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A. Milne
Winnie l’Ourson
Histoire
d’un ours-comme-ça
Illustrations de Ernest H. Shepard
Traduit de l’anglais
par Jacques Papy
Gallimard Jeunesse
POUR ELLE
S’il vous est arrivé de lire un autre livre sur Christophe Robin, peut-être
vous rappelez-vous qu’il avait autrefois un cygne (ou bien c’était le cygne
qui avait Christophe Robin, je ne suis pas très fixé) et qu’il appelait ce
cygne : Winnie. C’était il y a très longtemps, et quand nous avons pris
congé de vous, nous avons emporté le nom avec nous, en nous disant que le
cygne n’en aurait plus besoin. Eh bien, quand l’Ours Martin déclara qu’il
aimerait avoir un nom palpitant, pour lui tout seul, Christophe Robin dit
tout de suite, sans prendre le temps de réfléchir, qu’il était Winnie
l’Ourson. Et il en fut ainsi. Ayant expliqué la partie Winnie, je vais à
présent expliquer le reste.
Il est impossible de demeurer longtemps à Londres sans aller au Zoo. Il y a
des gens qui commencent le Zoo au commencement, qui s’appelle
ENTRÉE, et qui passent aussi vite qu’ils le peuvent devant toutes les cages
jusqu’à ce qu’ils arrivent à celle qui s’appelle SORTIE ; mais les gens les
plus sympathiques vont droit à l’animal qu’ils préfèrent et n’en bougent
plus. Ainsi, lorsque Christophe Robin va au Zoo, il va là où se trouvent les
Ours Blancs, et il chuchote quelque chose à l’oreille du troisième gardien
du côté gauche, et on ouvre des portes, et nous errons à travers des couloirs
sombres et nous grimpons des escaliers raides, jusqu’à ce que nous arrivions
à une cage particulière, et on ouvre la cage, et voilà qu’il en sort quelque
chose couvert d’une fourrure brune, et, avec un cri de bonheur : « Oh !
Nounours ! », Christophe Robin se précipite dans ses bras. Or, le nom de
cet ours est Winnie, ce qui prouve que c’est un très bon nom pour un ours ;
mais ce qu’il y a de drôle, c’est que nous ne pouvons pas nous rappeler si
Winnie a été baptisé en souvenir de l’ours, ou l’ours en souvenir de Winnie.
Nous l’avons su autrefois, mais nous l’avons oublié…
J’en étais arrivé là quand Cochonnet leva les yeux et dit de sa voix
perçante :
– Et Moi, on n’en parle pas ?
– Mon cher Cochonnet, dis-je, le livre tout entier ne parle que de toi.
– Mais il ne parle aussi que de Winnie, glapit-il.
Vous voyez de quoi il retourne. Il est jaloux parce qu’il pense que Winnie
a une Magnifique Introduction pour lui tout seul. Winnie est le favori, bien
sûr, impossible de dire le contraire, mais Cochonnet a sa part de pas mal de
choses dont Winnie ne profite pas ; car on ne peut pas emporter Winnie en
classe sans que tout le monde le sache, mais Cochonnet est si petit qu’on
peut le glisser dans une poche, où c’est bien réconfortant de pouvoir le tâter
quand on n’est pas très sûr si deux fois sept font douze ou bien vingt-deux.
Quelquefois il se glisse hors de la poche et il regarde un bon moment dans
l’encrier, et ainsi il a acquis beaucoup plus d’instruction que Winnie, mais
Winnie s’en moque. Il y a des gens qui ont de la cervelle et d’autres qui
n’en ont pas, dit-il, et voilà tout.
Et maintenant tous les autres sont en train de me dire :
– Et Nous, alors ?
Aussi peut-être vaut-il mieux que je m’arrête d’écrire des Introductions et
que je fasse avancer le livre.
A. A. MILNE
CHAPITRE PREMIER
Voici l’Ours Martin qui descend l’escalier, bing, bing, bing, sur la nuque,
derrière Christophe Robin. C’est, autant qu’il le sache, la seule façon de
descendre l’escalier, mais il lui semble parfois qu’il doit y avoir une autre
façon, si seulement il pouvait s’arrêter un moment de se cogner la tête et de
réfléchir. Et puis il lui semble que peut-être il n’y a pas d’autre façon. En
tout cas, le voici au bas des marches, prêt à vous être présenté : Winnie
l’Ourson.
Quand j’ai entendu son nom pour la première fois, j’ai dit exactement
comme vous allez le dire :
– Mais je croyais que c’était un garçon ?
– Moi aussi, dit Christophe Robin.
– Alors tu ne peux pas l’appeler Winnie 1.
– Je ne l’appelle pas Winnie.
– Mais tu as dit…
– Il s’appelle Winnie l’Ourson. Tu ne sais pas ce que Ourson veut dire ?
– Ah, oui, maintenant je le sais, dis-je rapidement ; et j’espère que vous le
savez aussi, car c’est la seule explication que vous aurez.
Parfois Winnie l’Ourson aime à jouer à un jeu quelconque quand il vient
en bas, et parfois il aime à rester assis tranquillement au coin du feu et à
écouter une histoire. Ce soir…
– Que dirais-tu d’une histoire ? dit Christophe Robin.
– Ce que je dirais d’une histoire ? dis-je.
– Serais-tu assez gentil pour en raconter une à Winnie l’Ourson ?
– Je crois que oui, dis-je. Quelle sorte d’histoires préfère-t-il ?
– Des histoires qui parlent de lui. Parce que c’est un Ours comme ça.
– Oh, je vois.
– Alors, serais-tu assez gentil ?
– Je vais essayer, dis-je.
Et j’ai essayé.
Un jour qu’il était allé se promener, il arriva à une clairière dans la forêt,
et au milieu de la clairière il y avait un grand chêne, et du haut du chêne
venait un fort bourdonnement.
Winnie l’Ourson s’assit au pied de l’arbre, se prit la tête à deux pattes et
se mit à réfléchir.
D’abord il se dit :
« Ce bourdonnement veut dire quelque chose. Il n’y a pas de
bourdonnement comme ça, bourdonnant bourdonnette, sans que ça veuille
dire quelque chose. S’il y a un bourdonnement c’est que quelqu’un fait un
bourdonnement, et la seule raison qu’on ait de faire un bourdonnement
c’est, à mon idée, qu’on soit une abeille. »
Puis il réfléchit encore un bon bout de temps, et dit :
– Et la seule raison qu’on ait d’être une abeille, c’est, à mon
idée, qu’on fasse du miel.
Et puis il se leva et dit :
– Et la seule raison qu’on ait de faire du miel, c’est que Moi je
puisse en manger.
Là-dessus il commença à grimper à l’arbre.
Il grimpa, grimpa, grimpe grimperas-tu, et, tout en grimpant,
il se chantait une petite chanson pour lui tout seul. Elle
disait comme ça :
– Bravo ! crias-tu.
– N’est-ce pas magnifique ? cria Winnie l’Ourson d’en haut. À quoi est-ce
que je ressemble ?
– Tu ressembles à un Ours accroché à un ballon, dis-tu.
– Je ne ressemble pas, dit Winnie avec anxiété, je ne ressemble pas à un
petit nuage noir dans un ciel bleu ?
– Pas beaucoup.
– Ah, bon, peut-être que, vu d’ici, en haut, ça n’est pas la même chose.
Et, comme je l’ai déjà dit, avec les abeilles on ne sait jamais.
Il n’y avait pas de vent pour le pousser plus près de l’arbre, aussi restait-il
là. Il pouvait voir le miel, il pouvait sentir le miel, mais il ne pouvait pas
tout à fait atteindre le miel.
Au bout d’un moment il t’appela.
– Christophe Robin ! murmura-t-il assez fort.
– Oui !
– Je crois que les abeilles se doutent de quelque chose.
– Quelle sorte de chose ?
– Je ne sais pas. Mais quelque chose me dit qu’elles se doutent de quelque
chose.
– Peut-être qu’elles pensent que tu veux leur miel ?
– C’est possible. On ne sait jamais avec les abeilles.
Il y eut un autre court silence, puis il t’appela de nouveau.
– Christophe Robin !
– Oui ?
