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Olivier Mathieu

Le temps ne revient pas.

A Monsieur Jean Hautepierre.

Fils de la prédiction que dit la bohémienne


Le jour que je suis né - "il sera foudroyé" -
Je marche en la cité que l'exil voulut mienne,
Au sortir de l'hiver, sans feu dans mon foyer.

Dès quatre ans, je suis né en mil neuf cent soixante:


Une femme passait? Lors, s'éteignait mon ris.
Enfant, je fus toujours l'amoureux des passantes,
Qui passent à jamais dans la rue, à Paris.

J'ai pourchassé, vraiment, tant d'étoiles filantes!


La passante est roman. Celle qui fuit, douleur.
Mais qui s'arrêta trop me fut vite lassante.
Qui fait halte un instant fut ma soeur de douceur.

La fille qui soudain vient se pendre à mon bras,


Qui un instant plus tôt m'était une inconnue,
C'est toujours la plus belle, en l'instant je le crois,
Que peut-être tantôt je verrai toute nue.

Et voici qu'aujourd'hui j'aperçus une fille,


Dans la première nuit timide du printemps,
La plus belle toujours - et que nul ne s'en rie,
Quand mon coeur a douleur de n'avoir plus de temps.

Je me suis souvenu, ainsi, d'un jour de pluie


Du temps de ma jeunesse et que j'avais mille ans
Et que je dessinais en secret une fille
Dedans un cahier vierge, en gare de Milan.

Or trente ans ont passé, mais ce soir est vermeil.


La voici, s'envolant du livre de mes âges.
Ses yeux sont de ceux qui, la nuit, rient soleil,
Sa joue est douce; or, c'est la fin de mon voyage.

Voilà que nous marchons, elle et moi, dans la rue.


Je passe mes doigts dans ses boucles; l'Apulie,
Fut-ce encore un hasard si ma mère autrefois
M'en parlait à voix basse, et les larmes aux yeux,
Tandis qu'elle peignait mes cheveux de ses doigts?
Quel étrange destin, mais j'ai vu mille cieux
Quand, un instant plus tôt, la foudre est apparue,
Reflétés dans les yeux de ses filles de feu,
Quand je passais les doigts dans leurs boucles jolies.
Dans ma main, je sens que sa douce main se serre.
Je suis encore enfant. Non, je ne suis point vieux.
Elle dit, en riant, qu'aux filles je sais faire.

- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!


Vertige d'un baiser que le printemps attend,
Si je m'éloigne d'elle, elle crie : "Où vas-tu?"
Et seuls les trottoirs ont entendu nos paroles.
Or moi, qui n'ai jamais fréquenté d'autre école,
Je ne lui réponds pas que je cours à ma mort.

Robert Pioche, vingt ans de moins pourquoi n'as-tu?


Comme la route est brève et moi, je touche au port.
Mes yeux dedans ses yeux, je retarde l'instant:
Je sais que c'est souvent le début d'un naufrage,
Mais les yeux d'une fée attendant un baiser
Qu'elle fait en riant semblant de refuser,
A-t-on souvent connu de plus jolie image?
- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!

Je l'entends chuchoter : "Ah - dit-elle - trahir...


Quand comme nous, ce soir, c'est dans le coeur qu'on grave,
Puisque nous inventons de quoi nous souvenir,
Mais trahir, ce n'est rien. Et nous, c'est bien plus grave".

Me voici l'éternel enfant qui toujours joue


Au jeu le plus sérieux de l'amour, de la mort:
Et je la baise au cou, et je la baise aux joues,
Comme enfant je joindrai du Styx, là-bas, les bords.
Je ne l'embrasse pas. Je lui dis: Reste et passe!

J'ai les yeux des instants de mon coeur hors du temps.


Bientôt elle viendra, belle aube qui s'avance,
L'aube belle peut-être en mon dernier printemps.
Les yeux qui disent oui, elle reste en silence.
Je lui dis : Passe et reste! et point je ne l'embrasse.
- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!

