Vous êtes sur la page 1sur 4

Promouvoir l’élevage agropastoral

au Sénégal

L’élevage occupe une place fonda- Les estimations du ministère de Un élevage agropasto-
mentale dans les pays d’Afrique l’Elevage situent les effectifs à 3,4
de l’Ouest, faisant vivre plusieurs millions de bovins et 6,2 millions ral peu pris en compte
millions de familles rurales, grâce d’ovins en 2014, auxquels s’ajou-
à un effectif régional de bovins tent les échanges transfrontaliers dans les politiques pu-
estimé à plus de 65 millions de avec les pays voisins (Mali, Mau- bliques
têtes, plus de 200 millions d’ovins ritanie) pour alimenter les mar-
et caprins, et 2,6 millions de came- chés urbains sénégalais. La de-
lins. Le cheptel est pour toute ces mande continue d’augmenter plus  Une contribution signifi-
familles un capital, une source rapidement que l’offre, et le mou- cative de l’élevage agro-
d’activités et de revenus, une vement semble s’accélérer depuis pastoral à l’économie na-
source d’épargne, mais aussi de le début des années 2000
résilience face aux crises, ainsi (notamment pour les moutons de tionale
qu’un référent culturel fort. la Tabaski). Pour soutenir le dé-
veloppement de l’élevage, le gou- La valeur du cheptel sénégalais en
vernement met en place de nom- prix courant est évaluée à 500 mil-
Le Sénégal occupe une place un breux dispositifs, qui ont été réaf- liards de francs CFA, en ce qui con-
peu à part dans ce paysage. Loin firmés à travers le Plan Sénégal cerne les ruminants (PNDE 2011).
d’être comparable aux grands Emergent, dont le premier pilier L’élevage génère également de
pays pastoraux en termes d’effec- vise la transformation de l’agri- nombreux emplois et revenus tout
tifs, l’élevage génère tout de même culture au sens large. Des fonds au long de la filière bétail viande
35% de la valeur ajoutée du sec- de financement tels que le FONS- (logeurs, marchands de bestiaux,
teur agricole (MEPA, 2013) et TAB (Fonds d’appui à la stabula- chevillards, bouchers, tanneurs, etc.)
7,5% du PIB national. A côté de tion) ont aussi été mis en place. et de la filière lait (collecteurs, uni-
la grande zone pastorale du Ferlo, Ces efforts sont salués mais sont tés de transformation, revendeurs,
il contribue aussi fortement dans jugés insuffisants par les éleveurs, fournisseurs d’intrants, etc.). A tra-
tout le pays au dynamisme agri- qui souhaiteraient que les finance- vers ses produits et les revenus gé-
cole et au développement de pra- ments soient davantage orientés nérés, notamment pour le lait, l’éle-
tiques agro écologiques à travers vers les besoins des exploitations vage agropastoral contribue aussi
l’intégration agriculture-élevage. agropastorales. fortement à la sécurité alimentaire
des ménages, ainsi qu’aux dépenses
de santé et d’éducation des enfants.
Le lait produit au Sénégal, qui
couvre environ 50 % des besoins,
est issu pour les 2/3 de systèmes
agropastoraux extensifs.

 Mais des politiques qui


restent axées principale-
ment sur la promotion de
l’élevage « intensif »
Pourtant les politiques publiques
mises en œuvre ces dernières années
au Sénégal sont peu orientées vers
le soutien à l’élevage extensif et
promeuvent plutôt un élevage inten-
sif et sédentaire, comme en témoi-
gnent les projets et programmes fi-
nancés sur budget de l’Etat : pro-
© GRET
P R O M O U V O I R L ’ É L E V AG E A G R O P A S T O R A L A U S É N É G A L

