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De façon ironique, les rapports de Sartre avec la philosophie existentielle noire ne sont pas ceux de quelqu’un d’extérieur.

La philosophie existentielle noire


est aussi une pensée qui interroge l’intersection de problèmes d’existence dans le contexte noir. L’intérêt que portait Sartre à la condition des Noirs était
stimulé par son souci de la liberté et par une appréciation de la production esthétique noire comme leitmotiv du monde moderne. La question de la liberté
était pour lui très claire. Les Noirs sont des gens, ce qui signifie, depuis la perspective de sa philosophie, qu’ils sont la liberté. Leur servitude et les limitations
institutionnelles qui leur furent par la suite imposées par le racisme mènent à un monde social dépendant de l’éradication de la liberté. Elles mènent aussi à
une forme de souffrance qui est une fonction de la non-liberté, lorsqu’un être libre nie sa liberté. Cette dynamique imprègne l’œuvre de Sartre sur la condition
humaine. Il y fait référence dans L’être et le Néant en l’appelant « la mauvaise foi », un mensonge que nous nous faisons à nous-mêmes pour essayer de
nous dissimuler à notre liberté, pour nous faire croire ce que nous ne croyons pas, pour faire de nous une « chose » inconsciente dans le monde, ou pour
nier, de manière sadique, que nous soyons dans un monde peuplé d’autres êtres humains. Déjà dans L’Imagination (1936), Sartre faisait remarquer qu’il
arrive même parfois que nous essayions de nier dans les images que nous construisons le rôle que nous jouons. L'existentialisme est un courant
philosophique et littéraire qui considère que l'être humain forme l'essence de sa vie par ses propres actions, celles-ci n'étant pas prédéterminées par des
doctrines théologiques, philosophiques ou morales. L'existentialisme sartrien est résumé par la célèbre formule : « l'existence précède l'essence », c'est-à-
dire que chaque individu surgit dans le monde initialement sans but ni valeurs prédéfinies, puis, lors de son existence, il se définit par ses actes dont il est
pleinement responsable et qui modifient son essence ; à sa mort, son essence se fige. Pour Sartre, les choses existent d'abord et c’est seulement ensuite, si
elles ont la capacité de penser, qu’elles produisent des concepts tels que le sont les concepts de « monde », d’« être humain », de « chose » ou encore d’«
animal ». C’est une fois inventés, que ces concepts deviennent une essence. Ainsi, on voit bien de quoi on parle quand on parle d’un « homme » mais cela
ne signifie pas que l’homme existe en tant qu’un absolu ou en tant qu’une substance. Tout existe avant d’« être », l’existence est la condition préalable à
l’essence, ainsi "l’existence précède l’essence". Non seulement l’homme est libre et de ce fait angoissé, mais dans la construction de son identité, il se
trouve laissé à lui-même, ne trouvant nulle part à l’extérieur de lui des valeurs éternelles sur lesquelles il pourrait s’appuyer pour guider son action dans la
mesure précisément où il n’y a pas de Dieu pour les concevoir. Aussi, les morales, qu’elles soient religieuses ou rationnelles, sont trop générales pour nous
indiquer quoi faire dans des situations données. À cet effet, Sartre donne l’exemple d’un de ses étudiants qui devait choisir entre combattre l’envahisseur
allemand ou rester auprès de sa mère qui n’avait que lui pour l’aider à vivre. Aucune morale ne peut lui indiquer quelle est la meilleure option, il est
condamné à choisir et rien ne peut lui garantir que ce choix est le bon, ni ses passions, ni ses sentiments, ni quelconque signe dont il serait le seul interprète.
