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dossier Des systèmes de production, des enjeux, des défis…

Contraintes et défis de l’aviculture


en Afrique de l’Ouest : Cas du Bénin
Lionel Guezodje (guezolionel@yahoo.fr)__
L ’aviculture est un secteur en plein essor en Afrique de
l’Ouest. Au Bénin, grâce à l’accompagnement des auto-
rités, on assiste au développement de cette filière, qui fait
toutefois face à de nombreuses contraintes, liées notamment
aux conditions d’accès au crédit, à la concurrence des impor-
tations et aux enjeux fonciers.

L
„ Lionel ’ en Afrique de plémentaires, tant sur le plan écono- taller des Vaccinateurs villageois de
Guezodje est l’Ouest est une activité com- mique que socioculturel et géographi- volaille (VVV) à travers tout le pays.
aviculteur dans plexe dont l’importance varie que. Ainsi, si le système traditionnel est Enfin un renforcement des capacités
la commune de d’un pays à l’autre. Au Bénin, pays de entièrement rural, l’élevage moderne des agroéleveurs a également été ef-
Zogbodomey au plus de  millions d’habitants, deux est périurbain. Cette répartition per- fectué suivant l’approche Farm Field
Bénin, secrétaire grands types d’aviculture sont prati- met de réduire les coûts de production School (FFS).
général de quées : l’aviculture villageoise, basée liés au transport. Mais on constate de
l’Association sur l’élevage de races locales suivant nos jours une forte délocalisation des … mais en proie à des difficultés. Á
nationale des un système extensif, et l’aviculture unités de production, du fait de l’ur- l’instar de tout le secteur agricole,
aviculteurs du « moderne », basée sur l’élevage de banisation. l’aviculture béninoise fait face à des
Bénin (Anab) et races importées. Il convient également de préciser la contraintes de financement. Les pe-
secrétaire L’aviculture villageoise se pratique contribution du secteur avicole (surtout tits producteurs, majoritaires, sont
général de la en milieu rural. Elle joue des fonctions moderne) à l’agriculture périurbaine particulièrement vulnérables du fait
Fédération des économique (viande de volaille pour et à l’arboriculture au Bénin. En effet, notamment de l’émergence et de la
unions de la consommation, œufs de table), de les litières et les déjections sont utili- persistance des épizooties. Cela leur
producteurs du cohésion sociale (activité génératrice sées comme fertilisants organiques par rend difficile l’accès aux crédits auprès
Bénin (Fupro). de revenus pour les femmes, prestige les maraîchers situés à proximité des des banques. Ils se rabattent alors sur
social) et culturelle (utilisation des grands centres urbains. Cette pratique les institutions de microfinance, dont
poulets de race locale et des œufs à favorise une agriculture durable. les conditions ne sont pas toujours
coquille blanche lors des cérémonies appropriées : taux d’intérêt élevé (de
traditionnelles et en ethnopharma- Une filière en plein essor bénéficiant  à   par an), remboursement
cologie). Les maquis de tout le pays du soutien des autorités… La politique des investissements sur une courte
