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LES
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de l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale

Dix ans après la lettre ouverte


des étudiants et le rapport Fitoussi

Où en est l’enseignement
de l’économie à l’université ?
Quel état des lieux peut-on faire de ques ; apprentissage des outils et
l’enseignement de l’économie dans le supérieur méthodes quantitatives dans le
et des transformations qui pourraient lui être cadre d’enseignements d’économie
apportées. L’Idies relance le débat, dix après appliquée. Le manifeste souhaitait
le manifeste « autisme en économie »*. par ailleurs le recours à des mé-
thodes pédagogiques « actives »

I
(exposés, mini-mémoires, travaux
de groupes, etc.).
l y a dix ans une controverse tonné aux « mondes imaginaires », Ces revendications ne sont pas
éclatait dans le (petit) mon- c’est-à-dire flottant dans la pure très éloignées des conclusions d’un
de universitaire de l’ensei- théorie sans retour vers l’empirie ; rapport, remis en septembre 1999
gnement de l’économie. un usage incontrôlé des mathé- par Michel Vernières (Université
Initiée par un manifeste d’étu- matiques devenant une fin en soi ; Paris 1), qui préconisait un ensei-
diants qui remettait en cause le dogmatisme d’enseignements gnement reposant sur trois piliers
l’intérêt de l’enseignement tel qu’il faisant la part trop belle, voire ex- d’égale importance : les analyses,
se pratiquait alors, elle a fait naî- clusive, aux analyses néoclassiques ; micro et macro, mises en perspec-
note de travail N°15 tre de nombreuses contributions d’une façon générale l’échec de tive et en débat grâce à l’histoire de
et un rapport officiel qui préco- cet enseignement à offrir des clés la pensée ; la connaissance des faits,
mars 2011 nisait des réformes importantes de compréhension du monde éco- des institutions et des politiques
tant au plan des contenus que nomique et social. Cette première économiques contemporaines ; et
des méthodes (1). Sans prétendre lettre ouverte fut rapidement sui- enfin l’acquisition des outils tech-

1
faire un bilan exhaustif, la pré- vie d’une seconde qui, sous la niques de base (mathématiques,
sente note, après avoir rappelé forme d’un « manifeste » (3) , pré- statistiques, langue, etc.). lll

l’historique de la controverse, cisait ce que devraient être les


*Cette note ne prétend pas faire le tour de la
cherche à savoir ce qui en est ré- cursus d’économie pour le mou- question et souhaite plutôt être une invitation
à débattre. En particulier, un recensement des cursus
sulté, dix ans plus tard. vement de critique : moins de en économie (universités, écoles), de leur –
théories ou de techniques ensei- éventuelle – diversité, des innovations – de contenus
ou de méthodes – serait un préalable. Le site
Un manifeste gnées pour elles-mêmes, mais un de l’Idies est prêt à accueillir les différentes
contributions.
fondateur équilibre entre : économie descrip-
tive (les faits et les institutions (1) Le numéro 9 de « L’économie politique » (1er
trimestre 2001) est tout entier consacré à cette
En juin 2000, le journal Le Mon- économiques) ; présentation des question et offre d’intéressantes contributions, y
compris un parallèle avec la situation aux Etats-Unis.
de publiait une « lettre ouverte des principaux courants de la pensée
(2) http://www.autisme-economie.org/article2.html
étudiants en économie » (2) qui a économique et des enjeux politi-
fait un certain bruit. Y étaient dé- ques et sociaux auxquels cherchent (3) http://www.autisme-economie.org/article4.html
noncés : un enseignement can- à répondre les analyses économi- (4) http://www.autisme-economie.org/article3.html
Où en est l’enseignement de l’économie à l’université ?

lll
Ces initiatives ont suscité et formulent un certain nombre de Les critiques ont-elles
des débats au sein de la commu- propositions. Selon ce rapport, été entendues ?
nauté universitaire. Certains ensei- l’aspect formation « par » l’écono-
gnants apportant mie (l’économie comme formation Dix ans ont passé depuis cet épi-
leur soutien aux étu- intellectuelle) devrait être privilégié sode. Le rapport a-t-il été suivi

