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décembre 2008-février 2009 la revue d’
Inter-réseaux
Développement rural

La quête des terres agricoles


en Afrique subsaharienne

Le « Violet de Galmi » est-il


menacé ?

Investir dans la transformation


de céréales locales

Économies rurales :
au-delà de l’agriculture…
LeForum
dossier Des regards à renouveler

Malédiction cacaoyère et une difficile diversification


des revenus en Côte d’Ivoire
François Ruf (francois.ruf@cirad.fr) et Roger
Tanoh (ong_acvie@yahoo.fr)________________ D ans les années 80, les revenus monétaires des planteurs
de cacao dépendaient à 95 % du cacao. Depuis les an-
nées 2000, ces planteurs tentent de diversifier leurs revenus.
Mais les effets restent limités de par l’étroitesse du marché
et d’une politique économique de court terme aux effets tris-
tement classiques.

M
„ François Ruf est «   est originaire d’un secteur cacaoyer à la pompe à finance tures. C’est encore plus vrai dans un
économiste au village près de Bouaké, il des États et de la bourgeoisie d’État ². pays qui a connu un début de guerre
Cirad à l’UMR est arrivé en  dans no- Ces dernières années en Côte d’Ivoire, civile. Dans les années , la piste
Innovation. Roger tre village de Zamblekro. Il est devenu l’État prend près de , /kg. Selon le d’accès au village de Zamblekro, de
Tanoh est grand planteur de cacao, avec plus de cours mondial, le planteur ne reçoit  km, se parcourait en  heure en sai-
ingénieur agricole  ha. Dans les années , le cacao lui alors que , à , /kg. Depuis  son des pluies. En , il faut plus de
au sein de l’ONG permet de nous envoyer à l’école, de ans, les planteurs en Côte d’Ivoire n’ont  heures. Le cacao reste transportable
« Agriculture et construire une maison. Puis le prix du cessé de s’appauvrir (cf. graphe). Avec mais la vente de produits vivriers n’a
cycle de vie ». cacao chute, et les maladies déciment la chute du cours mondial, les arbres plus de sens économique. De même,
les cacaoyers. Cette année, malgré les et hommes vieillissant, cette ponction toute activité non agricole demandant
„ Autres articles traitements phytosanitaires par mes frè- de l’État devient criminelle. des déplacements vers les routes et les
sur le même res et moi, nous venons de perdre  ha. villes devient très difficile.
thème parus dans Nous replantons mais en saison sèche, Une diversification des activités
des numéros tous les plants meurent. Nous n’avons difficile. Face à ce piège de pauvreté, Faible développement des campa-
précédents de aucun revenu à part le cacao. Notre la diversification des activités devient gnes lié à la ponction de l’État. Sur
Grain de sel : papa est reparti au village natal. Malade vitale. La diversification agricole la plus la longue période, la Côte d’Ivoire a
Mbaye de la prostate il lui faut    F pour naturelle est celle des cultures vivriè- pu devenir un des pays phares de la
Mbengue. Une son opération. Á cause des mortalités res : pas de taxation directe et deman- sous-région grâce à des activités de
autre vie après des cacaoyers et du mauvais prix du de croissante avec le développement service en ville (banque, assurance).
l’agriculture : Des cacao, on n’a rien pu faire ». des villes ³. Une autre diversification Dans les campagnes, la ponction per-
femmes ont quitté agricole en marche en Côte d’Ivoire, manente des revenus agricoles bloque
