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RAPPORT D'ENQUETE
Mai 2004
COPIE CONFORME
Ore Louise Nolet
Coroner en chef
Dossier: 114331 2
,
~.,
TABLEDES MATIÈRES
Sommaire ............................................................................................................................ 3
Introduction ................................................................. :....................................................... 5
1. Identité de la personne décédée, lieu et date de décès ................................................. 5
2. Causes médicales du décès .......................................................................................... 5
Le diagnostic ........................................................................................................... 5
L'évolution de l'état de santé de M. Therrien durant sa détention .......................... 6
L'évolution de l'état de santé de M. Therrien durant son hospitalisation ................ 9
L'hospitalisation à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme ............................................ 9
L'hospitalisation à l'hôpital Notre-Dame du CHUM ..................................... 10
Les causes du décès ............................................................................................... 12
3. Circonstances du décès ............................................................................................. 12
Les raisons de la détention de M. Therrien ........................................................... 12
L'historique de la détention de M. Therrien .......................................................... 13
Les conditions de détention en milieu hospitalier.. ............................................... 14
Les conditions particulières de détention de M. Therrien ..................................... 16
La seule démarche faite par le personnel médical auprès de
l'étab lissement de détention ................................................................................... 19
4. Analyse ...................................................................................................................... 24
Les droits de visite ................................................................................................. 25
Les mesures de sécurité ......................................................................................... 27
La remise en liberté d'un détenu en phase terminale ............................................ 29
5. Recommandations ................................................................................................... ~.. 30
Annexe l ............................................................................................................................ 32'
Procédure ............................................................................................................... 32
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Rapport d'enquête
de Me Catherine Rudel-Tessier
,
Sommaire
Cette enquête a mis en lumière les conditions difficiles dans lesquelles un détenu
hospitalisé a terminé sa vie. Malgré la détérioration de son état de santé, M. Therrien a
fait l'objet d'une surveillance étroite par des agents de sécurité postés à son chevet et a été
menotté et entravé quasiment sans relâche. Il est mort seul, sans le soutien de ses
proches.
Une autre constatation importante que j'ai pu faire dans mon travail d'enquête est celle de
la méconnaissance du personnel médical et infirmier de leurs possibilités d'intervention
auprès des autorités pénitentiaires, face aux conditions de détention d'un détenu.
Plusieurs personnes qui ont prodigué des soins à M. Therrien durant son hospitalisation
ont en effet exprimé leur étonnement et leurs inquiétudes devant les conditions de
détention de leur patient. Toutes se sont dites persuadées cependant qu'elles ne pouvaient
rien y faire. (C'est d'ailleurs la réponse que certaines ont reçue des agents de sécurité).
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Il faut, à mon avis, que le personnel des centres hospitaliers soit informé adéquatement
des démarches à entreprendre et des gestes à accomplir pour assurer à leur patient un
traitement adéquat et une mort digne. C'est lui, en effet, qui quotidiennement peut juger
de l'état de santé d'un malade et du niveau d'atteinte de son état général. C'est lui qui est
le mieux' placé pour déterminer la nécessité des contraintes imposées à un détenu
hospitalisé. Je pense qu'il est du devoir du personnel infirmier et des médecins
d'informer rapidement les autorités pénitentiaires lorsque ces contraintes deviennent
exceSSlves.
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Introduction
L'enquête, qui avait été demandée par le ministre de la Sécurité publique, M Nonnand
Jutras, s'est tenue à Laval en novembre 2003 et en janvier 2004. Dans mon rapport, je
m'attarderai plus particulièrement sur les soins reçus par M. Therrien alors qu'il était
incarcéré à l'Établissement de détention de Saint-Jérôme (EDSJ) puis lorsqu'il a été
transféré en centre hospitalier en raison de l'aggravation de son état de santé. J'analyserai
également les conditions dans lesquelles il a été détenu ainsi que les privilèges qui lui ont
été donnés ou refusés.
Serge Paul Therrien est né le 25 novembre 1955. I1 est décédé le 30 décembre 2001 alors
qu'il était sous la garde de l'EDSJ et hospitalisé à l'hôpital Notre-Dame du Centre
hospitalier universitaire de Montréal (CHUM).
Le diagnostic
Au début de 2001, lors d'une surinfection bronchique, les médecins découvrent que M.
Therrien présente une opacité à la base gauche du poumon. Une scintigraphie thoracique,
faite au Centre hospitalier Pierre-Boucher, le 15 mai 2001, confinne la lésion «très
suspecte de néoplasie au lobe inférieur gauche ». À l'époque, l'état général de M.
Therrien n'est pas atteint et il n'a pas perdu de poids. En raison des céphalées dont le
patient se plaint, le Dr M. Dugas, pneumologue, veut en juillet 2001 vérifier la présence
de métastases cérébrales. I1 prescrit une investigation plus poussée comprenant
notamment une bronchoscopie.
Son dossier médical indique la détérioration de son état et les traitements reçus. Le
médecin attaché à l'EDSJ est le Dr Daniel Forest. Ce dernier est responsable des soins
aux détenus et a donc suivi M. Therrien durant toute son incarcération.
Le 27 août, les notes du personnel infinnier nous indiquent que M. Therrien est avisé que,
puisqu'il a refusé la bronchoscopie ce jour-là, «il ne passera pas d'autres examens durant
son incarcération ».
Le radiologiste croit qu'il pourrait s'agir d'une fracture de côte et d'une enthésopathie4 à
l'ischion gauche, mais souligne qu'une atteinte métastatique ne peut être exclue.
M. Therrien refuse de se faire opérer (une thoracotomie gauche avec résection était
prévue) et décide de se faire soigner ailleurs. Il obtient donc son congé de l'Hôpital du
Sacré-Cœur et est dirigé à l'hôpital Notre-Dame du CHUM, au Dr André Duranceau.
D'après son témoignage à l'enquête, le Dr Forest apprend par téléphone que M. Therrien
a refusé la chirurgie qu'on lui proposait et comprend que sa scintigraphie est normale. Il
modifie dès lors la médication prescrite. Puisqu'il n'y a ni métastases osseuses ni hernie,
il traitera dorénavant son patient pour de l'ostéoarthrose. Il diminue donc ses narcotiques
dans l'intention de les lui supprimer deux semaines plus tard.
