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et thanatologues
Danielle Goyette
C roque - morts
et thanatologues
C roque - morts
et thanatologues
Danielle Goyette
C roque - morts
et thanatologues
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives
nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
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Goyette, Danielle, du 1957-
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Croque-morts et thanatologues
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1. Embaumement - Québec (Province). 2. Personnes endeuillées,
S ervices aux - Québec
Tous droits de traduction (Province). I. Titre.
et d'adaptation III. Collection
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Édition : Johanne Ménard
ISBN 978-2-89435-499-5
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Mise en page : Sandy Lampron
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Bibliothèque nationale du Canada, 2010
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09-GA-1
Imprimé au Canada
À toi, papa,
qui as quitté ce monde le 11 février 1965.
Il doit rester bien peu de ton corps en terre.
Tu as pourtant laissé tant de toi en moi,
ta persévérance, ta douceur, tes mots,
ton amour de la vie.
« Ma mère a toujours entretenu un rapport
étonnamment serein avec la mort.
Quand j’étais jeune, je la voyais souvent partir
vers des destinations inconnues
avec une toute petite valise bleue.
Je ne savais pas ce qu’elle contenait.
Je ne savais pas ce qu’elle allait faire.
Elle agissait toujours rapidement.
Après un bref coup de téléphone.
Elle sortait la petite valise de la commode,
l’ouvrait, vérifiait si tout y était,
la refermait et partait pour une heure ou deux.
Elle revenait avec un visage épanoui,
parfois même avec un léger sourire sur les lèvres.
Un jour, alors que je l’observais à son insu,
je l’ai vue prendre une mèche de cheveux
de la petite valise bleue et la caresser doucement.
Quel geste curieux...
Puis elle inscrivit un mot sur une étiquette
qu’elle attacha à cette mèche
pour la déposer dans la valise.
J’étais très intriguée.
Un soir où elle était absente,
j’ai donc laissé libre cours à ma curiosité.
J’ai sorti la petite valise bleue de la commode
et je l’ai ouverte.
J’y ai découvert des peignes, des brosses, des ciseaux,
des pinces, un fixatif en aérosol...
À l’intérieur du couvercle de la valise,
une quinzaine de mèches de cheveux
étaient retenues par des élastiques.
Chaque mèche portait un nom.
Gertrude, Louise, Yvonne, Thérèse...
C’était si étrange.
Quelques années plus tard, j’ai compris.
Maman m’a expliqué.
Il faut savoir que ma mère était coiffeuse.
Quand l’une de ses clientes ou l’une de ses proches décédait,
elle allait la coiffer pour son dernier repos.
Elle les avait si souvent coiffées, pendant des années...
“ Comme ça, elle se ressemblera vraiment ”, pensait ma mère.
Puis, elle rapportait toujours une mèche
en souvenir de cette femme, de cette amie, de cette sœur.
Je me demande encore aujourd’hui comment elle faisait.
Peigner un cadavre...
Vous l’ai-je dit ?
Ma mère entretenait un rapport serein avec la mort. »
Danielle G.
Hier, ils s’appelaient croque-morts et embaumeurs. Aujour
d’hui, ils portent plutôt le nom de thanatologues et de
thanatopracteurs. Depuis toujours, leur pratique provoque
des sueurs froides chez certains ou suscite la fascination
chez d’autres. La populaire télésérie américaine Six pieds
sous terre (Six Feet Under) a aidé à démystifier leur métier.
Espérons que ce livre y contribuera également.
De nombreux thanatologues d’aujourd’hui n’apprécient pas
qu’on utilise encore le terme « croque-morts ». Ils font tout
pour le bannir de leur vocabulaire et de celui du public.
Le titre de ce livre en a même rebuté plusieurs, au point
de refuser d’y participer. Pourtant, l’histoire des thanato-
logues d’aujourd’hui est tout aussi fascinante que celle des
croque-morts d’hier. Vous le verrez bien en vous plongeant
dans ces pages.
11
PETITE HISTOIRE
DE L’EMBAUMEMENT
Le mot embaumement vient du latin in balsamum, qui veut
dire « conservé à l’aide de baumes, d’aromates ». Confronté
à la mort depuis la nuit des temps, l’être humain tente
toujours de trouver mille moyens pour préserver le plus
longtemps possible les corps de la décomposition.
Les anciens Égyptiens excellent dans le domaine. Leurs
momies, dont certaines très bien conservées, en témoignent
encore aujourd’hui. Ils retirent tout d’abord une partie du
cerveau du défunt à l’aide de gros crochets de fer en passant
par les narines, puis liquéfient ce qui est resté à l’intérieur de
la tête avec de la résine très chaude. En retournant le corps,
l’excédent de matière fluide s’écoule alors par le nez. Ils
font ensuite une incision sur le flanc, enlèvent les viscères,
les purifient avec des herbes aromatiques et les remettent en
place. Parfois, les organes sont plutôt placés dans des vases
scellés qu’on dépose près de la dépouille dans son caveau.
Les embaumeurs baignent également le corps dans une so-
lution très forte en sel et en carbonate de sodium appelée
natron. C’est un bon agent de conservation. Ils laissent re-
poser le corps dans cette saumure durant 70 jours, puis
l’enduisent d’huile de palme, de cèdre, d’aloès ou d’autres
essences avant de l’envelopper de bandelettes de lin. Des
amulettes parent le corps. Celui-ci est finalement couché
dans un cercueil de bois à l’effigie du défunt.
Dans la Chine ancestrale, le linceul est plutôt une immense
pièce de soie très fine imbibée d’huiles épicées qui enve
loppe le corps en multiples couches. Un liquide contenant
du cinabre, sulfure de mercure reconnu comme remède de
longévité ayant même certaines propriétés de résurrection,
croit-on, est coulé dans le cercueil avant sa fermeture. Le
tout est ensuite enterré très profondément, près du cœur
de la Terre, pense-t-on.
e les viscères du
Au Moyen Âge, en Europe, on retir
cavités de différent s
corps dont on remplit ensuite les
c ou du romarin.
aromates ou herbes comme du mus
14
Au début du XIXe siècle, Jean Nicolas Gannal crée à son tour
une solution à base de phosphate de sodium et d’arsenic qu’il
fera même breveter en 1837. En 1840, un certain Chaussier
fait plutôt des essais avec du chlorure de mercure. À la
même époque, le médecin anatomiste américain Richard
Harlan se rend en Europe pour rencontrer les chercheurs
qui travaillent dans le domaine de l’embaumement. Il re
vient aux États-Unis avec le livre de Gannal, Histoire des em-
baumements, qu’il traduit en anglais. Alors que la guerre de
Sécession fait rage (1861-1865), Harlan met en pratique dif-
férentes techniques d’embaumement apprises dans ce livre
ou livrées par les spécialistes rencontrés en Europe et il les
conseille à ses compatriotes américains. Inspiré par les nou-
veaux procédés de préservation des corps qu’il trouve dans
ce livre, un médecin du nom de Thomas Holmes, commis-
sionné par le Corps médical de l’armée, traite directement
sur le champ de bataille pas moins de 4 000 dépouilles de
soldats. Mais c’est en 1868 que le chimiste allemand August
Wilhelm von Hofmann fait la plus importante découverte,
le formaldéhyde. Ce nouveau produit révolutionne le monde
de la thanatopraxie et surpasse par son efficacité toutes les
autres solutions employées auparavant. Par la suite, ces mé-
thodes d’embaumement commencent lentement à se géné
raliser, mais elles ne deviendront plus fréquentes qu’à partir
des années 1930 en Angleterre et 1960 en France1.
15
est faite par un proche. Dans le cas d’un homme décédé,
c’est un homme qui s’acquitte de cette tâche; si c’est une
femme ou un enfant qui vient de mourir, c’est sa mère, une
parente ou une sage-femme qui procède. Avant l’existence
de l’embaumement, on remplit une cuvette de chaux pour
y déposer les sécrétions du cadavre. Après les années 1920,
s’il y a un croque-mort au village ou dans la région, on peut
espérer un embaumement. Les préparatifs sont très rudi-
mentaires. Le corps est exposé sur un chevalet recouvert
d’un drap blanc, que l’on installe au salon dans la demeure
du défunt. L’exposition dure entre un et trois jours. Le
corps est ensuite déposé dans un cercueil de bois fabriqué
par un paroissien ou le croque-mort2.
17
également infiltré dans les tissus afin d’éviter toute conta-
gion4. Par la suite, on habille le corps des vêtements fournis
par la famille. Habituellement, on découpe les vêtements
dans le dos afin de faciliter l’habillement du défunt.
La crémation
du sud-
Artémise, reine de Carie, ancienne province
e antique,
ouest de l’Asie mineure au temps de la Grèc
-ci, la pau
aimait tant son époux qu’après la mort de celui
t avalé pend ant des jours et des
vre femme éplorée aurai
on des cend res de son bien-
jours une toute petite porti
aimé incinéré.
18
laquelle ils fabriquaient du pain. Cet aliment fut baptisé « le
pain de Madame de Montpensier », du nom de la deuxième
épouse du duc de Guise, car l’idée aurait été d’elle, bien que
la dame ne semble pas en avoir jamais fait la dégustation !
Rituels et catacombes
Les cérémonies funéraires diffèrent d’un siècle, d’un con-
tinent, d’une religion ou d’une spiritualité à l’autre.
Dans l’Antiquité, l’Égyptien qui a perdu ses parents se rase
les sourcils. À la mort d’un proche, les habitants de Délos,
une île des Cyclades en Grèce, se rasent entièrement la tête
et leur deuil se perpétue jusqu’à ce que leurs cheveux aient
récupéré leur longueur habituelle5.
Pour entreposer les morts, les catacombes sont très cou-
rantes. Les plus anciennes remontent au Ier siècle. Elles con-
naissent leur apogée au IIIe siècle. On en connaît à Rome,
à Naples, à Syracuse et à Palerme. Celles de Rome sont
très impressionnantes. Elle sont composées de nombreuses
galeries labyrinthiques. Des niches y sont creusées l’une
par-dessus l’autre. On y glisse les corps et on referme en-
suite l’ouverture avec des tuiles ou du marbre sur lequel on
inscrit le nom du défunt et quelques données à son sujet.
19
Fossoyeur malgré lui
24
a été obligée de vendre l’église. Toutefois, dans le contrat
de vente, le diocèse demandait que soient au préalable ex-
humées les 33 sépultures de dignitaires ou de gens plus
fortunés inhumées dans la crypte il y a près de 150 ans,
pour être enterrées par la suite dans le cimetière. Réjean
fut réclamé, à titre professionnel, pour superviser les tra
vaux d’exhumation avec certaines personnes-ressources de
la Société historique de la région.
Cette pratique d’inhumation sous les sous-sols des églises
a, un jour, été prohibée à cause des odeurs qui émanaient
parfois des lieux et, aussi, par manque d’espace.
25
la dépouille qu’on y
« Fait étonnant, les ossements de
. »
a trouvés étaient encore en bon état
Le croque-mort du village
« Mon arrière-grand-père est décédé à 53 ans. Mon grand-
père C
harles-Édouard, âgé d’à peine 15 ans, et son frère
Doria, 22 ans, l’ont remplacé. Quand Doria est mort à l’âge
de 25 ans, Charles-Édouard a dû prendre seul les rênes de
l’atelier alors qu’il n’avait que 18 ans. »
On est alors en 1896. C’est bien jeune pour porter sur
ses épaules l’entreprise de son père, mais il faut subvenir
aux besoins de ses frères et sœurs. « Je pense que Charles-
Édouard n’a pas eu trop le choix. Il est devenu à son tour le
croque-mort et entrepreneur de pompes funèbres du vil-
lage ! Ceux qui ont connu Charles-Édouard parlaient de
27
se rend à Montréal pour suivre ce
cours. En 1918, la grippe espagnole
frappe de plein fouet l’Amérique.
On ne peut même pas prendre le
temps d’embaumer les corps. Pour
diminuer les foyers d’infection,
les dépouilles sont enterrées rapi-
dement dans le cimetière parois-
sial. « Ce fut une période très
difficile. Il est arrivé que per-
sonne ne veuille aider mon
grand-père à transporter les
dépouilles de peur d’être in-
fecté, et il a dû s’astreindre à
faire seul le travail. Il n’était pas ques-
tion pour lui de laisser tomber les gens de son vil-
lage. Ainsi, il allait lui-même chercher les corps de ceux
de formol, puis
« Pour se protéger, il imbibait un drap
en lui touchant le
enroulait la dépouille dans ce drap
moins possible. »
28
Cortège cérémonial
Habile de ses mains, Charles-Édouard construit lui-même
un corbillard. C’est une superbe voiture ornée de fanaux
de chaque côté du siège du conducteur.
« Les magnifiques chevaux noirs qui tiraient le corbillard
étaient richement harnachés. Ils étaient recouverts d’une
couverture finement tressée, de style macramé, en corde
de soie blanche. Mon grand-père a aussi fait sur com-
mande deux autres corbillards noirs pour adultes comme
celui-là, l’un qu’il vendit à Québec et l’autre à Montréal.
Il avait aussi conçu deux petits corbillards blancs tirés par
29
Pour les enfants, les corbillards étaient blancs tout comme l’était la fine
couverture en macramé du cheval.
domicile du défunt
« L’embaumement était pratiqué au
au coût d’environ 10 $. »
30
a ttendaient à l’extérieur de la chambre. Au moindre bruit
suspect, ils s’interrogeaient.
