compétences,
– les services fonctionnels : en plus de la gestion quotidienne, ils sont chargés du
pilotage des projets. Ce sont les services R&D, marketing, bureau d’études ou plus
rarement achats et planification qui se voit confier des projets innovants. Un service
fonctionnel peut avoir la charge de l’ensemble d’un projet ou bien les services se
transmettent le dossier en fonction de l’évolution des décisions,
– les unités stratégiques : ce sont des structures de grands groupes au sein
desquelles chaque division dispose de représentants qui se chargent de la
commercialisation des nouveaux produits. La conception est faites par ailleurs
(services R&D par exemple),
– les « venture group » : ce sont des structures chargées des nouveaux projets
intégrant la création d’une nouvelle filiale. Nous ne traduirons pas ce terme dont le
synonyme français classique fait référence à la notion de risque qui n’est pas du tout
adéquate ici. Les membres sont chargés du lancement du produit et de la gestion des
premiers mois (voir plus) de la nouvelle activité,
– les « structures à orientation processus de développement de nouveaux produits ».
Ce sont des services permanents chargés d’étudier de nouvelles méthodologies de
pilotage ou organisations puis de les faire appliquer aux chefs de projet. Ils
interviennent en conseil méthodologique auprès des chefs de projets.

Toutes ces organisations traduisent le degré d’importance stratégique accordé à


l’innovation. Elles reflètent également les principes de base de la gestion des
ressources humaines globalement mise en place par l’entreprise. Les venture groups
traduisent une volonté de rendre les participants très autonomes. Les structures à
orientations processus visent à professionnaliser le pilotage du projet. Les
départements nouveaux produits se caractérisent par une forte dominante stratégique.

5.3. Bibliographie

GRIFFIN A., « PDMA research new product development practices, updating trend and
benchmarking best practices », Journal of Product Innovation Management, 14, 429-459,
1997.
PONS F., RAMECOURT M., L’innovation à tous les étages : comment associer les salariés
à une démarche d’organisation, Paris, Editions d’organisation, 2001.
Chapitre 6

Innover, mais avec quelles compétences ?

Nous avons cherché à rassembler ici une liste des principales aptitudes ou savoir
être individuels qui se trouvent valoriser dans le contexte de l’innovation. Là encore
nous ne prétendons pas à l’exhaustivité mais ce recensement nous semble
particulièrement indicatif de profils adaptés au processus décrit précédemment dans
cet ouvrage.

Quatorze caractéristiques ont été identifiées que nous présenterons en tant que
compétences et comportements-clés. Le but du responsable de l’innovation dans une
entreprise ou d’un chef de projet va être d’identifier les compétences à sa disposition
et celles qui lui manquent pour mettre en œuvre une politique de management global
et de management des compétences adaptées à l’innovation.

6.1. La créativité

L’innovation se caractérisant par un fort degré de nouveauté dans les initiatives


prises, la créativité, c’est-à-dire le pouvoir de création, d’organiser des objets d’une
façon qui n’existait pas avant, est une compétence majeure. Les individus doivent
développer le out of the box thinking (penser différemment) en s’écartant des
référentiels techniques classiques. Le champ de la créativité est étendu : elle peut
porter sur le produit, le procédé, l’organisation ou des aspects commerciaux.

De manière plus précise, un individu peut créer au niveau de la définition des


objectifs qu’il s’assigne, de ses hypothèses de travail, de sa manière de modéliser le
problème à résoudre, de ses modes de raisonnement ou de calcul, de ses solutions
techniques, et de ses procédures de validation. La génération d’idées nouvelles
158 L’ingénierie de l’innovation

trouve sa source soit au niveau du mode de représentation, du raisonnement, d’une


association d’idées individuelles, ou encore dans la collecte d’information externe.
Certains analystes affirment que l’une des clefs du succès de Microsoft réside dans
la priorité donnée dans le discours des dirigeants à la créativité individuelle.

Comment développer la créativité individuelle ? Plus un individu est en contact


avec des personnes ayant un regard différent sur les problèmes, plus il admet que sa
propre vision des choses peut évoluer. Les contacts avec les clients, les fournisseurs,
des chercheurs... stimulent la créativité. Il en va de même de la lecture et de la veille
technologique. Le benchmarking parce qu’il impose de comprendre les choix des
concurrents aide également à envisager les solutions autrement. Toutes ces actions
doivent être organisées dans l’entreprise ou dans le cadre du projet.

Enfin, nous avons vu par ailleurs comment stimuler la créativité collective.

6.2. L’autonomie

L’autonomie est un critère parmi les plus cités dans la bibliographie. L’innovation
est étroitement liée à la capacité des individus à déterminer leurs propres règles et à
se gérer selon celles-ci. Cette indépendance intellectuelle et parfois matérielle est
bien sûr influencée par le management pratiqué par les dirigeants des entreprises.
Notons que les notions de responsabilisation et d’autonomie sont voisines.
L’innovation est influencée par les obligations que chaque acteur concerné accepte
d’assumer et du risque qu’il accepte de prendre. De ce fait, la nouveauté est stimulée
par l’étendue du degré de liberté accordé aux concepteurs, en particulier dans les
choix techniques et les actions visant à se confronter à l’extérieur. Les dirigeants des
sociétés innovantes ont des avis très tranchés. Pour certains, si nécessaire, un
innovateur ne doit pas hésiter à court-circuiter sa hiérarchie pour défendre des idées
novatrices. Développer l’esprit d’entreprise, l’autonomie et la responsabilisation à
tous niveaux permet d’éviter ces phénomènes.

Développer l’autonomie passe en général par le principe de délégation. Celui-ci


nécessite de créer un véritable esprit de confiance mutuel entre les individus. Notons
que la gestion par projet stimule la responsabilisation.

6.3. L’esprit expérimental

Des auteurs ont étudié la corrélation entre la capacité à innover des organisations
et l’application de démarches expérimentales. L’innovation résulterait souvent non
pas de démarches hypothético-déductives mais de confrontations à l’expérimentation.
Pourtant les organisations recrutent en majorité des personnes dont la formation les
Avec quelles compétences ? 159

conduit à privilégier des approches traditionnelles. Elles doivent donc stimuler le


recours à l’essai le plus tôt possible dans le processus de conception technique. Une
citation d’Edwin LANG, créateur du célèbre Polaroïd illustre ce propos : « Il faut
que les employés développent leur esprit expérimental. Quand quelque chose
échoue, qu’ils tentent l’inverse ! Si cela ne conduit pas à la solution, au moins leur
champ de réflexion s’en trouvera élargi ». On pourrait d’ailleurs généraliser ces
constats de la littérature à d’autres activités du processus d’innovation. En marge des
essais techniques, les tests de commercialisation, de coopération industrielle par
exemple sont souvent porteurs de savoir-faire nouveaux.

Développer le goût pour les approches expérimentales nécessitent en pratique de


développer des moyens à la disposition des acteurs de l’innovation. Faire des essais,
des préséries, tester un produit auprès d’un client (ce qui impose souvent des clauses
initiales de confidentialité dans le cas de l’innovation) : tout cela doit être possible.
Ceci sous-entend de pouvoir disposer d’un laboratoire, de pouvoir interrompre la
production durant des durées prévues à l’avance, d’avoir des partenariats extérieurs
avec des structures expérimentales… Mais bien évidemment, c’est le soutien et
l’impulsion donnée par le dirigeant qui prime.

