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dossier

Troubles
neuro-développementaux
et/ou comportementaux
à l’âge adulte
Aurélie Richard-Mornas et Catherine Thomas-Antérion

Introduction - Troubles neuro-développementaux et/ou comportementaux


diagnostiqués à l’âge adulte : savoir y penser !������������������������������������������������������������p. 44
Catherine Thomas-Antérion
1 Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) de l’adulte :
une pathologie de l’enfance, mais des handicaps tardifs������������������������������������p. 45
Aurélie Richard-Mornas

2 Diagnostic à l’âge adulte d’un retard mental :


l’évaluation d’un retard mental léger��������������������������������������������������������������������������p. 48
Aurélie Richard-Mornas

3 Dyslexie diagnostiquée tardivement : les troubles des apprentissages


et/ou psychopathologiques durent toute une vie... ������������������������������������������������p. 51
Aurélie Richard-Mornas

4 Dys, vulnérabilité et dégénérescence ? L’aphasie primaire progressive


et les dégénérescences fronto-temporales comportementales ��������������������������p. 55
Aurélie Richard-Mornas

Conclusion - Le rôle du neurologue… ����������������������������������������������������������������������������p. 59


Catherine Thomas-Antérion

Correspondance
Dr Aurélie Richard-Mornas Dr Catherine Thomas-Antérion
Service de Neurologie Fonctionnelle et Résidence Plein Ciel
d’Epileptologie, Hospices Civils de Lyon 75 rue Bataille - 69008 Lyon
Hôpital Pierre Wertheimer et EA3082, Laboratoire EMC (Etudes des
59 Bd Pinel / 69500 BRON Mécanismes Cognitifs), Université Lyon 2
E-mail : aurelie.richard-mornas@chu-lyon.fr E-mail : c.thomas-anterion@orange.fr

Neurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175 43


dossier

introduction
Troubles neuro-développementaux
et/ou comportementaux
diagnostiqués à l’âge adulte
Savoir y penser !

L
a plainte cognitive est un Les situations sont très nom- être un diagnostic différentiel de
motif fréquent de la consul- breuses. Il s’agit de difficultés co- troubles de l’adaptation, d’échecs
tation chez le neurologue. gnitives sélectives – comme avoir socioprofessionnels, d’hyperacti-
Certaines plaintes cognitives toujours eu du mal à lire, à écrire, vité, etc. De plus, certains adultes
ou comportementales peuvent à dessiner, à calculer, à se concen- viennent d’eux-mêmes lorsqu’un
non pas traduire des pathologies trer, être très maladroit/malha- trouble a été diagnostiqué chez
neurocognitives acquises, mais bile, etc. – et/ou de difficultés com- un proche, et le neurologue doit
traduire des pathologies du déve- portementales, notamment en prendre garde au vécu très violent
loppement. Cela concerne majori- termes de socialisation, de régula- de la tare transmissible.
tairement des adultes jeunes (ex- tion de l’impulsivité et/ou de diffi-
clus des consultations de mémoire cultés intellectuelles plus globales. • Enfin, et c’est loin d’être une si-
orientées vers les maladies neuro- tuation rare, de nombreux adultes
dégénératives). • L’entretien est un temps-clé consultent avec un autodiagnos-
pour savoir y penser. Il faut, en tic sur Internet… Ceci rappelle
• Evidemment, le symptôme plus de l’anamnèse habituelle, si nécessaire qu’aucune échelle
n’est pas récent. En dehors des s’intéresser au développement ne peut permettre un diagnostic
patients déjà diagnostiqués et qui psychomoteur, aux évènements positif sans entretien clinique et
consultent peu, on peut repérer de l’enfance, et poser un certain sans choix délibéré de celle-ci. Les
des situations dans lesquelles le nombre de questions. En plus de éléments d’hyperactivité, d’impul-
sujet sait (même s’il n’a pas fait connaître l’âge, le niveau d’éduca- sivité ou les troubles attentionnels
le lien) que le trouble est ancien. tion, la/les langue(s) parlée(s), il peuvent être l’expression de très
Ainsi, un patient de 66 ans raconte convient de préciser le parcours nombreuses psychopathologies,
qu’il a toujours été “excité” et que scolaire (difficile, redoublement), parfois plus difficiles (moins poli-
l’institutrice de CP le ficelait à sa le parcours professionnel (échec, tiquement correctes) à accepter
chaise avec ses bretelles, et une changements), le parcours socio- par les patients. A l’inverse, dire
femme de 30  ans raconte que sa familial (adaptation). Il faut faire que l’on n’aimait pas l’école est
jumelle écrivait ses lettres, ses de- attention aux faux-fuyants et à parfois plus facile que dire que l’on
voirs et même plus tard ses lettres ne pas brusquer les choses, car le n’y trouvait pas sa place du fait de
de motivation manuscrites lors de récit est souvent douloureux ou troubles neurocognitifs ou com-
la recherche d’un emploi. vécu comme honteux. Le point le portementaux.
Le plus souvent, le trouble est vécu plus difficile est celui des comor-
et raconté comme récent car son bidités psychiatriques fréquentes : Nous avons retenu dans ce dossier
retentissement l’est, par exemple dépression, addiction, passage à les situations fréquentes que tout
lorsque des changements inter- l’acte suicidaire, etc. neurologue doit s’attendre à ren-
viennent dans le poste de travail. contrer  : dyslexie, retard mental,
• La question des comorbidités est TDAH. n
• Certaines personnes néanmoins complexe car un certain nombre
ne se doutent pas du diagnostic. de psychopathologies peuvent Catherine Thomas-Antérion

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Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

1 Trouble déficitaire
de l’attention avec ou sans
hyperactivité (TDAH) de l’adulte
Une pathologie de l’enfance,
mais des handicaps tardifs
n « Docteur, mon enfant a un TDAH et c’est ma copie conforme, pouvez-vous m’aider ? »
De plus en plus de cliniciens sont confrontés à cette question...  Aurélie Richard-Mornas

Un diagnostic tardif adulte, et il y a consensus entre la mèche courte. Ils s’emballent


Il est important de se rappeler experts pour dire que, si un adulte pour un projet pour l’abandonner
que les symptômes du Trouble rapporte rétrospectivement que rapidement quand l’intérêt baisse.
Déficitaire de l’Attention avec ou les symptômes ont débuté avant Cette variation de l’expression des
sans Hyperactivité (TDAH) se l’âge de 12 ans, on retrouve le même émotions peut ressembler à une
manifestent dès l’enfance, mais tableau clinique et le même profil maladie de l’humeur si l’on ne re-
que, parfois, les handicaps ne de- d’évolution et de réponse aux trai- marque pas le caractère d’hyper-
viennent évidents que beaucoup tements que pour les adultes qui réactivité émotionnelle des fluc-
plus tard. rapportent un début des symp- tuations rapportées, qui n’ont pas
Le diagnostic du TDAH adulte im- tômes avant l’âge de 7 ans. le caractère cyclique des maladies
plique donc la présence de symp- de l’humeur.
tômes dans l’enfance, même s’il est
possible que le diagnostic n’ait pas Ce qu’il faut Souvent, les adultes atteints de
été posé avant l’âge adulte. rechercher TDAH remarquent que l’hype-
Les études de suivi ont permis Les adultes atteints de TDAH sont ractivité motrice est moins
d’établir que plus de la moitié des surtout handicapés par : intense, vécue surtout comme un
enfants atteints de TDAH gar- • les troubles cognitifs atten- inconfort en situation d’inactivité
deront des symptômes à l’âge tionnels (distractibilité, “bou- ou d’attente. Ils ont appris à com-
adulte [1]. geotte des idées”) ; poser avec le besoin irrésistible
Des études récentes ont évalué à • la désorganisation associée de bouger (impatience motrice)
4 à 6 % la prévalence du TDAH (procrastination, difficulté à ter- en le canalisant dans leur travail
chez l’adulte dans la population miner ses tâches, éparpillement) ; et, pour certains, dans le sport.
générale [2]. Parmi les symptômes • et l’impulsivité résiduelle ; Certains se “traitent” avec des
du TDAH, l’inattention se norma- qui leur nuisent autant dans leur psychostimulants en vente libre
lise dans 60 % des cas chez l’adulte, travail que dans leur vie privée (nicotine, caféine) ou non.
contre 40 % pour l’impulsivité. (encadré 1).
En raison des symptômes invali-
Le critère d’âge du DSM-IV (appa- Les adultes atteints peuvent dants associés au TDAH, plusieurs
rition des symptômes avant 7 ans) aussi présenter une difficulté à souffrent aussi d’une faible estime
est difficilement applicable en moduler leurs émotions. Ils se d’eux-mêmes et d’un sentiment de
clinique lors de l’évaluation d’un décrivent comme à fleur de peau, sous-performance chronique.