“Le rapport
d i a n t s, d ’a u t re s en premier cycle et l’enseignement d’effets ? L’organisation et les conte-
contestant leurs ana- devrait être « incarné dans les faits, nus des enseignements d’économie

Fitoussi
lyses et préconisa- les politiques, l’histoire et les débats ont-ils changé, les méthodes pé-
tions, comme dans de société ». En second cycle, il s’agit dagogiques ont-elles évolué dans

a reçu un
le « contre-appel plutôt de former « à » l’économie, le sens souhaité par le manifeste
pour préserver la de former des économistes profes- des étudiants et préconisé par le

accueil plutôt
scientificité de l’éco- sionnels, ce qui supposerait des rapport Fitoussi ?
nomie » (4) paru à cours « intégrés », alliant théorie, Une vue d’ensemble est difficile

favorable des
son tour dans le technique et dimension culturelle. car les universités sont autonomes
même quotidien en Le rapport insiste par ailleurs sur et les cursus peuvent varier d’un

étudiants
octobre 2000 et signé la dimension pédagogique : moins établissement à l’autre. De plus, la
de quelques noms de cours morcelés, plus de travaux lecture d’une « plaquette » présentant

engagés dans
prestigieux de la personnels et plus de « TD » ; affec- les enseignements ne renseigne pas
science économique tation prioritaire des enseignants forcément très clairement sur les

le mouvement
française. Ce contre- aguerris dans les formations inté- contenus réels et encore moins sur
appel est une dé- grées de premier cycle ; maintien les méthodes employées. Enfin, des

pour une
fense de l’usage de d’une approche « progressive » par réformes générales – comme la ré-
la formalisation en niveau (et non d’une approche forme LMD à partir de 2002 – inter-

réforme des
économie, qui doit d’emblée transversale par thème venues depuis, viennent interférer
être mise au service ou « problème ») mais sans oublier avec d’éventuelles réformes propres

enseignements
de la démarche scien- de présenter les débats qui struc- aux enseignements d’économie.
tifique : définition turent la discipline. Il propose en- Nous avons cependant cherché

d’économie.”
des concepts et com- core des réformes institutionnelles à en savoir plus. Pour cela nous
portements, modé- en particulier un premier cycle plus avons interrogé deux universitai-
lisation, confronta- pluridisciplinaire avec une pre- res engagés dans la formation des
tion de la théorie aux faits. Des mière année « ouverte » où le choix étudiants. Dominique Thiébaut
tribunes libres furent publiées dans de quelques « dominantes » s’ac- d’une part, Doyen de la Faculté de
la presse, signées d’Antoine d’Autu- compagnerait de « conférences de Sciences Economiques et de Ges-
me, d’Olivier Favereau, d’André méthode ». tion (FSEG) de l’Université Paris-Est
Orléan, le congrès annuel de l’As- Enfin, le rapport estime néces- Créteil (2000-2009) et Vice-Prési-
sociation française de sciences saire des procédures d’évaluation dent de la Conférence des Doyens
économiques consacra une table des enseignements et des réformes des FSEG. Et, d’autre part, l’un des
ronde à cette question. en matière de recrutement, car- animateurs de l’Association fran-
rière et rémunération des ensei- çaise d’économie politique : Nico-
Le rapport gnants. las Postel, Maître de conférence