grammes d’insémination artificielle, sources naturelles (parcours, aliment que le marché soit porté par une de-
fonds d’appui à la stabulation, bétail, eau) et foncières. Les régula- mande urbaine qui augmente
centres d’impulsion pour la moder- tions traditionnelles sont remises en (classes moyennes avec un pouvoir
nisation de l’élevage, etc. De plus, cause et accentuent le risque de con- d’achat plus important, cérémonies
les fonds alloués au secteur de l’éle- flits. Les besoins en terme de mobi- et fêtes religieuses), la production
vage demeurent faibles, au regard de lité et d’accès aux ressources en eau nationale est loin de couvrir les be-
sa contribution à l’économie natio- des animaux ne sont souvent pas soins. De nombreux animaux sont
nale. L’élevage génère 31% de la correctement pris en compte, ce qui ainsi convoyés sur pieds des pays
valeur ajoutée agricole, mais ne re- fragilise la place de l’élevage sur les voisins (Mauritanie, Mali) pendant
çoit que 9% des dépenses consacrées territoires. les périodes de forte demande
au secteur agricole. Dans le Ferlo, le ranch de Dolly a en (Tabaski , Gamou), attestant par-là
Il semble donc, malgré les besoins effet été maintes fois menacé, et du dynamisme et de la capacité
pressants des exploitations agropas- l’espace pastoral a été considérable- d’adéquation à la demande du mar-
torales, que les efforts se concentrent ment réduit par l’expansion du front ché des filières traditionnelles.
principalement vers les nouveaux agricole dans le bassin arachidier et La filière bétail viande est cependant
acteurs du secteur (fonctionnaires, autour du lac de Guiers. Dans le del- marquée par un déficit en structures
retraités, commerçants, hommes ta du fleuve Sénégal, le développe- d’abattage et structurée autour d’un
d’affaires, politiques), qui investis- ment d’aménagements de périmètres marché de consommation de viande
sent dans l’élevage (embouche bo- hydroagricoles et l’implantation de à bas prix, commercialisée sur les
vine et ovine, fermes laitières, avi- nouvelles entreprises privées ces marchés et points de vente locaux,
culture intensives ou semi- dernières années menacent l’avenir dans des conditions de conservation
intensives). de l’élevage dans la zone. Dans le rudimentaire. Ces produits sont di-
Sud, la saturation de l’espace et le rectement exposés à la concurrence
développement des plantations des produits importés à bas prix et
Des exploitations fami- d’anacardiers posent aussi de nom- des poulets de chair.
breuses questions. Ces mutations ont
liales agropastorales pour effet de pousser les pasteurs
face à de nombreux vers le Sud, et les obligent à modi-  Un secteur laitier dyna-
fier leurs itinéraires de transhu-
mique, mais qui peine à
défis mance.
émerger
 Insécurité foncière et en- La production locale de lait n’a fait
 Un marché porté par la
traves à la mobilité qu’augmenter ces dix dernières an-
consommation de viande nées, pour passer de 114 millions de
La croissance du cheptel, la dégrada- à bas prix litres de lait (de vaches, brebis et
tion des terres, le développement de chèvres confondus) en 2004 à 141
l’agriculture, des aménagements hy- Bien que les importations de viande millions de litres en 2014, soit une
droagricoles et de l’urbanisation ac- semblent avoir considérablement progression de près de 25% (MEPA
croissent les pressions sur les res- baissé ces dix dernières années et 2015). Pourtant, l’avenir de la filière
lait suscite de nombreuses inquié-
tudes, dans un contexte où les im-
portations de lait et produits laitiers
sont passées de 27 millions d’euros
en 2002 à plus de 37 millions d’eu-
ros en 2015 (ITC). La poudre de lait
étant faiblement protégée (taxation
via le tarif extérieur commun de 5%
sur le vrac), ces importations ont des
impacts directs sur le prix du lait sur
les marchés : un litre de lait local
rendu usine coûte en moyenne 350 à
400 FCFA alors qu’un litre de lait
reconstitué coûte 200-250 FCFA.
Cette concurrence sur les prix est
particulièrement visible sur les
grands marchés de consommation
tels que la région de Dakar. Dans les
bassins de production où il existe
des villes et bourgs ruraux qui cons-
tituent un marché de proximité, la
filière lait local connaît une certaine
dynamique (exemple de la région de
Kolda), les mini laiteries se dévelop-
pent ; elles sont passées de 5 en
© Gret
P R O M O U V O I R L ’ É L E V AG E A G R O P A S T O R A L A U S É N É G A L