De 1930 à 1940, les gens commencent à mieux connaître
la profession et à requérir de plus en plus ce service. Le
prix de l’embaumement se chiffre alors à 15 $, un cercueil
coûte environ 40 $, les ornements de la pièce funéraire 8 $,
et l’enterrement 10 $. »
Avec le temps, Charles-Édouard fait donc de plus en plus
d’embaumements. Il opère toujours dans la chambre du
défunt. Il transporte avec lui sa propre table pliante d’em
baumement et tous ses outils. Comme il n’y a pas encore
d’électricité, il est équipé d’une pompe à main pour reti
rer le sang des vaisseaux sanguins et injecter la solution de
préservation à base de formaldéhyde. « Alors qu’aujourd’hui
nous utilisons plutôt l’artère carotide, l’embaumeur du
temps utilisait plutôt l’artère iliaque ou fémorale, dans
l’aine, pour injecter la solution et la veine iliaque ou fémo-
rale pour évacuer le sang. La table d’embaumement était
légèrement en angle, ce qui permettait aux liquides et au
sang d’être évacués par un déversoir au bout de la table.
Sous la table, une chaudière recueillait les fluides.
31
Ceux-ci étaient probablement
ensuite jetés dans les égouts.
Le métier était déjà très tabou
et ça n’a pas beaucoup changé
depuis tout ce temps ! Mon
grand-père a continué de tra-
vailler, comme croque-mort–
embaumeur, presque jusqu’à
son décès, à 88 ans. Et il n’a eu
qu’un seul employé à temps
plein : mon père ! »
Vivement l’électricité !
Né en 1902, le père de Réjean, Doria – même prénom que
son grand-oncle –, participe très jeune à la fabrication des
cercueils et il fait ses premiers embaumements complets
vers l’âge de 20 ans. L’entreprise familiale continuera la
fabrication des cercueils de façon artisanale jusqu’en 1972.
Si Doria a connu le temps des corbillards à chevaux, il va
également conduire son premier corbillard motorisé dans
les années 1940-1945.
Et comme c’est aussi l’époque de l’avènement de l’électri
cité, Doria commence alors à utiliser une pompe électrique
pour faire les embaumements, qu’il pratique toujours au
32
omicile du défunt. Réjean nous en parle. « Je me souviens
d
que mon père se plaignait du peu de lumière que dégageaient
les ampoules de 25 watts de l’époque. Il ne voyait pas bien
ce qu’il faisait. Une fois, d’ailleurs, il lui est même arrivé de
faire une fausse manœuvre qui a fait basculer une cruche en
verre pleine de sang qui a éclaté sur le plancher de la cham-
bre. Quel travail ç’a été, m’a-t-il raconté, de tout nettoyer
pour que rien ne paraisse ! »
Une tragédie
Réjean se rappelle un événement dramatique qui a marqué
la petite ville où il a grandi. En novembre 1931, pendant
la construction du pont enjambant la rivière qui baigne la
municipalité, cinq ouvriers meurent ensevelis sous une im-
portante masse de terre. Après bien des efforts, on réussit
à extirper quatre corps. Le père de Réjean doit prendre
soin de redonner un aspect acceptable aux dépouilles. « Les
corps étaient en bien mauvaise condition. Ils étaient très
bleus et recouverts de glaise. Les narines, les oreilles, les
yeux, la bouche, le dessous des ongles en étaient remplis.
33
Ce fut très difficile de laver les corps. Mon père y a consacré
la soirée et toute la nuit jusqu’au matin, sans s’arrêter. Or,
une mauvaise surprise l’attendait. La compagnie de cons
truction, qui devait payer pour le tout, déclara faillite et
mon père ne fut jamais payé pour son travail, les cercueils
et les funérailles. Ce fut bien malheureux. Au moins, il se
disait que les dépouilles avaient été bien traitées et qu’elles
avaient eu droit à une cérémonie en bonne et due forme. »
es de ma mère se
« La chambre froide des conserv
la morgue. »
trouvait juste à côté de la por te de
34
Un cadeau de grand-papa
Une dernière rencontre avec son grand-père va finalement
convaincre Réjean qu’il doit emprunter sans l’ombre d’un
doute le même chemin que son père, son grand-père et
son arrière-grand-père. Il se rappelle ce moment troublant.
De père en fils
Doria, le père de Réjean, a travaillé avec son propre père
toute sa vie. En 1969, à la mort de Charles-Édouard, il
hérite du commerce familial à 67 ans, un âge où il est
plutôt temps pour lui de prendre sa retraite. Compte tenu
du soudain branle-bas dans l’héritage familial, le père de
Réjean offre à celui-ci de venir travailler à temps plein au
centre funéraire et de prendre en charge une bonne part
des responsabilités de l’entreprise. Le jeune homme n’a que
20 ans mais, comme on l’a vu plus haut, il pense de plus en
plus que ce métier est pour lui. Il accepte. Pendant les étés
1970 et 1971, il suit son cours de thanatopracteur et con-
sacre le reste de l’année à son nouveau métier. C’est ainsi
que Réjean va perpétuer la lignée familiale. « Mon père et
mes aïeux exerçaient un métier bien particulier. À regar
der mon père travailler, j’étais fier de ce qu’il accomplissait
36
avec tant d’application. Finalement, la vie allait faire en
sorte que je devienne moi aussi directeur et thanatoprac-
teur de ce centre funéraire. »
37
ent content s de le
« Les membres de la famille semblai
revoir une dernière fois. »
causent pas des formes bizarres sur la tête, puis j’ai refermé
la calotte crânienne et recousu la cicatrice derrière la tête
en la masquant ensuite avec du maquillage.
Les cheveux recouvraient l’autre partie. Quant à la
mâchoire, cassée à plusieurs endroits, j’ai tout de même
réussi à la stabiliser. Pour le contour bleui des yeux et leur
enflure, j’ai utilisé une solution qui atténue le bleu. Un
peu de maquillage a complété le travail. Malgré cela, le
visage n’était pas parfait, mais c’est ce que je pouvais faire
de mieux. Les membres de la famille semblaient contents
de le revoir une dernière fois. C’était important pour eux.
Étaient-ils satisfaits du résultat ? Je ne l’ai pas su, je ne leur
ai pas demandé. Je n’ai eu aucun commentaire ni positif ni
négatif. J’avais vraiment fait de mon mieux, mais ça n’a pas
été évident. J’ai certainement travaillé près de huit heures
pour en arriver là. »
Que de tristesse...
Réjean n’oubliera jamais ce cas qui l’a
le plus affecté. D’en parler ravive en-
core cette émotion. « J’avais reçu un
appel d’urgence d’une dame qui
voyait la maison de ses voisins en
flammes. Comme nous tenions
aussi le service d’ambulance
dans la région, j’ai sauté dans
un véhi cule ambulancier pour
m’y rendre. Sur place, je suis sorti
de la voiture, tenant mon pe-
tit extincteur dans mes mains.
Devant l’ampleur du brasier,
j’ai bien vu que cela était com-
plètement inutile. Je me suis
senti tellement impuissant...
et si peiné quand j’ai reconnu la maison qui brûlait. La vie a
parfois de ces hasards douloureux.
Quelques jours auparavant, j’avais failli heurter de plein
fouet la voiture de ce père de famille. Par fatigue et inat-
tention, j’avais omis de faire un arrêt obligatoire à une in-
tersection alors que cet homme roulait à bonne vitesse en
ma direction. J’avais quand même eu la rapidité d’esprit de
donner un coup d’accélérateur, et ce ne fut qu’une ques-
tion de secondes pour qu’on s’évite. L’impact aurait été as-
sez violent pour nous tuer. J’étais revenu à la maison sou-
lagé que rien de grave ne soit arrivé. Puis là, devant moi,
39
Nous les avons déposés dans des boîtes de transport pré-
vues à cet effet, puis les avons transportés jusqu’à mon
centre funéraire. Il n’y avait que peu de chose à faire pour
eux. J’ai traité légèrement les corps avec une solution par-
ticulière afin d’enlever les odeurs de chair brûlée et les
peaux mortes. Même si le bébé n’était pas dans le même
état que les quatre autres dépouilles, il n’était quand même
pas présentable. Nous avons donc déposé chacun des corps
dans un cercueil fermé pour la cérémonie funéraire, qui
fut d’une bien grande tristesse. »
40
« Compte tenu de sa for
te taille, il nous a été né
de monter sur une ch cessaire
aise pour pouvoir mieu
pencher sur son corps x nous
et bien faire notre trava
il. »
41
Les étapes de la mort
43
La peur de la mort
D e nombreuses personnes
disent avoir peur de la
mort. Le fait de devoir se rendre au salon funéraire
les rend anxieux. Le psychologue Pierre E. Faubert
nous explique ce qui en est. « Nous n’avons pas peur
de la mort comme telle, mais plutôt de l’inconnu et
du mystère qui s’y rattachent. La mort comme telle ne
dure qu’un instant, c’est l’arrêt de la vie, en un souf-
fle. C’est juste ça et tout ça en même temps. Chaque
personne va vivre la mort d’un proche différemment.
Et la façon dont ce proche est mort, si on parle bien
sûr de mort naturelle et non tragique, ne joue souvent
même pas sur le type de réaction. La nature de notre
lien avec le défunt détermine beaucoup comment on
surmontera sa mort et comment on vivra son absence.
La mort, tout comme la perte de quelque chose, peut
être vécue dans l’acceptation ou alors dans le refus,
comme si on nous arrachait quelque chose, et cela de-
vient dramatique.
Du côté des mourants, ceux qui n’ont donné aucun
sens à leur vie refusent souvent la mort et vivent sa
venue dans la souffrance et la crainte. Ceux qui sont
fiers de ce qu’ils ont accompli quittent la vie avec di
gnité et sérénité. C’est la même réaction pour ceux qui
perdent des proches. La personne qui avait un lien pro-
fond avec un proche va vivre de la tristesse à perdre cet
être cher. C’est un sentiment tout à fait normal, mais
elle le laissera partir avec dignité et vivra cette peine
avec le plus de détachement possible, car ainsi va la
vie. La personne qui avait tissé un lien de dépendance,
qui était accrochée à l’autre comme à une bouée de
sauvetage, vivra ce départ comme un abandon, une
perte irremplaçable. Elle n’acceptera carrément pas
cette perte. »
Quant à lui, le psychologue Jean-Marc Labrèche fait la
lumière sur les cas de noyade, d’enlèvement ou de dis-
parition, quand il arrive que des gens ne revoient jamais
la dépouille de leur proche. Il nous explique pourquoi
il peut être plus difficile de faire son deuil quand on
n’a pu revoir le corps une dernière fois. « Lorsqu’une
personne chère disparaît, il faut à son entourage une
preuve confirmée de sa mort, ne serait-ce qu’un cons
tat du décès fait par d’autres personnes significatives
ou dignes de confiance. En cas de disparition soudaine,
sans récupération du corps et sans aucun preuve ma-
térielle du décès, les proches vont vivre un choc pro-
fond, suivi d’une période prolongée d’incertitude dans
le deuil, difficile à traverser. Le fait de ne pas voir le
corps de la personne disparue ou de ne pas avoir en
main un constat de décès peut laisser planer longtemps
le doute, l’espoir ultime que cet être aimé ne soit pas
mort et qu’il réapparaisse un jour. »
CONTRIBUER
À LA PAIX DES ÂMES
« Ne sais-tu pas que la source
de toutes les misères de l’homme,
ce n’est pas la mort,
mais la crainte de la mort ? »
Épictète
Un métier fascinant
Josée suit donc ses cours en thanatologie. Elle n’a jamais eu
peur de la mort et elle prend vite conscience que, même en
l’affrontant ainsi de très près, cette peur n’existe vraiment
pas en elle. « Les cours se sont très bien déroulés. Comme
je suis plus manuelle que théorique, je me sentais beau-
coup plus à l’aise dans les cours pratiques en laboratoire. »
demandaient de
« Fait cocasse, quand des amies me
s de se coucher.
les maquiller, je leur disais toujour
travailler ! »
C’est ainsi que j’étais habituée de
48
solution hydratante. Un cas d’œdème ou de grande réten-
tion d’eau demande quant à lui une solution asséchante ou
déshydratante. Il faut parfois combiner quelques produits
pour obtenir le meilleur résultat. Certaines solutions aident
entre autres à éliminer des minéraux pour que le liquide cir-
cule mieux dans les vaisseaux sanguins. Les cas de diabète
sont plus difficiles. Les vaisseaux sanguins sont souvent très
durcis, parfois bloqués. À ce moment-là, on n’injecte pas
seulement à partir de la carotide, mais on doit faire des in-
jections en différentes parties du corps pour s’assurer que
la solution circule partout. Ensuite, quand on a remplacé le
sang dans les vaisseaux sanguins des dépouilles, on traite les
organes. Même s’ils reçoivent une part de solution pendant
l’injection par la carotide, on doit quand même agir de fa-
çon localisée, en injectant une solution plus concentrée pour
bien les préserver. »
Un moment émouvant
Josée a vécu un moment très émouvant un jour qu’elle a
dû traiter la dépouille d’un enfant de deux ans, mort par
arrêt respiratoire dans son sommeil. « C’était d’autant plus
bouleversant qu’il avait l’âge de mon enfant. La mère ne
voulait pas qu’il soit exposé, elle avait choisi de le faire inci-
nérer sans embaumement. Par contre, elle désirait le revoir
une dernière fois avant la crémation. J’ai donc procédé à sa
préparation, je l’ai lavé tout doucement, j’ai effectué une
légère désinfection pour éviter la propagation des bactéries
en surface. Mon inquiétude, c’était qu’elle me demande de
le prendre, car cela arrive parfois dans le cas des mères qui
ont perdu un jeune enfant. Or, il faut comprendre qu’une
50
dépouille ne retient plus ses fluides
corporels. Comme il avait subi une
autopsie, les organes n’étaient plus
en place et une simple pression de
l’abdomen aurait pu provoquer la perte
de fluides ou de sang par voies naturel-
les... Ç’aurait pu être très troublant
pour cette dame. Je ne voulais
pas qu’elle vive cela. Alors, quand
elle a insisté pour le prendre, je
lui ai proposé de s’asseoir pour
que je dépose moi-même l’enfant
doucement dans ses bras sans faire
aucune pression sur le corps.