2
Fitoussi Ce rapport a reçu un accueil plu- en sciences économiques, respon-
tôt favorable des étudiants enga- sable de la licence mention « éco-
L’ampleur du débat a conduit le gés dans le mouvement pour une nomie et société », Université Lille
ministre de l’Education nationale réforme des enseignements d’éco- 1. Nous avons aussi sollicité le point
d’alors, Jack Lang, à demander à nomie. Le débat sur l’enseignement de vue d’un des principaux acteurs
Jean-Paul Fitoussi un rapport sur de l’économie a débordé le cadre du Mouvement des étudiants pour
(5) Jean-Paul Fitoussi, la question (5). Dans ce rapport, de l’université pour entrainer, par une réforme de l’économie, Gilles
L’enseignement supérieur des sciences
économiques en question, Rapport les auteurs (Jean-Paul Fitoussi était exemple, l’organisation en avril Raveaud, aujourd’hui maître de
au ministre de l’Education nationale,
FAYARD 2001. assisté de Jérôme Gautié et Etien- 2003, de Rencontres nationales conférences en économie à Paris
(6) Voir Christian Laval et Régine ne Wasmer) dressent un bilan sur l’enseignement de l’économie VIII et blogueur bien connu des
Tassi (Dir), L’économie est l’affaire nuancé de l’enseignement des à l’initiative principalement d’AT- lecteurs d’Alternatives Economi-
de tous, SYLLEPSE 2004.
sciences économiques en France, TAC et de l’Institut de recherches ques (7). u
(7) http://alternatives-economiques.
fr/blogs/raveaud/ présentent quelques cas étrangers de la FSU (6). Gérard Grosse

note de travail N°15


mars 2011
chantiers de l’Institut pour le développement de l’Information économique et sociale
Entretien : Dominique Thiébaut et Nicolas Postel

« La formation en économie n’a fait LES

que s’appauvrir depuis vingt ans »


IDIES : Le rapport Fitoussi préconisait Dominique Thiébaut : Depuis le que les deux premiers parcours sont
notamment une orientation pluridis- rapport Fitoussi, beaucoup de choses sélectifs mais pas le dernier, on re-
ciplinaire du premier cycle, l’alliance se sont passées, qui tiennent notam- trouve donc surtout en Economie des
des théories, des faits et des techni- ment aux modifications effectuées étudiants par défaut « au carré » et qui
ques et des réformes pédagogiques. dans les cursus qui relèvent tout à la sont loin d’être tous passionnés par
Estimez-vous que ces préconisations fois des réformes ministérielles (pas- l’économie. Toujours pour décrire l’of-
ont été suivies ? sage au « LMD 1 » puis « LMD 2 »), des fre de formation de notre Faculté, ce
aménagements relevant de la « de- qui permet de mieux
Nicolas Postel : Non, elles n’ont pas
“Le rapport
mande étudiante » (introduction de comprendre la réa-
été suivies. La tendance très générale matières plus « transversales » en li- lité, il faut savoir que

Fitoussi paraît
en France est celle d’un renforcement cence) et aux transformations de parmi les 22 M2 pro-
de l’économie comme « science nor- l’économie elle-même, à sa financia- posés une quinzaine

très décalé par


male » avec donc un peu partout le risation en particulier (ouverture de sont orientés Gestion
même tronc commun articulé autour masters en ce domaine). et les 4 Masters 2
de cours de micro/macro mainstream,
rapport à ce
Le rapport Fitoussi paraît très dé- spécialisés en Econo-
d’outils de modélisation et d’une for- calé par rapport à ce qui existe et, de mie sont « Ingénierie

qui existe et,


mation aux statistiques et à l’écono- fait, a eu peu d’influences. immobilière » (sur-
métrie. Aucune place pour l’esprit Il s’adressait avant tout aux études tout orienté finance-

de fait, a eu peu
critique dans ce tronc commun. et aux étudiants d’économie au sens ment de l’immobi-
Aucune place pour une ouverture strict. Or, au sein des Facultés de Scien- l i e r ) , «  M é t i e r s

d’influences.”
disciplinaire aux autres sciences so- ces Economiques et de Gestion (FSEG), Bancaires », « Econo-
ciales. Aucune place pour l’épistémo- les études d’économie aujourd’hui en métrie » et « Exper-
logie  et l’Histoire de la pensée éco- Licence sont la plupart du temps des tise et Gestion de
nomique (HPE). études d’économie-gestion et c’est le Projets Internatio- Dominique Thiébaut
Bien sûr en dehors de ce tronc com- cas à l’UPEC. naux ».
mun-tunnel chaque fac peut mettre Les étudiants qui entreprennent des La dimension plu-
ce qu’elle veut. La tendance forte est études d’économie (essentiellement ridisciplinaire a bien été introduite sous
d’y associer du « management » sous des bacheliers ES et S) le font souvent la forme d’options obligatoires dans
diverses formes pour répondre à la par défaut (faute d’avoir pu intégrer les deux premières années. Ainsi ont
demande/angoisse/rêve social porté une CPGE (9) ou un IUT). Dans notre été également introduites des options
par les étudiants souvent paupérisés université, comme souvent en FSEG, dites « transversales » qui doivent être
qui atterrissent à la fac. les deux premières années constituent choisies hors du champ de l’économie
A Lille en plus du tronc commun (qui un tronc commun (avec cependant et de la gestion (en Droit, Lettres, Scien-
comprend de l’Histoire des faits en L1 des options) servant de préparation ces, Arts, etc.) Les étudiants sont ra-