– As-tu un parapluie chez toi ?
– Je crois que oui.
– Je voudrais que tu l’apportes ici et que tu te promènes de long en large
en le tenant ouvert, et que tu regardes de mon côté de temps en temps en
disant : « Tiens, tiens, on dirait qu’il va pleuvoir. » Je crois que, si tu faisais
ça, ça nous aiderait beaucoup à tromper ces abeilles.
Alors tu t’es mis à rire en disant : « Vieille bête d’Ours ! » mais tu ne l’as
pas dit à haute voix parce que tu l’aimes beaucoup, et tu es allé chez toi
chercher ton parapluie.
– Oh, te voilà ! cria Winnie l’Ourson, dès ton retour au pied de l’arbre. Je
commençais à m’inquiéter. J’ai découvert que, maintenant, les abeilles Se
Doutent très nettement de quelque chose.
– Veux-tu que j’ouvre mon parapluie ? dis-tu.
– Oui, mais attends un peu. Il faut être pratique. L’important c’est de
tromper la Reine Abeille. Peux-tu voir d’en bas laquelle est la Reine
Abeille ?
– Non.
– Dommage. Bon, eh bien, si tu te promènes de long en large avec ton
parapluie, en disant : « Tiens, tiens, on dirait qu’il va pleuvoir », de mon
côté je ferai de mon mieux en chantant une petite Chanson-de-Nuage,
comme celle qu’un nuage pourrait chanter… Vas-y !
– Vraiment ?
– Tout à fait de la mauvaise espèce. Aussi je pense qu’elles doivent faire
une mauvaise espèce de miel, qu’en penses-tu ?
– Vraiment ?
– Oui. Aussi, je crois que je vais descendre.
– Comment ? demandas-tu.
Winnie l’Ourson n’avait pas pensé à ça. S’il lâchait la ficelle, il tomberait
– bing ! – et il n’aimait pas cette idée-là. Aussi, il réfléchit un bon bout de
temps, et puis il dit :
– Christophe Robin, il faut que tu tires sur le ballon avec ton fusil. As-tu
ton fusil ?
– Bien sûr, dis-tu. Mais si je tire, ça va abîmer le ballon.
– Mais si tu ne tires pas, dit Winnie, il faudra que je lâche la ficelle, et ça
m’abîmera, moi.
Quand il eut présenté ainsi la chose, tu compris la situation, et tu visas le
ballon très soigneusement, et tu tiras.
– Aïe ! dit Winnie.
– Est-ce que j’ai raté ? demandas-tu.
– On ne peut pas dire que tu aies raté, dit Winnie, mais tu as raté le
ballon.
– Toutes mes excuses, dis-tu, et tu tiras de nouveau, et cette fois le ballon
fut touché, et l’air en sortit lentement, et Winnie l’Ourson descendit en
flottant jusqu’au sol.
Mais ses bras étaient si raides à force d’être restés accrochés tant de temps
à la ficelle du ballon qu’ils restèrent levés en l’air pendant plus d’une
semaine, et chaque fois qu’une mouche venait se poser sur son nez il était
obligé de souffler dessus pour la faire partir.
b d f d f
1. Winnie, abréviation de Winnifred, est un prénom féminin.
CHAPITRE II
Donc, il commença à grimper pour sortir du trou. Il tira avec ses pattes de
devant, et il poussa avec ses pattes de derrière, et au bout d’un moment son
nez se trouva de nouveau en plein air… et puis ses oreilles… et puis ses
pattes de devant… et puis ses épaules… et puis…
– Au secours ! dit Winnie. Je ferais mieux de revenir en arrière.
« Oh, zut ! dit Winnie, je vais être obligé de continuer à avancer.
« Je ne peux ni avancer ni reculer ! dit Winnie. Au secours et zut !
Or, à ce moment-là, Lapin voulait lui aussi aller se promener, et, voyant
que la porte principale était obstruée, il sortit par la porte de derrière, et fit
le tour pour venir trouver Winnie, et le regarda.
– Eh là ! est-ce que tu es coincé ? demanda-t-il.
– N-non, dit Winnie d’un ton insouciant. Je me repose, tout simplement,
et je réfléchis, et je me fredonne un petit air.
– Dis donc, donne-moi ta patte.
Winnie tendit une de ses pattes et Lapin tira, tira, tire que je te tire…
– Aïe ! cria Winnie. Tu me fais mal.
– Le fait est, dit Lapin, que tu es coincé.
– Tout ça vient, dit Winnie avec mauvaise humeur, de ne pas avoir des
portes d’entrée assez larges.
– Tout ça vient, dit Lapin sévèrement, de trop manger. J’ai bien pensé
tout à l’heure, dit Lapin, mais je n’ai rien voulu dire, dit Lapin, que l’un de
nous mangeait trop, dit Lapin, et je savais que ce n’était pas moi, dit-il. Eh
bien, c’est bon, je vais aller chercher Christophe Robin.
Christophe Robin habitait à l’autre bout de la Forêt, et quand il revint
avec Lapin et qu’il vit la moitié de devant de Winnie, il dit : « Vieille bête
d’Ours ! » d’une voix si affectueuse que tout le monde se sentit à nouveau
plein d’espoir.
– J’étais juste en train de commencer à penser, dit Nounours en reniflant
légèrement, que peut-être Lapin ne pourrait jamais plus repasser par sa
porte d’entrée. Et je n’aimerais pas ça du tout, dit-il.
– Moi non plus, dit Lapin.
– Repasser par sa porte d’entrée ? dit Christophe Robin. Bien sûr qu’il
repassera par sa porte d’entrée.
– Très bien, dit Lapin.
– Si nous ne pouvons pas te tirer dehors, Winnie, nous pourrions te
repousser dedans.
Lapin se gratta pensivement les moustaches et fit remarquer que, une fois
qu’on aurait repoussé Winnie dedans, il serait dedans, et que, bien sûr,
personne n’était plus heureux que lui de voir Winnie ; cependant il n’en
restait pas moins que certains vivaient dans les arbres et que d’autres
vivaient sous terre, et…
– Tu veux dire que je ne sortirais jamais ? dit Winnie.
– Je veux dire, dit Lapin, que, puisque tu en es arrivé au point où tu en es,
ce serait dommage de perdre toute la peine que tu t’es donnée.
Christophe Robin approuva de la tête.
– Alors, il n’y a qu’une chose à faire, dit-il. Il faudra attendre que tu
maigrisses.
– Combien de temps faut-il pour maigrir ? demanda Winnie
anxieusement.
– À peu près une semaine, à mon idée.
– Mais je ne peux pas rester là toute une semaine !
– Tu peux très bien rester là, vieille bête d’Ours. Ce qui est si difficile,
c’est de te sortir de là.
– Nous te ferons la lecture, dit Lapin avec bonne humeur. Et j’espère qu’il
ne neigera pas, ajouta-t-il. Et, dis donc, mon vieux, tu prends pas mal de
place chez moi ; est-ce que ça t’ennuierait que je me serve de tes pattes de
derrière comme porte-serviettes ? Parce que, vois-tu, tes pattes sont là, à ne
rien faire, et ce serait très commode d’y pendre les serviettes.
– Une semaine ! dit Winnie sombrement. Et les repas, alors ?
– Pas de repas, je le crains, dit Christophe Robin, afin de maigrir plus
vite. Mais nous te ferons certainement la lecture.
Nounours commença à soupirer, et puis il s’aperçut que ça lui était
impossible, tellement il était coincé serré ; et une larme tomba de son œil,
pendant qu’il disait :
– Alors, voudrais-tu me lire un Livre Nourrissant, capable d’aider et de
réconforter un Ours-Coincé-dans-une-Grande-Étroitesse ?
Et ainsi, pendant une semaine, Christophe Robin lut ce genre de livre à
l’extrémité nord de Winnie, et Lapin fit sécher sa lessive sur l’extrémité
sud… et entre les deux extrémités Nounours se sentit devenir de plus en
plus mince. Et, à la fin de la semaine, Christophe Robin dit : Allons-y !