Veste de cuir, et corps en huit, et rougissante,


Telle qu'en mon cahier d'autrefois à Milan,
Elle n'est déjà plus seulement la passante
Qu'elle sera demain à la fin de mes ans.

Et de la Belle Fée elle a les cheveux bleus,


Je caresse sa nuque, elle tremble en vertige,
Et voici que ma main s'attarde en ses cheveux:
Coquelicots, ainsi, frémissent sur leurs tiges.

- Es-tu magicien, ou prestidigitateur?


Fait-elle. Alors je songe au jour lointain, à Rome,
Du temps de mon enfance, où jura un jongleur
Que j'aurais été un mage parmi les hommes.

Plus tard, je la contemple en un petit rectangle,


Rectangle de miroir - c'est son rétroviseur -
Que la lune illumine, ou des lampions, aux angles
De la rue où s'enfuit le temps, le temps voleur
Et je trouve ses yeux, chaque fois, dans les miens:
Prestidigitateur, ou suis-je magicien?

- Dans la nuit de printemps, que répond donc ton coeur?


Fais-je ainsi qu'un enfant: un défi que je lance,
Dans ses yeux j'aperçois des milliers de couleurs.
Les yeux qui disent oui, elle reste en silence.

Je n'ai pas oublié ses yeux dedans mes yeux,


Et l'émouvant écho des questions sans réponses.
Si je l'avais connue, hier, sous d'autres cieux?
Il est tard; moi, c'est dans la mort que je m'enfonce.

Las! Se souviendra-t-elle? Et de quoi? Je ne sais.


Je ne sais, non, où gît le plus cruel dommage:
Qu'elle a tout oublié je préfère penser,
Plutôt qu'elle me cherche au temps du grand voyage.

Et nous avons passé, dans la nuit, un instant,


Dans la première nuit de ce dernier printemps.
Mais je lui dis merci pour ce soir de jeunesse
Et d'avoir pu encore admirer la promesse
De la beauté jadis que j'avais dessinée
Dans mes vierges cahiers : elle n'était pas née.
Dans la rue aux passants, dans la rue aux passantes,
Puis vient une journée, et c'est la Trépassante.

La passante s'esquive; il faut que la passante


Passe; et elle est passée et je lui dis merci
D'un rire, d'un parfum, de sa démarche lente
Et demain, nous ne nous reverrons plus ici.

Je ne suis point surpris, et ne regrette rien.


Oh! Demain, j'attendrai un peu qu'elle m'appelle
Mais au fond de mon coeur, je me souviens trop bien
Que l'inachèvement sied aux histoires belles.

Le coeur bat à douleur, vieux coeur de réprouvé.


Dans mon chapeau de mage, il me reste une image,
Il ne reste rien d'autre en mon chapeau troué,
Ne reste qu'une image - et mille ans de mes âges.

Et je me remémore encore un jour de pluie


Du temps de ma jeunesse et que j'avais mille ans
Et que je dessinais - était-ce elle? - une fille
Dedans un cahier vierge, en gare de Milan.

Et je crois qu'elle existe et je l'ai aperçue:


O livre de la vie, ô pages des cahiers,
O cahiers égarés des occasions perdues,
O coeur de réprouvé, tu peux bien te railler!

Dans la nuit de printemps, a répondu son coeur


Que j'avais cinquante ans. La foudre s'est résoute.
Il arrive, on le sait, qu'un jeune coeur ait peur:
Mais quoi qu'elle ait pensé, déjà je l'ai absoute.
Puis au matin, voilà, elle eût su mon exil,
La faim, le froid cruels de mon sort sans nul havre.
Ah! Me faut-il pleurer, ou point ne convient-il?
A l'aube, elle aurait vu ma gueule de cadavre.

Dans la rue aux passants, dans la rue aux passantes,


Puis vient une journée, et c'est la Trépassante.
Où sont les grands esprits? Mais où sont les coeurs libres?
Libre, qui n'a le coeur dans la nuit de printemps?
Dans la nuit de printemps, qui n'a le coeur qui vibre?
- Si revenait le temps? - Point ne revient le temps!

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Olivier Mathieu

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