3
(8) et L2 et de l’HPE en L3) sont articu- à l’entrée en troisième année à partir tionnels, comme les ECTS (10) y sont
lées deux mentions de licence : « Eco- de laquelle les étudiants s’orientent souvent facilement attribués – car les
nomie et management », d’une part, dans des parcours plus spécialisés : à enseignants dans certaines disciplines
qui attire 75 % de étudiants et, d’autre Créteil au sein de la FSEG ils ont le sont « en manque » d’étudiants et
part, « Economie Appliquée », mention choix entre 3 parcours : Gestion (IAE), cherchent à les attirer – ils choisissent 8) L1 = première année de licence
qui comprend elle-même deux par- MIAGE (méthodes informatiques ap- parfois selon leurs goûts, mais parfois (9) CPGE = classe préparatoire aux
grandes écoles, IUT = Institut
cours possibles et exclusif l’un de pliquées à la gestion des entreprises) aussi selon la facilité d’obtention. Même universitaire de technologie
l’autre : économétrie et « économie et et Economie. Pour donner une idée si l’on peut accepter la volonté de ne (10) European Credits Transfer
société », dont je m’occupe, qui pro- des flux d’orientation, si l’on demande pas spécialiser trop tôt, la pluridiscipli- System, système de points
développés par l’Union
pose de la formation théorique insti- aux étudiants de L1 ou L2 leur choix narité telle qu’elle est appliquée peut Européenne. Aux composantes d’un
programme d’étude sont affectées
tutionnaliste en économie et un dou- d’orientation cela donne environ : 70% poser problème. Si l’on ajoute à cela le un certain nombre de points censés
refléter la charge de travail à
ble éclairage éco-socio sur des objets : « visent » un parcours en Gestion, 10% fait qu’avec la massification la condition réaliser par l’étudiant. Facilite la
organisation, développement, consom- un parcours MIAGE et seulement 20% des étudiants peut être difficile pour comparaison des programmes
d’étude au sein de l’Europe et la
mation, travail… un parcours en Economie. Sachant certains et que beaucoup doi- l l l mobilité des étudiants.

note de travail N°15


mars 2011
Où en est l’enseignement de l’économie à l’université ?

