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Directives anticipées en EHPAD, les suggestions des soignants pour une utilisation

pratique.

Résumé

Introduction : Les directives anticipées semblent intéressantes en EHPAD car elles permettent

un meilleur respect des volontés de fin de vie et une diminution des hospitalisations en fin de

vie. Cependant, de nombreux facteurs rendent leur rédaction difficile.

Méthode : Nous avons réalisé une étude qualitative en interrogeant les soignants d’un EHPAD

sur leurs pratiques concernant les volontés de fin de vie, leurs représentations des directives

anticipées et leurs suggestions pour les utiliser en EHPAD.

Résultats : Les directives anticipées étaient perçues comme utiles, mais présentaient des

difficultés de compréhension et de mise à l'écrit pour les personnes âgées. De même elles

comportaient pour les soignants des difficultés liées au manque de temps et au manque de

formation sur la manière de parler de la mort (et des soins palliatifs). Les discussions en

équipe et l'intervention d'une infirmière spécialisée en soins palliatifs permettaient d'améliorer

la prise en compte des volontés de fin de vie. Que ce soit parmi les soignants, les résidents ou

les familles, certaines personnes étaient à l’aise pour parler de la fin de vie tandis que d’autres

étaient très mal à l’aise et ne souhaitent pas aborder ce sujet tabou. Ils proposent concrètement

qu’il y ait des référents formés spécialement pour présenter les directives anticipées aux

patients même si chaque soignant doit pouvoir aborder le sujet.

Mots clés : Directives Anticipées – EHPAD – Personnes âgées – volontés de fin de vie –

Information

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Summary

Advance Directives in a french nursing home : a study on staff  suggestions to informe

residents.

Introduction: Advance directives seem interesting in nursing homes : they improve the respect

of patients’ end-of-life wishes, and reduce hospitalizations. Nevertheless, there are many

barriers to advance directive redaction with elderly people.

Method : We realized a qualitative study in a nursing home : we asked staff members about

their practices regarding patients’ end-of-life wishes, about their representations of advance

directives and about their suggestions on how to use them in nursing homes.

Results: Advance directives are perceived as useful. However they present various

difficulties, related to comprehension and writing for elderly people, and, concerning staff

members, related to the lack of time and training on how to speak about death (and palliative

care). Team discussions and a palliative care nurse intervention also improve the respect of

patients’ end-of-life wishes. There are among staff, residents or families, some people who

feel comfortable to talk about the end of life whereas others experience difficulties and don’t

want to broach this taboo topic. They concretely suggested that a trained “facilitator”

introduce advance directives to residents, even if each staff member should be able to broach

the subject.

Key words : Advance directives - Nursing home - Elderly - End-of-life wishes - Information

2
Introduction

Les directives anticipées ont vu le jour dans le droit français en 2005, par la loi relative aux

droits des malades et à la fin de vie, aussi appelée loi Leonetti (1). C’est un texte que tout

citoyen a le droit d’écrire afin d’exprimer ce qu’il souhaite, ou ne souhaite pas, pour sa fin de

vie. Ce concept, assez simple de prime abord, soulève de nombreuses questions.

Est-il vraiment réaliste d’anticiper la fin de sa vie ? Plusieurs auteurs rapportent « qu’il est

rare que ce qui a été exprimé par un patient s’applique à la situation précise à laquelle il se

trouve confronté. » (2,3). Et quand bien même la situation envisagée arrive, il reste la

possibilité d’un changement d’avis. Des directives rédigées par quelqu'un de relativement

bien portant peuvent changer quand son état de santé se dégrade (2).

Pour que le patient comprenne au mieux les enjeux de sa maladie et les traitements

envisageables, et que médecin entende le souhait réel de son patient, une discussion entre les

deux protagonistes au moment de la rédaction semble être incontournable. C’est un avis

partagé par la majorité des auteurs, et en particulier les équipes de soins palliatifs et

professionnels de terrain (4–7). Certains affirment même que l’accompagnement et l’échange

autour des directives anticipées sont autant, voir plus importants que la rédaction même (7).

