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L'Homme

Tzvetan Todorov, « Recherches sémantiques », Langages, 1966,


n° 1
Oswald Ducrot

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Ducrot Oswald. Tzvetan Todorov, « Recherches sémantiques », Langages, 1966, n° 1. In: L'Homme, 1966, tome 6 n°4. pp.
120-121;

https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1966_num_6_4_366850

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120 COMPTES RENDUS

au lecteur une information qui sans être impartiale, ni universelle, se veut pertinente et
large.
Que résulte-t-il de cette confrontation avec le programme initial de Martinet ?
Il ne pouvait être question, dès cette première livraison, d'aborder tous les sujets qui,
par la suite, pourront avoir droit de cité en la revue. Si la linguistique appliquée ne se trouve
pas représentée, les différentes contributions de linguistique pure, dans leur diversité,
répondent à l'impératif d'hospitalité posé par Martinet. Et pourtant, l'écueil du disparate qui
aurait pu s'ensuivre semble avoir été évité : toutes ces études comportent, explicite ou
implicite, la « moralité de portée générale » justifiant leur insertion dans une revue de linguistique
structurale et fonctionnelle.
Appréciant dans la variété des exposés l'homogénéité qui en résulte, il nous semble que
cette revue destinée à des spécialistes engagés doit contribuer à mieux définir concepts et
méthodes linguistiques. Nul n'en niera l'urgence.

Madeleine de La Tribonnière

Tzvetan Todorov, « Recherches sémantiques », Langages, 1966, n° 1, Larousse,


128 p., 23 X 15 cm.

Le premier numéro de la revue Langages — dont la composition a été confiée à Tzvetan


Todorov — a pour thème « Recherches sémantiques ». Le pluriel et l'absence d'article qu'on
remarque dans le titre, montrent clairement quel a été le but de Todorov : il ne s'agit pas
de défendre une théorie sémantique particulière, il ne s'agit pas non plus de faire le point,
de façon exhaustive, sur l'ensemble des recherches sémantiques actuellement en cours, ce
qui condamnerait à n'en exposer aucune en détail. (Les recherches non proprement
linguistiques sont notamment exclues de cet ouvrage.) Todorov a simplement choisi de présenter
un certain nombre d'approches, assez peu connues en France, qui lui semblent prometteuses,
et qui, à ses yeux, permettent « de croire que la sémantique est et sera une science ».
Le numéro comprend quatre articles, auxquels est jointe une précieuse bibliographie.
On trouve d'abord un article de présentation, dû à Todorov, qui comprend d'une part un
historique de la recherche sémantique en linguistique depuis Hjelmslev, et d'autre part un
exposé détaillé de la théorie élaborée par deux linguistes américains de l'école de Chomsky,
Katz et Fodor. Suivent deux traductions d'articles récents, qui illustrent deux des tendances
dégagées dans la partie historique de l'introduction. L'article du lexicologue russe J. Apre-
sjan, «Analyse distributionnelle des significations et champs sémantiques structurés », montre
comment la technique du distributionalisme américain peut être appliquée aux problèmes
du signifié, et rendre plus rigoureuses et plus convaincantes les descriptions de champs
sémantiques réclamées, il y a assez longtemps déjà, par J. Trier. Quant à l'article de
l'Américain F. G. Lounsbury, « Analyse structurale des termes de parenté », il utilise l'analyse
componentielle (recherche de traits pertinents de signification, parallèles aux traits distinctifs
du signifiant mis en relief par la phonologie) pour structurer un champ sémantique donné,
le vocabulaire de la parenté dans une tribu iroquoise. Le dernier article est une contribution
originale de Todorov, qui étudie, dans la perspective de Katz et Fodor, le problème des
« anomalies sémantiques ». Il entend par « anomalies sémantiques » des phrases,
grammaticalement correctes, et même susceptibles de recevoir un sens, mais qui ne manquent pas
d'éveiller chez le lecteur ou chez l'auditeur un certain sentiment d'étrangeté, par exemple :
« II écoute la musique qui reluit sur ses chaussures » (Breton et Éluard) ou : « C'est le cheval
qui est le soleil » (Artaud). Les exemples étudiés par Todorov sont généralement empruntés
à des poètes surréalistes, qui utilisaient systématiquement ce type de phrases dans l'intention
arrêtée de transgresser les lois du langage. En cherchant à classer ces anomalies selon les
causes qui les engendrent, Todorov est ainsi amené, indirectement, à formuler certaines des
lois qui composent la structure sémantique de la langue.
COMPTES RENDUS 121