lll
vent travailler pour gagner de ments marchands. Les modèles macro « quanti », gestion, économétrie, etc.
l’argent, ils ont de moins en moins de continuent d’être à 90 % des modèles s’est renforcé du fait de la profession-
temps pour réfléchir, pour faire le « mé- d’équilibre général avec loi de Say et nalisation des études. Par ailleurs la
tier d’étudiant ». chômage volontaire. Nationalement, concurrence dorénavant ouverte en-
presque aucun cours de micro n’a tre les différentes universités, sur le
IDIES : Dans son rapport de 1999, Mi- intégré Simon et la rationalité procé- territoire et au-delà, semble renforcer
chel Vernières préconisait un ensei- durale (au mieux deux trois trucs sur cette hégémonie du mainstream qui
gnement reposant sur trois piliers la rationalité dans l’incertain sous une peut se faire sentir au sein des instan-
d’égale importance : les analyses, forme mathématique que l’on pour- ces qui gèrent les carrières universi-
micro et macro, mises en perspective rait qualifier de modèle avec rationa- taires en économie.
et en débat grâce à l’Histoire de la lité limitée).
pensée ; la connaissance des faits, des N.P. : Non ces tendances ne se sont
institutions et des politiques écono- D.T. : Les étudiants – et les ensei- pas du tout inversées. Au contraire cela
miques contemporaines ; et enfin gnants eux-mêmes – se tournent plus s’est renforcé. Tout le problème est là.
l’acquisition des outils techniques de volontiers vers les disciplines qui sem- Difficile donc d’y entrer par le haut
base (mathématiques, statistiques, blent plus directement professionna- c’est-à-dire par des « enveloppes de
langue, etc.). Pouvez-vous évaluer le lisantes : gestion, informatique, mo- cours ». Le problème c’est l’absence de
poids de chacun de ces « piliers » dans délisation, finance. Et comme le pluralisme dans la formation aux as-
les enseignements de licence volume global d’Ects est limité (30 par pects macro et micro. Rien sur l’insti-
aujourd’hui ? semestre), cela se fait souvent au dé- tutionnalisme. Rien sur les post key-
triment des cours « culturels » : his- nésiens. Rien sur Marx. Volonté de
N.P. : Premier pilier : 40% des ECTS, toire des faits économiques, histoire présentation d’une science homogène
outils : 40% et mise en perspective : de la pensée…, contraints et margi- qui progresse et qui suppose de voir
20 % des ECTS (souvent dans de l’op- nalisés en quelque sorte par une la vie économique comme « équili-
tionnel). Mais au delà du poids de ces double tendance : plus de pluridisci- brée », régulière, se prêtant à une re-
différents piliers, il y a deux problèmes : plinarité et d’accompagnement, d’une présentation mécanique non problé-
le premier pilier (les ana- part, plus de professionnalisation, matique et objective ; modèle des

“Les modèles
lyses micro/macro) est le d’autre part. C’est ainsi la formation à sciences physiques toujours dominant,
seul qui soit obligatoire l’économie comme « culture générale », avec une petite poussée des modèles

macro sont
partout et pour tous et mais également comme nécessaire à plutôt empruntés aux sciences de la
forme donc « la base ». Le la réflexion et l’appréhension du nature (expérimentation cognitive) ce

à 90 % des
second problème est que contexte, qui régresse. qui ne change pas la donne : l’économie
cette base est intellectuel- comme nature, les sciences économi-
IDIES : le manifeste des étudiants
modèles
lement très appauvris- ques comme sciences normales.
sante car elle se résume dénonçait un enseignement can- Au contraire, il faudrait affirmer que
tonné aux « mondes imaginaires »  et
d’équilibre
souvent à de la micro et l’économie est une science sociale. Ou
macro basique et «méca- le dogmatisme d’enseignements fai- en tout cas le dire à parité avec l’ap-
sant la part trop belle, voire exclusive,
général avec
nique», qui laisse 90% de proche « mécaniste/biologique».
place à la formalisation et aux analyses néoclassiques. Estimez- Qu’elle a un modèle épistémologique
vous que, depuis 10 ans ces tendances
loi de Say
10 % à la réflexion sur les distinct des sciences normales (voir
hypothèses et controver- se sont inversées ? Passeron). Que son rapport aux faits

et chômage
ses théoriques. Les cours est différent, etc. Alors on pourrait
sur la monnaie par exem- D.T. : L’hégémonie du mainstream avoir une micro marxiste (par exemple)

volontaire”
ple, sont souvent conçus a eu plutôt tendance à se renforcer, ou institutionnaliste/ conventionna-
à partir de l’hypothèse avec seulement une petite nuance liste et une macro vraiment keyné-
structurelle d’indépen- avec l’effet-crise. Les étudiants n’en- sienne ou régulationniste (par exem-
Nicolas Postel dance des banques cen- tendent guère plus parler de l’hétéro- ple)…en plus de la micro et de la
trales et d’efficience des doxie qu’il y a 10 ans, alors qu’ils seraient micro « standard ». Les étudiants en
marchés, et ils n’ont quel- peut-être plus ouverts à des discours seraient mieux édifiés, plus conscient
quefois pas été modifié alternatifs comme semble montrer des limites de chaque modèle.
d’une ligne après la crise de 2008 et leur « écoute » pour des thèmes tels Les étudiants accrochent souvent
la remise en cause de ce dogme pour « développement durable », « crois- très bien à l’économie « critique » et
les banques centrales et plus géné- sance verte », « économie sociale et « aux débats de politiques économi-
ralement la place laissée aux ajuste- solidaire ». Le poids des matières ques » qui les intéressent beaucoup.