Ce jeune homme est laissé à lui-même, délaissé, pour déterminer dans quelle voie il va s’engager ; il doit choisir seul. Dans L'Être et le Néant, Sartre
s'interroge sur les modalités de l'être. Il en distingue trois : l'être en-soi, l'être pour-soi et l'être pour autrui.– l'être en-soi, c'est la manière d'être de ce qui « est
ce qu'il est », par exemple l'objet inanimé « est » par nature de manière absolue, sans nuance, un ;– l'être pour-soi est l'être par lequel le néant vient au
monde (de l'en soi). C'est l'être de la conscience, toujours ailleurs que là où on l'attend : c'est précisément cet ailleurs, ce qu'il n'est pas qui constitue son
être, qui n'est d'ailleurs rien d'autre que ce non être ;– l'être pour-autrui est lié au regard d'autrui qui, pour le dire vite, transforme le pour soi en en soi, me
chosifie. L'homme se distingue de l'objet en ce qu'il a conscience d'être (qu'il a conscience de sa propre existence). Cette conscience crée une distance
entre l'homme qui est et l'homme qui prend conscience d'être. Or toute conscience est conscience de quelque chose (idée d' intentionnalité reprise de
Brentano). L'homme est donc fondamentalement ouvert sur le monde, « incomplet », « tourné vers », existant (projeté hors de soi) : il y a en lui un néant, un
« trou dans l'être » susceptible de recevoir les objets du monde. Selon Sartre, l'homme est ainsi libre de choisir son essence. Pour lui, contrairement à Hegel,
il n'y a pas d'essence déterminée, l'essence est librement choisie par l'existant. L'homme est absolument libre, il n'est rien d'autre que ce qu'il fait de sa vie, il
est un projet. Sartre nomme ce dépassement d'une situation présente par un projet à venir, la transcendance. L'existentialisme de Sartre s'oppose ainsi au
déterminisme qui stipule que l'homme est le jouet de circonstances dont il n'est pas maître. Sartre estime que l'homme choisit parmi les événements de sa
vie, les circonstances qu'il décidera déterminantes. Autrement dit, il a le pouvoir de 'néantiser', c'est-à-dire de combattre les déterminismes qui s'opposent à
lui. L'importance de l'œuvre dramatique de Sartre, la place prééminente qu'elle occupe dans l'histoire du théâtre contemporain ne sont pas à démontrer.
C'est à son théâtre, plus qu'à ses romans, ses essais ou ses ouvrages philosophiques, que Sartre, dès la fin de la guerre, a dû sa célébrité internationale.
Bon nombre de gens pour qui Sartre est sans conteste l'un des plus grands écrivains de notre époque n'ont lu de lui que l'une ou l'autre de ses pièces. Les
Mouches est un drame en trois actes de Jean-Paul Sartre. Oreste rentre à Argos, sa ville natale envahie par les mouches. Il se fait appeler Philèbe et est
accompagné de son précepteur, Le Pédagogue. Il y rencontre un peuple torturé : chacun est rongé par le repentir de ses crimes, jusqu'aux souverains,
Clytemnestre et Égisthe, mère et beau-père d'Oreste qui ont assassiné son père Agamemnon à son retour de la guerre de Troie et ont ordonné à des
complices de se débarrasser d'Oreste, alors âgé de trois ans. Pris de pitié, les complices ont laissé Oreste en vie et l'ont abandonné à son sort. Électre,
sœur d'Oreste réduite en esclavage au palais, tente de soulever une révolte du peuple contre cette éternelle pénitence, mais Jupiter l'en empêche. Entraîné
par sa sœur à qui il a révélé sa véritable identité, Oreste décide de venger Agamemnon en assassinant Égisthe et Clytemnestre. Jupiter ne réussit à
convaincre ni Oreste de renoncer à son crime, ni Égisthe de ne pas se laisser tuer. Après le meurtre, le frère et la sœur se réfugient dans le temple
d'Apollon, sous la menace des mouches de Jupiter. Ce dernier obtient finalement le repentir d'Électre, mais pas celui d'Oreste qui quitte Argos, libérant ses
nouveaux sujets de leurs remords et des mouches. Les habitants d'Argos sont enfermés dans un perpétuel repentir : l'intrigue se déroule lors de la fête des
morts, qui sont exhortés à venir tourmenter les vivants pour leur faire payer leurs fautes. Pour Oreste, regretter un crime est un moyen lâche de s'en défaire,
il choisit d'assumer pleinement son double meurtre qu'il considère comme juste. Il faut bien sûr rapprocher la scène finale, où Oreste part en assumant tous
les crimes des habitants d'Argos, du rachat des péchés humains par le Christ dans l'Évangile ; et la fin de la pièce porte l'interrogation sur la possibilité de
porter les fautes d'un autre. La dernière scène montre les deux réactions opposées qu'on peut avoir face à un crime : le remords et le retour au « troupeau »,
attitude adoptée par Électre ; ou au contraire le choix d'assumer ses actes et de vivre avec. Oreste a choisi la deuxième voie. C'est pourquoi il est libéré de
son fardeau (son destin) et ne s'est pas encombré d'un deuxième : le remords. Mais Oreste décide finalement de se sacrifier pour son peuple. Il s'enfuit,
poursuivi par les Érinyes et libère la ville de leur présence, il laisse les hommes seuls en face de leur condition, c'est à eux de se construire par leurs actes,
en effet il ne devient pas une nouvelle idole car, selon Sartre, le seul moyen de rendre les hommes responsables est de leur ôter le voile de leurs illusions.
