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Les Gens Honnêtes Ont-Ils Un Avenir
Les Gens Honnêtes Ont-Ils Un Avenir
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ISBN : 978-2-412-05081-1
ISBN numérique : 978-2-412-05354-6
LES GENS
HONNÊTES
ONT-ILS
UN AVENIR ?
En finir avec les gougnafiers
(un essai engagé sur la société actuelle)
« Si quelqu’un dit la vérité, donne-
lui un cheval, il en aura besoin pour
s’enfuir. »
Proverbe afghan
Préambule
Oui, l’honnêteté ne fait plus recette. Elle n’est pas bankable. Elle est
ringarde. Les grands de ce monde n’en veulent plus. Et les petits non plus.
Certes, l’honnêteté n’est pas toujours marrante à vivre, elle serait même
décourageante. Combien de fois avons-nous constaté que celle ou celui qui
s’impose de manière agressive, fallacieuse, s’en sort mieux que nous qui
marchons dans les clous. Mais nous ne devons pas abdiquer car,
contrairement à ce qu’on pourrait penser dans cette période agitée, nous ne
sommes pas une espèce en voie de disparition ! Loin de là !
À l’instar des fourmis qui ont deux estomacs – un pour soi, un pour la
collectivité 1 –, nous avons compris (nous sommes intelligents, osons le
dire !) que la race humaine comme la nature ne survivront que par
l’entraide. Sinon… couic ! 2
1. Ainsi, lorsqu’une d’entre elles est souffrante, une autre lui donne des réserves de son
estomac social. Tout en préservant ses forces, elle aide la communauté : c’est ce qu’on
appelle du win-win, du gagnant-gagnant.
2. Encore que, je suis moins inquiète pour la nature, elle survivra sous une autre forme et,
à mon avis, elle rigolera bien de nous voir à terre !
Gougnafiers contre gens
honnêtes : l’éternel combat
« On a beau ne pas être envieux, on rage
toujours quand les autres chaussent
vos souliers et vous écrasent. »
J’ai éprouvé assez vite un malaise qui m’interrompait dans mon nouveau
bonheur. Comme si quelqu’un m’observait ou m’en voulait. Je m’arrêtais,
me retournais, mais je ne voyais rien que de très normal. Les trottoirs
d’une capitale en effervescence, des vies pressées, une circulation bruyante.
Si personne ne me suivait ni me regardait, personne, non plus, ne me tenait
la porte quand j’avais les bras chargés. Personne ne s’arrêtait quand je
m’apprêtais à traverser sur un passage piéton, même avec une poussette.
Personne ne répondait à mes « Bonjour, messieurs-dames ! » quand
j’entrais dans un commerce. Dans le métro, je marchais de travers, comme
un crabe, afin d’éviter l’autre qui arrive en face, qui impose sa route à
coups d’épaule. En plus, comme d’habitude, je m’entendais dire, en
slalomant : « Pardon, pardon ! »
Tout quitter pour rejoindre une caverne (avec chauffage et eau chaude,
tout de même) ou remonter en selle ? J’ai rencontré beaucoup de gens,
échangé avec eux, senti leur détresse et surtout leur isolement. Leur vie
était devenue un chemin de croix. Aux difficultés « normales » – boucler
les fins de mois, tenir son entreprise, payer son loyer, éduquer ses enfants –
s’ajoutait l’incroyable pression d’individus égoïstes, sourds et aveugles à
tout sens commun.
Alors j’ai eu l’idée de ce livre. Espérant que ce serait plus efficace qu’un
papier fugace dans un journal. Grâce à des rencontres inattendues et
bienveillantes, ce projet a été validé très vite. Trop vite. J’avoue être
tombée à ce moment-là dans une profonde angoisse dont j’ose vous faire
part, car je la sais très (trop) répandue chez les gens honnêtes. Mais qui
étais-je pour prendre la plume ? Pour oser m’emparer d’un tel sujet ?
Pourquoi m’avait-on fait confiance ? Étais-je légitime ? Je pédalais (à
nouveau !) dans mon angoisse.
Oui, mais à certaines conditions : les gens honnêtes vont devoir sortir de
leur zone de confort, faire un pas de côté et oser prendre la parole. C’est ce
que j’ai décidé de faire. Pour que vous le fassiez à votre tour. Je suis
sérieuse. Je vais tenter de baliser votre route. Notre route. Nous sommes
nombreux. Bien plus nombreux que les gougnafiers. Il n’y aurait donc
aucune raison de ne pas gagner. L’honnêteté ne doit pas devenir une langue
morte.
J’ai puisé une grande énergie dans cette citation d’Albert Camus : « Ceux
qui ont vraiment quelque chose à dire, ils n’en parlent jamais. » Alors que,
on est d’accord, les grandes gueules n’ont aucun complexe à prendre la
parole, et gueuler des âneries ne les gêne pas du tout. J’ai entendu un
animateur radio s’auto-congratuler, fier comme un « bar-tabac », d’un :
« Moi, j’ai un avis sur tout et surtout un avis ! » Arrgh ! C’est une phrase
en apparence bien foutue, qui claque et peut faire marrer, mais elle est
idiote, fausse et dangereuse. Non, nous ne sommes pas omniscients et ne
pouvons avoir un avis – argumenté – sur tout.
— C’est quoi, pour vous, être honnête ? Parce que, vous voyez, je ne sais pas si je le
suis.
— Comment ça ?
— Eh bien, par exemple, l’ordinateur que j’ai chez moi et que mon fils utilise, en fait, je
l’ai mis sur le compte de ma société.
— Qui a payé ?
— Moi, mais bon, ce n’est pas très honnête.
À l’époque, j’en ai souri. Pourquoi ? Parce que j’étais réconfortée dans mon
intuition. Les gens honnêtes, les vrais, on les reconnaît par cette vertu toute
particulière : le doute. Le doute d’eux-mêmes, de leur probité, de leur
utilité. Si j’étais sur la bonne voie, j’ai réalisé que je devais poser clairement
certains postulats afin que nous soyons sur la même grille de lecture.
Voici donc la définition des « gens honnêtes » pour cet ouvrage : personnes
respectueuses, non violentes, bienveillantes, ayant le sens de l’altérité. Ce
ne sont pas des anges qui passent leur vie sur un nuage en souriant
béatement (enfin, pas tout le temps). Ni des êtres faibles et fatalistes. Ils
ressentent des sentiments violents comme la colère et la peine. Ils ne se
laissent pas faire (enfin, pas tout le temps), se défendent au plus juste.
Lorsque certaines situations impliquent l’utilisation du système D, il leur
arrive de commettre des petites entorses à la loi ou bien quelques
mensonges nécessaires. Cela avec tout de même une pointe de culpabilité
dans l’estomac. Comment pourrions-nous vivre en appliquant toutes les
règles et toutes les normes ? Le réel est ainsi fait qu’on ne peut lui répondre
qu’« humainement », c’est-à-dire de manière parfois faillible ou imparfaite.
Nous faisons toutes et tous ces incartades. Et ce n’est pas si grave tant que
prévaut, au fond de nous, l’idée que nous vivons ensemble, ici et
maintenant, et que nos petits arrangements ne font souffrir personne. Que
nous respectons le souci de la justesse.
Donc, si on résume, vous êtes un·e enfant, un·e ado, un·e adulte. Que vous
soyez engagé·e ou non dans des causes humanitaires ou associatives, vous
appliquez les règles du vivre-ensemble. Vous respectez naturellement les
frontières de l’autre, vous participez au collectif. Vous payez vos impôts
(pas toujours avec joie, il ne faut pas exagérer), vous cotisez vaillamment
(même si ça coince certaines fins de mois), vous éduquez vos enfants au
respect et à la tolérance, vous essayez d’être le plus juste possible, quelle
que soit l’épreuve ou la récompense. Au quotidien, vous économisez l’eau,
vous aidez les personnes fragiles à traverser, vous triez vos poubelles, vous
versez 10 ou 20 euros à la Fondation Abbé Pierre ou Amnesty
International, vous participez au Téléthon, vous ne faites pas tourner de
machine après 21 heures, vous respectez les limitations de vitesse. Mais,
c’est fou, cette sensation de solitude, parfois, non ?
Que se passe-t-il dans notre for (et fort) intérieur lorsque, par honnêteté,
on se retrouve le bec dans l’eau, débouté, dégoûté, car on doit jeter
l’éponge face à la mauvaise foi de l’autre et son refus fier et obtus des
règles ? Que ce soit dans un cadre personnel (travail, voisinage, famille…)
ou dans la société (éducation, justice…) ? On est en droit de se demander si
on ne nous prend pas pour des buses !
Pourtant, il nous est difficile de nous plaindre. Comme nous sommes plutôt
fort doués d’empathie, on a d’abord tendance à essayer de comprendre
l’autre et lui trouver des circonstances atténuantes. Ouvrir la bouche, c’est
aussi, aujourd’hui, prendre le risque de recevoir des seaux de boue sur la
tête. Nos arguments ne servent à rien face à la mauvaise foi. On sera traité
(dans le désordre) de passéiste, raciste, homophobe, macho, sexiste, ultra
quelque chose, salaud de patron, connard d’employé, misogyne, vieux con,
jeune débile, racisé, non racisé, vegan, viandard, ringard qui n’a pas
compris le concept-roi du « chacun pour soi », argumenté par le très
solide : « Si je le prends pas, quelqu’un d’autre le fera, alors je me sers. »
À ce jour, c’est plus de 8 000 initiatives triées, vérifiées, qui ont été mises à
l’antenne. 8 000 initiatives qui vont de la crèche collective au recyclage, en
passant par l’aide à la personne, l’aide au logement ou à la recherche
d’emploi, la réhabilitation des terres, les initiatives locales et bio, l’accueil
de migrants, les animations culturelles, sportives, etc., dont 80 % sont
encore pérennes 13 ans après.