note de travail N°15


mars 2011
chantiers de l’Institut pour le développement de l’Information économique et sociale
En revanche, leur désintérêt pour l’ap- une tendance à un moindre flux d’étu- tés par les services administratifs garants
proche formelle est évident, avec le diants intéressés par la « culture éco- de la mise en place de la politique
seul frein d’une certaine révérence nomique », « d’économistes » au sens « centrale » de l’université devenue LES

pour ce qu’ils ne comprennent pas de ceux envisagés dans le rapport autonome.


parce qu’ils sont souvent faibles en Fitoussi et au sens où l’entendaient les
maths et complexés de ce fait. On étudiants à l’origine du mouvement N.P. : L’hypothèse très générale que
peut souligner que, dès que les étu- de contestation des années 2000. je ferais volontiers est que s’il existait
diants peuvent voter avec les pieds, Les études se sont également sen- une formation propédeutique en
ils quittent l’économie formelle. siblement professionnalisées. Cela sciences sociales qui proposait une
correspond à la demande des étu- formation de base aux étudiants en
IDIES : Les années 90 avaient été mar- diants, de leurs familles très préoccu- économie, socio, droit, gestion, his-
quées par une stagnation voire une pés par la question de l’emploi, et de toire… elle attirerait immédiatement
baisse, au moins relative, des effectifs la société en général. Ainsi une des la plupart d’entre eux. L’approche
d’étudiants en sciences économiques. réformes au sein de la Loi sur la Res- formelle mainstream vide les amphis
Comment ont évolué ces effectifs ponsabilité des Universités a conduit et les formations qui s’ap-
depuis 10 ans ? à rajouter l’insertion professionnelle puient sur elle de manière très

“L’approche
comme une de ses missions premières visible quand on s’approche
N.P. : A Lille (et je crois en France) on avec l’enseignement et la recherche. un peu. Mais l’alliance avec la

formelle main
peut constater une forte augmentation: D’une part, dans la formation, à côté gestion fait qu’en général,
un quasi doublement des effectifs sur des « fondamentaux » (micro, macro, dans les effectifs globaux ce

stream vide les


ces 10 années. 700 étudiants en L1 et maths, stats) les matières « techniques » n’est pas visible.
à peu près 2000 sur l’ensemble de la prédominent. D’autre part, dans la Une bonne lecture des pro-

amphis et les
licence. Mais cette augmentation est formation est incluse une réflexion sur blèmes aurait dû donner lieu
artificielle du point de vue de la seule les projets personnels et professionnels, à cette formation propédeu-

formations”
science économique car elle se consti- par exemple, nous organisons en 2ème tique et à une réflexion appro-
tue surtout d’étudiants qui veulent année des « ateliers métiers » : rédaction fondie de ce que doit être la
faire du management et qui prient de lettres de motivation, rédaction de formation théorique en éco-
pour avoir ensuite, un IAE, une école CV, constitution de portefeuilles d’ex- nomie au-delà des acronymes Nicolas Postel
de commerce, ou un diplôme com- périences et de compétences, il est vide de sens que sont « macro/
portant une mention « management ». aussi possible de valider des stages au micro » et qui en fait sont tou-
A Lille 1, la formation économie-ges- sein du cursus, un stage est obliga- jours traduits par « micro néoclassique
tion est commune sur le L et se pour- toire en 3ème année. Les étudiants marshallienne du début du vingtième
suit pour les trois quarts des masters sont aussi mieux encadrés : accompa- siècle » et « IS/LM » (en général mal
du domaine qui comprennent une gnement, tutorat, professeur référent, traité car de manière trop mécanique)
partie « management ». apprentissage du travail universitaire, et ses prolongements (genre offre
Il me semble donc que bien souvent etc. Par ailleurs on peut estimer que globale/demande globale)…bref rien
l’économie est, pour beaucoup d’étu- fondamentalement au cœur de la qui ne permette de comprendre pour-
diants, un « mal en partie inévitable » réforme LMD et de la loi LRU il y a une quoi les chômeurs ou les salariés pau-
qu’ils évitent autant qu’ils peuvent. attaque contre les disciplines et donc vres doivent aujourd’hui payer les
Il reste par ailleurs en master un contre les « facultés » (d’où conflit sé- excès des traders (par exemple).