Mais cette conversation n’est pas toujours simple et naturelle. Plusieurs études montrent en

effet que les patients attendent que les médecins évoquent le sujet (8–11) alors que les

médecins, eux, ont des difficultés avec la discussion sur traitement en fin de vie (8). Ils ont

peur de heurter le patient, ont du mal à aborder le sujet (11) et certains préfèrent même éviter

ces sujets (12). On constate bien ici un point de blocage dans la communication entre le

soignant et le soigné. La mort reste un sujet tabou.

En EHPAD (Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes), seulement

3
20% des personnes âgées souhaitent rédiger des directives anticipées (6,13,14), mais un plus

grand nombre accueille volontiers une information sur leurs droits en fin de vie.

La problématique de notre travail est la suivante : Y a-t-il des bénéfices à informer

systématiquement les patients en EHPAD de leurs droits en fin de vie ? Si oui comment

mettre en place une telle information ?

Nous avons choisi d’interroger les soignants ; d’abord pour connaître les pratiques déjà en

place à l’EHPAD pour respecter les volontés de fin de vie des résidents ; puis savoir si, de

leurs points de vue, les directives anticipées peuvent être utiles dans leur établissement malgré

leurs nombreuses limites ; et enfin savoir qui serait le mieux placé pour aborder ce sujet,

quand et comment.

Méthode

Nous avons utilisé une méthode qualitative pour répondre à cette question. Nous nous

sommes concentrés sur un seul établissement, celui de St Aignan-sur-Cher (Loir et Cher) et y

avons interrogé les soignants, c’est-à-dire les médecins, infirmiers, aides soignantes, agents de

service hospitalier (ASH), cadres et psychologue. Pour cela, nous avons mené des entretiens

semi-dirigés, individuels ou en groupe. Tous les entretiens ont été menés par un interne en

médecine générale dans le cadre de son travail de thèse et ont été enregistrés avec l’accord des

participants. Les participants étaient encouragés à s’exprimer librement sur la prise en charge

des résidents en fin de vie et le respect des volontés de fin de vie, et des questions de relances

étaient prévues quand la conversation s’arrêtait. Les entretiens ont été entièrement retranscrits,

puis analysés par une analyse thématique par deux personnes différentes afin d’avoir une

triangulation des données (15).

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Résultats

Population interrogée

Six focus groupes et deux entretiens individuels ont été réalisés, avec au total 30 personnes

interrogées. Les focus groupes ont été réalisés après les transmissions entre les équipes du

matin et de l’après-midi, permettant au personnel de chaque équipe de s’inscrire librement et

de récupérer le temps d’entretien sur leur temps de travail. Le médecin coordinateur de

l’EHPAD et un médecin remplaçant ont été interrogés en entretien individuel pour des raisons

d’organisation. Les entretiens ont duré entre 20 minutes et 1 heure.

I) Analyse des pratiques déjà en place à l’EHPAD

1) Hétérogénéité des soignants dans leur rapport à la fin de vie

Les soignants se sont exprimés sur la prise en charge des résidents en fin de vie. On a noté

une grande hétérogénéité entre certains qui étaient très intéressés par les soins palliatifs et

formés, et d’autres qui étaient mal à l’aise et avaient peu de notion sur les prises en charge en

fin de vie. «  Nous c’est vrai que les gens ils sont vivants, donc on est toujours en train de les

faire participer, enfin voilà on les fait bouger quand même pas mal et dès qu’ils ne vont pas

bien, les équipes, c’est comme un échec quoi. »

Deux personnes ont avoué être incapable d’aborder la mort, ou faire des soins en fin de vie,

comme « bloqués » par la notion même de mort qui les mettait extrêmement mal à l’aise.