les champs pour Le double piège du cacao et du poli- plus importante, est l’hévéa : la taxa- les investissements et les opportunités
devenir bouchères tique. Ce récit familial en Côte d’Ivoire tion sur cette filière reste encore faible non agricoles : au moment où il y en
ou fabricantes de résume le drame de bien des économies aujourd’hui… mais jusqu’à quand ? aurait le plus besoin, les opportuni-
briques. GDS nº cacaoyères. L’histoire est classique. Au Face à ces aléas sur la production tés d’emploi dans les campagnes en
(mars ) p. . début des hommes, pauvres et coura- et sur les prix, la diversification dans dehors de l’agriculture deviennent
Badji geux quittent leur village aux faibles des activités non agricoles parait quasi nulles.
Maharafa. Au ressources économiques et migrent essentielle. Dans le village de Zam-
Mali, tourisme vers les régions de forêt tropicale où blekro pourtant, la part des revenus Le prix du cacao, déflateur de revenus.
solidaire et le cacaoyer pousse bien. Le cacao, c’est non agricoles est très faible et inégale- Dans les années , bien des planteurs
développement la possibilité d’échapper à la misère, ment partagée : les planteurs d’origine Baoulé s’adonnent au tissage de pagnes,
rural vont de pair. de transmettre quelque chose à ses en- Baoulé (centre de la Côte d’Ivoire, près réputés. En , année de l’effondre-
GDS nº (nov. fants. Les - premières années, le de Bouaké) restent complètement dé- ment du prix du cacao, ils n’ont jamais
) p. . rêve se réalise. L’argent arrive. pendants d’un cacao en déclin, tandis pu les vendre. Ils ont vu que dans une
Puis le piège de la monoculture se que les planteurs d’origine burkinabé économie de monoculture, le prix de
referme. Au fil des ans, les cacaoyers diversifient un peu plus (autour de   la matière première joue le rôle de dé-
vieillissent, les sols s’appauvrissent, les de leur revenu ; cf. Tableau). flateur : si le prix du cacao s’effondre,
maladies apparaissent. Les hommes Plusieurs facteurs entravent les pro- il y a peu d’acheteurs pour ce qui ne
vieillissent aussi, ne peuvent plus soi- cessus de diversification et le dévelop- relève pas du minimum vital.
gner ni eux ni leurs arbres. Planteur et pement d’autres activités.
plantation suivent un même cycle de Un manque d’anticipation. Lorsque
vie. Retraite ruinée. Enfants en échec Dégradation des routes et abandon des familles de planteurs se sortent
aussi : la replantation du cacao est plus de l’État. La dégradation des routes de la misère grâce au cacao, il leur est
difficile à la génération suivante, le mi- et pistes est classique dans les éco- difficile d’anticiper la chute de produc-
lieu naturel étant dégradé ¹. nomies cacaoyères en déclin. L’État tion et du prix, pourtant classique dans
Les familles de migrants sont tra- prélève sur les revenus des planteurs l’histoire du cacao : un fait compré-
hies par leur dépendance au « cycle du mais n’investit plus dans les infrastruc- hensible chez les planteurs, mais plus
cacao ». Très souvent, ils sont trahis coupable chez les politiques.
aussi par la politique qui assimile le . État et bourgeoisie en Côte d’Ivoire. Y-
A. Faure et J-F. Médard. . Quelle diversification ? La diversifi-
. Boums et Crises du cacao. Les vertiges . Temps des villes, temps des vivres. J. cation verticale, logique mais inégale.
de l’or brun. F. Ruf. Karthala. . Chaléard. Karthala. . Les   de revenus non agricoles chez