1997 à 48 en 2012. Néanmoins,  Fournir des appuis ci- iii) une troisième catégorie est ex-
des problèmes structurels conti- cédentaire (22% des EF) et arrive à
nuent de freiner le développement blés adaptés aux be- capitaliser avec de bonnes perfor-
de la filière, parmi lesquels la fai- soins des différents mances animales et des revenus
blesse des investissements dans la types d’exploitations constitués aux trois quarts par les
structuration de filières de collecte produits de l’élevage.
de lait local, les difficultés d’ali- agropastorales
Pour mieux accompagner ces dif-
mentation du bétail et d’accès à férentes types d’exploitations agro-
l’eau pendant la saison sèche, le L’élevage est un secteur dyna-
mique, en constante évolution, pastorales, une meilleure connais-
faible niveau de protection com- sance des réalités que vivent ces
merciale et l’absence de contrôle pour s’adapter aux contraintes de
l’environnement et aux opportuni- familles s’avère indispensable. A
des informations données aux con- travers l’approche utilisée par
sommateurs sur les emballages, ne tés des marchés. Les bilans simpli-
fiés réalisés par l’APESS auprès l’APESS dans son dispositif de
leur permettant pas de dissocier conseil qui s’appuie sur des bilans
aisément lait local et lait reconsti- d’exploitations agropastorales sé-
négalaises montrent qu’il existe simplifiés des exploitations, on dis-
tué. pose maintenant d’une meilleure
une grande diversité de configura-
tions parmi les familles d’éle- compréhension des situations et
veurs : des stratégies de développement
Propositions d’axes des familles. Il faudrait pouvoir
i) 16% d’entre elles sont en situa- maintenant différencier et mieux
d’intervention dans le tion déficitaire, avec un taux de cibler les appuis qui leur sont ap-
couverture alimentaire très en-
cadre de la révision dessous de leurs besoins (3 à 6
portées à travers des instruments
de politique pour être en meilleure
du PNIA mois par an), adéquation avec leurs besoins et
ii) la majorité des exploitations leurs projets de modernisation. Les
Le Sénégal est en train d’élaborer sont dans une situation intermé- exploitations excédentaires, dont
la seconde version de son Pro- diaire (avec un sous-type plutôt en les systèmes et les pratiques ont
gramme national d’investissement bas de l’échelle représentant 20% évolué, n’auront pas les mêmes
agricole (PNIA 2). Dans ce cadre, des EF qui sont peu connectées au besoins que les exploitations défi-
il serait nécessaire d’infléchir les marché et relativement déficitaires) citaires, qui sont extrêmement vul-
programmes existants pour qu’ils et une majorité de 40% qui arrivent nérables, peuvent être très expo-
prennent en compte d’autres di- à couvrir leurs besoins 6 à 12 mois sées en cas de catastrophe naturelle
mensions, plus proches des besoins de l’année grâce aux revenus de et variations climatiques et dont il
des agropasteurs. l’élevage et de l’agriculture) ; en- est impératif d’améliorer la rési-
fin, lience.
P R O M O U V O I R L ’ É L E V AG E A G R O P A S T O R A L A U S É N É G A L