J’ai été saisie par les chiffres que m’a révélés Philippe Bertrand : 16 millions
de bénévoles bossent dans 1 300 000 associations, auxquels s’ajoutent
2 400 000 salariés 2. Mes yeux écarquillés, ma bouche bée ont amusé le
producteur qui s’est emporté :
C’est bien ça, le problème ! Ces personnes ne souhaitent pas entrer dans les
réseaux, se méfient de la politique. Ils n’ont pas la même perspective de
performance. Si c’est pour le partage et l’équité, oui, mais pas le profit !
Ces personnes se débrouillent entre elles, n’attendent rien des collectivités
locales – ou territoriales –, elles-mêmes empêtrées dans des bourbiers de
budgets, de responsabilités. Regardez tous ces maires, hommes et femmes
de bonne volonté, doués d’empathie, qui ont envie de jeter l’éponge tant
leur mission est rendue de plus en plus impossible. Il est d’ailleurs assez
frappant de constater qu’un tiers des maires avouent renoncer à un
prochain mandat car ils croulent sous les exigences consuméristes de
3
citoyens , ce qui va à l’encontre de leur mission en faveur de l’intérêt
général. Comme le souligne le neuropsychiatre Boris Cyrulnik : « L’arrêt
de l’empathie pour quelqu’un qui veut faire de la politique est une force. »
Or beaucoup ne l’ont pas. Et c’est tant mieux dans un sens, mais dommage
dans l’autre, car cela nous coupe de ces belles personnes.
Le gougnafier n’est pas toujours celle ou celui que l’on croit. L’homme
malhonnête est le voleur, mais le gougnafier est ce voyageur qui a fait
semblant de ne pas voir. Qui a préféré fuir au risque de laisser mourir un
homme.
[…] ils contribuent au mouvement de l’ordre social ; ils sont l’huile des rouages ;
semblables à l’air, ils se glissent partout ; les voleurs sont une nation à part, au milieu
de la nation […].
Que deviendrait-on le jour qu’il n’y aurait plus par le monde que des honnêtes gens
[…], on s’ennuierait à la mort ; il n’y aurait plus rien de piquant : on prendrait le deuil le
jour où il ne faudrait plus de serrures.
Ce n’est pas tout, quelle perte immense cela ne ferait-il pas supporter ! La
gendarmerie, la magistrature, les tribunaux, la police, les notaires, les avoués, les
serruriers, les banquiers, les huissiers, les geôliers, les avocats disparaîtraient comme
un nuage. Que ferait-on alors ? Que de professions reposent sur la mauvaise foi, le
vol et le crime !
Quelques indices infaillibles : il est bien dans sa peau et ne veut pas savoir
que vous existez. Il se fout de tout sauf de lui. Il ose tout. Et surtout, il a
une grande bouche !
Vous me direz : « Mais en fait, c’est un con ! » J’y ai pensé aussi. J’ai
consulté la littérature de plus en plus abondante sur le sujet 6. Eh bien non,
le gougnafier est bien plus qu’un con. Ou alors un très, très gros con, « un
con de compétition ». Et encore ! Il ne connaît ni la culpabilité ni la honte.
Il n’a que des droits. Aucun devoir. Si, il a « le droit de n’avoir aucun
devoir » (je l’ai entendu). Il vise la satisfaction immédiate de son désir qu’il
auto-déclare cause nationale, voire planétaire. « Moi, moi, moi », c’est un
état permanent (à l’inverse du con qui, régulièrement, fait donc le con,
mais pas tout le temps).
Très (trop) souvent, il connaît fort bien la loi, les règles de société ; il les
utilise et les pervertit. Il use et abuse de sophismes (sans toujours connaître
le terme). Il est bien dans sa peau, très à l’aise, Blaise. Parfois malin, parfois
gros lourd. Il vous repousse ou vous écrase, même si vous étiez soi-disant
son pote. Le champion vous explique, les yeux dans les yeux (il en a des
frissons) : « Je t’adore et j’ai beaucoup de respect pour toi, mais là, tu vois,
je vais te virer. Surtout, ne le prends pas perso, et si ce n’est pas moi, un
autre l’aurait fait. »
Il y a le gougnafier d’en haut et celui d’en bas. Tous frères de connerie. Les
gougnafiers célèbres font les grands titres, sont invités sur les plateaux,
échappent souvent à la justice (car très bien défendus), et nous, « pauvres
gens honnêtes », on regarde tout cela avec un grand découragement. Et en
plus, on doit se taper le « gougnafier du bas », celui du quotidien qui se
rappelle à nous, plusieurs fois par jour. Les crachats dans l’ascenseur, les
poubelles déposées devant la benne et pas dedans (pourtant, le gougnafier
a deux bons bras valides, la plupart du temps !). Quand ce ne sont pas des
monceaux d’ordures déposés en pleine campagne, c’est la queue de poisson
sur la route, la porte sur la tronche en entrant dans l’immeuble, les crottes
de chien sur les trottoirs ou les clopes écrasées dans les bacs à sable pour
enfants, la trottinette qui bloque la porte… C’est à croire que le gougnafier
marque son territoire.
« Moi, je m’en balek’ ! »
Le gougnafier est fier de lui. De sa médiocrité. Il la revendique : « Et alors,
c’est pas parce que je me trompe que j’ai tort ! » Ça lui évite de faire des
efforts, de réfléchir ou d’avoir des remords. Il n’a pas besoin de changer. Il
est adepte du « balekouillisme », nouveau courant qui promeut le : « Je
m’en bats les couilles ! », devenu le mantra : « Moi, je m’en balek’ ! »
Franchement, à choisir, je préférais le sobre : « Ça m’en touche une sans
m’bouger l’autre ! » de feu notre président Chirac.
Cette « idéologie » a des adeptes dans la vie réelle. Il est fréquent de croiser
des gens qui s’en balek’ dans le métro, dans la rue, aux terrasses des
bistrots, dans les vestiaires. Les jeunes filles, malgré leur anatomie, ne sont
pas en reste. Elles aussi hurlent dans leur portable : « J’te dis que je m’en
balek’ ! » Variante rare, mais tout aussi ridicule : « Je m’en bats les
ovaires ! » Puis, un beau jour, en allant chercher mon Gabriel, 8 ans à
l’époque, j’ai entendu un de ses potes se plaindre à sa mère en hurlant : il
était furax parce qu’on lui avait piqué ses cartes Pokémon. La maman a
balancé un vague : « C’est la vie, mon amour, il faudra t’y faire. » En fait,
elle n’écoutait pas, elle regardait son smartphone. Elle a vite relevé la tête,
interloquée, quand le gamin a crié : « Mais je m’en bats les steaks, de la
vie ! J’ai plus mes cartes et en plus, y’en avait des très rares ! » Je m’en bats
les steaks… J’ai cru m’évanouir (j’exagère un peu, hein !). Ainsi, le
balekouillisme avait déjà infecté les cours de récré du primaire ! Arrgh !
Je vous laisse voir ce film 7. Navet pour les uns, film visionnaire pour les
autres (car « il a prédit l’élection de Trump »). Il me revient si souvent en
tête que c’en est inquiétant. Comme l’impression que ce n’est pas du tout
de la science-fiction. Des Frito, je crois bien en détecter plusieurs fois par
semaine. Et effectivement, on dirait que Trump nous prépare à cette
société. Mais Trump a été élu démocratiquement, n’est-ce pas ?
Hannah Arendt
Pas facile de devenir ou de rester honnête dans une société qui fait tout
pour nous détourner vers sa fabrique de gougnafiers.
Pour y résister, il faut débusquer ces interstices quotidiens qui sont autant
de peaux de banane pour nous faire basculer du mauvais côté. Observons à
quel point cette fabrique est puissante, roublarde et peut nous entraîner
malgré nous.
On les y façonnerait avec du liège ou du bois flotté (c’est pour cela qu’ils
remontent toujours à la surface, quelles que soient les circonstances), puis
on les assemblerait : jambes, bras, tête avec un demi ou un quart de
cerveau (ils doivent aussi parfois tester la version « pas de cerveau du
tout »), un cœur en acier trempé, un ventre mou. On leur glisserait une
puce sous la peau, dont les programmes seraient « faire chier le monde » et
« je mérite tout, tout de suite », puis on les testerait, comme les fauteuils
chez IKEA. On les mettrait devant des poubelles (oui, ça m’obsède), dans
une bagnole, dans un stade de foot, et avanti! Quand le spécimen aura bien
éructé, roulé à fond les ballons, refusé des priorités, vidé son cendrier de
voiture sur le trottoir, en tapant bien fort pour que les mégots se
décoincent, et balancé des doigts d’honneur et des « J’m’en balek’ ! » à la
pelle, on estimera qu’il est prêt.
Alors, au crépuscule, on les ferait grimper dans des camions bâchés qui
sillonneront le pays. On les déchargerait, un tous les dix kilomètres
environ, jusqu’à l’aurore. À la campagne, à la ville, dans les zones
industrielles, les écoles, les sous-sols, les hôpitaux, à l’Assemblée nationale,
à l’Élysée, à la mairie et même dans les associations ou les mouvements
humanitaires (si, si, il y a des gougnafiers infiltrés là aussi).
Ce genre de menace sur TripAdvisor est fréquente, elle légitime les mauvais
comportements. En général, je ne me laisse pas faire, car je n’ai pas besoin du site !
J’ai dirigé des restaurants à Paris, connu le racket… alors ce n’est pas ce genre de
clients qui va m’effrayer ! Mais là, je n’avais même pas envie de discuter.
Dans la série Black Mirror, qui traite de ce qu’il va advenir de nous dans
un futur très proche grâce à (enfin, disons-le : « à cause de ») la
combinaison technologie-intelligence artificielle-individualisme, un épisode
est consacré à « la notation sociale ». Une jeune femme, pour avoir accès à
un appartement, doit avoir une bonne note. Son comportement doit être
exemplaire, car elle sera notée à toute heure de la journée par son patron,
son gardien, son boulanger – oh, la voir déployer sourire et politesse
exagérés quand elle demande une baguette ! Ses fréquentations doivent être
également bien notées. Elle se replonge alors dans son carnet d’adresses
pour renouer des relations. Je vous laisse le plaisir de voir la suite. C’est un
délice… effrayant. L’époque a rattrapé la fiction. La Chine vient de
franchir le pas et a officiellement mis en place la notation sociale. Qui sera
le prochain pays ?