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nº 45 — décembre 2008 – février 2009
Des regards à renouveler LeForum
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Prix du cacao au producteur en Côte


d’Ivoire (1960 à 2007)

Sources : Ruf et Agkpo, .

Qu’entendons-nous par
activités rurales non agricoles?

D    d’« activités rurales non agricoles »


se cache une diversité d’activités plus ou moins inter-
dépendantes au sein de l’économie rurale. Trois catégories
peuvent en ressortir (une proposition de typologie) :
– l’ensemble des entreprises et services d’appui au secteur
agricole, en amont et en aval de la production (formation,
conseil, vulgarisation, fourniture d’intrants, matériel et
équipements, microfinance, transformation des produits,
commercialisation, etc.) ;
– les entreprises en milieu rural qui fournissent des biens
et services, non liées à l’amont, l’aval, ou la production
agricole elle-même (artisanat, entreprises de différentes
des planteurs burkinabé du village de ces de revenus : « pisteur », gérant de tailles, formelles et informelles) ;
Zamblekro consistent en activités de coopérative, peseur, l’artisanat tel que – l’ensemble des services et dispositifs d’appui publics et
« pisteur », et de collecte et transport la fabrication de savon local à partir privés en milieu rural, qui n’ont pas forcément de voca-
du cacao entre plantations et ville. En d’huile de palme, le commerce de pois- tion économique en tant que telle mais qui contribuent
Côte d’Ivoire, historiquement, les plan- sons ou de produits vivriers (attieké, au développement (éducation, santé, infrastructure, jus-
teurs ont été longtemps exclus du com- vin de palme, alcool koutoukou), petits tice, communication, chambres consulaires, organisations
merce du cacao ⁴. Cela signifie moins restaurants et maquis (dans les villages professionnelles, etc.).
de valeur ajoutée réinvestie dans les importants), petites boutiques (biens
campagnes : tout part en ville, voire de première nécessité), « cabines » de Source : P. Chédanne. Les activités non agricoles en milieu rural,
hors du pays. téléphone cellulaire, électricien, ma- élément de rénovation de la politique de développement rural de la
Mais à la faveur des crises et du çon, menuisier, mécanicien, couture coopération française. Agridoc nº, .
changement de génération, les fils de et coiffure, pasteur, pêche (essentielle-
planteurs burkinabé investissent le ment dans les lacs de barrages).
secteur de la commercialisation du L’aide de la famille est parfois men- négocient de   à   Fcfa/ha ;
cacao, en partie sous l’effet des ten- tionnée, de fils travaillant en ville, voire autour de Soubré, la pression foncière
tatives occasionnelles des Ivoiriens à l’étranger, preuve que l’investisse- fait monter les prix à   Fcfa/ha.
de les écarter de l’accès à la terre : ces ment des « parents planteurs » dans Des migrants ayant acquis de gran-
tentatives échouent mais éveillent la scolarisation des enfants n’est pas des superficies, grâce à l’ancienneté
l’attention des jeunes Burkinabé, qui toujours sans retour. de leur installation ou de celle de leurs
cherchent à diversifier leurs revenus. Les pensions de retraite reflètent une parents, profitent également de cette
Ils démontrent ainsi l’utilité de reve- des mutations du pays, avec un nom- nouvelle manne.
nus non agricoles. Ils offrent à leurs bre croissant de retraités revenant au
parents un prix du cacao supérieur à village. Ici, c’est le cacao (ou de plus Au bilan, les planteurs tentent
celui accordé aux autres planteurs. Sur- en plus le caoutchouc) qui diversifie bien de sortir de la « malédiction
tout, ces revenus du commerce aident des revenus « urbains ». cacaoyère » par la diversification de
à réinvestir dans l’agriculture : achat leurs revenus. Mais l’environnement
de terres et intrants. Ils échappent Les rentes foncières, un autre re- économique et politique n’aide pas,
ainsi à la « malédiction cacaoyère », venu. Chez les « autochtones », les pour le moins… §
contrairement aux Baoulé. activités foncières deviennent une
nouvelle source de revenu : location
Un coup d’œil à l’échelon national. et vente de terres, mises en garantie de
Élargissons l’angle de vue. Sur une plantations, représentent une part non Estimation des revenus annuels des planteurs
enquête passée récemment pour le négligeable de leurs revenus. Autour dans un village du centre-ouest de Côte
compte de l’Union européenne, sur  de Gagnoa, les locations de terre se d’Ivoire en 2007 (Euros et %)
planteurs,   des ménages déclarent
un « autre revenu », contribuant pour
  aux revenus monétaires. Lorsque Planteurs selon Cacao (+ un Autres cultures Revenus non
les villages ne sont pas trop isolés, les Vivriers Total
origine peu de café) pérennes agricoles
planteurs recherchent d’autres sour-
Burkinabè 1663 (90 %) 0 0 183 (10 %) 1846 (100 %)
. Contrairement à un pays comme
Baoulé 2102 (98 %) 0 23 (1 %) 30 (1 %) 2155 (100 %)
l’Indonésie où les planteurs ont été les
premiers à commercialiser le cacao. Cf.
« Boums et Crises du cacao ». (Pour un revenu de  /an par famille de  personnes, cela équivaut à , /pers./jour. Sources : Enquêtes Cirad, /)

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Changer le regard sur les activités non agricoles en


milieu rural
Loïc Barbedette (loic.barbedette@wanadoo.fr)___
L ’économie rurale africaine ne se résume pas à l’économie
agricole. Les ruraux vivent de nombreuses autres activités.
Cette réalité diverse dépasse les concepts et outils aujourd’hui
mobilisés, et reste difficilement reconnue. Et pourtant, n’y a-
t-il pas urgence à intégrer les activités non agricoles dans la
construction de nouvelles économies rurales ?

