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Le Symbolisme des Nombres chez PYTHAGORE

La science actuelle, et avec elle le monde moderne, vit sous le signe du chiffre, du nombre, de la
statistique (On remarquera que le mot « chiffre », venu de l'arabe sifr, « vide », par
l'intermédiaire de l'italien zefiro, veut dire...« zéro »,d'ailleurs contraction de zefiro; que dès le
deuxième siècle avant notre ère, se trouve dans les textes grecs la lettre o (omicron), équivalent
de notre zéro, et première lettre aussi du mot oudèn, c'est-à-dire « rien »; que le vocable «
statistique » connote l'idée de stabilité, donc tout le contraire du mouvement; or la vie est
mouvement.)

Le nombre apparaît symbole, le chiffre aussi. « Symbole », du grec sumballein, « jeter ensemble
», implique la présence simultanée de deux choses : l'une apparente, l'autre cachée, deux analo-
gues et non deux similaires, l'une évoquant l'autre, répondant à l'autre, à la façon d'un écho. « Le
symbole est la suggestion invincible de l'un par l'autre. »

Le symbolisme du chiffre s'atteste par le sens même qu'a pris ce mot dans certains services
gouvernementaux. Le « chiffre », dès Philippe de Commines, se définit une écriture secrète,
recourant aux chiffres. « Déchiffrer » veut dire expliquer ce qui ne s'entend point à première
lecture.

Mais pour nous modernes, ce caché, ce secret, cet «autre», n'entraîne aucune donnée religieuse
ou cosmique. Il s'agit de l'amener au jour pour des fins pratiques. Le symbole peut même - ainsi
le symbole mathématique - être uniquement un moyen commode de travail, abréviation,
sténographie toute pratique. Nous sommes loin du symbole chez Pythagore - lequel d'ailleurs ne
néglige pas pour cela la mathématique.

La symbolique pythagorienne - il s'agira uniquement ici du pythagorisme ancien, fleurissant


depuis la fin du sixième siècle, av. J.-C. (époque à laquelle vécut le philosophe de Samos établi
en Italie méridionale) jusqu'au milieu du quatrième - la symbolique pythagoricienne, dis-je, se
fonde sur le nombre, et sur l'harmonie des nombres. « Qu'y a-t-il de plus sage ? le nombre. Qu'y
a-t-il de plus beau ? l'harmonie. » Ce credo des acousmata (Littéralement : « ce qu'on entend »,
paroles ou musique, c'est-à-dire des articles de foi du pythagorisme, s'opposait - la chose est à
noter pour notre dessein - à celui des mathemata, c'est-à-dire des sciences. Toutes les choses
qu'il nous est donné de connaître possèdent un nombre, et rien ne peut être conçu ni connu sans
le nombre » a écrit Philolaos, contemporain de Socrate (donc vivant au cinquième siècle), à qui
l'on attribue les fragments subsistant de l'ancien pythagorisme. Le nombre est partout chez
Pythagore, comme dans la science moderne, mais il n'a pas le même contenu qu'aujourd'hui. Il
connote l'espace, l'étendue. 1 est le point, 2 la ligne, 3 le triangle, etc. Il a donc figure et
grandeur, il baigne dans le concret, mais dans le secret aussi, étant symbole. Il n'est ni
désincarné, ni, on va le voir, désacralisé.
Par le gnomon, notre équerre, les nombres se définissent matériellement, passent de l'ombre du
mystère à la lumière de la connaissance, tout en gardant leur attache avec le mystère. Ainsi 3 est
le premier nombre sacré parce qu'ayant commencement, milieu et fin, figurant donc le Tout. 7 est
aussi un nombre privilégié, nombre orchestique, nombre de la danse, nombre d'Athéna : 7
Muses, 7 sages de la Grèce, 7 merveilles du monde, 7 jeunes filles et 7 jeunes garçons envoyés
en tribut sanglant au Minotaure de Crète, 7 jeunes filles formant choeur aux fêtes de Callisteia,
ou concours des beautés de Lesbos, etc. Le nombre sacré par excellence sera donc 7 + 3 = la
décade, « principe et guide de la vie, aussi bien divine et céleste qu'humaine ». (Philolaos)

Comme l'a écrit Léon Robin (La pensée grecque (Bibliothèque de Synthèse historique), p. 73. ) «
toutes ces spéculations arithmétiques dérivent de l'inspiration religieuse; c'est un approfondisse-
ment de cette inspiration mystique qui a détaché définitivement l'arithmétique spéculative des
calculs utilitaires ».