 Favoriser la concertation chés commerciaux de proximité. Des


structures comme la laiterie du Ber-
entre acteurs au sein des ger montrent aussi qu’il est possible,  Défendre une politique
filières à l’échelle industrielle, de prendre régionale de l’élevage
une autre option que l’importation de
Pour faire face à l’accroissement de poudre de lait, et qu’il existe une de-
plus ambitieuse
la population et améliorer l’offre de mande forte des consommateurs La promotion de l’élevage agropas-
produits agro-sylvo-pastoraux, il se- pour des produits locaux, avec des toral et son devenir ne peuvent être
ra aussi nécessaire de dynamiser les possibilités de structurer des filières envisagés qu’aux frontières du Séné-
filières de l’élevage, en intervenant de collecte de lait local, même dans gal. Symbole de l’intégration régio-
aux différents maillons de la filière des environnements difficiles nale par excellence, l’élevage ouest-
et en apportant des appuis ciblés aux comme celui du Ferlo. Mais cela ne africain a besoin de politiques régio-
différents groupes d’acteurs. La dy- pourra pas se faire sans une volonté nales plus ambitieuses. Le PNIA du
namique de concertation interprofes- forte de l’Etat de stimuler la produc- Sénégal devrait donc être étroite-
sionnelle au niveau des territoires tion et la transformation locale à tra- ment articulé avec l’ECOWAP II
(plateforme d’innovation), dans la- vers un programme ambitieux de afin de garantir une conjugaison des
quelle s’est engagée l’Apess avec ses subvention aux centres et réseaux de efforts nationaux et régionaux sur les
partenaires, constitue de ce point de collecte et de taxation supérieure des axes cités précédemment. Il s’agira
vue une approche qui semble por- importations de poudre de lait (à un en particulier d’intervenir au niveau
teuse. En faisant dialoguer les ac- taux d’au moins 15%). des politiques commerciales pour
teurs autour des enjeux locaux et des faciliter la mise en marché des pro-
pistes d’action prioritaires à mettre  Réduire l’insécurité fon- duits et sous-produits via : (i) une
en place, les énergies se fédèrent et cière et garantir le droit à amélioration de la qualité et du
la concertation se renforce, au béné- nombre de marchés à bétail, ainsi
fice de la filière locale, qui est mieux la mobilité
que de leur organisation pour réduire
structurée, et plus équitable. Cette L’une des principales fragilités des les asymétries de marchés entre éle-
approche a déjà fait ses preuves, au systèmes pastoraux et agropastoraux veurs et commerçants ; (ii) la facili-
Sénégal et ailleurs, sur la filière lait résident dans leur incapacité à maî- tation des échanges intra-
(Dagana, Kolda) et pourrait être triser leur accès au foncier et aux communautaires et la levée de tous
étendue à d’autres zones. ressources pastorales (terres, pâtu- les obstacles à la libre circulation des
rages, eau). Bien que depuis l’adop- produits régionaux (barrières tari-
tion de la LOASP, le pastoralisme faires et non tarifaires) et (iii) la réé-
 Renforcer le lien des éle- soit reconnu comme un mode de valuation du tarif extérieur commun
veurs au marché et pro- mise en valeur, cela n’a pas été suivi (TEC) sur la poudre de lait et la mise
de beaucoup d’effets et de nom- en place de mesures de sauvegarde
mouvoir le lait local
breuses collectivités locales demeu- adaptées pour réguler les importa-
Le Plan Sénégal émergent retient rent réticentes à affecter des espaces tions de lait et encourager les inves-
dans ses priorités d’action « le ren- à l’élevage. Il est urgent d’agir sur tissements productifs au niveau de la
forcement des infrastructures de cette question et de tirer parti de la filière lait local.
transformation, de conservation et de nouvelle politique foncière en cours
commercialisation de la production d’élaboration pour sécuriser juridi-
quement les espaces pastoraux, en Gret/Apess
animale avec une meilleure intégra-
tion dans la filière industrielle ; et les retirant des terres susceptibles Décembre 2016
une meilleure structuration des seg- d’être affectées à des promoteurs pri-
ments industriels et familiaux des vés. La multiplication des entraves à
filières lait local, bétail-viande et la mobilité pastorale, avec l’avancée
aviculture, ainsi que des cuirs et du front de culture dans les réserves
peaux. » sylvopastorales, l’occupation des
couloirs de passage et des axes de
Cette orientation est particulièrement transhumance, ainsi que la colonisa-
pertinente dans la filière lait, en plein tion agricole des bas-fonds doivent
essor dans les territoires ruraux, où aussi être stoppées.
se sont développées des minilaiteries
qui offrent aux éleveurs des débou-

AVEC LE SOUTIEN DE : CONTACTS :

APESS GRET SENEGAL GRET

CRIPA de Thiès s/c IRD Hann Maristes Campus Jardin tropical


BP 937 Thiès BP 1386 Dakar 45 b av.de la Belle Gabrielle
+221 33 951 01 95 +221 33 849 35 97 94736 Nogent/Marne - France
docteurba53@yahoo.fr faye.senegal@gret.org benkahla@gret.org
sg@apessafrique.org

Vous aimerez peut-être aussi