Elle l’a tenu dans ses bras un certain temps et l’a embrassé.
C’était très touchant ! Puis, quand elle a été prête, elle m’a
fait signe et j’ai repris le petit corps. Je n’oublierai jamais
ce moment. Quand je me suis retrouvée seule, j’ai pleuré
à chaudes larmes. »
Un autre cas difficile traité par Josée fut celui d’un acci-
denté heurté de plein fouet par un train. « C’était un jeune
homme d’une vingtaine d’années. Son oncle avait identifié
le corps et la famille désirait qu’il soit exposé. Par contre,
le défunt était en bien mauvais état. Il avait le crâne et tous
les os de la mâchoire fracturés. En plus, il avait subi une
Des refus
Il arrive que Josée refuse de traiter certains cas. Elle ne
traite pas les défunts qui ont souffert de la maladie de
52
yeux et par les liquides du cerveau. « Je sais que d’autres
thanatopracteurs les embaument, mais moi, pour l’instant,
je préfère m’abstenir, surtout quand il y a eu autopsie au
niveau de la tête, ce qui exige des manipulations dans cette
région la plus contagieuse. Par contre, j’accepte d’embaumer
les dépouilles de sidéens. Le sida est une maladie qui meurt
avec la personne. Quelques heures après son décès, elle
n’est plus contagieuse. Je ne prends tout de même aucun
risque car le moment à partir duquel la dépouille n’est plus
contagieuse n’est pas précis. »
si on allait dé
« Une personne m’a demandé un jour
ueil pour con
poser de la glace dans le fond du cerc
exposition... »
server la dépouille au frais durant son
54
La mort, un passage
L e psychologue Jean-Marc
Labrèche nous donne quel
ques pistes sur le meilleur chemin à suivre en période
de deuil. « La mort fait partie d’un processus ; elle est
un passage. La mort sert à mettre en valeur la précio
sité de la vie. Nous avons intérêt à croire que, si le corps
disparaît, l’âme reste en vie. Cela nous permet de con-
cevoir la continuité d’une relation qu’on ne veut pas
terminer. Et la continuité d’une relation est une réalité
indispensable à la vie. Le fait d’entretenir la croyance
que ce proche décédé est heureux dans l’au-delà peut
apaiser, également. »
Pour certains, les rituels permettent de mieux vivre le
départ de ce défunt. « Tout, pratiquement, est exprimé
sous forme de rituel chez l’humain. Nous avons un
rapport conscient avec la réalité et nos gestes. Nous
aménageons donc les événements de nos
vies dans des contextes, pour leur donner
un sens, pour souligner leur existence ou
déterminer un passage : naissance, repas,
mariage, entrée au travail, décès...
Le rituel funéraire favorise le temps
d’arrêt nécessaire pour méditer sur le
départ d’une personne, pour prendre
conscience de qui elle fut pour nous
et parfois même pour nous inter-
roger sur ce même sort qui nous
attend un jour et sur le sens de la
vie. Ceux qui ont peine à trouver
un sens à leur vie auront peine à
trouver un sens à leur mort. »
TOUTE UNE VIE
À CÔTOYER LA MORT
« Le temps d’apprendre à vivre,
et il est déjà trop tard. »
Aragon
58
quartier de la ville. Mon père a fait de même. Le duplex
qu’on habitait comprenait la résidence familiale à l’étage et
le salon funéraire au rez-de-chaussée. C’était très courant
à l’époque. Ainsi, mon père pouvait répondre à tous les
appels urgents, sept jours par semaine, 24 heures par jour.
Il était sur place. Et mon aide lui était précieuse. Je faisais
plein de petits boulots variés. Je transportais les fleurs, je
les plaçais dans les pièces d’exposition, je faisais un peu
d’entretien, je répondais à la porte et déjà, à cet âge-là, je
savais accueillir convenablement les clients qui se présen-
taient chez nous. Mon père nous avait même fait faire, à
mes frères et à moi, des costumes officiels avec veston et
cravate comme à tous les employés. J’en étais bien fier ! »
59
le faire moi-même ! »
« J’avais tellement hâte de pouvoir
60
aurait besoin pour aller chercher la dépouille. Je ne voulais
tellement rien manquer !
Au retour, j’assistais à la préparation du sujet. Avec toute
la patience du monde, mon père prenait le temps de m’ex
pliquer ce qu’il faisait. À 14 ou 15 ans, je possédais donc
toutes les notions nécessaires pour pratiquer.
Un talent exceptionnel
Aussi jeune soit-il, Jules est déjà reconnu pour ses qualités
d’embaumeur. Il démontre des aptitudes rares pour la res-
tauration de visages d’accidentés en très mauvais état.
61
t otalité et de façon très réaliste. À l’époque, on faisait beau-
coup d’embaumements en sous-contrat pour les régions
périphériques. Mon oncle reçut un jour une demande d’un
village en Montérégie au sujet d’un accidenté dans un état
assez pitoyable. Il a décidé de m’y envoyer. Il a averti son
client de ne pas tenir compte de l’âge de l’embaumeur qu’il
lui envoyait et d’attendre plutôt de voir son travail. J’avais
17 ans à peine et pas encore un brin de barbe ! Mais, bon, en
cas de problème, j’étais accompagné d’un homme de service
qui, même s’il n’était pas embaumeur, connaissait bien le
métier et pouvait me seconder. » Il faut savoir qu’à l’époque,
la famille de Jules a aussi beaucoup de demandes de dif-
férentes villes du Québec où il n’y a pas d’embaumeurs.
Comme les chambres froides n’existent pas encore, les
thanatopracteurs doivent travailler le plus rapidement pos-
sible. Il faut être efficace et toujours prêt à tout.
conditions
Le corps d’une personne décédée dans des
iert environ 3 heur es de travail
dites « normales » requ
accidenté exige, quan t à lui,
d’embaumement. Un corps
deux ou trois jours de
entre 16 et 19 heures répar ties sur
déshydratation.
« Avant de partir, je me suis informé à savoir s’ils avaient
sur place tout le matériel nécessaire. On m’a confirmé qu’il
n’y avait pas de problème. Il faut expliquer que dans notre
entreprise funéraire familiale, on innovait beaucoup. On
se servait déjà de petites perceuses électriques encore très
rares à l’époque. La plupart des autres entreprises travail-
laient encore avec des vilebrequins manuels. »
Un visage à reconstruire
63
pointu par une mince incision effectuée sur le flanc, près
du nombril. On assèche ainsi la vessie, l’estomac, le foie,
les intestins, etc. J’injecte dans ces organes une autre so-
lution de formaldéhyde pour les préserver également de
la décomposition. Je me concentre ensuite sur la restruc-
turation de la boîte crânienne et des maxillaires. Comme
je dois restaurer l’ossature, j’ai absolument besoin d’une
perceuse pour travailler les os. Je la demande donc à cet
homme qui, en passant, était fermier au quotidien. Il me
dit qu’il n’en a pas, mais que son voisin a probablement
un vilebrequin. Il revient avec l’outil, mais sans mèche.
L’homme n’en avait pas ! Je lui demande s’il a au moins un
clou à finir. J’introduis donc le clou à finir au bout du vile-
brequin et c’est ainsi, avec cet outil rafistolé, que je réussis
quand même à travailler.
64
« Quand il a su que c’étai
t moi, le p’tit jeune de 17
qui avait fait cela, il a été ans,
très impressionné ! »
Sa propre succursale
En 1968, à l’âge de 23 ans, Jules est marié et gère déjà une
succursale de l’entreprise funéraire familiale. Sa réputa-
tion d’excellent embaumeur n’est plus à faire dans le mi-
lieu et on requiert ses services dans les cas les plus difficiles
65
de reconstruction faciale. Au cours de ses cinquante an-
nées de pratique, il verra passer toutes sortes de cas. Il en
évoque quelques-uns.
« Je me rappelle une requête bien originale d’un client, qui
nous avait demandé d’être enterré tête première, c’est-à-
dire le corps inversé dans son cercueil. Je vous explique.
Au moment de l’exposition, il souhaitait que tout se fasse
comme à l’habitude, avec le haut du cercueil ouvert pour
exposer le haut de son corps. Par contre, avant de refermer
le cercueil pour la mise en terre, nous devions retourner
son corps de façon à ce qu’il ait la tête qui regarde vers
le fond du cercueil et, en plus, du côté où le couvercle ne
s’ouvre pas. Ainsi, il croyait que s’il n’était pas “ totalement
mort ”, il ne resterait pas vivant longtemps, ayant le haut du
corps coincé dans le fond du cercueil sans aucune possibi
lité d’ouvrir le couvercle. En fait, il voulait être certain de
ne pas voir la porte de sortie s’il avait à ouvrir les yeux ! »
sa mobylet te à la
« Il avait demandé qu’on expose
place de son corps. »
66
exposé dans un salon funéraire. « Il voulait que son deuil
soit vécu sur un ton humoristique. Il avait demandé qu’on
expose sa mobylette à la place de son corps au salon funé
raire. Il n’était pas mort dans un accident de la route, mais
il considérait que c’était la meilleure façon de le présenter
à ses proches. »
67
peut provoquer une
réaction nerveuse des
tissus si ceux-ci sont en
core chauds ? Moi, je l’ai
appris un certain soir !
à bouger légère
« Les doigts du cadavre se sont mis
ment par petits soubresauts. »
68
Jules garde aussi en mémoire les funérailles bien singu-
lières d’un curé. L’homme d’Église était très aimé dans
son diocèse, et on tenait à permettre au plus grand nombre
de gens possible de lui témoigner leur gratitude. La veille
des funérailles se tenait la cérémonie de la « translation des
restes ». Jules raconte. « On devait déplacer la dépouille du
salon funéraire jusqu’à l’église, deux lieux situés près l’un
de l’autre. Il fut décidé que l’on ferait cette procession à
pied, en portant le cercueil sur nos épaules. Toutefois, en de
telles circonstances, le cercueil doit rester ouvert pour que
les fidèles puissent voir ou toucher leur curé une dernière
fois. Les cercueils de prêtres s’ouvrent à pleine grandeur,
même que les couvercles s’enlèvent entièrement pour que
les fidèles puissent circuler tout autour durant l’exposition.
Malheureusement, on était en plein hiver et, ce jour-là, il
y avait une grosse tempête de neige. On explique donc aux
proches du curé qu’on ne peut pas circuler à l’extérieur au
risque que la dépouille se retrouve couverte de neige. Ils
nous disent ne voir là aucun problème, l’important étant
cercueil était rem
« Le temps qu’on arrive à l’église, le
pli de neige. »
que les gens puissent revoir leur curé une dernière fois.
Nous avons donc effectué le trajet entre le salon funéraire
et l’église à cercueil ouvert, la neige se déposant abondam-
ment sur le corps du curé tant aimé. Les paroissiens étaient
massés sur notre route, touchant avec beaucoup de respect
le cercueil et le corps.
Le temps qu’on arrive à l’église, le cercueil était rempli de
neige. On a donc dû enlever délicatement toute cette neige
sur la dépouille du curé avant de poursuivre la cérémonie.
Mais tout le monde était satisfait ! »
Attention, danger !
70
l’arme et lui expliquer ce qui s’était passé. Je m’en suis tiré
avec une belle frousse. »
Jules se remémore un autre cas plus délicat. On lui de-
mande un jour d’embaumer le frère décédé d’un proche
parent. « Un cancer facial a nécessité l’amputation d’une
partie du visage de cet homme. La presque totalité d’un
côté de la mâchoire est manquante. Il est complètement
défiguré. Mon père se dit que s’il y en a un qui peut recons
truire ce visage, c’est moi. Alors, je l’ai fait parce qu’il me
l’a demandé. C’était très émouvant de redonner le visage à
cet homme que je connaissais bien, c’était le plus bel hom-
mage que je pouvais lui rendre. »
Et la contagion ?