2) Connaître la volonté des résidents

Tous les groupes ont apporté que des résidents parlaient spontanément de la mort.

« On en a qui nous disent clairement au moment de la toilette, ou des fois en salle à manger  :

si un jour, on devient comme ça … Enfin je préfère mourir que de rester comme ça. ».

Certains résidents demandaient à mourir, mais plutôt comme l’expression d’un « ras le bol »,

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d’une colère vis à vis des soins, ou l’impression de ne plus servir à rien. Il était alors difficile

de savoir ce qu’ils voulaient réellement dire. A l’inverse certains résidents semblaient

exprimer leur volonté d’en finir sans mots, en refusant systématiquement la nourriture, les

médicaments, les perfusions.

Les soignants demandaient rarement leurs volontés de fin de vie aux résidents qui n’en

parlaient pas spontanément. Parfois, la question était posée au décours d’un épisode aïgu, et

plutôt par le médecin. Une infirmière essayait d’informer les patients de leur droit à refuser

les soins avant un examen, leur permettant ainsi d’exprimer leur volonté.

La personne de confiance était un dispositif connu et utilisé. A l’arrivée de chaque résident,

un document expliquant le principe de personne de confiance était remis, et il était demandé

au résident d’en désigner une. Mais il y a eu des confusions : c’était parfois les familles qui

remplissaient le papier «  personne de confiance  » et parfois "personne de confiance" et

"personne à prévenir" était confondu au moment où il y avait besoin de leurs avis.

Une autre pratique en cours à l’EHPAD a été évoqué par tous les soignants : la demande des

« consignes décès ». Du fait de l’absence de chambre froide dans l’établissement, un

protocole a été mis en place pour demander à l’avance l’opérateur funéraire des résidents ; un

document écrit est à remettre au résident pour l’informer de ce fait, demander son opérateur

funéraire, et parfois la personne à prévenir en cas de décès.

Plusieurs soignants ont raconté être en difficulté pour aborder ce sujet. Certains préféraient

l’aborder dès l’entrée afin que ça reste un document administratif parmi d’autres, et pour

éviter de poser ces questions au moment de la maladie et de la fin de vie. Mais d’autres

soignants étaient vraiment mal à l’aise pour aborder ce sujet à l’entrée. Ils en parlaient à la

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famille plutôt que au résident, ou évitaient carrément le sujet. «  Alors nous c’est vrai que des

fois on essaye, on leur glisse à la fin, on dit «  Bah voilà il y a un petit papier, vous prendrez

votre temps et vous nous le redonnerez en temps voulu  », c’est vrai que du coup on en parle

pas, on esquive la chose. » Parfois les soignants essayaient de poser ces questions plus tard,

au cours d’une conversation, mais avaient des difficultés à trouver le bon moment et les bons

mots. «  Heu, il n’y a pas de bonne chose, je ne suis pas sûre qu’il y ait un bon moment pour

demander ce genre de chose, mais bon …  »

3) Respecter la volonté du résident dans les situations de fin de vie

D’une façon générale, les équipes rencontrées souhaitaient respecter la volonté des résidents

mais ce n’était pas toujours possible sur le plan matériel ou en cas de désaccord de la famille.

«  Parce que en fait quand tu réfléchis bien à chaque fin de vie que tu as, la plupart du temps

c’est les souhaits de la famille, hein, qu’on respecte. » Les situations de fin de vie pouvaient

être très complexes, avec de nombreux de avis différents et notamment des difficultés avec les

familles, ou au contraire une absence de décision. Dans ses cas, une discussion

pluridisciplinaire aurait été nécessaire, mais n’était pas systématique à l’EHPAD.