6.4. Savoir repérer des opportunités

Les projets d’innovation sont initiés le plus souvent dans des environnements
complexes et fortement évolutifs. Tout groupe chargé de développer une innovation
se voit donc confronter à de nombreuses incertitudes et à des événements pouvant
conduire à une remise en cause de tout ou partie du projet. Godet rappelle que la
notion de crise se traduit dans la culture japonaise par une double représentation :
une menace et une opportunité. Un des atouts des ingénieurs et des managers réside
alors dans leur capacité à rechercher systématiquement les aspects favorables dans
les situations perturbées. Cette aptitude apparaît importante pour les organisations
orientées vers une plus grande capacité à innover. On notera que nous avons retenu
cette compétence malgré la faiblesse de la littérature dans ce domaine. En pratique,
on constate que c’est en faisant appel à leur intuition que de nombreux dirigeants ont
su saisir des opportunités. Notons que des réunions au cours desquelles on cherche à
repérer en groupe des éléments favorables dans une description de l’environnement
de l’entreprise suffisent parfois à stimuler cette aptitude.

6.5. Les compétences intégratrices

La spécialisation croissante des marchés, la réduction des cycles de vie de


produits, l’interdépendance des choix techniques sont autant de tendances fortes qui
160 L’ingénierie de l’innovation

conduisent les entreprises à davantage d’intégration dans leurs activités au stade de


la conception.

On définira l’intégration en tant que mode de gestion de l’interdépendance entre


les éléments constructifs d’un ensemble. Intégrer, c’est assurer une conception
harmonieuse en veillant à la future coordination entre les fonctions techniques du
produit mais aussi ses dimensions stratégiques, financières...

Le développement des aptitudes intégratrices des acteurs de l’innovation consiste


à accroître leurs connaissances et expériences dans l’étude des liens. A promouvoir
les approches systémiques.

On distingue plusieurs niveaux d’intégration :


– entre les concepts et les solutions : il s’agit en particulier d’être apte à étudier
constamment toutes les solutions applicatives d’un concept de départ (exemple :
quelles sont toutes les solutions pour rendre mon procédé moins polluant vis à vis
des NOx), et inversement, à mesurer les conséquences conceptuelles d’une
modification des solutions (si je propose une évolution technique au procédé retenu
de combustion en pour turbine à gaz),
– entre le futur produit et les activités industrielles correspondantes. On peut
mettre en avant les liens entre le produit et la production, le produits et
l’organisation...
– au niveau strictement technique, l’intégration nécessite de nombreux aller et
retour entre le produit complet et les pièces constitutives.

Cette approche entre les niveaux globaux et particuliers va au-delà de la notion


de parallélisation entre les tâches préconisées dans le cadre de l’ingénierie
simultanée.

En pratique, les capacités intégratrices du personnel peuvent être stimulées par


des séances de travail interservices, la mobilité interne fonctionnelle et l’utilisation
de certains outils méthodologiques (le QFD par exemple).

6.6. La capacité à traiter des données relevant de disciplines variées

Le progrès technologique s’accompagne d’une complexification des tâches de


conception technique et plus généralement de conception d’activités industrielles
nouvelles. La réalisation d’objets techniques ou de procédés nouveaux relèvent de
connaissances, de modèles et de mode de résolution que l’on ne peut difficilement
circonscrire à un unique champ scientifique et technique. Le chimiste s’associe au
Avec quelles compétences ? 161

mécanicien, l’électronicien est mobilisé dans de nombreuses applications... Un


produit innovant est donc la concrétisation de connaissances, et de savoir-faire
pluridisciplinaires internes et/ou externes à l’entreprise.

Les entreprises innovantes doivent donc développer des compétences dans le


traitement des données de nature très différentes. Ceci requière des aptitudes
(maîtrise de certains modèles mathématiques ou de méthodes de traitement de
données qualitatives) qui viennent compléter des techniques de pilotage : suivi
collectif d’un projet, phases de consensus dans les choix techniques par des
représentants des différents services de l’entreprise…

6.7. Savoir adopter différents points de vue

Cette aptitude relève du domaine de l’heuristique. Il s’agit de la capacité d’un


individu à suivre, de manière complète, différents modes de raisonnement au cours
de l’étude d’un problème ou encore à raisonner à partir de plusieurs représentations
d’un problème donné. Ceci pouvant le conduire à proposer des résultats très
différents, voir contradictoires. Cette aptitude est mobilisée aussi bien durant la
phase de collecte de données préalables, l’adoption de modèles, la formulation
d’hypothèses, de création technique, de simulation ou d’expérimentation. De
nombreux dirigeants de sociétés innovantes stigmatisent les approches traditionnelles
des ingénieurs et cherchent à stimuler une plus grande richesse dans l’utilisation de
processus intellectuels en phase de conception et de décision. Analogie, raisonnement
inverse, nombreuses sont les démarches attendues des acteurs de l’innovation afin
qu’il enclenche une rupture de paradigme. Il semble que cette aptitude puisse être
corrélée à la culture individuelle des participants.

La confrontation à des experts extérieurs et l’utilisation de certaines


méthodologies (exemple : l’analyse fonctionnelle) stimule cette capacité.

6.8. Esprit critique

Pour ALTER, l’innovation consiste à enfreindre des règles, ce qui réclame un


esprit critique de la part des acteurs concernés. L’une des clefs du succès réside dans
une autre vision du futur c’est-à-dire dans les capacités individuelles et collectives à
remettre en cause les idées reçues et les schémas majoritairement adoptés.

MIDLER dans sa description du projet Twingo de Renault, illustre de nombreux


exemples des conséquences de cet état d’esprit stimulé par les leaders du projet :
162 L’ingénierie de l’innovation

remise en cause de logiciels, de mode de la conception d’interfaces, d’orientations


commerciales...

La nouveauté peut être stimulée par la recherche des germes de changement dans
l’environnement mais aussi par un refus d’adopter sans réflexion ce qui est
considéré comme traditionnel.

6.9. La capacité à formaliser les problèmes

Les entreprises élaborent des solutions innovantes pour répondre aux besoins des
futurs utilisateurs. De toute évidence il est plus facile de générer une bonne solution
lorsque le problème initial est parfaitement décrit. Il s’agit de se poser la bonne
question. Faut-il trouver un nouveau procédé de traitement des déchets ou chercher
un process de production qui génère moins de résidus ? Or la phase de formulation
du problème ou de définition du système à étudier est souvent éludée ou mal
formalisée, chacun présupposant que l’expertise individuelle affranchit de cette
tâche. « On va droit à la solution »

Les entreprises innovantes généralisent souvent l’utilisation de cahier des


charges précis qui imposent ce travail de formulation et in fine développe les
aptitudes correspondantes. Enfin, il peut être fait appel à un expert, à un consultant
extérieur.

6.10. Le goût de la concrétisation

L’innovation doit se traduire par une activité industrielle, si possible rentable. Il


s’agit là d’une évidence trop apparente. Le risque est élevé de mobiliser des
ressources intellectuelles, matérielles et financières pour des projets dont la
conclusion se trouve sans cesse repoussée.

Les entreprises sont classiquement victimes des phénomènes de sur-qualité au


stade de la conception. Les acteurs se mobilisant davantage sur l’aspect purement
innovant de leurs activités que sur la réalité d’une activité industrielle à laquelle ils
peuvent participer.

