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Dans un texte rédigé, vous devrez, à partir des documents p.

172-173 et de l’article :
• Présenter Lagos : pays (localisation+superficie+habitants), localisation dans le pays, nombre
d’habitants.
• Montrer qu’on peut distinguer différents types de paysages urbains à Lagos et expliquer comment
elle est organisée.
• Montrer que Lagos est un pôle économique très important mais qu’elle est marquée par de fortes
inégalités.

Nigeria : à Lagos, « c’est un crime d’être pauvre ! »


Dans la mégapole, les gratte-ciel côtoient des bidonvilles menacés de destruction. Un
symbole des inégalités qui déchirent le pays.

A Makoko, l’eau est noire, redoutable. Il faut emprunter de petits ponts confectionnés avec des
planches de bois pour éviter tout contact avec elle. Parfois les pieds s’enfoncent dans des amas
de déchets, c’est désagréable, mais toujours mieux que de les plonger dans cette eau charriant
les détritus et les rejets d’égouts de Lagos. Au sein de la mégapole nigériane, construite sur des
marais inondables, plus de 300 000 âmes hantées par la montée des eaux survivent dans ce
quartier devenu le plus grand bidonville flottant du monde.

Makoko, c’est une Venise version postapocalyptique. Les habitants s’y déplacent dans des
barques de fortune. Les baraques en bois et en tôle tiennent vaguement sur des pilotis. Pas
d’eau potable ni d’électricité. Ici, les toilettes sèches ont fini englouties sous les tonnes d’ordures
qui s’amoncellent jour après jour, tantôt brûlées, tantôt rejetées à la mer. Un lieu où les enfants,
beaucoup d’enfants, jouent pieds nus.

Il est loin, le Lagos clinquant des golden boys nigérians, la vitrine éclatante du pays, ses
milliardaires, ses 4 × 4 de luxe et ses panneaux publicitaires géants. Dans cette ville de
20 millions d’habitants – peut-être plus, peut-être moins, les statistiques fiables sont rares au
Nigeria –, les gratte-ciel font de l’ombre aux bidonvilles. Les îles artificielles sur le lagon
concentrent les quartiers riches, où des villas s’arrachent pour des dizaines de millions de
dollars. Et les pauvres s’entassent dans les bidonvilles qui tapissent le littoral continental. « A
Lagos, c’est marche ou crève », lance un jeune entrepreneur bouillonnant. « C’est un crime
d’être pauvre !, rétorque John, originaire de Makoko. Si l’on veut survivre ici, il ne faut surtout
pas le montrer. »

« Toujours plus de place aux riches »


Mais on ne peut pas les effacer, ces millions de démunis de Lagos. Ils sont même assez
emblématiques d’une situation de plus en plus critique au Nigeria, champion des inégalités.
Dans le premier pays producteur de pétrole d’Afrique, en pleine explosion démographique, plus
de 112 millions d’habitants (sur environ 190 millions) sont en situation de pauvreté, selon
Oxfam. « La richesse cumulée des cinq plus grandes fortunes du pays – 29,9 milliards de
dollars [soit plus de 26 milliards d’euros] – pourrait mettre fin à la pauvreté à l’échelle nationale ;
or 5 millions de personnes souffrent de la famine », rappelle l’ONG.

Comme si cette situation n’était pas assez difficile, des bidonvilles sont aujourd’hui menacés de
destruction. « Le gouvernement nous a abandonnés, il veut se débarrasser de nous pour
donner toujours plus de place aux riches », murmure Samuel Akinrolabu, en hochant la tête. Ce
coordinateur de la Fédération nigériane des bidonvilles et de l’habitat informel se bat pour
arrêter la démolition de baraques installées sur des terrains appartenant à l’Etat, comme
Makoko. Il profite de la période électorale pour essayer de réunir 2 000 signatures en bas d’une
pétition.

« Le Dubaï de l’Afrique »

La plupart des quartiers menacés sont d’anciens villages de pêcheurs, installés au bord de la
lagune depuis des générations et aujourd’hui dévorés par l’urbanisation effrénée. « L’Etat de
Lagos réalise son rêve : faire de cette cité une ville-monde en exterminant tous ceux qui n’ont
pas les moyens d’en faire partie », déplore M. Akinrolabu. Avec des centaines de nouveaux
arrivants chaque jour – « 21 par heure » selon l’architecte Rem Koolhaas –, la métropole
explose. On construit à tour de bras : toujours plus de bicoques dans les bidonvilles, quitte à les
poser sur l’eau, toujours plus de tours aux loyers hors de prix.

En 2007, le Chagoury Group, piloté par une riche famille d’origine libanaise, s’est même lancé
dans un projet fou : construire une ville privée dans la ville, « le Dubaï de l’Afrique ». Avec le
soutien du gouvernement local, la société veut créer une île artificielle à l’aide de millions de
mètres cubes de sable ponctionné dans l’océan. Un gigantesque projet immobilier comprenant
des logements pour 250 000 Lagotiens fortunés, et des bureaux à même d’accueillir 150 000
personnes. Onze ans plus tard, Eko Atlantic est toujours en chantier, retardé par la crise. Mais
d’ici peu, le quartier sera doté de centres commerciaux, d’une marina de luxe, d’écoles privées,
de cliniques, d’immeubles flambant neufs qui gratteront le ciel et même de verdure, loin du
chaos de Lagos.

Avant Eko Atlantic, des gens vivaient là, dans quelques centaines de bicoques installées au
bord de la mer. Abigail en était. « Les autorités sont venues, elles ont tout brûlé », raconte la
vieille dame, la voix tremblante. Les habitants n’ont pas été relogés. Les pêcheurs n’ont pas
tous retrouvé du travail. « C’est vrai, la terre ne nous appartenait pas mais on y vivait depuis si
longtemps ! Le gouvernement n’a rien fait pour nous, on a dû se débrouiller. » Abigail s’est
séparée de ses enfants, placés à droite à gauche chez des cousins et des tantes. Elle a
longtemps dormi dans la rue, traumatisée, comme beaucoup. « De toute façon, on ne fait pas
partie du programme des élections, et encore moins de l’APC [le parti au pouvoir]. Les
politiciens, tout ce qu’ils veulent, c’est gagner toujours plus d’argent », tranche la femme.

Ghalia Kadiri (envoyée spéciale à Lagos, Nigeria), 12 février 2019, dans Le Monde

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