Riche de ses années d’expérience, l’entreprise funéraire fa-
miliale de Jules ne refuse aucun cas, même les plus lourds
si la demande est réalisable, bien sûr. « Depuis longtemps,
nous acceptons d’embaumer toutes les dépouilles, même
celles des victimes de maladies contagieuses comme le
Creutzfeldt-Jacob10, le sida ou l’hépatite11. Par contre, au
jourd’hui, certaines restrictions légales peuvent nous obliger
à procéder à une inhumation ou incinération immédiate,
comme dans les cas de Creutzfeldt-Jacob. Par ailleurs, je
vous dirais qu’un défunt reconnu comme contagieux est
beaucoup moins dangereux pour nous qu’un corps qui
nous arrive sans qu’on le sache. Je trouve qu’il faut faire
encore plus attention aux dépouilles porteuses de m aladies
71
contagieuses non déclarées. Quand on
connaît bien l’état de la dépouille, on se
protège en conséquence. On revêt les
vêtements de protection appropriés, des
gants plus épais qui ne perforent pas,
un masque avec visière dont certains
sont même munis d’un filtre à air... Et
je peux vous dire qu’en cinquante ans de
pratique, je n’ai encore jamais entendu par-
ler d’un embaumeur décédé d’une maladie
contagieuse qu’il aurait contractée à son tra-
vail. On est prudents. »
it à un embaume
« Je crois que toute personne a dro
professionnalisme. »
ment pratiqué dans le respect et le
72
« On retire alors les org
anes un à un pour les
ver, puis on les remet en préser
place. »
d vraiment c onscience
« C’est à ce moment-là qu’on pren
de la mor t de cette personne. »
78
Tenter l’expérience
Il lui vient alors à l’idée de suivre un stage dans un salon
funéraire afin de s’assurer que ce métier lui convient vrai-
ment et qu’elle a les aptitudes requises, avant de s’inscrire
au cours de trois ans. Cette expérience va être inoubliable.
« J’ai donné un coup de fil au centre funéraire de ma ville et
j’ai expliqué ma démarche au directeur thanatologue. On
s’est entendu que, chaque fois qu’il recevrait un corps, il
m’appellerait pour que je me rende sur place afin de le re-
garder travailler, de lui poser des questions et de l’aider si
79
muni d’une chasse d’eau. La dépouille d’un homme dont
les parties intimes étaient respectueusement recouvertes
de serviettes reposait sur cette table. La première chose
que le thanatopracteur m’a dite en entrant dans cette pièce,
ce fut de ne jamais exprimer quoi que ce soit au sujet du
client – aucune remarque, aucun jugement, aucune allu-
sion –, le respect étant de mise. »
81
Ce fut donc extrêmement difficile de refermer sa bouche.
Nous avons utilisé un gros fil de suture enfilé dans une
aiguille courbée pour coudre la mâchoire en rattachant de
l’intérieur le menton à la cloison nasale. Avant de refermer
complètement la bouche, nous y avons déposé de la ouate
de coton brut. Nous avons fait de même pour le nez. J’ai
été surprise de découvrir tout l’espace disponible dans cha-
cune des narines. On a pu glisser pas moins deux bonnes
balles de coton grosses comme un pamplemousse par na-
rine ! La ouate contribue à absorber tout relâchement de
gaz ou de liquide corporel demeuré dans le corps.
maximum de rigidité. »
« La dépouille avait déjà atteint son
82
en santé et elle désirait qu’on lui redonne cet aspect. J’ai
été bien surprise à la vue de la photo. Il devait certaine-
ment peser plus de 300 lb sur le cliché. Eh bien ! On a
fait en sorte que cette dame revoie son mari une dernière
fois comme il était autrefois. Elle nous avait apporté des
vêtements de l’époque où il était corpulent. On a empli
ces vêtements de ces longs filaments de papier qu’on insère
entre autres dans les boîtes d’emballage d’objets fragiles.
Pour le visage, ce fut plus délicat. Le thanatopracteur a
travaillé avec beaucoup de minutie. En toute fin, il a in-
jecté du silicone dans chacune des rides et des traits de son
cou et de son visage de façon à lui redonner ses rondeurs
d’antan. Le résultat était vraiment réussi ! »
Une autopsie
Claudia a aussi travaillé sur une dépouille autopsiée. Lors
que la jeune femme entre au laboratoire, elle est troublée
à la vue du corps sur la table. Elle remarque tout de suite
le torse traversé d’une longue cicatrice en Y recousue
83
et rassemblés dans un même sac, il peut être difficile de
bien les désinfecter individuellement, et les remettre ainsi
dans le corps pourrait entraîner l’émanation d’odeurs indé-
sirables ou la prolifération de bactéries. Dans de tels cas, les
organes seront quand même inhumés plus tard, sous le cer-
cueil, au moment de la mise en terre. Il n’est pas pensable
de mettre le sac d’organes dans le cercueil quand vient le
temps de le fermer, car la famille assiste à cet instant solen-
nel et ce geste pourrait l’affecter.
r alors que le
« Je tenais doucement les masses de chai
thanatopracteur cherchait l’artè re. »
84
poche une lettre de recommandation du thanatopracteur.
Le cours est très contingenté. Elle espère des nouvelles avec
impatience. À sa grande déception, elle est refusée, ses ré-
sultats scolaires étant juste sous la limite demandée. « Cette
année-là, le Collège avait reçu au-delà de 430 inscriptions
alors qu’il n’acceptait que 32 étudiants. J’étais tellement
déçue... J’ai donc laissé tomber l’idée de devenir thanato-
practrice et je me suis trouvée un emploi dans un tout autre
domaine. Avec le temps, je me suis consolée en me disant
qu’à la longue, peut-être j’aurais eu du mal à vivre au jour
le jour la douleur des gens endeuillés. Pratiquer la thanato-
praxie, ce n’était pas un problème pour moi, mais devoir
accueillir la tristesse et les émotions des clients, je n’aurais
peut-être pas eu le cœur assez solide pour ça.
85
Qu’est-ce
qu’une autopsie ?
« Je me dis tous les jours que je fais le plus beau métier
du monde et le plus rare ! »
tombales. »
« J’aimais circuler entre les pierres
Prédispositions précoces
Le premier décès que vit de près Suzanne est celui de son
grand-père, en 1970. Elle n’a alors que six ans. Elle s’en
souvient avec tendresse. « C’était un beau vieil homme
joufflu qui n’avait plus qu’une couronne de cheveux. À tout
92
oment au salon funéraire, je demandais à ma mère d’aller
m
lui donner un bisou sur le front. Maman me levait dans ses
bras, plutôt surprise que je ne m’inquiète pas outre mesure
du fait qu’il était mort et couché dans un cercueil. À cette
époque, je m’étais même déjà maquillée pour aller ensuite
m’enquérir auprès de ma mère si je faisais une belle morte.
Plus de doutes
Au secondaire, Suzanne se questionne sur la possibilité de
devenir cardiologue parce que le corps humain la passionne,
mais elle trouve que cela demande trop d’années d’études.
Lorsqu’elle s’informe au sujet du cours en thanatologie au
Collège de Rosemont, le programme et sa durée lui confir-
ment qu’elle a trouvé la bonne voie à suivre. « Quand j’ai dé-
cidé que je voulais étudier en thanatologie, je n’ai même pas
fait de demande d’inscription dans un autre programme
d’une autre institution. Mes proches, qui connaissaient ma
joie de vivre – j’étais de tous les partys ! –, avaient du mal
à comprendre mon choix. Pour moi, c’était pourtant bien
clair. Sur 125 demandes, 37 ont été acceptées, dont la
mienne. Ainsi, en 1982, à 17 ans, je quittais ma petite ville
pour m’installer à Montréal. Ma mère m’avait dit que je
serais un “ talent gaspillé ”. Elle s’est reprise quelques années
plus tard quand elle m’a vue organiser des funérailles et a
été témoin des remerciements des gens satisfaits. »
93
Un des laboratoires actuels du Collège de Rosemont où les étudiants
mettent en pratique leur apprentissage du programme de thanatologie.
ction de
« Quand j’étais au collège, je faisais une colle
d’Inde, raton laveu r, re
cœurs de petits animaux : cochon
conte nant s de verre
nard... Je les avais déposés dans des
Les copains
remplis de formol et disposés sur mon frigo.
réciaient
d’école qui venaient à mon appartement n’app
pas tellement ! »
Un premier cas difficile
L’été qui suit sa première année
de cours, Suzanne se trouve un
emploi dans un centre funéraire.
Elle y fait un peu de tout, mais
espère surtout participer à
un embaumement. On lui
propose enfin. « Ce n’était
pas un cas facile. Un père
avait reculé avec son ca-
mion sur la tête de sa fille de
quatre ans. Le corps de l’enfant
était intact sauf la tête, qui était
totalement aplatie, impossible
à restaurer. Nous ne devions
que faire l’embaumement et
la fillette allait être exposée à
cercueil fermé. Quand j’ai vu sa dépouille sur la table, je me
suis dit, si je suis capable de pratiquer l’embaumement sur un
tel cas, je serai capable de tout faire après cela. Et j’ai réussi !
J’ai fait ma part dans les différentes étapes en observant bien
le thanatopracteur.
95
vrai que j’en prends grand soin. Je mets de la poudre dans
ses vêtements pour qu’il sente bon, je dispose des petits
toutous autour de lui dans le cercueil, je suis toujours à
l’écoute de la famille. Par exemple, une enfant de quatre
Un mentor exceptionnel
De fil en aiguille, le temps va passer sans que Suzanne ne
change jamais d’idée. Le lendemain de la présentation de
l’autopsie et de l’embaumement de sa première semaine
de cours, le groupe avait perdu huit étudiants ; à la fin des
trois ans du programme, il ne reste plus que neuf partici-
pants. « Je n’ai jamais eu l’ombre d’un doute. J’aimais tel-
lement ce que j’apprenais. À mon premier stage, j’ai choisi
l’une des plus grandes entreprises funéraires pour pouvoir
prendre part à un grand nombre d’embaumements. Il y
avait cinq tables d’embaumement et elles étaient presque
toujours occupées. Pour le deuxième stage, j’ai plutôt opté
pour une petite maison afin de pouvoir intervenir à toutes
les étapes, de l’accueil du public au choix des fleurs en pas-
sant par l’organisation de la cérémonie funéraire.
À l’une de mes entrevues de stage, j’ai été refusée parce
que j’étais une femme. L’embaucheur ne croyait pas que
je serais assez forte pour pouvoir manipuler les dépouilles
et les cercueils. Un autre thanatologue a dit à mon super-
viseur qu’il croyait que les femmes avaient plutôt dédain
de ce travail. Mon superviseur lui a répliqué : “ Je t’envoie
ma meilleure élève, essaie-la une semaine et tu m’en diras
96
« Si je suis comme je sui
s aujourd’ hui, je le do
thanatopracteur. » is à ce
97
La mort fait réfléchir
Entre-temps, Suzanne se met à fréquenter un copain du cé-
gep. Elle quitte son emploi dans le Bas-Saint-Laurent pour
aller le retrouver à Sherbrooke. Cet ami devient finalement
son mari et le père de son premier garçon. Quelques an-
nées plus tard, la vie fait en sorte qu’ils se séparent, bien
qu’ils demeurent les meilleurs amis du monde.
« C’est arrivé quand l’un de mes frères s’est injecté une dose
mortelle de médicaments en 1996. J’étais sous le choc. Je
me suis totalement remise en question, j’ai pensé profondé-
ment au sens de la vie et à sa précarité. J’ai compris que je
devais passer à autre chose dans mon existence. Mon mari
était malade et il était devenu très difficile à vivre. Pour
apaiser son mal, il consommait beaucoup d’alcool et de mé-
dicaments. Moi, je voulais d’autres enfants et j’aimais la vie.
Nous avons divorcé en toute amitié. J’ai acheté une maison
proche de la sienne pour que notre fils puisse nous voir tous
les deux aisément. Cet homme est demeuré mon meilleur
ami et j’en ai pris soin à distance du mieux possible. »
, en si peu d’heures. »
« Un corps ne se dégrade pas si vite
98
« Je l’ai tout démaquillé
et j’ai recommencé le tra
vail. »
Au revoir, papa
Quand le père de Suzanne meurt en 2000, elle ne peut
pas l’embaumer car elle allaite. Une femme enceinte ou qui
nourrit son bébé ne peut entrer dans un laboratoire d’em
baumement à cause des dangers liés aux vapeurs toxiques
des produits utilisés, tels que le formaldéhyde. Suzanne se
rend tout de même au laboratoire quand l’embaumement est
terminé pour maquiller son père, l’habiller et prendre part
à la mise en cercueil. « Il était important que je participe au
moins à cette étape-là. Je l’ai maquillé en pleurant comme
une M adeleine. Mais il y a eu un moment amusant aussi.
Comme il avait perdu tous ses cheveux à cause du cancer,
mon père s’était fait pousser une moustache alors qu’il n’en
avait jamais porté du reste de sa vie. Ma mère m’avait de-
mandé clairement : “ Enlève-lui cette moustache-là, je n’aime
pas ça, je n’ai jamais aimé ça. ” Alors, je la lui ai coupée ! »
laboratoires
Maintenant, les systèmes de ventilation des
nt le long du planc her. On a
d’embaumement se situe
form aldéh yde dégagent
découvert que les solutions de
au nivea u du sol.
des vapeurs lourdes qui stagnent
100
de ce thanatopracteur. Mon
frère avait la boîte crânien
ne fracassée et mon collè
gue a vraiment exécuté
une restauration excep-
tionnelle. En plus, il ne
m’a jamais demandé un
sou pour ça. C’était un
présent qu’il m’offrait en
tant qu’amie. Par la suite,
comme je l’avais fait pour
mon autre frère et mon
père, je suis allée maquiller
et habiller moi-même mon
jeune frère. »
Puis, en 2005, Suzanne vit une
autre disparition tragique. Son ex-
conjoint, le père de son fils de 13 ans,
s’enlève aussi la vie. Suzanne se rend avec son
garçon à l’hôpital où on a essayé de réanimer le pauvre hom-
me qui s’est pendu. Les membres de son ex-belle-famille
sont là. Suzanne a toujours gardé de bons contacts avec
101
Je savais ce qu’il voulait, je savais ce qu’il ne voulait pas.