Le 11 novembre, M. Therrien dit n'être que peu soulagé par le Percocet qu'il reçoit
depuis quelques jours en remplacement du SupeudoL Le 12, le Dr Forest constate que
son patient bouge bien et qu'il ne se plaint pas d'irradiation de la douleur dans les jambes.
La mobilité reste, selon ce dernier, normale et son examen physique ne montre toujours
pas d'irradiation.
Le 18 novembre, l'infirmière voit M. Therrien dans sa cellule. Étant donné que celui-ci
dit ressentir d'intenses douleurs thoraciques et lombaires à gauche, on lui donne du
Tylenol.
Le 26 novembre, le Dr Forest note que M. Therrien tousse plus depuis deux semaines. La
douleur lombaire est toujours présente avec irradiation vers la cuisse et le genou mais
sans déficit neurologique. Le médecin le traite pour une surinfection bronchique avec
asthme associé, et le met en congé de travail pour deux semaines.
5. En fait, selon la pièce C-32, M. Therrien a travaillé seulement 3 heures le 14 novembre et 3 heures 15
minutes le 15 novembre 2001.
6. Il explique à l'enquête que les règlements de l'établissement né le permettraient pas.
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C'est à cette date également que M. Therrien voit le Dr Duranceau à l'Hôpital Notre-
Dame du CHUM. Ce dernier planifie une ,thoracotomie exploratrice avec stadification
ganglionnaire, précédée d'une évaluation en cardiologie.
Le 30 novembre, l'infirmerie est informée par le re~ponsable du pavillon dans lequel loge
M. Therrien que ce dernier a du mal à se déplacer et qu'il ne se sent pas bien. On décide
de le transférer dans l'aile« BE» qui est le pavillon de l'infirmerie.
7. Selon le rapport déposé en C-28, Mme Dumberry a rendu visite à M. Therrien, les 3, 6, Il, 14 et 19
décembre. Puisque la visite du 19 décembre a été écourtée, on peut penser que c'est cette visite dont
parle Mme Dumberry dans son témoignage à ce moment-là.
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Son dossier fait également état des résultats d'une scintigraphie lombaire passée le 20
décembre 2001 :
Le 27, le dossier fait état d'une recrudescence de la douleur du patient durant la nuit et en
matinée. M. Therrien se plaint également d'une progression de l'engourdissement qu'il
ressent à la jambe gauche. Les notes au dossier indiquent qu'il a été confus durant la nuit.
Un examen physique du patient révèle une augmentation de la paresthésie et un
engourdissement lombaire. M. Therrien accepte de subir une biopsie puis des traitements
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La DTe Lucie Laplante voit, à cette date pour la première fois, un homme « très malade ».
Le 29 décembre, M. Therrien est éveillé, il communique bien mais est parfois halluciné.
Il est incapable de se déplacer à cause de la douleur et son état général s'est beaucoup
détérioré. Sa conjointe est mise au courant de la gravité de la situation et on envisage le
transfert de M. Therrien à une unité de soins palliatifs à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme.
À 10 h 30, ce soir-là, ses extrémités sont très enflées 9. Il est confus. La Dre Laplante note
que le patient avait des entraves aux pieds, la semaine précédente, mais que seul le
gauche est attaché ce jour-là en raison de l'augmentation progressive de l'œdème au pied
droit. Sa fièvre persiste, M. Therrien souffrant d'une septicémie bactérienne
probablement due aux injections intraveineuses qu'il reçoit. En raison de la décision de
ne pas réanimer M. Therrien, aucun antibiotique ne lui est donné. Le pronostic est très
mauvais, des complications majeures sont à prévoir.
L'examen physique révèle que l'abdomen de M. Therrien est énorme. Les notes du
médecin indiquent, le 29 décembre: «Très souffrant, détérioration de l'état général,
subocclusion, phase terminale approche ». Sa température est élevée (39,~O C). Le pied
droit est décrit: « chaud rouge œdème sensible ». Le médecin conclut à une cellulite. La
main gauche montre également un œdème traumatique (<< menottes? ») sans infection
évidente. Il faut faire couper l'anneau que le patient porte à l'annulaire.
Il n'y a eu ni autopsie, ni examen externe du corps de M. Therrien, et son décès n'a pas
12
immédiatement fait l'objet d'un avis au coroner, contrairement à ce que prévoit la loi .
En effet, le décès de M. Therrien est survenu alors qu'il était sous la garde d'un
établissement de détention.
Mme St-Pierre parle, pour sa part, de rougeur au poignet droit au niveau de la menotte,
mais explique ne pas avoir, à ce moment-là, regardé les chevilles ni les jambes du patient.
3. CIRCONSTANCES DU DÉCÈS
M. Therrien a été condamné pour des voies de fait envers sa conjointe, Mme Dumberry, en
juillet 1999. Il devait purger une peine de douze mois d'incarcération, assortie d'une
probation de trois ans avec certaines conditions, dont celle de ne pas entrer en contact
avec Mme Dumberry ou avec la famille de celle-ci. Le 10 septembre 1999, cependant, il
bénéficie d'une absence temporaire afin de participer à une thérapie à la Maison Mélaric,
un centre de désintoxication pour alcooliques et narcomanes. Le 19 septembre, il quitte
le centre sans autorisation et renoue alors avec Mme Dumberry avec qui il reprend la vie
commune, puis ils se marient, le Il décembre 1999.
Tout se passe bien, semb1e-t-il, jusqu'au mois d'août 2001, alors que M. Therrien, qui
vient d'apprendre qu'il a un cancer, perd de nouveau son sang-froid et frappe sa femme.