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dossier

Une échelle de somme et une note obtenue > 3 • des troubles de l’humeur ou une
repérage (ASRS-V1.1) est en faveur d’un diagnostic de anxiété ;
L’échelle d’auto-évaluation des TDAH. Les questions de l’ASRS- • un trouble oppositionnel avec
troubles déficitaires de l’atten- V1.1 sont en accord avec les cri- provocation ;
tion avec hyperactivité de l’adulte tères du DSM-IV et se focalisent • parfois, un abus de substances
(ASRS-V1.1) est un test de dépistage sur les manifestations du TDAH (alcool, cannabis) avec une toxico-
pour aider à identifier les symp- chez les adultes (encadré 2). manie ;
tômes d’un TDAH de l’adulte [3]. • voire des conduites délinquantes
C’est une échelle courte à remplir En parallèle, il faut évaluer le re- qui peuvent amener à une margi-
(moins de 5 minutes). La consigne tentissement fonctionnel, l’impact nalisation.
est  : «  Répondez aux questions du trouble dans la vie quotidienne
suivantes en vous auto-évaluant du sujet : au niveau familial, social Ce risque de comorbidités par
sur chacun des critères à l’aide de et professionnel. abus de substances est 3 à 4 fois
l’échelle à droite de la page. Pour plus élevé chez les patients non
répondre aux questions, cochez la traités.
case qui décrit le mieux vos sen- Des comorbidités Une étude de suivi à long terme
timents ou vos comportements associées indique que les comorbidités ont
au cours des six derniers mois. » Plus de la moitié des adultes souf- tendance à apparaître tôt dans le
Les réponses retrouvées dans les frant d’un TDAH vont développer cycle de vie  : de l’adolescence au
cases grisées valent 1, les autres une pathologie psychiatrique co- début de l’âge adulte. C’est d’ail-
0 ; le score global correspond à la morbide, telle que : leurs souvent cette comorbidité

Encadré 1

Exemples de formulations
• « J’oublie des rendez-vous / J’ai une mauvaise gestion du temps / Je ne termine pas mes projets /
J’ai des difficultés à déléguer. »
• « Avoir un comportement argumentatif avec des figures d’autorité / Avoir trop de contrôle en tant que
parents / Présenter des épisodes de rage. »
• « On me fait la remarque que je parle très fort sur mon cellulaire dans la salle d’attente / Je sors pour
re-garer ma voiture / Je réponds au téléphone pendant un rendez-vous. »
• « Mon conjoint se plaint que je n’écoute pas / que je fais des remarques impulsives / que j’argumente/
chicane / que j’oublie des évènements importants comme des anniversaires de naissance et de mariage. »
• « Je ne paie pas mes impôts à temps / Mon compte bancaire est souvent à découvert / Je fais des achats
impulsifs que je ne peux me permettre. »

Encadré 2

L’Echelle ASRS-V1.1 - exemples de questions :


•A
 quelle fréquence vous arrive-t-il d’avoir des difficultés à mettre les choses en ordre lorsque vous devez faire
quelque chose qui demande de l’organisation ?
q Parfois q Pas du tout q Rarement q Souvent q Très souvent
• A quelle fréquence vous arrive-t-il d’avoir des difficultés à vous rappeler vos rendez-vous ou vos obligations ?
q Parfois q Pas du tout q Rarement q Souvent q Très souvent
•A
 quelle fréquence vous arrive-t-il de remuer ou de tortiller les mains ou les pieds lorsque vous devez rester
assis pendant une période prolongée ?
q Parfois q Pas du tout q Rarement q Souvent q Très souvent

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Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

psychiatrique qui amène les sujets exemple, l’étudiant qui, ne s’esti- Le choix du médicament est déter-
adultes TDAH en consultation. Il mant pas prêt à se lancer dans les miné par des questions telles que :
faut en tenir compte dans le trai- études universitaires, décide de • le moment de la journée où l’im-
tement tant pharmacologique que prendre un emploi de mécanicien pact fonctionnel est le plus impor-
psychologique. (un de ses passe-temps préférés) tant ;
et de suivre des cours du soir pen- • la tolérance des effets indési-
dant une année ; une employée rables (insomnie, tics, perte d’ap-
Le traitement de banque qui décide de changer pétit) ;
Le traitement du TDAH, tout d’emploi pour devenir serveuse ou • le risque d’abus de substances ;
comme pour d’autres troubles coiffeuse, un milieu où elle se sen- • la présence de troubles comor-
chroniques du développement, tait plus à l’aise... bides ;
doit être multimodal, et le patient • la capacité d’observance ;
aura besoin de support et de suivi Des technologies • le degré d’urgence de la réponse ;
prolongé. L’éducation continue organisationnelles… • le choix du patient après avoir
concernant les stratégies d’adap- Il existe bon nombre d’équipe- examiné les risques et les avan-
tation, en plus des médicaments, ments électroniques et de logiciels tages de chaque option de médica-
permet au patient d’obtenir des qui aident à compenser les difficul- ment.
gains au niveau du développe- tés liées à la mémoire de travail, à
ment et du fonctionnement qui pallier une mauvaise calligraphie, L’utilisation des médicaments
n’auraient pas été possibles autre- ou à mieux gérer son temps (par permet la réduction de certains
ment. exemple l’utilisation d’iPhone ou symptômes, mais le traitement
Android). optimal se produira lorsque le
Les Thérapies degré fonctionnel sera normalisé,
cognitivo- Le traitement avec une approche multimodale
comportementales médicamenteux qui inclut la combinaison avec des
En thérapie cognitivo-compor- Le traitement médicamenteux par changements de style de vie. n
tementale, on peut travailler sur psychostimulant peut être propo-
la résolution de problèmes perti- sé au patient.
Mots-clés :
nente aux déficits résiduels reliés Ce traitement est prescrit, pour sa
Trouble Déficitaire de l’Attention avec
à la fonction exécutive ou aux première instauration, par un mé-
ou sans Hyperactivité, TDAH, Adulte,
activités de la vie quotidienne. decin hospitalier (neurologue ou
Troubles cognitifs, Troubles atten-
Une meilleure compréhension psychiatre), et reste actuellement
tionnels, Impulsivité, Echelle d’auto-
de la relation entre le TDAH et le une prescription “hors AMM”
évaluation ASRS-V1.1, Comorbidités
fonctionnement dans le quotidien chez l’adulte. La molécule fré-
psychiatriques, Abus de substances,
conduit souvent le patient à modi- quemment utilisée est le méthyl-
Thérapie cognitivo-comportemen-
fier son style de vie de manière phénidate (Ritaline®, Concerta
tales, Méthylphénidate
à diminuer le stress associé. Par LP®, Quasym LP®).

Bibliographie
1. Weiss M, Murray C, Weiss, G. Adults with attention-deficit/hyperactivity Replication. Am J Psychiatry 2006 ; 163 : 716-23.
disorder: current concepts. J Psychiatr Pract 2002 ; 88 : 99-111. 3. Kessler RC, Adler L, Ames M et al. The World Health Organization Adult
2. Kessler RC, Adler L, Barkley R et al. The prevalence and correlates of adult ADHD Self-Report Scale (ASRS): a short screening scale for use in the general
ADHD in the United States: results from the National Comorbidity Survey population. Psychol Med 2005 ; 35 : 245-56.