J’ai donc pris les choses en main. J’ai demandé à l’infirmier
d’enlever aussitôt que possible le gros tube qu’il avait dans
la bouche pour la déformer le moins possible. Quand je me
suis retrouvée dans la chambre froide de l’hôpital... quand
je l’ai vu blême... quand j’ai constaté qu’il était bien mort...
j’avoue que j’ai craqué. J’ai pleuré un bon coup. Puis, j’ai con-
tinué mon travail. J’ai constaté que la strangulation n’avait
pas laissé de trace, il avait à peine une marque bleue dans le
cou. J’ai fait moi-même le transfert de son corps de l’hôpital
au centre funéraire. Puis, sur place, je l’ai moi-même étendu
sur la table d’embaumement. C’était tellement bizarre de
le voir ainsi... J’allais embaumer cet homme dans une des
salles où on avait tant travaillé ensemble. J’ai commencé très
lentement à préparer l’embaumement. »
la meilleure
« Mon ex-conjoint était convaincu que j’étais
Il disait ça à tout le monde.
thanatopractrice qui soit.
, il continuait de le répéter.
Même après notre séparation
conte nt que ce soit moi
Je me disais qu’il devait donc être
qui l’embaume ! »
102
« Pendant que j’ef fectuais
l’embaumement, j’ai reçu
d’une employée du gouve un appel
rnement pour m’aviser qu
ex- conjoint ne pourrait plu e mon
s me verser de pension alim
car il était décédé. Je lui ai en taire
répondu que je m’en douta
car j’étais en train de l’em is bien,
baumer à l’instant même
. »
103
four avec lui, pour l’accompagner. Ensuite, c’est mon fils
qui a retiré les restes du four. Les tissus et les vêtements
se retrouvent vraiment en cendres. Par contre, les os
sont presque tous intacts. Mon fils a donc récupéré
les cendres et les os pour les déposer lui-même dans
le pulvérisateur qui transforme le tout en cendres. Il a
aussi mis lui-même ces cendres dans l’urne à la toute
fin. Puis il m’a dit : “ As-tu remarqué maman, avant
qu’on ferme le cercueil, on dirait qu’il riait, il avait
comme un sourire coquin ? ” Je lui ai répondu : “ Tu
sais, ton père souffrait beaucoup ; probablement que
la mort a été pour lui une libération. ” Aujourd’hui,
mon fils me parle souvent de ce moment exception-
nel qu’on a partagé ensemble et il me remercie de lui avoir
permis de le vivre. »
104
je l’ai laissé reposer ainsi durant la nuit. Le lendemain, le
corps avait repris forme. J’ai réussi à remettre les membres
en place. Je me suis ensuite dit que si cet homme avait pu
habiller
« Une famille m’a un jour remis un vêtement pour
, j’ai coup é le costu me
un proche. Comme à l’habitude
. Mais j’ai appr is
dans le dos pour me faciliter la tâche
vêtem ent après
par la suite que je devais retourner ce
eux cos
l’exposition du corps, puisque c’était un préci
un musée !
tume de haut gradé de l’armée exposé dans
pour ré
Je suis partie en quête d’une bonne couturière
fait du bon trava il, ça ne para issait
parer ma bêtise. Elle a
pas du tout. »
L’embaumement : un art
Les cas de suicide exigent souvent beaucoup de travail de
restauration. Surtout quand une personne se tire une balle
dans la bouche. Suzanne relate les étapes d’un embaume-
ment aussi complexe. « Le jeune homme avait la tête vrai-
ment très abîmée. Sa mère et sa sœur voulaient absolu-
ment le revoir quand même. Un collègue m’avait pourtant
dit qu’il n’y avait rien à faire avec ce cas trop difficile. Moi,
je croyais que je devais quand même tenter quelque chose.
Il fallait d’abord que je trouve le moyen de redonner forme
humaine à sa tête.
106
un mélange de colle en poudre et liquide pour former une
sorte de ballon imitant la rondeur de la tête. L’écrou crânien
est une minuscule plaque métallique d’environ 1 cm2 com
prenant quatre pointes qui se piquent dans le crâne. L’écrou
est muni de vis qui, une fois serrées, permettent de rap-
procher côte à côte les parties du crâne sur lesquelles l’écrou
a été implanté. J’ai ainsi réussi à reconstruire la tête de fa-
çon acceptable. J’avais tout de même averti la mère qu’il
n’allait pas ressembler à la photo fournie, mais qu’elle allait
du moins pouvoir le revoir avant de fermer le cercueil pour
les visiteurs. Elle a été tellement contente qu’elle a finale-
ment elle aussi choisi de laisser le cercueil ouvert.»
Suzanne a également travaillé sur un autre cas, celui d’un
accidenté de la route, éjecté de son véhicule. Sa conjointe
voulait le revoir. Suzanne se demandait bien comment elle
allait y arriver. « Sa boîte crânienne, à lui aussi, était très en-
dommagée. Afin de replacer un crâne qui a été découpé en
deux pour une autopsie ordinaire, on utilise habituellement
deux écrous crâniens. Pour pouvoir restaurer adéquatement
la tête de cet homme, j’en ai utilisé 16. Il me manquait en-
core quelques parties du crâne, mais j’étais quand même
satisfaite du résultat. J’ai finalement remis en place le cuir
chevelu et recousu toutes les autres plaies apparentes, dont
l’une à l’arcade sourcilière. Pour compléter le tout, j’ai pris
quelques cheveux de la nuque pour recomposer les sourcils
manquants. »
107
une in
« Les coussins gonflables dans les voitures sont
than atopr acteu rs. On voit réel
vention qu’apprécient les
les dom mag es causé s au
lement une différence dans
iles avan t et depu is
corps dans les collisions automob
ces cous sins ne par
qu’on en installe dans les voitures. Si
passager,
viennent pas toujours à empêcher la mort d’un
ures aux
ils contribuent grandement à diminuer les bless
restaurer. »
visages, qui nous sont alors moins difficiles à
Bouffées d’émotion
De grands amis de Suzanne vont un jour perdre leur fil-
lette de trois ans par noyade. C’est le cas le plus émouvant
que la thanatopractrice ait eu à traiter à ce jour. « Mes amis
étaient tellement terrassés par la douleur que j’ai décidé
de prendre en charge le plus d’étapes possible. Je me suis
même rendue chez eux pour aller chercher, dans les tiroirs
de la commode de l’enfant, des vêtements pour l’habiller
une dernière fois. J’ai jusqu’à choisi ses petits bas. Cepen-
dant, je n’ai pas pratiqué l’embaumement, pour pouvoir
être auprès de la mère le plus possible. Ma présence comme
amie lui était essentielle. Par contre, j’ai tenu à habiller la
petite et c’est moi qui ai procédé à l’incinération. Quand
les cendres ont été prêtes, j’ai appelé mes amis. Je leur ai
proposé d’aller leur porter à la maison, bien que je n’aie
qu’une motocyclette. Ils m’ont répondu : “ Oui, oui, prends
ta moto, notre fille aurait certainement été bien contente
de faire de la moto avec toi. ” Alors, j’ai serré tendrement
l’urne contre mon cœur et je lui ai donné un beau p’tit tour
de moto jusqu’à la maison de ses p arents ! »
Les marques de
la violence
Un jour, Suzanne voit arriver
à son laboratoire la dépouille
d’une enfant qui a subi une autop-
sie généralisée. Le corps de la fillette
a été coupé et ouvert de partout.
Les pathologistes judiciaires ont
t pas été touchés. »
« Seuls le visage et les mains n’avaien
110
vernis à ongles, des dames toutes fières, qui ont quitté ce
monde en douceur et à qui je conserve avec joie leur air
serein et détendu. »
Sombres obsèques
Dans les années 1920 et 1930, une cérémonie funéraire
exige que les statues et les fenêtres de l’église soient en-
tièrement recouvertes de draperies noires. Les funérailles
sont toujours planifiées à 9 h le matin à l’église du village
où est né le défunt et où il sera inhumé. C’est la tradition.
Jean relate quelques-unes des réalités d’antan. « Quand
survenaient des funérailles, ma grand-mère devait prépa
rer l’un de nos chevaux noirs de façon particulière : comme
il avait une tache blanche sur le dessus du nez et sur un
119
sabot, elle devait appliquer du noir à chaussures pour mas-
quer tout le blanc.
beaucoup moins
« Dans le temps, les routes étaient
praticables. »
120
La relève
Même si la concurrence
croissante dans le domaine
funéraire est très dure en
ce temps-là, le grand-père
de Jean continue de por-
ter sur ses épaules la pe-
tite entre prise funéraire
familiale. Et il ne baissera
jamais les bras jusqu’à son
décès en 1936. Sa femme
prend ensuite la relève, ap-
puyée par d’autres mem-
bres de sa fa mille. Les
années 1939-1945 voient
partir Henri, fils de Dio
gène et père de Jean, dans
l’aviation, pour faire son effort de guerre. De retour chez
lui, il vient à son tour épauler leur mère. « Mes oncles et mon
père se rendaient encore dans les maisons, mais il arrivait
de plus en plus souvent que l’exposition se déroule plutôt
à notre maison funéraire, tout comme l’embaumement à
notre laboratoire.
Le corps disparaît
Henri a vécu parfois des situations inusitées. En voici une en
particulier. Il reçoit un jour un appel d’urgence d’un c lient qui
lui lance au téléphone : “ Viens vite à la maison, on ne voit plus
121
le défunt dans le cer-
cueil. ” Et l’homme rac-
croche aussitôt. Inquiet,
Henri se précipite chez
le c lient. Sur place, il n’en
revient tout simplement
pas. Les membres de la
famille souhaitaient faire
une dernière photo de
leur cher disparu dans son
cercueil.
r qu’il remette le
« Ils avaient fait venir mon père pou
corps dans sa position initiale. »
Mais elle avait commis une petite bévue. « Comme les an-
ciens appareils photo devaient demeurer stables sur leur
trépied pour éviter une image floue, les gens avaient sou-
levé le cercueil et l’avait appuyé contre le mur, le temps
de prendre le cliché. La dépouille s’était aussitôt recro-
quevillée dans le bas du cercueil, sous l’autre moitié du
panneau frontal, et les proches ne pouvaient se convaincre
de la tirer de là pour la remettre en place. Ils avaient fait
venir mon père pour qu’il remette le corps dans sa position
initiale. Pour l’immobiliser, cette fois-là, mon père avait
attaché la dépouille au cercueil à l’aide d’un fil de fer ! »
L’ambulance corbillard
Dans les années 1950, l’entreprise familiale offre égale-
ment le service d’ambulance. Les propriétaires trouvent
alors une façon bien ingénieuse de transformer en un tour
de main le véhicule ambulancier en... corbillard ! Jean nous
raconte. « Quand mon père et mes oncles avaient besoin du
corbillard, ils accrochaient des panneaux sur les fenêtres
de côté de l’ambulance afin de les camoufler pour qu’on ne
122
Jean se souvient du 7 septembre 1959, date de la mort de M aurice
Duplessis, 16e premier ministre du Québec. « Quelques jours plus tard,
un long cortège avait parcouru la route entre la ville de Québec – où il
avait été exposé une journée à l’Assemblée nationale – et Trois-Rivières,
sa ville natale. Il y avait tellement de fleurs mortuaires qu’on avait dû
louer des camions dix roues pour toutes les transporter. »
Porteur à 10 ans
La mort a toujours fait partie de la vie de Jean. Cela ne
l’a jamais inquiété, même petit garçon quand il jouait au
ballon avec ses cousins. « Mon père passait dans la cour
avec un corps sur une civière ou dans un cercueil, et ça ne
m’affectait pas. Nous, on jouait là comme si de rien n’était.
La mort était chose courante. Par contre, quand j’étais jeune,
il n’était pas question que j’entre au laboratoire. C’était un
péché mortel de s’en approcher ! Il fallait se tenir loin. J’ai
pourtant tenté au moins 500 fois d’y pénétrer. Mon père
me refusait toujours catégoriquement l’accès. “ Plus tard,
disait-il, plus tard. ” »
123
costume du dimanche
« Ma mère m’habillait en beau
nnel. »
et je prenais mon air le plus sole
125
l’infection, les côtes étaient devenues proéminentes. Pour-
tant, les proches avaient demandé de le revoir une dernière
fois avant son enterrement. Nous avons d’abord suivi les
étapes habituelles, en injectant la solution de préservation
dans les parties du corps où les artères étaient encore in-
tactes. Nous avons par la suite retiré le plus possible de peau
brûlée et asséché le reste du corps avec d’autres produits.