Il saisit les pattes de devant de Winnie, et Lapin saisit Christophe Robin,
et tous les amis et parents de Lapin saisirent Lapin, et ils tirèrent tous
ensemble…
Et pendant un bon moment, Winnie se contenta de dire : « Aïe ! »
Et : « Oh ! »
Et puis, brusquement, il dit : « Boum ! » exactement comme un bouchon
qui sort d’une bouteille.
Et Christophe Robin et Lapin et tous les amis et parents de Lapin firent
la culbute en arrière… et sur eux tomba Winnie l’Ourson, enfin libre !
Là-dessus, ayant remercié ses amis d’un signe de tête, il continua à se
promener dans la forêt, en fredonnant fièrement pour lui tout seul. Mais
Christophe Robin le suivit d’un regard affectueux, en se disant : « Vieille
bête d’Ours ! »
CHAPITRE III
Le Vieil Âne Gris, Hi-han, était tout seul dans un coin de la forêt plein
de chardons, les pattes de devant bien écartées, la tête penchée de côté, en
train de penser à diverses choses. Parfois il pensait tristement :
« Pourquoi ? » Et parfois il pensait : « Pour quelle raison ? » Et parfois il
pensait : « D’autant plus que dont auquel ? » – Et parfois il ne savait pas du
tout à quoi il pensait vraiment. Aussi, quand Winnie l’Ourson arriva
clopin-clopant, Hi-han fut très heureux de s’arrêter de penser un moment
pour lui dire :
Ces écriteaux avaient été rédigés par Christophe Robin qui était le seul
dans la forêt à connaître l’orthographe ; car Hibou, tout sage qu’il fût en
bien des choses, capable de lire et d’écrire et d’épeler son propre nom :
BIHOU, battait en retraite devant certains mots délicats comme ROUGEOLE
et TARTINE BEURRÉE.
Winnie l’Ourson lut les deux écriteaux très attentivement, d’abord de
gauche à droite, et ensuite, au cas où quelque chose lui aurait échappé, de
droite à gauche. Puis, pour être tout à fait sûr de ne pas se tromper, il frappa
avec le marteau et tira dessus, et il tira le cordon de la sonnette et frappa
avec, et il cria très fort :
– Hibou ! Je veux une réponse ! C’est Nounours qui parle.
Et la porte s’ouvrit, et Hibou regarda au-dehors.
– Bonjour, Winnie, dit-il. Comment ça va ?
– Terriblement Mal, dit Winnie, parce que Hi-han, qui est un de mes
amis, a perdu sa queue. Et ça lui fait Broyer du Noir. Pourrais-tu être assez
gentil pour me dire comment faire pour la lui trouver ?
– Ma foi, dit Hibou, la procédure coutumière dans un cas de ce genre est
la suivante.
– Que veut dire : Prosucré Croûtumiel ? dit Winnie. Car je suis un Ours
de Très Peu de Cervelle, et les mots trop longs m’Embarrassent.
– Ça veut dire la Chose à Faire.
– Du moment que ça veut dire ça, je veux bien, dit Winnie humblement.
– La chose à faire est la suivante. D’abord on publie une annonce
promettant une récompense. Ensuite…
– Un instant, dit Winnie, en levant la patte. À quoi est-ce que tu as dit
qu’on pense ?
– J’ai dit : on publie une annonce promettant une récompense ! Nous
rédigeons un écriteau pour dire que nous donnerons un gros quelque chose
à quiconque trouvera la queue de Hi-han.
– Je vois, je vois, dit Winnie en hochant la tête. À propos de gros
quelque chose, continua-t-il rêveusement, je prends généralement un petit
quelque chose le matin, vers cette heure-ci, – et il regarda avec convoitise
le buffet qui se trouvait dans un coin du salon de Hibou ; – juste une
bouchée de lait condensé ou d’un machin de ce genre, avec peut-être une
lichée de miel…
l
Siouplé sonné si on veu une réponce
Siouplé frapé si on veu pas une réponce
– Or donc, dit Hibou, nous rédigeons cet écriteau et nous l’affichons dans
toute la Forêt.
– Une lichée de miel, murmura Nounours pour lui tout seul, ou bien…
ou bien rien du tout, selon le cas.
Et il poussa un profond soupir et essaya tant qu’il put d’écouter ce que
Hibou disait.
Mais Hibou continua sans arrêt, en employant des mots de plus en plus
longs, jusqu’à ce qu’il revienne enfin à son point de départ, et il expliqua
que la personne qui devait rédiger cet écriteau était Christophe Robin.
– C’est lui qui a rédigé ceux qui se trouvent sur ma porte d’entrée. Les as-
tu vus, Winnie ?
Depuis un certain temps, Winnie n’avait pas cessé de répondre Oui et
Non, alternativement, à tout ce que Hibou disait, et, comme il venait de
répondre Oui, oui, la fois précédente, il répondit à présent :
Non, pas du tout, sans savoir vraiment de quoi Hibou parlait.
– Tu ne les as pas vus, dit Hibou, un peu surpris. Viens donc les voir.
Ils sortirent, et Winnie regarda le marteau et l’écriteau qui était au-
dessous, et il regarda le cordon de sonnette et l’écriteau qui était au-
dessous, et plus il regardait le cordon de sonnette, plus il lui semblait qu’il
avait vu quelque chose de ce genre, quelque part, quelque temps
auparavant.
– Joli cordon de sonnette, n’est-ce pas ? dit Hibou.
Winnie fit signe que oui.
– Ça me rappelle quelque chose, dit-il, mais je ne peux pas me rappeler
quoi. Où te l’es-tu procuré ?
– Je l’ai trouvé dans la Forêt tout à fait par hasard. Il pendait à un
buisson, et, d’abord, j’ai cru que quelqu’un habitait là, aussi j’ai tiré dessus,
et rien ne s’est passé, et alors j’ai tiré de nouveau très fort, et le cordon
m’est venu dans la main, et comme personne n’avait l’air d’en avoir besoin,
je l’ai emporté chez moi, et…
– Hibou, dit Winnie solennellement, tu t’es trompé. Quelqu’un en avait
bel et bien besoin.
– Qui donc ?
– Hi-han ; mon cher ami Hi-han. Il… il l’aimait beaucoup.
– Il l’aimait beaucoup ?
– Il lui était attaché, dit Winnie l’Ourson tristement.
Il s’était murmuré cela trois fois de suite, comme une espèce de chanson,
lorsqu’il se souvint brusquement. Il avait mis le Pot dans le Piège Astucieux
pour attraper l’Éphalant.
– Zut ! dit Winnie. Voilà ce que c’est que d’essayer d’être gentil pour les
Éphalants.
Et il se recoucha.
Mais il ne put dormir. Plus il essayait de dormir, plus il en était incapable.
Il essaya de Compter-des-Moutons, ce qui est parfois un bon système pour
s’endormir, et, comme ça ne servait de rien, il essaya de compter des
Éphalants. Et c’était bien pis. Car chaque Éphalant qu’il comptait se
dirigeait tout droit vers un pot du miel de Winnie, et le mangeait sans en
laisser une miette. Pendant quelques minutes il resta étendu, très
malheureux, mais quand le cinq cent quatre-vingt-septième Éphalant fut
en train de se pourlécher les babines en se disant : « Quel miel excellent !
je ne crois pas en avoir jamais mangé de meilleur », Winnie ne put
supporter cela plus longtemps. Il bondit hors de son lit, sortit de la maison
en courant, et courut droit vers les Six Pins.
Le soleil était encore au lit, mais, dans le ciel au-dessus du Bois de Cent
Arpents, il y avait une lueur qui semblait montrer qu’il était en train de
s’éveiller et qu’il rejetterait bientôt ses draps d’un coup de pied. Dans la
lumière pâle, les Pins avaient l’air froid et solitaire, et la Fosse Très
Profonde avait l’air plus profonde qu’elle ne l’était, et le pot de miel de
Winnie, tout au fond, était quelque chose de mystérieux, une forme, rien de
plus. Mais, à mesure qu’il approchait, son nez lui disait que c’était bien du
miel, et il tira la langue et commença à astiquer sa bouche, prêt à manger.
– Zut ! dit Winnie, en mettant son nez dans le pot, un Éphalant l’a
mangé. Et puis il réfléchit un peu et dit : Oh ! non, c’est moi. J’avais oublié.