5
petit résidu d’intellectuels qui veulent mantique avec les Unités de Formation Au fond donc, Vernières et Fitoussi,
faire de l’économie politique en prise et de Recherche) qui en sont jusqu’ici deux bons rapports… pour rien. Il
avec le réel et qui s’accrochent. Leur les garantes en quelque sorte (y com- faut, n’est-ce pas, que « tout change
nombre est faible et stable. Ils tiennent pris avec leur travers « traditionnaliste »). pour que rien ne change » (selon le
pendant le cycle de licence en serrant Ainsi, par exemple, la tendance dans paradigme de Lampedusa) et donc
les dents mais s’en plaignent terrible- certaines universités, en fonction du mon avis personnel est que la forma-
ment sous l’angle : « aucune ouver- type de gouvernance – fortement tion en économie n’a fait que s’appau-
ture critique » « monde imaginaire » différencié dorénavant, autonomie vrir depuis 20 ans, sans inflexion
etc. Il faut à ce sujet lire la récente oblige –, à ce que les doyens ne soient aucune sinon dans le sens de la pen-
lettre ouverte des étudiants en scien- plus considérés comme les représen- te de plus en plus rapide qui nous
ces économiques (voir infra). tants de leur discipline, ce qui leur est mène au non-sens et qui décourage
demandé dans la Faculté au sein de les bons esprits de se consacrer à
D.T. : S’il n’y a pas eu de baisse des laquelle ils ont été élus, mais comme l’étude du fonctionnement de nos
effectifs en économie-gestion, il y a des gestionnaires plus ou moins pilo- économies. u

note de travail N°15


mars 2011
Où en est l’enseignement de l’économie à l’université ?

Gilles Raveaud :

« Nous n’avons pas fêté nos dix ans »


« Pourquoi certains pays se développent-ils, et classes sociales et de production, au contraire d’enseignement compte autant dans leur car-
d’autres non ? » ; « D’où viennent les inégalités ? » ; des travaux originaux. rière que leurs fameuses « recherches ».
« Faut-il privatiser les services publics ? » ; « Som- Et voilà les étudiants soumis à l’apprentissage Manque enfin le goût du pluralisme. Rares sont
mes-nous en train de détruire la planète ? ». Sans d’équations stériles et de modèles débiles, parce les économistes qui souhaitent enseigner d’autres
oublier « Comment ça marche, l’économie ? » que la réalité, c’est trop compliqué. Le monde théories que les leurs, d’autres approches que
Voilà le type de questions que se posent de bruisse de débats économiques ; des institutions celles qu’ils développent. C’est pourtant avant
nombreux étudiants qui entreprennent des produisent chaque jour des tonnes de documents tout sur leur capacité à enseigner et à étudier de
études d’économie. Mais ces questions sont trop propres à éveiller la curiosité intellectuelle tout manière pluraliste que les enseignants chercheurs
difficiles. Alors, la plupart des économistes font en apprenant ce qui se passe, des rapports de devraient être recrutés.
semblant. Ils se cachent derrière la « scientifi- l’OCDE, du BIT (Bureau International du Travail), Pourtant, tout est là : nos arguments n’ont jamais
cité » de leur discipline (lire le « Contre-appel du CAE (Conseil d’Analyse Economique), du FMI, été sérieusement contestés, tant ils sont raison-
pour préserver la scientificité de l’économie », aux enquêtes statistiques de l’INSEE et aux rapports nables ; le rapport rédigé par Jean-Paul Fitoussi
Le Monde Economie, 31 oct. 2000). Ils inventent d’ATTAC ou du Forum de Davos. L’information (L’enseignement supérieur de l’économie en
de fausses notions, des concepts trompeurs, économique n’a jamais été aussi disponible, question, Fayard, 2001) fournit les éléments d’une
marqués par leurs préférences politiques et leurs contradictoire, passionnante. La matière est là, réforme simple et ambitieuse de l’enseignement
représentations du monde, mais cachés der- l’envie d’apprendre aussi. Mais c’est la peur qui de l’économie ; et les crises du monde réel rendent
rière des équations. La plupart du temps, les a continue à régner du côté des enseignants. Peur cette réforme toujours plus pressante. C’est pour-
priori des économistes sont politiquement de ne pas savoir. Peur de passer pour un original quoi nous continuons à critiquer, à dénoncer, à
conservateurs : ils « croient » à la perfection des auprès de ses collègues. Peur de ne pas faire la proposer. C’est sans doute aussi pourquoi un
marchés et à celle de la rationalité des individus, carrière brillante à laquelle on aspire. nouveau mouvement d’étudiants est en train de
entendue dans un sens très particulier. Il s’agit Ou s’agit-il d’intérêt ? Quel est l’intérêt à bien se créer actuellement. Certes, nous sommes mi-
alors de la théorie économique dite « néo-clas- enseigner, à se renseigner, à fournir des documents noritaires. Mais nous avons raison de nous battre
sique », car elle s’inspire des travaux classiques aux étudiants, longs à élaborer et aussitôt périmés ? contre l’infinie tristesse de l’enseignement actuel
d’Adam Smith et de David Ricardo, mais en en De nombreux universitaires, en France, la chose de l’économie dans le supérieur en France
livrant une version dépouillée d’histoire, de est connue, ne conçoivent pas que leur activité aujourd’hui.