L
„ Loïc    sur les activités de ces activités dans l’économie réelle une exploitation agricole et dans une
Barbedette, non agricoles des agriculteurs du monde rural tient sans doute du exploitation pastorale, et d’autre part
sociologue, a et des pasteurs africains est le fait que les catégories dans lesquelles que les types de « métiers non agrico-
travaillé jusqu’en plus souvent superficiel et statique : on les range ne permettent pas de les les » évoluent. Il a ainsi toujours existé
 sur le secteur on les considère comme des activités appréhender de façon dynamique et des métiers non agricoles traditionnels,
informel urbain annexes, et lorsqu’on les recense dans de les penser de façon adéquate. La complémentaires de l’activité agricole
en Afrique les enquêtes agricoles — ce qui n’est notion passe-partout « d’activités gé- (boissellerie, tissage, poterie, vanne-
centrale. Il pas toujours le cas, on en dégage ra- nératrices de revenus » n’a de ce point rie…) ou pastorale (forge et bijoute-
accompagne, en rement la signification économique, de vue pas rendu service car elle dis- rie, sellerie, commerce du lait et des
tant que sociale ou politique. Le paysan lui- pense de chercher les liens entre ces animaux…), exercés dans la plupart
consultant, depuis même, lorsqu’on analyse avec lui la activités et conduit à un simple entas- des sociétés d’Afrique de l’Ouest par
 des contribution de ses différentes activités sement d’opportunités à court terme des groupes spécialisés organisés dans
organisations de au budget familial et que l’on constate envisagées le plus souvent du point les systèmes de caste. Dans bien des
paysans et que les apports de ces activités non de vue de la « promotion féminine ». cas ces métiers existent toujours, mais
d’éleveurs dans agricoles représentent dans certains On s’interdit de cette façon de les re- se sont transformés : les forgerons so-
plusieurs pays cas les trois quarts de ce qui lui per- situer dans une logique d’exploitation ninké de Kaëdi en Mauritanie sont
d’Afrique de met de vivre, continue de considérer familiale et d’évolution économique passés par les garages de Dakar et de
l’Ouest, et a dirigé comme secondaire ce qui est devenu d’ensemble. Nouakchott ou ont rapporté des usines
des recherches en réalité la part principale de son ex- Renault de nouveaux modes de pro-
paysannes de ploitation familiale. Des réalités multiples et en constante duction ; de nombreux tailleurs ont
terrain sur évolution. Un examen plus précis de adopté la machine à coudre… D’autres
l’évolution du Des regards et grilles de lecture fi- ces activités montre d’une part qu’elles transformations moins visibles ont une
monde rural au gés. L’incapacité dans laquelle on se ne sont pas de même nature pour les portée sociale très profonde : on voit
Sénégal, au Mali, trouve à cerner la place et la fonction femmes et pour les hommes, ou dans aujourd’hui dans la région de Louga
en Guinée Bissau (Sénégal) des ceddo (nobles) dépasser
et au Tchad. les préjugés de caste et exercer des mé-
tiers de ñeeño (artisans) — par exem-
ple la mécanique — ; ailleurs on voit
des pasteurs s’adonner au commerce
du bétail, et là où des mini laiteries
se créent, les hommes confisquer aux
femmes le travail du lait qui leur re-
venait traditionnellement.
Surtout de nouveaux métiers « mo-
dernes » sont apparus et se multiplient.
Ce sont pour l’essentiel des métiers de
service : chauffeurs, courtiers, guides,
répétiteurs scolaires ou maîtres d’éco-
les communautaires (notamment au
Tchad), restaurateurs… Il peut y avoir
une très grande créativité dans l’in-
vention de nouveaux métiers : on voit
ainsi actuellement dans la région de
Bakel au Sénégal des jeunes scolari-
sés proposer leurs services aux émi-
grés revenus au pays pour effectuer
des recherches sur Internet dans les
cybercafés afin de reconstituer leur
carrière en France et entreprendre
les démarches leur permettant de
toucher leur retraite.

