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Hémostase A la recherche de

l'antithrombotique idéal
P. de Moerloose F. Boehlen
Rev Med Suisse 2005; volume 1. 30027

Résumé
Les héparines et les antagonistes de la vitamine K sont les principaux agents antithrombotiques employés depuis
des années. Ces deux classes de médicaments sont très efficaces mais non dénuées d'effets secondaires. C'est
pourquoi de nouveaux agents sont développés. Deux de ces agents (fondaparinux et ximelagatran) sont
maintenant disponibles. Le fondaparinux montre une plus grande efficacité que les héparines de bas poids
moléculaire dans la prévention des thromboses veineuses en chirurgie orthopédique majeure. Le ximelagatran,
actif par voie orale, est maintenant admis par certaines autorités pour une utilisation à court terme. Il était espéré
que cet agent puisse remplacer les antivitamines K mais la péjoration des tests hépatiques observée après
quelques semaines incite à une grande prudence. D'autres médicaments en phase de développement avancé
seront discutés dans cet article.

INTRODUCTION
Dans les pays occidentaux, plus d'un pour cent de la population prend régulièrement des agents
antithrombotiques. C'est dire combien la recherche d'un agent anticoagulant idéal est active. 1,2 Cet agent devrait
être efficace sans faire saigner (rêve fou des spécialistes de l'hémostase). Les autres caractéristiques principales
attendues d'un agent antithrombotique idéal, outre l'absence d'effets secondaires importants, sont une
administration orale et une absence de contrôle de laboratoire. Or depuis environ cinquante ans, nous ne
disposons principalement que de deux classes d'agents antithrombotiques : les héparines (non fractionnées et
depuis le début des années 80 les héparines de bas poids moléculaire ou HBPM) et les antagonistes de la
vitamine K. Ces deux classes de médicaments ont indiscutablement fait leurs preuves mais ne représentent pas
des agents antithrombotiques idéaux. Les HBPM ont certainement été un progrès important par rapport aux
héparines non fractionnées. Cependant certains problèmes subsistent : elles sont d'origine animale, nécessitent
une administration sous-cutanée, peuvent induire des thrombopénies et ne bloquent pas la thrombine liée au
caillot. Les désavantages des antagonistes de la vitamine K (AVK) sont bien connus. Ils ont une fourchette
thérapeutique étroite (environ 3% des patients traités chaque année par AVK présentent des complications
hémorragiques majeures). La réponse interindividuelle est grande et les interactions médicamenteuses et
alimentaires nombreuses, ce qui implique des contrôles de laboratoire fréquents. De plus, plusieurs jours sont
nécessaires avant d'atteindre la cible thérapeutique. Pour toutes ces raisons il y a un besoin de nouveaux agents
antithrombotiques, ce à quoi se sont attelés les chercheurs depuis de nombreuses années.

Grâce à une meilleure compréhension de l'hémostase au niveau moléculaire, plusieurs nouveaux médicaments
sont apparus. Dans cette revue nous nous focaliserons sur certains inhibiteurs du facteur X activé (FXa) et de la
thrombine, principaux facteurs cibles de beaucoup des nouveaux agents thérapeutiques.

RAPPELS DE L'HÉMOSTASE
L'endothélium, les plaquettes, les facteurs de la coagulation, les inhibiteurs et la fibrinolyse sont tous des
éléments essentiels de la coagulation. Pour cette revue nous nous limiterons à une représentation schématique
des principales étapes de la coagulation (figure 1). Celle-ci est initiée par le facteur tissulaire (FT) qui est
exprimé par des cellules (endothélium, monocytes, etc.) lorsqu'il y a une brèche sanguine ou une activation par
différents agents (endotoxines, cytokines, autres). Le FT va fonctionner comme un récepteur transmembranaire
pour le facteur VII activé (FVIIa), qui est présent dans le sang. Le complexe facteur tissulaire/FVIIa va à son
tour activer le facteur X en FXa et cela permettra une première génération de thrombine (on parle de la phase
d'amplification). Celle-ci permettra une activation des plaquettes, des facteurs V, VIII et XI, le tout aboutissant à
une génération maximale de thrombine (étape d'activité de la thrombine ou phase de propagation) qui permettra
de transformer le fibrinogène en fibrine.

La coagulation est contrôlée par plusieurs mécanismes, incluant l'inhibiteur de la voie du facteur tissulaire
(TFPI) à la phase d'initiation, la protéine C activée et l'antithrombine. Cette compréhension de l'hémostase a
permis le développement de nouveaux agents antithrombotiques, qui miment en partie l'action de ces
inhibiteurs.2

LES INHIBITEURS DU FACTEUR XA


Comme indiqué précédemment, le FXa joue donc un rôle central dans la coagulation et représente donc une cible
pour les agents antithrombotiques. Les inhibiteurs du FXa sont des inhibiteurs de l'amplification de la
coagulation. Ils peuvent être classifiés en inhibiteurs directs ou indirects du FXa. Les inhibiteurs indirects (tels
que les héparines ou le fondaparinux) induisent un changement de conformation de l'antithrombine qui devient
très active pour bloquer le FXa.