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dossier

2 Diagnostic à l’âge adulte


d’un retard mental
L’évaluation d’un retard mental léger
n Quelle est la démarche chez de jeunes adultes présentant une déficience intellectuelle légère et
un déficit du comportement adaptatif, en particulier lorsqu’ils sont adressés en consultation pour
un bilan de troubles cognitifs ? Aurélie Richard-Mornas

RETARD MENTAL : Le diagnostic de troubles cognitifs qui révèle une


Définition Des critères diagnostiques de défi- déficience intellectuelle légère avec
Le retard mental couvre une large cience mentale ont été établis par un déficit du comportement adap-
variété de phénomènes qui varient l’APA (American Psychiatric Asso- tatif. Dans ce cas, ces sujets âgés de
dans l’étiologie, l’évolution et les ciation) en 1994, il faut : plus de 18  ans ne peuvent pas en
formes cliniques. Il s’agit d’un 1. un déficit significatif du fonc- théorie recevoir le diagnostic de re-
désordre complexe du dévelop- tionnement intellectuel ; tard mental et il faudra absolument
pement regroupant un ensemble 2. des limitations significatives rechercher une comorbidité asso-
de déficits comportementaux. du comportement adaptatif dans ciée (désordre psychologique, etc.).
Les premières définitions de la au moins deux des domaines
déficience intellectuelle étaient suivants  : communication, auto- L’évaluation du niveau
unidimensionnelles, c’est-à-dire nomie personnelle, autonomie intellectuel
qu’elles ne prenaient en compte domestique, habiletés sociales et L’efficience intellectuelle, mesu-
que le déficit intellectuel. interpersonnelles, utilisation des rée à l’aide de tests de niveau spé-
Actuellement, les différentes clas- ressources de la communauté, cifiques (tests psychométriques de
sifications convergent pour définir auto-détermination, santé, sécu- Wechsler par exemple), est consi-
la déficience intellectuelle de la rité, loisirs et travail ; dérée comme déficitaire à partir
manière suivante  : «  La déficience 3. l’apparition de ces manifesta- de deux écarts types en-dessous
intellectuelle est caractérisée par un tions avant l’âge de 18 ans. de la moyenne, c’est-à-dire en des-
fonctionnement intellectuel géné- sous de 70 à 65 de QI.
ral significativement inférieur à la L’âge de 18  ans est important à On distingue ainsi quatre de-
moyenne, associé à des déficits de retenir ; il s’agit de tenir compte de grés de gravité dans la défi-
l’adaptation se manifestant avant la dimension développementale du cience intellectuelle :
l’âge adulte » [1]. Cette définition a trouble. Ainsi, une personne adulte 1. Retard mental léger :
été adoptée par l’OMS en 1993. qui présente tous les critères de dia- QI de 50-55 à 70.
gnostic (déficience intellectuelle 2. Retard mental moyen :
La définition actuelle est plus et déficit dans les comportements QI de 35-40 à 50-55.
fonctionnelle, puisqu’elle intègre adaptatifs) dans les suites d’un 3. Retard mental grave :
à la fois : traumatisme crânien par exemple, QI de 20-25 à 35-40.
• le retard de développement ne recevra pas ce diagnostic. Néan- 3. Retard mental profond :
des fonctions cognitives ; moins, en dehors de tout contexte QI inférieur à 20-25.
• et l’utilisation du potentiel acquis (traumatisme ou autre
existant pour l’apprentissage de étiologie), il arrive que des jeunes Attention, le critère psychomé-
conduites permettant l’adapta- patients (20-25  ans) soient adres- trique a ses limites : variations d’un
tion. sés en consultation pour un bilan test à l’autre, influence culturelle

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Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

des tests, résultats sous-estimés sans suivi orthophonique. Elle a un avant 18 ans. Ces troubles peuvent
en cas de difficultés d’adaptation à niveau CAP (diplôme non obtenu être une cause possible de ses dif-
la situation de test elle-même. Te- malgré un redoublement). Melle V ficultés personnelles et profession-
nir compte de l’homogénéité des a un réseau social très pauvre, son nelles. Ce bilan permet de mieux
résultats, sinon, en cas d’hétéro- entourage la définit comme ayant conseiller la patiente dans ses choix
généité, faire une analyse du profil. «  un mauvais caractère » et étant professionnels. Notamment, nous
volontiers irritable et impulsive. lui avons suggéré de privilégier des
L’évaluation du Malgré un grand ralentissement tâches routinières stéréotypées
comportement adaptatif psychomoteur, elle a bien parti- sans contrainte de temps, adap-
Les comportements permettant cipé aux évaluations. Le bilan de tées à ses difficultés.
à un individu de s’adapter à son langage montre des séquelles de
environnement résultent d’un retard de langage et de dyslexie- Vignette 2 :
apprentissage, qui repose à la fois dysorthographie. Elle présente Une plainte
sur les capacités cognitives et sur un nasonnement et un défaut de mnésique, ou plus ?
les stimulations et opportunités coordination pneumo-phonique. La
offertes à la personne : incitations compréhension syntaxique com- Monsieur D, 21 ans, consulte pour
du milieu environnant, de l’éduca- plexe et du langage implicite est une plainte mnésique. Il est actuel-
tion, de la motivation, etc. L’instru- déficitaire. Le bilan neuropsycho- lement dans un centre de réinser-
ment le plus largement utilisé pour logique évoque en psychométrie tion professionnelle où il est en dif-
évaluer le comportement adaptatif (WAIS-IV) un retard intellectuel ficulté, il rapporte des troubles de
est l’échelle de Vineland (Vine- léger avec un quotient intellectuel mémoire antérograde.
land Adaptative Behavior Scale). total à 66. Néanmoins, le profil est • Dans ses antécédents, on retient
Elle a fait l’objet d’une validation hétérogène, avec un indice de com- une insuffisance vélaire avec rhi-
française. Elle évalue le comporte- préhension verbale (ICV) à 77, un nolalie ouverte, opérée à l’âge de
ment adaptatif dans le domaine de indice de raisonnement perceptif 6 ans. Il a eu un suivi en orthopho-
la socialisation (relations interper- (IRP) à 66, un indice de mémoire nie plusieurs années et un suivi psy-
sonnelles, jeux et loisirs…), des ha- de travail (IMT) à 63 et un indice de chomoteur, une année. La notion
biletés motrices (motricité globale vitesse de traitement (IVT) à 86. d’un retard de langage est possible,
et fine) et de la communication Seul l’IVT est dans la norme… Il faut mais nous manquons d’informa-
(réceptive, expressive). donc être prudent sur l’interpréta- tions pour l’affirmer. Monsieur D a
tion du QI total. En mémoire ver- également subit un traumatisme
bale épisodique (RL/RI-16 items), crânien, à l’âge de 11  ans, respon-
DEUX EXEMPLES... on note une fragilité de l’encodage sable d’une fracture occipitale sans
(rappel immédiat = 14/16), la récu- embarrure, sans hématome intra-
Vignette 1 : pération est correcte (somme des parenchymateux. Dans les suites
D’échecs en échecs… 3 rappels libres = 36/48, rappel to- de cet AVP, Monsieur D a eu une
tal = 48/48), mais la consolidation prise en charge psychologique en
Melle V, 24  ans, au chômage, est à la limite de la norme (rappel CMP quelques années. Son par-
consulte suite à des échecs pro- différé total = 15/16). cours scolaire reflète les événe-
fessionnels répétés (professions • En conclusion, nous avons mis ments médicaux qu’il a subis : re-
pratiquées : serveuse et hôtesse de en évidence chez cette patiente doublement du CP (chirurgie ORL),
caisse). Elle exprime des difficultés des séquelles de retard de langage du CM2 (TC) et de la 4e. Suite à des
mnésiques et un ralentissement oral, de dyslexie-dysorthographie, difficultés scolaires importantes en
global. associées à une déficience intel- seconde générale, il a pris une orien-
• L’interrogatoire de cette jeune lectuelle légère. Une évaluation tation professionnelle. Malheureu-
patiente et de son père qui l’accom- de son comportement adaptatif sement, il a échoué au BAC profes-
pagne en consultation est difficile. confirme des limitations dans le sionnel de paysagiste. Depuis, il a
Les souvenirs des étapes de son dé- domaine de la communication et de intégré plusieurs centres de forma-
veloppement psychomoteur sont la socialisation. Nous ne pouvons tion professionnelle sans succès.
très flous… Grâce au carnet de san- poser le diagnostic de retard men- D’un point de vue psycho-affectif,
té, nous trouvons des observations tal devant l’âge actuel supérieur à Monsieur D est décrit comme intro-
évocatrices d’un retard de langage 18  ans. Nous ne pouvons attester verti, peu expressif et anxieux. Son
associé à un nasonnement, mais de la manifestation de ses troubles réseau social est pauvre.