En vérité, il en avait mangé la plus grande partie. Mais il en restait un
peu tout au fond du pot, et il poussa sa tête droit dedans et se mit à
lécher…
Un peu plus tard, Cochonnet s’éveilla. Dès qu’il fut réveillé, il se dit :
« Oh ! » Puis il dit courageusement : « Oui », et puis, encore plus
courageusement : « Parfaitement. » Mais il ne se sentait pas très courageux,
car, en réalité, le mot qui dansait la gigue dans sa tête était : Éphalant.
À quoi ressemblait un Éphalant ?
Était-ce Méchant ?
Est-ce que ça venait vraiment quand on sifflait ? Et comment ça venait-
il ?
Est-ce que ça Aimait les Cochons ?
Si ça Aimait les Cochons, est-ce que ça faisait une différence entre un
Cochon et un autre ?
En supposant que ce fût Méchant pour les Cochons, est-ce que ça ferait
une différence si le Cochon avait un grand-père appelé DÉFENSE DANIEL ?
É
d’Éphalant dans le Piège, et puis il pensa qu’il y en aurait un, et, à mesure
qu’il approchait, il fut certain qu’il y en aurait un, car il pouvait l’entendre
en train d’éphalantiser tant qu’il pouvait.
« Oh ! mon Dieu, oh ! mon Dieu, oh ! mon Dieu », se dit Cochonnet. Et
il eut envie de s’enfuir. Mais, je ne sais pourquoi, il lui sembla que, puisqu’il
était venu si près, il lui fallait au moins voir à quoi ressemblait un Éphalant.
Aussi il se glissa lentement jusqu’au bord du Piège et il regarda…
Et pendant tout ce temps-là, Winnie l’Ourson avait
essayé de retirer sa tête du pot de miel. Plus il le
secouait, plus le pot tenait ferme. « Zut ! » disait-il à
l’intérieur du pot, et : « Au secours ! » et, la plupart du
temps : « Aïe ! » Et il essayait de le cogner contre
quelque chose, mais, comme il ne pouvait pas voir
contre quoi il le cognait, ça ne l’avançait pas à grand-
chose ; et il essayait de grimper hors du Piège, mais, comme il ne pouvait
rien voir que pot, et encore fort peu de pot, il ne pouvait trouver son
chemin.
Aussi, finalement, il leva la tête, pot et tout, et poussa un grand
beuglement de Tristesse et de Désespoir… et ce fut à ce moment précis que
Cochonnet regarda.
– Au secours ! Au secours ! cria Cochonnet, un Éphalant, un Horrible
Éphalant !
Et il décampa à toute allure, sans cesser de crier :
– Au secours ! Au secours ! un Herrible Ophalant ! Ausc’, ausc’ ! un
Héphible Orralant ! Oursc’, ourse’ ! un Hophable Ellarant !
Et il ne cessa pas de crier et de décamper jusqu’à ce qu’il arrivât chez
Christophe Robin.
– Qu’est-ce donc qui t’arrive, Cochonnet ? dit Christophe Robin, qui
était à peine en train de se lever.
– Éph, dit Cochonnet, qui respirait si vite qu’il pouvait à peine parler, un
Éph, un Éph, un Éphalant !
– Où ça ?
– Là-bas, dit Cochonnet en agitant la patte.
– À quoi ressemblait-il ?
– Il ressemblait… il ressemblait… Il avait la tête la plus grosse que tu aies
jamais vue, Christophe Robin. Une grande chose énorme qui ressemblait,
qui ressemblait à… rien du tout. Une formidable
grosse… qui ressemblait, ma foi, à je ne sais pas… qui
ressemblait à un énorme gros rien du tout. Qui
ressemblait à un pot.
– Bon, dit Christophe Robin en mettant ses souliers,
je vais aller voir ça. Viens.
Cochonnet n’avait pas peur si Christophe Robin était
avec lui, et ils partirent…
– Je l’entends ; et toi, est-ce que tu l’entends ? dit Cochonnet d’une voix
anxieuse, comme ils approchaient de la fosse.
– J’entends quelque chose, dit Christophe Robin.
C’était Winnie qui se cognait la tête contre une racine d’arbre qu’il avait
trouvée.
– Là, tu vois ! dit Cochonnet. N’est-ce pas épouvantable !
Et il s’accrocha ferme à la main de Christophe Robin.
Soudain Christophe Robin se mit à rire… mais à
rire… à rire… rire que riras-tu. Et pendant qu’il riait
encore, « Bing ! » fit la tête de l’Éphalant contre la
racine de l’arbre, « Crac ! » fit le pot, et la tête de
Winnie émergea.
Alors Cochonnet comprit quel stupide Cochonnet il avait été, et il eut
tellement honte de lui qu’il courut droit vers sa maison et alla se coucher
avec une forte migraine. Mais Christophe Robin et Winnie rentrèrent
ensemble pour prendre leur petit déjeuner.
– Oh ! Nounours, dit Christophe Robin. Comme je t’aime !
– Moi aussi, dit Winnie.
CHAPITRE VI
Tra-la-la-la, tra-la-lalaire,
Pourquoi donc les oiseaux ne marchent pas sur terre ?
Je n’en sais rien, ce n’est pas mon affaire.
Tra-la-la-la, tra-la-lalaire.
C’était le premier couplet. Quand il l’eut terminé, Hi-han ne dit pas que
ça lui déplaisait, aussi Winnie, très gentiment, lui chanta le second
couplet…
Tra-la-la-la, tra-la-lalaire,
Les poissons sifflent-ils au fond de la rivière ?
Je n’en sais rien, ce n’est pas mon affaire.
Tra-la-la-la, tra-la-lalaire.
Tra-la-la-la, tra-la-lalaire,
Pourquoi donc les poulets peuvent-ils bien le faire ?
Je n’en sais rien, ce n’est pas mon affaire.
Tra-la-la-la, tra-la-lalaire.
– Zut ! dit Winnie. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Il faut
absolument que je lui donne quelque chose.
Pendant un moment il fut incapable de trouver quoi que ce soit. Puis il se
dit : « Ma foi, c’est un très joli pot, même s’il n’y a pas de miel dedans ; et si
je le nettoyais et si je faisais écrire dessus par quelqu’un : Bon Anniversaire,
Hi-han pourrait y mettre des choses, ce qui pourrait être Utile. » Aussi,
comme il passait devant le Bois des Cent Arpents, il y pénétra pour aller
voir Hibou qui habitait là.
– Bonjour, Hibou, dit-il.
– Bonjour, Winnie, dit Hibou.
– Bonne fête de Hi-han, dit Winnie.
– Oh, c’est de ça qu’il s’agit ?
– Qu’est-ce que tu lui donnes, Hibou ?
– Et toi, qu’est-ce que tu lui donnes, Winnie ?
– Je lui donne un Pot Utile pour Mettre des Choses Dedans, et je voulais
te demander…
– Est-ce que c’est ça ? dit Hibou, en prenant le pot des pattes de Winnie.
– Oui, et je voulais te demander…
– Quelqu’un y a mis du miel, dit Hibou.
– On peut y mettre n’importe quoi, dit Winnie, avec enthousiasme. Il est
vraiment Très Utile comme il est ; et je voulais te demander…
– Tu devrais écrire dessus : Bon Anniversaire.
– C’est justement ça que je voulais te demander, dit Winnie. Parce que
mon orthographe va dans tous les sens. C’est une bonne orthographe, mais
elle va dans tous les sens, et les lettres se mettent là où il ne faut pas.
Voudrais-tu, toi, écrire à ma place : Bon Anniversaire ?
– C’est un joli pot, dit Hibou, en le regardant sur toutes les faces. Est-ce
que je ne pourrais pas le donner, moi aussi ? De notre part à nous deux ?
– Non, dit Winnie. Ça ne serait sûrement pas une bonne idée. Eh bien, je
vais d’abord le laver, et puis tu pourras écrire dessus.
Alors, il lava le pot complètement et le sécha, tandis que Hibou suçait le
bout de son crayon et se demandait comment on écrivait : anniversaire.
– Est-ce que tu sais lire, Winnie ? demanda-t-il avec un peu d’anxiété.