Il s’agit encore de veiller aux comportements induits par l’incertitude. La crainte


de prendre une option définitive face au risque de non acceptabilité par le marché
par exemple. On citera encore les attitudes velléitaires : des phases de forte
mobilisation générées par des travaux de groupe ou par des incitations des dirigeants
sont rapidement suivies de phase d’immobilisme.
Avec quelles compétences ? 163

Les individus doivent avoir la force de caractère et le goût pour la matérialisation


de leurs projets. C’est l’attrait du « faire ». La référence à un « certain réalisme ».
Microsoft justifie ainsi sa politique de stimulation de la créativité concomitante avec
des mesures restrictives des moyens et des délais alloués.

Les dirigeants doivent veiller alors à la reconnaissance de ceux qui mènent à leur
terme leurs initiatives.

6.11. La logique client

Une culture d’entreprise orientée client semble caractériser la majorité des


entreprises innovantes. Au-delà de la proximité avec l’utilisateur que présuppose
cette dimension collective, on note la capacité des acteurs à comprendre voir à
anticiper les problèmes et les enjeux auxquels sont confrontés les clients. Il faut
écouter et/ou savoir « se mettre à la place » de celui qui achète, utilise, préconise le
produit.

Les entreprises innovantes disposent souvent en interne de spécialistes de


l’activité du client. Exemple : un spécialiste de l’extraction des huiles essentielles et
de la formulation de parfums chez un fabricant de colonnes à distiller. Il est aussi
fait appel à des centres techniques lorsque la diversité des clients est trop importante.

Tout ce qui concourre à la proximité avec le client va dans le sens des aptitudes à
« raisonner client » : diffusion d’informations, visites ou stages chez le client, outils
informatiques de GRC (gestion de la relation client)… Les méthodes de travail telles
que l’analyse fonctionnelle développe aussi cet état d’esprit

6.12. Un attrait pour le futur et pour le changement

L’innovation impose que les acteurs portent leur regard vers l’avenir. Ceci
nécessite de la curiosité, de l’imagination, le goût de la nouveauté et une envie de
construire. Toutes aptitudes et comportements qui lèvent les forces conservatrices
individuelles et collectives.

Le dirigeant joue un rôle important dans ce domaine, car il doit être exemplaire.
L’information diffusée sur les projets (en particulier lorsqu’ils aboutissent) permet
de créer une culture interne orientée vers l’avenir. Elle peut conduire à forger une
image de modernisme au sein de l’entreprise. Certains dirigeants n’hésitent pas à
diffuser la « petite histoire » des projets. De plus, le retour d’opinion des clients peut
également avoir un impact positif. Associé le plus grand nombre dans certaines
164 L’ingénierie de l’innovation

phases du processus représente une autre pratique : par exemple quand il s’agit de
tester le futur produit.

L’innovation est un processus conduisant à un objectif nouveau sous forme de


produit, procédé, organisation, marché. Elle correspond donc à une évolution du
résultat assuré par un individu ou un groupe, ou encore, à une transformation de
l’activité de ceux-ci. Généralement les entreprises qui innovent, modifient tout
autant leur manière de fabriquer que de concevoir.

Innovation et changement sont donc deux notions intimement liées. Ainsi le


management de l’innovation figure-t-il parfois sous l’intitulé de conduite du
changement technologique. Les réactions aux changements sont classiquement
négatives : que l’on considère acteurs internes ou externes. S’investir dans un projet
innovant ne relève donc pas d’un acte simple et implicite pour tout individu, du fait
en particulier de la crainte de l’incertitude.

L’une des aptitudes des individus fortement impliqués dans les processus
d’innovation est de comprendre et savoir expliquer que le changement est la clef de
la survie et même du développement de l’entreprise. Tout naturellement, il ne s’agit
pas d’une compétence acquise sur le long terme, elle dépend de l’individu et du
contexte dans lequel il est placé. Les acteurs de l’innovation doivent pouvoir
s’engager dans le processus de changement et non le combattre. Les leaders de
l’entreprise peuvent adopter des approches positives en ne cherchant pas uniquement
à combattre les résistances.

6.13. Savoir établir des liens

Nous avons vu le caractère complexe de l’innovation. L’une des aptitudes à


développer face à un tel objet de préoccupation relève des raisonnements
systémiques : les individus et les groupes doivent être capables d’établir des liens
entre des phénomènes et des décisions de natures diverses.

En interne, les acteurs doivent modéliser et prédire les impacts des décisions de
conception sur toutes composantes de l’entreprise (production, maintenance,
qualité…). Les liens portent aussi sur les relations interservices (une nouveauté sur
un produit change-t-elle le mode planification de la maintenance préventive
associant Maintenance et Production) ou encore sur les liens hiérarchiques.

Cette compétence peut aussi s’exprimer dans l’analyse de l’environnement de


l’entreprise. C’est en « rapprochant » plusieurs phénomènes extérieurs que l’on fait
parfois émerger un espace d’opportunités. Le développement du gadget dans les
Avec quelles compétences ? 165

années 1970, l’apparition de l’électronique miniaturisée, l’émergence de procédés


d’injection plastique d’autre part : n’a-t-on pas ici les conditions pour l’émergence
d’un nouveau marché pour une montre « bas de gamme » ?

La combinatoire et l’analyse des flux sont deux domaines à intégrer dans la


panoplie des individus et des groupes des entreprises innovantes.

6.14. Savoir créer un sens du développement partagé

Cette aptitude concerne les Directions. Un consensus apparaît dans la


bibliographie quant à l’importance de l’existence d’un sens global de développement
et de son appropriation au niveau individuel. Les leaders des sociétés innovantes
parviennent systématiquement à créer un sens commun, et un but commun. Ce
partage crée un esprit de corps.

L’effet d’appartenance facilite la prise de risques dans le pilotage des projets


ainsi qu’au niveau des choix technologiques.
Chapitre 7

Les outils de l’innovation

Les outils et démarches d’aide à l’innovation constituent des architectures de


travail et des méthodologies de collecte et de traitement de l’information adaptées à
l’incertitude. A un outil est en général associée une démarche (séquence d’étapes) et
des principes de raisonnement. On rappellera que, du fait du caractère de nouveauté
du domaine abordé, les données traitées sont hypothétiques, imprécises ou
incomplètes, qualitatives et quantitatives, formelles et informelles.

De très nombreuses entreprises innovantes utilisent ces outils et démarches


d’aide à l’innovation. L’analyse fonctionnelle, le Quality Function Deployment,
TRIZ, en font partie. Certaines sont même décrites dans des normes de gestion de
projet.

Le but de ce chapitre est d’expliquer l’intérêt et les limites de ces outils et


démarches à travers une description succincte de certaines d’entre elles. Les
décideurs doivent ensuite choisir celles qui sont adaptées à l’entreprise ou au projet.
Nous ne traiterons pas ici des outils de gestion de projet.