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dossier

• Le bilan de langage montre des malgré la rencontre de la famille et Répercussions à l’âge


séquelles de retard de langage avec le carnet de santé que l’on n’obtient adulte d’un retard
une dyslexie et des difficultés de parfois même pas… Le motif de la mental léger
compréhension du langage impli- consultation est celui d’échecs pro- Nous ne traitons ici que du retard
cite. Le bilan neuropsychologique fessionnels répétés chez une jeune mental léger, qui concerne le
comporte une psychométrie faible femme actuellement au chômage. nombre le plus important de per-
pour l’âge du patient dans tous les La patiente a peu de plaintes, elle sonnes présentant une déficience
domaines (WAIS-IV)  : en raison- dit uniquement présenter une cer- intellectuelle (85  %). Les com-
nement perceptif (IRP  =  76), en taine lenteur psychomotrice. Elle pétences finales acquises par ces
mémoire de travail (IMT  =  68) et nous sollicite afin de l’aider à trou- personnes restent limitées dans le
en vitesse de traitement (IVT = 66). ver une orientation professionnelle domaine langagier, aussi bien en
Néanmoins, les subtests de com- adaptée. Afin de pouvoir essayer de compréhension qu’en expression.
préhension verbale sont hétéro- répondre à cette question, une ex- Néanmoins, elles permettent une
gènes avec un score en similitudes pertise neuropsychologique, dont communication relativement cor-
à 11, en vocabulaire à 3 et informa- une psychométrie et langagière, est recte avec l’entourage, même si elle
tion à 7 (ICV = 83). En mémoire ver- indispensable. Les conclusions de n’atteint pas le niveau de raisonne-
bale épisodique (RL/RI-16 items), ce bilan chez une patiente avec peu ment lié à la pensée formelle. Les
l’encodage est satisfaisant (rappel de plainte cognitive sont loin de ses apprentissages scolaires sont sou-
immédiat  =  15/16)  ; en revanche, préoccupations. Il est très délicat vent acquis avec difficulté, et né-
on observe des difficultés de récu- d’annoncer un retard intellectuel cessitent un soutien pédagogique.
pération (somme des 3 rappels chez une jeune femme de 24  ans L’autonomie personnelle et sociale
libres  =  15/48) que l’indiçage per- qui ne consulte pas dans un but dia- est acquise plus lentement et avec
met de normaliser partiellement gnostique mais d’orientation pro- de l’aide, mais le niveau atteint per-
(rappel total = 45/48). La mémoire fessionnelle… Nous lui avons ainsi met à ces personnes de se débrouil-
de reconnaissance visuelle (test des exposé avec le plus de précautions ler dans toutes les situations de la
portes) est efficiente. possibles les résultats du bilan, et vie courante, au domicile ou à l’ex-
• En conclusion, nous avons mis en avons surtout insisté sur les pers- térieur. A l’âge adulte, les déficients
évidence des troubles cognitifs chez pectives d’avenir en termes de choix intellectuels légers peuvent bénéfi-
Monsieur D avec des séquelles de professionnels que ce bilan allait cier de l’insertion professionnelle
troubles spécifiques des apprentis- permettre en réduisant le risque avec un minimum d’aide, mais ont
sages. Il est également important d’échec et de souffrance. parfois besoin d’une supervision
d’intégrer le traumatisme crânien • La deuxième vignette concerne et d’une guidance, en particulier
subi à l’âge de 11 ans… Un dossier Monsieur D, 21 ans, qui se plaint de quand il existe une pression sociale
MDPH a été lancé à l’issue de cette sa mémoire et est en difficultés sco- et économique. Les problèmes
consultation afin de permettre une laires dans un centre de réinsertion les plus importants se situent au
prise en charge neuropsychologique professionnelle. Le but de la consul- niveau de l’autodétermination.
et ergothérapique. tation est double, à la fois diagnos- Ces sujets, relativement bien adap-
tique et professionnel. Nous avons tés dans un environnement connu,
Ces deux vignettes illustrent des mis en évidence des antécédents sont en effet plus en difficulté
situations fréquemment rencon- traumatiques (TC), des troubles lorsqu’il faut prendre des initia-
trées en consultation mémoire du des apprentissages multiples et des tives et des décisions. n
jeune adulte. troubles cognitifs associés avec des
• La première, qui concerne difficultés d’adaptation. La descrip- Mots-clés : Retard mental, Adulte,
Melle V, amène la découverte d’un tion des troubles permet de faire Déficience intellectuelle, Déficit du
retard intellectuel léger, diagnostic comprendre à ce jeune homme comportement adaptatif, QI, Echelle de
Vineland, Bilan neuropsychologique
tardif qui ne peut être formellement la raison de ses échecs scolaires
posé. Comme souvent, nous nous et d’essayer de l’orienter vers une
rendons compte combien il est dif- structure adaptée à ses difficultés. Bibliographie
1. Grossman HJ. Classification in mental re-
ficile de retracer le passé d’une pa- Une prise en charge pluridiscipli- tardation. Washington, DC : American Asso-
tiente de 24 ans de manière précise ; naire lui est conseillée, notamment ciation on Mental Retardation, 1983.
2. Lussier F, Flessas J. Neuropsychologie de
certains “blancs” sur ses étapes psychologique et neuropsycholo- l’enfant. Troubles développementaux et de
développementales demeurent gique dans un premier temps. l’apprentissage. Dunod, 2001.

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Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

3 Dyslexie diagnostiquée
tardivement
Les troubles des apprentissages et/ou
psychopathologiques durent toute une vie...
n Il n’est pas rare d’être confronté, en consultation neurologique chez l’adulte, à des dys-
lexiques qui s’ignorent porteurs de ce trouble car ils ont pu le compenser, mais aussi à des
sujets qui se savent dyslexiques, ont été pris en charge et ont surmonté leurs difficultés ou au
contraire ont fui les apprentissages scolaires, en raison d’une confrontation systématique à
l’échec. Aurélie Richard-Mornas