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Le « rural » ne se réduit pas à « l’agri- sénégalaise (la Fongs) a évolué par rap- évidence les composantes et les flux.
cole ». Il y a ainsi une diversification port à cette question est intéressante à Il s’agit notamment des études Ecoloc
des métiers non agricoles en milieu connaître (cf. article p.). Des hori- réalisées depuis  (suite à la pros-
rural. Deux observations doivent être zons nouveaux se sont ouverts grâce pective réalisée en  par le Club du
faites à ce propos. à un angle d’attaque orienté vers la Sahel-WALTPS). Mais on se heurte ici
D’une part certaines de ces acti- compréhension de dynamiques écono- à une autre rigidité car dans ce cas les
vités non agricoles se greffent sur miques et non plus vers une approche regards sont principalement tournés
la production agricole ou l’élevage sectorielle des activités — agricoles ou vers la ville. Ces études s’intéressent
et viennent les valoriser (activités non agricoles. à l’hinterland rural qui permet d’ap-
de conservation, de transformation, Mais ces initiatives se heurtent à de provisionner les villes ouest-africai-
de transport, de commercialisation), nouvelles difficultés qui sont également nes. Elles reposent sur le postulat
alors que d’autres sont déconnectées liées aux rigidités des « regards » por- très répandu que le développement
par rapport à ce secteur agro-pastoral. tés sur les réalités. des campagnes ne peut être tiré que
Cette première distinction est impor- par celui des villes ², ce qui inspire
tante à faire parce qu’elle permet de Un secteur informel qui échappe au une vision très « urbano-centrée »
discerner si de nouvelles tendances vers regard des techniciens. La première de l’économie rurale.
des formes de multi polarisation de rigidité tient au fait que les données
l’économie rurale ne sont pas en train statistiques sur lesquelles repose l’éla- Les économies rurales : un poten-
d’apparaître dans certaines régions. boration des différents plans régionaux tiel qui reste à découvrir. Il manque
Dans les situations où cela s’avérerait de développement sont des données aujourd’hui que soient sérieusement
être le cas, ceci devrait inspirer des po- conventionnelles portant sur les sec- analysées les possibilités de dévelop-
litiques régionales soutenant des sec- teurs formels de l’économie ; les poli- pement d’une économie rurale basée
teurs émergents. Mais actuellement, tiques régionales passent donc à côté sur la diversification des activités
on prend surtout en considération les des réalités. Ainsi, par exemple, la Fé- (développement d’un secteur secon-
activités para ou péri agricoles du fait dération des associations paysannes daire et tertiaire en milieu rural) et
que l’on considère que la vocation du de la région de Louga (Fapal) au Séné- les échanges de zone à zone (valorisa-
monde rural est, par gal faisait le constat tion des complémentarités entre zones
définition, agricole
«
suivant en préparant rurales). Il ne s’agit bien entendu pas
ou pastorale, ce qui les activités et les métiers non un forum sur l’ave- d’ignorer l’importance des échanges
n’est peut-être plus nir de cette région entre la campagne et la ville. Mais il
vrai pour toutes les agricoles en milieu rural changent (en ) : les don- faut explorer le potentiel de dynamis-
zones. On se rend nées disponibles me spécifiquement rural à travers les
ainsi prisonnier de ainsi plus vite que le regard que sur le commerce possibilités de spécialisations profes-
ses a priori.
»
régional portent sionnelles et d’échanges économiques
D’autre part, les l’on porte sur eux seulement sur les locaux et inter-régionaux (éventuel-
trop rares études établissements et lement transfrontaliers) ; il faut aussi
d’ensemble faites sur activités déclarés établir dans quelle mesure ils peuvent
les activités non agricoles tendent à et ignorent le secteur informel ; cel- être renforcés pour favoriser le déve-
montrer que les plus nombreuses les sur l’artisanat ne concernent que loppement d’une marge d’autonomie
d’entre elles sont de type commercial. les artisans inscrits à la chambre des économique et de création d’emplois
Mais ici encore, on utilise des catégo- métiers ; ou encore, le secteur des trans- dans le monde rural qui allège la sur-
ries paresseuses pour les décrire et il ports ne rend pas compte du recours charge urbaine et maintienne le peu-
semble que l’on en ait tout dit lors- aux charrettes hippomobiles, pourtant plement du monde rural autour de pô-
qu’on a parlé de « petit commerce ». essentiel dans le fonctionnement de les ruraux. Des observations faites en
On ne sait donc pas précisément ce qui l’économie réelle de proximité de la  sur l’économie — très dynami-
s’échange, on connaît mal les circuits région. Or, une grande partie de cette que — de régions éloignées de toute
et l’importance des flux. C’est pourtant région relève de cette « économie non ville importante, comme par exemple
à partir de là que l’on pourrait appré- agricole », où le commerce informel et l’Ennedi au Nord du Tchad, où les ac-
hender les dynamiques actuelles de les nouveaux métiers, qui échappent à tivités agro-pastorales et commercia-
l’économie rurale. Les activités et les ces nomenclatures, ont une place très les sont très étroitement imbriquées,
métiers non agricoles en milieu rural importante ¹. encouragent à ouvrir les regards dans
changent ainsi plus vite que le regard cette direction. §
que l’on porte sur eux et qui permet Une vision « urbano-centrée » de
de les déchiffrer, et l’on risque ainsi de l’économie rurale. Il y a pourtant des
se trouver de plus en plus en décalage recherches novatrices qui ont été fai-
par rapport aux réalités. Alors, com- tes ces dernières années sur les éco- . Pour lutter plus efficacement contre
ment changer ce regard ? nomies locales dont elles mettent en la pauvreté rurale, la première chose
à faire est de changer de paradigme.
Quand nos lunettes nous empêchent . Yakaaru baykatu Luga ci ëllëgam J. M. Cour, communication au forum
de voir la réalité, il faut les changer. – document d’orientation stratégique. européen pour la coopération dans le
La façon dont une fédération paysanne Fapal, ,  pages. développement rural, .

Grain de sel 15
nº 45 — décembre 2008 – février 2009

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