7.1. Intérêts et limites de ces outils et démarches

7.1.1. Faciliter le fonctionnement de l’entreprise sous forme d’équipe interservice

Nous avons décrit les organisations mises en place dans les entreprises
innovantes. En pratique, l’animation de ces organisations pose un certain nombre de
problèmes.
168 L’ingénierie de l’innovation

Tout d’abord le travail collectif nécessite des références communes. Un


vocabulaire est à partager (par exemple : le terme qualité n’a pas toujours la même
acceptation entre un commercial, un responsable production, un membre du Service
Après Vente). Le partage porte aussi sur des modes de raisonnement et des concepts
théoriques afin de faciliter la communication et donc le phénomène de construction.
On citera par exemple les notions de fonctions, de contradiction technique, de
screening.

De plus, il est intéressant de disposer de modes de résolution de problèmes


communs. Les outils et démarches d’aide à l’innovation offrent des démarches
collectives utilisables quelles que soient les formations techniques individuelles. En
conséquence, toute solution ou toute information peut être reformulée et replacée
dans un processus collectif. Grâce à l’analyse fonctionnelle par exemple, il est
possible de décrire dans le même cahier de spécification : des critères
organoleptiques d’un futur aliment, des contraintes financières de production et des
règles de logistique.

7.1.2. Développer de nouveaux modes de raisonnement

Généralement l’innovation démarre par un paradoxe à résoudre : comment


produire un beurre sans matières grasses, comment augmenter la taille d’un produit
alimentaire en réduisant la quantité de matière ? Les techniques d’extrusion sont
ainsi nées d’une contradiction technique. De ce fait, l’innovation est corrélée à
l’aptitude des individus à développer différentes représentations mentales d’un objet
et à développer plusieurs modes de raisonnement.

La composante cognitive des outils d’aide à l’innovation est donc fondamentale.


Ces outils et démarches proposent de nouvelles façons de formaliser les problèmes
et/ou structurent les phases de recherche de solutions. Par exemple : suivant
l’analyse fonctionnelle, un yoghourt n’est pas uniquement un produit laitier à
formuler mais une somme de services rendus à tous ceux qui sont concernés par son
cycle de vie. Depuis le consommateur (goût, plaisir, santé, énergie) au producteur
(facilité de maîtrise de la production) en passant par le manutentionnaire (facilité de
manipulation et de rangement en linéaires). L’analyse des modes de défaillance, de
leurs effets et de la criticité (AMDEC) propose aux concepteurs une approche basée
sur le chaînage suivant : problème/effet/cause/solution. TRIZ repose sur la notion de
contradiction et se réfère à une liste de principes de résolution standard. Le Quality
Function Deployment (QFD) met en application l’étude systématique des liens entre
les décisions prises pour le produit, le procédé, l’organisation et la logistique.
Les outils de l’innovation 169

7.1.3. Croiser des données qualitatives et quantitatives

Les acteurs de l’innovation technologique, nous l’avons vu, doivent collecter et


traiter des données de nature diverses. En particulier des informations quantitatives
(volume du marché potentiel, spécifications des performances du produit, les ratios
de production et financiers) et qualitatives (image du produit, aspect ludique,
comportement de l’utilisateur).

L’un des buts des outils et démarches d’aide à l’innovation est de traiter toutes
ces données grâce à une unique approche : qu’elles soient technique, sociales,
marketing, psychologiques.

7.1.4. Fixer des étapes au processus d’innovation

Le processus d’innovation est constitué de phases (en particulier quand on le


considère sous l’angle décisionnel). Le chef de projet doit ajuster ce processus en
tenant compte de données issues de son travail de suivi, d’informations prospectives
et de l’expérience acquise au cours de projets précédents. Pour fixer sa méthode de
travail il tiendra compte par exemple du nombre de clients potentiels (si on travaille
pour un unique donneur d’ordre on ne fera pas d’étude de marché), de la
réglementation (prévoir une étude des normes en particulier celles qui portent sur les
protocoles d’essais), des prescripteurs fondamentaux (partenariats nécessaires avec
des médecins renommés dans le secteur de l’instrumentation médicale).

Les outils et démarches peuvent aider le pilote de l’innovation à définir, choisir


et organiser les tâches sous forme d’étapes claires. Notons que les outils sont plus ou
moins efficients suivants les tâches à entreprendre (voir la figure en fin de chapitre).
Ce responsable va pouvoir programmer le travail de son équipe et l’expliquer à
chacun de ses collaborateurs. Chacun comprend alors sa participation et trouve sa
place dans l’équipe. L’expérience prouve que cette formalisation a un impact positif
sur les délais et sur la cohérence entre les contributions individuelles. Même si le
processus prévu initialement est soumis régulièrement à de nécessaires évolutions.

Cette fonction de phasage des outils et démarches concernent les entreprises de


toutes tailles. Les grands groupes ayant de multiples projets concomitants soutenus
par une organisation claire en bénéficient. Les outils sont aussi adaptés aux petites
structures ne disposant pas d’organisation précise en matière d’innovation. Mettre en
place un outil est d’ailleurs une façon d’initier la pérennisation d’un processus
d’innovation.
170 L’ingénierie de l’innovation

Enfin, précisions que les outils et démarches sont indispensables lorsque l’on
s’engage dans l’ingénierie concourante. Passer d’une série de tâches se succédant
linéairement à un travail où certaines activités sont menées en parallèle, exige une
formalisation rigoureuse des phases. Grâce aux démarches, il devient possible de
définir la nature de l’étape future à initier ainsi que le moment exact pour le faire.

L’analyse fonctionnelle aide à repérer les phases de recherche d’information, le


QFD indique quand se comparer à la concurrence…

7.1.5. Faciliter l’identification de « l’information utile »

L’une des clés du succès réside dans l’utilisation d’informations à jour. Le but de
l’équipe-projet est entre autres d’apporter de la valeur à ces informations obtenues
dans l’entreprise ou dans son environnement.

L’expérience prouve que de nombreuses équipes-projets assument des études


déjà entreprises par ailleurs (et disponibles sous forme de notes internes ou dans la
littérature) et qu’elles ne sollicitent pas des experts proches. A l’opposé, la
surabondance d’informations non directement utiles aux tâches de développement
représente un risque non négligeable.

Les outils et démarches d’aide à l’innovation facilitent l’identification des


thèmes à enrichir par une recherche documentaire ou par expertise. Ils indiquent
l’information nécessaire pour passer d’une phase de la démarche à une autre. Ainsi,
l’analyse fonctionnelle stimule la collecte de données sur les liens entre toutes les
structures économiques concernées par le marché étudié. Le Quality Function
Deployment (QFD) oriente le concepteur vers certaines études techniques. TRIZ
structure la recherche de concepts techniques dans les bases de brevets.

Bien sûr, cette fonctionnalité reste incertaine tant la notion d’information utile
est aléatoire a priori.

7.1.6. Passer de la conception de produit à l’innovation d’activité

L’esprit humain n’est pas toujours apte à aborder la complexité des problèmes et
des situations. Ainsi la multiplicité des liens caractérisant les variables d’une
technologie pose un problème d’appréhension. Les démarches et outils d’aide à
l’innovation, parfois intitulés approches systématiques de résolution de problèmes
complexes, visent à aider l’innovateur face à la complexité. Les matrices (dans le
cas du QFD), les arborescences (analyse fonctionnelle) et d’autres modèles facilitent
Les outils de l’innovation 171

les tâches de formalisation des problèmes et aide dans les étapes de prise de
décisions (analyses multicritères).