Savoir y penser gagière. Notamment, il arrive que DYSLEXIE : Définition


Les troubles des apprentissages et/ des sujets se plaignent d’emblée «  Déficit durable et significa-
ou psychopathologiques durent davantage de chercher leurs mots tif du langage écrit qui ne peut
toute une vie... Il est donc important, que de leur mémoire. Nous allons s’expliquer par une cause évi-
lorsqu’on réalise une évaluation ainsi orienter notre interrogatoire dente. » Cette définition, retenue
cognitive chez un adulte, de s’y inté- sur ce trouble, puis proposer au pa- par l’Agence Nationale d’Accré-
resser dans la recherche des antécé- tient une batterie d’évaluation du ditation et d’Evaluation en San-
dents. Les patients qui ont ce type de langage oral et écrit. Cependant, té, permet de regrouper sous le
troubles anciens, soit se connaissent il est également indispensable même terme des troubles tou-
comme porteurs de ces difficul- de connaître le développement chant spécifiquement l’appren-
tés et nous en informent lorsqu’ils acquis par la personne du langage tissage et l’usage de la lecture,
consultent pour une plainte cogni- écrit et oral pour interpréter cor- mais dont les symptômes sont
tive, soit au contraire ne nous les rectement ce bilan langagier. différents. La dyslexie est bien un
signalent pas car ils ne pensent pas déficit, inscrit dans la Nomencla-
que cet antécédent a une impor- Orienter l’interrogatoire à la re- ture Française des Déficiences,
tance pour la plainte actuelle. cherche de troubles des apprentis- Incapacités et Handicaps. Les
Malheureusement, dans notre sages n’est pas toujours aisé chez ministères de la Santé et de
pratique clinique, nous occultons des adultes dont les souvenirs l’Education nationale consi-
ou sous-estimons souvent cet an- d’enfance sont parfois lointains dèrent une population de 4 à 6 %
técédent, alors qu’il peut avoir des (étapes de leur développement d’enfants dyslexiques comme
conséquences sur l’interprétation psychomoteur  ? parcours sco- “plausible”, soit en moyenne un
du bilan neuropsychologique. laires  ? etc.). Même chez le jeune enfant par classe.
adulte (entre 18 et 30  ans), mal-
En consultation spécialisée de la gré l’aide des parents, cette quête Les causes fréquentes de retard
mémoire chez l’adulte, une des d’informations reste souvent d’apprentissage doivent être écar-
premières questions de notre incomplète. Le carnet de santé tées  : pas de déficience intellec-
entretien consiste à interroger le peut s’avérer une aide précieuse tuelle, une vision et une audition
patient sur sa plainte : celle-ci est pour retrouver des informations normales ou corrigées avec suc-
le plus souvent mnésique ou lan- oubliées. cès, une scolarisation régulière et

Neurologies • Févier 2015 • vol. 18 • numéro 175 51


dossier

adaptée, pas de carence éducative, inversions dans les groupes de ficultés et ont acquis un très bon
pas de trouble de la personnalité. lettres, des omissions, des ajouts, niveau socio-culturel. A l’inverse,
des reformulations approxima- certains ont fui les apprentissages
Il existe plusieurs types de dys- tives, des sauts de ligne. Il peut scolaires, en raison d’une confron-
lexie. confondre des lettres et des mots tation systématique à l’échec.
avec d’autres leur ressemblant
• La dyslexie “phonologique” étroitement. Il s’agit d’un trouble Les compétences et les lacunes des
L’enfant éprouve des difficultés à affectant l’attention nécessaire à sujets avec un trouble spécifique
associer une graphie à un son. l’activité de lecture. des apprentissages doivent être
Il lit de façon globale car il est ca- étudiées au cas par cas. Selon les
pable de mémoriser de nombreux Les enfants dyslexiques sont des personnes, le trouble sera :
mots (il pourra lire « oignon » s’il enfants normalement intelligents, • presque totalement compensé
l’a déjà rencontré et mémorisé, qui ont bien compris la nécessité ou rééduqué ;
mais lira difficilement des mots d’apprendre à lire. Leurs capaci- • invalidant dans certaines tâches
composés de syllabes simples mais tés intellectuelles et leur envie ponctuelles (prise de note…) ;
peu fréquents dans la langue). d’apprendre peuvent masquer • invalidant dans les tâches élé-
La lecture de mots nouveaux est leurs difficultés. Si un enfant a de mentaires de la vie (rendu de mon-
source d’erreurs, le déchiffrage est bonnes capacités de mémorisation naie) ;
lent. L’apprentissage d’une langue des mots, mais des difficultés à faire • sévère, avec des difficultés d’ex-
étrangère apparaît difficile lorsque correspondre les sons aux lettres, pression…
celle-ci est “opaque” (comme l’an- il peut compenser en écrivant de
glais, plus particulièrement), car il mémoire et en s’efforçant de lire de L’orientation professionnelle se
est nécessaire de bien percevoir et nombreux mots pour les retenir. situe dans un champ très large al-
mémoriser les nouvelles sonorités lant du milieu ordinaire à l’accueil
pour les écrire et les lire. C’est pourquoi il arrive que des en établissement médico-social.
enfants ne soient dépistés que Ces sujets ont un ou plusieurs do-
• La dyslexie “de surface” tardivement, car la seule mémo- maines de compétence qui, quelle
L’enfant déchiffre bien les mots, risation de mots ne suffit plus pour que soit l’importance du trouble,
dans la mesure où ils sont com- lire à partir du moment où : ne doivent pas être minorés.
posés de syllabes régulières (m et • les apprentissages se scindent en
a = ma). Il n’a pas de difficulté pour matières ;
associer une graphie à un son. En • l’enfant doit prendre des notes ; Questionnaire de
revanche, il ne mémorise pas • l’écrit est le seul mode de présen- dépistage de troubles
ou peu l’orthographe des mots tation de tous les apprentissages ; des apprentissages
entiers (phare, chorale, maintien, • le vocabulaire utilisé devient de Devant une plainte langagière
par exemple). Sa lecture est lente, plus en plus spécifique ; chez l’adulte, nous devons penser à
car il procède toujours en décom- • l’enfant est confronté à la néces- rechercher systématiquement un
posant les mots par segments. sité d’écrire de nouvelles sonorités antécédent de trouble spécifique
L’accès au sens est perturbé, car avec le même système orthogra- du langage écrit  : dyslexie, dysor-
l’enfant ne saisit pas les nuances phique en apprenant une langue thographie.
induites par l’orthographe. Ce étrangère… Afin d’aider à identifier ce trouble
type de dyslexie est très rarement que certains sujets ignorent pré-
observé pur. Ainsi, il n’est pas rare d’être senter, nous proposons de faire
confronté, en consultation neuro- un entretien dirigé. Nous propo-
• La dyslexie “visuo- logique chez l’adulte, à des sujets sons quelques questions à poser
attentionnelle” dyslexiques qui s’ignorent por- au patient en consultation pour
L’enfant possède une bonne mé- teurs de ce trouble car ils ont pu évaluer la possibilité d’un trouble
moire de l’orthographe des mots le compenser depuis plusieurs spécifique des apprentissages du
et est capable de transcrire les années. Nous rencontrons éga- langage (Encadré p. 53). Nous utilisons
sons en lettres. Le type d’erreurs lement des sujets qui se savent nous-même ce questionnaire de
rencontrées dans ce trouble dyslexiques, qui ont été pris en repérage en consultation spéciali-
dyslexique correspond à des charge, ont surmonté leurs dif- sée de la mémoire de l’adulte.

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Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