4) Bénéfices d’une infirmière en soins palliatifs et du travail en équipe

Tous les groupes de soignants m’ont parlé de l’infirmière formée aux soins palliatifs depuis

peu, et travaillant sur une seule des deux unités de l’EHPAD. Les soignants percevaient son

travail comme une aide et un progrès dans la prise en charge des fins de vies. «  Bah disons

qu’avant tout le monde avait des idées mais il n’y avait rien de concret. Que là maintenant

voilà, on suggère, et puis du coup (…) c’est elle qui s’occupe de prévenir le médecin, de

prévenir la famille, … Elle met en place les réunions (…) (Avant) chacun faisait un petit peu

de son côté, alors que là on est en équipe, et quand on est en équipe, on a déjà plus ce poids

7
qu’on porte tout seul sur les épaules, vraiment là c’est toute l’équipe, on veille vraiment …

tout le monde à la parole.  ». Ce n’était pas la même chose dans l’autre unité, elle

n’intervenait pas. Il y avait moins de discussions, et du coup plus de difficultés à prendre en

charge les personnes en fin de vie.

Les soignants ont aussi souligné l’importance du travail en équipe pour prendre en charge les

fins de vie : ils y voyaient la possibilité de s’entraider, de parler ensemble des sujets délicats.

Ils appréciaient l’aspect pluridisciplinaire avec l’apport des compétences de chacun. Dans

plusieurs groupes, la communication avec les médecins était décrite comme difficile. Des

difficultés qui pouvaient être liées à une relation de type paternaliste, au manque de

connaissance en soins palliatifs, au manque de médecins et à la présence d'intérimaires.

II Utilité des directives anticipées

Tous les groupes ont estimé que les directives anticipées pouvaient être utiles. Presque tous

ont évoqué une utilité pour aider les soignants à prendre une décision en fin de vie. Surtout

dans le sens de la limitation thérapeutique, et pour donner plus de poids à la volonté du

résident.

Ils ont également suggéré que les directives anticipées pouvaient être utiles pour

déculpabiliser les familles. En effet, tous les soignants interrogés avaient déjà rencontré des

difficultés avec des familles de personnes en fin de vie. Ces difficultés pouvaient survenir au

moment de prendre des décisions : classiquement, c’est quand un résident refusait des

explorations ou des traitements, la famille insistait pour qu’il les ait. Parfois, plusieurs

membres d’une même famille n’étaient pas d’accord sur les soins à prodiguer à leur proche,

ce qui donnait lieu à des conflits qui pouvaient être très violents.

8
Les soignants avaient conscience qu’il était difficile pour les familles d’avoir un proche en fin

de vie. S’ils n’avaient pas envie de le voir souffrir, ils n’avaient pas non plus envie de le voir

partir. C’était difficile quand on leur demandait de prendre une décision. En se concentrant

sur la volonté des résidents, les directives anticipées pourraient aider à déculpabiliser les

familles dans les décisions de fin de vie, voire même éviter les conflits dans la famille.

Les soignants ont également confié que la fin de vie, la mort, est un sujet tabou, difficile à

aborder. Quelques uns pensaient qu’une information sur les directives anticipées pourrait être

l’occasion d’amorcer un dialogue sur la fin de vie. C’est d’ailleurs ainsi que faisait un des

médecins interrogés, utilisant la discussion sur les directives anticipées comme un moyen de

donner des informations, des explications sur la prise en charge palliative.

Enfin, un groupe a évoqué la notion de protection juridique que les directives anticipées

confèrent au médecin. Un week-end, un patient en fin de vie, en phase agonique, a été envoyé

aux urgences par le médecin de garde qui ne souhaitait pas « être attaqué par la famille ». Les

soignants ont pensé que si le patient en question avait rédigé des directives anticipées, ça

aurait peut-être rassuré le médecin et permis au patient de finir ses jours à l’EHPAD.

III) Difficultés à la l’usage des directives anticipées

Plusieurs soignants ont soulignés le temps que prend cette démarche. Or les soignants avaient

déjà l’impression de ne pas avoir assez de temps pour s’occuper correctement des résidents, et

ce d’autant que la charge de travail a augmenté ses dernières années avec des résidents

institutionnalisés de plus en plus tard, donc des pathologies plus lourdes et une autonomie

moindre.