Le fondaparinux (Arixtra®)

Nous avons déjà précédemment évoqué les principales propriétés de cet agent. 3,4 Il s'agit d'un pentasaccharide
sulfaté de synthèse. Il représente la plus petite structure capable d'induire un changement de conformation de
l'antithrombine qui résulte en une augmentation de l'activité anti-Xa de l'antithrombine. Il a l'avantage par
rapport aux héparines d'origine animale de ne pas présenter de variation de lot à lot. Il est administré par voie
sous-cutanée, sa biodisponibilité est de 100% et des contrôles de laboratoire ne sont donc pas nécessaires
(tableau 1). Son action est rapide et sa demi-vie plasmatique est de 17 heures, permettant une seule injection
quotidienne. A des doses prophylactiques, il n'affecte pas le temps de prothrombine ou l'aPTT. Il n'induit pas de
thrombopénie à l'héparine. Son élimination est rénale, le médicament étant excrété tel quel dans les urines.
Le fondaparinux est maintenant employé en clinique, essentiellement pour la prévention de la maladie
thromboembolique veineuse après chirurgie orthopédique majeure où son efficacité s'est révélée supérieure aux
HBPM. D'autres études ont montré également son efficacité dans d'autres types de chirurgie. De plus les études
MATISSE ont montré son efficacité et sa relative sécurité par rapport aux AVK dans le traitement initial de la
thrombose veineuse ou de l'embolie pulmonaire.5,6 Le fondaparinux a également été évalué en cas d'angor
instable et d'infarctus du myocarde.

Est-ce que le fondaparinux est le nouvel antithrombotique idéal ? Même s'il s'agit d'un progrès très important, la
réponse est non, cette substance devant être administrée de manière quotidienne par une injection sous-cutanée,
son action étant indirecte (la thrombine liée au caillot n'est pas inhibée) et les saignements étant tout aussi
fréquents qu'avec les HBPM. De plus, en cas de problèmes hémorragiques, il n'y a pas d'antidote spécifique,
quoique le facteur VIIa recombinant puisse être efficace dans des situations extrêmes. 7 Finalement le coût plus
élevé que les HBPM représente un autre désavantage mais seules des études de coût-efficacité réalisées
indépendamment des firmes pourront permettre de dire si le coût plus élevé est compensé par une efficacité et
une sécurité meilleures.

L'idraparinux

Il s'agit d'une molécule agissant comme le fondaparinux mais ayant une très longue demi-vie. L'avantage majeur
est une administration hebdomadaire (!), sans contrôle de coagulation nécessaire. Dans une étude de phase II,
l'idraparinux a été comparé avec la warfarine dans le traitement de la thrombose veineuse profonde. Les études
de phase III en cours permettront de voir si cet agent a une place dans l'arsenal des agents antithrombotiques.

Les inhibiteurs directs du facteur X activé

Des études cliniques de phase II ont été effectuées avec deux inhibiteurs directs du facteur Xa. La première
substance, le DX-9065a, doit être administrée par voie intraveineuse mais la seconde substance, le DPC 906, a
l'avantage majeur de pouvoir être administrée par voie orale. D'autres inhibiteurs oraux sont en développement et
pour toutes ces molécules nous attendons plus d'informations avant de voir s'il s'agit d'alternatives thérapeutiques
intéressantes, proches de l'antithrombotique idéal.

LES INHIBITEURS DIRECTS DE LA THROMBINE


Il existe de nombreux inhibiteurs directs de la thrombine qui sont capables d'inhiber non seulement la thrombine
circulante mais aussi celle liée au caillot. Or cette thrombine liée au caillot, qui continue à activer la coagulation
et les plaquettes, ne peut pas être bloquée par les héparines qui agissent indirectement via l'antithrombine pour
bloquer le facteur Xa et la thrombine. Le premier inhibiteur direct disponible a été l'hirudine qui a montré une
grande efficacité. Cependant l'hirudine a une fourchette thérapeutique très étroite (risque élevé de saignements en
particulier).2,8 D'autres inhibiteurs directs de la thrombine sont disponibles en clinique dans des indications bien
précises comme la thrombopénie induite par l'héparine (lépirudine, argatroban) ou la prévention des thromboses
en chirurgie orthopédique (désirudine), mais ces indications, même si elles sont importantes, sont relativement
marginales. Plus récemment une nouvelle substance a été évaluée en clinique, il s'agit du ximelagatran.