Deux exemples...
Pour illustrer l’importance d’éva- Questionnaire de dépistage
luer la présence de troubles d’ap- de troubles des apprentissages
prentissage du langage (dyslexie)
• A quel âge avez-vous exprimé vos premiers mots ?
chez un adulte avec une plainte
Vos premières phrases ?
langagière, voici deux vignettes
• A quel âge avez-vous acquis la marche ?
cliniques.
• A quel âge avez-vous été scolarisé ? Avez-vous eu une bonne
adaptation scolaire ? Avez-vous redoublé ?
• Comment qualifiez-vous votre interaction avec vos parents
Vignette 1 et avec des étrangers ?
séquelles de retard • Au CP, à quelle période la lecture a-t-elle été acquise (début du
de langage 2e trimestre) ? Avez-vous eu des difficultés de compréhension ?
et de dyslexie- D’expression ?
dysorthographie • Acquisition du langage écrit (confusion de lettres) ? Dictée ?
• Aimez-vous lire ? Ecrire (orthographe) ?
Madame C, 25  ans, infirmière
• Avez-vous reçu une prise en charge en orthophonie ?
diplômée d’Etat depuis 2010,
• Quelle est votre latéralité (gaucher ou droitier ?)
consulte à la demande du méde-
cin du travail pour difficultés de
mémorisation et de concentra-
tion signalées dans son service dysorthographie. Elle présente mesure où l’intelligence globale
(bloc opératoire). Elle présente une pauvreté lexicale, associée à est préservée. Cependant, il en-
des séquelles de dyslexie-dysor- une difficulté à traduire sa pen- traîne une charge cognitive im-
thographie. sée en langage. Les difficultés portante dans la vie quotidienne
Mme C est tout-à-fait consciente en lecture concernent davantage puisque le sujet doit en perma-
de ses erreurs et tente toujours la phonologie. L’orthographe syn- nence mobiliser ses fonctions
de les corriger. taxique semble la plus déficitaire. cognitives par manque d’auto-
matismes. Ainsi, les situations
A l’entretien, Mme C explique Le bilan neuropsychologique de stress et un environnement
clairement ses difficultés sur ne met pas en avant de difficul- nécessitant une attention soute-
le plan professionnel  : elle a été tés cognitives majeures (de la nue majeure peuvent augmenter
formée “sur le tas” à un poste mémoire verbale ou visuelle, des les difficultés de Mme C et la fra-
d’IBODE et ne maîtrise pas tou- fonctions exécutives – capacités giliser.
jours les termes médicaux em- de flexibilité mentale, de logique,
ployés. Elle doit les noter pour de programmation, d’organisation
mieux les retenir, avec parfois des et de planification – des capaci- Cette première vignette clinique
erreurs. On note une anxiété im- tés attentionnelles, des capaci- de Mme C illustre la réalité du
portante liée en partie à la pres- tés visuo-constructives et du rai- monde du travail.
sion qu’elle doit gérer depuis la sonnement logique). Sur un plan Cette patiente connaît son trouble
remise en cause de sa titularisa- comportemental, Mme  C n’est développemental (dyslexie-dysor-
tion et de ses réelles capacités… pas dans la précipitation. On note thographie) qui d’ailleurs ne l’a pas
Elle a demandé sa mutation pour cependant une anxiété impor- empêché de valider sa formation.
être dans un service plus “routi- tante majorée par la pression de la Elle adapte son quotidien, et no-
nier”. La patiente a participé vo- situation de test, que Mme C gère tamment son travail, en fonction
lontiers à une évaluation linguis- assez bien dans l’ensemble. de ses difficultés. Cependant, dans
tique et neuropsychologique, elle un monde de plus en plus exi-
est restée concentrée ; toutefois, En conclusion, nous avons geant où l’on demande à chacun
elle a dû être souvent rassurée. transmis au médecin du travail d’aller de plus en plus vite, d’être
que le trouble développemental de plus en plus efficace, d’utiliser
Le bilan de langage montre que de  Mme  C ne l’empêche nulle- l’outil informatique (et donc
Mme C présente des séquelles de ment d’avoir une activité profes- l’écriture et la lecture rapide) en
retard de langage et de dyslexie- sionnelle traditionnelle dans la permanence et de tous manier les

Neurologies • Févier 2015 • vol. 18 • numéro 175 53


dossier

mêmes procédures au lieu de réali- études d’ingénieur en génie clima- trouble d’origine neurodégénéra-
ser des actions selon ses domaines tique, puis a travaillé à son compte tive débutant. Il est néanmoins
de compétences, certains sujets ne dans un bureau d’études sur le cli- important de les intégrer.
peuvent répondre à ces attentes. mat. Il a pris sa retraite en 2011. Un trouble progressif et foca-
C’est notamment le cas de cette lisé du langage peut être évoqué,
jeune femme qui, en raison de son Lors de la consultation, il parle notamment une aphasie logopé-
trouble développemental du lan- très vite d’un trouble des ap- nique, forme d’aphasie primaire
gage, a besoin de mobiliser plus de prentissages qui persiste. Il pré- progressive.
ressources cognitives pour arriver sente depuis très longtemps un
au même résultat qu’une personne léger manque du mot sur des
sans ce trouble, notamment dans séquelles de retard de parole et Cette 2e vignette clinique amène
toutes les procédures de trans- de langage, dyslexie-dysortho- réflexion sur la considération à
cription. Ainsi, dans des situations graphie. Ses difficultés se sont avoir des séquelles de troubles
de stress et d’attention soutenue, accentuées ces dernières années. des apprentissages, notamment la
ses difficultés se manifestent, ne Nous proposons au patient de dyslexie, chez une personne âgée
sont plus contenues et peuvent la réaliser un bilan neuropsycholo- qui se plaint de son langage avec
pénaliser. gique et de langage complet afin une aggravation progressive des
Le but de cette consultation et du d’expertiser sa plainte. troubles.
bilan neuropsychologique est de Existe-t-il une pathologie neuro-
confirmer la nature des difficultés Le bilan de langage met en évi- dégénérative focalisée débutante ?
que Mme C présente en s’assurant dence des difficultés linguis- Cette question reste ouverte et
du respect des autres fonctions co- tiques avec un manque du mot nous amène à la réflexion sui-
gnitives, afin de pouvoir rassurer la dans le langage spontané, des vante  : les troubles spécifiques
patiente et la guider dans le main- paraphasies phonémiques, une des apprentissages sont-ils un fac-
tien de son activité professionnelle. répétition perturbée pour les teur de vulnérabilité qui pourrait
Nous avons également attiré l’at- mots complexes et les phrases, conduire à une maladie neurodé-
tention de notre confrère médecin une compréhension écrite dé- générative ? n
du travail sur les aménagements ficitaire pour les phrases et
possibles à mettre en place au poste consignes complexes.
qu’occupe cette patiente.
Bibliographie
Le bilan neuropsychologique ne 1. Habib M. La constellation des dys. Bases
met pas en évidence d’anomalie, neurologiques de l’apprentissage et de ses
Vignette 2 notamment mnésique, praxique troubles. De Boeck, Solal, 2014.
2. Mazeau M. Neuropsychologie et troubles
Un aphasie ou gnosique. des apprentissages. Du symptôme à la réé-
ducation. Masson, 2012.
logopénique ?
En conclusion, l’interprétation du
Monsieur B, âgé de 69  ans, bilan de langage n’est pas aisée...
Mots-clés :
consulte en 2012 pour une plainte Il reste difficile de distinguer les
Dyslexie, Dysorthographie, Aphasie
de mémoire et de langage pré- séquelles de son retard de parole
logopénique, Adulte, Consultation
sente depuis 2003. et de dyslexie-dysorthographie,
mémoire, Langage écrit, Langage oral,
Ce patient a un très bon niveau notamment les difficultés de ré-
Troubles des apprentissages
socioculturel (niveau 3), a fait des pétition de mots complexes, d’un

54 Neurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175


Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

4 Dys, vulnérabilité
et dégénérescence ?
L’aphasie primaire progressive et les dégénérescences
fronto-temporales comportementales
n Mesulam a suggéré que les patients présentant une APP sont plus souvent dyslexiques. Le
diagnostic clinique de DFTvc n’est pas toujours aisé et certains symptômes neuropsychia-
triques et modifications comportementales peuvent être ignorées. Enfin, dans certaines phé-
nocopies de DFTc, il existe une expression de troubles psychiatriques atypiques touchant des
adultes d’âge avancé.  Aurélie Richard-Mornas

L
es pathologies neurodé- l’imagerie morphologique et fonc- drome démentiel, après 5 à 11 ans
génératives démentielles, tionnelle. de suivi. Plus d’une centaine de cas
dont les plus fréquentes ont ensuite étayé l’individualité de
sont la maladie d’Alzheimer et les On distingue des troubles : tels tableaux.
démences frontotemporales, sont • du langage (aphasie primaire
caractérisées par l’apparition pro- progressive) ou de la parole (anar- Trois critères fondamentaux
gressive de troubles de la mémoire thrie progressive) ; furent par la suite soulignés :
et d’autres fonctions cognitives • des fonctions gestuelles (apraxie 1. une détérioration progressive
ainsi que de modifications com- progressive) ; du langage ou de la parole supé-
portementales. En 1892, Pick [1] a • de la mémoire sémantique (dé- rieure à 2 ans ;
décrit des cas d’aphasie isolée as- mence sémantique) ; 2. la préservation des activités
sociée à une atrophie circonscrite • de la mémoire épisodique (am- quotidiennes ;
des aires du langage. Ces travaux nésie dégénérative isolée) ; 3. la conservation relative des ca-
furent oubliés mais réactualisés • ou des fonctions visuelles éla- pacités cognitives non verbales.
en 1982, après la description par borées (troubles visuoperceptifs
Mesulam de tableaux d’aphasies et visuospatiaux du syndrome de La définition de ce syndrome a
progressives dégénératives long- Benson). nécessité la description de critères
temps isolés, sans démence ou diagnostiques. Plusieurs auteurs
avec démence tardive [2]. Nous nous intéresserons parti- ont défini ces critères, en com-
Depuis, différents syndromes cor- culièrement à l’aphasie primaire mençant par Neary et al. en 1998
ticaux focalisés progressifs ont été progressive. [4], jusqu’à récemment Gorno
individualisés. Ils sont caracté- Tempini et al. [5] en 2011.
risés par la dégradation progres-
sive mais sélective d’une fonction L’aphasie primaire Trois formes cliniques
cognitive longtemps isolée d’un progressive Ces derniers critères de diagnostic
contexte démentiel selon les cri- Le syndrome d’aphasie primaire distinguent au sein du syndrome
tères habituels. progressive (APP) a été décrit par d’APP, trois formes cliniques  :
Ces affections dégénératives Mesulam [3] chez six patients pré- l’APP non fluente/agrammatique,
correspondent à une atrophie sentant un trouble du langage pro- la forme sémantique et la forme
corticale focale objectivée par gressif et isolé, en l’absence de syn- logopénique.