sont approvisionnés par ces élevages gouvernementale actuelle a retenu l’avi- période ( ans au lieu de  ans par
villageois, dont la qualité de viande culture parmi les  filières prioritaires. exemple), exigence de garanties im-
est recherchée. Le cheptel national de À ce titre, des actions sont en cours en portantes. Selon une étude effectuée
race locale serait estimé à  millions appui direct à la production, comme en  par la Direction de l’élevage,
d’oiseaux (FAO, ). Les domaines le financement de plus d’une dizaine sur  aviculteurs enquêtés, seuls 
de l’habitat, l’alimentation, la santé de microprojets avicoles par le Fonds avaient été financés, dont  par des
et la génétique sont en cours d’amé- national de la promotion de l’emploi banques.
lioration. jeune, ou l’élaboration de référentiels Le foncier est un autre facteur li-
L’aviculture moderne est une activité technico-économiques. En , le mi- mitant le développement de la filière
purement économique. Autrefois l’une nistère de l’Agriculture et de la Pêche avicole, surtout en zone périurbaine :
des principales sources de viande du a subventionné à   l’acquisition de l’inexistence de plans d’aménagement
Bénin, elle est actuellement réduite à la poussins d’un jour, mais malheureu- du territoire pose des problèmes aux
production d’œufs de table. Le nombre sement cette action n’a concerné que producteurs situés à la périphérie des
de poules pondeuses s’élèverait à plus   poussins (soit moins de   villes. Contraints de se déplacer régu-
de   oiseaux répartis sur plus du cheptel national) et sa reproduc- lièrement, ces « aviculteurs itinérants »
de  unités de production (contre tibilité n’est pas certaine. sont dans l’obligation de réinvestir sans
 en ), employant directement En ce qui concerne l’élevage des cesse dans leur activité, avant même
environ   personnes, dont   poulets de race locale, des actions que leurs derniers investissements ne
de femmes. Ce sous-secteur fournirait d’amélioration de la production et soient rentabilisés.
près de  millions d’œufs par an, ce de la productivité sont en cours, L’aviculture béninoise rencontre
qui rapporté à la population béninoise avec notamment « l’opération coq » également des problèmes en termes
équivaut à environ  œufs par habi- qui consiste à introduire des coqs de de compétences techniques. Les em-
tant et par an (soit   des recom- races importées dans les élevages lo- ployés sur les exploitations sont peu
mandations de la FAO). Une partie de caux. Ainsi, entre  et , plus nombreux ( ouvriers pour   poules
ces élevages de volaille (poulet, pin- de   coqs ont été introduits par pondeuses) et très souvent déscolari-
tade, dinde, caille, oie) est toutefois différents programmes et projets. De sés et recrutés sans aucune formation
consacrée à la production de viande, même, des opérations de vaccination préalable. Les rares personnes ayant
de façon saisonnière, en vue des fêtes de masse ont été réalisées contre la suivi une formation dans le domaine
de fin d’année. maladie de New Castle. Cette opé- préfèrent créer leur propre élevage
Ces deux sous secteurs sont com- ration a permis de former et d’ins- ou travailler dans le secteur public.