Sur ma porte il y a un écriteau qui dit de sonner et de frapper ; c’est
Christophe Robin qui l’a écrit. Est-ce que tu as pu le lire ?
– Christophe Robin m’a dit ce qu’il y avait dessus, et alors j’ai pu le lire.
– Eh bien, je vais te dire ce qu’il y a sur ce pot, et alors tu pourras lire. Et
Hibou écrivit… et voici ce qu’il écrivit :
BOUM !!!???***???
Cochonnet resta étendu, en se demandant ce qui s’était passé. D’abord il
pensa que c’était le monde entier qui avait fait explosion ; et puis il pensa
que peut-être ce n’était que la Forêt ; et puis il pensa que peut-être ce
n’était que lui et qu’il était maintenant dans la lune ou ailleurs, et qu’il ne
reverrait jamais ni Christophe Robin, ni Winnie, ni Hi-han. Et puis il
pensa : « Ma foi, même si je suis dans la lune, je n’ai pas besoin de rester
tout le temps le visage contre terre », et il se leva prudemment et regarda
autour de lui.
Il était toujours dans la Forêt !
« Voilà qui est curieux, pensa-t-il. Je me demande ce que pouvait bien
être ce bruit. Je n’aurais pas pu faire un bruit pareil rien qu’en tombant. Et
où est donc mon ballon ? Et qu’est-ce que c’est que cette petite loque
humide ? »
C’était le ballon !
– Oh, mon Dieu ! dit Cochonnet. Oh, mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu !
Ma foi, c’est trop tard maintenant. Je ne peux rentrer à la maison, et je n’ai
pas d’autre ballon, et peut-être que Hi-han n’aime pas les ballons tant que
ça.
Il continua donc à trottiner, tout triste à présent, et voilà qu’il arriva au
bord du ruisseau où se trouvait Hi-han, et il l’appela.
– Bonjour, Hi-han, cria Cochonnet.
– Bonjour, Petit Cochonnet, dit Hi-han. Si toutefois c’est vraiment un
bon jour, dit-il. Ce dont je doute, dit-il. D’ailleurs ça n’a pas d’importance,
dit-il.
– Bon anniversaire, dit Cochonnet, qui s’était maintenant approché.
Hi-han cessa de se regarder dans le ruisseau et se retourna pour regarder
fixement Cochonnet.
– Répète ce que tu as dit, fit-il.
– Bon anni…
– Attends un peu.
En équilibre sur trois pattes, il essaya avec beaucoup de précautions de
porter sa quatrième patte jusqu’à son oreille.
– J’ai fait ça hier, expliqua-t-il, tout en tombant pour la quatrième fois.
C’est très facile, c’est pour mieux entendre… Là, ça y est cette fois !
Voyons, qu’est-ce que tu me disais ?
Il poussa son oreille en avant avec son sabot.
– Bon anniversaire, dit Cochonnet.
– C’est pour moi que tu dis ça ?
– Bien sûr, Hi-han.
– Tu parles de mon anniversaire ?
– Mais oui.
– J’ai un vrai anniversaire, moi ?
– Oui, Hi-han, et je t’ai apporté un cadeau.
Hi-han ôta son sabot droit de son oreille droite, fit demi-tour, et, à grand-
peine, porta son sabot gauche à son oreille gauche.
– Il faut que j’entende ça avec mon autre oreille, dit-il. Vas-y.
– Un cadeau, dit Cochonnet très fort.
– C’est encore pour moi que tu dis ça ?
– Oui.
– Tu parles toujours de mon anniversaire ?
– Bien sûr, Hi-han.
– Je continue à avoir un vrai anniversaire, moi ?
– Oui, Hi-han, et je t’ai apporté un ballon.
– Un Ballon ? dit Hi-han. Tu as bien dit : ballon ? Une de ces grosses
choses en couleur qu’on gonfle en soufflant ? La gaieté, les chants et la
danse, nous n’irons plus au bois ?
– Oui, mais je crains… je suis désolé, Hi-han… mais, en courant pour te
l’apporter, je suis tombé par terre.
– Mon pauvre ami, quelle malchance ! Tu as dû courir trop vite. Tu ne
t’es pas fait mal, Petit Cochonnet ?
– Non, mais je… je… oh, Hi-han, j’ai crevé le ballon !
Il y eut un très long silence.
– Mon ballon ? finit par dire Hi-han.
Cochonnet hocha la tête.
– Mon ballon d’anniversaire ?
– Oui, Hi-han, dit Cochonnet en reniflant un peu. Le voici. Avec… avec
tous mes meilleurs vœux.
Personne n’avait l’air de savoir d’où ils venaient, mais ils étaient là dans
la Forêt : Kangou et le Petit Rou. Lorsque Winnie demanda à Christophe
Robin : « Comment sont-ils venus ici ? » Christophe Robin répondit :
« Comme on y vient d’habitude, si tu comprends ce que je veux dire,
Winnie » ; et Winnie, qui ne comprenait pas, dit : « Oh ! » Puis il hocha
deux fois la tête et dit : « Comme on y vient d’habitude. Ah ! » Ensuite il
s’en alla rendre visite à son ami Cochonnet pour voir ce qu’il en pensait. Et
chez Cochonnet il trouva Lapin. Et ils discutèrent la question tous
ensemble.
– Voici ce qui me déplaît dans cette affaire, dit Lapin. Nous sommes tous
ici, toi, Winnie, et toi, Cochonnet, et Moi, et brusquement…
– Et Hi-han, dit Winnie.
– Et Hi-han ; et puis, brusquement…
– Et Hibou, dit Winnie.
– Et Hibou ; et puis, très brusquement…
– Oh, et Hi-han, dit Winnie. J’avais oublié Hi-han.
– Nous-sommes-tous-ici, dit Lapin très lentement et très soigneusement,
tous-tant-que-nous-sommes, et puis, brusquement, nous nous réveillons un
beau matin, et que trouvons-nous ? Nous trouvons un Animal Étranger
parmi nous. Un animal dont nous n’avons jamais entendu parler
auparavant ! Un animal qui porte sa famille sur lui dans sa poche !
Supposez que Moi je porte Ma famille sur Moi dans Ma poche, combien de
poches me faudrait-il ?
– Seize, dit Winnie.
– Dix-sept, je crois, dit Lapin. Et une de plus pour mon mouchoir, ça fait
dix-huit. Dix-huit poches pour un costume ! Je n’ai pas le temps.
Il y eut un long silence pensif… et puis, Winnie, qui avait froncé les
sourcils très fort pendant quelques minutes, dit :
– Pour moi, ça fait quinze.
– Quoi ? dit Lapin.
– Quinze.
– Quinze quoi ?
– Ta famille.
– Eh bien, quoi, ma famille ?
Winnie se frotta le nez et dit qu’il croyait que Lapin venait de parler de sa
famille.
– Vraiment ? dit Lapin négligemment.
– Oui, tu as dit…
– Ça n’a pas d’importance, Winnie, dit Lapin d’un ton impatient. La
question est de savoir ce que nous allons faire de Kangou.
– Oh, je vois, dit Winnie.
– Le meilleur parti à prendre, dit Lapin, serait le suivant. Le meilleur
parti à prendre serait de voler le Petit Rou et de le cacher, et puis lorsque
Kangou dit : « Où est le Petit Rou ? » nous, nous disons : Aha !
– Aha ! dit Winnie pour s’exercer. Aha ! Aha !… Bien sûr, continua-t-il,
nous pourrions dire : Aha ! même si nous n’avions pas volé le Petit Rou.
– Winnie, dit Lapin gentiment, tu n’as pas de cervelle.
– Je sais, dit Winnie humblement.
– Nous disons : Aha ! pour que Kangou sache que nous savons, nous, où
se trouve le Petit Rou. Aha ! signifie : Nous te dirons où se trouve le Petit
Rou si tu nous promets de quitter la Forêt et de ne jamais revenir. Et
maintenant, je te prie de ne pas parler pendant que je réfléchis.