Celle-ci appelle la police et M. Therrien est arrêté. Lorsqu'elle passe en cour, Mme
Dumberry refuse de témoigner, et M. Therrien est donc libéré de certaines accusations. Il
12. Article 37 alinéa 3 de la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès.
13. Mme Louise Therrien est la sœur de Serge Therrien.
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demeure cependant incarcéré, puisqu'il était en liberté illégale, pour finir de purger sa
peine l4 . Mme Dumberry est alors, à tort, convaincue que le juge annule l'interdiction de
contact de la première sentence, comme elle le lui a demandé.
M. Therrien est incarcéré à l'EDSJ à compter du 23 août 2001. Il vit dans le secteur « F »,
secteur à sécurité minimale 1s • Il peut travailler et a, jusqu'à ce qu'il soit détenu à
l'infirmerie lorsque son état de santé a commencé à se dégrader, le privilège de recevoir
des visites communautaires l6 . Ces visites se déroulent dans des salles communes où
aucune barrière physique ne sépare les détenus de leurs visiteurs. Bien que les visites 1?
soient autorisées en tenant compte des ordonnances de probation et des interdictions de
contact dans le dossier d'une personne incarcérée 18 , M. Therrien a reçu de nombreuses
visites de Mme Dumberry durant sa détention 19.
Alors qu'il était détenu à l' EDSJ, M. Therrien a eu droit à plusieurs absences temporaires
pour raisons médicales 2o . Celles-ci se faisaient toujours sous escorte (deux agents de
sécurité), entraves aux chevilles et menottes aux poignets.
Mme Denise Lefebvre, directrice des «services à la clientèle », explique à l'enquête qu'un
comité d'absence temporaire 21 examine chaque demande puis recommande à
l'administrateur d'accorder ou non la permission de sortie et lui suggère des mesures de
contrôle. Ce dernier prend ensuite la décision, sans être lié par la recommandation du
comité, et impose les mesures d'encadrement et de contrainte qu'il juge appropriées.
Mme Lefebvre expose 1(1 -façon de faire du comité: l'opinion de ses membres est basée sur
le dossier du détenu (antécédents criminels, rapports présentenciels, etc.) Aucune grille
d'évaluation ne leur est proposée et, même pour une absence médicale, ils n'évaluent pas
l'état de santé du détenu en raison de la confidentialité de ce type de renseignements.
Après des évasions qui ont eu lieu à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme au printemps 2000,
une annexe a été ajoutée au fonnulaire. Elle porte sur l'état de santé du détenu et est
remplie par les agents des services correctionnels avec l'aide du personnel de
l'infinnerie22 . Mme Lefebvre ne sait toutefois pas si celle-ci a été utilisée dans le cas de
M. Therrien.
s'assurer que les visiteurs sont munis d'un laissez-passer délivré par la direction
de l'établissement ou son représentant, enregistre leurs entrées et sorties et interdit
l'accès aux personnes non autorisées;
surveiller les appels téléphoniques du prévenu ou détenu selon les instructions
produites par la direction de l'établissement ou son représentant.
Les agents rédigent des rapports journaliers et doivent respecter certaines procédures
décrites par l'agence 26 . Les appels téléphoniques reçus ou faits par un détenu doivent
passer par l'agent qui doit les inscrire sur son rapport. Il est noté que le détenu ne peut
appeler qu'un membre de sa famille immédiate (père, mère, frère, sœur, conjoint ou
conjointe, enfant) et que ces appels sont des privilèges qui peuvent être révoqués par
l'établissement de détention. Il est également prévu dans ces directives que tout
déplacement d'un détenu doit être fait dans un fauteuil roulant auquel il est attaché « à au
moins une main et à au moins un pied ».
Des directives particulières sont adressées aux agents de surveillance d'un détenu ou
prévenu à la charge de l'EDSJ à l'Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme. Il y est écrit:
« Le détenu ou le prévenu doit TOUJOURS être menotté aux mains et aux pieds à
moins d'avis contraire signé de l'établissement de détention. Il est strictement
défendu de menotter un détenu ou un prévenu à son lit. »
On stipule également que le détenu ne peut recevoir plus de dèux appels par 24 heures.
Les visiteurs doivent obligatoirement posséder un laissez-passer valide et les visites ne
doivent pas dépasser 30 minutes.
La directive 3S2 adoptée par la direction de l'EDSJ porte sur la surveillance des détenus
en milieu hospitalier et prévoit que« les instruments de contrainte sont appliqués en tout
temps à moins d'avis contraire donné par la direction de l'établissement».
M. Galarneau souligne que ces mesures sont nécessaires pour circonscrire les risques
d'évasion et assurer la sécurité du personnel hospitalier et des autres malades. Il précise
toutefois que les instruments de contrainte ne doivent pas nuire au traitement médical ou
26. Garde des personnes incarcérées hospitalisées - Procédures des agents de sécurité Sécurité Unique Inc.
(document déposé sous la cote C -8).
27. Cette lettre fait suite à une plainte formulée par Me Johanne Lefebvre au nom de Mme Dumberry le 15
janvier 2002 (C-SA).
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aux soins requis par l'état de santé de la personne sous surveillance et qu'« une
ordonnance médicale doit, dans ces cas, être soumise à l'attention de la direction de
l'établissement afin de réviser et d'autoriser de nouvelles mesures de surveillance et de
sécurité».
Enfin, M. Galarneau explique que les visites à un détenu hospitalisé doivent respecter les
règles de l'établissement de santé ainsi que celles de 1'établissement de détention (y
compris l'obtention de laissez-passer).
Nous avons vu quelles étaient les directives applicables aux détenus, voyons maintenant
comment elles ont été appliquées à M. Therrien et à sa famille entre le 22 et le 31
décembre 2001. Les rapports journaliers des agents de sécurité, les notes du personnel
infirmier et leurs témoignages de même que ceux de Mme Dumberry, la conjointe du
détenu, et de Mme Therrien, sa sœur, donnent une idée assez complète de la situation qui a
existé durant ces quelques jours.
Il est clair que certaines personnes considéraient que M. Therrien présentait un haut
risque de fuite. En effet, la mention d'évasions antérieures se trouve sur à peu près
chaque rapport journalier des agents de Sécurité Unique. Durant les premiers jours, deux
agents assurent sa garde. Par la suite, il n'y aura plus qu'un agent auprès du détenu, dans
sa chambre. M. Therrien ne pouvait ni regarder la télévision ni écouter de la musique,
selon Mme Dumberry.
