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Comme à la fin du 19ème siècle, quand Durkheim écrit la « division du travail social »notre société est confrontée à la question de
la cohésion sociale. Après avoir présenté l’analyse du précurseur Durkheim, et ses principaux apports, nous nous intéresserons à la
crise du lien social aujourd’hui. Les institutions traditionnellement créatrices de lien social
(famille, religion, syndicat) comme les outils (le travail) connaissent actuellement de profonds bouleversements dans la société
française (et plus largement dans l’ensemble des sociétés industrielles). Ces mutations ne mettent-elles pas en péril la cohésion
sociale en affaiblissant voire en brisant les liens qui unissent les membres d’une société.
– durant les 30 glorieuses les populations non qualifiées issues de l’exode rural ou de l’immigration ont pu obtenir un
emploi, car dans le cadre du fordisme les entreprises avaient besoin de salariés solides physiquement pour travailler à la chaîne ,
c’était alors la seule qualité qu’on leur demandait . Ces populations ont pu s’intégrer au mode de vie dominant par les
augmentations de salaire qui leur ont permis d’acquérir les biens typiques de l’american way of life , ce qui leur a permis de
fournir des débouchés aux entreprises qui ont pu embaucher. On avait alors un cercle vertueux de l’intégration par le travail.
– Au contraire aujourd’hui les qualités requises par les entreprises ont beaucoup évolué « connaissances et savoir-faire
spécialisé sont, certes, plus que jamais nécessaires pour occuper certains emplois, mais en règle générale, cela ne suffit plus: la
valorisation de la compétence technique suppose une capacité de mise en situation , des compétences sociales telles que le
langage, la flexibilité comportementale, l’intuition stratégique , tout ce qui permet d’agir au sein d’un système social différencié,
de participer à des activités collectives nécessitant des formes élaborées de coopération . (...) Or les compétences sociales sont, par
nature, plus difficiles à identifier et à évaluer et pratiquement impossibles à formaliser dans des diplômes ou des qualification
reconnues ».
Dès lors, le marché du travail devient beaucoup plus sélectif, et les populations défavorisées qui présentent mal, qui ont un
langage moins recherché, risque d’être exclues du marché du travail , ce qui renforcera le risque d’exclusion sociale . On assiste
alors à un cercle vicieux : plus l’individu est intégré à la société, appartient à une catégorie favorisée plus ses chances d’obtenir un
emploi seront élevées, et inversement. Quand le marché du travail devient demandeur, la file d’attente pour trouver du travail
s’allonge, et les entreprises sélectionnent les individus qui sont les plus conformes à leur souhait. Si les catégories défavorisées ont
une telle probabilité d’être au chômage c’est que la file d’attente est longue, et que leur espoir de retrouver un emploi demeure
réduit tant que ceux qui sont devant dans la file d’attente n’ont pas retrouvé un emploi.
Un entretien avec D.Méda: "Vivre le travail autrement", entretien avec Dominique Méda
Le discours sur la famille mêle sans toujours s’en rendre compte les paradoxes et les contradictions :
• d’un premier point de vue qui remonte au début de la révolution industrielle la famille est en crise, elle s’est coupée
de la communauté, elle a perdu la majorité de ses fonctions, elle s’est donc appauvrie. Dés lors cela peut déboucher sur
deux discours contradictoires :
- selon certains elle ne sert plus à rien, elle est condamnée à disparaître sous sa forme actuelle, il faut réinventer
une famille différente.
- Au contraire selon d’autres il faut revenir au modèle familial traditionnel (lequel ? ) car la famille est la cellule
de base de la société ; la crise de la famille équivaut alors à la crise de la société.
• d’un second point de vue la famille demeure aujourd’hui le seul point d’ancrage d’une société en crise . Les
individus investissent énormément dans la famille :
- Selon un sondage la croix la famille est la valeur la plus importante (58 % des personnes interrogées loin devant
l’argent (6 %) la réussite (5 %).
- Selon P Broussard (le monde du 25 09 1994) : « Les adolescents ces 6 millions de 13 - 20 ans dont on prétend
qu’ils ne croient plus en rien, considèrent bien la famille comme le plus sûr des refuges, contre les bourrasques
de l’époque. Par gros temps, elle demeure le seul point d’ancrage qui vaille, un îlot d’affection et de sécurité .