Winnie s’en alla dans un coin et essaya de dire : Aha ! avec la voix qu’il
fallait. Parfois il lui semblait que ça voulait bien dire ce qu’avait dit Lapin,
et parfois il lui semblait que ça ne voulait pas dire ça du tout. « Je suppose
que c’est une question d’entraînement, pensa-t-il. Je me demande si
Kangou, elle aussi, devra s’entraîner pour comprendre ce que ça veut dire. »
– Il y a encore une chose, dit Cochonnet, un peu nerveusement. J’ai parlé
à Christophe Robin, et il m’a raconté que Kangou était généralement
Considérée comme Un des Animaux Sauvages. Je n’ai pas peur des
Animaux Sauvages en temps ordinaire, mais c’est un fait bien connu que, si
on Enlève Son Petit à Un des Animaux Sauvages, il devient aussi sauvage
que Deux Animaux Sauvages. Et dans ce cas, c’est peut-être une sottise de
dire : Aha !
– Cochonnet, dit Lapin, en tirant un crayon et en en léchant la mine, tu
n’as pas du tout de cran.
– Il est difficile d’être courageux, dit Cochonnet en reniflant un peu,
quand on est un Très Petit Animal.
Lapin, qui avait commencé à écrire d’un air très affairé, leva les yeux et
dit :
– C’est parce que tu es un très petit animal que tu seras Utile dans
l’aventure qui nous attend.
Cochonnet fut tellement transporté à l’idée d’être Utile qu’il en oublia
d’avoir peur, et quand Lapin continua en disant que les Kangous n’étaient
sauvages que pendant les mois d’hiver, mais que, le reste du temps, ils
étaient d’Humeur Affectueuse, c’est tout juste s’il put rester en place,
tellement il avait envie de commencer à être utile tout de suite.
– Et moi ? dit Winnie tristement. Je suppose que je ne serai pas utile,
moi ?
– Ça ne fait rien, Winnie, dit Cochonnet pour le consoler. Ce sera pour
une autre fois.
– Sans Winnie, dit Lapin solennellement en aiguisant son crayon,
l’aventure serait impossible.
– Oh ! dit Cochonnet.
Et il essaya de ne pas avoir l’air désappointé. Mais Winnie s’en alla dans
un coin de la pièce et se dit fièrement : « Impossible sans Moi ! Voilà quelle
espèce d’Ours je suis. »
– Et maintenant, écoutez tous, dit Lapin quand il eut fini d’écrire, et
Winnie et Cochonnet restèrent assis à écouter avidement, la bouche
ouverte. Et voici ce que Lapin lut à haute voix :
PLAN POUR CAPTURER LE PETIT ROU
Donc, Lapin lut cela fièrement, à haute voix, et pendant quelque temps
après qu’il eût fini, personne ne dit mot. Et puis, Cochonnet, qui avait
ouvert et fermé la bouche sans faire de bruit, réussit à dire d’une voix
étranglée :
– Et… Plus Tard ?
– Qu’est-ce que tu veux dire ?
– Lorsque Kangou S’apercevra de la Différence ?
– Alors nous disons tous : Aha !
– Nous tous les trois ?
– Oui.
– Oh !
– Pourquoi, qu’est-ce qui te tracasse, Cochonnet ?
– Rien, dit Cochonnet, du moment que nous le disons tous les trois. Du
moment que nous le disons tous les trois, dit Cochonnet, ça m’est égal, dit-
il ; mais ça ne m’aurait pas plu de dire : Aha ! tout seul. Il s’en faudrait de
beaucoup que ça soit aussi bien. À ce propos, dit-il, tu es bien sûr de ce que
tu as dit au sujet des mois d’hiver.
– Des mois d’hiver ?
– Oui, au sujet d’être Sauvages seulement pendant les Mois d’Hiver ?
– Oh, oui, bien sûr, c’est tout à fait exact. Eh bien, Winnie, tu vois ce que
tu as à faire ?
– Non, dit Winnie. Pas encore, dit-il. Qu’est-ce que j’ai à faire ?
– Eh bien, il faut simplement que tu parles à Kangou tant que tu pourras,
afin qu’elle ne s’aperçoive de rien.
– Oh ! De quoi faudra-t-il parler ?
– De tout ce qu’il te plaira.
– Tu veux dire lui réciter un bout de poésie, ou quelque chose de ce
genre ?
– C’est ça, dit Lapin. C’est superbe. Et maintenant, venez.
Et ils sortirent tous les trois à la recherche de Kangou.
Kangou et Rou étaient en train de passer une paisible après-midi dans
une partie sablonneuse de la Forêt. Le Petit Rou s’entraînait à faire de tout
petits sauts dans le sable, et tombait dans des trous de souris et en sortait, et
Kangou s’agitait nerveusement autour de lui et disait : « Rien qu’un saut de
plus, mon chéri, et après ça il nous faut rentrer. » Et, à ce moment-là, qui
est-ce qui monta la colline clopin-clopant si ce n’est Winnie.
– Bonjour, Kangou.
– Bonjour, Winnie.
– Regarde-moi sauter, glapit Rou ; et il tomba dans un autre trou de
souris.
– Bonjour, Rou, mon petit.
– Nous allions rentrer, dit Kangou. Bonjour, Lapin. Bonjour, Cochonnet.
Lapin et Cochonnet, qui venaient de grimper de l’autre côté de la
colline, dirent : « Bonjour », et : « Comment va, Rou ? » et Rou leur
demanda de le regarder sauter, et ils s’arrêtèrent pour le regarder.
Et Kangou regardait, elle aussi…
– Dis donc, Kangou, dit Winnie, après que Lapin lui eut cligné de l’œil à
deux reprises, je me demande si tu t’intéresses à la Poésie ?
– Presque pas du tout, dit Kangou.
– Oh ! dit Winnie.
– Rou, mon chéri, rien qu’un saut de plus, et après ça il nous faut rentrer.
Il y eut un court silence tandis que Rou tombait dans un autre trou de
souris.
– Continue, murmura Lapin derrière sa patte.
– À propos de poésie, dit Winnie, j’ai composé quelques vers en venant
ici. Ça disait comme ceci. Hum, voyons, que je réfléchisse…
– Pas possible ! dit Kangou. Allons, Rou, mon chéri…
– Ces vers te plairont, dit Lapin.
– Ils te plairont énormément, dit Cochonnet.
– Il faudra que tu écoutes très attentivement, dit Lapin.
– Afin de bien tout saisir, dit Cochonnet.
– Oh, bien sûr, dit Kangou, mais elle continuait à regarder le Petit Rou.
– Comment est-ce que ça disait, Winnie ? dit Lapin.
Winnie toussota et commença :
VERS ÉCRITS PAR UN OURS DE TRÈS PEU DE CERVELLE
Vendredi…
– Oui, n’est-ce pas ? dit Kangou, sans attendre pour écouter ce qui se
passait le vendredi. Rien qu’un saut de plus, Rou, mon chéri, et après ça il
faut absolument que nous rentrions.
Lapin donna un coup de coude à Winnie afin qu’il se dépêche.
– À propos de Poésie, dit Winnie vivement, as-tu jamais remarqué l’arbre
qui est là-bas ?
– Où ça ? dit Kangou. Allons, Rou…
– Juste là-bas, dit Winnie, en montrant du doigt derrière le dos de
Kangou.
– Non, dit Kangou. Allons, saute dans ma poche, Rou, mon chéri, et
nous rentrerons à la maison.
– Tu devrais regarder cet arbre qui est juste là-bas, dit Lapin. Veux-tu que
je t’aide à entrer, Rou ?
Et il souleva Rou dans ses pattes.
– Je peux y voir un oiseau depuis ici, dit Winnie. Ou bien, est-ce un
poisson ?
– Tu devrais voir cet oiseau depuis ici, dit Lapin. À moins que ça ne soit
un poisson.
– Ça n’est pas un poisson, c’est un oiseau, dit Cochonnet.
– C’est ma foi vrai, dit Lapin.
– Est-ce un étourneau ou un merle ? dit Winnie.
– Toute la question est là, dit Lapin. Est-ce un merle ou un étourneau ?
Et alors Kangou tourna enfin la tête pour regarder. Et dès qu’elle eût
tourné la tête, Lapin dit à haute voix :
– Allez, saute, Rou !