Lors de la prise en charge de M. Therrien par Sécurité Unique le 22 décembre, celui-ci est
menotté, et les agents, durant plusieurs heures, n'ont pas la clé des menottes.
Le 23 décembre, à l'arrivée des agents pour le quart de nuit, M. Therrien ne porte pas de
menottes. L'agent se renseigne auprès de Sécurité Unique puis auprès de l'établissement
de détention. Un peu après minuit, l'EDSJ lui ordonne de les lui remettre. L'agent, M.
Robert Vinet, appose alors« les contraintes aux mains et à son lit une main seulement tel
qu'indiqué ». Il note que le dét.enu a du mal à marcher et a besoin d'aide pour se
déplacer. Plus tard dans la nuit, les agents (ils sont deux au chevet du malade) notent que,
pour des raisons médicales28 , ils ont « retiré les contraintes aux mains pour y apposer des
contentions à une main ».
Le 23 décembre également, des directives spéciales font état du droit du détenu à recevoir
un appel de dix minutes de sa femme et trois visites d'une heure pendant la semaine. Il
est indiqué au rapport journalier: « pas de menotte à la main ». Les agents notent que M.
Therrien est très calme et détendu. Des préposés l'aident à s'asseoir. Sa sœur Carole,
appelle pour parler à M. Therrien vers 18 h, mais les agents refusent d'accéder à sa
requête. Toutefois peu de temps après, avec l'autorisation de Sécurité Unique, leur
28. L'enquête n'a pas penIÙs de comprendre quelles étaient ces raisons.
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conversation est permise. Les agents soulignent que le détenu est très coopérant et « ne
chicane pas non plus ».
Au quart de travail suivant, l'agent Vinet note que le détenu doit porter des entraves aux
pieds en tout temps. Puisque seul un appel téléphonique de la part de Mme Dumberry est
permis, lorsque Mme Therrien appelle pour parler à 'son frère, l'agent refuse de passer le
combiné à M. Therrien. À 21 h 15, le malade est ainsi décrit au dossier: «Détenu enflé
des pieds, dés erre (sic) les menottes ». Et plus loin, on lit: « détenu dépérit et souffre
mais garde un bon sens de 1'humour. Nous donnons le plus possible de petites attentions
que ne peuvent fournir les préposées ».
Le 25 décembre, l'agent de sécurité note que l'infirmière Sophie Caron va« s'occuper de
faire changer les visites à tous les jours pour son épouse » (sic). Le patient râle beaucoup.
À 21 h 32, l'infirmière demande à l'agent de retirer la contrainte de tissu qui bloque
l'arrivée d'air et de soluté. Avant de quitter l'hôpital à 23 h 40, l'agent met de nouveau à
M. Therrien une menotte.
Le 26 décembre, Mme Dumberry, en visite auprès de son mari, parle avec une infirmière
des conditions de détention de ce dernier. Elle comprend que l'infirmière fera des
représentations au Dr Duranceau au sujet des entraves et des menottes ainsi que de
l'augmentation du nombre des visites permises.
Le 28 décembre, l'agent note que le patient est parfois confus. M. Therrien demande à
deux reprises qu'on lui retire ses menottes. Dans l'après-midi, l'agent téléphone à
Sécurité Unique au sujet des menottes «mains/lit ». Il signale à la répartitrice que M.
Therrien a des blessures au poignet. Celle-ci s'engage à appeler à l'établissement de
détention à ce sujet. Il est noté que le détenu est attaché au pied et au lit. À l'enquête, M.
Vinet, qui était de service de midi à minuit, raconte qu'un médecin lui a demandé
d'appeler l'établissement de détention pour obtenir la' permission d'enlever à M. Therrien
ses menottes, sa main étant enflée et son poignet irrité. Ne réussissant pas à joindre
quelqu'un en autorité et à obtenir cette autorisation, M. Vinet prend lui-même la décision
de détacher M. Therrien3o .
29. L'agent tente d'obtenir des contentions psychiatriques de nylon mais il n'yen a pas de disponibles.
30. Le rapport de l'agent n'en fait toutefois pas mention.
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À 13 h 30, l'agent est informé qu'à partir de ce moment tous les privilèges de M. Therrien
lui sont retirés (il précise dans ses notes: «plus de visites du tout »). À 16 h 8, le centre
de détention confirme qu'aucune visite n'est autorisée pour aucun membre de sa famille
et vers 16 h 30, Mme Dumberry, qui arrive à l'hôpital en compagnie de sa belle-sœur et de
sa nièce, apprend que, malgré son laissez-passer, elle ne pourra plus voir son mari. Selon
son témoignage à l'enquête, l'agent l'a tout de même laissée entrer seule dans la chambre
de M. Therrien pour une dernière fois ce jour-là. Elle y passe une heure. L'agent note
dans son rapport journalier que Mme Dumberry «accepte très émotivement, difficilement,
ne comprend pas pourquoi, malgré les papiers signés du centre carcéral de Saint-
Jérôme »(sic).
Cette dernière tentera d'ailleurs des démarches dès son retour chez elle afin de discuter
avec les autorités pénitentiaires de ce nouvel interdit. Elle parle à M. Jacques Leblanc 3 1,
chef d'unité, qui, raconte-t-elle, lui répète que plus personne n'aura le droit d'aller voir
M. Therrien. Mme Dumberry tente alors de joindre un avocat.
°
M. Therrien fait de la fièvre et il est trop faible pour s'asseoir. À h 38, l'agent en service
reçoit la directive de refuser les appels téléphoniques de Mme Dumberry. Le patient doit à
un moment être détaché pour que les infirmières puissent le tourner.