I. La famille en crise
A. Constat
Constat : Comme l’indique F Aballea Jusqu’aux années 70 un modèle caractérise les sociétés industrielles:
• jeune âge au mariage des conjoints (24,5 pour les hommes en 72)
• nombre d’enfants assurant le renouvellement des générations (supérieur à 2.1 enfants par femme)
• taux de divorces faibles.
• Par rapport à ce modèle familial considéré comme la norme, la maternité solitaire, le concubinage, le divorce sont
considérés comme déviants. D’ailleurs les politiques d’aide aux familles au logement ont été conçues par rapport à ce
modèle.
• Mais à partir des années 70 tous les pays européens quelque soit leur culture, leur tradition, leur religion connaissent une
rupture. Le modèle dominant semble alors entrer en crise:
Conclusion : Le cercle des familles se rétrécit, et l’instabilité des couples atomise de plus en plus de foyers
B. Les déterminants
On peut donc selon de nombreux auteurs parler de crise de la famille, elle résulte de déterminants divers mais convergents :
• Cette crise de la famille semble s’inscrire dans un mouvement général de sécularisation et de privatisation de la vie
conjugale et de dénégation de la légitimité de toute autorité à légiférer en matière de rapports personnels.
• elle est en cohérence avec l’état d’une société caractérisée par le salariat, donc la perte de fonctions économiques et
patrimoniales de la famille (cf. la thèse de Talcott Parsons).
• Elle résulte aussi de la perte d’influence de la famille dans les processus de socialisation des enfants avec le
développement du système éducatif.
• Elle reflète enfin la montée de l’individualisme, l’exacerbation de l’autonomie des personnes et de l’égalité des sexes, la
contestation de l’autorité.
Mais cette crise de la famille n’est pas sans avoir des effets sur l’intégration des individus dans la société.
C. Les répercussions sur l’intégration des individus
1. L’analyse durkheimienne
On peut reprendre l’analyse de Durkheim dans laquelle la famille occupe une place essentielle dans le processus d’intégration des
individus dans la société.
Le concept d'intégration va servir de fil directeur à l'explication de ces résultais, et la famille va fournir à Durkheim le modèle
réduit de la société. La famille protège du suicide, puisque les gens mariés se suicident moins que les personnes seules,
célibataires. veuves ou divorcées. Mais le lien lui même entre un homme et une femme n’est pas l'essentiel. Tout tient à la taille
de la famille, comme le montre un dossier copieux de statistiques complémentaires. Famille nombreuse, famille solide, famille
solidaire, famille cohérente, voilà le noyau de l'intuition durkheimienne : la
famille relie fortement les uns aux autres les individus qui la composent. Elle les intègre, et, du même coup, les protège.
L'intégration est une fonction fondamentale, au sens biologique de ce terme. Une société, et il peut s'agir pour Durkheim aussi
bien d'une famille, d'une nation, d'une religion, d'un village, n'existe que dans la mesure où elle maintien: son unité contre les
différences .individuelles. Et une société protège d'autant plus du suicide qu’elle est plus cohérente
SOURCE : C Baudelot et R Establet, le suicide , l’évolution d’un fait social, économie et statistiques , 1984.
Comme l’indique C Martin dans « l’exclusion : l’état des savoirs » : « la rupture familiale contribue au risque d’exclusion :
• non seulement du fait de l’appauvrissement qu’elle engendre,
• 0mais plus fondamentalement encore du fait de l’isolement, de la perte de sociabilité, de soutien et d’intégration qu’elle
provoque.
• Ne pas appartenir à un tissu de relations familiales, à un réseau de sociabilité et de solidarité privée est ainsi construit
comme un risque : un risque solitude en quelque sorte ».
On assiste à :
• un développement de ces solidarités familiales depuis le début des années 80, avec la crise de l’Etat-Providence qui a
tendance aujourd’hui à désinvestir le social en se reposant sur les solidarités familiales.
• Mais cette évolution n’est pas sans risques :
- En effet, on constate que plus le niveau de vie est élevé, plus les aides à la parenté sont variées et fréquentes.