Nous avons vu que l’innovation devait se raisonner en termes d’activité nouvelle


et non en termes de nouveau produit. Le problème n’est pas uniquement de formuler
par exemple une nouvelle confiserie en chocolat accompagnant la dégustation d’un
café. Le véritable objectif qu’une PME agroalimentaire doit relever est de créer un
système économique complet assurant la production du chocolat et sa distribution en
débit de boissons et en Grandes et Moyennes Surfaces. Les outils méthodologiques
peuvent garantir une plus grande exhaustivité dans la conception de l’ensemble de
l’activité support au nouveau produit. Ils facilitent l’analyse des liens tels que :
quelle technique de production et de planification correspond le mieux à la disparité
de la clientèle ? Faut-il assumer toutes les étapes de la production au regard des
coûts, de l’aire de chalandise et de la réglementation sanitaire ?

7.1.7. Faciliter la conception de gammes de produits

Beaucoup d’entreprises cherchent à créer de nouveaux produits à partir d’une


première innovation de base. Il s’agit de concevoir une gamme d’articles ou de
prestations. Mais cette stratégie se heurte souvent à d’importants obstacles, même
dans le cas de modifications légères. Par exemple, réduire la taille d’un produit
cosmétique pour lancer un « mini-tube de voyage » peut nécessiter de longues
opérations de réglage de machines (buses de distribution, tapis de manutention,
système de comptabilisation des produits par emballage).

La prise en compte, dès les phases amont du processus d’innovation, de la


possibilité d’extension de gamme est donc importante (on parle d’innovation pas à
pas).

Les outils et démarches d’aide à l’innovation facilitent le développement des


systèmes industriels adaptatifs (produits nouveaux et nouvelles options).
Considérons l’analyse fonctionnelle : la gamme est facilement définie grâce au
nombre de fonctions assumées par le produit au sein d’une liste de fonctions
prédéfinies. Si une entreprise élabore une boisson vendue dans une canette
métallique avec un indicateur coloré de fraîcheur (une boisson dans un contenant à
deux fonctionnalités : emballage et garanti de qualité), elle peut organiser son
système industriel pour qu’il assure la fabrication et la vente de deux produits (une
boisson avec un emballage monofonctionnel sans indicateur et une boisson avec un
emballage bifonctionnel avec indicateur).
172 L’ingénierie de l’innovation

7.1.8. Stimuler la créativité

Bien sûr l’innovation relève parfois de l’intuition, de raisonnements non


structurés ou de la simple constatation d’un phénomène. L’emballage innovant d’un
produit grand public a été dessiné par un jeune enfant d’un dirigeant : celui-ci
découvrant sous les traits de crayons de sa progéniture la copie du système idéal
cherché en vain par ses équipes.

Par conséquent, le projet doit être aussi le lieu de travaux ne reposant pas sur des
approches logiques. Les confrontations d’idées et l’action sont source de créativité.

Les outils et démarches d’aide à l’innovation sont en principe conçus pour


favoriser une ouverture d’esprit de la part de leurs utilisateurs. Ne dit-on pas que
TRIZ est une approche inventive de résolution de problèmes ? En général, cette
fonction de foisonnement, de rupture par rapport au paradigme actuel se fait par
deux biais :
– en repoussant dans le temps (en aval du projet) la phase de proposition des
solutions,
– en stimulant la recherche de tous les concepts (techniques, organisationnels…)
permettant de répondre au problème posé.

L’analyse fonctionnelle conduit à chercher tous les concepts qui peuvent


potentiellement assurer une fonction donnée. Exemple : pour enrober des noyaux
hétérogènes de manière homogène on peut : tremper les noyaux dans une solution,
projeter une poudre sur les noyaux avant de la fondre, asperger les noyaux d’un
liquide avant séchage, mélanger les noyaux et l’enrobage dans un tambour en
rotation... Design For Manufacturing and Assembly (DFMA) stimule la créativité en
imposant une réflexion sur la réduction systématique du nombre d’éléments
constitutifs d’un ensemble.

Naturellement l’impact des outils et démarches sur la créativité connaît de


sérieuses limites. On peut affirmer que dans de nombreux cas, la nouveauté reste
cachée car les acteurs ne cherchent pas en dehors des limites de l’outil. Mais
n’oublions pas que la nouveauté peut aussi émerger de l’adoption d’un outil
méthodologique en lieu et place d’un autre. Compliqué non ?

7.1.9. Permettre une meilleure communication

Comme nous l’avons vu dans le chapitre consacré aux pratiques de pilotage, les
échanges entre acteurs de l’innovation sont fondamentaux. Que ce soit pour les
Les outils de l’innovation 173

tâches de conception ou pour s’ajuster à la stratégie. De plus, il est parfois fait appel
à des experts extérieurs ou à des partenaires. La qualité de la communication est
donc un facteur de succès. Les acteurs doivent en effet partager des données
communes pour résoudre les contradictions techniques et aborder les liens entre
variables. De plus chacun doit être informé du contexte et des objectifs : stratégie,
délais, besoins à satisfaire…

Adopter des outils et démarches d’aide à l’innovation représente une manière


d’améliorer la communication entre les membres des équipes, les chefs de projet, la
Direction et les extérieurs. Ils proposent des modes de formalisation de
l’information. A caractère pédagogique. Chaque document résultant de ces outils et
démarches peut donc être considéré comme un véritable média.

Le diagramme Fast de l’analyse fonctionnelle constitue une représentation


simple des priorités en matière de caractéristiques du futur produit. La première
matrice du QFD transcrit les besoins du client et l’algorithme utilisé garantit la
mémorisation de ces besoins tout au long du processus d’innovation. Le diagramme
cause-effet de DFMA formule clairement le problème à résoudre.

7.1.10. Permettre une véritable traçabilité des premières étapes du cycle de vie du
produit

La compilation et le classement des documents établis grâce aux outils


méthodologiques peuvent remplir une fonction de traçabilité du processus. Ceci est
souvent important lorsque l’on se trouve sous assurance qualité. Il est possible
d’attester ainsi de la rigueur adoptée : phasage des travaux, qualité de l’analyse...
Ces documents peuvent enfin servir pour un bilan à posteriori.

7.1.11. Conclusions

Les outils et démarches d’aide à l’innovation ont un caractère multifonctionnel


indéniable. Ils ont un impact positif sur l’efficacité des équipes et des individus et la
structuration des processus. Sur le long terme, ils améliorent nettement les modes de
raisonnement.

7.2. Présentation de quelques outils et démarches d’aide à l’innovation

La liste des outils et démarches adaptées à l’innovation est longue : l’analyse


fonctionnelle, analyse de la valeur, conception à coût objectif, Quality Function
174 L’ingénierie de l’innovation

Deployment, TRIZ, Analyse des Modes de Défaillances et de leur Criticité, Design


for Assembly and Manufacturing, les outils de la créativité, l’analyse de besoin
technologique…

Nous nous bornerons ici à une présentation des principaux. Le lecteur intéressé
par une description détaillée se reportera à la bibliographie. Notre but est d’orienter
la recherche d’information du praticien, du chercheur et de l’étudiant. Notons que
pour comprendre le positionnement exact de ces outils et démarches dans le
processus d’innovation, il convient de se référer aux chapitres précédents.