Sauf que ça peut devenir un réflexe et paf ! on se fait livrer n’importe quoi,
à n’importe quelle heure. Un sandwich, une pizza, des glaçons, des clopes.
Trop faim, trop soif, trop chaud, trop envie de fumer : là, maintenant, tout
de suite ! Et allez, pédale, mon petit livreur avec ta grosse hotte sur le dos –
c’est du moins ce que je vois dans ma capitale : des jeunes à vélo zigzagant
à fond dans les couloirs de bus, chargés comme des ânes, qui prennent un
maximum de risques afin de satisfaire un client-roi, de faire le plus de
courses possible pour ne pas être évincés par leur employeur (invisible,
également). Le tout pour un salaire de misère. Mais le pire arrive,
accrochez-vous ! Car de cette livraison à la minute se développe un odieux
trafic : certains de ces livreurs ont vite compris que ce n’était pas la peine
de se fatiguer autant pour si peu ou de risquer leur vie, alors ils font appel
à de jeunes sans- papiers, ravis de trouver un boulot, à qui ils reversent
environ 10 % de la course. 10 % ! Ce que je veux montrer ici, c’est l’effet
domino pervers que la satisfaction d’un estomac peut déclencher. Nous
devenons des esclavagistes. La plupart du temps, on n’en a pas conscience.
J’ai moi-même participé à ce jeu de domino. Je vais vous raconter, ce n’est
pas captivant, mais cela démontre que parfois nous trahissons nos idéaux
sans l’avoir décidé. C’est parti !
Récemment, j’ai dû changer de réfrigérateur (je vous l’avais dit, ce n’est pas
palpitant). Et pour la première fois, je l’ai acheté sur Internet. J’ai choisi de
me faire livrer entre 20 heures et 23 heures, en pensant : « Chouette,
j’aurais ma journée de libre ! » J’en ai encore honte aujourd’hui.
Bon, les deux livreurs ne sont arrivés qu’à minuit, mais ça, ce n’est pas
grave. Ce qui fut terrible, c’est la suite.
Je me suis dit qu’ils n’étaient pas couchés avant trois heures ! J’ai fait le
fond de mon porte-monnaie tant j’étais gênée de participer à une telle
fatigue ! Tout à coup, alors que je leur remettais un faible pourboire (je ne
l’avais pas anticipé, plus de monnaie), je regarde le colis et m’aperçois qu’il
m’arrive à la taille. Et ça, j’en suis certaine, ce n’est pas possible, je sais que
j’ai commandé un frigo très haut.
On vérifie, ce n’est pas le frigo que j’ai commandé. Les deux hommes se
regardent, cherchent quelques secondes si on peut s’arranger, faire comme
si… mais non. Car en fait, mon frigo, ils viennent de le livrer par erreur à
une dame de Noisy-le-Sec. Ils l’appellent, elle leur répond : « Ah, mais je le
garde, fallait pas vous tromper ! »
Panique dans leurs yeux. Grande gêne dans les miens. Il y a quelques
années encore, j’aurais dit : « Laissez tomber, je prends le petit que j’ai
payé comme un grand. » Mais là, non, j’ai appris de la vie, je ne veux plus
payer pour les autres. Ils appellent leur patron, le réveillent, il faut tout de
suite repartir à Noisy. Ils sont revenus une heure plus tard. Ils ont repris un
verre d’eau, en silence cette fois. Un silence terrible.
Les questions que je pose sont alors les suivantes : comment un tel mode de vie
peut-il se perpétuer ? Quel but sert-il ? Qui souhaite le perpétuer et pourquoi ? Je
n’adopte pas ici l’attitude de creuse révolte du fainéant, j’essaye simplement de
considérer la vie du plongeur sous l’angle de sa signification sociale. […] Le travail
qu’il effectue est servile et sans art. On ne le paie que juste ce qu’il faut pour le
maintenir en vie […].
Par la suite, quand, à mon tour, j’ai cherché des piges, j’ai vécu la même
chose : le silence. Sans même un accusé de réception. Ou si, par miracle,
j’obtenais un rendez-vous, on me disait : « C’est super, envoie-nous tout ça
par mail. » Ce que je faisais et, bien sûr, s’ensuivait un silence radio. Plus
aucun contact, ni écrit ni oral. Je comprenais. J’avais fait pareil.
Mais alors, à partir de combien de temps celle ou celui qui a postulé doit-il
considérer que ce n’est pas bon, que leur CV n’est pas retenu ? Trois jours,
une semaine, un mois ? Comment fait la personne pour s’organiser ? Non-
réponse (à son tour !) de Martine, gênée, trop honnête pour dire tout haut
à quel point elle se sent impuissante. À quel point c’est une déconsidération
supplémentaire pour ces gens-là, déjà fragilisés et humiliés par leur
condition de chômeurs.
Le bonheur, c’est une notion sociale qui est apparue avec la Révolution française. […]
Avant, on ne pensait pas que le bonheur puisse exister sur terre. On passait sur terre
dans une vallée de larmes, entre deux paradis : le paradis perdu […] et le paradis à
regagner, peut-être, si vous aviez été bien sages et soumis. […] C’est la Révolution
française qui a dit : « Pas du tout, on peut, on doit acquérir le bonheur sur terre. »
6
C’était une révolution mentale .
Oui, c’est une jolie révolution d’arrêter de penser que quoi que l’on fasse
sera comptabilisé entre péchés et bonnes actions au Jugement dernier. On a
enfin fini par s’intéresser à cette vie terrestre. Sont venues l’analyse, la
psychothérapie. Les notions du Moi, du Surmoi, du Ça sont apparues. A
suivi l’injonction au bonheur.
Là aussi, la fabrique du gougnafier s’est glissée dans ce domaine spirituel.
Et en a fait un grand marché. Elle a compris que le bonheur était bankable.
Ont déferlé des centaines d’ouvrages, de méthodes, de modes d’emploi
pour atteindre le bonheur. Boris Cyrulnik annonce 400 méthodes
7
différentes de psychothérapie – rien qu’en France ! 400 méthodes donc,
dont la très grande majorité s’oriente vers une « psychologie positive »
selon laquelle il est décrété que nous portons en nous le pouvoir d’être
heureux, à condition de bien nous observer et de bien observer les signes
qui nous sont envoyés. Aussi, s’il nous arrive quelque chose de
malheureux, nous devons le traduire en une incapacité personnelle, une
déficience due à « une insuffisance morale et cognitive ». Par exemple, si je
tombe malade ou si je me fais virer, je dois comprendre… que j’en suis
responsable, car je n’ai rien compris de moi, de la société, mais aussi,
bourrique que je suis, que je n’ai pas su interpréter les signaux envoyés (par
qui ?). La course au bonheur, c’est me demander de ne regarder que mon
nombril. Tout ensanglanté qu’il soit. C’est ce qu’Eva Illouz, directrice
8
d’études à l’EHESS (Paris) appelle l’ « happycratie », la dictature du
bonheur. Elle prévient des risques :
[C’est] une révolution qui fait le lit du monde néo-libéral. Elle a créé un néolibéralisme
de la souffrance. Les citoyens deviennent des happycondriaques anxieusement
focalisés sur leur moi respectif. Ne pensent plus bien collectif. Or la souffrance était
une source de prise de conscience collective immense. La solidarité s’est fondée sur
9
le sentiment que ce que je vis est aussi le lot d’autres personnes .
Encore une fois, ce qui au départ pouvait être une chance, une ouverture
d’esprit – le développement personnel, mieux se connaître, se connecter
avec son corps, la nature, respirer – est dévoyé par le marché.
Cela dit, elle me répondrait sûrement : « Ce n’est pas moi qui ai tort, c’est
toi qui ne comprends pas ! » Eh oui, voilà ce qu’on peut entendre lorsque
l’on essaye de ramener certaines « victimes auto-désignées » à la raison.
Car au fond, pour ces soi-disant victimes, chougner est devenu une seconde
nature. Pourquoi ? Mais parce que la société, l’État est contre eux. C’est
une conspiration, je vous dis ! Tous estiment que… (on y revient encore !)
sans plus se soucier des autres, de nous, gens honnêtes, qui écoutons à
longueur de journée ces chougneurs qui, « à l’insu de leur plein gré »,
huilent les rouages pervers de la fabrique maudite.
C’est le cas de Vanessa. Elle est avocate, a 23 ans et n’aime pas ses seins.
Elle n’a pas d’argent mais une Golf (GTI, je crois). Elle a une idée
lumineuse : la déclarer volée et, avec l’argent de l’assurance, se doter des
deux obus rêvés. C’est chose faite, mais elle est à deux doigts de porter
plainte, elle a dû quand même débourser 1 000 euros (ou 1 500, je ne me
souviens pas et je ne vais pas lui redemander !), car l’assurance – « tous des
voleurs, à quoi ça sert de payer les cotisations ! » – a remboursé en dessous
de l’Argus, alors qu’elle n’aurait pas dû (Vanessa connaît la loi). Elle a dû
cependant, in extremis, avoir un petit bout de cerveau disponible qui lui a
crié « Ferme ta G… ! » pour éviter de finir en taule ou avec une bonne
amende (au-dessus de l’Argus). En tout cas, elle trouve que nous sommes
« un pays de merde » (je l’invite à aller faire un tour au Soudan pour
comparer…). Dans tous les cas, c’est à se demander pourquoi, ou plutôt
pour qui, nous, gens honnêtes, payons des cotisations, pas vrai ?
Mais attendez, voyez jusqu’où se niche cette râlerie permanente. Dans son
livre Les Revenants. Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en
France 15, le journaliste David Thomson nous livre sa longue enquête –
glaçante et passionnante – sur celles et ceux qui sont partis faire le djihad
en Syrie et en sont revenus. On apprend, entre mille horreurs, que nos
Français avaient mauvaise réputation. Si certains sauvages y avaient trouvé
leur compte de sang et d’horreur, d’autres ont été fort déçus et se
plaignaient beaucoup : comment ça, on ne peut pas fumer ? Et où sont les
kebabs ? Une femme a dû accoucher sans péridurale et ça, elle ne l’a pas
digéré. Au cours de conférences, le journaliste, pour adoucir un peu
l’horreur, ajoutait qu’« ils étaient au bord de monter un syndicat 16 ». Ce
qui prouve que finalement, où qu’il soit, rien ne casse un gougnafier.