- On risque donc d’observer un accroissement des inégalités si l’Etat se désinvestit trop ; les familles les plus
fragiles (ouvriers , employés ) ayant la plus forte probabilité d’avoir un de leurs membres frappés par le chômage
ou l’exclusion et n’ayant pas les moyens financiers d’assumer cette charge .
Conséquences : On peut donc dire que la famille semble faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation et d’inventions de
nouveaux modèles.
Une émission de C dans l'air ,La carte de la famille redessinée vendredi 11 avril 2008 VOIR L'EMISSION
- jusqu’à une époque récente, les droits et les devoirs qui y étaient rattachés relevaient du mariage qui confondait
le lien biologique et le lien social.
- Les filiations sont aujourd’hui dissociées puisqu’on peut être élevé par le compagnon de sa mère ; certains pères
sociaux militent donc afin de voir reconnu dans la loi un lien avec les enfants qu’ils ont élevés.
- En même temps, le développement des techniques de la reproduction assistée et les progrès de la biologie ouvre
des débats sur la filiation qui ne sont pas véritablement tranchés
- l’impossibilité de former certains couples est vécue comme une injustice (cas des homosexuels ) ;
- les catégories touchées par cette exclusion ont donc revendiqué une reconnaissance de leur vie de couple par un
contrat auquel seraient associés des droits fiscaux, d’héritage , de responsabilité mutuelle .
Conclusion :
Parler aujourd’hui de crise de la famille comme un fait accompli n’est pas aussi évident que l’on pouvait a priori le penser :
• Certes les indicateurs démographiques sont dans le rouge, certes les signes d’un trouble profond se multiplient. Mais la
famille apparaît plus que jamais comme la valeur de référence, au plan individuel comme au plan collectif. Nous assistons
aujourd’hui à la disparition d’un modèle (celui qui a domine durant les trente glorieuses)
• mais le nouveau modèle qui est en train de se construire n’a pas encore imposé sa cohérence. Ces flottements se
traduisent donc par la recherche de nouveaux équilibres .
• On retrouve alors le véritable sens du terme crise qui correspond pour reprendre les termes de Schumpeter un processus de
destruction créatrice :
- aujourd’hui nous vivons une période de remise en cause d’un modèle qui n’apparaît plus adapté aux évolutions
de la société,
- et les individus inventent, par un processus de tâtonnements comportant des essais et des erreurs de nouvelles
formes familiales qui se substitueront à celles qui existent .
Il y a crise financière de l’Etat-Providence parce que le financement de la protection sociale est de plus en plus difficile, sous
l’effet conjugué de la hausse des dépenses et du ralentissement des recettes lié au ralentissement de la croissance.
- L’allongement de l’espérance de vie, qui est une bonne chose en soi, accroît toutefois la part des personnes âgées
dans la population. Il faut donc dépenser plus pour les retraites (voir aussi le paragraphe 24 de ce chapitre), mais
aussi plus pour la santé : on a généralement plus besoin de soins médicaux à 70 ans qu’à 20 ans ! De plus, ceux-
ci se sont renchéris avec le progrès technique et les découvertes médicales. Ainsi, la consommation médicale en
France (soins et médicaments) est-elle passée de 100 milliards d’euros en 1995 à 147,6 milliards en 2004
(Source : France, portrait social 2005-2006, INSEE, 2005).
- Par ailleurs la montée du chômage accroît les besoins d’indemnisation, ainsi que les dépenses de solidarité avec
les plus pauvres (voir le paragraphe 23 de ce chapitre). On le voit, tout concourt à une hausse des dépenses de
protection sociale.
- C’est d’abord la conséquence du ralentissement économique : le taux de croissance annuel moyen du PIB a
pratiquement été divisé par deux depuis la fin des « Trente Glorieuses », et contrairement aux dépenses, les
recettes ne peuvent guère augmenter plus vite que la richesse nationale.
- les prélèvements obligatoires servant à financer les prestations sociales sont encore beaucoup calculées en
fonction des salaires (les fameuses « charges sociales »). Or, depuis les années 80, avec la montée du chômage et
l’austérité salariale, les salaires constituent la catégorie de revenu qui augmente le moins vite. C’est d’ailleurs
pour cela qu’a été instituée la CSG (Cotisation Sociale Généralisée) qui pèse non plus sur les seuls salaires mais
sur l’ensemble des revenus des ménages.