Ce jour- là, M. Therrien est toujours menotté et entravé. L'agent note qu'il est confus et
très souffrant. Il dort « assommé par les calmants ». M. Therrien ne peut se lever, il a des
hallucinations et de la fièvre. L'agent ouvre les fenêtres, le malade est en sueur. «Ce n'est
plus le même homme C... ), il se laisse aller. .. ». À 22 h 15, l'agent écrit:
«Le docteur est venu voir le patient. Il n'a pu que constater qu'il est en phase
terminale. Les médicaments, exemple la morphine, ne servent qu'à le soulager de
ses douleurs constantes. Le médecin fut surpris de constater qu'il soit attaché au
lit dans l'état où il se trouve (mourant) je lui ai dit que ce devait être les
procédures à suivre pour tout détenu. »(sic)
Durant ce temps, Mme Dumberry tente des démarches afin de faire lever l'interdiction de
contact et pouvoir voir son mari. Elle« supplie» les autorités de l'EDSJ, mais sans
31. En fait, Mme Dumberry appellera au centre de détention à plusieurs reprises. Si l'on en croit les
témoignages, les conversations qui s'en suivent ne sont ni amicales ni polies.
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succès. Le 30 décembre, les directives à l'agent de garde indiquent que le détenu n'a
droit ni à des visites ni à des téléphones. Une infirmière demande à l'agent d'enlever les
32
menottes à M. Therrien parce qu'il est en train de mourir .
À 5 h, l'agent appelle Sécurité Unique pour l'informer que, selon le médecin, le détenu
est «presque décédé» et que si sa femme veut le voir vivant, elle doit venir le voir
rapidement. On lui dit d'appeler l'établissement de détention et M. Daniel Fantino, le
chef d'unité qui lui répond, accepte la visite.
À 5 h 40, l'agent en service appelle Sécurité Unique puis l'établissement de détention afin
de les informer du décès de M. Therrien.
Le médecin explique à l'enquête qu'il ne pouvait plus grand chose pour le malade, à part
favoriser «l'aspect humain des soins ». La maladie de M. Therrien était à un stade
avancé, le pronostic était inéluctable: seule la présence de ses proches pouvait, selon le
Dr Duranceau, l'aider à attendre la mort.
Cette feuille, déposée à l'enquête, est annotée. On trouve en effet l'indication suivante en
bas de page: «Infirmier: pas de raison valable» 33.
32. Les entraves aux pieds ne sont enlevées qu'après le décès, juste avant l'arrivée de la famille.
33. Il a été impossible au cours de l'enquête de savoir qui est à l'origine de cette note.
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Elle raconte à l'enquête que, lorsqu'elle a pris connaissance de la demande, elle a appelé
le Dr Forest. Ce dernier lui aurait alors expliqué que les visites concernaient la sécurité et
que le patient ne relevait plus des soins infirmiers. Mme Proulx décide donc, avec
l'autorisation du médecin, de classer le dossier de M. Therrien34 .
Dans son témoignage à l'enquête, cependant, le Dr Forest affirme ne pas avoir été mis au
courant de la télécopie du Dr Duranceau.
Mme Ginette Thibeault, qui travaille le soir à 1'établissement de détention depuis 1999, se
souvient que le 26 décembre elle a pris connaissance de la demande du Dr Duranceau
relativement à M. Therrien. En effet, M. Jacques Leblanc, chef d'unité en poste ce soir-
1à,35 est venu s'informer auprès d'elle à ce sujet. Elle prend à ce moment-là connaissance
de la télécopie reçue plus tôt et qui était classée au dossier du détenu. Elle remet copie
des deux feuilles à M. Leblanc qui, selon elle, est conscient de la gravité de la condition
de santé de M. Therrien. Selon Mme Thibeault, la demande du médecin était justifiée.
Le 27 décembre, la demande du Dr Duranceau est passée entre les mains de M. Louis St-
Denis à l'admission de l'établissement. On lit dans son rapport de service (quart de soir):
34. Des notes rédigées par Mme Proulx au moment des incidents ont été déposées à l'enquête sous la cote C-
20.
35. Les horaires de travail ont été déposés pour la période du 20 au 30 décembre 2001 sous C-17.
36. Il ne se souvient pas non plus de ses conversations avec Mme Proulx et avec Mme Cameron.
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expliqué que M. Therrien pouvait mourir mais qu'il était impossible de prévoir à quel
moment. Le détenu a, par ailleurs, la réputation, ajoute-t-elle, selon le chef d'unité
interrogé, d'être très manipulateur.
Ce dernier juge à ce moment qu'il lui manque de l'infonnation pour décider s'il accepte
ou non la demande. Il rencontre alors M. Jean-Guy Poliquin, directeur adjoint au service
à la clientèle, responsable notamment de l'hébergement sécuritaire. Ce dernier ne voit,
dans la note du médecin, aucune urgence, et s'étonne que M. Therrien n'ait pas fait la
demande lui-même et suggère à M. Fortin de vérifier son dossier administratif. En effet,
M. Poliquin explique à l'enquête qu'il pressent alors un problème de violence conjugale,
du fait que M. Therrien passe par un intermédiaire plutôt que de s'adresser directement à
l'administration de l'établissement.
M. Fortin explique à l'enquête qu'il a appelé alors à 1'hôpital Notre-Dame et a parlé à une
responsable du département où était soigné M. Therrien. Il voulait savoir exactement
quel était l'état de santé de ce dernier. Des notes manuscrites 38 déposées à l'enquête
situent cette conversation entre 8 h 30 et 10 h.
Cette personne (il ne souvient pas au moment de l'audience qui elle était) lui confirme
que M. Therrien n'est pas mourant bien que très malade. Il doit encore subir d'autres
examens. Son interlocutrice considère que la présence d'un agent de Sécurité Unique est
utile. Lors de cette conversation, il n'est pas question, selon le témoin, des difficultés de
M. Therrien à se déplacer ni spécifiquement de la demande de visites supplémentaires
faite par le Dr Duranceau.
Mme Hamman se rappelle d'avoir expliqué à son interlocuteur que M. Therrien était en
phase terminale et que si sa conjointe voulait le voir vivant, il fallait qu'elle vienne à
l'hôpital rapidement. D'après Mme Hamman, la nécessité de la présence des gardiens de
sécurité au chevet du malade n'a pas été discutée.