7.2.1. Quality Function Deployment (QFD)

Le QFD vise la traduction des besoins du client sous forme de spécifications de


la future activité et plus précisément : le design du produit, la demande
fonctionnelle, les caractéristiques du procédé et l’organisation de la production. Il
facilite également le benchmarking, la comparaison à la concurrence. Pour
simplifier, oublions ici le terme Quality du sigle !

Les principes du QFD


On peut distinguer trois principes fondamentaux.

Le premier est intitulé la « voix du client ». La démarche démarre en effet par la


description des besoins du client sous forme de critères techniques objectifs et
mesurables. Ces éléments sont ensuite classés par ordre de priorités selon la stratégie
de l’entreprise. Dans la suite de la démarche, toute décision devra se référer à cette
classification.

Le second principe repose sur l’utilisation de plusieurs matrices pour formaliser


les données. A chaque étape, on développe une logique Quoi/Comment. Toutes les
informations concernant ce qui est requis (les besoins par exemple) sont placées en
lignes dans la matrice. Les colonnes sont remplies avec ce qui permet de satisfaire
ces besoins.

Le troisième principe : le déploiement. Il signifie que la matrice élaborée durant


l’étape n, va être détaillée par une autre matrice n+1. Les lignes de la matrice n+1
correspondant avec les colonnes de la matrice n. Le déploiement garantit la
cohérence entre les besoins, les spécifications du produit (ou sa formulation), les
caractéristiques du procédé et l’organisation de l’activité industrielle support.
Les outils de l’innovation 175

Figure 7.1. Les matrices du QFD et le principe de déploiement

La démarche
Etape une
Les besoins des clients sont listés grâce aux données marketing ou à une analyse
de besoins. Ces éléments sont classés selon deux modes :
– 100 points sont répartis entre les différents besoins à satisfaire,
– une note entre 1 (secondaire) et 5 (crucial) est affecté à chaque besoin.

Cette classification traduit les priorités chiffrées pour les concepteurs.

Etape deux
Les besoins sont traduits sous forme de spécifications mesurables. Tenant
compte qu’un besoin est rempli par diverses spécifications et qu’une spécification
peut satisfaire plusieurs besoins, une matrice de corrélation est établie. Dans cette
première matrice la relation besoin/spécification est évaluée.

Le chiffre indique comment la caractéristique satisfait le besoin (voir figure 7.2.


L’exemple d’un fromage élaboré par BECH et al. dans « Application of house of
quality in translation of consumer needs into sensory attributes measurable by
descriptive analysis », Food Quality Preference, vol. 8, p. 329-348, 1997).

En multipliant le coefficient de satisfaction du besoin par le degré d’importance


du besoin (dans la ligne une : (3 + 3) × α1 = 10), et en effectuant la somme
verticalement, on calcule le niveau d’importance de chaque spécification (colonne
trois : 3 α1 + 3α9 = 20).
176 L’ingénierie de l’innovation

Taux
Taux de Concent. Matière Point de
Priorité Azote pH de mat
protéines en sel sèche fusion
grasse
Croûte
10 3 3
égale
Croûte
5 3
cireuse
Pâte
5 1 1 1
homogène
Couleur 5 1
Trous 5 3
Pâte ferme 15 9
Fondant 20 9
Goût 20 1 3 3
Hygiène 15 3
Nouv.
100 1,7 13 20 0 10,1 0 55,2
Classif

Figure 7.2. QFD du cheddar

Etape trois
La même démarche qu’en étape une est reproduite plusieurs fois. On compile en
général et au minimum les matrices suivantes : entre les spécifications du produit
(ou la formulation) et celles du procédé, entre les spécifications du procédé et
l’organisation industrielle, entre le procédé et les équipements.

Etape quatre
Il est possible de mettre en évidence les corrélations positives et/ou négatives
entre deux variables en colonnes (la qualité d’une variable et son coût par exemple).
C’est le « Toit de la qualité ». Cela indique les décisions nécessitant un consensus
entre plusieurs acteurs de l’innovation.

Etape cinq
Il est intéressant d’établir les même matrices pour les concurrents. Ainsi il est
possible d’obtenir une comparaison objective des forces et faiblesses de notre futur
produit.
Les outils de l’innovation 177

7.2.2. TRIZ

TRIZ est une théorie élaborée par Genrich Altshuller issue de l’analyse de
milliers de brevets dans des champs techniques très divers. TRIZ est une théorie,
une démarche et des outils (dont des logiciels). Althshuller avance en effet que des
lois objectives gouvernent l’évolution des systèmes techniques. La prise en compte
de ces lois en cherchant à mesurer le degré d’évolution de sa propre technique (ou
de son produit) permet au concepteur d’envisager le futur possible dans son
domaine. Précisons que TRIZ intervient uniquement sur les variables techniques de
la technologie.

Les principes de TRIZ


Selon la théorie TRIZ, l’innovation est un processus qui conduit un système
technique vers l’Idéalité : fiabilité, simplicité, efficacité. Ces trois critères vont servir
de sens aux activités des concepteurs.

TRIZ repose encore sur le concept de contradiction. Une contradiction apparaît


quand en améliorant une caractéristique ou un paramètre, on en détériore un autre
(exemple : masse et facilité de déplacement). On constate en effet que les solutions
les plus innovantes et pertinentes correspondent à la résolution d’une contradiction
technique et non pas à un compromis. L’innovation va donc consister à formuler un
problème sous forme de contradiction et à rechercher un concept technique dans des
grilles de 40 principes de base ou dans une liste de 72 modifications de procédé. Il
ne nous est pas possible de détailler ici ces principes et standards.

Un autre principe fondamental proposé à Altschuller est la référence aux huit lois
d’évolution. Le concepteur va donc positionner le système technique à faire évoluer
par rapport à : un cycle de vie (émergence-usage-fin), la dynamisation (d’une forme
rigide à flexible), la multiplication (transition d’un mono à un pluri-système), la
transition d’un niveau macro à micro, la synchronisation (réduction des problèmes
de flux), l’automatisation, le changement d’échelle (vers le haut ou vers le bas), et le
développement inégal des parties.

Démarche
Etape une
La première étape consiste en la reformulation du problème. Il s’agit traduire les
aspects critiques du problème par des formules simples. On représente ensuite les
paradoxes techniques sous forme d’un diagramme. Il est alors possible d’extraire la
principale contradiction à résoudre : elle est d’ordre physique, chimique ou
biologique (les outils actuels sont plus performants pour la première catégorie).
178 L’ingénierie de l’innovation

L’exemple suivant a été réalisé sur le cas du séchage de tranches de pommes de terre
pour la fabrication de chips (par Barry WINKLESS de l’ Université de Cork -
Irlande). Le mode de reformulation retenu est intitulé « Modèle en S ». Le problème
de variabilité des résultats de séchage pour des tranches de pomme de terre de taille
différentes est traduit sous la forme : comment obtenir un effet homogène dans un
milieu hétérogène ?

AIR CHAUD
Faible
S1 S2
rendement
Tranches
Sécheur à lit de p. de Terre
fluidisé
Le modèle en S d’Altshuller :
deux ensembles reliés par un effet

Effet négatif

Effet utile

Figure 7.3. le modèle en S d’Altschuller

Etape deux
Dans un second temps le concepteur recherche le concept technique permettant
de résoudre la contradiction. Ainsi après avoir transformé son problème particulier
en un problème générique, il va élaborer une solution générique. Pour cela il se
réfère aux 40 principes, aux 72 standards ou aux 8 lois. Cette tâche est souvent
menée à l’aide de base de données. Il est souvent nécessaire à ce stade de faire une
itération (retour à l’étape une) afin de détailler la description du problème.