• On s’aperçoit tout d’abord que le « filet » de la protection sociale « a des trous », c’est-à-dire qu’une partie de la
population ne bénéficie pas du système de protection et reste exposée aux risques sociaux. Le système français, bâti dans
les années 50, est adapté pour protéger les travailleurs stables et leurs familles.
• Mais les jeunes chômeurs, les chômeurs en fin de droits, les mères célibataires ne pouvant pas cotiser, ne bénéficiaient
pas des prestations. Il a fallu la création du RMI et de la CMU pour corriger un peu cette défaillance
• Mais le système de protection sociale redistribue parfois « à l’envers » de ce qui était prévu, et profite plus aux riches
qu’aux pauvres. C’est par exemple le cas des dépenses maladie. En effet, les personnes de milieu favorisé vivent plus
longtemps et surtout ont plus spontanément recours aux soins médicaux : ils profitent donc plus de la couverture maladie
que les plus pauvres
La protection sociale peut paradoxalement affaiblir le lien social. Il y a un risque, que certains dénoncent, d’affaiblissement du lien
social engendré par le système de protection sociale : l’Etat ayant pris en charge la protection des individus, ceux-ci se sont
dégagés des liens et des solidarités traditionnelles - notamment les solidarités familiales et de voisinage. C’est potentiellement une
forme d’individualisme triomphant qui se développe : dès lors que l’on a payé nos impôts, nous ne nous sentons plus responsable
d’autrui (pourquoi m’occuper de mon voisin puisque l’Etat a mis en place un système qui est précisément sensé pourvoir à ses
besoins ?). Cela peut expliquer en partie l’exclusion : ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne sont plus protégés par le
système, ne trouvent plus aucun secours dans la société, et sont renvoyés à leur responsabilité individuelle sur un mode très
culpabilisant.
C’est une des questions cruciales qui est invoquée pour remettre en cause l’Etat providence. Toutes les ressources utilisées pour
financer les prestations sociales font défaut aux dépenses qui assurent la compétitivité de l’économie, sa capacité d’innovation et
donc de croissance. Une forte critique adressée par les économistes libéraux à l’Etat providence est que les sommes ainsi
détournées de l’investissement ralentissent la croissance économique et donc la capacité à financer la protection sociale. Nos
sociétés modernes vivraient « au-dessus de leurs moyens », plus soucieuses qu’elles sont de dépenser leurs richesses plutôt que de
les produire.
On voit qu’on assiste à une remise en cause assez radicale de la solidarité collective. Que peut-on en penser ? Il y a
incontestablement des dérives de l’Etat providence, mais les résultats obtenus dans les pays en pointe pour le recul de la protection
sociale publique, comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, laissent sceptiques. Dans ces pays, en effet, des coupes claires ont
été opérées dans les budgets sociaux. Dans le même temps, les inégalités se sont fortement accrues, le nombre des gens sans
protection sociale s’est fortement accru, ce qui se traduit par un recours plus difficile au système de soins et par des conditions de
vie de plus en plus précaires pour une partie croissante de la population, y compris parfois celle ayant un emploi.
Sur la vie des idées, un entretien avec S.Paugam sur pauvreté et solidarités: ici et La société française à
l’épreuve de la réforme des retraites
Partie IV – Les raisons de cette évolution
I. La montée de l'individualisme rend plus difficile le fonctionnement des
instances d'intégration sociale (repris de brises)
Tout le monde semble s’entendre aujourd’hui pour dire que les sociétés modernes sont individualistes – on dit même parfois que
la civilisation occidentale a « inventé » l’individualisme. Mais la signification exacte de cette montée de l’individualisme n’est pas
toujours très claire. De même, on convient généralement de ce que cet individualisme menace la cohésion sociale, mais sans
préciser par quels mécanismes. C’est donc à ces questions que nous allons essayer de répondre maintenant. Nous montrerons aussi
que l’individualisme n’est pas forcément un phénomène négatif, même du point de vue de l’intégration sociale.