Sartre, en écrivant cette pièce dit s'être donné pour but de lutter contre la légitimité du régime en place. D’autre part, Huit Clos est l'une des plus belles
pièces de Sartre. L'action se déroule en enfer, un enfer très ressemblant du monde réel. Trois personnages se retrouvent dans ce microcosme. De prime
abord sans lien entre eux, il s'avère que leurs histoires sont intimement liées, les uns aliénant les autres, amenant à la fameuse conclusion de l'un des
personnages (Garcin) : l'enfer, c'est les autres. Garcin est journaliste. Il a été fusillé pour son pacifisme. Il se croit héros, la pièce le révélera plutôt perfide et
nuisible. Inès est lesbienne. Elle s'est suicidée par le gaz. Estelle est une mondaine, épouse d'un vieil homme riche. Elle a été la maîtresse d'un jeune
homme et a commis un infanticide, avant de décéder d'une pneumonie. Elle est aussi une menteuse pathologique. La pièce s'ouvre avec Garcin et un valet
dans un salon de style Second Empire. Mais ce n'est pas un salon ordinaire: il représente l'enfer, juste après sa mort. Garcin découvre rapidement que cet
enfer n'a que l'apparence de la vie normale : il n'a pas ses objets du quotidien et n'aura pas besoin de dormir. En fait, il n'y a qu'une seule activité possible :
vivre, sans interruption. On voit dès l'entée de la pièce les thèmes sartriens : le besoin d'autrui pour se définir (Garcin dépend des réponses du valet), la
critique de la religion (qui fait d'en bas l'enfer, dans Huis Clos c'est la vie qui est “en bas”). Puis arrive Inès, le second personnage introduit en enfer. Celle-ci
est la torture de Garin, sa pénitence ; leur relation est d'emblée fondée sur la méfiance et la distance, chacun pensant que l'autre est la cause de sa
présence en enfer. Arrive enfin Estelle. Tous trois, en évoquant les circonstances de leur décès, comprennent peu à peu pourquoi ils ont été réunis : le rôle
de chacun est d'être le bourreau des deux autres. Ils échaffaudent des plans infructueux, comme essayer de s'ignorer, mais leur simple présence suffit à se
rendre insupportables. Là aussi, on retrouve le thème sartrien de la chosification : autrui, par son regard, me donne un dehors, m'emprisonne dans une
essence (l'étiquette de “lâche”, de “lesbienne” ou de “mondaine”) bref m'objective. Estelle tente même de poignarder Inès, sans succès : ils sont éternels,
éternellement ensemble, pour le pire. Huis Clos est au centre de l'existentialisme sartrien. L'angoisse que nous ressentons lorsque nous sommes confrontés
à l'univers immense et sans signification est quelque chose que Sartre appelle «nausée». Pour combattre cette « nausée», l'homme peut utiliser sa liberté –
liberté de pensée, de choix et d'action. Mais une fois que l'homme a choisi, retour en arrière possible : chaque choix laisse une empreinte.

Enfin, l'homme doit choisir, et faire des choix qu'il peut assumer pour l'éternité (ce qui n'est pas sans lien avec la thème de l'éternel retour chez
Nietzsche). On est ce qu'on veut.

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