Dans l’exemple de WINCKLESS, l’un des 72 standards propose de « ajouter ou


remplacer des éléments extérieurs difficilement maîtrisables » et en référence à
d’autres brevets on suggère qu’il est possible de maîtriser la convection de l’air dans
des volumes courbes (ceci revient à « ajouter des compartiments »). Ainsi de
nouvelles enceintes divisées en cellules, contenant les tranches de pomme de terre
ont été testées en ont permis d’atteindre des rendements de séchage proches de
95 %.
Les outils de l’innovation 179

Figure 7.4. Nouveau modèle en S représentant la solution innovante

Etape trois
Finalement le concepteur va mener une étude technique pour appliquer la
solution générique, l’adapter à son contexte particulier. Il va entre autres étudier
l’impact de ce concept sur les autres éléments de son problème.

Dans l’exemple des chips, on étudiera les phases de nettoyage des cellules ainsi
que l’impact des parois des cellules sur les phases de vidange des chips.

7.2.3. L’analyse fonctionnelle et la conception à coût objectif (CCO)

Historiquement l’analyse fonctionnelle est le premier outil (soutenu par une


démarche) développé en milieu industriel (pendant la seconde guerre mondiale). Il
fait l’objet d’une norme NF X 50-150 qui en fixe l’utilisation en conception de
produit ou de procédé. En fait cet outil est également très performant en conception
de nouvelles organisations. Selon nos enquêtes, il s’agit de l’outil le plus utilisé en
entreprise.

Principes
L’analyse fonctionnelle considère tout produit comme une somme de services
(ou fonctions) davantage que comme l’addition d’éléments physiques ou chimiques
au sein d’un système. Le produit est alors décrit par ses relations avec son
environnement. L’analyse fonctionnelle repose sur une vision systémique.

Le développement du produit est donc orienté par la conception des actions de


celui-ci, de ses finalités plutôt que par la recherche de nouvelles solutions. Concevoir
c’est donc révéler les buts de l’objet au moment de sa création et donc sa véritable
nature.

En complément, l’objectif de la CCO consiste à fixer le coût du futur produit dès


les premières phases du travail de conception. L’équipe devra donc élaborer un objet
180 L’ingénierie de l’innovation

d’une certaine valeur. Simple, n’est-ce pas ? Mais cette démarche entraîne souvent
un changement de raisonnement drastique : généralement on engage la conception
technique puis on réalise une étude de faisabilité financière des solutions.

Démarche
Etape une
La première étape consiste à rechercher de l’information sur le produit, les
technologies correspondantes, le marché et tous éléments concernant le cycle de vie
(de la création jusqu’à la destruction finale). Notons ici que toutes ces phases du
cycle de vie seront analysées pendant l’analyse fonctionnelle. L’obstacle majeur de
cette étape résidera dans la parfaite définition des frontières du système à concevoir.
Exemple : comment enrober de manière homogène des amandes de formes très
variées ? Le système considéré peut être défini comme la couche d’enrobage d’une
confiserie.

Etape deux
L’équipe va ensuite élaborer une décomposition fonctionnelle du futur produit en
listant les relations de celui-ci avec son environnement. Le diagramme de la
« pieuvre » est un outil utile pour tendre vers l’exhaustivité de la liste des fonctions
du produit. Chaque fonction est rédigée sous forme de finalité grâce à un verbe suivi
de plusieurs compléments. On retient in fine, un ensemble de fonctions d’usage
(utiles pour l’utilisateur), de fonctions techniques (indispensable pour fabriquer,
distribuer et faire fonctionner le produit) et des fonctions d’estime (l’image du
produit).

Dans notre exemple, les éléments extérieurs associés au produit sont : le


consommateur de confiserie (sa bouche, son œil et ses doigts), l’amande de taille
variable et les autres matières premières, l’équipement de production, les normes
alimentaires et l’emballage. Les fonctions sont alors :
– fonctions d’usage : ne fond pas sur les doigts (F1), procure un plaisir gustatif
(F2), est conforme aux normes (F3),
– fonctions techniques: facile à emballer (F4), utilise un emballage standard
(F5), facile à produire (F6),
– fonction d’estime : tous les bonbons sont visuellement identiques (F7).

Etape trois
Les fonctions sont ensuite classées selon leur importance au sein d’un
diagramme en forme d’arborescence (le FAST). Cette figure représente les priorités
stratégiques du projet.
Les outils de l’innovation 181

Etape quatre
Chaque fonction est ensuite caractérisée par les éléments suivants :
– des indicateurs : ils indiquent l’adéquation entre la fonction et les besoins à
satisfaire,
– des unités : chaque indicateur est associé à une ou plusieurs unités de mesures,
– des niveaux d’acceptabilité : ce sont les objectifs que le concepteur se fixe
pour chaque indicateur,
– la flexibilité : c’est le degré de liberté que s’accorde le concepteur pour chaque
niveau d’acceptabilité.

Niveau
Indicateur Unité de mesure Flexibilité
acceptable
F1 Température de fusion Degré C 25 Faible
F2 Tests organoleptiques Pourcent 94 Nulle
F3 Divergence Nombre Zéro Nulle
F4 Temps d’ensachage Seconde 1.5 Faible
F5 Emballage Prix en euro xF Moyenne
F6 Déchets Pourcent 1 Moyenne
F7 Taille (statistique) Mm 1+- 0,1 Nulle

Figure 7.5. Table des spécifications de la couche d’enrobage

Etape cinq
Les fonctions ainsi définies sont hiérarchisées (en les répartissant en
pourcentage) selon leur impact sur le succès possible sur le marché. Il est alors
possible selon la logique CCO de préciser le coût exact de chaque fonction en
répartissant le coût total entre les fonctions au prorata du pourcentage d’importance.
Un Pareto est souvent établi pour visualiser cette répartition financière.

Etape six
La dernière tâche consiste à lister tous les principes scientifiques ou les concepts
techniques permettant de « matérialiser » chaque fonction. Il est recommandé de
multiplier les variantes envisagées. On retient finalement le concept répondant au
mieux au tableau de spécification de l’étape quatre et aux contraintes de coût.
182 L’ingénierie de l’innovation

Notre exemple : les principes techniques pour enrober des amandes sont :
mélanger les uns après les autres les matières à enrober avec les amandes dans une
machine circulaire en rotation, couvrir les amandes de poudre puis chauffer, tremper
les amandes dans un liquide puis les sécher, projeter un liquide sur les amandes puis
sécher. A priori, le premier principe correspond au mieux à la table des
spécifications.

7.3. Choisir une démarche et des outils d’aide à l’innovation

La figure 7.6 décrit les spectres d’utilisation des outils d’aide à l’innovation.
Formulation/conception

Communication interne
du champ d’application
Description des besoins

Autres développement
Conception du prcédé

Process modification
management valeur
et des séquipements
Screening des idées
Génération d’idées

Maîtrise des coûts/


Positionnement

benchmarking
(eg logistique)
du produit

Ana Fonction

Ana de la valeur

CCO

QFD

TRIZ

AMDEC

DFMA

Prospective

Créativité

Ana de besoin

Figure 7.6. Spectre d’application des outils méthodologiques


Les outils de l’innovation 183

Cette figure facilite le choix d’un outil afin de développer la démarche la plus
adaptée. Insistons : la clé d’entrée du tableau est représentée par les outils. Sont pris
en compte : les objectifs du concepteur, les personnes et compétences à disposition,
l’expérience des acteurs vis-à-vis de l’outil et le contexte extérieur. Bien évidement
ce guide pourrait être enrichi par d’autres critères de sélection (type de technologie
abordée, taille du projet) mais nous optons pour une formule pragmatique.