Ce qui serait bien, surtout, c’est que l’on entende les vraies victimes. Celles
qui ont déjà du mal à raconter leur agression, à déposer plainte. Celles qui
n’arrivent pas à trouver d’AESH 17 pour leur enfant handicapé, celles qui
rament vraiment et subissent des injustices, qui se débattent et se font
doubler au poteau par les opiniâtres de la chougne, les frustrés et les
victimes imaginaires.
Pourquoi ont-ils si mauvaise réputation ? Ces enfants ont été les premiers à
développer le désir de la satisfaction immédiate et considérer chaque aléa
de la vie ordinaire – un prof absent pour la première heure de cours (alors
qu’ils sont péniblement sortis du lit), plus de lait dans le frigo ou encore un
échec à un examen – comme une injustice personnelle, une agression à leur
égard. On les a appelés les « enfants-rois ». Le phénomène est intéressant
et le psychologue Didier Pleux, via conférences et ouvrages, est un des
premiers à avoir donné l’alerte sur cette singularité, il y a près de trente
ans. Nous avons échangé longuement, je lui laisse la parole :
Ce qui a caractérisé cette génération, c’est que pour la première fois, ces enfants
ont eu des parents, probablement dopés par les Trente Glorieuses et Mai 68, qui ont
voulu mettre fin à une éducation répressive et qui ont appliqué, avec zèle, le
précepte porté par la pédiatre Françoise Dolto, dès les années 1940 : « L’enfant est
19
une personne à part entière . » Ce qui était salvateur dans cette partie du siècle où
les enfants étaient fréquemment objets de brimades, de corrections, où les
conventions de l’Église et de la famille leur demandaient de se taire et d’obéir, aurait
eu besoin d’être révisé à l’heure de l’explosion de la société marchande.
Si, parmi ces minots, certains ont eu une éducation fort défaillante, la
plupart n’ont manqué ni d’amour, ni de bien-être, ni de culture. Toujours
selon Didier Pleux :
Ils ont manqué de limite. Ils souffrent de carence éducative et non pas psychique ou
affective. Ce que j’appelle les « cinq S » ont brisé le bon sens et ont rendu l’enfant
surpuissant. Surconsommation, Surstimulation, Survalorisation, Surprotection,
Surcommunication.
Arrêtons-nous un instant sur ces cinq S. À tous les coups, on en coche deux
ou trois. C’est vrai que nous suraimons nos enfants. Que nous ferions
n’importe quoi pour les satisfaire. Comme leur offrir des vêtements
branchés ou des tablettes, même quand on n’a pas un rond. Mais on a
tellement, tellement peur qu’ils soient stigmatisés à l’école ou pire encore :
qu’ils ne nous aiment plus ! Alors ces enfants-rois sont devenus de petits
tyrans qui « ont transformé leurs parents en parents taxis, parents
restaurateurs, hôteliers, banquiers et animateurs de Club Med ».
Ils ont subi un gavage affectif bien trop puissant… et se sont reproduits !
Aïe ! Les voilà devenus des « adultes- tyrans ». Pour la plupart, ils ont
conservé « le désir impérieux de la satisfaction immédiate, qui ne supporte
toujours aucune contrainte et qui chosifie l’autre. Si cet autre apparaît dans
son champ de vision, ce sera pour qu’il s’en serve 20. »
Les dégâts sont énormes sur la société, dans laquelle, encore une fois, le
collectif passe à la trappe. Sur l’individu, les conséquences peuvent
également être dramatiques.
Sont apparus des enfants avec de grands troubles de l’attention, des troubles
21
alimentaires ou de sommeil, des colères spectaculaires et spontanées .
Une violence telle, qu’elle éreinte parents et professeurs. Cette colère qui
fuse et les domine nécessite parfois jusqu’à trois ou quatre adultes pour
maîtriser un petit de 6 ans. Un terme vient d’apparaître pour ces enfants-
là : ils ne sont ni bipolaires ni schizophrènes, mais atteints de « troubles
explosifs intermittents ».
Ce que pointait Didier Pleux par ses travaux (il y a plus de trente ans, pour
rappel) ne diminue pas. Le phénomène va crescendo, obligeant les psys à
faire de la « psycho-éducation ». Les profs eux-mêmes déclarent faire plus
d’heures d’éducation que d’enseignement. Il explique qu’élever un enfant,
ce n’est certes pas facile :
L’enfant est un être fragile qui se développe dans l’amour mais aussi dans le
contraignant, l’effort et le frustrant. […] L’éducation, ce sont des conflits à répétition,
alors que si on laisse aller, si on donne un écran au petit qui fait le zouave, on est
satisfait à court terme. Ajoutez à cela une société ultralibérale et ces gens
deviennent des leaders qui écrasent tout le monde. La société libérale a tout intérêt
à ce que ce soit le reptilien qui domine chez l’être humain, c’est-à-dire le cerveau
émotionnel. Elle n’a pas envie qu’on réfléchisse. Les marchands sont très contents de
savoir que les enfants ont pris le pouvoir, ils remplissent le chariot du supermarché et
conseillent même pour un achat de voiture !
Vers huit ans, les enfants commencent à capter le langage, la façon de s’habiller, les
goûts ados. Ce sont des cibles intéressantes puisque le marketing ado rapporte
22
bien plus !
Je vois certains parents qui passent de l’éducation permissive qu’ils ont reçue à la
schlague pour leurs enfants. C’est le répressif à fond. Pour éviter cela, tout comme il
existe un Code civil, un Code fiscal, un Code pénal, un Code de la route, il faudrait
un « petit code familial » avec récompenses et conséquences. Non, ce n’est pas
facho, on a besoin d’un flic intérieur.
Moi, ce qui m’inquiète, c’est : sur quels modèles les enfants peuvent-ils
aujourd’hui se construire quand celui qui la ramène avec fracas et insolence
remporte le gros lot ? Sale temps pour les timides, les doux et les rêveurs.
Et pourtant, je pense, comme l’écrivain conférencier Josef Schovanec,
atteint du syndrome d’Asperger, « qu’il est bien triste d’être normal ou
d’être non fou. »
C’est comme ça à présent. Quand les grands font des conneries, ils disent
« pardon » ou « j’ai changé ». On dirait des gosses, dans la cour de récré,
qui courent en zigzaguant, les bras en ailes d’avion, renversant tout sur leur
passage au son strident de : « Pardon, pardon, je l’ai pas fait exprès !
Pardon ! »
Mais ces gens-là, ces politiciens, pensent-ils vraiment qu’on continue de les
croire ? Qu’on a confiance ? Sont-ils tellement aveuglés par leur ego ou
l’entre-soi dans lequel ils vivent, qu’ils ne se sont pas une seule fois posé la
question : « Suis-je encore crédible ? » Leur gesticulation fait la une des
médias. Ils doivent penser que du moment qu’ils occupent l’espace, même
pour des conneries, eh bien on parle d’eux et c’est essentiel. Et, si l’on a
accès à cette exemplarité politique (notez l’ironie), c’est bien grâce à nos
chers médias.
Les médias : à la recherche de l’analyse perdue
Les médias : gros, gros dossier ! Comment en parler en moins de trois cents
pages ?! Je vous laisse fouiller dans les nombreux ouvrages fort bien
documentés qui existent, car je vais juste me contenter de mettre en lumière
quelques éléments qui justifient la défiance envers LES médias. Majuscules
pour « LES » car ce pronom défini brouille les pistes. Il y a DES médias qui
se comportent mal, tandis que d’autres continuent de se battre pour livrer
de vraies infos, les contextualiser, les expliquer. Des journalistes et photos-
reporters prennent des risques fous, mais ceux-là, on les néglige, on les
oublie beaucoup. Pourquoi ? Parce que c’est toujours la même chose : ceux
qui font du bruit, du clash, qui nous attirent par du spectaculaire, des
morts et des ragots caracolent en tête. Ils remontent à la surface, comme les
gougnafiers qu’ils sont.
Avec le mouvement des Gilets jaunes, les journalistes ont été estomaqués
de la haine et la violence à leur égard. Et moi, c’est leur étonnement qui
m’étonne ! Le traitement médiatique de ce mouvement était un mépris de
classe flagrant (rien à voir, mais je pense à Macron évoquant « Jojo le Gilet
jaune »).
Sauf que les journalistes ne sont pas responsables. Il faut savoir que ceux
qui sont sur le terrain ont un statut précaire, qu’ils vont où on leur
demande d’aller et qu’ils doivent maintenir le suspense à tout prix 26. Ce
sont les dirigeants les responsables. Ceux qui donnent les ordres et
établissent la ligne éditoriale.
Comment se fait-il que ces gens-là ne voient pas à quel point ils prennent
les autres pour des buses ? Ils sont complètement hors-sol ! J’imagine que
parfois, ils ont dû réfléchir à leur « morgue attitude » qui consiste à être
certain de savoir ce que veulent « leurs » téléspectateurs. Mais bouchés
comme ils sont, impossible d’entendre et de comprendre ces fameux « vrais
gens » dont ils tentent de parler à tout prix, mais dont ils n’ont pas dû voir
un spécimen depuis bien longtemps. À part leur chauffeur ou leur femme
de ménage. Les rares sujets du style « Les médias en font-ils trop ? » ne
répondent pas à la question et tentent plutôt de les disculper.
Eh bien non, dirigeant, tu ne sais pas ce que veulent les « vrais gens »,
« tes » téléspectateurs. Penser ainsi est déjà méprisant et contraire à
l’éthique du journalisme : on n’est pas là pour flatter son auditoire, mais
pour renseigner celles et ceux qui n’ont ni le temps ni les moyens
d’enquêter. Les journalistes doivent faire un compte-rendu le plus exact
possible d’un événement, écrire, « avec une égale liberté, ce qu’il a vu,
entendu et pensé », comme le disait Albert Londres. Et rien d’autre. Même
si l’objectivité est de mise, je pense que nous ne sommes jamais tout à fait
impartiaux. Mais soyons au moins honnêtes !