Et voilà Cochonnet qui saute dans la poche de Kangou, et voilà Lapin
qui décampe, en tenant Rou entre ses pattes, aussi vite qu’il le peut.
– Tiens, où est donc Lapin ? dit Kangou en se retournant. Es-tu bien,
Rou, mon chéri ?
Cochonnet fit entendre un glapissement à la manière de Rou, du fond de
la poche de Kangou.
– Lapin a été obligé de partir, dit Winnie. Je pense qu’il a dû penser à
quelque chose dont il devait aller s’occuper brusquement.
– Et Cochonnet ?
– Je pense que Cochonnet a pensé à quelque chose au même moment.
Brusquement.
– Eh bien il faut que nous rentrions, dit Kangou. Au revoir, Winnie.
Et en trois grands bonds elle disparut.
Winnie la regarda partir.
– Je voudrais bien pouvoir sauter comme ça,
pensa-t-il. Certains peuvent et d’autres non. Voilà comment sont les
choses.
Mais il y avait des moments où Cochonnet aurait bien voulu que Kangou
ne puisse pas sauter. Souvent, quand il lui avait fallu marcher longtemps
pour rentrer chez lui, il lui était arrivé de souhaiter d’être un oiseau ; mais à
présent il pensait par saccades au fond de la poche de Kangou :
– Tu… tu… tu l’as fait exprès, crachota Cochonnet, dès qu’il put
retrouver la parole…
Et puis, accidentellement, il avala une autre bouchée de flanelle
savonneuse.
– C’est ça, mon chéri, ne parle plus, dit Kangou.
Et, un moment plus tard, Cochonnet était retiré du bain et frictionné
avec une serviette.
– Maintenant, dit Kangou, il y a ton remède à prendre, et puis, au lit.
– Qu-qu-quel remède ? dit Cochonnet.
– Pour que tu deviennes grand et fort, mon chéri. Tu ne veux pas rester
petit et faible comme Cochonnet, n’est-ce pas ? Eh bien, alors !
À ce moment on frappa à la porte.
– Entrez, dit Kangou ; et voilà que Christophe Robin entra.
– Christophe Robin ! Christophe Robin ! cria Cochonnet. Dis à Kangou
qui je suis. Elle persiste à dire que je suis Rou. Je ne suis pas Rou, n’est-ce
pas ?
Christophe Robin le regarda très attentivement et fit un signe de tête
négatif.
– Tu ne peux pas être Rou, dit-il, parce que je viens de voir Rou en train
de jouer dans la maison de Lapin.
– Ça, alors ! dit Kangou. Par exemple ! Comment ai-je pu me tromper à
ce point ?
– Tu vois bien ! dit Cochonnet. Je te l’avais bien dit. Je suis Cochonnet.
Christophe Robin fit un autre signe de tête négatif.
– Oh non, tu n’es pas Cochonnet, dit-il. Je connais bien Cochonnet, et il
est d’une couleur tout à fait différente.
Cochonnet commença à dire que c’était parce qu’il venait de prendre un
bain, et puis il pensa qu’il ferait peut-être mieux de ne pas dire cela, et,
comme il ouvrait la bouche pour dire autre chose, Kangou y glissa la
cuillère de remède, et puis elle lui tapota le dos en lui disant que ça avait
vraiment très bon goût quand on y était habitué.
– Je savais bien que ce n’était pas Cochonnet, dit-elle. Je me demande
qui ça peut bien être.
– Peut-être que c’est un parent de Winnie, dit Christophe Robin. Un
neveu, un oncle, ou quelque chose de ce genre, qu’en penses-tu ?
Kangou convint que c’était sans doute ça, et elle dit qu’ils devraient lui
donner un autre nom.
– Je l’appellerai Poutel, dit Christophe Robin. Henri Poutel.
Et juste au moment où il avait décidé cela, Henri Poutel s’échappa en se
tortillant des bras de Kangou, et sauta sur le sol. À sa grande joie,
Christophe Robin avait laissé la porte ouverte. Jamais Henri Poutel
Cochonnet n’avait couru aussi vite qu’il courut alors, et il n’arrêta pas de
courir jusqu’à ce qu’il arrive tout près de sa maison. Mais, quand il en fut à
cent mètres, il s’arrêta de courir, et roula pendant tout le reste du trajet,
afin de retrouver sa couleur à lui, si agréable et si commode…
Ainsi Kangou et Rou restèrent dans la Forêt… Et tous les mardis, Rou
passait la journée avec son grand ami Lapin ; et tous les mardis, Kangou
passait la journée avec son grand ami Winnie, et lui apprenait à sauter ; et
tous les mardis, Cochonnet passait la journée avec son grand ami
Christophe Robin. Et tous étaient heureux de nouveau.
CHAPITRE VIII
Une fois arrivé là, il se gratta la tête et il se dit : « C’est un très bon début
pour une chanson, mais quel sera le second vers ? » Il essaya de chanter :
Oh ! deux ou trois fois, mais cela ne lui fut d’aucun secours. « Peut-être
vaudrait-il mieux, pensa-t-il, que je chante : Ah ! quel bonheur d’être un
Ours ! » C’est ce qu’il fit… mais cela ne l’avança à rien.
– C’est bon, dit-il, je vais chanter ce premier vers deux fois, et peut-être
que si je le chante très vite, je me trouverai en train de chanter le troisième
et le quatrième vers avant d’avoir eu le temps d’y réfléchir, et ce sera une
Bonne Chanson. Allons-y :
– Bonjour, Hi-han, dit Winnie qui arrivait à leur hauteur avec sa gaule.
– Bonjour, Winnie ; je te remercie de me l’avoir demandé ; je pourrai
m’en servir de nouveau dans un jour ou deux.
– Te servir de quoi ? dit Winnie.
– Ce dont nous parlons.
– Je ne parlais de rien, dit Winnie d’un air intrigué.
– Ma faute, une fois de plus. Je croyais que tu me disais combien tu
regrettais que ma queue soit toute engourdie et que tu ne puisses rien faire
pour m’aider.
– Non, dit Winnie. Ce n’était pas moi, dit-il. Il réfléchit un peu, puis il
suggéra serviablement : Peut-être que c’était quelqu’un d’autre.
– Eh bien, remercie-le de ma part quand tu le verras.
Winnie regarda Christophe Robin avec anxiété.
– Winnie a découvert la Gaule, dit Christophe Robin. N’est-ce pas
superbe ?
Winnie baissa les yeux modestement.
– Est-ce que c’est ça ? dit Hi-han.
– Oui, dit Christophe Robin.
– C’est ça que nous cherchions ?
– Oui, dit Winnie.
– Oh ! dit Hi-han… Ma foi, en tout cas, il n’a pas plu, dit-il.
Ils plantèrent la Gaule dans le sol, et Christophe Robin y attacha un
message :
GAULE
DÉCOUVERTE PAR
WINNIE
WINNIE L’A TROUVÉE
Puis chacun rentra chez soi. Et je crois, mais je n’en suis pas très sûr, que
Rou prit un bain chaud et se coucha immédiatement. Mais Winnie rentra
chez lui, et, tout fier de ce qu’il avait fait, mangea un petit quelque chose
pour reprendre des forces.
CHAPITRE IX
Deux jours plus tard, Winnie était là, assis sur sa branche, les jambes
pendantes, et, à côté de lui, il y avait quatre pots de miel…
Trois jours plus tard, Winnie était là, assis sur sa branche, les jambes
pendantes, et, à côté de lui, il y avait un pot de miel…
Quatre jours plus tard, Winnie était là…
Et ce fut le matin du quatrième jour que la bouteille de Cochonnet passa
en flottant devant lui, et, avec un grand cri : Du Miel ! Winnie plongea
dans l’eau, saisit la bouteille, et lutta contre le courant pour regagner son
arbre.
– Zut ! dit Winnie en ouvrant la bouteille. Toute cette humidité pour
rien. Qu’est-ce que ce bout de papier fait là-dedans ?
Il le retira et le regarda.