Mais les nombres, chez Pythagore, ne se conçoivent pas isolément : ils ont des rapports entre
eux, étant personnes quasi-vivantes. Et comme elles, ils diffèrent, se heurtent, s'opposent. C'est
par l'harmonie que s'évanouiront leurs antinomies. Philolaos définit l'harmonie « l'unification du
multiple composé et l'accord du discordant ». L'illimité ou pair s'oppose au limité ou impair, le
multiple à l'un, la gauche à la droite, le repos au mouvement, la femelle au mâle, le mauvais au
bon, l'obscurité à la lumière. Le nombre déjà harmonise les opposés, et les nombres
s'harmonisent dans chaque chose.

Les nombres sont donc inséparables de la musique. (On relèvera ici le sens étendu du mot
mousikè en grec, qui désigne - outre la musique proprement dite, donc l'art des sons - la danse, la
pantomime, en bref tout ce qui est réglé par le rythme). De neuf Muses, seule Euterpe présidait à
ce que nous appelons la musique; Terpsychore s'occupait de la danse, mais Calliope, Clio, Erato,
Melpomène, Polymnie; Thalie, Uranie veillaient respectivement à l'éloquence, l'histoire, l'élégie,
la tragédie, la poésie lyrique, la comédie et l'astronomie).
Les qualités et les rapporta des accords musicaux - c'est un fait d'expérience - se fondent
essentiellement sur les nombres, puisque l'acoustique nous enseigne la variation de la hauteur des
sons selon la longueur et la tension des cordes du violon par exemple, entraînant des variations
dans le nombre des vibrations de ces cordes. Or longueur et vibrations peuvent se mesurer, se
chiffrer. Les sons sont donc liés à des nombres.

Mais les sons ne peuvent être dissociés du rythme. Le rythme, selon la belle définition d'un
musicien et compositeur, Victor Berlioz, est " la division symétrique du temps par le son "
Symétrique, donc réduite à une commune mesure (metria). Le rythme se définit encore «
nombre, cadence, mesure " (Dictionnaire de l'Académie), « mouvement réglé et mesuré »
(Dictionnaire grec-français de Bailly) et dans le mot grec ruthmos, on trouve rein, « couler ",
donc une idée de mouvement, l'eau figurant ainsi le mouvement perpétuel.

Les nombres, l'harmonie, le rythme qui est mouvement ordonné, les pythagoriciens leur trouvent
confirmation dans le cosmos. Pour eux, il y a comme un concert céleste, des accords
insaisissables aux seules oreilles humaines vibrent entre les astres en mouvement, donc chacun
est le lieu propre d'un nombre : 2 pour la terre, 7 pour le soleil.

La vie humaine aussi est un accord des contraires, une harmonie s'exprimant par l'âme. Ainsi le
microcosme de la terre apparaît comme un écho du macrocosme de cette harmonie des sphères
dont on prête aux pythagoriciens la théorie.

Nous ne pouvons vivre sans symbole. Le langage recourt au symbole, l'écriture aussi, et la
science. Mais face à la conception grandiose du symbole pythagoricien, liant dans un continu
supranaturel le nombre aux choses, invisibles comme visibles, ainsi ne le séparant point de
l'homme, de la vie matérielle qui est mouvement, et aussi de la vie secrète et profonde, pas plus
que du cosmos, que voyons-nous se dresser aujourd'hui ? un nombre désincarné, uniquement
attaché au quantitatif, coupé du sacré comme du cosmos; un instrument incomparable de progrès
matériel certes, mais un instrument d'autant plus dangereux que ce " progrès », qui n'est qu'un
pur en-soi, peut devenir un regrès. Certaine science d'aujourd'hui nous en administre la preuve.
L'âme, harmonie du corps, doit avoir commerce avec le divin et suivre Dieu, prescrivait
Pythagore : Dieu règlant le rythme et l'ordre du monde exprimés qualitativement dans les
nombres. Aujourd'hui, les nombres non plus acousmata, mais uniquement mathemata, coupés de
leurs réelles attaches symboliques, désacralisés, décosmisés, ne sont plus que des notations
sèches qui envahissent toutes les sciences, et dont on ne peut actuellement se déprendre. Ils
flottent comme des choses vides, mortes, mais accablantes cependant.

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