24 Grain de sel
nº 46-47 — mars – août 2009
Des systèmes de production, des enjeux, des défis… LeForum
dossier

Entretien avec Idrissa Kama

I  K est vice président


de l’Union des organisations de
la filière avicole de l’Uemoa (Uofa/
GDS : Vous avez mis en place une orga-
nisation régionale des filières avicoles.
Pouvez vous nous la présenter ?
Uemoa) et président de l’Union des IK : L’Union des organisations de la
acteurs de la filière avicole du Séné- filière avicole des États membres de
gal (Unafa). l’Uemoa (Uofa/Uemoa) a été créée
en octobre , à Bamako, lors d’un
atelier regroupant les organisations
Grain de sel : Quelle est la situa- professionnelles des filières avicoles
tion actuelle du secteur avicole ouest des  États de l’Uemoa. Son siège se
africain ? trouve à Ouagadougou.
Idrissa Kama : Aujourd’hui, il existe C’est un cadre de concertation, de
deux grands types de filières avico- réflexion et d’action, dont les objec-
les en Afrique de l’Ouest : la filière tifs sont de sauvegarder nos intérêts,
« industrielle » et la filière « tradi- d’améliorer notre compétitivité, de
© Nathalie Boquien

tionnelle ». Aujourd’hui, l’avicultu- structurer les filières avicoles, et de


re traditionnelle domine en Afrique promouvoir les investissements dans
de l’Ouest. Mais nous ne pouvons l’aviculture.
prétendre être compétitifs en déve- Nous encourageons la concerta-
loppant uniquement une aviculture tion avec les pouvoirs publics, les
paysanne : l’aviculture industrielle bailleurs de fonds, les organisations
doit également jouer un rôle. professionnelles, le secteur privé et la
L’administration publique manque La filière « industrielle » est assez société civile. Cela passe par la forma-
elle aussi de personnel qualifié pour jeune et très dynamique, avec un taux tion, l’information de nos membres,
conseiller et assister les producteurs et de croissance autour de   par an. l’organisation de séminaires, le dia-
à l’heure actuelle, l’assistance techni- Au niveau Uemoa, le Sénégal et la logue continu entre professionnels et
que est uniquement proposée par des Côte d’Ivoire sont les pays les plus la recherche de synergies. À ce titre,
opérateurs privés. avancés : on y rencontre des élevages nous souhaitons publier un journal
La signature des différents accords aux effectifs importants, utilisant des destiné aux professionnels de la sous
économiques internationaux a con- systèmes de production modernes. Ce région.
duit certains opérateurs économiques type d’aviculture se développe égale- En plus des activités de lobbying,
à s’adonner aux importations massives ment au Mali, au Bénin et au Togo. nous souhaitons améliorer les com-
de viandes de volailles et d’œufs de ta- Au niveau des échanges sous régio- pétences techniques des profession-
ble. Si les importations d’œufs de table naux, le Sénégal exporte  à   de nels. Pour cela, nous organisons des
ont été stoppées, grâce à une lutte des sa production. La Côte d’Ivoire ex- débats autour de journées techniques
aviculteurs locaux, les importations de porte des poulets issus des élevages avicoles : les premières (Abidjan, juin
poulets par contre continuent d’envahir industriels, mais importe également ) avaient pour thème les mala-
le pays au détriment de la production des volailles traditionnelles du Mali dies aviaires (maladie de New Castle,
locale. Ces accords économiques, loin et du Burkina Faso. grippe aviaire) ; les deuxièmes (Dakar,
de promouvoir un quelconque déve- La récente crise alimentaire a eu des ), l’accessibilité des produits avi-
loppement, ont plutôt désorganisé la conséquences assez dramatiques sur coles au plus grand nombre de con-
filière locale naissante. Les impor- les filières avicoles : fin , alors que sommateurs.
tations, soutenues par les décideurs nous avions réussi à limiter les impor-
politiques dans le but de favoriser tations de viande congelée et que la GDS : Quelle est la situation actuelle
l’accès aux protéines à moindre coût, filière locale s’en retrouvait dynami- du secteur avicole au Sénégal ?
ne sont qu’une simple fuite de respon- sée, les intrants importés pour l’ali- IK : Au Sénégal, pendant  ans, la
sabilité. Les décideurs devraient plutôt mentation du bétail se faisaient rare : production a varié entre  et  millions
œuvrer à promouvoir la production les poussins arrivés à terme n’avaient de poussins de chair par an. Fin ,
locale à moindre coût. Les récentes plus d’aliments… La diminution du l’État a pris la décision de bloquer les
crises mondiales économiques et fi- pouvoir d’achat des consommateurs a importations de viande de poulet con-
nancières, couplées à l’apparition de réduit la demande en produits avicoles. gelée et la production est passée à 
nouvelles épizooties, devraient faire En , nous avons eu des périodes millions de poussins en , puis à
prendre conscience aux politiques de de méventes : certains accouveurs, en  millions de poussins en . Cette
la nécessité de maîtriser les sources ali- raison des invendus, ont dû étouffer progression montre que le potentiel
mentaires. Les politiques et décideurs des poussins et arrêter ou réduire est énorme. Aujourd’hui, la capacité
béninois devraient comprendre qu’en leur activité. de production est de  millions de
favorisant l’importation de viande en poussins par an. Mais cet élan a été
provenance d’autres pays, ils favorisent freiné par la crise de .
l’emploi des aviculteurs de ces pays
exportateurs et en font perdre à leur
propre pays. §

Grain de sel 25
nº 46-47 — mars – août 2009

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