Si vous n’êtes pas vigilants, les journaux arriveront à vous faire détester les gens
27
opprimés et aimer ceux qui les oppriment .
Sans surprise, quand je parle DES médias, ici, je pense aux médias de
masse. Ce sont bien sûr les chaînes d’info qui sont dans le viseur. Et qui
sont suivies par tous les autres médias à coups de push sur nos portables.
L’objectif : être le premier ! Tenir une antenne H24, souvent sur du vide,
c’est en quelque sorte un exploit qui nécessite beaucoup de conditionnel,
d’experts en tout (qu’on appellera « les toutologues ») et d’éditorialistes
inutiles et arrogants. Un avion vient de sortir des radars ? Et c’est parti
pendant des heures : des toutologues y vont de leurs supputations dont on
se fout, puisqu’on ne sait même pas quel événement a eu lieu. L’avion a-t-il
été détourné, abattu, a-t-il explosé ? On ne sait pas, mais ça n’empêche pas
de débattre avec véhémence et sans rigoler !
Ils détruisent et divisent ainsi la société. Ils libèrent les paroles de haine. Ils
sont coupables. Céline Pigalle, alors patronne de BFM-TV, essayait de
justifier, sur un plateau télé, un peu à bout d’argument, pourquoi le
sensationnel n’était pas un problème, car : « Les chaînes d’info n’ont pas
vocation à être regardées toute la journée ! » Ah bon ?! Mais pourquoi,
alors, nous tenir ainsi en haleine coûte que coûte ? Pour vendre de la pub.
Rien d’autre. De la pub, OK, je comprends, mais pour payer quoi ? Des
reportages sérieux ? Des enquêtes ? Des salaires ? Ou de l’esbroufe ?
J’aimerais avoir la réponse.
Il faut savoir que 70 % des infos partagées sur les réseaux sociaux le sont
d’après le titre 30. Les articles ne sont pas lus. Ce qui n’empêche ni les
polémiques, ni les insultes, ni les clashs en plateau ou sur les réseaux
sociaux ! Mais cela donne des titres de presse hallucinants, les médias
devant faire de l’audience, du clic. Ils nous aguichent en faisant appel à
notre côté malsain, cancanier. Aucune hiérarchisation de l’info. Tout se
31
vaut. « Et le singe devint con », dirait le merveilleux Cavanna.
Voici, par exemple, une (pas si) courte sélection de ce que je reçois chaque
jour dans ma boîte mail (j’ai dû m’abonner à trop de newsletters, j’en
conviens !) et qui illustre ce racolage des médias :
(Et ma culotte ?)
« Qu’est-ce que la positivité toxique, quand être toujours positif devient négatif ? »
(Glamour)
(A pas compris…)
« Une vidéo choquante ? Inscrivez-vous pour recevoir chaque jour les news qui nous
indignent. » (aufeminin.com)
(C’est nous qui sommes choqués, là…)
(Déception…)
« Lisieux. Il droguait sa femme pour regarder en boucle le film Darty Dancing [sic]. »
(Le Pays d’Auge)
(Un passionné !)
(Enfin !)
« Les inconditionnels de Tariq Ramadan assurent qu’il “n’a jamais agressé ces
femmes qui, par ailleurs, l’avaient bien mérité”. » (Agence ONCT)
Tout cela, je l’ai reçu en vrai 32, et pour être honnête (forcément), je vous
avoue que j’ai même lu certains de ces articles, car au fond j’ai un faible
pour les ragots, moi aussi. À cela, toujours dans ma boîte mail, je reçois
sollicitation sur sollicitation pour m’engager à sauver : le Nigeria, les
Kurdes, la retraite, les vers de terre, les abeilles, les urgences, les
Rohingyas, les énergies naturelles, la recherche contre le cancer, la
Fondation Abbé Pierre, une ZAD, un journaliste emprisonné en Turquie…
On se dirige vers ce qui va conforter nos idéaux, nos « opinions », nos croyances. Une
fois nos centres d’intérêts repérés par la toile, les algorithmes feront le reste et nous
inonderont de « nouvelles » dans nos boîtes mails, Facebook, etc.
Qui véhicule ainsi, à fond la caisse, ces âneries ? Les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui,
avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin, et ne causaient aucun tort à la
collectivité. On les faisait taire tout de suite, alors qu’aujourd’hui, ils ont le même
droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles.
On pense la même chose, n’est-ce pas ? C’est simple, tellement simple,
qu’on n’oserait même pas l’exprimer en société. On aurait l’impression de
faire une brève de comptoir. Mais quand on apprend que cette citation est
d’Umberto Eco, ça a plus de gueule, pas vrai ? C’est ce qu’on appelle un
argument d’autorité.
Vous n’avez pas honte, vos enfants de putes ? C’était pour le compte d’une telle
provocation, l’intolérants, qui a donné une tragédie dans ce bordel de vous… Lot de
chèvres fumiers. [sic]
Dès que c’est apparu, je me suis dit : « Eh bien, ce n’est pas avec ça qu’on va
fabriquer des Che Guevara ! » C’est la seule chose que ma femme et moi avons
interdit à nos trois enfants. Certes, ils ont été un peu exclus dans les discussions à
l’école, mais ça ne leur a pas manqué. On a comblé avec autre chose : des séries,
des BD…
Il prévient :
La culture précède toujours les épisodes heureux ou tragiques d’une société. Là, on
est dans une culture de consommation où on fait plus attention à l’emballage qu’au
contenu.
Une loi, même pas la peine, tiens, plutôt une faveur demandée à la justice.
Basée sur la morale et la confiance. Pas de preuves à fournir forcément, ces
fameuses preuves qui sont à la fois les garantes de la justice et parfois ses
limites. Juste un témoignage pour que les évidences deviennent des
preuves : « Je vous jure que cette personne me harcèle, voici mon récit… »
Une façon d’introduire, tout comme il existe une « présomption
d’innocence », une « présomption de vérité ». Oui, j’ai bien conscience du
danger des dérives, mais si l’on faisait confiance ? Un avocat ou un
médiateur peut être là afin d’éviter les abus. L’innovation supplémentaire
serait que les accusés ne soient pas emprisonnés mais rééduqués (ou punis)
via des sanctions de travail d’intérêt général (TIG) ou des sanctions
rigolotes (bon là, je vais un peu trop loin, j’imagine).
Pour le plaisir, voici une liste non exhaustive des idées qui ont germé sous
ma caboche :
Une semaine à faire traverser les enfants le matin et le soir sur le passage
piéton pour celui qui aimait à ne jamais s’y arrêter quand il était bien au
chaud dans sa voiture.
Cette chère dame, là, qui fout ses poubelles partout, devra sortir celles de
son immeuble pendant un mois. Les vertes, les jaunes, les blanches. Elle
verra comme c’est agréable de ramasser ses déchets par terre, de faire le tri
et de tout nettoyer ensuite avec le grand jet d’eau glacée !
Hu, hu, hu, ma p’tite dame, ce n’est pas comme ça que la justice fonctionne, voyons !
T’es mignonne, mais tu te trompes de route. Dans nos études, on nous apprend la
loi, pas la morale.
Eh oui, les non-coupables ne sont pas toujours innocents, vous ne le saviez pas ?
La loi contient une morale sociale. C’est la règle du vivre-ensemble. Dans la loi, tous
les ingrédients sont là. Des lois, on en a déjà plein, voire trop. C’est de moyens pour
les faire appliquer dont on manque ! Certains juges des enfants placent des enfants
maltraités, mais il n’y a pas de famille, pas de place dans les foyers, les services
sociaux craquent. Il faudrait plus de policiers, plus de greffiers, plus de juges !
Mais quand même, le « ma p’tite dame » et le « t’es mignonne », ça ne m’a
pas trop plu qu’on me parle ainsi. On n’a quand même pas gardé les
mobylettes ensemble !
Alors je n’ai pas lâché. Je voulais des réponses à mes questions-cons (j’en ai
toujours plein dans ma besace). Ça fait un bail que j’ai compris que,
souvent, elles sont plus embarrassantes que cons.
Je me suis tournée vers le juge Marc Trévidic. Pour moi, il concentrait une
expertise qui allait du haut en bas de l’échelle sociale : haute finance, anti-
terrorisme, affaires familiales et j’en passe. Il avait eu à traiter des gros
dossiers comme Elf, les moines de Tibhirine, le Rwanda ou l’attentat de la
rue des Rosiers, mais aussi des cas beaucoup plus quotidiens comme des
divorces, gardes d’enfants, attributions d’allocations, etc. J’aimais ses
prestations médiatiques, son franc-parler compréhensible (il ne jargonne
pas). J’aimais ses prises de position en faveur du respect de la vie privée.
J’aimais aussi ses à-côtés : le fait qu’il écrive des bouquins ou qu’il fasse de
la musique. J’aimais cette singularité. Je n’allais pas être déçue.
— Pardon, mais vos dossiers, il y a un passe-plat ou vous les transportez tout seul,
par l’escalier ?
— Ah non, pas d’ascenseur et pas de passe-plat ! Ça en fait des kilos à transporter,
hein, et plusieurs fois par jour, pour rejoindre le tribunal !
Il riait. Non mais quelle idée, me suis-je dit, de lui coller un bureau dans
une soupente ! Merde, il est président ! Il a dû deviner ce qui me traversait
l’esprit car il a ajouté, joyeux : « Vous voyez, on est loin des ors de la
République ! »
Puis nous nous sommes mis au travail. Il n’a éludé aucune de mes
questions, non, il voulait essayer de m’aider, bien que, selon lui, ma cause
était quasi perdue. « Mais merci de vous en préoccuper. » Il s’est montré
attentif, sincère et volubile. Malgré des propos parfois terribles, il
ponctuait ses phrases par de vibrionnants et joyeux : « Vous voyez ce que
je veux dire ? » ; ou : « Vous comprenez le truc ? » (Euh, pas toujours, j’ai
même eu un début de mal de tête sur les affaires Elf ou Karachi…)
J’ai vite compris que ma belle idée de loi anti-gougnafier n’était pas près de
voir le jour !