Nous avons recouvert son corps, telle une momie, avec de
la toile de fibre de verre. Ça permettait entre autres de re-
tenir les écoulements encore existants des infections et de
masquer les odeurs résiduelles de décomposition des par-
ties que la solution de préservation n’avait pu irriguer. La
partie momifiée s’arrêtait au cou. Pour le visage, comme la
126
À partir de ce moment-là, j’ai su que je pourrais restaurer
les visages d’accidentés. J’ai constaté que j’étais habile là-
dedans. J’avais assimilé une phrase que ce thanatopracteur
m’avait dite et qui m’a servi plusieurs fois par la suite : “ Quel
que soit le moyen employé pour y arriver, l’important c’est
le résultat. ” »
Dans la nuit...
Cheveux et moustache
En 1980, Jean se hisse à la direction de l’entreprise funé
raire qui, depuis sa fondation en 1900, a toujours pignon
sur la même rue dans la région de Québec. L’entreprise
127
a vu défiler trois générations d’une même famille avant
d’être cédée à Jean et aux siens. Au fil de ses nombreuses
années de pratique, Jean a accumulé bien des souvenirs. Il
en relate quelques-uns de plus.
« Un client était décédé d’un cancer de la mâchoire. Le
pauvre homme avait été extrêmement dévisagé. J’ai réussi
à lui restaurer le visage en le remodelant avec des tiges
métalliques que j’ai ensuite recouvertes d’une petite pièce
de chamois cousue à même la peau restante. La cire collait
ensuite très bien sur ce tissu poreux et j’ai ainsi pu lui don-
ner l’apparence désirée.
À d’autres moments, j’ai trouvé le moyen de redonner une
chevelure naturelle à des défunts. Quand un défunt avait
perdu une partie de ses cheveux, j’appelais un collègue
perruquier et il arrivait avec de gros sacs remplis de che
veux naturels de toutes sortes.
Il découpait un petit canevas de la taille nécessaire auquel
il greffait les cheveux de la couleur appropriée. On cousait
ou on collait ensuite cette perruque improvisée sur la tête
du défunt, et le résultat était impeccable.
À l’hôpital, on avait dû couper la moustache à un homme
qui l’avait portée toute sa vie. La famille était bien désolée
de cela. Les cheveux sont bien plus fins que des poils de
128
Aujourd’hui, par contre, il y a beaucoup moins de demandes
pour tous ces types de restaurations complexes car les gens
optent plus souvent pour la crémation dans de tels cas. »
de façon à ce que le
« Ils m’ont demandé de placer la table
que. »
corps ait la tête en direction de La Mec
130
étant beaucoup plus simple pour moi. Mais il y avait tou-
jours deux religieuses qui m’“ assistaient ”. Elles m’avaient
bien averti qu’aucune personne séparée, divorcée ou con-
jointe de fait ne pouvait entrer dans le laboratoire ou ve-
nir m’aider, car ces gens vivaient dans le péché. Mais bon,
avec le temps, elles ont fini par modifier leur pratique et
la confiance s’est installée entre nous. Par la suite, elles me
laissaient faire mon travail sans être présentes. Et je n’ai
toujours fait cela que pour des prières ! »
Émotion vive
Jean est un homme sensible. Ce métier, il le pratique avec
son cœur. Il est touché par ses clients, qui se confient à lui,
qui lui confient leur proche. Quoiqu’il tente d’éviter toute
implication personnelle envers l’un ou l’autre, il arrive tout
de même qu’il s’attache bien malgré lui à certains d’entre
eux. « Deux situations que j’ai vécues ont changé à tout
131
je comprenais sa douleur. Elle a alors enveloppé sa fillette
dans une couverture avec toute la douceur du monde et
me l’a déposée dans les bras en me disant : “ Je te la prête. ”
Je savais que cette femme me faisait désormais confiance.
Par contre, j’ai appris avec le temps qu’il fallait faire atten-
tion à cela. Certains clients désespérés peuvent s’accrocher
à nous. Il faut savoir atténuer ce lien pour que ces gens re-
tournent à leur vie et moi à la mienne.
Certains voient en nous une bouée, surtout les gens seuls
et âgés qui ont perdu leur conjoint et qui nous rappellent
et nous rappellent dans l’espoir de retrouver l’oreille at-
tentive que nous leur avons offerte au moment du deuil.
Ce n’est pas toujours évident de couper les ponts avec eux.
Avec le temps, j’ai trouvé certains moyens de me retirer
sans faire de mal à personne. Pour la fillette, j’avais de-
mandé à la mère de me prêter son ourson préféré dans le
but de le déposer près de l’enfant pour l’exposition. J’avais
retiré discrètement le petit ourson avant de fermer le cer-
cueil et je l’avais mis dans ma poche. Juste avant le départ
de la famille, je me suis approché de la mère et je lui ai
tendu l’animal en peluche en lui disant : “ Tu m’avais prêtée
ta fille. Voilà, je te la redonne. ” Elle a été très émue, elle
m’a serré dans ses bras et m’a remercié. Je savais qu’ainsi, je
venais de refermer la boucle. »
L’autre situation va impliquer Jean dans un deuil bien plus
qu’il ne l’aurait souhaité... L’homme ne regrette pas son
geste, mais porte encore ce deuil en lui, à son grand éton-
nement. « Je me suis embarqué de plain-pied dans un deuil
sans en prendre conscience. Deux jeunes femmes de 18 et
20 ans avaient trouvé la mort dans un accident d’auto. Je
connaissais la famille. Les parents étaient démolis, j’étais
profondément ébranlé moi-même. Ils étaient incapables
de prendre les décisions au sujet des funérailles ; ils m’ont
demandé de prendre tout en main. La cérémonie fut très
sobre, l’exposition faite à cercueils fermés, et l’église était
remplie. C’était très émouvant. Quelque temps après, j’ai
proposé au père de venir en week-end de pêche avec moi,
132
pour lui changer les idées. Eh bien ! depuis, nous sommes
toujours demeurés en contact. Je ne suis jamais sorti du
deuil de ce couple. Nous nous sommes attachés les uns
aux autres. Ils sont venus au mariage de mes filles, on se
fréquente régulièrement. Il n’y a rien de négatif en soit à ce
fait, mais ça m’a tout de même appris à me détacher le plus
possible de mes clients. On ne peut pas vivre le deuil de
tous nos clients aussi intensément. Surtout quand on fait
de 300 à 350 funérailles par année ! »
Le temps de la chasse
Jean a par ailleurs appris que la perte d’un proche ne sus-
cite que peu d’émotion chez certains. Ce fut le cas de deux
jeunes hommes qui s’apprêtaient à partir pour la chasse
quand leur grand-père quitta ce monde. « Les funérailles
avaient lieu le samedi matin, et la saison de la chasse à
l’orignal débutait le jour même. Je les entends encore dans
le fumoir, qui s’exerçaient à “ caller ” l’orignal alors que
tout le monde était dans la salle funéraire. Dans le cor-
tège de voitures derrière le corbillard en route vers l’église,
on pouvait voir leur camion à la boîte remplie de matériel
de chasse et leur chaloupe accrochée à l’arrière. Inutile de
vous dire qu’aussitôt sortis de l’église, ils ont sauté dans
leur camion pour déguerpir à la chasse ! »
133
est entré à bout de souffle dans le salon funéraire. Il s’était
levé aux aurores pour aller chasser. Il m’a tendu deux canards
qu’il avait abattus quelques minutes auparavant, dans l’espoir
que je les dépose dans le cercueil avant de le fermer. Ce que
j’ai fait, bien sûr. Son geste d’amitié m’a beaucoup touché. »
Histoires de cendres
Chaque semaine, ce métier apporte son lot de situations
en tous genres. Parfois touchantes, parfois gênantes, par-
fois déstabilisantes. Jean évoque le cas de cette fille d’un
134
Jean se désole que d’autres familles abandonnent les c endres
de leur proche au salon funéraire. Pas moins d’une cen-
taine d’urnes non réclamées sont ainsi hébergées depuis les
10 dernières années. Il doit les conserver dans le columba
rium tant que personne ne lui donnera la permission d’en
disposer. Même quand on a rappelé les familles deux ou
trois fois et que celles-ci n’ont témoigné aucun intérêt pour
ces urnes, le salon funéraire ne peut s’en départir. « De
toute façon, je ne veux pas m’en séparer ! J’ai contribué
aux funérailles de ces gens. Ils sont aussi importants que
les autres. Même que, pour ne pas qu’ils s’ennuient trop,
je jase avec eux ! Tous les matins, quand j’arrive au travail,
je passe dire bonjour à tout mon monde. Mes parents sont
eux-mêmes dans ce columbarium. Quand des choses ne
font pas mon affaire, je le leur dis. Quand ça va bien, je
leur parle plutôt en douceur. »
135
La jeune femme et la mort
« Si nombre de gens ont peur de la mort,
la mort ne craint personne. »
Pierre Dac
Premières frayeurs
C’est vers l’âge de sept ans que Marie Eve commence à voir
poindre la peur en elle. « C’était assez étrange. Je ne crai
gnais pas la mort le jour, mais le soir, soudain, c’est devenu
une tout autre histoire. Dès que la nuit tombait, je com-
mençais à ne plus vouloir descendre au sous-sol. En bas,
il y avait notre salle de jeu, qu’une simple salle de bains
séparait du bureau de mon père. C’est là qu’il rencontrait
les familles en deuil. En face de son bureau se trouvait aussi
la salle de montre des cercueils. S’il m’arrivait de descendre
à la salle de jeu et que la porte de la salle de bains était ou-
verte alors que mon père recevait quelqu’un, je remontais
en haut en trois enjambées, j’étais soudain terrifiée ! »
Marie Eve et sa sœur Valérie étaient alors très différentes
des femmes qu’elles sont aujourd’hui. Quand elles étaient
137
ir des cercueils dan s
« J’imaginais ces mor ts-vivants sort
notre propre sous-sol. »
138
mort à sa fenêtre... Quand elle venait à la maison, elle de-
meurait contractée jusqu’à ce qu’elle reparte.
Un jour, mon père lui a proposé de visiter le laboratoire, à
un moment où il n’y avait pas de dépouille bien sûr. Elle
a accepté, mais elle est entrée à reculons. Mon père l’a
doucement prise par la main, lui a montré les produits, lui
a patiemment expliqué son travail. Elle s’agrippait telle-
ment à lui qu’elle en faisait pitié ! Ça n’a pas changé grand-
chose à sa peur, mais elle a quand même tenté de com-
prendre... Pourtant, pour d’autres amies, mon père aurait
été électricien que ç’aurait été pareil. Même que certaines
trouvaient ça original ! »
Chemin de traverse
Quand elle entre au secondaire, Marie Eve est convaincue
qu’elle n’exercera jamais le métier de son père. À cet âge-là,
elle a totalement perdu la fascination qu’elle éprouvait à
le regarder travailler. Elle ne se rend même plus au labo-
ratoire. Elle pense plutôt se diriger en droit ou en théâtre.
Pourtant, à 18 ans, elle change son fusil d’épaule et s’inscrit
en thanatologie sur un coup de tête. La jeune femme nous
explique pourquoi. « J’étudiais alors en lettres. Je me suis
mise à me poser une foule de questions face à l’incertitude
dans le milieu du théâtre. Je connaissais aussi des gradués
en droit qui n’avaient pas réussi à se placer. Je me suis dit :
“ Peut-être que j’ai la réponse à mes questions sous les yeux
et que je ne veux juste pas la voir. ” Mon père a alors été
super. Il m’a dit : “ Marie Eve, essaie-le, inscris-toi au cours.
Tu verras si tu aimes ça ou non. T’es encore jeune, tu peux
toujours changer d’idée. ” Et je me suis inscrite en thana-
tologie... Je ne l’ai jamais regretté ! »
139
ner veux j’ai lancé le
« J’ai alors sursauté et d’un geste
scalpel dans la pièce. »
140
J’aurais pu blesser quelqu’un ! Ma professeure s’est mon-
trée très surprise de ma réaction. Comme je venais d’une
maison funéraire, elle était convaincue qu’un tel exercice
était courant pour moi. Là, par ma réaction nerveuse, elle
a bien vu que ce n’était pas le cas. Elle n’en finissait plus de
s’excuser. Elle pensait vraiment m’avoir traumatisée. À vrai
dire, tout le monde croyait que je blaguais à ce sujet. Là, ils
venaient de comprendre que je ne leur avais pas menti. Je
ne m’y connaissais pas du tout. »
Un couple thanatopracteur
Marie Eve rencontre son futur conjoint dans son cours de
thanatologie à Toronto. Ils ne se quitteront plus. Ils pra-
tiquent ensemble au Québec depuis que la jeune femme
a ramené l’élu de son cœur avec elle après avoir travaillé
quelques années dans la Ville reine.