• Les liens familiaux fragilisés par l’individualisme. La réduction de la taille des familles, conséquence des divorces et du
plus petit nombre d’enfants, diminue de manière mécanique le nombre de personnes avec qui l’individu a des liens
familiaux. Cela signifie que la solidarité familiale sera limitée à un nombre réduit de personnes. La diminution du nombre
de mariages et la hausse des naissances hors mariage montrent aussi ce qu’on peut appeler une désinstitutionnalisation de
la famille : elle est de moins en moins une institution normée (toutes les familles ont les mêmes formes), et repose de plus
en plus sur les choix des individus. Rester ensemble ne va plus de soi, et le lien familial est plus fragile. La socialisation et
le contrôle social qu’exerçait la famille, c’est-à-dire transmettre des normes et des valeurs et veiller à leur respect, sont
plus difficile à exercer, parce que, dans une société individualiste, la tolérance et l’épanouissement personnel sont devenu
primordiaux.
• L’école face aux comportements calculateurs. Nous avons vu plus haut le rôle de l’école dans la construction d’une culture
commune. Mais du fait de l’importance du diplôme dans l’accès à l’emploi, les familles développent des stratégies
scolaires vis-à-vis des diplômes : choisir la bonne filière, le bon lycée, la bonne option, la bonne université, etc. Le calcul
l’emporte de plus en plus sur le rapport gratuit à la culture : l’élève veut bien travailler, mais à condition que « ça
rapporte ». Ces comportements sont compréhensibles dans la mesure où l’accès à l’emploi est de plus en plus difficile,
mais ils vont à l’encontre de certains objectifs de l’école. L’égalité des chances, par exemple, est remise en cause par la
différenciation précoce des parcours scolaires. De même, la diffusion d’une culture commune est parfois sacrifiée au profit
de l’acquisition de compétences « utiles » pour le cursus scolaire et l’intégration professionnelle.
• L’engagement citoyen est confronté aux calculs d’intérêt. La crise de la citoyenneté politique, qui se manifeste surtout par
le développement de l’abstention, peut être analysée comme une conséquence de l’individualisme. Dans une société ou les
individus ont accès à un certain confort matériel, les citoyens sont moins intéressés par les affaires publiques, qui ne les
concernent pas directement. Déjà au 19ème siècle, Alexis de Tocqueville prédisait que la démocratie serait un jour
confrontée à l’indifférence des citoyens : est-on en train de vivre ce phénomène ? Il faut d’ailleurs le rapprocher du
comportement de « passager clandestin » qu’on a étudié dans le cas des conflits sociaux. Cependant, l’individualisme
n’est pas l’égoïsme, et il n’est pas forcément négatif. Dans le langage courant, on tend parfois à assimiler l’individualisme
et l’égoïsme, mais c’est abusif. Alors que l’égoïsme est le fait de faire passer avant tout son intérêt personnel,
l’individualisme consiste en un développement dans la société des droits et des responsabilités individuelles, favorisant
l’initiative et l ‘indépendance des individus. Mais on peut être individualiste et altruiste, si l’on se soucie des autres par
une inclination de sa propre volonté, pas au nom d’un devoir social. De plus, la montée de l’individualisme n’est sans
doute pas aussi dangereuse qu’on veut parfois le croire. Par exemple, les liens familiaux, s’ils se transforment, restent
souvent extrêmement vivaces : les liens intergénérationnels sont encore très forts, l’enfant devenant une valeur centrale de
la famille. Ils se développent même avec l’allongement de l’espérance de vie des grands-parents. De même, si la
participation politique décline, l’investissement citoyen reste fort mais sous des formes renouvelées, notamment dans des
associations humanitaires dont le caractère politique est évident.
• On le voit, si la montée de l’individualisme complique beaucoup la mécanique de l’intégration sociale, c’est sans doute
surtout parce qu’il l’oblige à s’adapter à une nouvelle mentalité, à de nouvelles valeurs.