Parce que la morale n’intervient pas dans la justice : vous pouvez être de bonne foi,
parfaitement honnête et faire quelque chose de techniquement, juridiquement
illégal, mais pas moralement. À l’inverse, des gens peuvent faire des choses
techniquement, judiciairement irréprochables, mais complètement amorales. Il
semble que les gens amoraux aient un avenir important.
L’exemple qu’il a pris pour expliquer ses dires est celui de l’impôt. En effet,
lorsqu’on connaît bien les lois et qu’on a de l’argent (pour se payer des
avocats et des conseillers fiscaux), il est possible d’y échapper (surprise !).
Et il y a un terme pour cela : on parle « d’optimisation fiscale ».
C’est un mot poli pour désigner une attitude amorale. Tout est fait à présent, dans la
société moderne, pour que le vrai gougnafier intelligent qui connaît les lois s’en
mette plein les poches. Légalement. On est dans une société individualiste. À
l’époque de Cicéron, la corruption, c’était la peine de mort. C’est pas trois mois avec
sursis au bout de quinze ans de procédure, hein !
Il faut se méfier et ne pas être trop naïf. Faut pas être trop bon, trop con dans cette
société, c’est la morale à retirer. Plus sérieusement, il faudrait beaucoup plus de
moyens. Il faudrait qu’une fois enjambée la barrière de la morale, ces gens mal
intentionnés, les gougnafiers, aient peur de la loi. D’autres, les plus faibles, les plus
moraux n’arrivent pas à obtenir justice. Il faudrait qu’elle soit rendue vite et bien : on
n’en est pas capable !
Tandis que l’entretien (très long) touchait à sa fin, tandis que l’obscurité
envahissait le bureau, le juge Trévidic a quitté, pour la première fois, ce
masque d’un fatalisme de bon aloi qu’il affichait depuis le début :
1. Acronyme emprunté à Brice Teinturier : « Plus rien à faire, plus rien à foutre », la vraie
crise de la démocratie, Robert Laffont, 2017 (Prix du livre politique 2017).
2. Mona Chollet, Chez soi, une odyssée de l’espace domestique, La Découverte, Poche,
2016, p. 185.
3. Pierre Rimbert, « De la valeur ignorée des métiers », Le Monde diplomatique, mars
2010, cité par Mona Chollet, dans Chez soi, op. cit.
4. Vous savez, ces trois petits singes qui, respectivement, se cachent les yeux, les oreilles et
la bouche.
5. Éditions 10/18, 1982.
6. Interview de Boris Cyrulnik par Femme actuelle, 5 octobre 2014, disponible sur
YouTube.
7. La Grande Librairie, France 5, 27 novembre 2017.
8. Selon le titre de son ouvrage, co-écrit avec Edgar Cabanas, Happycratie. Comment le
bonheur a pris le contrôle de nos vies, Premier Parallèle, 2018.
9. « Eva Illouz : “L’idéologie du bonheur est le bras armé du capitalisme” », article publié
sur le site nouvelobs.com, 20 août 2018.
10. Le Salaire de la peine. Le business de la souffrance au travail, Don Quichotte, Le
Seuil, 2019.
11. « Le téléphone sonne », 1er mai 2019.
12. Développement (im)personnel. Le succès d’une imposture, Éditions de
L’Observatoire, 2019.
13. Spoiler : peut-être se faire confiance, tout simplement ? Et troquer le bonheur contre
la joie ? On y reviendra.
14. D’ailleurs, il faudrait arrêter avec ce terme. À force de l’utiliser, on se comporte
comme une bande d’ados qui demandent à « l’État-nounou » de tout résoudre pour nous.
15. Les Jours, Le Seuil, 2016 (Prix du livre Albert-Londres 2017).
16. Je n’ai rien contre les syndicats, hein !
17. C’est-à-dire un accompagnant d’élève en situation de handicap, anciennement appelé
AVS, auxiliaire de vie scolaire.
18. White, Robert Laffont, 2019.
19. Rappelons que depuis peu de générations, les enfants grandissent dans la paix, et que
ce n’est que depuis 1959, date de la Déclaration des droits de l’enfant, qu’ils ont des
droits.
20. Selon Didier Pleux.
21. Toujours selon Didier Pleux.
22. « Trop précoces, des enfants grandeur mature », article sur le site liberation.fr, 1er mai
2018.
23. « Mesure de la pression publicitaire : un état des lieux », article sur le site
antipub.org, 12 décembre 2018.
24. « Trop précoces, des enfants grandeur mature », article sur le site liberation.fr, 1er mai
2018.
25. Adolescent, il avait déjà voulu faire une retraite avec l’aumônier Biquette (véridique),
mais il a été viré au bout de quelques jours. Quand ça veut pas, ça veut pas ! (Pour
d’autres anecdotes croustillantes sur notre ex-Président, voir « Les douze “off” les plus
bavards de Nicolas Sarkozy », article sur le site nouvelobs.com, 6 décembre 2011.)
26. Je me souviens d’une collègue qui travaillait sur une chaîne d’info. Elle avait de gros
doutes déjà sur l’éthique de son métier et faisait, bon gré mal gré, des compromis. En
2011, apparaît le terrible « concombre tueur » : à la suite de morts mystérieuses en
Allemagne, le concombre avait été désigné comme bouc émissaire. C’était faux, mais les
médias ne voulaient pas reconsidérer l’affaire. Dans son oreillette, on lui hurlait :
« Concombre tueur. Tu dois dire “concombre tueur”. Dis-le ! Dis-le, putain ! » Elle l’a dit,
mais a quitté la chaîne. Elle était passée du compromis à la compromission.
27. Extrait du discours de Malcom X prononcé le 13 décembre 1964 à l’Audubon
Ballroom de Harlem.
28. C’est quoi une post-vérité ? Un fait alternatif ? Toujours pas compris… Voici la
définition qu’en donne le dictionnaire britannique Oxford, qui a élu « post-vérité » mot de
l’année en 2016 : « Circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence
pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. »
29. “The spread of true and false news”, rapport de Soroush Vosoughi, Deb Roy et Sinan
Aral, publié dans la revue Science, 9 mars 2018, et disponible dans son intégralité sur le
site science.sciencemag.org.
30. D’après des propos de Gérald Bronner rapportés dans « Contre les fake news, la
meilleure régulation reste la pensée critique », article sur le site de Usbek & Rica
(usbeketrica.com), 27 avril 2019.
31. François Cavanna, Et le singe devint con. L’aurore de l’humanité, Le Livre de Poche,
1986.
32. Mais je vous recommande en sus l’excellent compte Twitter « À Juste Titre »
(@ajustetitre) qui maintient une veille hilarante sur tous les titres de presse absurdes, mais
vrais.
33. Voir « L’invasion des gougnafiers ».
34. Mary Plard, Paternités imposées, Les Liens qui libèrent, 2013.
La riposte
« L’honnêteté est la plus grande de toutes
les malices, parce que c’est la seule
que les malins ne prévoient pas. »
« Je ne pouvais plus recevoir des gens dans la détresse, les écouter, faire
semblant, alors que je savais, dès qu’ils s’asseyaient en face de moi, que je
ne pourrai leur apporter aucune aide », confie Camille, employée dans un
organisme de réinsertion professionnelle en Bourgogne, qui a préféré partir
en pré-retraite. Comme elle, certains démissionnent ou capitulent : « À
présent, je fais mes horaires, avec les moyens du bord. » Beaucoup
développent douleurs et angoisses, se mettent en arrêt maladie, espérant
guérir ou peut-être, allez savoir, que, pendant ce temps, l’époque changera.
Cette souffrance psychique (et physique) est immense. Il n’y a plus de
motivation, on se dénigre, on tombe.
Oui, nous vivons dans une société mal barrée, fort mal élevée, qui
s’émancipe des règles. Clairement, une guerre à l’intelligence a été déclarée.
Mais nous devons malgré tout résister, nous élever, passer de branche en
branche afin d’élargir notre point de vue. Au propre et au figuré. Nous
avons la mission de voler au secours de notre si jolie démocratie,
complètement amochée.
Nos aimés (oh, le lapsus ! je voulais dire : nos aînés) l’ont mise au monde,
au forceps, à force de luttes. Elle était destinée à la liberté, à l’égalité et à la
fraternité. Je regarde son visage tuméfié. Une boxeuse qui aurait pris trop
de coups. Une démocratie qui tient encore debout malgré ses jambes qui
flageolent dangereusement.
Comme pour un ancêtre qui nous a fait naître, nous devons nous en
occuper. La respecter. La soigner. Ne pas l’abandonner dans un sombre
Ehpad où, là aussi, le personnel souffre du manque de moyens. Tirons les
rideaux, ouvrons en grand la fenêtre. Laissons entrer le vent et la lumière.
Ce sont les meilleurs cicatrisants. Il faudra ajouter, bien sûr, des litres
d’alcool à 90° (ça va piquer !), des antibios et pourquoi pas un peu de
cannabis thérapeutique. Il faut que la dame se requinque vite, elle a encore
bien du boulot !
Nous sommes ses rejetons souvent ingrats, à qui il serait utile de rappeler
de temps en temps la chance d’être en son sein. Nous avons réussi à nous
extirper des conventions étouffantes de l’Église et de la Famille. Nous
avons obtenu, en luttant pour le bien commun, des droits comme il en
existe peu ailleurs dans le monde, un temps de travail correct, des congés
payés, le contrôle des naissances, le droit de vote pour les femmes, l’école
gratuite et obligatoire, la sécurité sociale, l’intermittence du spectacle… Et
la laïcité ! De tout cœur, nous avons essayé de construire une société de
liberté, de libre arbitre et de partage, de culture et, visiblement, on s’est un
peu plantés. Avec bienveillance et une grande bonne foi, mais plantés
quand même. À force de prôner la liberté individuelle en droit absolu, on a
constitué une société d’archipels, de gruaux d’individus. Qui ne se
supportent plus. « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des
autres » s’est fallacieusement transformé en : « La liberté de l’autre s’arrête
là où la mienne commence. » 1
Qui met les bornes ? Les gens honnêtes et la justice. Ne comptez pas sur les
gougnafiers rongés par le marché, par le profit. Ils ne sont pas des citoyens.