« C’est un Missage, se dit-il, voilà ce que c’est. Et cette lettre est un W, et
celle-ci aussi, et celle-là aussi, et W signifie Winnie, de sorte que c’est un
très important Missage pour moi, et je ne peux pas le lire. Il faut que j’aille
trouver Christophe Robin ou Hibou, ou Cochonnet, un de ces Lecteurs
Astucieux qui savent lire les choses, et ils me diront ce que ce Missage
signifie. Mais, voilà, je ne sais pas nager. Zut ! »
Alors il eut une idée, et je trouve que, pour un Ours de Très Peu de
Cervelle, c’était une bonne idée. Il se dit :
« Si une bouteille peut flotter, alors un pot peut flotter, et si un pot peut
flotter, je peux m’asseoir dessus, si c’est un très grand pot. »
Il prit donc son plus grand pot et le boucha hermétiquement.
– Tous les bateaux doivent avoir un nom, dit-il ; aussi j’appellerai le mien
L’Ours Flottant ; et, sur ces mots, il laissa tomber son bateau dans l’eau et
sauta après lui.
Pendant un moment, Winnie et L’Ours Flottant ne furent pas très fixés
sur la question de savoir lequel des deux devait être par-dessus, mais, après
avoir essayé une ou deux positions différentes, ils se stabilisèrent, L’Ours
Flottant en dessous, et Winnie triomphalement à califourchon dessus,
pagayant vigoureusement avec ses pieds.
Un jour où le soleil était revenu sur la Forêt, apportant tous les parfums
de Mai avec lui ; un jour où tous les petits ruisseaux de la Forêt tintaient
joyeusement, tout heureux d’avoir retrouvé leur jolie forme, et où les
petites mares rêvaient à la vie qu’elles avaient vue et aux grandes choses
qu’elles avaient faites ; un jour où, dans le cœur chaud et paisible de la
Forêt, le coucou essayait soigneusement sa voix et écoutait pour voir si elle
lui plaisait, et où les ramiers se plaignaient doucement à eux-mêmes, d’un
ton paresseux et satisfait, que ce fût la faute de l’autre, mais ça n’avait pas
beaucoup d’importance ; par un jour semblable, Christophe Robin siffla
d’une façon particulière qu’il avait, et Hibou sortit à tire-d’aile du Bois de
Cent Arpents pour voir ce qu’il voulait.
– Hibou, dit Christophe Robin, je vais donner une réception.
– Ah ! vraiment ? dit Hibou
– Et ce sera une réception d’un genre particulier, car c’est à cause de ce
que Winnie a fait quand il a fait ce qu’il a fait pour sauver Cochonnet de
l’inondation.
– Ah ! vraiment, c’est pour ça ? dit Hibou.
– Oui ; aussi veux-tu aller le dire à Winnie aussi vite que tu pourras, ainsi
qu’à tous les autres, parce que ça sera demain.
– Ah ! vraiment, ça sera demain ? dit Hibou, toujours aussi serviable que
possible.
– Aussi, veux-tu aller le leur dire, Hibou ?
Hibou essaya de penser à quelque chose de très sage à dire, mais il ne put
y réussir, et il s’envola pour annoncer la nouvelle aux autres. Et le premier à
qui il l’annonça fut Winnie.
– Winnie, dit-il, Christophe Robin donne une réception.
– Oh ! dit Winnie.
Et puis, voyant que Hibou s’attendait à ce qu’il dise autre chose, il dit :
– Y aura-t-il de ces petits gâteaux avec un glaçage de sucre rose ?
Hibou sentit qu’il était indigne de lui de parler de petits gâteaux avec un
glaçage de sucre rose ; aussi il dit à Winnie exactement ce que Christophe
Robin lui avait dit, et s’envola vers Hi-han.
« Une réception pour Moi ? pensa Winnie. C’est magnifique ! » Et il
commença à se demander si tous les autres animaux sauraient que c’était
une Réception tout spécialement en l’honneur de Winnie, et si Christophe
Robin leur avait raconté l’histoire de L’Ours Flottant et du Cervelle de
Winnie et de tous les bateaux merveilleux qu’il avait inventés et sur lesquels
il avait navigué, et il commença à penser combien ce serait épouvantable si
tout le monde avait oublié ses exploits et si personne ne savait exactement
pourquoi on donnait cette réception ; et plus il pensait à cela, plus la
réception s’embrouillait dans son esprit, comme un rêve où tout va de
travers. Et le rêve commença à se chanter dans sa tête jusqu’à ce qu’il
devienne une espèce de chanson. C’était une
Pendant que ceci se passait dans sa tête, Hibou était en train de parler à
Hi-han.
– Hi-han, dit Hibou, Christophe Robin donne une réception.
– Une Invitation !
– Oui, je t’ai entendu. Qui l’a laissée tomber ?
– Ça n’est pas une chose qui se mange, ça te demande de venir à la
réception. Demain.
Hi-han secoua lentement la tête.
– Tu parles de Cochonnet. Le petit bonhomme aux oreilles toujours
agitées. C’est Cochonnet. Je lui ferai la commission.
– Non, non ! dit Hibou qui commençait à s’énerver. Il s’agit de toi !
– En es-tu sûr ?
– Naturellement que j’en suis sûr. Christophe Robin a dit : « Tous ! Va le
leur dire à tous. »
– Tous, sauf Hi-han ?
– Tous sans exception, dit Hibou d’un ton maussade.
– Ah ! dit Hi-han. Une erreur, sans aucun doute ; mais, néanmoins, je
viendrai. Seulement, s’il pleut, ne vous en prenez pas à moi.
Mais il ne plut pas. Christophe Robin avait fait une longue table avec de
longs morceaux de bois, et ils étaient tous assis autour. Christophe Robin
était assis à un bout, et Winnie était assis à l’autre bout, et, entre eux, d’un
côté il y avait Hibou, Hi-han et Cochonnet, et, entre eux, de l’autre côté il
y avait Lapin, Rou et Kangou. Et tous les parents et amis de Lapin
s’étendirent sur l’herbe et attendirent pleins d’espoir, au cas où quelqu’un
leur parlerait, laisserait tomber quelque chose, ou leur demanderait l’heure.
C’était la première réception à laquelle Rou ait jamais assisté, et il était
très excité. Dès qu’on se fut assis il commença à parler.
– Bonjour, Winnie ! glapit-il.
– Bonjour, Rou ! dit Winnie.
Rou sauta sur sa chaise pendant quelque temps, puis il recommença.
– Bonjour, Cochonnet ! glapit-il.
Cochonnet lui fit un signe de la patte, car il était trop occupé pour parler.
– Bonjour, Hi-han ! dit Rou.
Hi-han lui adressa un hochement de tête lugubre.
– Il va pleuvoir bientôt, tu vas voir, dit-il.
Rou regarda pour voir s’il pleuvait, et, comme il ne pleuvait pas, il dit :
– Bonjour, Hibou ! et Hibou dit :
– Bonjour, mon petit ami, d’une voix aimable, puis il continua à raconter
à Christophe Robin un accident qui avait failli arriver à un de ses amis que
Christophe Robin ne connaissait pas, et Kangou dit à Rou : « Bois ton lait
d’abord, mon chéri, tu parleras ensuite. » Aussi Rou, qui était en train de
boire son lait, essaya de dire qu’il pouvait faire les deux choses à la fois… et
il fallut ensuite lui donner des tapes dans le dos et le sécher pendant un bon
bout de temps.
Alan Alexander Milne est né à Londres en 1882. Il fait ses études à Trinity
College (Cambridge) puis commence à travailler pour le magazine satirique
Punch. Quand la Première Guerre mondiale éclate, il combat en France
avant d’être démobilisé en raison d’une grave maladie. Il commence à
écrire : romans, nouvelles, poésie, théâtre. Il écrit, à l’intention de son fils,
Christopher Robin, les aventures de son ours Winnie et de ses amis, qui
sont tous inspirés de ses animaux en peluche. Ces histoires rencontreront
un immense succès. A. A. Milne est mort en 1956.
L’illustrateur, Ernest H. Shepard
– Tu es le Meilleur-Ours-du-Monde-Entier, dit Christophe Robin.
– Vraiment ? dit Winnie, plein d’espoir.
La version originale, dans toute sa beauté,
d’un immense classique pour la jeunesse
5 rue Gaston-Gallimard 75328 Paris Cedex 07
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