Le ximelagatran

Nous avions déjà eu l'occasion de discuter de cette substance, 3,4 cependant des études très importantes ont été
publiées depuis lors. Le ximelagatran est une prodrogue, administrée par voie orale, et qui est transformée par le
foie en sa substance active, le mélagatran.9 L'absorption orale est excellente, l'effet anticoagulant rapide, la demi-
vie de quatre à six heures et l'excrétion rénale. Le ximelagatran n'est pas métabolisé par le cytochrome P450 et,
contrairement aux antivitamines K, il n'y a pas d'interaction médicamenteuse connue. De plus il n'y a pas
d'interaction avec la nourriture. Pour toutes ces raisons, des contrôles de laboratoire ne sont pas nécessaires.

Les principales études cliniques concernent la prévention en chirurgie, le traitement de la maladie


thromboembolique veineuse et le traitement de la fibrillation auriculaire. En ce qui concerne la prophylaxie de la
maladie thromboembolique veineuse, les études (METHRO en particulier en chirurgie orthopédique), ont montré
une efficacité similaire à celle des HBPM.2 D'autres études (EXPRESS, EXULT, etc.) ont également montré des
résultats tout à fait intéressants et cet agent a été accepté par l'Agence européenne du médicament pour la
prévention de la maladie thromboembolique veineuse en cas de chirurgie orthopédique majeure.

Pour le traitement de la maladie thromboembolique veineuse, les études THRIVE ont montré également des
résultats très prometteurs. En effet, comparé à un traitement classique HBPM suivi par des AVK pendant six
mois, le ximelagatran (36 mg deux fois/jour) s'est révélé comme tout à fait compétitif. 2 Chez des patients qui
avaient déjà reçu six mois de traitement, une autre étude (THRIVE III) a montré que comparée à un placebo,
l'administration de ximelagatran (24 mg deux fois/jour) pendant dix-huit mois supplémentaires était très efficace
pour prévenir une récidive de thrombose, sans être accompagnée d'une augmentation significative de
complications hémorragiques majeures.10

Dans le traitement de la fibrillation auriculaire, les études SPORTIF ont montré une efficacité comparable à la
warfarine, l'antivitamine K de comparaison.11,12 Ces études sont très importantes car il est bien connu que les
problèmes liés aux AVK entraînent une sous-prescription de ces agents, particulièrement pour la population
gériatrique qui en bénéficierait le plus. Le ximelagatran est également évalué après infarctus du myocarde. 13

Cet agent ressemble donc à l'agent antithrombotique (presque) idéal : il est très efficace, il peut être administré
par voie orale, il ne nécessite pas de contrôle de laboratoire et bloque la thrombine liée au caillot (tableau 1). Le
problème de l'antidote n'est cependant pas réglé. Mais le problème principal est un effet secondaire inattendu, à
savoir une atteinte hépatique. En effet, après quelques semaines, environ 7% des patients qui prennent cet agent
vont développer une élévation parfois très marquée des transaminases. Bien que la plupart du temps les tests
hépatiques se normalisent, même si le traitement est continué, dans certains cas les tests hépatiques restent
perturbés et un risque de complication majeure ne peut être exclu. Ce risque pourrait être particulièrement
important si ce médicament était administré au long cours dans des conditions moins rigoureuses que celles qui
prévalent lors des études cliniques. Il est important de se souvenir que ces dix dernières années, au moins quatre
médicaments (bromfenac, troglitazone, pemoline et trovafloxacine) ont été retirés par la FDA après leur mise sur
le marché, en raison d'insuffisances hépatiques très sévères apparues pour beaucoup lors d'utilisations prolongées
et inappropriées.

CONCLUSIONS
La compréhension des mécanismes régulant la coagulation a permis le développement de nouveaux agents
antithrombotiques, comme par exemple le fondaparinux et le ximelagatran qui présentent certains avantages
quand on les compare aux héparines ou aux AVK. On ne peut pas dire que l'agent antithrombotique idéal ait été
encore trouvé (il est difficile de penser qu'on puisse trouver un agent antithrombotique sans risque de saignement
associé) mais de nombreux autres agents très prometteurs sont actuellement testés qui s'approcheront peut-être
de cet agent «idéal». Il est possible cependant que nous devions réfléchir non pas en terme d'un seul agent
antithrombotique, mais de plusieurs qui seront chacun «idéal» dans une situation donnée (par exemple des agents
différents pour la prévention des thromboses artérielles ou veineuses), en tenant compte également des profils de
réponse individuelle. Même si certains agents montrent une supériorité par rapport aux agents actuels leurs
avantages devront être décisifs pour justifier un coût additionnel.

Bibliographie
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Contact auteur(s)
Pr Philippe de Moerloose et
Dr Françoise Boehlen
Unité d'hémostase
Département de médecine interne
Hôpitaux universitaires de Genève, 1211 Genève 14
philippe.deMoerloose@hcuge.ch

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