J’ai la sensation glaçante que c’est ce qui est en train de nous arriver. On
fait de nous des junkies, on nous refourgue sans cesse notre dose de
nouveaux gadgets, écrans, robots, séries, voitures, etc. et on reste pépère.
Sous perfusion, mais l’eau bout. Vous ne sentez pas une drôle de chaleur
sous vos jolies fesses ?
Est-ce que les hommes ont voulu ça, est-ce qu’ils maîtrisent leur rôle
Ou est-ce que la machine s’est emballée et qu’on a perdu le contrôle
Est-ce qu’y a encore quelqu’un quelque part qui décide de quelque chose
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Ou est-ce qu’on est tous pieds et poings liés en attendant que tout explose
Nous collectons environ 150 000 objets par an. Plus de 85 % des objets perdus sont
retrouvés par des particuliers et 93 % d’entre eux souhaitent le restituer. Ils le
restituent à un tiers de confiance, comme une police municipale ou l’accueil d’un
grand magasin.
Ce qui est inquiétant, c’est que ces résultats surprennent. C’est dire si
l’honnêteté est tellement silencieuse et modeste qu’elle passe complètement
sous les radars d’un monde trop hâbleur et bruyant. Ça me fait penser à la
poussière : c’est quand on ne la fait pas que ça se voit. Hélas, l’honnêteté
est ainsi qu’un meuble propre. On ne la remarque pas.
J’ai lu que, jusque dans les années 1960, les chercheurs ne pensaient pas
que l’altruisme existait. Depuis (alléluia !), avec la naissance des
neurosciences et de l’imagerie médicale, le cerveau nouveau est arrivé ! Il
est désormais prouvé que non seulement l’altruisme existe, mais aussi qu’il
apporte un bien-être. Le neuroscientifique Jean Decety décrit le phénomène
ainsi :
Les neurosciences nous enseignent que le souci de l’autre est associé à l’activation
des mécanismes du plaisir dans le cerveau. C’est le fruit d’une chimie complexe,
mobilisant la dopamine et l’ocytocine. C’est un merveilleux message de la biologie :
7
ce qui est bien pour les autres est bien pour moi aussi !
Je pense que c’est une force venue des fonds des âges, sinon, nous n’aurions
simplement jamais survécu. Et c’est ce que confirme Jean Decety :
[…] nous sommes interdépendants, nous obtenons la majorité de nos ressources par
la coopération : chasser, construire des habitations, se protéger des prédateurs,
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élever ses enfants […] .
Mais ce n’est pas si simple non plus, car si ces aptitudes – l’empathie,
l’altruisme – sont innées, il faut qu’elles soient activées. Comme le langage.
Aucun enfant ne parle si on ne lui apprend pas. Voyez l’enfant-loup. Le
bébé naît avec la boîte à outils, mais il faut lui donner le mode d’emploi
(un peu comme les meubles IKEA). Il faut être en interdépendance avec lui.
Le stimuler. Il en est de même pour l’empathie, le sens de l’altérité. Il faut
que l’entourage de l’enfant (parents, écoles, famille) lui apprenne à
développer ces aptitudes. Mais, comme nous l’avons vu, notre société
actuelle favorise tout le contraire.
Les gens honnêtes ont une mission dont ils n’ont pas idée. C’est un défi à la
bêtise. C’est un combat de chaque jour et de chacun. Chacune de nos voix
compte.
Au passage, je signale que « ce sont dans les groupes où les femmes sont les
plus nombreuses que les scores sont les meilleurs ». Sans vouloir changer
de sujet (quoique), je crois sincèrement en une vibration féminine (que
portent en eux femmes et hommes) et qu’elle sera indispensable au
changement.
C’est à peu près la même histoire pour Cédric Herrou, agriculteur français
qui continue de venir en aide aux migrants malgré les différentes gardes à
vue. Sans oublier les centaines d’anonymes qui acceptent d’héberger ces
migrants chez eux, pour une nuit ou plusieurs semaines. On pousse les
meubles, on ajoute des assiettes, on met un peu plus de pâtes dans la
casserole, on se rencontre, on se découvre et… on s’élève.
Je pense à la ville de Daraya, en Syrie. Dans cette ville ultra-bombardée,
trois inconnus ont sauvé près de 15 000 ouvrages récupérés dans les
décombres. Ils les ont répertoriés et consignés dans une bibliothèque
secrète construite sous les gravats. Des centaines de rescapés viennent lire à
l’abri. En catimini. C’est grâce à l’acharnement d’une journaliste, Delphine
Minoui, qui a passé des mois à enquêter dans des conditions difficiles, que
nous avons eu connaissance de ce fait, par un livre 15 et un documentaire 16
magnifiques. La bonté est une chaîne.
Leïla se nourrit souvent auprès des Restos du cœur. Elle raconte, émue, que
sans eux, elle n’aurait pas pu conserver une forme de dignité pour ses
enfants : « Là, je sens l’énergie de l’amour ! C’est pour cela qu’en échange,
je viens parfois aider et aussi j’amène des jouets pour les enfants. » Rien
n’est jamais aussi cher que ce que l’on reçoit gratuitement.
Notre destin ne tient parfois qu’à une petite souris que notre vanité pensait
avoir pulvérisée. Il suffit de peu, n’est-ce pas ?
Le collectif
L’État doit impérativement donner tous les moyens nécessaires (du
personnel supplémentaire et de l’argent) à la justice, l’aide à l’enfance, au
logement, l’emploi, la santé, l’enseignement… Si ce n’est pas fait, notre
société ne sera plus qu’un lambeau de peaux. Il ne faut plus se voiler la
face. Il faut enrayer la fabrique de gougnafiers, rompre la chaîne en
changeant de paradigmes. C’est un chantier immense, qui prendra du
temps. De plus, de nouvelles mesures doivent être initiées.
Dans les entreprises, faire appel aux anciens (ne plus les mettre dehors)
pour transmettre leur savoir-faire, leur expérience, leur enthousiasme aux
jeunes qui débutent.
À titre individuel
Pendant ce temps, nous pouvons impulser le collectif par des voies tout à
fait détournées et invisibles à nos yeux. Nous devons, car nous en avons le
pouvoir, apporter notre pierre à l’édifice. Vous savez, comme ce colibri
dont on parle tant. Ce petit oiseau qui, selon une légende amérindienne
rendue célèbre par l’écologiste-paysan Pierre Rabhi, n’hésite pas à
combattre l’incendie de forêt en déversant des gouttes d’eau transportées
dans son tout petit bec. À ceux qui se moquent de lui (ceux qui ont un gros
bec), il répond : « Je fais ma part. »
Les 5 commandements
Exercices personnels et quotidiens !
Tout comme les enfants ne savent pas qu’ils sont des enfants, les gens
honnêtes n’ont pas idée qu’ils le sont. Allez, faites un pas de côté et
regardez-vous. Soyez admiratifs de vous-même (sans vous la péter, mais je
nous en crois incapable). Rendez-vous hommage.
La honte sociale, c’est arriver dans un milieu qui n’est pas le nôtre, qui
nous paraît supérieur. Il suffit d’une seule personne, pas forcément mal
intentionnée, mais maladroite, et… vous vous sentez mal, vous vous sentez
écrasé∙e. La honte sociale, c’est un peu comme le syndrome vicariant, on
peut en être affecté sans le savoir. Pour ma part, j’ai pu poser ce mot sur ce
mal-être il y a peu.
— Vous avez vu, les gars, il y a une émission de télé- réalité qui arrive : Le Loft. Je
crois que nous devrions nous y intéresser.
— Ah oui ? me répond un des directeurs, un peu ironique. Et c’est quoi ?
Et je fais mon baratin (un peu embrouillé, je le concède) et là, gros silence
de mon directeur, regard par en dessous du style « t’es lourde, tu nous fais
perdre du temps ». OK, je n’ai plus rien dit.
S’en est suivi une longue discussion, passionnée, puis plusieurs reportages.
Voilà, il aurait suffi que j’emploie ce terme « post-baudrillardien » pour
être écoutée. Mais je n’ai jamais lu Baudrillard.
Un être humain est composé d’une multitude de facettes qui font de lui un
être unique et singulier. On n’est jamais juste un homme, une femme, un
commerçant, un artisan, un cadre, un homosexuel, un non-valide, une
origine, un statut social, une couleur de peau, un âge, un végétarien… On
est la somme de tout cela.
Devenons « color-blind »
Par là, j’entends : être aveugle à tout signe extérieur d’origine, d’âge, de
sexe, de validité ou de niveau social.
C’est, selon moi, la seule façon de résister au racisme, à l’homophobie, à
l’antisémitisme et à ce courant épouvantable qui prend racine, l’air de rien :
« l’indigénisme », qui prêche « la racialisation » (mais quel mot horrible !)
et veut rediviser le monde en origine et couleur. Nous sommes tellement
plus complexes et singuliers (voir ci-dessus) ! De plus, en devenant « color-
blind », il nous est enfin permis de pouvoir répliquer à toute personne qui
nous agresserait, sans tenir compte d’une apparence ou d’une
appartenance.
Je clique, engoncée dans mon canap’ en bouffant des Tuc. Je like, je signe
des pétitions, je me révolte contre la disparition des abeilles en me grattant
les fesses ? Wake up ! Si vous likez une cause virtuellement, vous devez en
échange agir pour elle dans la vraie vie.
(C’est dommage, d’ailleurs, d’appeler ça comme ça, car c’est sympa, les
bistrots.)