Neurologies • Févier 2015 • vol. 18 • numéro 175 55


dossier

• L’aphasie logopénique (AL) du langage dégénératifs nœuds, de vulnérabilité moindre


Elle affecte la jonction temporo- isolés ont-ils une variabilité et variable, pourraient permettre
pariétale gauche, se traduisant neuropathologique d’expliquer la progression de la
principalement par un manque différente ? maladie vers différents foyers, et
du mot, des paraphasies pho- Afin d’essayer de répondre à ces notamment pourquoi certaines
némiques dans le langage spon- questions, Rogalski et al. [7] ont maladies diffusent largement et
tané et en dénomination, et par rapporté une surreprésentation d’autres restent pour toujours fo-
des troubles de la répétition des de troubles des apprentissages calisées.
phrases. du langage chez des patients APP
et chez leurs ascendants au pre- La dyslexie
• L’APP non fluente/ mier degré. Mesulam et al. [8] La dyslexie développementale
agrammatique (APNFA) soulignent une nouvelle fois que reste le trouble des apprentissages
Elle touche le gyrus frontal pos- les troubles de l’apprentissage le plus fréquent. On démontre,
téro-inférieur gauche entraînant sont un facteur de vulnérabilité chez ces enfants, des modifica-
une “apraxie de la parole”  (dis- qui pourrait conduire une maladie tions structurales des fibres de
cours hésitant, demandant un ef- dégénérative à se focaliser sur un substances blanches, de l’archi-
fort, avec des erreurs phonétiques réseau déficient, sans en préciser tecture de la substance grise et des
et des déformations) et un agram- la fréquence. anomalies métaboliques en TEP
matisme. cérébrale. Notamment, certains
L’idée principale est que ces ma- auteurs décrivent un hypomé-
• L’aphasie sémantique (AS) ladies débutent à un endroit-clé tabolisme de la région temporo-
Elle est associée à une atrophie du pour diffuser ensuite dans les pariétale gauche, le plus souvent
lobe temporal antérieur gauche réseaux neuronaux où la protéine dans le gyrus temporal postérieur,
responsable de troubles séman- s’est déposée, à la façon peu ou le sillon temporal supérieur et le
tiques. prou d’une maladie à prion. Reste gyrus angulaire.
à comprendre le pourquoi de la Mesulam a suggéré que les pa-
La pertinence de ces critères localisation de départ et à la visua- tients présentant une APP sont
pour la prédiction de la neu- liser ou la modéliser. plus souvent dyslexiques (28 %),
ropathologie a récemment été L’utilisation couplée de tech- et il pourrait exister un terrain
suggérée. niques d’imagerie (IRMf, MEG, génétique en raison d’une prédo-
Leyton et al. [6] montrent, sur EEG, IRM en tractographie) minance masculine (87  %). Ceci
40  cerveaux de sujets ayant pré- peut permettre de visualiser ces suggère une éventuelle vulnérabi-
senté une APP, que le marquage réseaux et de définir les “nœuds” lité génétiquement programmée
des plaques amyloïdes par le PIB anatomiques qui constituent des de l’hémisphère gauche.
en PET-scanner (un des mar- épicentres de la dégénérescence.
queurs de la maladie d’Alzheimer) Chaque nœud aurait une vulné- Des travaux récents suggèrent
est positif 12 fois sur 13 chez les rabilité particulière, liée à des que des facteurs neurodéveloppe-
patients avec AL, seulement 2 fois facteurs génétiques, environne- mentaux contribuent à une sus-
sur 8 dans l’APNFA, et 1 fois sur 9 mentaux et/ou au fonctionne- ceptibilité pour certains patients
dans l’AS. L’AS est le plus souvent ment cérébral au long de la vie (on à présenter des pathologies neuro-
secondaire à une forme locale de retrouverait peut-être ici l’expres- dégénératives.
dégénérescence fronto-temporale sion de la vulnérabilité due aux Miller et al. [9] ont étudié, chez
(DFT). La répartition des patho- troubles du développement ou de 189 patients avec une APP, la pré-
logies est toutefois différente dans la protection du bilinguisme dans valence des troubles des appren-
des travaux plus récents, avec par l’APP). Le type de la maladie pour- tissages dans les trois formes
exemple seulement 65  % d’AL en rait être en lien avec « la biologie et d’APP. Ils montrent qu’il y a plus
lien avec des lésions de MA. la génétique » du sujet. de dyslexiques dans l’APP logopé-
Le défi est d’identifier, pour chaque nique : 25 % contre 5-10 % atten-
Pourquoi des maladies maladie (voire chaque sujet), le dus (p  <  0,001). Les troubles des
habituellement diffuses ont- nœud à partir duquel débute la apprentissages (dyslexie) favo-
elles un tropisme focalisé ?   maladie. Les connexions qu’en- riseraient ainsi une vulnérabi-
Et pourquoi ces troubles tretient ce nœud avec d’autres lité sélective pour la pathologie