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La question de la capacité cognitive des résidents s’est posée. Si pour certains soignants

l’information sur les directives anticipées ne concernait que les patients sans troubles

cognitifs, d’autres décrivaient bien des patients ayant des altérations cognitives mais toujours

capables de décrire leurs ressentis et dire ce qu’ils veulent. «  Ce qui est difficile c’est quand

(…) cette barrière entre «  elle a été capable  » et «  elle n’est plus capable  » n’est pas

complètement franchie.  »

Les soignants ont également évoqué la possibilité que les patients changent d’avis. Par

exemple une directive écrite par une personne en pleine santé pourrait changer si son état de

santé se dégrade. C’est un élément de complexité qui questionnait parfois les équipes : « On

la remet en question (la directive anticipée). Alors à quoi ça sert de les demander ! » Les

soignants se sont également demandés comment bien cerner le souhait du patient. Ils

craignaient que sa volonté de ne plus se battre pour vivre soit temporaire, ou lié à des

évènements extérieurs comme l’entrée en EHPAD ou les interlocuteurs.

La conversation qui doit précéder la rédaction des directives anticipées a été considérée

comme une difficulté par certains. Encore une fois on a observé une hétérogénéité parmi les

soignants. Plusieurs trouvaient que le concept de directives anticipées était difficile à

expliquer, ou que la mort était un sujet tabou, difficile à aborder. Beaucoup n’était pas à

l’aise, certains ne souhaitent pas en parler. Pourtant ils s’accordaient à dire que les résidents

étaient lucides et parlaient facilement de la mort, plus facilement en tout cas que leurs

familles. Certains soignants par contre se sentaient à l’aise, la mort étant quelque chose de

naturel, ils en parlaient facilement, et régulièrement. « Je pense que c’est la manière dont on

aborde le sujet qui fait la réponse. Ça c’est sûr et certain, on le voit avec les soignants. Si

10
nous on n’est pas à l’aise avec ça, sûr ça va mal se passer. Si nous on est à l’aise avec, ça

pose pas de souci. »

Enfin, les soignants ont évoqué que la mise à l’écrit pouvait-être compliqué avec les

personnes âgées. «  Y a les directives anticipées, orales, mais pas écrites. On en est dans

l’oral …  ». Les personnes âgées étant fragiles et influençables, l’écrit ne semblait pas être

une forme appropriée pour recueillir leurs volontés. Leur présenter un document à signer

paraissait agressif à certains. Se posait aussi la question de l’interprétation de ce qui a été

écrit. «  Mais après quand on dit pas d’acharnement, où s’arrêter ? » Pour pallier à ces

difficultés, un des médecins avait l’habitude de retranscrire dans le dossier les conclusions de

ses discussions avec les personnes âgées.

IV) Propositions pratiques pour la mise en place des directives anticipées.

Avant tout, les soignants ont estimé qu’une formation leur était nécessaire pour aborder les

directives anticipées. Une formation portant sur les soins palliatifs, sur le relationnel et sur

comment parler de la mort. Certains groupes ont réfléchit à la formation qui serait la plus

adaptée, et ils ont conclu l’analyse de cas concrets en groupe pourrait être la formule la plus

intéressante.

Qui aborde les directives anticipées avec les résidents ?

Plusieurs propositions ont été faites. Certains ont estimé que les résidents devaient pouvoir

aborder le sujet avec n’importe qui, avec le soignant avec lequel ils se sentent à l’aise. Mais

d’autres ont souligné que certains soignants ne pourraient pas aborder le sujet, car ils étaient

trop mal à l’aise pour parler de la mort. Ils ont donc proposé de former des volontaires dans

chaque service qui pourraient proposer les directives anticipées aux résidents.

11
La psychologue a été désignée comme une personne de choix pour aborder ce sujet, et le

médecin ayant un rôle important pour expliquer l’évolution de la pathologie et les possibilités

thérapeutiques.