Je reviens à Ginette Kolinka, qui intervient depuis des années dans les
classes de CM2 pour témoigner de son expérience de déportée. À la
question : « Souffrez-vous de voir, sur les réseaux sociaux, cette
recrudescence de négationnisme sur les camps de concentration ? », Ginette
Kolinka répond 4 :
[…] Je ne crois que ce que je vois et ce n’est pas sur les réseaux sociaux. Quand je
vais dans les écoles, je ne vois rien de tout ça. Il y a toutes sortes d’élèves : ils
écoutent tous ! Faut-il parler de ces quelques-uns qui font du bruit, sur les réseaux
sociaux, ou faire semblant de ne rien entendre ? Ça, c’est une question que je me
pose […].
Mais cette course à la notoriété ne passe pas que par le physique. Certains
se pensent très intelligents au prorata des likes récupérés. Je me souviens
d’une personne qui se vantait d’avoir clashé Obama via Twitter : « Je ne
me suis pas gênée pour lui dire qu’il nous avait bien enc… à sec, avec des
graviers dedans ! » Elle avait dû manger un truc pas frais la veille. Je ne
sais pas. Elle se l’est pétée toute la journée, en nous montrant le nombre de
pouces levés qu’elle avait recueillis ! Surexcitée. Le président des États-
Unis, ô surprise, n’a pas répondu. Selon elle, il s’étais écrasé. Oui, mais
bien sûr !
Soutenons la jeunesse
Ils sont celles et ceux qui savent avant nous. Écoutons leur expérience, leur
récit. Chaque vie est un roman.
[…] Avant de parler aujourd’hui des emmerdeurs, j’aimerais bien parler des
« bienveilleurs ». Vous savez, toutes les personnes bienveillantes, polies,
respectueuses des règles : les propriétaires de chien qui ramassent leurs crottes ou
leur font faire dans le caniveau, les personnes qui tiennent la porte derrière elles, les
automobilistes qui freinent pour laisser traverser, en souriant, les piétons dans les
clous, les voyageurs qui passent leurs coups de téléphone depuis les plateformes
des trains…
Bref, les humains sympas qui font tout pour ne pas casser les pieds aux autres, voire
même pensent à les aider ! Ils sont majoritaires, heureusement ! C’est grâce à eux
que nos sociétés, que tous les groupes humains sont vivables et agréables. Mais on
ne les repère pas, ils œuvrent en silence et n’attirent pas notre attention. Comme dit
le proverbe : l’arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse. Et nous
sommes plus choqués par un seul comportement incivique que par dix attitudes de
discret respect d’autrui. Ouvrons donc un peu mieux les yeux.
Bon, pour autant, les sagouins et les comportements crétins existent bel et bien. Les
personnes qui mettent leur sono à fond sur la plage, les fumeurs qui cancérisent les
poumons des non-fumeurs sur les terrasses de café au printemps, les conducteurs
qui grillent la priorité ou ceux qui garent leur grosse voiture en double file devant la
boulangerie… […] Je l’avoue, je ne suis pas très doué pour rectifier les incivilités sur le
vif, comme ça, dans la rue, sur les trottoirs, dans le train… J’ai toujours un peu
tendance à laisser faire, à me dire que ce n’est pas très grave, que chacun est libre
et sera jugé tôt ou tard pour tout ça, ici-bas ou dans l’au-delà. Mais je sais que j’ai
tort, et aussi que ma tolérance, c’est plutôt de la paresse. Et je sais aussi que tout
groupe humain a besoin de s’autoréguler. Quand un de ses membres casse les
pieds des autres ou enfreint une règle importante de savoir-vivre, il est logique qu’il
soit remis en place, sans agressivité mais avec fermeté. Et il est important que tout le
monde le fasse. Les chrétiens ont pour cette démarche une belle expression : ils
parlent de « correction fraternelle », pour désigner l’attitude que l’on doit avoir
envers un de ses semblables qui vient à pécher. L’idéal de « correction fraternelle
laïque » me plaît beaucoup : aller tranquillement vers ceux qui transgressent en leur
demandant de cesser.
Sans les agresser : après tout, ça peut arriver à chacun d’être casse-pieds ou de
commettre une incivilité. Mais sans laisser passer : car si nous procédions tous,
régulièrement, à de telles corrections fraternelles régulières, nos quotidiens
changeraient sans doute en bien.
Récapitulons ensemble
les commandements :
1. Débarrassons-nous de la mésestime de nous-même
Prenons conscience de notre valeur ajoutée
Libérons-nous de la honte sociale
Réenchantons notre vie
4. Répandons la bienveillance
Montons le son sur la politesse
Soutenons la jeunesse
Prenons soin de nos aînés
J’ai pensé à tout un tas de petites choses joyeuses à faire ensemble. Je sais
qu’elles paraîtront bien naïves, mais elles ne sont pas difficiles à mettre en
route et puis je suis certaine que nous sommes très nombreux, les naïves et
les naïfs. Regroupons-nous. On devrait bien se marrer. Parce que s’il n’y a
plus de joie, de rire, d’humour dans nos vies… au secours !
Allez, je me lance.
#BalanceTonGH
Au début, je voulais lancer un hashtag « Balance ton gougnafier ». Mais au
fond, je ne ferais que reproduire une certaine gougnaferie, non ? Et puis,
pas besoin de répertorier les incivilités, on les a tous les jours dans les
7
médias .
Alors, je me suis dit que le hashtag « Balance ton gens honnête », ce serait
pas mal aussi. Qu’en pensez-vous ? Ce serait chouette de retrouver sur un
site, du type Tumblr, des témoignages de personnes honnêtes, d’actions
formidables (même si petites) qui nous ont marquées.
Bals GH
J’aimerais aussi, toujours sous cette appellation GH, organiser des bals
avec, tenez-vous bien : le retour du slow. C’est vrai, quoi, retrouver le
contact physique, une légère étreinte, c’est mieux que de se déhancher tout
seul en boîte en se recoiffant devant les miroirs, non ? On peut faire les
deux, remarquez. Alterner. Mais remettre le slow ! Ou le quart d’heure
américain (oui, ça fait daté…).
Manifs GH
Sur la même idée, organisons des manifs GH. Avec musique, danse et des
gros hugs. Je me souviens que les femmes Gilets jaunes ont fait ça, une fois.
Elles criaient « Des bisous ! Des bisous ! Pendant que nos hommes se
tapent, nous, on revendique la paix et l’amour. » Ouah ! Il suffisait de pas
grand-chose pour que ça prenne. J’étais déjà partie chercher mon gilet
jaune fluo dans le coffre de ma voiture, mais le temps de revenir du garage,
les gros relous avaient repris le devant de la scène… médiatique.
Brigades de GH
Et si, enfin, on organisait des brigades de GH qui, sur le mode du
happening, à heure H, surgissent dans un quartier et nettoient les rues, les
plages… au son d’une fanfare et de batucada pour qu’on entende les gens
honnêtes, pour une fois ?
Pierre Desproges
Du « cœurage » !
Ce texte de Balzac 1 date de 1848. Vous voyez, il n’y avait pas Internet, pas
de neurosciences, pas d’intelligence artificielle, pas de robots, pas de
mondialisation. Et toujours le seul et unique problème : le profit, la
domination et l’individualisme. Ce sont nos seuls ennemis et il faut
absolument faire basculer ce paradigme. Nous avons, nous, gens honnêtes,
la mission de réparer cette société. L’enjeu est de taille car nous devons
nous entraider, répandre l’altruisme pour vivre ensemble. Et clouer le bec
aux gougnafiers. Vivre ensemble en ce début de siècle, c’est aussi vivre avec
la nature. Et si on n’est pas ensemble, eh bien, comment dire… c’est bien
elle, la nature, la terre qui nous héberge, et gare à l’expropriation ! Comme
le disait Léonard de Vinci : « Scrute la nature, c’est là qu’est ton futur. »
(Et j’ai envie d’ajouter : « Yo ! »)
Vous voyez, on n’a pas le choix. Pas d’autre choix. Les gens honnêtes,
majoritaires, je le répète, doivent se soulever. Ils sont, vous êtes, nous
sommes la seule chance de ce pays. Il existe de nombreux talents non
médiatisés, non médaillés, qui ont des cerveaux bien faits et ne remontent
pas à la surface. Mettons-nous bien ça dans la tête. Il nous manque peut-
être la foi. Les gens qui ont une croyance ont beaucoup plus tendance au
prosélytisme. Inventons une nouvelle religion (laïque, hein !) : le
« cœurage » ! De l’audace, du courage et du cœur !
Voici quelques références des textes, documentaires, films, qui m’ont aidée,
d’une façon ou d’une autre.
Si ceci est arrivé, je cours acheter un martinet (ça existe encore, à 4 euros
environ, j’ai vérifié, pardi !) et me flagellerai.
Livres
D’ordre général
Chimamanda Ngozi Adichie, Nous sommes tous des féministes, Folio,
2014.
Christophe André, Et n’oublie pas d’être heureux, Odile Jacob, 2014.
Honoré de Balzac, Le Code des gens honnêtes ou l’art de ne pas être dupe
des fripons, 1825.
Brice Teinturier, « Plus rien à faire, plus rien à foutre », la vraie crise de la
démocratie, Robert Laffont, 2017.
David Thomson, Les Revenants. Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de
retour en France, Les Jours, Le Seuil, 2016.
Films et documentaires
Akhenaton et Didier Darwin, Conte de la frustation, téléfilm, 2010.
Tout d’abord, ce que je nomme « mon premier cercle », famille (je vous
aime), ami·e·s, qui a eu à supporter les affres de ma réflexion, de mes
doutes et tutti quanti. Merci !
Je remercie aussi, tout autant, celles et ceux qui, même s’ils n’ont pas
souhaité témoigner, ont eu la délicatesse de répondre et m’expliquer
pourquoi.
Je remercie First Éditions pour leur confiance et leur soutien. Tout d’abord
Laure-Hélène Accaoui, puis Louise Mailloux et Marjorie Poitte.
Enfin, je remercie feu le précieux Cavanna, car il est celui que j’ai entendu
pour la première fois prononcer ce mot « gougnafier » ! Ce mot ne m’a
plus quittée.
Merci à :