Un peu plus tard, une décision est prise par l'administration de l'établissement de
détention à la suite d'une rencontre entre MM. Poliquin et Fortin ainsi que le directeur,
M. Yves Galameau : Il faut dorénavant interdire les visites de Mme Dumberry à son mari;
même si elles ont été permises durant la détention de M. Therrien, il faut maintenant
« corriger l'erreur» et empêcher tout contact entre eux.
Lors de son témoignage, M. Galameau précise qu'à aucun moment, ils n'ont discuté de la
demande du Dr Duranceau dans un contexte plus large qui aurait englobé des visites des
membres de la famille Therrien. Le directeur croyait que seule Mme Dumberry était visée
par la demande de visites supplémentaires car elle aurait été, selon lui, la seule personne
qui le visitait lors de sa détention. M. Galarneau admet qu'il aurait été souhaitable que
cette question fasse l'objet d'une décision de leur part et que le Dr Duranceau soit informé
de la suite des choses.
Le 29 décembre, Mme Lise Cameron, qui remplace Mme Hamman comme assistante
infirmière chef, contacte l'établissement de détention après avoir pris connaissance de la
note du Dr Duranceau. Elle compose le numéro de téléphone indiqué sur le bordereau de
télécopie et parle à une dame dont elle ignore le nom (il s'agit de Mme Chantal Proulx,
infirmière). Elle cherche à connaître le suivi donné à la demande du médecin. Mme
Cameron insiste sur le fait que M. Therrien est très malade et qu'il ne répondait même pas
Dossier: 114331 23
à l'appel ce matin-là. Mme Proulx ne peut l'aider, mais l'assure que quelqu'un va la
rappeler. Peu de temps après en effet M. Jacques Leblanc, chef d'unité, l'appelle et
l'informe qu'il n'y a rien à faire pour les visites, car le jugement de la cour devait être
respecté. Elle se souvient d'avoir insisté en faisant sûrement état du fait que le malade
était en phase terminale. Pour elle, M. Therrien allait mourir à brève échéance.
Mme Proulx, dans une note déposée à l'enquête et lors de son témoignage, explique
qu'elle essaie alors de convaincre M. Leblanc que la demande du Dr Duranceau semble
vraiment provenir du CHUM (ce que le chef d'unité met en doute) et que M. Therrien est
vraiment en phase terminale. Avec M. Leblanc, elle consulte le dossier de M. Therrien et
retrouve la télécopie. M. Leblanc lui confirme que c'est bien les documents dont il a lui
aussi eu copie, mais que « cela pour lui ne veut rien dire ».39
M. Guy Ross, chef d'unité, reçoit également ce jour-là un appel du frère de M. Therrien,
qui réclame des droits de visite pour Mme Dumberry. M. Ross décide de vérifier l'état de
santé du détenu. Il parle, croit-il40 , à l'infirmière chef du département où est soigné ce
dernier qui l'informe que le pronostic est difficile à faire (trois semaines, trois mois, six
mois ... ), que le cancer dont il souffre est probablement incurable et que des examens
restent à faire. M. Ross conclut donc qu'il n'y a pas d'urgence et selon lui, l'ordonnance
doit être respectée. Il rappelle alors M. Jean Therrien pour lui expliquer la décision prise
et l'informer des démarches légales à entreprendre pour faire annuler l'ordonnance.
,
Le 30 décembre 2001, l'agent responsable du quart de nuit est M. Daniel Fantino. Il
coordonne les activités routinières et se charge des imprévus.
Il reçoit dans la soirée, peu avant minuit, un appel téléphonique de Mme Dumberry lui
demandant de fouiller dans les affaires personnelles de M. Therrien pour y trouver
l'annulation de l'interdiction de contact, qu'elle est certaine d'avoir eu p1.usieurs mois
auparavant. M. Fantino explique à l'enquête qu'il n'a pas trouvé le document en question
et qu'il n'a pas rappelé Mme Dumberry.
39. Rappelons que M. Leblanc dit n'avoir pris connaissance de la demande du Dr Duranceau que quelques
jours avant l'enquête.
40. L'enquête n'a pas révélé le nom de la personne avec qui il aurait été en contact ce jour-là.
41. Ces renseignements apparaissent au rapport rédigé par M. Fantino le 30 décembre 2001 et déposé à
l'enquête sous la cote C-14.
Dossier: 114331 24
4. ANALYSE
Le droit à une mort digne, voilà ce dont M. Therrien a été privé. Il n'a pu, durant son
agonie, bénéficier du réconfort, du soutien et de l'amour de ses proches. Il est mort seul
parce qu'nn lui a refusé la présence de sa famille. Il a vécu ses derniers instants de vie
menotté et entravé.
Son statut de détenu justifiait-il un pareil traitement? Pourquoi cette situation a-t-elle été
acceptée par le personnel hospitalier (préposés, infirmiers et médecins)? Comment la
direction du centre de détention a-t-elle été saisie du problème? Quelle est l'information
qui a circulé? Comment a-t-elle été traitée?
L'enquête a révélé que c'est principalement une communication inadéquate entre les
intervenants qui est à la source de la situation déplorable qui a entouré le décès de M.
Therrien: communication entre le juge (ou les procureurs) et Mme Dumberry relativement
à l'ordonnance d'interdiction de contact; communications entre le personnel infirmier et
le personnel de 1'établissement de détention sur l'état de santé de M. Therrien;
communications entre l'agence de sécurité et l'Établissement de détention de Saint-
Jérôme ...
l'aborderai ici de façon plus approfondie deux questions, celle des visites autorisées à M.
Therrien durant sa détention par l'Établissement de Saint-Jérôme et celle des mesures de
sécurité et de surveillance (menottes et entraves). Mais tout d'abord, je ne saurai passer
sous silence la question des soins et des traitements dont a pu bénéficier M. Therrien
pendant qu'il était incarcéré. Le Dr Forest, qui le suivait de façon très régulière, n'a pas
demandé copie des résultats de la scintigraphie osseuse de M. Therrien. Selon son
témoignage, il en aurait été informé verbalement et aurait compris que l'examen était
normal (ce qui n'était évidemment pas le cas) : cette erreur a influencé la suite des
traitements donnés à M. Therrien qui a ainsi dû souffrir sans être soulagé adéquatement.