Quand ?

Sur la question du meilleur moment pour aborder le sujet, les avis divergeaient. Certains

préféraient en parler dès l’entrée pour que ça reste administratif, mais d’autre estimaient

qu’une discussion sur la mort n’était pas la bienvenue au moment d’accueillir quelqu'un dans

son nouveau lieu de vie. Plusieurs propositions ont été faites : le sujet pourrait être aborder

lorsqu’une maladie incurable se déclare, lors d’un épisode aigu, quand on aborde la personne

de confiance ou quand le résident en parle spontanément. «  Je ne suis pas sûre qu’il y ait un

bon moment pour demander ce genre de chose, mais bon …  »

Comment ?

Enfin, nous avons demandé aux soignants comment aborder ce sujet. La grande majorité des

soignants a imaginé une discussion avec les résidents. Une personne, mal à l’aise avec la

mort, proposait plutôt une information par écrit.

Plusieurs soignants ont estimés qu’il était délicat, voir agressif de faire remplir un document

écrit aux résidents. Ils ont proposé que le médecin retranscrive dans le dossier médical les

volontés de fin de vie énoncées par le patient. Une soignante s’imaginait au contraire faire

rédiger ses directives directement au résident : « Je lui donnerais une feuille, et lui dire ben

voilà, vous pouvez, vous savez, vous avez des droits, vous pouvez marquer … Voilà »

Un des médecins interrogés nous a mis en garde sur l’inefficacité d’un formulaire à cocher.

12
Enfin deux groupes ont suggéré qu’il n’y a pas de règle absolue, et qu’il faut s’adapter à

chacun. «  On n’aura jamais de protocole, quelque part, on est toujours dans la situation

singulière.  »

DISCUSSION

A) Méthodologie

Nous avons fait le choix de concentrer le travail sur un établissement unique. Cela implique

que les résultats ne seront pas forcement représentatifs de ce qui se passe dans les autres

EHPAD. Le mode de recrutement a aussi pu induire un biais : les soignants étant libres de

s’inscrire aux focus groups, on peut imaginer que ceux qui sont venus sont plus sensibilisés à

cette thématique que les autres. Ce biais a été limité par l’insistance des cadres qui a motivé

quelques soignants peu à l’aise avec le sujet à venir quand même.

B) Des discussions en équipe et un référent en soins palliatif pour respecter les volontés de fin

de vie.

La « culture palliative » de l’établissement a connu une vraie évolution récemment, en partie

grâce à la formation d’une infirmière aux soins palliatifs. Ce point nous semble

particulièrement important à souligner. Pour que les soignants soient à même de respecter les

volontés de fin de vie des résidents, encore faut-il qu’ils puissent les entendre, qu’ils soient

familiers avec la notion de limitation thérapeutique. Les auteurs d’une étude multicentrique

américaine sur les directives anticipées en EHPAD affirment qu’une bonne communication

dans l’équipe permettrait un meilleur respect des volontés des résidents (16). C’est également

l’intuition de soignants français travaillant dans un EHPAD de la Somme (17).

Pour améliorer la prise en charge des patients en fin de vie et la qualité de travail des

13
soignants en EHPAD, il semble incontournable d’instaurer des discussions pluridisciplinaires

régulières autour des patients en fin de vie, idéalement en présence d’un référent formé aux

soins palliatifs.

C) Utilités et limites des directives anticipées

En demandant aux soignants l’utilité des directives anticipées, nous avons retrouvé des

éléments présents dans la littérature et discutés dans l’introduction. On retrouve également les

limites identifiées dans l’article un article australien ayant travaillé sur les directives

anticipées de nombreuses personnes institutionnalisées : « Les potentielles barrières aux

directives anticipées sont la disponibilité de personnel formé et le temps, la compétence, la

confiance pour en discuter avec les patients ; l'engagement de l'organisation pour soutenir leur

mise en place ; et s'assurer que les médecins comprennent et soutiennent les directives

anticipées » (18).