Rappelons que ces outils et démarches sont des supports dont le principal intérêt
est de développer de nouvelles représentations de l’objet de multiplier les modes de
raisonnement. Ils doivent être soutenus par les compétences techniques, logistiques,
marketing, financières… des individus.

7.4. Bibliographie

AFNOR, De l’analyse de la valeur au management par la valeur, Editions AFNOR, 1998.


CHAUVET A., Le redesign to cost, Editions d’organisation, 1996.
ZAIRI A., Le QFD, Tec&Doc Lavoisier, 1990.
Conclusion

Bien sûr pour innover il faudra toujours gérer des projets et les tâches principales
consisteront à concevoir un produit, un procédé ou un service. De plus, la définition
de la stratégie restera une phase décisive.

Toutefois, nous avons voulu démontrer que le pilotage de l’innovation relève


d’un champ d’intervention beaucoup plus vaste pour les dirigeants d’entreprise et les
acteurs qui les entourent. Innover c’est manager des composantes au niveau de
l’ensemble de l’entreprise, les connaissances entre autres. C’est générer des projets,
faire évoluer des relations avec l’environnement. C’est aussi avoir des actions en
direction des individus.

De plus, la notion de processus s’avère fondamentale. L’innovation est, au-delà


de l’apparition de nouvelles formes d’objets, un cheminement, une construction
qu’il convient de gérer, de pérenniser et de faire évoluer.

Ce processus touche à différents aspects :


– l’intégration : comment prendre en compte davantage de variables dès les
phases amont du cycle de vie d’une activité ? Innover c’est fédérer des contraintes
de natures diverses au sein d’un modèle, d’une démarche et dans les représentations
des individus,
– la diversification des approches cognitives. La nouveauté émerge d’un
processus de multiplication des modes de raisonnement en phase de conception ou
d’une diversité des regards portés sur l’objet,
– l’ouverture du système industriel sur l’extérieur. L’innovation remodèle les
frontières de l’entreprise, elle valorise la curiosité, la collecte d’information et la
recherche constante d’opportunités.
– la création, la diffusion de nouveaux savoirs. Innover c’est apprendre,
186 L’ingénierie de l’innovation

– le passage à l’action. C’est souvent par confrontation externe et par l’usage et


l’expérimentation que la nouveauté devient accessible.

Nous espérons que cet ouvrage donnera à nos lecteurs le goût de


l’expérimentation, l’envie d’approfondir des idées non traditionnelles et le souhait
de plus de professionnalisme dans le pilotage. Trois éléments clés pour être un bon
pilote de l’innovation et le rester.
Index

A créativité 11, 14, 38, 67, 68, 80, 94, 107,


109, 124, 125, 129, 135, 138, 150, 154,
analyse fonctionnelle 34, 36, 58, 77, 96,
157, 158, 163, 172, 174
105, 126, 127, 161, 163, 167, 168-173,
cycle de vie 13, 17-19, 24, 54, 72, 168,
179, 180
173, 177, 180, 185
apprentissage 42, 50, 52, 101, 102, 118,
127, 131-133, 138, 152, 153
D, E
autonomie 14, 64, 112, 129, 133, 158
délais 25, 26, 71, 84, 103, 105, 107-110,
B 117, 119, 130, 133, 150, 163, 169, 173
économique 11, 12, 17, 31, 42, 60, 64, 68,
besoin 11, 71, 80, 89, 94, 119, 121, 128,
101, 113, 137, 139, 149, 152, 171
139, 149, 174, 175, 182
esprit d’entreprise 40, 158
Booz et Allen 46
expérimentation 14, 34, 67, 74, 104, 158,
161, 186
C
capitalisation des connaissances 119 F
client 17, 31-32, 34, 37, 45, 64, 66, 79,
facteurs clés de succès 47, 87, 91, 95,
95, 103-106, 119, 130, 133, 139, 140,
102, 116
147, 150, 159, 163, 173, 174
futur 23, 28, 40, 41, 61, 62, 71, 72, 84,
compétences 11, 14, 27, 29, 38, 46, 51,
91-93, 103, 107, 109, 111, 112, 129,
62, 67, 68, 100, 105, 108, 112, 126,
135, 138, 139, 144, 160-164, 168, 173,
128, 130, 132-135, 137, 138, 144, 148,
176, 177, 180
151, 155, 157, 159, 161, 183
complexité 13, 38, 43, 63-65, 68, 70, 71,
I
77, 119, 170
conception à coût objectif 106, 139, 173, idée 32-36, 41, 42, 44, 64, 79, 80, 82, 92,
179 104, 119, 131, 147, 150, 151
constructivisme 119 incertitude 35, 37, 47, 70-74, 77, 80, 110,
courbe en S 52 115, 126, 128, 129, 144, 162, 164, 167
188 L’ingénierie de l’innovation

ingénierie Q, R
concourante 109, 170
QFD 105, 106, 127, 160, 168, 170, 173-
simultanée 19, 25, 32, 160
176, 182, 183
qualité 21, 32, 41, 42, 50, 51, 61, 64, 65,
K, L, M 68, 71, 73, 103, 106-108, 111, 117,
knowledge management 152 121, 124, 127, 128, 130, 133, 136, 141,
loi d’évolution 13, 55 144, 149, 154, 164, 168, 171, 173, 176
management réorganisation 129
des connaissances 11, 151, 152 réseaux 56, 101, 136, 142-146
des ressources technologiques 92 ressources
marketing 23, 31, 69, 74, 101-104, 107, financières 69, 116
112, 117, 124, 127, 130, 133, 147, 149, humaines 45, 51, 116, 123, 155
155, 169, 175, 183 technologiques 50
méthodologie 154
métier 13, 23, 28, 51, 52, 57, 66, 79, 85, S, T
136 sauvegarde 113, 124
sous-traitance 23, 26, 82, 125, 142
N, O, P systémique 37, 39, 43, 44, 179
norme 82, 107, 110, 179 transfert de technologie 52
opportunités 38, 73, 111, 113, 117, 121, Triz 56, 77, 105, 151
129, 138, 140, 141, 159, 164, 185
V
partenariat 38, 61, 80, 82, 92, 111-113,
116, 118, 142, 144-146 valeur 11, 24, 28, 31, 51, 59, 61, 62, 63,
portefeuille de projets 90, 93, 100, 115, 65, 73, 74, 77, 86, 93, 106, 113, 115,
116, 118 117, 131, 134, 141, 146, 148, 150, 170,
Porter 146 173, 180, 182, 183
processus cognitif 35, 75, 84 veille technologique 11, 21, 28, 67, 68,
propriété industrielle 112, 113, 135, 146 94, 96, 101, 109, 115, 137, 138, 139,
prospective 57, 86, 93, 141, 142 140, 145, 148, 158

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