Le Dr Forest l'a dit en enquête, s'il avait connu les vrais résultats des examens de M.
Therrien, sa conduite aurait été différente, M. Therrien aurait été soigné différemment.
Par ailleurs, j'ai eu l'impression qu'on a peut-être tenu rigueur à un certain moment à M.
Therrien d'avoir refusé de se soumettre à certains examens. Sa réputation de manipulateur
a également teinté, il me semble, les rapports avec le personnel médical de
l'établissement.
Ceci dit, je ne prétends absolument pas me faire juge ici de la qualité des actes médicaux
ou infirmiers posés à l'égard de M. Therrien. Il me semble en effet qu'il appartient aux
ordres professionnels concernés de faire cette réflexion chaque fois qu'ils le croient
approprié.
La première erreur commise par l'établissement de détention est d'avoir ignoré pendant
plusieurs mois l'ordonnance de la cour interdisant les contacts entre M. Therrien et sa
conjointe, de même qu'avec la famille de cette dernière.
Par ailleurs, compte tenu des témoignages entendus, il me semble que des directives plus
claires devraient être acheminées à l'agence de sécurité et aux gardiens au chevet d'un
détenu. En effet, il m'a semblé que les règles applicables aux visites de M. Therrien (et
j'inclus ici les appels téléphoniques) variaient de jour en jour sans raisons apparentes. Par
Dossier: 114331 26
Les démarches pour vérifier l'état de santé n'ont pas, il me semble, été faites
correctement, et les renseignements reçus du personnel infirmier de l'hôpital comme de
l'établissement n'ont pas été bien retransmises aux autorités pour leur permettre de
prendre une décision éclairée.
D'ailleurs, le plan d'action rédigé à la suite de l'enquête interne vise à améliorer les
processus en place. Un nouveau mécanisme de communication entre les intervenants (le
CLSC) et les centres hospitaliers où les détenus sont hospitalisés a été mis en place. En
effet, croyant à juste titre qu'il n'appartient pas à l'agence de sécurité présente auprès du
détenu hospitalisé de transmettre à l'établissement de détention de l'information sur l'état
de santé d'un détenu, l'établissement a créé un poste d'agent de liaison. Le 21 octobre
Dossier: 114331 27
S'il m'apparaît essentiel que les rapports journaliers de l'agence soient acheminés vers les
autorités de l'établissement de détention rapidement, je pense toutefois que la Direction
générale des services correctionnels devrait énoncer avec précision le délai maximal de
transmission aux établissements de détention de tous les rapports et non seulement ceux
44
rédigés lorsqu'il y a risques de décès, d'agression, d'évasion ou d'état comateux , ou
lorsque l'état de santé du détenu est critique. Ces rapports devraient être reçus et lus dès
leur transmission et les suivis nécessaires apportés par les autorités compétentes de
l'établissement de détention. Cependant, ces rapports ne devraient pas permettre aux
gestionnaires de l'établissement de juger de l'état de santé d'un détenu. Il est important
que le contact se fasse adéquatement entre la direction de l'établissement et le personnel
du centre hospitalier où séjourne un détenu.
Les autorités pénitentiaires devraient également réviser leur façon de traiter des demandes
telles que celles du Dr Duranceau, arrivée à Saint-:-Jérôme le 26, mais examinée le 28. La
période des fêtes ne peut excuser qu'une pareille demande a été oubliée durant deux
jours. M. Galarneau le reconnaît à l'enquête, il ne suffit pas de présumer que tous
connaissent leur rôle, un contrôle doit s'exercer et les processus de traitement des
demandes doivent être précisés.
Ces mesures ont été jugées nécessaires, si j'ai bien compris, parce que M. Therrien, ayant
été en liberté illégale, risquait de s'enfuir. Il est pourtant clair que M. Therrien qui se
déplaçait déjà difficilement (en fauteuil roulant à un certain moment), alors qu'il était à
l'établissement de détention, et qui a vu son état de santé se dégrader rapidement durant
43. Il s'agit d'un chef d'unité désigné à ces fins par l'administration de l'établissement.
44. Voir le point 6.6 du Plan d'action (C-35).
Dossier: 114331 28
Les agents de sécurité ne connaissaient pas les règles applicables au port des menottes et
entraves. D'une part, celles-ci, selon les témoignages entendus à l'enquête, sont placées
de façons différentes selon les moments et les agents en service, alors que des règles
devraient être respectées. Comment accepter la pose de menottes et d'entraves décrite par
certains intervenants: un pied attaché à un côté du lit et un poignet au côté opposé? Il ne
faut pas oublier que M. Therrien souffrait terriblement et qu'on l'empêchait ainsi de
bouger librement, de se retourner. Le plan d'action prévoit maintenant que «des
modalités spécifiques d'application de contraintes (attaches au lit) soient clairement
définies afin que le personnel de l'agence de sécurité puisse les mettre en application de
façon adéquate ». Je considère que des directives écrites devraient être données à
l'agence et que l'établissement de détention s'assure que tous les agents reçoivent une
formation spécifique sur la façon de menotter et d'entraver un détenu.
D'autre part, les textes de l'appel d'offres auquel a répondu l'agence Sécurité Unique et
de la directive 3S2 sont presque contradictoires. Dans le premier, on peut voir que
l'agent à la demande d'un médecin, doit enlever les menottes et entraves puis informer
l'établissement de détention. Dans la seconde cependant, il est prévu que les instruments
de contrainte sont appliqués en tout temps à moins d'un avis contraire donné par la
direction de l'établissement de détention et qu'une ordonnance médicale doit être soumise
à la direction afin que celle-ci révise et autorise de nouvelles mesures de surveillance et
de sécurité.
Je pense que les textes devraient être harmonisés et que toute ordonnance médicale
devrait être exécutée par les agents en service rapidement après s'être adressés à la
direction de l'établissement qui devrait y acquiescer sans attendre, quitte à renforcer ses
autres mesures de surveillance.