Des difficultés avec des médecins peu formés aux soins palliatifs sont en effet signalés par les

soignants, au point qu’ils concluent que les directives anticipés pourraient « rassurer » le

médecin et l’aider à faire une limitation thérapeutique.

D) Quand aborder le sujet : en parler précocement, en rediscuter souvent si besoin

Quand on demande aux professionnels travaillant à Saint Aignan quel serait le meilleur

moment pour aborder les directives anticipées, les avis divergent. Dans la littérature par

contre, les recommandations vont dans le même sens, conseillant d’aborder le sujet « si

possible précocement» (19).

Une fois abordé une première fois, il faudra probablement y revenir plusieurs fois. C’est ce

que recommande la Société Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR) (10) et les patients

14
interrogées dans l’étude anglaise de Barnes (9). C’est ainsi qu’ont procédé les référents

formés de plusieurs études mettant en place des directives anticipées (18,20,21).

E) Comment aborder les directives anticipées : une discussion sur la fin de vie

- Personnaliser le dialogue sur la fin de vie en fonction des besoins exprimés par le patient

Les besoins et les attentes en matière de fin de vie varient d’un patient à l’autre. C’est ce que

constate une revue de littérature sur la communication en fin de vie. Le dialogue sur autour de

la fin de vie « doit être personnalisé, en tenant compte expressément des besoins exprimés

par les patients eux- mêmes, qui se caractérisent par une grande diversité suivant l’âge, le

sexe ou la pathologie, ce qui pose bien évidemment des problèmes spécifiques et éthiques en

cas de vulnérabilités telles que les altérations cognitives » (11). C’est ce que confirment les

patients anglais d’un service de cancérologie interrogés dans l’étude de Barnes (9).

Cependant, le fait que certains ne veuillent pas en parler ne doit pas inquiéter le soignant qui

voudrait délivrer une information. L’information sur les directives anticipées est moins

anxiogène que l’on ne l’imagine (22) et dans la récente revue de littérature sur les directives

anticipées : « Les patients ou familles qui ont participé aux ACP n’ont pas présenté plus de

stress, anxiété ou dépression que les patients qui n’y avaient pas participé. » (23).

- Des référents formés pour parler de la mort

Nous l’avons vu dans l’introduction, c’est plutôt aux soignants d’initier la conversation (8–

11). Un résultat intéressant de notre étude est l’hétérogénéité des soignants à cet égard :

certains n’ont pas de problème pour aborder ce sujet, qui même les intéresse, alors que pour

d’autres c’est particulièrement difficile, voire impossible. En prenant conscience de ce

phénomène, on réalise que la solution de simplicité qui consisterait à demander aux soignants

d’aborder ce sujet à l’entrée, faisant des directives anticipées un énième document

15
administratif à remplir, n’est pas la bonne. Certains soignants ne pourront pas aborder le sujet,

ça a été dit et répété au cours des entretiens.

Les soignants nous proposent autre chose. Que les personnes intéressées par le sujet puissent

se former. Qu’ils puissent se détacher pour aborder le sujet à un moment qui paraisse

opportun à l’équipe et au résident. Cette idée, spontanément proposée par les soignants, est

celle utilisée dans plusieurs études interventionnelles qui ont montré de bons résultats. Dans

une étude anglaise, plusieurs référents (ACP Facilitators) sont formés par maison de retraite,

ce qui a permis d’augmenter le taux de rédaction des directives anticipées de 85% et de

diminuer le nombre de mort à l’hôpital de 25% (24). Dans l’article de K. Detering obtenant de

très bons taux de remplissage des directives anticipées, de respect des volontés de fin de vie et

de satisfaction des familles, c’est également un référent formé qui abordait les directives

anticipées avec les patients, leurs familles, les médecins et le reste de l’équipe (18). D’autres

études formant des référents ont obtenu des résultats significatifs (20).