• Le modèle de l’individualisme universaliste. Le modèle de cohésion sociale qu’appliquent les sociétés modernes est
fondamentalement basé sur l’individualisme. En effet, il s’est construit sur la fin des solidarités intermédiaires (famille,
religion, ethnie, territoire, …), affaiblies par les mutations sociales comme l’urbanisation, la déchristianisation, la
réduction de la taille des familles. Le développement d’un lien politique national, d’une culture et d’une protection sociale
nationales a renforcé ce mouvement d’individualisation en même temps qu’il s’appuyait dessus. Tout se passe comme si
aujourd’hui le lien social se tissait directement entre l’individu et l’ensemble de la société représenté le plus souvent par
l'Etat ou les Adminsitrations publiques, ce qui permet d’un point de vue positif d’émanciper la personne des vieilles
attaches issues de la société traditionnelle. Il y a aussi une forme de rationalisation de la solidarité, dont on recherchera
l’efficacité et dont on discutera les buts. On est dans ce qu’on appelle un individualisme universaliste : « individualisme »
parce qu’on met en avant les droits individuels, « universaliste » parce que ces mêmes droits sont reconnus à tout le
monde.
• Les limites d’un universalisme trop abstrait. L’inconvénient de ce modèle de solidarité est qu’il débouche sur une pratique
« froide » du lien social, parce qu’anonyme et administrative. Les prestations sociales, par exemple, ne s’accompagnent
certainement pas d’autant de chaleur humaine, de liens affectifs, que l’entraide familiale ou de voisinage. De même, quand
on paie ses cotisations sociales ou ses impôts, on fait un acte de solidarité, mais qui peut ne plus être perçu comme tel, ni
par soi, ni par ceux qui en profitent, parce qu’il passe par l’interface de la Sécurité Sociale ou de l’Etat. A la limite, cette
anonymisation du lien détruit le sentiment de solidarité parce que les individus se sentent dispenser personnellement du
devoir d’entraide dès lors qu’il est assumé collectivement. Ce mouvement est renforcé aujourd’hui par l’affaiblissement
des identités nationales dans un contexte de paix durable (les conflits aident à « souder » les communautés nationales !) et
de mondialisation économique et culturelle.
• Le communautarisme et la recherche d’un lien social moins abstrait. A l'opposé du mouvement d’universalisation et de
rationalisation du lien social que nous venons d’évoquer, on constate aussi une tendance inverse de reconstitution de liens
communautaires, basés sur l’appartenance, sur l’identification de l’individu à un groupe intermédiaire. On trouve ainsi,
par exemple, des médias de type communautaire (« Pink TV », « Filles TV »). Vous avez aussi entendu parler des
revendications régionalistes (Corse, Pays Basque, Lombardie, …) : utilisation de la langue régionale comme langue
administrative ou langue d’enseignement (ce qui discrimine évidemment ceux qui ne sont pas originaires de la région),
autonomie financière qui remet en cause la redistribution fiscale entre régions et donc la solidarité nationale. Le
développement des signes d’appartenance religieuses ostensibles (on pense bien sûr au voile, mais ce n’est pas le seul
exemple) est également l’indice d’une montée du communautarisme religieux. Ces mouvements peuvent être vus comme
l’expression d’une forme d’individualisme : les individus affichent leurs particularités pour marquer leur autonomie vis-à-
vis de la société (c’est surtout vrai pour les identités minoritaires). En ce sens on peut parler d’individualisme
communautaire. Mais ce sont aussi des formes de lien social moins abstraites, peut-être aussi plus spontanées, et qui
tissent souvent des solidarités de proximité. Il est par exemple plus facile de se fabriquer une identité en marquant son
appartenance à un groupe clairement différencié des autres. Et des mouvements de solidarité de voisinage (en cas de
catastrophe naturelle par exemple) sont plus ressentis comme des gestes personnalisés.
• Mais le communautarisme peut déboucher sur une remise en cause de la cohésion sociale. Le communautarisme menace
le lien politique, car si on cultive les différences entre les groupes constituant la société, on met forcément à mal l’idée de
citoyenneté qui se fonde justement sur les points communs et non les différences entre individus. Dans les cas extrêmes,
on peut arriver à ce que les groupes aient des représentations politiques distinctes. Un autre danger du communautarisme
est qu’il peut limiter l’ampleur de la solidarité en la réservant au groupe (un parti politique français demande par exemple
des systèmes de sécurité sociale séparés pour les immigrés et les Français).
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