Par ailleurs, il est remarquable dans cette affaire de constater que malgré le fait qu'elles
jugeaient les menottes et les entraves ni acceptables ni nécessaires, les infirmières n'ont
jamais fait de démarches auprès de l'hôpital, des médecins ou des autorités pénitentiaires
pour qu'elles soient enlevées. Les entraves nuisaient à leur travail et allongeaient leurs
interventions auprès de M. Therrien, alors qu'il s'agissait d'un patient gentil, très
collaborateur et qui ne pouvait pas représenter, selon leurs témoignages, de danger étant
donné sa condition.
Il appert que les membres du personnel infirmier interrogés ne savent pas quelles sont les
démarches à faire dans un tel cas. Ils verbalisent de plus leurs doutes quant à la
possibilité d'obtenir une réponse positive aux demandes qu'ils pourraient faire.
Dossier: 114331 29
Il en est de même, semble-t-il, pour les médecins ayant soigné M. Therrien. En effet, le
Dr Laplante, à l'enquête, explique qu'elle croit qu'il ne lui appartient pas, en tant que
consultante, d'entreprendre des démarches, de prendre des mesures: elle émet un avis,
elle l'inscrit au dossier du malade et il appartient, dès lors, au médecin traitant, dans ce
cas le Dr Duranceau, d'intervenir. Le Dr Laplante considère ne pas avoir l'autorité
nécessaire pour demander à un agent de sécurité d'enlever les menottes d'un malade
détenu.
Je considère que le port de menottes et d'entraves devrait être limité aux cas où le détenu
est dangereux pour lui-même ou autrui ou qu'il risque de prendre la fuite. D'ailleurs
45
l'instruction 3N1 informe les membres du personnel de l'Établissement de détention de
Saint-Jérôme sur les normes entourant l'utilisation et l'application de contrainte et de
contention pose comme principe de base que celle-ci doit se faire «avec modération,
soin, discrétion et jugement ». L'instruction prévoit également que la décision de recourir
à des moyens de contrainte, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'établissement,
doit tenir compte de certains critères «notamment des antécédents, de la nature du délit,
du comportement de la personne depuis le début de son incarcération, de la nature du
déplacement et des risques encourus pour elle-même ou pour la société ». Pour évaluer si
les menottes et les entraves sont nécessaires, on devrait aussi, à mon avis, tenir compte de
l'âge et de l'état de santé du détenu. Dans le cas qui nous occupe, il est clair que M.
Therrien ne représentait aucune menace à la sécurité durant son hospitalisation à l'hôpital
Notre-Dame, d'autant plus que des agents de sécurité, à tout moment, ont été affectés par
les autorités de l'établissement de détention à sa surveillance. Aucune circonstance
particulière ne pouvait, selon moi, justifier les mesures de contention appliquées.
Il est intéressant de souligner que, selon la Cour européenne des droits de 1'homme, un
détenu ne doit pas être soumis «à une détresse ou une épreuve d'une intensité excédant le
niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention »46. La cour estime qu'en certaines
circonstances, entraver un détenu sur son lit d'hôpital est disproportionné au regard de la
sécurité47 . De même, elle a déjà dénoncé comme traitement inhumain et dégradant le fait
qu'un détenu soit maintenu en détention malgré la dégradation de son état de santé.
Je considère également que lorsqu'une personne détenue est atteinte d'une pathologie
engageant son pronostic vital, on devrait envisager la possibilité de suspendre l'exécution
de sa peine. D'ailleurs, l'article 149 de la Loi sur le système correctionnel du Québec 48
prévoit qu'une personne contrevenante peut bénéficier d'une libération conditionnelle
lorsqu'elle est malade en phase terminale. Je crois que la responsabilité d'amorcer le
processus visant une libération appartient aux médecins traitants ainsi qu'aux autorités
carcérales. En effet, si dans certains cas, informer le détenu des possibilités qui s'offrent
à lui et l'accompagner dans ses démarches est suffisant, souvent ce dernier est trop
malade ou trop démuni pour les entreprendre. Il devrait alors être de la responsabilité de
l'établissement de détention de mener à bien les démarches légales nécessaires à sa
remise en liberté.
5. RECOMMANDATIONS
49. Un projet de loi visant à modifier la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition
a été déposé le 13 février 2004 au Parlement par la ministre responsable. Ce projet prévoit notamment
des modifications qui permettront d'obtenir la libération conditionnelle avant leur date d'admissibilité
des délinquants gravement malades pour des motifs humanitaires.
Dossier: 114331 31
de s'assurer que des directives claires ainsi qu'une formation adéquate sur la façon
de menotter et d'entraver un détenu hospitalisé soient données aux agences de
sécurité engagées pour sa surveillance;
de s'assurer que des directives claires sur les privilèges qui sont accordés ou
refusés à un détenu hospitalisé soient données aux agences de sécurité engagées
pour sa surveillance;
de s'assurer que la demande d'un médecin relative aux menottes ou aux entraves
d'un détenu soit exécutée rapidement par les agents de sécurité;
de s'assurer d'un processus de traitement efficace de toutes les demandes
provenant du centre hospitalier où séjourne un détenu;
de tenir compte, dans la décision d'imposer des contraintes à un détenu, de son
âge et de son état de santé;
de s'assurer qu'un détenu ayant atteint le stade terminal de sa maladie puisse
bénéficier de l'information et de l'accompagnement nécessaires à l'étude rapide
de son dossier par la Commission des libérations conditionnelles.
~------------~
Me Catherine Rudel-Tessier
Coroner
Dossier: 114331 32
Annexe 1
Procédure
Les audiences se sont tenues les 10, 11 et 13 novembre 2003 puis les 15 et 16 janvier
2004. J'y ai été assistée de Me Éric Lépine.
l'Office des droits des détenu-e-s représenté par son Président, M. Jean-Claude
Bernheim.
Vingt et un témoins ont été entendus durant l'enquête et de nombreux documents ont été
, ,51
d eposes .
Les audiences se sont terminées par les observations des personnes intéressées.