- Une formation aiderait à parler de la mort

Les soignants interrogés éprouvaient le besoin d’être formés pour aborder les directives

anticipées. C’est une nécessité retrouvée dans la littérature (9,11). Pour permettre ce dialogue

sur ce sujet délicat, il est besoin de compétences relationnelles et de communication, qui sont

très peu présentes dans la formation médicale et devraient faire l’objet d’un apprentissage,

comme le proposait la conférence de consensus de l’ANAES en 2004 (25).

Une formation, oui, mais laquelle ? A l’étranger, des programmes spécifiques existent pour la

formation du personnel et l’implantation des directives anticipées dans les structures. On

citera « Let me decide » et « Respecting Choices » aux Etats-Unis, « Gold Standards

Framework in Care Homes  » (GSFCH) en Angleterre. Ces formations aident les professions à

16
s’approprier les techniques de communications à l’aide de jeux de rôle et d’enregistrements

(26,27). Une telle formation, spécifique sur les directives anticipées, n’existe pas en France à

ce jour à notre connaissance.

F) Comment aborder les directives anticipées : une documentation des dires du patient

Un médecin interrogé dans notre étude nous mettait en garde contre les « formulaires à

cocher ». Ses réticences sont confirmées par la littérature, des études américaines montrent

depuis plus de quinze ans que ce type de formulaire a une faible pertinence contextuelle, et est

souvent peu efficace pour guider la décision médicale (10,28). Aux Etats-Unis où les

directives anticipées existent depuis 1991, elles comprennent schématiquement un volet

portant sur les traitements et un autre sur les valeurs du patient. Le volet portant sur les

valeurs du patient permet au patient de se présenter comme une personne dans son entièreté et

sa singularité (10). Il argumente ses choix au regard de son vécu, ses croyances et convictions.

C’est une des étapes essentielles pour formaliser des directives anticipées d’après une étude

quantitative menée auprès de patients et de familles (29). Une autre orientation nous semble

intéressante : plutôt que demander au patient le détail des traitements qu’il veut ou ne veut

pas, on s’intéresse à objectif souhaité : des traitements qui maintiennent en vie ou des

traitements qui favorisent le confort (10,18). Ses notions sont maintenant intégrées dans le

guide de rédaction des directives anticipées de la Haute Autorité de Santé (19).

17
Conclusion

A l’EHPAD de St Aignan, la fin de vie est un moment délicat auquel tous les soignants

accordent de l’importance. Notre étude n’apporte pas de grande nouveauté sur l’utilité des

directives anticipées : on y retrouve les avantages et les limites présents dans la littérature.

Par contre elle nous éclaire sur le contexte plus global dans lequel elles doivent d’inscrire : un

bon développement des soins palliatifs, avec des limitations thérapeutiques, des réunions

pluridisciplinaire, et l’intervention de référents en soins palliatifs, semblent être des préalables

nécessaires pour avoir une équipe formée et à l’écoute des volontés des patients.

Ainsi certaines questions trouvent des réponses, ou des pistes à explorer. D’autres difficultés

persistent : mettre en place une formation française pertinente ; trouver le bon moment, qui

doit être « précoce », certes, mais néanmoins à trouver ; trouver le temps, et donc aussi

éventuellement les financements pour ces formations et temps dédiés ; s’adapter aux

difficultés cognitives des résidents ; et enfin réussir à élaborer une conversation suffisamment

fine pour amener le résident à explorer et exprimer ce qu’il souhaite réellement.

Car il semble que ce soit là le véritable enjeux des directives anticipées : ouvrir un espace de

parole autour de ce sujet tabou qu’est la mort, pour que ensemble, résidents, professionnels et

familles puissent se préparer et vivre le mieux possible ce moment délicat.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation

avec cet article.

18
Bibliographie

1. Loi n°2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie.

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