Chacun des articles, même si l'on peut faire des réserves sur son contenu, laisse
l'impression, recherchée par Todorov, que l'approche linguistique des problèmes de la signification
peut sans conteste prétendre au caractère scientifique : elle est en mesure de définir des
critères de vérité, et de fournir des cadres pour des discussions précises. Mais il faut noter
en même temps que cette possibilité de rigueur est liée à l'importance accordée, dans chacun
de ces articles, à la notion de signe. Le distributionalisme détermine les lois de combinaison
des signes. L'analyse componentielle cherche à faire, pour chaque terme de parenté,
l'inventaire des traits distinctifs qu'il contient. Quant à la théorie de Katz et Fodor, dans le
prolongement de laquelle se situe le travail de Todorov sur les anomalies, elle prend pour point
de départ un dictionnaire dont chaque rubrique est consacrée à un signifiant du discours :
toutes ces recherches adoptent donc une perspective très différente de celle qui commande
l'ouvrage de Greimas analysé dans ce même numéro, et dont le thème central est une critique
de l'idée de signe. On ne peut nier que l'étude des signes donne une base expérimentale
solide à la sémantique puisque le signe est repérable de façon précise : il comporte un
signifiant qui permet de le localiser dans la chaîne parlée. Cet avantage n'a-t-il pas pour
contrepartie une simplification excessive de la réalité linguistique ? Est-il bien sûr que la langue
soit avant tout la jonction de certaines unités de sens et de certaines unités de son ? Telle est
sans doute la question qui domine la sémantique linguistique actuelle.

O. Ducrot

A. J. Greimas, Sémantique structurale. Recherche de méthode, Larousse, Paris,


1966, 262 p., 21 x 15 cm.

La linguistique peut-elle proposer ses méthodes en modèle aux autres sciences humaines ?
Il devient de plus en plus banal aujourd'hui de donner à cette question une réponse positive.
La sociologie, l'ethnographie, la psychanalyse se sont habituées à considérer une institution,
un mythe ou un rêve comme étant, dans une large mesure, des ensembles signifiants dont il
faut, avant tout, établir la signification ; la linguistique, étude des langues naturelles, c'est-
à-dire de purs systèmes de signification, peut donc sans paradoxe prétendre être le paradigme
de la science humaine. Aussi n'est-ce pas cette prétention qui suffirait à faire l'originalité du
livre de A. J. Greimas. Ce qui est original, c'est la façon dont elle y est justifiée. D'abord
parce que l'auteur met la main à la pâte : il ne se contente pas de considérations
méthodologiques générales, mais il applique les méthodes linguistiques à des exemples précis. Elles
lui permettent notamment de remanier, et de rendre beaucoup plus claires et plus cohérentes,
d'une part la célèbre analyse du conte populaire russe de Propp, d'autre part l'étude — faite
par M. Safouan — d'une série de psychodrames, et enfin la description de l'univers
imaginaire de Bernanos proposée par Thasin Yiïcel.
Une deuxième originalité de l'ouvrage de A. J. Greimas concerne le point d'insertion
de la linguistique dans les sciences humaines. Une fois admis qu'un mythe, par exemple, est
un système de signification, il faut lui reconnaître deux aspects complémentaires, un
signifiant et un signifié. Or l'application la plus naturelle de la linguistique semblerait devoir
porter sur le signifiant. On peut facilement envisager, par exemple, qu'un procédé analogue
à la commutation phonologique permette de distinguer, parmi les événements qui composent
le récit mythique, ce qui est pertinent (ce qui contribue à véhiculer le sens) et ce qui n'est
qu'une variante dépourvue de valeur significative. Mais les méthodes proposées dans
Sémantique structurale visent tout autre chose. C'est d'une analyse du signifié, du contenu, qu'il
s'agit. Le problème n'est pas de déterminer l'organisation la plus cohérente du signifiant,
mais de décrire la signification. L'auteur cherche avant tout à construire un certain nombre
de concepts permettant d'exprimer, avec autant de cohérence et de netteté que possible,
ce que le récit mythique dit d'une façon enveloppée, allusive, et qui souvent même apparaît
contradictoire. La tâche dernière qu'il se fixe, c'est de créer un langage où l'on puisse,
objectivement, parler du sens.

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