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18/09/21, 14:01 Kostas Axelos et la pensée planétaire - Philippe Sollers/Pileface

Kostas Axelos  : «  Je ne me considère pas comme un intellectuel, c’est-à-dire


comme quelqu’un qui donne son avis sur toutes les choses à longueur de jour et
de nuit. J’ai des préférences personnelles en ceci, en cela, mais ce que je pense
et ce que j’essaie de faire, tout en m’adressant, pour reprendre un mot de
Nietzsche, « à tous et à personne », ne peut que rester souterrain et exercer, si ça
doit jamais l’exercer, un pouvoir invisible plutôt que visible. D’ailleurs, pour le dire
en une formule, ce n’est pas l’homme qui pense, c’est la pensée qui pense
l’homme.
Tout enfants, mon frère et moi avions une gouvernante allemande qui nous mettait
au lit, et chaque soir, en éteignant la lumière, elle disait : « encore un jour qui ne
reviendra jamais. » Ça nous plongeait dans une sorte d’étonnement : comment un
jour peut-il ne pas revenir, je devais avoir quatre, cinq ans à l’époque, et j’ai
toujours encore cette impression du jour qui ne revient pas, et un pressentiment
qu’avec le temps, il y avait problème. Qu’est-ce que c’était hier, qu’est-ce que
c’était aujourd’hui ? Qu’est-ce que ça sera demain ? » (arte.tv/fr)

Kostas Axelos n’était pas un «  intellectuel  ». Ce n’était pas non plus un


« philosophe », ni un « écrivain », ni un « poète », au sens convenu de ce mot.
Mais alors quoi ? Un penseur, et, donc, un excellent lecteur.

C’est en 1965 qu’un vieux professeur assez atypique me prête  Vers la pensée
planétaire, que Kostas Axelos a publié l’année précédente aux Éditions de Minuit.
J’ai 19 ans, je suis en hypokhâgne, les cours de philo m’ennuient. Enfin une
pensée claire, lumineuse, intempestive  ! «  Connaître  la pensée planétaire
équivaudrait à méditer et à expérimenter. Quelle est la place de la méditation dans
un temps qui ne laisse plus beaucoup de temps au Temps  ?  », se demande
Axelos dans son Introduction de mars 1963. 
Le long texte sur Rimbaud et la poésie du monde
planétaire, furieusement annoté,
m’enchante. Le livre achevé (je l’ai gardé  !), je me plonge dans la lecture
de  Héraclite et la philosophie  [1]  et de  Marx, penseur de la technique  [2]  : le
monde s’ouvre. Et la bibliothèque. J’ignore alors que Kostas Axelos dirige la
collection « Arguments » (après avoir dirigé la revue éponyme [3]), mais j’achète
Bataille (L’érotisme), Morin (Le cinéma ou l’homme imaginaire), plus tard Blanchot
(Lautréamont et Sade), Lefebvre, Marcuse [4]...

Conférence
Je n’ai jamais vu Kostas Axelos, ni entendu sa voix. L’occasion m’en est donnée le
18 novembre 2009. Ce jour-là, à 16h, il fait, à Lille, une conférence dans le cadre
de la quinzaine « cité-philo » consacré aux « Usages du Temps » [5]. Axelos vient
de publier ce qui sera son dernier livre «  Ce qui advient. Fragments d’une
approche ». 

www.pileface.com/sollers/spip.php?article1056#section6 1/2
18/09/21, 14:01 Kostas Axelos et la pensée planétaire - Philippe Sollers/Pileface

La conférence porte sur «  Quelques mots-clés de la pensée intempestive du


temps du monde  ». Axelos y expose les termes qui scande sa pensée et, par
exemple, le mot « amicalité  » qu’il définit comme «  l’ouverture à soi, l’ouverture
aux autres, l’ouverture au Monde, sans possession ni appropriation  », «  pensée
intempestive, inactuelle, pas au goût du temps ».
«  Le temps  »  : «  Le temps comporte de l’intempestivité. Ce n’est ni une
succession d’instants, ni l’éternité.  » «  Le jeu spatio-temporel du monde est la
synthèse du temps linéaire et du temps circulaire.  » «  Le Temps et le Jeu sont
synonymes. »
La philosophie aujourd’hui ? « Érudition ou bavardage journalistique. »
La pensée ? « Héraclite en Grèce, Lao tseu en Chine, sont des penseurs, pas des
philosophes.  » «  La pensée existait avant la philosophie.  » «  Après Hegel et le
système, Marx, Nietzsche, Kierkegaard, Heidegger sont des penseurs, pas des
philosophes. »
Le Jeu  ? «  Chez Marx, le travail s’oppose au jeu.  », Nietzsche, Heidegger
(«  l’essence de l’Être est le Jeu même  »  [6]), Eugen Fink («  Le jeu comme
symbole du monde »), Axelos (« Le Jeu du Monde »).

Kostas Axelos écrivait déjà en 1958 :

« Le Jeu n’est pas définitif, n’est pas le dernier mot. Il se pourrait même que le jeu
ne soit qu’un des jeux du Temps ou que le temps lui-même ne soit qu’une des
parties que joue "le" jeu. » [7]

et en 1963 :

« Le jeu qui tient liés homme et monde est le temps. Qu’est-ce que le Temps ? Le
rythme errant qui porte et emporte tout ce qui est. Plus que dans le temps, l’Être
est le temps et le temps "est" l’Être. A son omnitemporalité ne s’oppose aucune
éternité. Il n’est ni rectiligne et progressif, ni circulaire et répétitif, ni une
succession d’instants ou de moments, ni une pure durée qui coule. Son
commencement est insaisissable et sa fin imprévisible. » [8]

*
Kostas Axelos est mort le 4 février 2010 à Paris. Il avait 85 ans.

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