Marie Eve raconte le tout premier cas d’embaumement
sur lequel son conjoint a travaillé alors qu’il était encore à
l’école de thanatologie, un cas extrêmement difficile. Quel
début d’apprentissage ! « Avec les élèves de sa classe, il devait
de la vision d’horreur
« Il risquait de demeurer prisonnier
qu’il gardait d’elle. »
142
ont décidé de le proposer à leurs étudiants. Les professeurs
ont aidé les étudiants, bien sûr. Tous ensemble, ils ont refait
des os en plâtre et ils ont restauré la tête en la reformant
en styromousse. Ils y ont replacé des parcelles de peau du
visage encore en bon état et ils ont complété le reste avec
de la cire. Moi, je pense que si j’avais eu affaire à un pre-
mier cas d’une telle gravité, j’aurais pris mes cliques et mes
claques et je serais partie du cours sur-le-champ ! »
143
POURQUOI LA THA NATOLOGIE ?
du programme en
Dans son cours en psychologie
née d’apprendre les
thanatologie, Marie Eve a été éton
es à se lancer dans
raisons qui portent certaines personn
ur leur a expliqué
le domaine funéraire. Son professe
ttait surtout de père
qu’autrefois, le métier se transme
atio n familiale. Puis,
en fils ou en fille... C’était une voc
men cé à s’inscrire.
une nouvelle catégorie d’élèves a com
majorité d’entre eux
Ce professeur a constaté que la
qui les avait marqués
avaient vécu un deuil non résolu,
i, en quelque sorte,
profondément. Souhaitaient-il ains
fois pour de bon ?
regarder la mort en face une bonne
144
funéraires d’une dame pleu
rant à chaudes larmes, qui se
plaint énormément. « Je trou-
vais que la pauvre femme faisait
bien pitié. Après avoir exprimé
mon dé sarroi à mon p atron,
celui-ci m’a dit que j’allais m’y
habituer. En effet, cette femme
était engagée régulièrement par
le salon funéraire. C’était une
pleureuse professionnelle. J’ai
appris ce jour-là que c’était
pratique courante chez ces
deux communautés. »
Dans la même période,
Marie Eve apprend que les hin
douistes invitent tous les visiteurs à retirer leurs chaussures
avant d’entrer dans la salle funéraire et que plusieurs com
munautés asiatiques déposent de la monnaie dans la bouche
du défunt. Autre rituel particulier, les Cambodgiens jettent
du riz et de la monnaie sur le parcours du cercueil entre la
résidence funéraire et le four crématoire. Il est alors très
important que ceux qui suivent la procession ramassent la
monnaie. Il ne faut surtout pas qu’il en reste au sol. Du côté
des Juifs, les pratiques funéraires exigent que les défunts
soient enterrés avant le prochain coucher du soleil. Au
Québec, comme la loi n’exige qu’un corps soit embaumé
Touches d’émotion
Après quelques années, Marie Eve finit par revenir
enfin au Québec avec son conjoint. Elle se joint à
son père et à sa sœur dans l’entreprise funéraire
familiale. Elle est passionnée par son travail et
n’a plus aucun doute. « À une certaine époque,
ce qui me plaisait le plus, c’était de participer
à toutes les étapes funéraires. Je rencontrais
les membres de la famille, je les conseillais,
je pratiquais l’embaumement et je partici-
pais à l’organisation des funérailles et de la
cérémonie. Je suivais tout le processus du
début à la fin. En rencontrant la famille,
chacun me parlait à sa façon du disparu,
j’apprenais à le connaître un peu. Quand
je me consacrais à son embaumement, ce
n’était plus un inconnu que j’avais devant
moi. J’étais un peu attachée à cette per-
sonne qui représentait la terre entière
pour quelqu’un d’autre. Je me souviens
d’une histoire très triste... Un homme
avait fait une crise cardiaque alors qu’il
faisait des courses en compagnie de sa
fillette de cinq ans. La petite avait as-
sisté à sa mort, elle était seule avec
lui dans ce lieu public rempli
d’inconnus. Pauvre chouette !
Je pensais à tout cela tandis que
je faisais son embaumement.
« J’ imaginais que ce po
uvait être mon père. »
un bouquet
« Je me suis dit qu’aujourd’hui, c’est avec
pareil qu’il devait repartir... »
147
toujours cadeau d’immenses bouquets. Et je vais vous dire,
chère demoiselle, en ce moment même, après 70 ans, je
l’aime encore autant que ce premier jour où il m’a tendu
ses premiers lys blancs ! Je me suis donc dit qu’aujourd’hui,
c’est avec un bouquet pareil qu’il devait repartir... Et je suis
certaine d’une chose. Certaine. Je vais l’aimer jusqu’à mon
dernier souffle... ”
Moi, je me faisais toute petite, assise près d’elle dans la
voiture. Je l’écoutais en silence, pleurant comme une Made
leine. Je me répétais ce que mon père m’avait dit : “C’est
correct de pleurer à l’occasion, cela veut dire que tu es sen-
sible à la misère des autres. ” »
Morts d’enfants
Après s’être promise un jour de prendre soin des enfants
décédés, Marie Eve va se spécialiser dans les cas d’enfants
morts en bas âge. La pratique est similaire, si ce n’est que
des instruments plus fins sont utilisés pour mieux attein-
dre les artères et les organes plus petits. Elle nous expli-
que. « Chez les très jeunes enfants, une autopsie est souvent
exécutée par un médecin légiste pour établir la cause du
décès. Si les organes ont dû être déplacés pour l’autopsie,
nous pouvons utiliser l’aorte pour injecter la solution de
préservation. L’aorte est la plus grande artère du corps. Elle
148
longe la colonne vertébrale et passe dans la cage abdomi-
nale, sous les organes. Chez un enfant, cette artère est pres
que aussi grosse que la carotide chez un adulte. »
Au centre funéraire familial, on accueille aussi des bébés,
même des fœtus mort-nés. Marie Eve nous fait part de ce
aiguille ensanglantée. »
« Je me suis piquée l’index avec une
De nouvelles technologies
La base des méthodes d’embaumement a peu changé avec
les années. Par contre, certains procédés se sont tout de même
améliorés. Quelques cosmétiques et outils pour redonner un
teint adéquat à la dépouille ont notamment évolué, comme
le fond de teint appliqué à l’aérographe (airbrush), tech-
nique apparue vers 2005. « L’ airbrush donne un teint plus
uniforme, mieux réparti que la poudre ou la crème, précise
150
Marie Eve. C’était terrible autrefois quand on avait restauré
un visage tout en cire et qu’en passant un simple pinceau de
fond de teint, on abîmait tout. L’ airbrush est pratique aussi
pour estomper des bleus. De petites bouteilles de fond de
teint en aérosol permettent également de faire des retouches
en dehors du laboratoire. »
151
n, comme ça. »
« Papa nous faisait réfléchir à sa faço
Valérie est la grande sœur de Marie Eve, celle qui lui faisait
des peurs lorsqu’elles étaient jeunes. Son cheminement vers
le métier de thanatologue a été jalonné d’étapes différentes
de celles vécues par sa sœur. « Dès mon plus jeune âge, j’ai
toujours été convaincue que j’allais être croque-mort plus
tard. J’avais cinq ans et j’employais ce terme-là !
Quand je suivais mes cours en thanatologie à 17 ou 18 ans,
les étudiants portaient des vestes avec le mot “ thanatologie ”
inscrit au dos. Plein de gens me demandaient ce que cela
signifiait. Quand je leur disais que j’étudiais pour devenir
croque-mort, là, ils savaient tout de suite ce que ça voulait
dire... et ils avaient tendance à presser le pas et à s’éloigner
par malaise ! Je n’ai jamais changé d’idée, je suis devenue
croque-mort, convaincue encore aujourd’hui d’avoir fait le
bon choix. »
153
assise en silence au bout de la table d’embaumement à ob-
server son père travailler. Et si elle devait l’attendre un peu
trop longtemps, il lui arrivait de s’assoupir. « Combien de
fois mon père s’est mis à me chercher au moment de quit-
ter son travail pour découvrir que j’étais profondément en-
dormie, recroquevillée dans l’un des cercueils ! J’avais cinq
ans à peine et la mort faisait déjà partie de ma vie sans
problème. Quand je jouais à la cachette avec mes amies, le
meilleur truc était d’aller me dissimuler dans la salle des
cercueils. Mes amies passaient devant la porte sans s’arrêter,
car elles avaient bien trop peur d’y entrer. Sauf ma petite
sœur, bien sûr ! »
ge. »
« Tout à coup, la mor t avait un visa
Son jeune âge fait en sorte qu’elle n’est pas troublée par
ce qu’elle voit. La mort n’évoque rien de précis pour elle.
Cela va changer le jour où l’un de ses compagnons de classe
meurt dans un accident. Valérie a 11 ans. « C’est la première
fois qu’un décès m’a frappée. Tout à coup, la mort avait un
visage. Je réalisais soudain ce que voulait dire “ arrêter de
vivre ”, car je voyais ce garçon que j’avais connu vivant qui
était maintenant sans vie.
154
Le plus étonnant, c’est que j’ai assisté à son embaume-
ment et que j’étais déjà très critique. Le thanatopracteur a
dû restaurer certaines parties de son visage en cire. Je me
souviens que je lui disais : “ Non, ça c’est pas lui, ça ne lui
ressemble pas, il n’était pas comme ça, il faudrait que tu
changes ceci, cela. ” Le garçon avait des taches de rousseur
et je trouvais qu’elles n’étaient pas bien reproduites... Je
voulais qu’il lui mette de plus longs cils... Je serais curieuse
de revoir sa mère aujourd’hui pour lui demander si fina-
lement son fils se ressemblait au moment de l’exposition,
car j’y ai été pour quelque chose. Et je me dis aussi que le
thanatopracteur a dû me trouver bien fatigante ! Je n’étais
encore qu’une petite fille, c’est vrai, mais j’avais déjà l’œil
pour ce métier. »
155
Pour cela, j’avais quand même été habituée très jeune.
Toutefois, après avoir exécuté quelques embaumements,
j’ai compris que je me tournerais plutôt vers le volet de la
thanatologie touchant les relations avec les familles. On
m’a souvent dit que j’avais du talent en laboratoire, mais ce
n’est pas ce qui m’attirait. Et, avec la venue de mes enfants,
comme l’accès au laboratoire n’est pas recommandé en
temps de grossesse, je n’ai finalement fait qu’une centaine
d’embaumements au cours de ma carrière. »
156
« Je n’aurais pas la force
de prendre un bistouri
couper dans ta chair. » et de
Manque de repères
Valérie a eu un jour à pratiquer pour une première fois
l’embaumement d’une personne de race noire. « Quand on
injecte la solution de préservation, les changements de la
couleur de la peau sont un bon indicateur pour savoir si le
157
produit agit bien et atteint toutes les parties du corps. Pour
une personne de race noire, on doit plutôt se fier à l’intérieur
des mains et au-dessous des pieds, qui sont beaucoup plus
pâles, pour se guider. C’est ainsi que j’y suis arrivée. »
ons dans
« Quand Marie Eve et moi, nous nous rend
, notre métie r remo nte vite à la
d’autres salons funéraires
, on passe parfo is nos com
surface. En secret, entre nous
mentaires sur le travail du thanatop racte ur. »
Un cas poignant
Bien qu’elle se dise moins émotive que la moyenne des gens,
Valérie a tout de même vécu des situations qui l’ont touchée
profondément. L’un de ces cas est celui d’une adolescente
de 17 ans décédée à l’extérieur de la région. « La dépouille
devait être ramenée de l’Ouest canadien au Québec et c’est
moi qui ai supervisé le transfert. Les corps arrivent toujours
par cargo et les familles ne peuvent pas venir à l’aéroport
pour les accueillir. J’étais donc en contact téléphonique fré
quent avec les proches, car ils tenaient à être informés de
chacune des étapes. À l’arrivée à l’aéroport, quand j’ai vu
la dépouille pour la première fois, j’ai dû leur décrire tout
en direct... Je me suis aussi occupée de la finition et du ma-
quillage. Cette famille avait une confiance aveugle en moi
et le lien qui s’est établi entre nous était profond. On ne sait
pas pourquoi mais, parfois, un lien se crée avec certaines
personnes qui ont notre âge ou qui perdent un enfant de
l’âge du nôtre, et cela nous rapproche. Je me suis aussi oc-
cupée pendant plus d’un an d’une dame âgée qui était de-
venue seule au monde. Je trouvais qu’elle faisait tellement
pitié... J’allais l’aider, lui porter des choses. Je me disais : “ Si
je ne le fais pas, qui va le faire ? ” C’est vraiment un trait de
notre famille, ça ! »
158
Les enfants au salon funéraire
159
Parfois, des circonstances particulières font que la dépouille
ne peut être exposée. Je trouve certaines façons d’aider
l’enfant à faire son deuil, dans pareil cas. Par exemple,
j’ai offert un jour un toutou à un enfant en ayant pris soin
d’accrocher au cou de l’animal en peluche un petit médail-
lon avec une mèche de cheveux de son papa. Et j’ai dit à
l’enfant : “ Tu ne peux pas revoir ton papa, il est parti pour
toujours. Mais voici un petit morceau de lui, il va toujours
rester avec toi pour que tu puisses chaque jour penser à lui.
Et si tu veux parler à papa, parle à ce toutou, il va lui faire
le message. ” J’ai revu la mère plus tard. Elle m’a dit que
son petit avait bien vécu le deuil et que la parcelle de son
père était restée près de lui. Je me suis dit que j’avais bien
agi. J’ai longtemps trouvé que les enfants étaient
délaissés dans les moments de deuil. Pourtant,
ils vivent eux aussi cette perte importante. »
fle urs. »
poser de l’entourer de
« Je peux aussi leur pro
160
un enfant : “ Veux-tu m’aider ? ” Les parents sont souvent
surpris, car les enfants sont pres que toujours d’accord.
Nous allons alors recouvrir doucement grand-maman avec
le tissu du cercueil pour qu’elle soit bien au chaud.