conclusion : l’éternel retour de la critique ?


A en croire les économistes ci-dessus, numéro de février d’Alternatives à travers des approches thématiques.
le rapport Fitoussi a été peu suivi Economiques (« Appel d’étudiants Ces préoccupations rejoignent celles
d’effets. La seule inflexion notable pour un enseignement d’économie de l’Association française d’économie
semble résulter des difficultés pluraliste dans le supérieur ») en font politique comme celles de
d’insertion des diplômés sur le l’amer constat. Ils estiment que la l’Association des professeurs de
marché du travail et se traduire par formation qu’ils ont reçue au cours de sciences économiques et sociales.
une tendance croissante à la leurs études ne leur sert pas à grand- Les attentes et les arguments des uns
professionnalisation des études chose pour comprendre la crise et des autres en faveur d’une réforme
d’économie, en particulier avec des contemporaine et soulignent, en en profondeur des études d’économie
liens plus étroits avec la gestion. conséquence, l’urgence de auront-elles cette fois plus de chance
Pour le reste, dogmatisme et changements dans les formations. d’être entendues ? On doit le
formalisme semblent encore – voire Aussi revendiquent-ils, à l’instar de souhaiter pour les étudiants en
plus qu’il y a dix ans – être le lot leurs aînés d’il y a dix ans, la fin du économie, comme pour la science
commun des cursus d’économie. La monopole de la théorie néoclassique, économique elle-même, sauf à
crise économique déclenchée par une place accrue pour abandonner définitivement le projet
celle des subprimes n’a ébranlé qu’un l’épistémologie, l’histoire de la pensée initial de l’économie politique d’être
moment les certitudes de l’économie et celle des faits économiques, un une clé de compréhension, voire un
« standard ». Des étudiants en croisement de l’économie avec levier de transformation, de la société.
économie, dans un appel paru dans le d’autres sciences humaines et sociales Gérard Grosse

« Les Chantiers de l’Idies » est une publication éditée par l’Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies), une association
à but non lucratif (loi 1901), domiciliée au 28, rue du Sentier, 75002 Paris. Pour nous contacter : contact@idies.org Pour en savoir plus : www.idies.org
note de travail N°15
mars 2011 Directeur de la publication : Philippe Frémeaux. Réalisation : Laurent Jeanneau. Secrétariat de rédaction : Martine Dortée. Edité avec le soutien technique
d’Alternatives Economiques. Conception graphique : Christophe Durand (06 12 73 34 95).

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