56 Neurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175


Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

d’Alzheimer qui est le plus souvent logies et de différents critères utili- n’est pas toujours aisé et repré-
observée dans l’APP logopénique. sés pour le diagnostic. sente parfois un véritable chal-
lenge  ! Certains symptômes neu-
Ces cas d’APP logopénique A l’heure actuelle, la maladie dé- ropsychiatriques et modifications
dyslexiques sont associés à un crite par Pick s’intègre dans un comportementales, notamment
début plus précoce, des troubles ensemble de pathologies regrou- quand elles sont subtiles, peuvent
langagiers plus isolés et une atro- pées dans le concept d’atrophies être ignorées ou attribuées dans la
phie plus focalisée de la jonction lobaires frontotemporales (ou moitié des cas à la révélation d’un
temporo-pariétale gauche. Cette démences lobaires fronto-tem- trouble psychiatrique de novo…
région cérébrale est, comme nous porales, DLFT). Ces pathologies Les nouveaux critères diagnos-
l’avons décrit précédemment, éga- regroupent : tiques de Rascovsky et al. nous
lement impliquée dans la dyslexie • la démence frontale variant com- aident dans notre démarche dia-
développementale. Ceci suggère portemental (DFTvc) ; gnostique, notamment dans ces
une susceptibilité du même ré- • les aphasies primaires progres- cas difficiles.
seau neuronal dans l’AL et la dys- sives ;
lexie. De plus, la mise en évidence • et la démence sémantique. Les phénocopies
d’une proportion plus importante Ces auteurs ont également intro-
de dyslexiques dans l’AL soulève la En ce qui concerne la DFTvc, duit les cas de “phénocopies”, ce
possibilité qu’ils représentent une forme la plus fréquente des DLFT, sont des patients aux symptômes
forme différente d’AL, résultant de les critères proposés par Neary et cliniques semblables aux DFTvc,
la vulnérabilité de ces patients à al. en 1998 [10] sont apparus insuf- mais qui n’évoluent pas vers une
développer une maladie d’Alzhei- fisants, en particulier pour les dis- démence. Ces patients ont une
mer. Des études complémentaires tinguer des pathologies psychia- imagerie cérébrale normale, ils
sur le profil génétique de ces pa- triques. De plus, l’apparition de préservent l’intégralité de leurs
tients, le développement de leurs nouvelles données en imagerie et activités de vie quotidienne et
structures cérébrales et de leur génétique a contribué à la propo- leurs performances cognitives
métabolisme cérébral sont néces- sition de la révision de ces critères. s’améliorent à mesure du suivi
saires pour éclaircir ce point. neuropsychologique.
Les nouveaux critères L’étiologie de ce syndrome reste
de Rascovsky et al. inexpliquée. On émet l’hypothèse
Les dégénérescences Rascovsky et al. [11], en utilisant que, parmi ces cas de phénoco-
fronto-temporales une méthodologie particulière à pies, il existe une expression de
comportementales partir de banques de cerveaux, ont troubles psychiatriques atypiques
La démence frontale à variant proposé de nouveaux critères, en touchant des adultes d’âge avancé.
comportemental (DFTvc) est 2011. Sur le même mode que ce qui On évoque des troubles bipolaires
la deuxième cause de maladie a été fait dans la maladie d’Alzhei- et des dépressions de début tardif,
démentielle dégénérative. Elle mer, ils ont proposé un classement des psychoses de type “schizo-
concerne des sujets de moins de en fonction du critère de certitude phrénie-like” d’apparition tardive,
70 ans dans deux tiers des cas. diagnostique  : maladie possible, des troubles de déficit d’attention
probable ou certaine. avec ou sans hyperactivité chro-
Elle est caractérisée par la surve- niques, des troubles obsessionnels
nue progressive de troubles du Parmi ces critères, figurent des et compulsifs, un alcoolisme chro-
comportement et de langage, sans modifications comportementales nique et l’exacerbation de troubles
trouble praxique et gnosique. Les telles que : de la personnalité préexistants.
troubles de mémoire sont généra- • la désinhibition ;
lement discrets, mais des anoma- • l’apathie ; Troubles psychiatriques :
lies de type hippocampique ne sont • la perte précoce d’empathie ; le TDAH
pas rares. • l’hyperoralité ; Pose et al. [12] ont décrit les
Depuis la première description cli- • ou encore des comportements troubles psychiatriques le plus fré-
nique par Pick en 1892, le concept impulsifs. quemment rencontrés dans cette
de démence frontale a évolué avec population, évoquant la possibi-
l’apparition de différentes termino- Le diagnostic clinique de DFTvc lité d’un syndrome de phénocopie

Neurologies • Févier 2015 • vol. 18 • numéro 175 57


dossier

ou d’une possible DFTvc. Ils ont fil dysexécutif des patients TDAH différentiel en consultation de la
notamment étudié le TDAH. est qualitativement - mais pas tou- mémoire de l’adulte.
Il n’est pas rare que ce trouble ait jours quantitativement - similaire
été négligé ou mal diagnostiqué au profil observé chez les adultes La littérature est plutôt pauvre
dans la petite enfance. Bien que avec des lésions du lobe frontal. concernant le vieillissement de
l’expression du TDAH chez les ces patients atteints de TDAH ;
adultes ressemble à l’ensemble des De plus, des corrélations avec des d’autres études sont nécessaires
symptômes identifiés plus tôt dans troubles de la cognition sociale pour clarifier cette question. n
l’enfance, les signes cliniques sont ont été fréquemment observées
influencés par les changements chez les DFTvc (par exemple le
Mots-clés :
qui se produisent en vieillissant. traitement des visages et la prise
Aphasie primaire progressive, Apha-
Outre les difficultés mises en évi- de décision) et également dans
sie logopénique, Aphasie non fluente/
dence dans les tests neuropsycho- le TDAH. Certains patients at-
agrammatique, Aphasie sémantique,
logiques qui évaluent l’attention, teints de TDAH non diagnosti-
troubles des apprentissages du
les adultes atteints de TDAH ont qués dans l’enfance le sont à l’âge
langage, Dyslexie développementale,
des troubles plus sévères des fonc- adulte lorsqu’ils commencent
Démences, Dégénérescences fronto-
tions exécutives, entre autres pour à se plaindre de modifications
temporales comportementales,
la planification, la mémoire de tra- cognitives et comportementales.
Critères diagnostiques, Phénocopies,
vail, la résolution de problèmes, la Néanmoins, ce trouble est sou-
TDAH
flexibilité et l’anticipation. Le pro- vent négligé comme diagnostic

Bibliographie
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58 Neurologies • Février 2015 • vol. 18 • numéro 175
Troubles neuro-développementaux/comportementaux à l’âge adulte

CONCLUSION
Le rôle du neurologue...

L
e rôle du neurologue face lité de Travailleur Handicapé). Chaque fois que nécessaire, il
aux troubles cognitifs ou Cette reconnaissance permet aux conviendra d’accompagner les su-
comportementaux du dé- écoliers et aux étudiants, selon le jets du point de vue psychologique,
veloppement est multiple. niveau du handicap, l’aménage- notamment par des psychothéra-
ment des cours et des examens pies ciblées. Là encore, un travail
• Il doit, comme nous l’avons (tiers temps). Il est conseillé sur d’information en aval doit être fait.
vu, bien interroger le sujet sur le formulaire de préciser dans l’es-
son parcours et son histoire de pace libre prévu à cet effet cette de- • Enfin, point non négligeable,
vie. Ensuite, il doit – et ce n’est pas mande. Concernant le travail, une il faut traiter sans les négliger
la question la plus facile – savoir orientation en milieu ordinaire ou les nombreuses comorbidi-
où adresser les sujets pour un une RQTH pourra être aménagée. tés. Il s’agit d’un vrai défi que de
complément d’expertise  : bilan Le dossier doit être accompagné comprendre les développements
orthophonique, réalisation d’une d’un “projet de vie” rédigé par le particuliers, les repérer plus tôt,
psychométrie ou d’un QI, avis psy- bénéficiaire. ne pas les négliger tardivement. Il
chiatrique, etc. Troisièmement, le Il est prudent d’orienter ces per- convient de plus, pour les neurolo-
médecin énonce le diagnostic en sonnes vers des professionnels gues d’adultes, de s’organiser afin
tenant compte des dernières don- (souvent des assistantes sociales) de savoir comment prendre le re-
nées de la littérature sur la vulné- pour rédiger ce document. Faut- lais pour suivre des sujets diagnos-
rabilité, les réserves cognitives et il tout de même que ceux-ci aient tiqués pendant leur enfance… et
la plasticité, etc., car son patient y les données et les connaissances sortant des filières pédiatriques à
a potentiellement accès sur inter- nécessaires pour épauler les de- 18 ans, alors que leur scolarité n’est
net, sans filtre, sans explication, mandes. pas finie et leur parcours sociopro-
sans guide. Enfin, il connaît, pour fessionnel à construire.
l’utiliser dans d’autres situations, • Concernant la prise en charge
le dossier MDPH, et surtout ce que tardive, on peut parfois conseil- Enfin, il convient de réinvestir le
permet ce dispositif. ler de prendre l’avis d’un réé- neurodéveloppement au regard
ducateur, mais ce d’emblée avec des données neuroscientifiques
• Les dys sont reconnues des objectifs raisonnables, et en actuelles telles que la plasticité
comme une situation de handi- tenant compte de l’attente et des ou la vulnérabilité et, ainsi, de se
cap. Il y a alors une étape à fran- demandes du sujet. Cette prise en ré-intéresser à la vieille notion de
chir  : celui du handicap, terme charge est particulièrement inté- terrain hippocratique, à la lumière
difficile à entendre. Rappelons que ressante pour la mise en place de des neurosciences. n
le dossier MDPH ouvre droit à la moyens de compensation (p.ex.
RQTH (Reconnaissance de la Qua- pour un maintien à l’emploi). Catherine Thomas-Antérion

Neurologies • Févier 2015 • vol. 18 • numéro 175 59

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