161
s’intégrer au rituel et déposer eux aussi leur poignée de
terre. Les enfants passent autrement les messages. Ils con-
tribuent à faire d’un deuil quelque chose de vivant, quelque
chose de véritable, quelque chose de sain. »
uses. »
lui a chanté quelques berce
« Elle l’a tenu contre elle et
162
d’un enfant n’est pas identique à celui d’un adulte. Il faut
souvent faire une incision au niveau du ventre. Alors je
leur propose de lui mettre une petite camisole pour cacher
l’incision. Une maman m’a demandé un jour de prendre
une dernière fois son enfant dans ses bras avant de fermer
son cercueil pour toujours. Elle s’est assise dans un coin, l’a
tenu contre elle et lui a chanté quelques berceuses. C’était
bouleversant. Puis, nous avons recouché l’enfant dans le
cercueil et la maman a fermé le couvercle tout lentement.
Des parents avaient perdu leur fille, qui elle-même avait en-
terré son enfant quelques années auparavant. La dépouille
de l’enfant avait été inhumée loin du site où la mère allait
163
Une jeune relève
Comme la plupart des thanatologues, Valérie n’a jamais
eu peur de la mort, ni hier ni aujourd’hui. Elle ne s’y sent
pas encore prête, mais elle ne craint pas sa venue. « J’espère
juste avoir le temps de faire tout ce que je veux faire avant
que la vie mette mon interrupteur à zéro ! Je ne veux pas
mourir pour l’instant, car j’ai encore mes parents et j’ai de
jeunes enfants. La pire chose dans la vie de quelqu’un est de
perdre un enfant. On devrait toujours mourir idéalement
à un âge avancé, avant nos enfants et après nos parents.
Je ne voudrais pas faire subir ma mort à mes parents. La
mort en soit, pour celui qui la subit, c’est juste que c’est
fini, un point c’est tout. Pour ceux qui sont malades, c’est la
fin d’une grande souffrance. Par contre, les morts acciden-
telles, je trouve ça injuste. Mais c’est la vie, ça aussi. C’est
comme ça, on n’y peut rien. Certains meurent. D’autres
leur survivrent. »
La présence de ses trois enfants fait croire à Valérie qu’une
part d’elle-même va se perpétuer après elle. Et peut-être
dans le même métier. L’un des trois montre déjà une grande
fascination à son endroit. Il peut passer des heures près du
crématorium à observer le travail des thanatologues. « Il ne
erver
près du crématorium à obs
« Il peut passer des heures
»
le travail des thanatologues.
164
Doit-on emmener
les enfants au salon
funéraire ?
« La mort a ceci de tragique
qu’elle transforme la vie en destin. »
André Malraux
Après vous être plongé dans cet univers fascinant, vous savez
maintenant plus que jamais à quel point le travail des croque-
morts d’autrefois et des thanatologues d’aujourd’hui est aussi
nécessaire qu’insolite. Un livre comme celui-ci se devait de
paraître pour nous présenter enfin ces gens qui, dans l’ombre,
accomplissent une mission si importante, celle de prendre
soin de nos morts. Une bonne part d’entre vous n’aspirerez
peut-être pas plus qu’avant à pratiquer ce métier ni ne réus-
sirez à établir un rapport paisible avec la mort. Mais espérons
que cet ouvrage vous aura au moins apporté une vision dif-
férente de cette étape qui nous attend tous au bout de notre
chemin, et qu’il vous aura montré une facette du travail
si méconnu de ces professionnels attentionnés. Souhaitons
que vous considérerez dorénavant les thanatologues et leur
œuvre précieuse sous un nouveau jour et que, la prochaine
fois que vous entrerez dans un salon funéraire, ce sera avec
moins d’appréhension. Par leur expertise, ces spécialistes
d’exception parviennent à donner un visage serein à la mort.
Les thanatologues sont pour la plupart des gens d’une grande
sensibilité, qui pratiquent leur métier dans la plus grande
considération pour les dépouilles qu’on leur confie, avec tout
le respect possible pour les êtres vivants que ces corps ont
abrités. Ces individus enveloppent ces moments solennels
d’une sérénité émouvante et nous aident à mieux vivre le
difficile départ de nos proches, à mieux voir venir notre pro-
pre mort. Vous comprenez mieux maintenant à quel point
le métier exigeant qu’ils pratiquent doit être accompli avec
grande délicatesse et extrême méticulosité. C’est plus qu’un
travail, c’est un art. Grâce à ceux qui ont si généreusement
accepté de nous ouvrir les portes de leur laboratoire et de
partager leurs secrets, ne serons-nous pas un peu moins in-
quiets de savoir ce qu’ils feront de nos proches et de nous-
mêmes dans leur laboratoire ?
Sachant qu’ils seront là pour nous refaire une dernière
beauté.
Sachant qu’ils seront là pour veiller à ce que notre corps
repose en paix.
Sachant qu’ils mettront en place le rituel funéraire prélu-
dant à ce départ vers cet ailleurs qui nous est inconnu.
Par leur respectueuse façon de prendre soin de nos proches
disparus, de leur rendre un ultime hommage, par leurs
gestes bienveillants qui préparent ainsi nos êtres chers à
leur dernier repos, les thanatologues, à leur façon, nous
permettent de croire en une vie possible après la mort et
nous font réfléchir plus encore à cet énigmatique au-delà
où l’on pourrait peut-être se retrouver un jour. En ce sens,
ne nous incitent-ils pas à nous poser inévitablement cette
question essentielle :
ET SI C’ÉTAIT VRAI ?
168
REMERCIEMENTS
Un merci très sincère aux thanatologues qui ont accepté
sans réserves de contribuer à ce livre, m’ont confié des fa
cettes inédites de leur métier et m’ont si généreusement
prêté leurs photos.
Merci à Claire Plourde et Chloé Mercier du Musée qué-
bécois de culture populaire de Trois-Rivières pour leur
précieuse collaboration.
Merci à madame Lise Lapointe du Musée Beaulne de Coati-
cook pour sa recherche impressionnante de photos superbes.
Merci aux gens de la Bibliothèque de Brossard, de Biblio
thèque et Archives nationales du Québec, Centres d’ar
chives de Montréal et de Québec, du Centre d’archives du
Saguenay-Lac-Saint-Jean de Chicoutimi, vous m’êtes des
alliés si précieux !
Merci aux spécialistes qui ont, une fois de plus, si savamment
alimenté ces pages de leurs connaissances scientifiques.
Merci à Johanne, c’est toi qui as eu l’idée de ce livre unique.
Merci à Michel, qui a donné vie à ce projet toujours aussi
palpitant.
Merci à Céline et Sandy pour leur exceptionnelle créativité.
Merci à Paul, mon œil de lynx.
Merci à Benoît, mon amour, tu me gardes en vie.
Merci enfin à Clément, Micheline, Diane et René, je vous
espère près de moi encore longtemps.
169
CRÉDITS PHOTO
Couverture et p. 56 : Funeral. Ma, Conrad Poirier, 26 mars
1947, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Di-
rection du Centre d’archives de Montréal, Fonds Conrad
Poirier, P48,S1,P1532
p. 6-7 : T. Bouchard, directeur de funérailles, Beauport,
Québec, Centre d’archives du Saguenay-Lac-Saint-Jean de
Chicoutimi, P2-02330
p. 15 : Dépouille de madame Magloire Archambault dans son
cercueil, photographe inconnu, [vers 1925], Bibliothèque
et Archives nationales du Québec, Direction du Centre
d’archives de Montréal, Collection Famille C
artier-Richard,
P62,D171
p. 16 : Cortège funèbre de Trois-Rivières, Archives du Sémi-
naire, Archives du Musée Beaulne de Coaticook, PB 250.1
p. 22 : Corbillard acheté en 1876 par les paroissiens de
St-Éphrem de Beauce, remis à Honoré Robert en 1910,
Archives du Musée Beaulne de Coaticook, PB 246.1
p. 26 : Cortège funèbre de Trois-Rivières, Archives du Sémi-
naire, Archives du Musée Beaulne de Coaticook, PB 250.3
p. 29-31-32-64 : Collection personnelle de Réjean
p. 30 : Charles Caron, directeur funéraire, Jonquière, Cen-
tre d’archives du Saguenay-Lac-Saint-Jean de Chicoutimi,
FPH-65-0516
p. 33 : Funérailles Mgr Eugène Lapointe, Centre d’archives
du Saguenay-Lac-Saint-Jean de Chicoutimi, P2-01264
p. 36 : Funérailles d’un enfant, Archives du Musée Beaulne
de Coaticook, PC 56.2
170
p. 45 : Funeral. Ma. In her Coffin, Conrad Poirier, 26 mars
1947, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Di-
rection du Centre d’archives de Montréal, fonds Conrad
Poirier, P48,S1,P15317
p. 58 : Cortège de Robert & Fils, entrepreneurs de St-Éphrem
de Beauce, 1956, Archives du Musée Beaulne de Coaticook,
PB 244
p. 60 : News. Funeral of NDG Girl, Conrad Poirier, 18 décem-
bre 1948, Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
Direction du Centre d’archives de Montréal, fonds Conrad
Poirier, P48,S1,P16894
p. 94-99-153-158 : Richard J. Jutras, gracieuseté du dépar-
tement de thanatologie du Collège de Rosemont
p. 115 : Fils du juge Gagné et famille Gagné, Centre d’archives
du Saguenay-Lac-Saint-Jean de Chicoutimi, P2-09864
p. 118 : Dame Wilfrid Cossette née M. Bl. Tremblay, no-
vembre 1940, Centre d’archives du Saguenay-Lac-Saint-
Jean de Chicoutimi, P2-01088
p. 120 : Vieux corbillard tiré par deux chevaux recouverts
de filet noir, entrepreneurs Audet & Fils, Disraeli, 1912,
Archives du Musée Beaulne de Coaticook, PB 243
p. 121 : Funérailles militaires en l’honneur du major gé-
néral Joseph Philippe Landry, photo Edwards Québec,
8 juillet 1926, Bibliothèque et Archives nationales du Qué-
bec, Direction du Centre d’archives de Montréal, fonds Fa-
mille Landry, P155,S1,SS1,D506,P1
p. 123 : Parlement de Québec, funérailles de Maurice Du
plessis, photo Moderne Enrg, septembre 1959, Bibliothèque
et Archives nationales du Québec, Centre d’archives de
Québec, P600,S6,D1,P521
p. 124 : Funérailles d’un enfant, enfants porteurs : Rolland
Lavigne, Denis Fontaine, Lucien Fontaine, Germain Routhier,
1945, Archives du Musée Beaulne de Coaticook, PC 57
171
p. 126
: Exposition à domicile, Centre d’archives du
Saguenay-Lac-Saint-Jean de Chicoutimi, FPH-65-0532
P. 170-171 : Enfant inconnu près d’un corbillard, rue
St-Jacques à Coaticook, Archives du Musée Beaulne de
Coaticook, PB 478
Toutes les autres photos : Shutterstock
172
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Voyelle, Michel. L’heure du grand passage, chronique de la
mort, Paris, Éditions Découvertes Gallimard, 1993, 160 p.
174
NOTES
1. Sources des données, entre autres : site Web de Résonance,
l’écho des professionnels funéraires, www.resonance-mag.com,
et Le bulletin du Rotary Club de Lannion et Pays du Trégor,
no 74 706, février 2007, p. 3-5.
2. Source des données : Réal Brisson, La mort au Québec,
dossier exploratoire, Rapports et Mémoires de recherche
du Célat, no 12, novembre 1988, p. 23-24.
3. Source des données : Ibid., p. 25.
4. Source : Josée Jacques, Le milieu funéraire démystifié,
Montréal, Éditions Quebecor, 2008, p. 50-51.
5. Source : Robert Sabatier, Dictionnaire de la mort, Paris,
Éditions Albin Michel, 1967, p. 99.
6. Source : Ibid., p. 83.
7. Sources des données : Louis Gaboury, pathologiste, ainsi
que Dominique Biton, Anne-Marie Blessig, Sabine D elmarti
et al., Réflexions sur la mort, Paris, Éditions du Vecchi, 2002,
p. 108-109.
8. Nom fictif pour préserver l’anonymat du témoin.
9. Nom fictif pour préserver l’anonymat du témoin.
10. La maladie de Creutzfeldt-Jacob est extrêmement con-
tagieuse, au point que certaines provinces interdisent la
thanatopraxie et que certains centres funéraires refusent
d’embaumer des personnes défuntes qui étaient porteuses
de cette maladie à déclaration obligatoire.
11. Le sida et l’hépatite virale demeurent contagieux encore
quelques heures après la mort d’un individu, principalement
175
parce que les virus responsables demeurent encore transmis-
sibles par le biais des liquides et des muqueuses.
12. « Le coroner est un officier public nommé par le gou-
vernement qui intervient à l’égard de certains types de
décès. Lorsqu’il est avisé d’un décès, le coroner fait la lu-
mière sur les causes et les circonstances du décès, en plus
d’établir l’identité de la personne décédée, la date et le lieu
de son décès. » Source : www.coroner.gouv.qc.ca
13. Liquide ressemblant à de l’écume, sécrété par les pou-
mons dans les cas de problèmes cardiaques, de noyade ou
d’intoxication médicamenteuse.
14. A. O. Spriggs, L’art et la science de l’embaumement, [s.l.],
Paradis-Vincent Ltée, 1959, 312 p.
176
La collection
Québec insolite
editionsmichelquintin.ca